Conclusion de la deuxième partie
p. 177-178
Texte intégral
1La Compagnie des îles de l’Amérique ne se réduit pas à une structure, elle est faite d’hommes, les associés, qui l’animent et la font exister. Ils s’impliquent dans la vie de la Compagnie et cherchent aussi à servir au mieux les intérêts français en s’assurant la conservation des îles et en pourvoyant à leur développement. Ils ne sont pas uniquement préoccupés par le profit. Les déclarations de Nicolas Fouquet, quoique tardives, alors qu’il est devant ses juges, montrent le soin prêté à la gestion de l’entreprise par l’un des principaux associés1. Ce sont des hommes attentifs à leur devoir, mais il est vrai qu’ils appartiennent tous à l’appareil d’État, – ils sont pour la plupart maîtres des comptes, maîtres des requêtes ou conseillers d’une cour souveraine –, et ont un sens du service. Le renouvellement d’une partie des actionnaires en 1635 conduit à des arrivées significatives et remarquables venant du monde des affaires. Il reflète les nouvelles orientations de la Compagnie.
2Un autre point mérite d’être souligné à propos des associés. Ils sont profondément attachés à la Compagnie. Ils surveillent les cessions et les transmissions des parts. Ils y font entrer leurs proches. C’est une affaire de famille. Tout cela atteste d’une forme d’appropriation de la Compagnie. Tous les associés ne sont certes pas investis avec la même intensité dans son fonctionnement, mais ils lui sont tous (ou presque) fidèles. Peu d’entre eux la quittent. Elle repose cependant sur un petit groupe d’hommes constitué d’Isaac Martin de Maunoy, François Fouquet, Julius de Loynes, Étienne d’Aligre et Jacques Berruyer. Ce dernier assure la direction pendant de longues années et supervise le compte général de la Compagnie, aidé du secrétaire Jean de Beauvais. Cela donne à la Compagnie une ligne qui lui permet de construire des projets sur le moyen terme et d’en avoir un suivi rigoureux.
3Ainsi, si la Compagnie des îles de l’Amérique a été voulue et soutenue par Richelieu – il a investi personnellement dix mille livres en 1626, et a insisté pour que les associés se réunissent le 31 janvier 1635 et procèdent à la reformation – elle n’est pas pour autant sa chose. Elle existe sans lui et d’ailleurs, elle lui survit. Les associés disposent finalement d’une grande latitude dans la gestion de la Compagnie. Richelieu intervient peu dans celle-ci, mais il l’appuie pour lui obtenir de nouveaux privilèges (en 1634, 1635, 1642). Il sait qu’il peut faire confiance aux hommes qu’il a placés dans la Compagnie pour assurer la bonne conduite des opérations et respecter dans sa vision des choses commerciale et maritime. Ses principaux collaborateurs au ministère de la Marine, Isaac Martin de Maunoy et Julius de Loynes, lui servent de relais auprès de la Compagnie. En fait, il n’y a guère que les questions de défense et des relations avec les Anglais de Saint-Christophe qu’il supervise, mais c’est parce qu’elles touchent à la politique étrangère de la France. Richelieu est donc davantage un soutien de l’entreprise qu’un acteur véritable. Il n’en est pas moins précieux.
4L’entente des associés est pour beaucoup dans la bonne conduite de la Compagnie. Ces hommes se connaissent bien car ils appartiennent aux mêmes réseaux. Ils sont bien de leur époque. Certains caractères méritent toutefois d’être soulignés comme les relations qu’ils entretiennent avec la Nouvelle-France. De nombreux associés participent en effet à des compagnies au Canada – la plupart sont associés dans la Compagnie de la Nouvelle-France – et apportent à la Compagnie des îles de l’Amérique non seulement leur expérience dans les affaires coloniales et commerciales, mais encore une dynamique de groupe déjà constitué et actif. Cependant, les actions des deux compagnies en Amérique ne se fondent pas. Les capitaines de navires et les marchands ne se dispersent pas et gardent leur ancrage territorial.
5Les associés ont des intérêts convergents. Leur forte endogamie – ils sont souvent liés par mariage – et leur participation à des nombreuses affaires suffisent-elles pour autant à considérer qu’ils forment un groupe particulier tout spécialement dédié aux entreprises maritimes et coloniales ? Ils ne semblent pas constituer un réseau propre mais davantage s’appuyer sur les ressources des uns et des autres. Mais la question demeure sur la puissance réelle de cet ensemble d’associés et sur leur capacité d’intervention auprès du pouvoir en tant qu’entité particulière.
Notes de bas de page
1 « J’étais le principal des associés de cette compagnie, ayant plus de parts qu’aucun des autres, après M. le cardinal de Richelieu, et par conséquent que j’y avais plus d’affection et de soin », Fouq/D, t. 8, 1666, p. 58.
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