Formalités de circulation et avènement de l’extra-européanité : Ibéro-Américains en France sous la Restauration
p. 45-66
Texte intégral
Introduction
1Le séjour européen des élites ibéro-américaines a été le terrain de prédilection des historiens des transferts culturels, des sciences, de la littérature, mais aussi de l’histoire politique et diplomatique. Les sources privilégiées par cette historiographie sont les récits de voyage, les journaux intimes, la correspondance personnelle, ainsi que la littérature de propagande qui fleurit sous la plume des Ibéro-Américains et de leurs alliés sur le continent européen1.
2De manière générale, ces travaux abordent le sujet sous l’angle de l’importance acquise par les individus dans le continent américain après leur voyage. Ces voyageurs faisaient en effet partie des élites économiques, politiques et scientifiques du continent et les chercheurs soulignent leur rôle de bâtisseurs des nations ibéro-américaines2. Cette perspective du « bâtisseur-voyageur » a par ailleurs été enrichie récemment par des travaux ayant trait au voyage en lui-même, travaux qui explorent le rôle joué par l’altérité dans la construction des « identités » dans l’espace américain3.
3En dehors de quelques exceptions4, la chronologie privilégiée par ces recherches est celle de la période postérieure à 18305. En effet, les auteurs décomposent ces voyages et ces séjours en deux temps différents : le voyage colonial et le voyage postcolonial6.
4Le premier avait pour destination principale les métropoles et était motivé par des questions de formation ou des démarches administratives. Le second était celui au cours duquel l’Europe entière s’ouvrait aux voyageurs, ces derniers profitant de ces séjours pour chercher au-delà de la péninsule Ibérique des éléments participant à « l’émancipation mentale des nouveaux États américains7 ».
5La décennie 1820 est souvent négligée par l’historiographie pour deux raisons. Tout d’abord car les sources privilégiées par ces chercheurs sont en grande majorité issues de la décennie suivante, à l’exception des entreprises de propagande. Ensuite parce qu’aborder cette décennie nécessite un effort de subjectivation8 impliquant de dépasser le rapport binaire cher à l’historiographie des trois premières décennies du xixe siècle des espaces américains : colonie-nation, Europe-Amérique, république-monarchie, sujet-citoyen9.
6Ainsi, cette contribution vise à éclairer le séjour français des ibéro-américains au cours des années 1820. Elle a profité des perspectives ouvertes par le dynamisme de l’historiographie française dans le domaine des migrations10 et des circulations11 replaçant la question dans un autre contexte, et dans une historiographique plus large que celle du monde ibérique.
7Cette réflexion est construite à l’aide des archives du ministère de l’Intérieur12. Cette documentation a pour enjeu l’identification et la catégorisation des individus13. Faire l’histoire de la présence des Ibéro-Américains en France avec cette source exogène permet d’approcher cet objet sous un angle sociohistorique. L’objectif est de dépasser le cadre du « bâtisseur-voyageur » pour essayer de percer les aspects qui conditionnent la rencontre entre les voyageurs et la France prise dans un rôle de structure identificatrice.
8Nous étudions les questions qui ont une influence dans ce qui est désigné dans cette réflexion comme la zone de contact14. C’est grâce à cet espace immatériel qu’il est possible de comprendre la rencontre entre les Amériques en pleine mutation et la France de la Restauration avec ses propres impératifs politiques et sociaux. Rencontre dont les protagonistes sont les voyageurs15 dans leur rôle d’agents de connexion16.
9Cette approche dessine une réflexion à dimension continentale. Étudier les voyageurs des Amériques espagnole et portugaise en condition de déplacement, permet d’envisager les deux groupes, non pas uniquement du point de vue de la comparaison mais du point de vue de l’interpénétration des deux catégories qui, à compter du milieu de la décennie, sont considérées dans la zone de contact comme faisant partie du même ensemble.
10C’est la zone de contact qui a permis de dégager les critères de la catégorie d’analyse qui est au centre de ce travail17. Ici, Ibéro-Américains désigne des individus, nés ou résidant sur le continent américain, des individus qui habitent ou transitent en France, dont les attaches et les pratiques sociales, ainsi que les manifestations d’appartenance de toute nature, font qu’ils sont considérés ou qu’ils se considèrent eux-mêmes, à un moment ou à un autre de leur parcours dans le territoire français, comme des extra-européens.
11Ils sont désignés ici sous le titre d’Ibéro-Américains afin de tenir compte de la multiplicité de situations, de temporalités et d’espaces concernés. Son caractère inclusif, entre l’Ibérique et l’Américain, permet d’intégrer les deux Amériques sous la même désignation. Cette désignation tient également compte du caractère mouvant des appartenances géopolitiques dans le monde ibéro-américain pendant cette époque, tout en évitant de faire appel à des dénominations anachroniques témoins de réalités politiques et sociales postérieures18.
12Cette étude s’attache aux formalités de circulation auxquelles les ibéro-américains étaient soumis pendant leur séjour en France, considérant ces formalités comme la structure autour de laquelle s’effectue la rencontre entre la France et les voyageurs des Amériques ibériques. La période étudiée se caractérise par des mutations politiques qui retentissent de part et d’autre de l’Atlantique. Ceci permet de mettre en avant la manière dont la conjoncture agit sur les dispositions prévues en matière de circulation des voyageurs étrangers. Grâce à cette perspective, nous percevons d’un côté la manière dont les individus s’adaptent aux situations qu’imposent le contexte ou les autorités françaises. De l’autre côté, nous observons de la part de ces autorités une acceptation progressive de l’extra-européanité des voyageurs ibéro-américains.
Formalités de circulation et la lointaine Amérique
13Les formalités de circulation auxquelles les Ibéro-Américains étaient soumis lors de leur arrivée en France consistaient un dispositif de contrôle, destiné à réguler les déplacements de l’ensemble des Français et étrangers19. En 1816, le ministère de la Police générale effectue une synthèse de l’ensemble des réglementations en la matière existant depuis 179220. À partir de cette date, l’admission d’un étranger sur le territoire français était subordonnée à l’autorisation expresse du ministère. Ainsi, à son arrivée, l’individu devait se présenter devant les autorités locales afin de leur remettre son passeport étranger. Cette pièce, le passeport primitif, devait être envoyée au ministère avec une demande d’autorisation de séjour. L’individu obtenait en échange de son passeport une passe-provisoire, document lui permettant de rejoindre sa destination où les autorités civiles lui remettaient son passeport primitif revêtu d’un visa. En cas de retard dans cette procédure, l’individu demeurait sous la surveillance des autorités locales jusqu’à ce que le ministère ait statué sur son sort. Le visa de passeport permettait à l’individu de demeurer pendant un an en France à la condition de se conformer aux lois et règlements communs à l’ensemble des citoyens. Pour quitter le territoire ou changer de ville, l’individu devait se soumettre à la même procédure21. Ce système reposait donc sur le maillage administratif et était construit de manière à centraliser toutes les informations au sein du ministère22. C’est avec le passeport que l’individu intégrait le système de contrôle et avec la passe-provisoire que les autorités françaises procédaient à son individuation à l’aide des renseignements qui y étaient portés, comme l’adresse et le signalement23.
14L’objectif était d’identifier les individus afin de les classer au sein des deux catégories issues de la vision dichotomique que le ministère possédait du monde ; l’ami et l’ennemi. Le premier, celui qui acceptait les Restaurations monarchiques européennes du traité de Vienne, s’opposait au deuxième, celui à même de les contester24.
15Du temps où, pour le ministère de l’Intérieur, l’ennemi était le partisan de l’Empire, les autorités françaises, civiles et militaires25 témoignaient d’une souplesse à l’égard des individus qui se réclamaient naturels du continent américain. Le cas de Pablo Carbonel, un chef de bataillon, « refugié espagnol » est apte à illustrer cette tendance de l’administration. Ayant été compris dans la dernière amnistie de Ferdinand VII, Carbonel espérait pouvoir retourner en Amérique. Suivant la procédure prescrite pour les réfugiés, la préfecture lui demanda de se présenter devant l’ambassade d’Espagne afin d’obtenir une autorisation de départ26. Seulement la Bande orientale du Rio de la Plata était en possession des Portugais depuis 1817 et l’ambassadeur d’Espagne lui dit être dans l’impossibilité de lui accorder une autorisation27. À son sujet, un fonctionnaire de la préfecture adressa la note suivante au ministre :
« Je vous renvoie M. Carbonel dont nous ne savons quoi faire et qui se trouve dans la position la plus embarrassante […] le pauvre diable ne sait où donner de la tête. Tâchez d’avoir pour lui une exception de la part du ministère ; il est né à Montevideo ce qui rend son cas plus favorable que ceux des espagnols du continent28. »
16La distance et la nécessité d’éloigner du territoire français des individus dont la survie dépendait des secours accordés par le gouvernement ont joué un rôle dans la possibilité du retour de la catégorie d’individus qui, arrivés en France avec le statut de réfugiés, obtiennent des autorisations pour repartir en Amérique ou se diriger à Londres sans trop de difficultés29. Or, au tournant des années 1820, la conception que le ministère de l’Intérieur avait de l’ennemi évolue.
Le moment 1820
17Le moment 1820 indique ici la période qui s’ouvre à l’automne 1819 et aboutit à l’automne 1823. Elle est ici désignée comme un moment, dans la mesure où les multiples temporalités30 concernées par cette réflexion se rencontrent dans le même espace temps, celui de la zone de contact.
18L’historiographie retient comme point de départ du combat de la France contre le libéralisme l’année 1822 (congrès de Vérone). Mais dans notre temporalité, l’événement qui ouvre le combat de la France de la Restauration contre le libéralisme est le congrès de Carlsbad (septembre 1819)31. Les mesures qui y sont adoptées pour contrôler les individus inspirent la France quelques mois plus tard. En effet, en même temps que le front légitimiste européen commence à prendre une nouvelle dimension, la France est secouée par des événements qui la contraignent à revoir sa copie en matière de contrôle dans les déplacements des individus32.
19Le tournant 1819-1820, témoigne d’une mutation dans la cosmologie des monarchies restaurées. L’ennemi change de visage et au partisan de l’Empire vient s’ajouter le spectre du « Constitutionnel », terme générique par lequel la police désigne alors les partisans du libéralisme. Cette mutation de la vision dichotomique du monde, dont la police était le principal porte-voix, atteint son paroxysme à partir du moment où le Pronunciamiento de Riego en Espagne se propage dans l’ensemble de l’Europe, d’abord dans les Deux-Siciles, ensuite au Portugal et menace de troubler la France.
20L’onde de choc de ce moment 1820 atteint aussi le continent américain et dans son sillon entraîne une reconfiguration politique dans les Amériques ibériques. Les territoires soulevés depuis la décennie précédente bénéficient de l’instabilité crée par l’installation du régime constitutionnel en Espagne. Si d’un côté il semble y avoir des possibilités de négociation33, d’un autre, les perspectives d’émancipation gagnent des territoires qui jusqu’à là s’étaient maintenus, tant bien que mal, dans le giron métropolitain34. C’est dans l’Amérique portugaise que le moment 1820 laisse les traces les plus visibles. Le retour de Jean VI au Portugal en 1821 ouvre la voie à l’indépendance du Brésil où jusque-là, la présence de la cour et la création du Royaume uni du Portugal Brésil et Algarve (1815) avaient réussi à retarder, exception faite du Pernambouc, les véhémences autonomistes de l’Amérique portugaise35. Sans s’attarder sur le rôle central du coup de force du libéralisme européen dans les processus qui amènent les Amériques à leur émancipation, il convient de remarquer la double tension à laquelle les voyageurs venant de cette partie du monde étaient confrontés.
21C’est dans cette conjoncture que les échanges entre les Amériques et la France commencent à prendre une nouvelle tournure. Avant 1815 la présence ibéro-américaine en France était une affaire d’intellectuels attirés par la France des Lumières, de quelques représentants de la jeunesse dorée au cours d’un voyage initiatique, quelques prisonniers des guerres péninsulaires et une poignée de négociants et d’agents officieux. Mais le retour de la paix en Europe offre aux élites ibéro-américaines des nouvelles possibilités. Le calme apparent de la France, contrastant avec l’instabilité de la péninsule Ibérique, les conduit à considérer la France, mais aussi l’Angleterre, comme des métropoles de substitution. Les maisons d’éducation et les universités deviennent les centres de formation prisés par la jeunesse. Paris, qui espérait concurrencer Londres, devient l’une des plaques tournantes des capitaux américains, tandis que les ports français essayent de se faire une place plus importante dans le commerce avec les Amériques. Il est difficile d’affirmer qu’ils étaient plus nombreux qu’auparavant, mais il est indéniable que c’est au cours de la deuxième Restauration que cette population devient plus visible dans la documentation.
22Les Ibéro-Américains commencent alors à apparaître dans les radars des autorités françaises, non pas exclusivement comme ennemis des monarques ibériques, mais de l’ordre européen. Les exemples sont nombreux, mais pour n’en citer qu’un seul, il est possible de faire appel à Francisco Antonio Zea qui, présent dans les listes des réfugiés jusqu’en 1815, disparaît des archives de la police pour réapparaître à Londres en 1822, non seulement en qualité « d’agent de la République de Colombie à Londres » mais aussi en tant que bailleur de fonds des entreprises du libéralisme italien. Les informateurs font de lui le secours financier de la « Confédération Constitutionnelle36 ». Ce n’est pas le propos ici d’explorer les liens, supposés37 ou réels, des Ibéro-Américains avec les libéraux européens38. Il convient néanmoins de noter que pour la police, les voyageurs de cette partie du monde participaient aussi à cette temporalité, ce qui accentuait par ailleurs le caractère universel de la « menace constitutionnelle ». Pour la police de la Restauration, les Ibéro-Américains étaient des véhicules de ce danger, non pas en raison de leur appartenance géographique, mais en raison de leur appartenance politique au sein de l’échiquier européen.
Réajustement des formalités de circulation
23La France se trouvait au centre de deux pôles géographiques du libéralisme européen. Le ministère de l’Intérieur, liant impératifs de politique intérieure et de politique extérieure, voyait dans le renforcement de formalités de circulation le moyen d’agir à l’intérieur de ses frontières pour protéger le Régime.
24Depuis 1814, se succédaient dans le territoire français des vagues de réfugiés, installés ou de passage dans le territoire français. Aux afrancesados, s’ajoutaient les réfugiés du premier libéralisme gaditan pour qui la France était un point de circulation vers l’Angleterre ou les Amériques. Suivaient ensuite les partisans de l’absolutisme portugais en route vers l’Autriche et ceux de l’absolutisme espagnol qui s’installent en France. À compter de 1821 ce sont les « Italiens » qui cherchaient à traverser la France pour rejoindre l’Angleterre ou l’Espagne constitutionnelle, la même Espagne que fuient à l’été 1822, les libéraux modérés face à la radicalisation du régime. Ce que les historiens appellent la rationalisation des politiques d’accueil des réfugiés et des pratiques inhérentes à la circulation39 est la réponse de la police face à cette masse protéiforme de voyageurs devant laquelle elle devait instaurer un système lui servant à classifier et à catégoriser les individus au sein de la nouvelle cosmologie mise en place par la convergence des temporalités des diverses parties de l’Europe et même du monde dans ce moment 1820.
25Plusieurs dispositions viennent alors perfectionner le mécanisme de surveillance et de contrôle des déplacements. À partir du mois de février 182140, le ministère de l’Intérieur exige que tout étranger qui souhaite obtenir un visa pour entrer, sortir ou circuler en France, obtienne l’accord préalable des agents consulaires ou diplomatiques de « sa nation », dans le but de « justifier de sa nationalité » et de certifier qu’au moment de son départ il n’était « ni prévenu, ni recherché41 ».
26En même temps, le ministère généralise la pratique du visa consulaire42. Ainsi, français et étrangers voulant pénétrer dans le territoire devaient être porteurs du visa des agences consulaires françaises à l’étranger. Par là, le ministère de l’Intérieur intègre dans son système le réseau des Affaires étrangères dans le but d’opérer un tri des voyageurs à la source.
27C’est au printemps 1823 que s’opère le dernier tour de manivelle. Le ministère impose comme condition d’entrée en France le fait d’être possesseur d’un passeport régulier, cette régularité était fondée sur la régularité de l’autorité qui délivre le passeport primitif, c’est-à-dire sur le fait qu’elle soit reconnue par la France. La lenteur avec laquelle Ferdinand VII opère sa relève consulaire et diplomatique après sa Restauration est à l’origine de cette mesure :
« Il arrive journellement à Calais des Espagnols munis de passeports délivrés par le contre amiral Jabat, envoyé des Cortes à Londres. La plupart de ces Espagnols sont inconnus de M. de San Carlos [représentant de Ferdinand VII à Paris] ce qui prive l’administration de tout renseignement sur leurs opinions et les motifs réels de leur voyage43 […]. »
28Parmi ces « inconnus » du représentant d’Espagne il y avait un certain nombre d’Ibéro-Américains.
Les derniers Ibériques d’Amérique ?
29Jusqu’à la fin de l’année 1823, les Ibéro-Américains n’éprouvaient pas beaucoup de difficultés pour être admis et circuler en France. Ils obtenaient des passes provisoires sans être soumis à des autorisations spéciales ou sans faire appel aux exceptions prévues par la loi, ce qui traduit qu’ils se présentaient sans difficulté devant les autorités consulaires et diplomatiques péninsulaires concernées. Par exemple les envoyés du Mexique aux Cortes qui quittent l’Espagne à la fermeture de la première session au cours de l’été 1821, circulent librement dans le territoire français et s’offrent même un court séjour à Paris avant de se diriger vers l’Angleterre ou vers le Mexique, munis de passeports espagnols44.
30Ce qui était vrai pour des individus dont le séjour était motivé par des affaires politiques et dont il est compréhensible qu’ils jouissent des facilités des autorités espagnoles pour circuler, l’est aussi pour les négociants. À l’image de Vicente Rosales, qui affrète un navire au Havre en mars 1823, en partenariat avec la maison Laffite, et dont l’inventaire fait par les autorités portuaires ne laisse aucun doute sur les objectifs de ce commerçant45 qui circulait avec des titres de voyage de l’Espagne constitutionnelle.
31Les seules tensions qui se sont présentées entre les Ibéro-Américains et les autorités ont été engendrées par l’expulsion d’individus en raison de leurs manifestations politiques dans les espaces publics et les relations maintenues avec des individus « mal connus » de la police au printemps 1823. Au cœur de l’échantillon étudié 12 individus ont été concernés par ces mesures et le seul refus de s’y soumettre provient d’un négociant de la Plata, Jose Ignacio Garmendia qui érige, dans cet objectif, son statut d’extra-européen. Le préfet écrit à son sujet : « Quelqu’étranger qu’il prétende être à l’Espagne, il n’a pas moins fréquenté journellement à Paris, tous les espagnols les plus connus pour leur exaltation révolutionnaire. Il a manifesté les mêmes opinions, fréquenté les mêmes lieux46 […]. » La question n’était donc pas fondée sur la position de l’individu à l’égard des questions américaines, mais plutôt en rapport avec les questions européennes.
32La généralisation du visa consulaire facilite la circulation des voyageurs en provenance du Brésil. Après le départ de Jean VI, le ministère des Affaires étrangères, qui avait en ligne de mire la signature d’un accord commercial, juge convenable d’y maintenir sa représentation consulaire. La position de Jean VI face aux Cortes portugaises, fait que la France considère le Portugal et par extension le Brésil dans une perspective différente de celle de l’Espagne et de l’Amérique espagnole. Par exemple, en mars 1823, lorsque arrivent les premiers exilés du Brésil indépendant, en même temps que la police déployait toute sa rigueur envers les Espagnols sur son territoire, José Clemente Pereira, Luis Pereira da Nobrega et Januario da Cunha Barbosa parviennent sans aucune difficulté à Paris où ils étaient signalés au ministère comme « dangereux par leurs principes politiques », « démagogues » et « républicains47 ». Malgré ces rapports défavorables, la police n’a pas enclenché les mesures de rigueur prévues pour contrôler les déplacements des sujets réputés dangereux. Contrastant avec un autre célèbre exilé, Agustín Iturbide, arrivé en Europe par Libourne et circulant avec un passeport de l’Espagne constitutionnelle, à l’égard duquel les Affaires étrangères, motivées par « les relations d’amitié qui existent entre le Roi et Sa Majesté Catholique [demande que] l’Espagnol Iturbide [ne soit admis dans le territoire] qu’accompagné d’un gendarme qui ne le laissera communiquer avec personne et qui répondra de lui48 ».
Le moment 1824 : stratégies de circulation et possibilité de l’extra-européanité des Amériques
33Les nouvelles dispositions en matière de circulation font du passeport, outre un outil d’identification à distance, un document qui réunit appartenance géographique et appartenance politique autour du concept de nationalité. Un amalgame d’identifications difficile d’appliquer aux Ibéro-Américains.
34Le statu quo dans la circulation des Ibéro-Américains se voit modifié au moment où, le temps américain et le temps européen convergent à nouveau dans la zone de contact. Entre janvier 1824 et le printemps 1826 une série d’événements confronte la France à la perspective de mettre en place un traitement différent à l’égard des voyageurs venant de cette partie du monde. Ce ne sont pas les victoires militaires et diplomatiques américaines qui ouvrent la voie à une modification des conditions de circulation de ces voyageurs, mais le contrecoup de la nouvelle conception que la France de la Restauration avait de l’ennemi.
35En janvier 1824, le ministère adresse aux préfectures les instructions suivantes :
« Les étrangers de toute nation venant des Amériques espagnoles et portugaises, doivent être retenus à la frontière sous une surveillance spéciale et jusqu’à ma décision, aussi bien que les voyageurs nés et domiciliés dans les mêmes contrées. Vous pourrez cependant laisser pénétrer sans m’en référer ceux qu’invoqueraient une notoriété toute favorable, qu’il vous appartient d’apprécier, mais en me donnant avis, sur le champ, de votre décision à cet égard et des motifs sur lesquels elle sera basée. Vous considérerez comme étrangers tous les français qui se présenteront au Havre venant de l’Amérique méridionale munis des passe-ports étrangers49 […]. »
36La circulaire intervient vingt jours après l’Ordonnance royale du 26 décembre 1823 qui a pour objet l’amnistie des déserteurs militaires, en leur accordant un délai de six mois pour se présenter dans les ports français. Amnistie motivée par le succès de « la glorieuse campagne que notre bien aimé neveu le Duc d’Angoulême vient de terminer50 ». Cette mesure, visant initialement une catégorie bien spécifique de la population a des conséquences notoires pour les individus venant de l’ensemble des Amériques. Ayant observé leurs déplacements dans le territoire entre 1808 et 1830 il a été possible de mettre à jour des comportements inédits, tant de la part des individus que des autorités chargées de réguler leurs déplacements.
37La principale conséquence a été l’instauration de la rétention à la frontière des individus. Auparavant, les voyageurs pouvaient régler leur situation administrative une fois arrivés à leur destination. À compter de janvier 1824, les autorités retenaient les individus afin de statuer sur leur situation avant de leur ouvrir la pratique du territoire. La durée moyenne de cette rétention était entre sept et dix jours. Pendant ce temps, les autorités municipales procédaient à une enquête afin de s’assurer des intentions de l’individu et surtout de sa position à l’égard des affaires politiques51.
38Les enquêtes mises au jour, démontrent que jusqu’à l’automne 1824, les individus s’efforcent d’établir une distance entre leurs parcours personnels et le contexte politique mouvementé du monde ibérique. À l’instar de Santiago Tavara, naturel de Payta (Pérou), débarqué au port de Toulon en janvier 1824, en provenance de Cadix. Sa provenance immédiate éveille l’attention des autorités qui déploient à son égard l’arsenal administratif mis à sa disposition afin de s’assurer de la non dangerosité des individus. Le commissaire du port procède alors à une perquisition de ses malles où sont trouvées des « brochures séditieuses ». Rentrer dans le détail du contenu de la malle de Tavara éloignerait cette réflexion de son fil conducteur, ce qui importe ici est l’argumentaire déployé par cet individu afin de ne pas être éconduit du territoire : « Je suis négociant péruvien […] je suis arrivé en France, muni d’un passeport délivré par le consul français [à Gibraltar]. J’appartiens à la nation espagnole qui n’est pas en guerre avec la France et qui accueille bien les négociants français […]52. » Des cas comme celui de Tavara confrontent la police à des manifestations d’appartenance géo-politiques, enchevêtrées d’identifications sociales grâce auxquelles la police est apte à statuer sur le sort des individus.
39Les motifs de voyage déclarés par les individus évoluent : ainsi auparavant, celui qui invoquait des pratiques commerciales, un voyage touristique ou un séjour dans une maison d’éducation ajoute, au motif de son séjour, sa perception de la situation politique. Des occurrences telles que : « souhaite vivre en paix et dans la tranquillité », « souhaite se soustraire à l’état d’anarchie de son pays » ou « ne prit aucun parti à la Révolution de son pays », deviennent des formules courantes et presque établies dans les rapports des autorités de frontière.
40Il a été observé que les individus adoptent la rhétorique imposée par les autorités afin d’être admis à la pratique du territoire. Par exemple, Julian Zulaybar et Alejandro Velez, débarqués à Calais en mars 1824 qui déclarent être des « négociants, natifs de Colombie dans l’Amérique du Sud ». Le ministère de l’Intérieur leur accorde l’autorisation de se diriger à Paris à condition, entre autres, de préciser de « quelle province de l’Amérique espagnole ils sont originaires, car Colombie est trop vague et n’identifie aucun état reconnu53 ». Finalement ils sont autorisés à se rendre à Paris après avoir déclaré « être nés à Medellin dans la Province d’Antioquia au Royaume de la Nouvelle Grenade54 ». Une même réalité géographique définie par deux perspectives politiques différentes.
41Les changements politiques du continent américain amènent les autorités françaises à déplacer le regard. Plus que la péninsule Ibérique, c’est l’autre rive de l’Atlantique et la position de l’individu sur l’échiquier politique qui sont mis en avant. Le facteur déclencheur de cette nouvelle manière de regarder les Ibéro-Américains a été l’arrivée d’individus fuyant la Confédération de l’Équateur, le plus souvent embarqués à Recife dans la précipitation et sans passeports. À l’image d’Antonio Manoel Oliveira Arouca. Celui-ci « prétend avoir quitté le Brésil par suite des persécutions dont les portugais y font l’objet55 ». Domingos Borges Barros, alors à Paris, afin de négocier la reconnaissance de l’indépendance du Brésil, apaise la police à propos de ce « petit négociant […] ayant épousé une riche veuve du pays [qui] s’est jeté, dit-on, dans le parti des portugais contre les Brésiliens56 », Oliveira de Arouca, finira par entrer en France et circuler en Europe avec un passeport du consulat du Portugal, il retournera au Brésil au moment où la Confédération de l’Équateur sera réprimée par Dom Pedro.
42Ces Portugais arrivant du Brésil servent à la police à établir les paramètres nécessaires à la casuistique grâce à laquelle les autorités statueront par la suite à propos de ces « espagnols » et « portugais », réfugiés ou expulsés par les régimes mis en place dans le continent américain. D’ailleurs, c’est grâce aux voyageurs venant du Nord du Brésil que les autorités françaises commencent à abandonner le regard dichotomique sur les habitants des deux Amériques, en envisageant d’autres catégories possibles que celles de « l’indépendant » et du « fidèle ».
43En 1824, pour la première fois, les voyageurs venant de l’Amérique portugaise sont soumis à un régime particulier en raison de leur provenance géographique. Une première pour ces individus qui depuis 1808 étaient soumis aux mêmes conditions que les portugais européens. Désormais, ils sont désignés sous la qualité « d’américains », tandis que l’occurrence « compatriote » commence à apparaître dans les rapports de surveillance pour désigner les liens entre les voyageurs venant du Brésil et de l’Amérique espagnole.
44Passeports, passes-provisoires, enquêtes préalables, l’appareil de surveillance et de contrôle de la police était construit pour des individus qui avaient des représentants reconnus dans le territoire français. Il y avait cependant une exception possible, en justifiant une notoriété favorable57. Le ministère, contrastant avec sa volonté d’employer des techniques perfectionnées d’identification, se voit contraint, avec les voyageurs venant des Amériques, de faire appel à des anciennes méthodes. Il s’agit de la pratique de la recommandation dont l’analyse risquerait de dévier cette réflexion. Toutefois il convient de signaler qu’être possesseur d’une recommandation avait comme résultat d’abroger le temps d’attente aux frontières. Le plus souvent, les individus se faisaient recommander avant leur arrivée, ces lettres émanaient pour l’essentiel du milieu de la banque, du négoce et des manufactures françaises. Elles argumentaient, chiffres à l’appui, le montant des investissements que l’individu prétendait effectuer dans le territoire français.
45En même temps que les individus s’adaptent dans l’objectif de pouvoir entrer et circuler en France, à partir de 1824 il est possible d’observer un changement dans les titres de voyage dont ils se munissaient : les consulats français au Brésil et dans les ports-escale de la route de l’Atlantique accordent des passeports ou des permis d’embarquement aux individus, tandis que le fonctionnement du trafic maritime atlantique faisait de la légation française à Londres, le principal fournisseur de passeports pour les Ibéro-Américains. Le ministère de l’Intérieur en accord avec celui des Affaires étrangères autorise les agents de ce dernier à accorder des passeports aux ibéro-américains afin de faciliter leur entrée dans le territoire en vue de préserver le commerce français. Cette autorisation, adoptée pendant l’année 1824, entérine les pratiques des individus qui souhaitaient entrer en France sans l’aval des autorités espagnoles au cours de la décennie précédente58. Concernant les documents pour se déplacer à l’intérieur du territoire, les individus privilégient les titres de séjour ou les passes-provisoires au lieu du visa de passeport. L’année 1824 enregistre le chiffre le plus important de la période dans ce domaine, avec un total de 96 titres français contre 22 visas de passeports pour les 118 déplacements effectués par l’échantillon précité pendant l’année59.
46Le 1er juin 1824, le ministère demande aux autorités locales de transmettre dans des états de passeports60 séparés « les passeports des voyageurs espagnols et portugais et ceux des passagers venant de l’Amérique méridionale61 ». C’est au cours de l’été 1824 que le Brésilien est détaché du Portugais et que l’Espagnol d’Amérique peut se détacher de l’Européen. Désormais, les voyageurs de cette partie du monde peuvent être autre chose que des sujets du roi d’Espagne et du Portugal. Ce nouveau regard porté sur eux conduit le ministère de l’Intérieur à établir de nombreuses exceptions pour faciliter leur circulation. Mais cette manière de statuer sur les déplacements des Ibéro-Américains génère un volume de travail important au sein du ministère, entraînant la plainte des autorités locales par manque de moyens et aussi de nombreuses erreurs d’appréciation et des défaillances dans le système de surveillance.
47De leur côté, les individus, conscients de la particularité de leur situation à l’intérieur du système demandaient de plus en plus que l’on émette des exceptions à leur encontre. Ces contestations deviennent plus nombreuses et frontales à partir du moment où les diplomaties américaines enregistrent leurs premiers succès auprès des cours européennes. Au lieu de demandes exceptionnelles, la police fait face à des réclamations, les individus manifestant directement leur mécontentement lorsque les autorités les invitaient à se faire reconnaître devant les ambassades métropolitaines. Certains invoquent que la mesure en question « blesserait leurs principes62 » tandis que d’autres invoquent les inconvénients qu’un visa des autorités espagnoles pourrait leur occasionner à leur arrivée en Amérique. Cette dynamique est observée aussi chez les individus qui n’étaient pas de simples voyageurs et dont le statut de réfugié entraînait à leur égard des mesures restrictives telles que l’assignation à résidence : « Nous ne sommes point ni pouvons être considérés comme des réfugiés hispaniols résidents à Bordeaux63 », écrivait Jose Bonifacio de Andrada, « père de la nation » brésilienne alors en exil dans le département de la Gironde.
48Ces nouvelles attitudes témoignent d’une part que les individus avaient acquis la compréhension que la crainte des autorités résidait dans la possibilité que leur penchant politique agisse sur les questions européennes, ce qui les conduit à se différencier du principal ennemi du moment, le constitutionnel européen, et d’autre part que le ministère, avec l’adoption des nouvelles dispositions en matière de circulation avait offert un cadre à l’intérieur duquel l’extra-européanité des individus pouvait se manifester.
49Ces situations qui viennent d’être mentionnées sont le prélude de la nouvelle conjoncture qui voit le jour au cours de l’été 1824.
50Du côté des jeunes diplomaties du continent américain, les affaires européennes semblaient aller bon train. Surtout depuis que le cabinet de Saint James semblait prêt à reconnaître les indépendances (chose faite en décembre 1824). C’est à partir de cette période que la police enregistre un mouvement important de la part des ibéro-américains présents en France, c’est d’ailleurs pendant cette année que les autorités de frontière enregistrent le plus grand nombre d’arrivées dans le territoire64. En France, Chateaubriand quitte les Affaires étrangères65 et Charles X accède au trône. Désormais c’est la France de la contre-révolution qui est au pouvoir.
51Cette conjoncture a priori difficile pour les voyageurs ibéro-américains ne les atteint que très partiellement. C’est la France des Ultras, réputée par son intransigeance à l’égard des indépendances américaines, qui accordera finalement le plus grand nombre de facilités pour la circulation des Ibéro-Américains. C’est le refus des représentants espagnols à Paris de reconnaître les voyageurs venant des Amériques, qui agit comme facteur déclencheur des avancées en matière de circulation dont vont jouir les voyageurs de l’ensemble du continent.
« Les » France et les Ibéro-Américains
52En octobre 1824, le préfet parisien demande au ministère de l’Intérieur, des instructions générales concernant les voyageurs venant des Amériques :
« Aucun état indépendant de l’Amérique du sud n’étant reconnu, on n’a point fait d’exception formelle pour les étrangers venant de ces contrées […] le moment paraît donc être venu de faire aux instructions générales sur cet objet des modifications que l’indépendance de fait des états de l’Amérique du sud réclame impérieusement66. »
53À partir de ce moment, les voyageurs nés en Amérique sont dispensés de se faire reconnaître devant les ambassades du Portugal et de l’Espagne pour obtenir des passes-provisoires et des titres de séjour. Ils ont aussi la possibilité de quitter le territoire avec des titres spéciaux. Les voyageurs nés à Cuba, aux Baléares, à Porto Rico et aux Philippines ne sont pas concernés. En dehors des difficultés engendrées par ces voyageurs au sein même du ministère de l’Intérieur, ce dernier était soumis à des pressions émanant d’autres institutions et structures françaises.
54Les consuls français au Brésil avaient, depuis 1822, facilité les voyages des ibéro-américains. Dans la mesure où l’essentiel de la navigation vers l’Europe en provenance de la Plata et du pacifique circulait par le Brésil, les consuls y visaient des passeports qui, en France, n’auraient pas été aptes à recevoir des visas. Aux réclamations du ministère de l’Intérieur et des Affaires étrangères, le consul général de France au Brésil, qui essayait de lutter contre la prépondérance du commerce britannique dans la région, répond : « Dois-je priver les capitaines français des bénéfices d’avoir des passagers qui se rendraient en Europe sur des bâtiments d’autres nations67 ? »
55En effet, les contraintes imposées aux voyageurs ibéro-américains avaient des répercussions directes sur les stations navales françaises dans la région. Depuis que le mécanisme de contrôle des voyageurs s’était resserré en 1823, le ministère de la Marine était intervenu à plusieurs reprises dans des cas particuliers. Les restrictions imposées aux voyageurs des Amériques allaient à l’encontre des instructions reçues par les stations navales, à qui on préconisait de s’attirer la bienveillance des élites américaines68.
« Je crois devoir vous rappeler […] que les investigations dont M. Rivadavia et d’autres personnages marquants de l’Amérique du sud ont été l’objet de la part de la police pendant leur séjour en France, ont nui aux intérêts de nos négociants et de nos armateurs dans cette partie du monde et qu’elles ont placé dans une position fâcheuse les commandants des bâtiments du Roi qui y stationnent69. »
56Car en dehors des impératifs idéologiques la France avait un autre défi à relever. À partir de l’automne 1824, l’accueil des voyageurs venant des Amériques devient un autre front de bataille dans la rivalité franco-britannique. Ainsi, l’ensemble des intérêts économiques français ont fait office de force qui entraîne la modification de la machine de contrôle du ministère à l’égard des voyageurs.
57La finance, avait vu la place londonienne engranger des profits considérables sous les effets des spéculations sur les bons américains, tandis que Paris avait souffert des pertes à cause du refus de Ferdinand VII d’hériter de la dette du régime constitutionnel70, ainsi, capitalistes et spéculateurs espéraient faire des profits grâce aux capitaux américains. Les manufactures, dont la production avait subi des ralentissements à cause de l’occupation des armées étrangères, peinaient à se relever et avaient conscience de leur impuissance face à ce qu’elles désignaient comme « le système économique des mécaniques71 », elles avaient espéré que l’ouverture du commerce arrachée par Chateaubriand à Ferdinand VII au printemps 1823 ferait la différence.
58Depuis 1818, la France avait dans sa ligne de mire la conclusion d’un traité de commerce et de navigation avec le Brésil. Si les Britanniques avaient obtenu la clause de la nation la plus favorisée et l’exclusivité en 1808, le traité stipulait la fin de celle-ci en 1825. Seulement, à partir du moment où le Brésil déclare son indépendance, celui-ci oppose à toute perspective de traité la reconnaissance de son indépendance. En somme, tant que Jean VI n’avait pas reconnu l’indépendance, la France, mais aussi le reste de l’Europe, devait faire face aux refus du ministère brésilien dans ce domaine72. C’est dans ce contexte que les ports français voient arriver ce qui restait des troupes royalistes dans le sud du continent Américain. Financiers, négociants et manufacturiers qui, jusqu’en 1825, menaient un soutien certain mais discret à l’égard des voyageurs ibéro-américains par leurs lettres de recommandation, se font plus audibles. Ce ne sont pas les récits de la défaite royaliste d’Ayacucho, mais les témoignages de l’importance du commerce britannique dans la région qui les amènent à effectuer des pétitions formelles par le moyen, entre autres, des chambres de commerce73.
59Les autorités civiles, notamment dans les ports et les villes manufacturières, qui à l’intérieur du système de contrôle, étaient chargées de faire respecter la loi en matière de circulation et de contrôle des étrangers, mettent en avant que malgré la position politique des individus, elles étaient prêtes à les accueillir :
« Quelque exaltée que puisse être l’opinion des Srs Andrades, je ne vois aucun inconvénient à ce que ces étrangers obtiennent la permission de demeurer à Bordeaux. La sureté publique n’est point intéressée à leur départ, et le commerce de Bordeaux verrait avec plaisir de fixer dans cette ville les étrangers qui représentent une grande fortune en capitaux disponibles et dont les habitudes mercantiles peuvent concourir à augmenter la prospérité des habitants74. »
60Les villes portuaires avaient pris conscience que l’un des effets des indépendances américaines était la fuite des capitaux, qui privilégiaient les ports français et britanniques au détriment d’un potentiel retour dans la Péninsule, où l’instabilité politique s’apparentait à leurs yeux à celle des Amériques75.
61Les Ibéro-Américains avaient deux visages. Tandis que les intérêts commerciaux, les intérêts financiers et la diplomatie Atlantique les voyaient comme des véhicules susceptibles de faire profiter à la France des richesses Américaines, le ministère de l’Intérieur les regardait comme des potentiels propagateurs d’idées susceptibles d’ébranler le régime. À compter de 1825 l’articulation entre la perspective idéologique du régime et les intérêts réels de la France se brise et ce sont ces derniers qui l’emportent.
La police et l’autre Ibéro-Américain
62Le ministère de l’Intérieur demeurait chargé d’assurer la stabilité du régime. Alors, afin de composer entre les intérêts de la France et sa mission de maintien de l’ordre, la police augmente la surveillance des voyageurs. Les premiers jours de l’individu sur le territoire font l’objet d’un rapport circonstancié sur sa conduite. Lorsque celle-ci paraissait douteuse, la police envisageait alors l’expulsion. Or, les pressions exercées par les autres ministères ont contraint le ministère de l’Intérieur à pondérer son action. Par exemple, lorsqu’à la fin de l’année 1825 la police envisage l’expulsion du fils de l’un des principaux négociants de la place de Valparaiso le ministère de la Marine intervient dans ces termes :
« J’ignore quelles sont les opinions de ce négociant, mais [je vous prie] de vouloir bien observer qu’il appartient à une contrée qui a déclaré son indépendance et qui a adopté un gouvernement républicain : il serait donc fort naturel qu’il partageât les opinons de ses compatriotes76. »
63L’action des « autres Frances » se répercute dans la manière dont la police surveille les Ibéro-Américains mais aussi dans le langage. Si, auparavant, des expressions telles que : « ses opinions paraissent fort opposées à la cause royale », « professe des principes dangereux », « possède des opinions exaltées », étaient courantes dans les rapports de surveillance, à compter de la fin de l’année 1825 apparaissent des expressions telles que « il ne cache pas ses antécédents mais se montre reconnaissant de l’hospitalité du gouvernement » ou la plus courante : « professe les opinions de ses compatriotes ». La police est contrainte d’adapter ses dispositions et son discours à la nouvelle conjoncture, d’autant plus que le caractère fluctuant de cette catégorie « américain », qui voit le jour à l’automne 1824 conduit la police à essayer de comprendre sa signification.
64La mesure générale de l’automne 1824, concernait les individus nés aux Amériques. Or, l’arrivée de voyageurs nés dans le continent, mais manifestant ouvertement leur qualité de sujets du roi d’Espagne ou du Portugal met les autorités des frontières dans une position délicate. Alors, la police va accorder aux individus la possibilité de choisir :
« Je vous adresse le passeport délivré à Saint Louis de Maranahao le 5 mai dernier au S. Antonio Ferreira Alvez, négociant portugais qui vient d’obtenir au Havre une passe-provisoire pour Paris […] Vous veillerez à ce qu’il se fasse reconnaître par la légation du Portugal comme né à Coimbre […] soit par la légation du Brésil comme venant du Maranhao77. »
65Cette nouvelle possibilité laisse alors place à la manifestation des stratégies individuelles de la part des voyageurs. Par exemple, les individus dont le voyage était motivé par des affaires de commerce et de spéculation financière se présentaient devant les légations péninsulaires afin d’obtenir des passeports pour rejoindre la péninsule Ibérique ou d’autres places européennes. Les mêmes individus, lorsqu’il s’agissait de regagner le continent américain, se présentaient devant la préfecture pour obtenir des passes-provisoires à destination de l’Angleterre afin de s’embarquer vers un port américain.
66Ce type de comportement, ainsi que le maintien de rapports étroits avec les Espagnols et les Portugais européens en France contraignent les autorités à déployer d’autres moyens pour identifier et classifier les individus. Elles privilégient les identifications par groupalité ou par connexité78. Ainsi, lorsqu’un individu, malgré ses opinions, fréquentait exclusivement des négociants, banquiers, ou d’autres Ibéro-Américains connus par leur bonne conduite, la police apostait à son dossier la mention : « s’occupe exclusivement des affaires de commerce » ou encore « ne dois pas attirer l’attention de la police ».
67La police est amenée à s’intéresser de plus près à la situation du continent américain. Il a été remarqué, qu’à compter de cette période, les rapports des entretiens à la frontière adressés au ministère, ne sont plus l’objet d’une interprétation suivant le dialectique ami/ennemi et deviennent plus précis dans leurs descriptions :
« Le soussigné est né Brésilien, d’après les explications par lui fournies, il était négociant et propriétaire au Brésil avant la révolution, il a pris du service pour le gouvernement brésilien en qualité de capitaine d’artillerie et dans ce dernier temps, il a fait partie des forces brésiliennes qui se sont opposées à l’action du gouvernement de l’Empereur du Brésil. Le parti brésilien ayant succombé dans cette lutte, c’est pour lui la persécution79. »
68Dans ces descriptions, manifestations politiques, géographiques et géo-politiques s’enchevêtraient, permettant à la police de considérer la possibilité d’élargir sa catégorie de classification et d’identification. Ainsi, « américain », devient pour les autorités une catégorie multiple, nécessitant un adjectif afin de cerner la question qui leur était essentielle : celle du penchant politique des voyageurs. Apparaissent alors dans les dossiers des occurrences telles que : Américain fidèle, Espagnol du Pérou, Espagnol du Mexique, Américain espagnol, Espagnol américain, Portugais brésilien, Brésilien portugais, Brésilien démagogique ou encore Américain indépendant, auxquelles s’ajoutent celles de Colombien, Chilien et Mexicain.
69Expliquer ces désignations d’appartenance politiques et géo-politiques dévieraient cette réflexion de son fil conducteur : leur compréhension nécessite d’une part l’historicisation des différents concepts et d’autre part de plonger dans les méandres des parcours individuels afin de comprendre la manière dont l’Histoire retentit dans la vie des hommes. Il convient toutefois de mentionner qu’autant pour la police française que pour les voyageurs ibéro-américains, leur appartenance au continent n’était pas définie par l’adoption d’un système politique ou par la naissance, mais elle était davantage le produit d’une discussion entre la réalité quotidienne des individus, leurs intérêts particuliers et leur rapport avec l’environnement social.
La dernière marche
701826 inaugure une nouvelle étape dans les rapports entre l’Amérique et la France. Un premier pas a été fait lorsque le ministère autorise l’entrée des voyageurs ibéro-américains dans le territoire sans autorisation préalable, cette mesure, prise afin de faciliter l’entrée dans le territoire des voyageurs munis des passeports accordés au nom de Dom Pedro, finit par être étendue une semaine après aux voyageurs de l’Amérique espagnole.
71Le contexte diplomatique amène une fois pour toutes la relaxe des autorités envers les voyageurs assimilés comme appartenant aux Amériques indépendantes. En juillet, une semaine après la reconnaissance officielle de l’indépendance brésilienne par la France, le ministère de l’Intérieur adresse une circulaire aux préfets leur annonçant qu’ils étaient autorisés à viser les passeports accordés par les agents Brésiliens en France.
72L’instauration de relations commerciales officielles entre la France et le Mexique au cours de cette année80, ouvre la voie à de meilleures conditions pour les voyageurs venant de l’ensemble de l’Amérique espagnole. Or, en dépit de la reconnaissance des indépendances par la Grande-Bretagne et de la présence d’agences commerciales des nations américaines dans le continent européen, l’entrée et la sortie du territoire français s’effectuaient toujours à l’aide de titres spéciaux. Tandis que la France tardait à reconnaître les indépendances de l’Amérique espagnole, les intérêts français aux Amériques ne cessaient de grandir. Ce sera une décision du congrès mexicain qui débloquera la situation. Alex Martin, l’envoyé français, obtient que les autorités mexicaines enlèvent les difficultés auxquelles ils soumettaient les voyageurs français :
« Ils ne pouvaient pénétrer dans l’intérieur du pays sans un passeport du suprême gouvernement et ce passeport se faisait quelques fois attendre des mois entiers. Tout ce qu’ils pouvaient obtenir, c’était d’aller l’attendre dans quelque ville, à l’abri de la funeste influence du climat des côtes, mais cette permission provisoire, il fallait la solliciter pendant trois ou quatre jours dans une ville où un séjour de trois ou quatre heures est souvent mortel aux européens81. »
73En contrepartie, il promet que le ministère de l’Intérieur viserait les passeports accordés par le gouvernement du Mexique en Amérique et en Europe. En février 1827, le ministre des Affaires étrangères demande à son collègue de l’Intérieur de :
« Donner des ordres afin que les mexicains et les autres habitants des nouveaux États d’Amérique méridionale, qui se présenteront à la frontière avec des passeports émanant des autorités de leurs pays respectifs soient admis de la même manière et avec la même facilité que les sujets des autres états82. »
74Désormais, ce sont les agents mexicains sur le territoire français qui deviennent les interlocuteurs privilégiés du ministère de l’Intérieur en matière de voyageurs, ils ouvrent les portes de la France et même de l’Europe aux voyageurs assimilés à l’ensemble de l’Amérique espagnole. Le Mexique a contraint la France à discuter en termes de Droit de gens avec des États qui ne seront reconnus que trois années après et c’est en termes de Droit de gens que la France prétendra discuter l’année suivante avec Buenos Aires, lorsque les premières frictions apparaissent entre les gouvernements des Amériques indépendantes et la France au sujet de la protection du commerce français. L’âge de l’impérialisme informel était officiellement ouvert.
Conclusion
« En ne voulant s’occuper que d’un objet particulier, on se trouve en face de l’ensemble, et l’image d’une province est celle même de l’univers. Cet ordre est nouveau, il est vrai, mais il existe : il provient des relations qui se sont formées entre toutes les parties du globe et tous leurs habitants ; relations qui ont créé parmi eux un esprit général à la fois produit et source des communications qui les lient ensemble, et qui force, en examinant l’esprit de l’un, à tenir compte de celui de tous. C’est une immense sauve-garde que l’univers a acquise là et qui force partout l’autorité à des ménagements dont l’ancienne séparation des hommes la dispensait auparavant83. »
75La France et les Amériques pendant ces années 1820 peuvent être imagées comme le tronc d’un arbre à partir duquel grandissent deux branches en des sens opposés. Ces deux branches sont unies par des lianes, les hommes, et à compter du milieu de la décennie la tension engendrée par ces forces opposées conduisent l’une d’elles à relâcher sous peine de se briser.
76Se pencher sur le séjour des ibéro-américains en France en se détachant du topos du bâtisseur-voyageur, pour le considérer comme ce qu’il est, un phénomène migratoire, conduit à envisager d’une manière différente des lieux communs de l’historiographie sur la période. Par exemple, à la lumière de ce qui vient d’être dit, l’intransigeance de la France, championne de la Sainte Alliance, à l’égard des indépendances Américaines peut être nuancée. D’autre part, il est possible de relativiser le ressenti même de ces voyageurs à l’égard de la France pendant la période. Ainsi, une approche stéréotypée de cette documentation pourrait laisser penser que c’est la condition « d’américains » des individus qui est à l’origine des difficultés rencontrées par ces voyageurs. Pourtant, en accordant sa juste valeur à la documentation, en explorant davantage les conditions de production et en incérant ces déplacements dans l’espace-temps qui leur est propre, celui de la zone de contact, il est manifeste qu’un regard plus modéré doit y être porté.
77Les sources administratives, photographie des questions qui mobilisent une administration à un instant donné, se caractérisent par un langage uniforme et quasiment répétitif. Mais en prenant compte des changements, des cas individuels qui en sont la genèse et en les mettant en rapport avec le contexte général, il est possible de percevoir ces moments de rupture qui produisent des adaptations grâce auxquelles aux yeux de l’administration française les Amériques se détachent peu à peu de l’espace-temps européen pour trouver celui qui lui est propre.
Notes de bas de page
1 Mises à part les études concernant la diplomatie ou les aspects politiques qui profitent des sources administratives. Parmi les exceptions, Zarza Rondon Gloria, Cadiz, puerta de America: un estudio demográfico de la población hispanoamericana en la ciudad desde 1773 a 1840, Paris, université Paris-Sud, 2015.
2 Quijada Monica, « Qué nación? Dinámicas y dicotomías en el imaginario hispanoamericano », in Monica Quijada et François Xavier Guerra (dir.), Imaginar la nación, Münster, Hambourg, AHILA, 1994, p. 15-52, p. 16 ; Lempériere Annick, Lomne Georges et Martinez Frédéric et Rolland Denis (dir.), L’Amérique latine et les Modèles européens, Paris, L’Harmattan, 2008.
3 Sanhueza Carlos, Chilenos en Alemania y Alemanes en Chile, viaje y nación en el siglo XIX, Santiago du Chili, Centro de investigaciones Diego Barros Arana, 2006 ; Sanhueza Carlos, « En busca de un lugar en el mundo: viajeros latinoamericanos en la Europa del siglo XIX », Estudos Ibero-Americanos, vol. 33, 2007|2, p. 51-75.
4 Candido Antonio, Formação da literatura brasileira: momentos decisivos 1750-1880, 2 vol., São Paulo, Itiaiana limitada, 1975 ; Coclet da Silva Ana R., Inventando a nação: intelectuais ilustrados e estadistas luso-brasileiros na crise do antigo regime português, 1750-1822, São Paulo, Hucitec, 2006 ; Gutierrez Ardila Daniel, « Los primeros colombianos en París (1824-1830) », Anuario colombiano de Historia Social y de la cultura, vol. 36, 2009, p. 89-124 ; Sanchez Romy, Quitter la très fidèle. Exilés et bannis au temps du séparatisme cubain, 1834-1879, thèse d’histoire, université, Paris 1-Panthéon-Sorbonne, 2016.
5 Signalons des exceptions comme : De Francesco Antonio, Mascilli Migliorini Luigi et Nocera Raffaele (dir.), Entre Mediterráneo y Atlántico. Circulaciones, conexiones y miradas 1756-1867, Santiago du Chili, Fondo de cultura económica, 2014.
6 Sanhueza Carlos, « De la periferia colonial al centro del Imperio. Viajeros hispanoamericanos en las cortes españolas durante el siglo XVIII », in Renate Pieper et Peer Schmidt (éd.), Latin America and the Atlantic World: el mundo atlántico y América latina (1500-1850): essays in honor of Horst Pietschmann, Cologne, Böhlau, 2005, p. 213-220 ; Viñas David, De Sarmiento a Cortázar: literatura argentina y realidad política, Buenos Aires, Siglo Veinte, 1974, p. 3-81.
7 Sanhueza Carlos, Chilenos en Alemania y Alemanes en Chile, viaje y nación en el siglo XIX, op. cit., p. 83-87.
8 Jancsó István et Garrido Pimenta João P., « Peças de um mosaico ou apontamentos para o estudo da emergência da indentitade nacional brasileira », Revista de História das ideias, vol. 21, 2000, p. 389-440, p. 396.
9 Brown Matthew et Paquette Gabriel (dir.), Connections after colonialism. Europe and latin America in the 1820s, Tuscaloosa, The university of Alabama press, 2013, p. 4.
10 Noiriel Gérard, Le creuset français. Histoire de l’immigration xixe-xxe siècle, Paris, Le Seuil, 1988.
11 Roche Daniel, Les circulations dans l’Europe moderne xvie-xviiie siècle, Paris, Pluriel, 2011 ; Denis Vincent et About Ilsen, Histoire de l’identification des personnes, Paris, La Découverte, 2010 ; Diaz Delphine, Un asile pour tous les peuples ? Exilés et réfugiés étrangers en France au cours du premier xixe siècle, Paris, Armand Colin, 2014.
12 Le ministère de l’Intérieur était un grand ministère concerné par des compétences très variées, dont la Police générale chargée de réguler les questions de circulation des étrangers. Au cours de la période qui nous concerne, les questions de police ont été exercées par la direction de la Police générale ou par une simple division du ministère de l’Intérieur. Les fluctuations entre l’un et l’autre ayant été nombreuses au cours des années 1820 (6), nous avons choisi d’employer le terme générique du ministère de l’Intérieur.
13 Noiriel Gérard (dir.), L’identification. Genèse d’un travail d’État, Paris, Belin, 2007, p. 6-7.
14 Concept de Mary Louise Pratt qui désigne les questions inhérentes à la frontière culturelle, le lieu où s’installe la discussion entre le « voyageur » et le « visité ». Pratt Mary L., Os olhos do império: relatos de viagem e transculturação, Bauru, Edusc, 1999.
15 Le terme « voyageur » désigne ici tout individu qui franchit les frontières française indépendamment du motif de son séjour en France. L’emploi de ce concept dans son sens large a l’avantage d’affranchir cette réflexion des typologies classiques (exil, voyage de formation, commerce, séjour diplomatique) caractéristiques de ce type d’études, dans la mesure où, l’un des aspects notoires de cette thématique est justement la fluctuation des individus entre diverses catégories.
16 Gruizinski Serge, « Les mondes mêlés de la Monarchie catholique et autres “connected histories” », Annales. Histoire, sciences sociales, 56e année, 2001|1, p. 85-117 ; Bertrand Romain, « Histoire globale, histoires connectées : un “tournant” historiographique ? », in Alain Caillé et Stéphane Dufoix (dir.), Le « tournant global » des sciences sociales, Paris, La Découverte, 2013, p. 44-66.
17 Cette réflexion fait partie d’un travail plus vaste à propos de la présence des Ibéro-Américains en France entre 1808 et 1830. Celui-ci est fondé sur une base de données construite à l’aide de différentes archives de l’administration française où sont répertoriés 900 individus. Sur cette question des circulations, il a été détaché un échantillon par tirage au sort. Le résultat est : 162 individus issus de l’ensemble des Amériques ayant effectué des séjours en France entre 1820 et 1827.
18 Romero Vicente, « Du nominal “latin” pour l’autre Amérique. Notes sur la naissance et le sens du nom “Amérique latine” autour des années 1850 », Histoire et sociétés de l’Amérique latine, no 7, 1998, p. 57-86 ; Bethell Leslie, « O Brasil e a ideia de “América Latina” em perspectiva histórica », Estudos históricos, vol. 22, no 44, 2009, p. 289-321.
19 Noiriel Gérard, « Surveiller les déplacements ou identifier les personnes ? Contribution à l’histoire du passeport en France de la Ire à la IIIe République », Genèses, no 30, 1998, p. 77-100.
20 Circulaire du 20 août 1816, in Pionin Charles, Code de police municipale de la ville de Lyon, recueil des arrêtés, règlements, ordonnances, traités et autres documents concernant la police municipale de cette ville précédé de considérations législatives sur les règlements de police en général et sur les tribunaux qui doivent en connaître, Lyon, Dumoulin, Ronet et Sibuet, 1840, p. 43-46.
21 Art. 18, 19, 21, 22, 23, ibid.
22 Système complété par le contrôle des registres tenus par les maîtres de postes, les diligences, les maisons garnies et les hôtels, transmis aux autorités de l’arrondissement, qui établissaient des états nominatifs qui remontaient aux préfectures et ensuite au ministère de l’Intérieur.
23 Préfet du Rhône aux maires de sa circonscription le 15 novembre 1817, in Pionin Charles, op. cit., p. 42.
24 À propos de la polarisation des esprits sous la Restauration : Lignereux Aurélien, « Se dire bon français de l’Empire à la Restauration : construire un ethos de modération dans une France déchirée ? », in Jean-Claude Caron et Jean Philippe Luis (dir.), Rien appris, rien oublié ? Les Restaurations dans l’Europe postnapoléonienne (1814-1830), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 297-308.
25 Aymes Jean-René, Les déportés sous le Premier empire. Les Espagnols en France 1808-1814, Paris, Publications de la Sorbonne, 1983 ; Lopez Tabar Juan, Los famosos traidores. Los afrancesados durante la crisis del Antiguo Régimen (1808-1833), Madrid, Biblioteca nueva, 2001. À notre connaissance reste à faire une étude des partisans portugais de Bonaparte réfugiés en France après la défaite de la Grande Armée.
26 Se présenter devant la légation espagnole ou portugaise était à cette époque exclusivement l’affaire des réfugiés des guerres de l’Empire.
27 Pour des questions de thématique, nous ne sommes pas en mesure d’explorer ici le fait que cet individu refuse de se présenter devant les autorités portugaises pour obtenir un passeport.
28 Archives nationales (AN) F7 11993, note au Cabinet, Paris, 6 juillet 1818.
29 Service historique de la défense (SHD) YJ 93, ministre de la Guerre aux commandants des divisions militaires, Paris, 11 octobre 1818.
30 Celle des mutations politiques survenues dans les Amériques ibériques, celle de la France et plus largement de l’Europe des Restaurations confrontées aux secousses provoquées par le libéralisme.
31 Réunion prévue dans le cadre du traité de Vienne afin de régler des questions propres à l’Europe centrale, y sont adoptées une série de mesures visant à réprimer le libéralisme, comme l’instauration d’un conseil de surveillance pour l’ensemble de la Confédération germanique.
32 Au cours des élections de l’automne 1819, le courant libéral fait une entrée fracassante à l’assemblée, plongeant la France dans l’instabilité et conduisant le régime à annuler l’élection. Les pressions des ultras provoquent un virage à droite qui atteint son paroxysme avec l’assassinat du duc de Berry en février 1820.
33 Nater Laura, « En busca de reconocimiento: la independencia de América latina y la política española (1820-1823) », Historia Mexicana, XLV/4, 1996, p. 705-735.
34 Campagne du Pérou, plan de Iguala Mexique, création de la Gran Colombia.
35 Viana Lyra Maria, « Le projet d’Empire américain : stratégie et concrétisation », in Jorge Couto (dir.), Rio de Janeiro, capitale de l’Empire portugais (1808-1821), Paris, Chandaigne, 2010, p. 179-217 ; Leite da Silva Dias Maria O., A interiorização da metrópole e outros estudos, São Paulo, Alameda, 2009.
36 Centre des archives diplomatiques de La Courneuve (CADC), MD France vol. 2148 comte de Caraman au ministre des Affaires étrangères, Londres, 8 mars 1822.
37 Simal Juan L., Exilio, liberlismo y republicanismo en el Mundo Atlántico Hispano, 1814-1834, thèse d’histoire, dir. Juan Pan-Montojo Gonzáles, universidad Autónoma de Madrid, 2011, p. 92-97.
38 Isabella Maurizio, « Etangled patriotisms: Italian liberlas and Spanish America in the 1820’s », in Matthew Brown et Gabriel Paquette (dir.), op. cit., p. 87-107.
39 Noiriel Gérard, Réfugiés et sans papiers. La République face au droit d’asile xixe-xxe siècle, Paris, Hachette, 2006.
40 Quelques jours après la décision autrichienne d’intervenir dans le Piémont.
41 Préfet du Rhône aux maires de sa circonscription le 13 février 1821, in Pionin Charles, op. cit., p. 51.
42 Mesure adoptée à l’origine en 1816, pour filtrer les individus venant des États Unis, en raison de la présence de réfugiés bonapartistes dans cette partie du monde. CADC, MD France, vol. 2139 ministre des Affaires étrangères au ministre de la Police, Paris, 6 novembre 1816.
43 AN F7 11983, directeur général de la police au ministre des Affaires étrangères, Paris, 16 août 1823.
44 AN F7 6641.
45 AN F7 6720, sous-préfet du Havre au directeur de la Police, Le Havre, 17 mars 1823. La Bayonnaise, faisant voile pour Montevideo contenait : « Vin, eau de vie, librairie, objets de mode et nouveautés, gravures encadrées, encre, cire et objets de bureau, porcelaines et cristaux, meubles, étoffes et draps, cartes à jouer, une caisse contenant 20 sabres, 40 épées pour officiers, 227 cuirasses dont 16 d’officiers, 16 casques d’officiers, 221 casques, 249 plumets (ces plumets sont tricolores savoir, bleu, blanc rouge, qu’on dit être les couleurs du Chili) 40 paires d’épaulettes fines, 78 paires de demi-fines, 2 222 plaques de Schakos et la même quantité de boutons. »
46 AN F7 11892, préfet de police au ministère de l’Intérieur, Paris, 26 avril 1823.
47 AN F7 6732, note au ministère, 18 mars 1823.
48 AN F7 6641, dépêche aux préfets des Bouches du Rhône et du Var, 19 décembre 1823.
49 AN F7 11983, rappel aux préfets.
50 Duvergier Jean-Baptiste, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, réglemens, avis du conseil d’État, publiée sur les éditions officielles du Louvre ; de l’Imprimerie nationale, par Bauduoin, et du Bulletin des lois, t. 23, 2e éd., Paris, Guyo et Scribe, 1838, p. 472-743. C’est le retour en France des officiers au service des armées des indépendances qui a attiré notre attention sur l’origine de cette nouvelle réglementation. Voir Bruyere-Ostells Walter, « De l’Empereur au Libertador : circulations et exils d’officiers napoléoniens entre Europe et Amérique après 1815 », in Delphine Diaz, Jeanne Moisand, Romy Sanchez et Juan L. Simal (dir.), Exils entre deux mondes : migrations et espaces politiques atlantiques au xixe siècle, Paris, Les Perséides, 2014, p. 45-61.
51 En cas de dangerosité de l’individu le délai d’attente était raccourci par la transmission des informations par voie télégraphique. L’enquête était issue de l’entretien des individus avec les autorités et étoffée par des renseignements pris auprès d’autres voyageurs ou des personnes que l’individu pourrait connaître. En l’absence de ceux-ci, la police se renseignait auprès des tables d’hôtes, des cafés, des maisons garnies et hôtels.
52 AN F7 12023, Santiago Tavara au directeur de la Police, Toulon, 14 janvier 1824.
53 AN F7 12029, ministre de l’Intérieur au maire de Calais, Paris, 12 mars 1824.
54 Ibid.
55 AN F7 6732, sous-préfet du Havre au directeur de la Police, Le Havre, le 23 avril 1824.
56 Ibid.
57 Loi du 23 Messidor an IX.
58 Servando Teresa de Mier à Aimé Bonpland, Londres, 27 juin 1815, in Londres. Cuartel general europeo de los patriotas de la emancipación americana, Buenos Aires, Coni, Archivo de Bonplan, IV, 1940.
59 La Restauration de Ferdinand VII et le refus des autorités espagnoles d’accorder des passeports a sans doute joué un rôle dans ce sens.
60 État de Passe-ports : registre où étaient consignées les demandes d’autorisation de passes-provisoires.
61 AN F7 11983, minute au maire de Calais, 1er juin 1824.
62 Ibid. Préfet de police au ministre de l’Intérieur, Paris, 10 octobre 1824.
63 AN F7 6731, Jose Bonifacio de Andrada, Antonio Carlos Ribeiro de Andrada Machado, Martim Francisco Ribeiro de Andrada, José Joaquim da Rocha, Belchior Pinheiro de Oliveira au préfet de la Gironde, Bordeaux, 24 juillet 1824.
64 Sur l’échantillon précité. Enregistrant 10 entrées pour l’année 1822, 40 pour l’année 1823, 84 pour l’année 1824 (dont 37 en provenance de l’Angleterre) et 36 pour l’année 1825.
65 Perez Costa Wilma, « Entre tempos e mundos: Chateaubriand e a outra América », Almanack Braziliense, no 11/122, 2010, p. 57-82.
66 AN F7 11983, préfet de Police au ministre de l’Intérieur, Paris, 9 octobre 1824.
67 CADC, F C. P. Brésil T.3, comte de Gestas au ministre des Affaires étrangères, Rio de Janeiro, 19 octobre 1824.
68 AN F7 12055, contre-amiral Rosamel au ministre de la Marine, Marie Thérèse en rade de Valparaiso, 3 janvier 1825.
69 Ibid. ministre de la Marine au ministre de l’Intérieur, Paris, 3 décembre 1825.
70 Puente Armando, Alejandro Aguado, militar, banquero, mecenas, Madrid, Edibesa, 2007, p. 205-220.
71 AN F7 6970, maire d’Amiens au préfet de la Somme, Amiens, 6 mai 1825.
72 Ricupero Rubens, « O brasil no mundo », in Lilia Mortiz Schwarcz, Crise colonial e indepêndencia 1808-1830, São Paulo, Objetiva, 2015, p. 115-160.
73 AHSRE, Francia, Legajo 1, Exp.1 D.52, 53, 54, 55.
74 AN F7 6731, préfet de la Gironde au ministre de l’Intérieur, Bordeaux, 26 juin 1824.
75 Malamud Carlos, « La consolidación de una familia Arequipeña: Los Goyeneche », Quinto centenario, vol. 4, 1982, p. 49-125.
76 AN F7 12055, op. cit.
77 AN F7 6731, ministère de l’intérieur au préfet de police, Paris, 4 juillet 1826.
78 Brubaker Rogers, « Au-delà de l’“identité” », Actes de la recherche en sciences sociales, no 139, 4|2001, p. 66-85.
79 AN F7 6732, sous-préfet du Havre au directeur de la Police, Le Havre, 10 janvier 1825.
80 Vazquez Josefina Zoraida, México y el mundo, t. II : Historia de sus relaciones exteriores, Mexico, Colegio de Mexico, 2010, p. 57-62.
81 AN F7 11983, ministre de la Marine au ministre de l’Intérieur, Paris, 7 septembre 1826.
82 Ibid., ministre des Affaires étrangères au ministre de l’Intérieur, Paris, 27 février 1827.
83 Dufour de Pradt Domique, Congrès de Carlsbad, partie I, Paris, Béchet ainé, Libraire-éditeur, 1819, p. 14.
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