Introduction à la deuxième partie
p. 145-147
Texte intégral
1Les chemins de fer ont tenu, au xixe siècle, une place considérable et prépondérante quant au développement industriel et économique, en particulier en France. Mobilisant des volumes de capitaux jusque-là inconnus en dehors des campagnes militaires, définissant un mode d’organisation nouveau, prélude à la grande entreprise, ils ont participé au changement d’échelle de l’économie. Qualifiés, par François Caron, de « système technique fondateur1 », les chemins de fer bénéficient, en France, d’un héritage technique et institutionnel favorable à une organisation rationnelle et efficace qui, si elle n’est pas le fruit d’une révolution brutale et soudaine, revêt, par les conséquences qu’elle induit, les caractéristiques d’une révolution ferroviaire.
2Les premières lignes françaises de chemin de fer naissent d’initiatives privées mais isolées dès les années 1780. Elles facilitent la circulation de marchandises, notamment des matières premières, depuis les lieux d’extraction jusqu’aux centres de transformation. Elles combinent alors une infrastructure souvent sommaire, formée d’ornières puis de rails, d’abord en bois puis en métal, à un mode de traction reposant principalement sur la force des hommes ou d’animaux de trait. L’un des exemples les plus aboutis de ces chemins de fer primitifs est le court tronçon établi au début des années 1780 entre les mines de Montcenis et les hauts fourneaux installés au Creusot. Deux planches d’un dossier du Portefeuille industriel révèlent ainsi l’implantation d’un chemin de fer pour la circulation du charbon de terre2. En 1787, le savant Louis Jean Marie Daubenton (1716-1799) offrait une description de cette voie : « Toutes les routes y sont tracées par des pièces de bois, auxquelles sont adaptées des bandes de fonte, sur lesquelles portent les roues des chariots qui conduisent le charbon & la mine ; & ces roues sont construites de manière que le chariot ne peut se détourner, & est obligé de suivre la route qui lui est tracée ; ensorte [sic] qu’un seul cheval, même aveugle, conduit sans gêne jusqu’à quatre milliers & plus3. » Les difficultés rencontrées par l’établissement du Creusot ne plaident pas en faveur d’une voie aussi sophistiquée, dont la construction et l’entretien se sont révélés fort coûteux. Au moment où l’on construit outre-Manche la première ligne de chemin de fer ouverte au public, le Surray Iron Railway, un article critique ainsi directement la voie ferrée du Creusot : « On a établi aux mines de charbon du Mont-Cenis [sic] en France, un pareil chemin pour conduire les charbons aux fonderies du Creusot : mais ce chemin a été fabriqué à trop grands frais, ce qui a empêché de l’imiter ailleurs4. » La quantité de fer nécessaire à la fabrication des rails était en effet très importante pour un matériau dont les coûts de production demeuraient, au tournant du xixe siècle, très élevés. Pour autant, savants et hauts fonctionnaires français commencent à s’intéresser à ce nouveau type de communication. En 1814, le polytechnicien et ingénieur des Mines Pierre Michel Moisson-Desroches (1785-1865) adressa ainsi à l’empereur Napoléon Ier un mémoire préconisant l’établissement de voies ferrées5. Un an plus tard, la Société d’encouragement pour l’industrie nationale publiait le premier article consacré aux chemins de fer pour le transport du charbon6. En 1818, un autre polytechnicien et ingénieur des Mines, Louis Gallois (1777- 1825), auteur d’un mémoire sur les mines, usines et chemins de fer anglais présenté à l’Académie des sciences, rappelait l’existence du chemin de fer du Creusot : « Nous avons en France des chemins de fer au Creusot. Il en existe à Indret depuis plus de trente ans. […] On est surpris de voir si négligés les grands effets produits par les chemins de fer, quand on examine les principes infiniment simples, et très-connus d’ailleurs, sur lesquels ils sont fondés. Ils se réduisent à éviter le frottement et les petites inégalités du terrain, et à profiter de la force de gravitation toutes les fois qu’elle peut être substituée à une force étrangère7. » En 1823, la ligne reliant Saint-Étienne à Andrézieux est concédée par le roi Louis XVIII à l’ingénieur des Mines Louis Antoine Beaunier ; il s’agit alors de la première concession d’une telle liaison en Europe continentale, mise en service dans son intégralité le 30 juin 1827. Suivront les lignes de Saint-Étienne à Lyon puis d’Andrézieux à Roanne. En 1833, l’État définit le chemin de fer comme un élément inaliénable du domaine public dont la construction et l’exploitation devront être systématiquement soumises aux règles d’une concession. On entre alors dans une période décisive au cours de laquelle s’organise par étapes un modèle original et durable « d’économie mixte du chemin de fer8 ».
3Le Conservatoire des arts et métiers, par ses collections mais surtout par ses enseignements, semble être l’une des premières grandes institutions d’enseignement à manifester un intérêt soutenu pour la construction et le développement des lignes de chemins de fer. À l’aide d’exemples significatifs puisés en France et à l’étranger, l’établissement a contribué à la présentation du chemin de fer comme un nouveau type de transport et de communication susceptible de jouer un rôle de premier plan dans le développement industriel et économique du pays. Nous chercherons ici à voir comment le Conservatoire s’est positionné, tout au long du xixe siècle, vis-à-vis des chemins de fer, en particulier grâce à ses enseignements à dominante économique et aux premières collections ferroviaires présentées dans ses galeries. Nous tenterons de voir si les leçons des professeurs et la constitution des collections reflètent les interrogations des contemporains quant à l’utilité, à l’organisation et aux bénéfices des chemins de fer en les rapprochant des grands actes législatifs qui ont structuré le système ferroviaire français des années 1830 jusqu’à la Belle Époque.
Notes de bas de page
1 François Caron, « Allocution », Revue d’histoire des chemins de fer, 1989, no 1, p. 7-9.
2 Portefeuille industriel, inv. 13571.565 et 566.
3 Louis Jean Marie Daubenton, « Détails de la Manufacture Royale de Montcenis », in Bibliothèque physicoéconomique, instructive et amusante, année 1788, ou 7e année, Paris, Buisson, 1788, vol. 1, p. 384.
4 « Sur l’emploi des Chemins de Fer, pour le transport des Minerais et des charbons », Annales des arts et manufactures, an XI, vol. 4, p. 77-82.
5 Pierre Michel Moisson-Desroches, Sur la possibilité d’abréger les distances en sillonnant l’empire de sept grandes voies ferrées, [Paris], s. n., 1814.
6 Andrieux, « Description d’un chariot à vapeur (steam carriage) imaginé par M. Blenkinsop pour le transport du charbon de terre », op. cit.
7 Louis Gallois, « Des chemins de fer en Angleterre, notamment à Newcastle, dans le Northumberland », Annales des Mines, 1818, 1re série, no 3, p. 129-144.
8 Georges Ribeill, La Révolution ferroviaire, op. cit.
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