Introduction à la troisième partie
p. 189-191
Texte intégral
1Le Conservatoire des arts et métiers s’est préoccupé, tout au long du xixe siècle, de la chose ferroviaire. Il a constitué une collection technologique et a abordé la question dans ses enseignements. Nous avons vu que l’institution s’était clairement positionnée comme un « promoteur » du chemin de fer, insistant sur les intérêts, les avantages et les bénéfices que l’économie et la société pourraient retirer de ce mode de transport.
2Mais au-delà de la dimension plus idéologique que représente le chemin de fer se pose la question de sa construction, de son exploitation et de son fonctionnement du point de vue technique. De par sa nature particulière, le chemin de fer a mobilisé toutes les technologies disponibles au moment de la construction des premières lignes. Trois grandes filières techniques peuvent être mises en exergue. La première concerne la métallurgie, appliquée à la construction des infrastructures et du matériel roulant. Si les fers traditionnels français ont pu être employés pour certains éléments (lames d’aiguilles ou ressorts de locomotives et wagons), ils ont montré leurs limites en termes de résistance pour la confection des rails. L’augmentation des vitesses et des charges des trains ont imposé un profond bouleversement de la métallurgie, notamment pour la production d’aciers de bonne qualité à des prix compétitifs. Outre l’évolution du matériau, on constate de multiples essais ou tâtonnements touchant aussi bien aux profils des rails (armement des voies avec des rails au profil symétrique dit « à double champignon » ou avec des rails à patin, de type Vignole), à leur écartement (significatif de l’influence britannique sur la construction du réseau français) ou encore au perfectionnement des essieux et des roues. Ajoutons à cela les recherches pour améliorer l’édification des ponts ferroviaires en métal ou les halles des gares, et l’on peut considérer la filière technique métallurgique appliquée aux chemins de fer comme un ensemble significativement marqué par l’innovation au xixe siècle1.
3La deuxième filière touche les locomotives à vapeur. Si l’on doit à George et Robert Stephenson la mise au point de la locomotive moderne dès 18292, il faut souligner la naissance d’une industrie française de la locomotive au début des années 1840, notamment dans les régions là où existait déjà une forte communauté mécanicienne (Paris, Lyon, l’Alsace, le Nord). Les constructeurs français ont non seulement construit des machines de conception britannique (comme les Crampton, entre autres), mais ils ont aussi créé une véritable filière spécifique de locomotives pour les trains de marchandises. Les recherches menées pour obtenir des machines puissantes, capables de remorquer de lourds trains ont été à l’origine de nombreuses innovations, touchant notamment la production et l’utilisation de la vapeur. En outre, pour pallier les prix élevés des charbons de bonne qualité importés d’Angleterre ou de Belgique, les constructeurs français ont réfléchi à des solutions optimisant l’emploi de la vapeur, comme l’injection ou la surchauffe, donnant naissance à des machines sophistiquées et remarquablement conçues. Les constructeurs s’appuient sur une connaissance approfondie et une maîtrise certaine de la mécanique par des industries françaises, capables de concevoir et produire les locomotives avec l’équipement et l’outillage nécessaires.
4La troisième filière concerne la signalisation et les automatismes. Les insuffisances du réseau primitif, mises en évidence lors d’accidents notables comme la catastrophe de Meudon le 8 mai 1842, ont entraîné une lente mais durable évolution vers un contrôle et une communication renforcés des circulations. La mise en place d’un règlement de plus en plus précis et s’appuyant sur une signalisation codifiée en a été la partie la plus essentielle. La maîtrise de dispositifs mécaniques a en effet permis la construction de signaux enclenchés, reliés les uns aux autres, pour une gestion rationnelle de flux de plus en plus nombreux. L’emploi de l’électricité et notamment des piles a complété cette signalisation de plus en plus perfectionnée avec l’usage de la télégraphie, des sonneries et des commandes plus souples des signaux.
5Les enseignements à caractère technique du Conservatoire, notamment de mécanique appliquée et de géométrie descriptive, sont l’occasion de diffuser un grand nombre de connaissances liées à ces éléments, en s’appuyant sur les collections dans les galeries, ou sur le Portefeuille industriel, pour mobiliser des exemples significatifs. L’institution ne semble pas ici se poser comme le révélateur d’un « retard » français par rapport à la situation d’autres pays : elle cherche plutôt à mettre en avant des représentations d’outils, de machines ou de procédés éprouvés par l’expérience, adaptés ou adaptables à des situations particulières. Le corps enseignant utilise ainsi des vecteurs originaux pour communiquer des savoirs techniques non codifiés tout en tenant compte des spécificités techniques, géographiques et politiques de la situation française. Comme le souligne Nathan Rosenberg, la croissance économique n’est pas un phénomène de simple réplication d’un pays à l’autre : elle dépend fondamentalement de l’environnement particulier de chaque pays, de sa population et de ses capacités d’adaptation. La transmission des savoirs techniques, souvent non codifiés, et la mobilité du personnel qualifié susceptible de contribuer à la formation sont essentielles3.
Notes de bas de page
1 François Caron, « Le premier système ferroviaire français », op. cit. ; François Caron, « L’évolution des filières techniques ferroviaires », op. cit.
2 Jacques Payen, La Machine locomotive en France. Des origines au milieu du xixe siècle, op. cit.
3 Nathan Rosenberg, « Economic development and the transfer of technology : some historical perspectives », Technology and Culture, 1970, vol. 11, p. 550-575 ; Liliane Hilaire-Pérez et Catherine Verna, « La circulation des savoirs techniques du Moyen Âge à l’époque moderne. Nouvelle approche et enjeux méthodologiques », Tracés, no 16, 2009, p. 25-61.
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