9. L’adaptation des programmes « européens » aux marchés nationaux
L’exemple d’Eurosport en Grande-Bretagne
p. 231-241
Texte intégral
1Les deux objectifs principaux de cette étude sont d’introduire British Eurosport et d’analyser les raisons qui ont conduit la plus grande télévision paneuropéenne, Eurosport International, à lancer une chaîne spécifiquement destinée au marché britannique. La première partie présente British Eurosport et introduit ses caractéristiques principales. Ensuite, cette recherche analyse les tendances récentes dans le secteur de la télévision commerciale en Grande-Bretagne et explique pourquoi elles ont rendu nécessaire le lancement de cette chaîne. Finalement, elle examine les différences entre Eurosport International et la version anglaise au niveau de l’image et de la promotion de la chaîne, de l’information et de la couverture des événements sportifs. Les résultats de cette étude confirment plusieurs analyses récentes du secteur audiovisuel européen. En effet, si un mouvement d’intégration des groupes de communication européens peut être observé au niveau financier, il n’en reste pas moins que la consommation de produits audiovisuels en Europe demeure encore une expérience essentiellement nationale.
2British Eurosport a été lancée en janvier 1999 par Eurosport International, qui était alors conjointement détenue par TF1, Canal Plus et la chaîne sportive américaine ESPN. Ces deux derniers actionnaires se sont respectivement retirés du capital en 2000 et 2001, Eurosport international étant depuis la propriété exclusive du groupe TF1. Si les membres du consortium de l’UER (Union européenne de radio-télévision), qui ont initié le projet Eurosport International, possèdent un contrôle éditorial, la stratégie commerciale est conjointement arrêtée par TF1.
3British Eurosport, version anglaise de la chaîne thématique européenne, est née de la décision de régionaliser les programmes internationaux et d’adapter le produit et la « marque » au public britannique. En 2000, elle est la deuxième chaîne par câble la plus distribuée du pays, derrière Sky One, et elle compte 2,8 millions d’abonnés. Elle est offerte gratuitement aux 4 millions d’abonnés du bouquet satellite de British Sky Broadcasting (BSkyB). Elle est également présente sur tous les bouquets numériques : ONDigital, Sky Digital, Telewest Active Digital et NTL Digital. Cela représente un total de 5,5 millions d’abonnés à travers le câble, le satellite et le numérique.
4Tous les foyers britanniques qui ont accès à Eurosport ne peuvent regarder la version anglaise. Environ 2,5 millions d’abonnés reçoivent toujours Eurosport International par le satellite Astra, dont le signal arrose l’ensemble du territoire européen. L’audience moyenne journalière de British Eurosport s’élève à 30 000 téléspectateurs1.
5La chaîne emploie plus d’une cinquantaine de personnes dont une trentaine travaille dans les bureaux de la chaîne au centre de Londres, à Drury Lane. Ces bureaux abritent la direction, l’administration, la communication, les ventes et le marketing. Eurosport International réalise presque la moitié de ses revenus publicitaires européens à partir de ses bureaux londoniens, du fait que les grandes agences de publicité se trouvent dans la capitale britannique2. Le centre de production de la chaîne se trouve dans le bâtiment NTL qui est situé à Langley, dans la périphérie ouest de Londres. Une vingtaine d’employés y travaillent, notamment les journalistes, les présentateurs, les monteurs d’image et les techniciens. La rédaction est composée de cinq membres (journalistes à temps plein) et bénéficie de la collaboration de deux journalistes free lance. Elle produit des bulletins d’information et des sujets magazines. Pour des raisons commerciales, Eurosport International a choisi un partenaire contractuel pour ses opérations en Angleterre, NTL. Cette société investit dans British Eurosport et reçoit en échange une partie des revenus. Elle n’a aucun contrôle éditorial sur la chaîne sportive.
NTL est une firme de télécommunications basée en Angleterre mais dont l’action est cotée au Nasdaq de New York. Sa capitalisation boursière s’élève à plus de 35 milliards d’euros. Parmi les actionnaires principaux de NTL se trouvent Microsoft et France Telecom, la dernière société ayant investi dans la compagnie en 1999. Après avoir dépensé plus de 5 milliards d’euros dans l’établissement de réseaux câblés, NTL possède aujourd’hui le réseau en fibre optique le plus étendu et le plus performant de Grande-Bretagne. Cette société a également racheté la plupart de ses concurrents dans le secteur de la télévision câblée. En mai 2000, elle a complété l’acquisition de Cable & Wireless Communications, le premier opérateur du pays. NTL offre aujourd’hui un service de communication intégré à des millions de ménages combinant la téléphonie, l’accès internet, l’audiovisuel analogue et numérique. Elle poursuit activement une stratégie d’intégration verticale, investissant à la fois dans les réseaux de communication et le contenu audiovisuel. Elle propose notamment à ses abonnés sa propre chaîne de cinéma, Front Row.
La télévision commerciale en Grande-Bretagne : un champ de plus en plus concurrentiel
6British Eurosport a été lancée pour optimiser la « marque » Eurosport sur le marché anglais et mieux exploiter le potentiel des droits télévisés acquis par les membres du consortium de l’UER. Cette adaptation de la « marque » au marché anglais correspond à des objectifs de croissance. Cependant, elle a été rendue nécessaire par la nature hautement concurrentielle du marché anglais. En effet, le lancement de British Eurosport n’a fait que stabiliser l’audience de la chaîne en Grande-Bretagne, qui n’a que très légèrement augmenté depuis janvier 1999. Pour Eurosport, il s’agit autant de survivre que de croître dans un marché qui devient de plus en plus difficile à pénétrer. L’intensification de la concurrence a deux causes principales : l’assouplissement de la régulation dans le secteur audiovisuel et la formation de grands groupes de communication.
7Jusque dans les années 1970, les gouvernements successifs ont pris soin de limiter la concurrence dans l’audiovisuel3. La télévision commerciale (ITV) a immédiatement été établie sur une base régionale, évitant ainsi une structure trop ouvertement concurrentielle. Les instances de régulation ont multiplié les contraintes pour les chaînes commerciales dont les programmes devaient remplir des obligations similaires à celles de la télévision publique. La concurrence directe entre ITV et la BBC était également évitée et les deux chaînes n’avaient pas le droit de programmer leurs bulletins d’information et soap operas à la même heure. Finalement, des dispositions anti-concentration limitaient les risques d’abus de position dominante.
8L’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir, en 1979, a été marquée par une forte dérégulation4. Progressivement, l’essentiel du réseau ITV, autrefois partagé par 16 compagnies, en est venu à être détenu par trois conglomérats : Granada, Carlton Communications et United News & Media. En juillet 2000, ces trois groupes ont été réduits à deux, Stephen Byers, le ministre du commerce et de l’industrie, ayant autorisé le rachat par Granada de trois licences ITV (Meridian, Anglia et HTV) détenues par United News & Media. L’ère Thatcher a également créé des conditions favorables à l’implantation du câble et du satellite en Grande-Bretagne. Après une période de consolidation dans ce secteur, BSkyB, une société contrôlée par News Corporation, le conglomérat du magnat australo-américain Rupert Murdoch, a émergé comme l’opérateur satellite dominant. BSkyB a annoncé 2,3 milliards d’euros de revenus pour 1999 et se trouve en excellente position pour l’ère numérique5.
9À ces groupes il faut ajouter RTL, une société créée dans le courant de l’été 2000 à Londres par trois multinationales du secteur communication : l’Anglais Pearson (propriétaire, notamment, du Financial Times), le Belge Audiofina et l’Allemand Bertelsmann. En Angleterre, RTL contrôle Channel 5, la dernière venue parmi les chaînes commerciales terrestres et apparue sur les écrans au milieu des années 1990. Le PDG de RTL, Didier Bellens a annoncé des objectifs ambitieux pour cette chaîne, visant 10 % d’audience dans les deux premières années6.
10ITV et Channel 5 ne sont pas des concurrents directes de British Eurosport. La philosophie, les objectifs commerciaux et les programmes de ces chaînes sont d’une nature différente de ceux de la chaîne sportive. Il n’en reste pas moins que la dérégulation progressive du secteur audiovisuel et la formation de ces grands groupes de communication aux moyens financiers importants et aux actionnariats exigeants n’ont fait qu’intensifier la concurrence : même si British Eurosport n’en est pas affecté directement, la lutte au sein de l’environnement dans lequel la chaîne évolue est devenue plus âpres… et l’un des points névralgiques de cette bataille n’est autre que le sport.
Sport et télévision en Grande-Bretagne
11Le sport est de plus en plus prisé par les chaînes britanniques et constitue la catégorie de contenu dont le volume a le plus augmenté en Grande-Bretagne au cours des dernières années. Entre 1993 et 1998, les retransmissions sportives se sont accrues de plus 300 % pour atteindre un total de plus de 30 000 heures en 1998 (voir tableau 1).
12Les principales responsables de cette évolution sont les chaînes sportives, notamment BSkyB qui a basé une grande partie de sa stratégie de croissance sur le sport. L’opérateur satellite ne produit pas moins de cinq chaînes sportives : Sky Sports 1, 2, 3, Sky Sports Extra et Sky Sports News7. Les chaînes généralistes ont également augmenté leur programmation sportive, malgré des coûts de diffusion de plus en plus onéreux. Il est significatif que l’ambitieuse Channel 5, en l’espace de quelques années, diffuse déjà plus de sport que ses concurrentes. Cette évolution est d’autant plus remarquable que l’audience pour l’ensemble des sports a baissé de plus de 7 % au cours de la dernière décennie (voir tableau 2).
13La plupart des sports ont perdu des téléspectateurs, sauf le rugby, en légère augmentation, et le football, qui confirme sa popularité croissante. BSkyB doit une grande partie de ses quatre millions d’abonnés aux droits exclusifs de retransmission des matches de football de la première division (la Premier League) qu’elle détient8. En effet, le football est le seul sport qui offre pour l’instant de sérieuses perspectives de croissance dans l’audiovisuel, et il n’est pas surprenant que les droits de retransmission dans ce sport sont les plus âprement disputés9.
British Eurosport : entre concurrence et complémentarité
14Même au sein de cet environnement, il y a une certaine complémentarité entre British Eurosport et les autres chaînes sportives. Le fait que BSkyB propose Eurosport gratuitement prouve que ces chaînes ne sont pas directement concurrentes. L’opérateur satellite se concentre sur le football, alors qu’Eurosport propose une palette de sports beaucoup plus étendue, comprenant notamment les grandes compétitions de tennis, d’athlétisme, de cyclisme, de ski alpin, la plupart des sports automobiles (à l’exception de la Formule 1) et plusieurs compétitions européennes de football10.
15De surcroît, du fait que les membres du consortium UER continuent d’exercer un contrôle éditorial sur la chaîne, British Eurosport a conservé des obligations proches de celles du service public. Autant que possible, elle offre une couverture à des sports qui reçoivent peu de publicité. Ces retransmissions offrent un appui indispensable à des fédérations sportives à la recherche d’adhérents et de sponsors. Sa programmation est unique et complémentaire aux autres chaînes et sa présence ajoute à la diversité du paysage audiovisuel britannique.
16Cependant, la rapide augmentation des retransmissions sportives n’est pas sans conséquence pour Eurosport. Cette croissance, combinée avec la multiplication des chaînes sportives, a modifié l’équilibre entre l’offre et la demande dans le marché des droits d’images. Les droits les plus convoités sont mis aux enchères par les fédérations sportives et atteignent des prix vertigineux. Les droits de diffusion de la coupe du monde de football sont passés de moins de 13,5 millions en 1982 à 2,2 milliards d’euros pour la coupe au Japon et en Corée. Les droits des Jeux olympiques d’hiver sont passés de 20 millions à Lillehammer en 1994 à plus de 100 millions d’euros pour les Jeux de Salt Lake City.
17Ces prix sont devenus hors de portée des membres du consortium UER qui sont, pour l’essentiel, des télévisions publiques. Pour cette raison, L’UER, et donc Eurosport, a perdu les droits de la coupe du monde de football 2002 qui ont été achetés par le groupe privé allemand Kirch. Certains droits sont encore aux mains de l’UER uniquement parce que les présidents de fédération veulent assurer l’accès le plus large possible à certains événements. C’est le cas de Lennart Johannson, président de l’Union des associations européennes de football (UEFA), qui a cédé les droits d’Euro 2000 à l’UER en dépit d’offres beaucoup plus élevées de la part d’opérateurs privés. L’ancien président de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF), Primo Nebiolo, avait adopté une position similaire.
18Les conséquences sont multiples pour British Eurosport. Premièrement, les sports et les compétitions les plus populaires sont hors de portée de la chaîne. En Angleterre, BSkyB a payé plus de 1,6 milliard d’euros pour les droits de retransmission de 60 rencontres de la Premier League par saison pour une période de 3 ans. British Eurosport n’a même pas accès à l’information pour ce championnat de Premier League et ne peut en montrer la moindre image. La chaîne ne dispose que de peu de droits parmi les sports les plus regardés. BSkyB, détient la plupart des droits en golf et domine également le rugby, même si British Eurosport a couvert plusieurs compétitions rugbystiques. Channel Four détient les droits en cricket, et ITV en Formule 1. British Eurosport possède effectivement des droits en football mais doit se contenter de compétitions relativement mineures.
19Deuxièmement, même les fédérations de sports peu médiatisés sont devenues parfois exigeantes en matière de droits d’images. Ces droits sont souvent achetés par des agences qui essaient de les revendre, notamment auprès de l’UER, au prix fort. L’UER a estimé à plusieurs reprises que ces prix étaient excessifs, et a refusé d’acquérir ces droits, bloquant ainsi, à regret, l’accès du public intéressé à ces sports11. Cette évolution a créé une situation difficile pour l’UER, et Eurosport en particulier. En effet, dans le sport, les droits de diffusion jouent un rôle primordial, car toute minute de transmission est une minute payée et négociée. Ainsi, d’un côté, l’UER ne peut acheter des droits qui ont atteint des prix exorbitants et, de l’autre, il arrive que des images soient bloquées car les négociations ne peuvent aboutir.
20Eurosport a bâti son image et sa réputation en se concentrant sur des sports et des compétitions dont les droits sont abordables. Cette stratégie enrichit le paysage audiovisuel britannique d’une chaîne unique, mais offre des perspectives de croissance relativement limitées. Les sports populaires et bien ancrés dans les habitudes de consommation des téléspectateurs sont dominés par des groupes de communication puissants et qui agissent sans les contraintes du secteur public. Pour continuer à croître, British Eurosport devra se battre à la fois sur le marché des droits et celui des téléspectateurs.
La nécessaire adaptation au marché anglais
21La forte concurrence sur le marché britannique a incité Eurosport à adapter son offre, en lançant British Eurosport en janvier 199912, adaptation perçue par le personnel de la chaîne comme absolument nécessaire à la survie et au développement d’Eurosport sur ce marché. British Eurosport se distingue par rapport au « feed » original d’Eurosport International à un double niveau : celui de l’image de la « marque » et de la programmation.
L’anglicisation de l’image d’Eurosport
22Un remodelage de la « marque » Eurosport s’imposait pour le marché britannique, car elle y souffrait d’une connotation négative. Lorsque seule la chaîne Eurosport International était diffusée en Grande-Bretagne, le contenu trop européen de ses bulletins d’information et la « publicité teutonne13 » avaient donné l’impression au public d’une chaîne étrangère. Le lancement de British Eurosport donnait l’occasion de remédier à ce problème et offrait une identité britannique à la « marque ». Le premier moyen employé fut l’habillage de la chaîne. Ainsi, le drapeau britannique, l’Union Jack, est mis en valeur dans le logo. Le marketing vise également à donner un visage de la chaîne plus familier au public anglais. British Eurosport adapte tout le matériel promotionnel qu’elle reçoit d’Eurosport International. Les bandes-annonces (les « promos ») des programmes sont modifiées pour inclure tout ce qui peut intéresser une audience britannique, par exemple la mention d’un athlète anglais. Il existe également des différences de style auquel le public anglais est habitué : les bandes-annonces françaises, par exemple, indiquent le jour de la semaine où le programme est diffusé même s’il s’agit du même soir. En Angleterre, le public est habitué à entendre, à la BBC, « aujourd’hui » ou « demain ». Ainsi, British Eurosport doit remplacer « lundi » et « mardi » par « tonight at 5 » ou « tomorrow at 6 »14.
23Le service technique de Langley produit de plus en plus ses propres « promos ». Dans le courant du mois de mai 2000, British Eurosport avait annoncé une « semaine italienne » en raison d’une série de compétitions retransmises dans la même semaine depuis ce pays. L’angle de la bande-annonce varie également par rapport au « feed » européen suivant le degré de familiarité du public anglais avec le sport ou le pays en question15. À travers l’habillage et la promotion de la chaîne, British Eurosport s’efforce de se conformer le mieux possible à son marché. Son but est de changer la perception de la « marque » Eurosport auprès du public et de lui donner une identité britannique.
La programmation de British Eurosport
24Le même effort d’adaptation est poursuivi à travers la programmation. British Eurosport fait des décrochages d’antenne de plus en plus fréquents, même si l’essentiel de la programmation provient toujours du « feed » européen. La différence entre les deux versions prend plusieurs aspects.
Les Sportcentres
25British Eurosport produit ses propres bulletins d’information, les Sportcentres. Ces bulletins sont diffusés quatre à cinq fois par jour. Ils ne sont pas toujours diffusés à la même heure, en raison des horaires variables des manifestations sportives, mais le premier bulletin, d’une durée de 6 minutes, est généralement diffusé vers 16 h 00. Trois soirs par semaine, vers 23 h 00, les vendredi, samedi et dimanche, la chaîne diffuse un bulletin d’information de 15 minutes environ qui récapitule les principaux événements du jour. L’une des différences principales entre Eurosport International et la version britannique est que les Sportcentres sont produits sur des plateaux et animés par des présentateurs. Seule une version nationale peut produire des émissions en plateau, puisque, pour la version européenne, les mêmes montages nécessitent des commentaires en plusieurs langues. Cela représente un immense avantage pour British Eurosport, car ses présentateurs donnent un visage et une identité à la chaîne qui font cruellement défaut au « feed » original.
26Les bulletins couvrent les principaux événements de la journée, et pas uniquement ceux dont Eurosport possède les droits de diffusion (cela inclut le championnat anglais de football dont les nouvelles sont données sans les images)16. Ils traitent également de l’actualité sportive internationale, les images parvenant à la chaîne via Eurosport International. Cette ouverture sur l’étranger est une spécificité de British Eurosport car les autres chaînes sportives se concentrent largement sur les nouvelles nationales. Cependant, les journalistes adaptent le contenu de l’actualité internationale en fonction des intérêts de l’audience17. Par exemple, les équipes de football européennes le plus souvent mentionnées sont celles où évoluent d’anciens joueurs du championnat anglais. Pendant la semaine du 15 au 21 mai 2000, la victoire finale du Sporting Lisbonne dans le championnat de football portugais fut évoquée en raison de la présence de l’ancien gardien de but de Manchester United, Peter Smeichel, dans l’équipe. Des images du Real Madrid ont également été montrées en raison de la présence de Nicolas Anelka, l’ancien buteur d’Arsenal18. Ainsi, British Eurosport traite bien de l’actualité sportive internationale mais à partir d’une perspective anglaise.
Les reportages
27L’équipe de rédaction de Langley produit également de courts sujets magazines. Ces reportages sont insérés dans les bulletins de fin de soirée et portent souvent sur des personnalités ou des événements marquant l’actualité sportive britannique. Dans le courant du mois de mai 2000, British Eurosport diffusait de nombreux portraits d’athlètes britanniques qui préparaient les Jeux olympiques de Sidney. L’un des buts de cette opération était de promouvoir les Jeux, dont la chaîne avait acquis les droits, mais les journalistes espéraient également forger une relation avec les athlètes en vue de cet événement19.
La couverture des événements sportifs
28La couverture de certains événements diffusés par les deux chaînes peuvent varier. British Eurosport dispose de sa propre unité « événement » qui gère la couverture de certaines retransmissions. Par exemple, lors de la semaine du 15 au 21 mai, la chaîne britannique a envoyé en Italie son propre présentateur, Mark Robson, couvrir le tournoi de tennis de Rome, le tour cycliste et une manche du championnat du monde motocycliste. Pour le championnat européen de football qui a eu lieu en juin, British Eurosport a dépêché sa propre unité de reportage et elle disposait également de son propre plateau. Cela a donné à la chaîne la possibilité d’adapter sa couverture de l’Euro 2000 de football et de concentrer ses reportages et discussions de plateau autour de l’équipe anglaise. British Eurosport a suivi la même stratégie pour les Jeux olympiques en envoyant une équipe de dix personnes, la plus grande opération jamais montée par la chaîne. Les reporters ont mis en exergue les athlètes britanniques et leurs exploits en multipliant portraits et magazines sur les membres de l’équipe20.
29British Eurosport peut également couvrir une même compétition, retransmise au même moment par les deux chaînes, d’une manière tout à fait différente. Par exemple, lors d’un tournoi de tennis, la chaîne britannique choisit des matches en fonction des intérêts de son audience, c’est-à-dire qu’elle sélectionne tous ceux des deux joueurs anglais, Tim Henman et Greg Rusedski. Pendant que ces matches sont retransmis en Grande-Bretagne, Eurosport International peut faire des choix différents. Il arrive également que British Eurosport offre une couverture beaucoup plus étendue d’une compétition que le « feed » européen. Lors de l’Open d’Australie de tennis, seule la chaîne britannique a diffusé des matches pendant la nuit. En raison de l’intérêt pour le rugby en Angleterre, elle a également retransmis beaucoup plus de matches que la version européenne lors de la Coupe du monde en octobre 1999. Seule la chaîne britannique a transmis l’intégralité des 24 heures du Mans. Enfin, British Eurosport peut décider d’annuler des programmes qui ne présentent aucun intérêt pour une audience britannique, pour autant que ceux-ci ne disposent ni de parrainage ni de publicité. Elle peut également décider de retarder l’heure de diffusion de certains programmes, et dans ce cas, de nouveaux tarifs publicitaires sont négociés21.
L’achat des droits de diffusion des images
30Exceptionnellement, British Eurosport, en association avec son partenaire anglais, achète ses propres droits de diffusion sans impliquer Eurosport International. Ce fut le cas pour la Heineken Cup Rugby, une compétition européenne qui se déroule pendant toute la saison de rugby.
31Autrement dit, l’adaptation d’Eurosport au marché anglais était indispensable à la survie de la marque. La logique et les règles du marché audiovisuel britannique sont essentiellement nationales. Sans cette initiative, il est probable que l’audience de la chaîne serait bien moins élevée. British Eurosport entend poursuivre cette stratégie d’adaptation de la « marque » au Royaume-Uni et continuer à lui forger une identité locale. Il est notamment prévu d’étoffer la rédaction et d’acquérir un nombre croissant de droits exclusifs22. Cependant, la question du degré de différenciation par rapport à la version européenne reste entière. Eurosport devra déterminer jusqu’où doit aller cette adaptation sans complètement renier le projet originel d’une télévision paneuropéenne.
32L’évolution d’Eurosport en Angleterre reflète plusieurs tendances récentes dans l’audiovisuel européen. Premièrement, British Eurosport est un exemple de l’intégration économique des médias européens. En effet, les investissements circulent de plus en plus librement au sein de ce secteur : des groupes de communication basés en France ou en Angleterre investissent dans d’autres pays européens, des sociétés européennes forment des alliances, et des groupes européens échangent des participations financières23. Dans ce contexte, il est peu surprenant que les principaux investisseurs de British Eurosport soient français. Inversement, le fait que la plus grande chaîne paneuropéenne – sportive de surcroît – doive lancer une version nationale de son « feed » européen afin de maintenir l’intérêt du public britannique, montre qu’en Europe la consommation de produits audiovisuels est encore une expérience essentiellement nationale. Cette recherche confirme d’autres études qui attestent du peu d’échanges culturels entre pays européens et du faible niveau des échanges audiovisuels24. Les cultures européennes sont non seulement diverses mais aussi relativement imperméables les unes aux autres : les publics européens ne s’intéressent pas aux produits culturels de leurs voisins et aucune intégration ne semble s’amorcer à ce niveau.
Notes de bas de page
1 Arjan Hoekstra, Deputy Managing Director. Sauf indications contraires, les propos cités entre guillemets dans ce texte sont extraits d’entretiens réalisés en 2000.
2 Idem.
3 Crisell (A.), An Introductory History of British Broadcasting, Londres, Routledge, 1997.
4 Goodwin (P.), Television Under the Tories : Broadcasting Policy 1979 – 1997, London, BFI, 1998.
5 British sky broadcasting plc, Thinking Outside the Box, rapport annuel, 1999.
6 The Times, 14 septembre 2000, p. 28.
7 Le bouquet BSkyB retransmet également British Eurosport et la chaîne numérique du club de football Manchester United, MUTV.
8 En juin 2000, BSkyB a regagné ces droits (après une mise aux enchères par la fédération anglaise de football) pour une période de trois ans et portant sur 60 rencontres par saison.
9 L’intérêt soutenu des sociétés audiovisuelles pour le football ne se limite pas à ces droits de retransmission. Au cours des dernières années, elles ont multiplié les prises de participation dans les clubs de football, leur permettant de contrôler leurs droits d’image. BSkyB a pris des participations financières (ne s’élevant jamais à plus de 9,9 pour cent, pour des raisons légales) dans cinq clubs de la Premier League : Manchester United, Leeds, Sunderland, Chelsea et Manchester City. NTL a conclu des accords avec Newcastle, Aston Villa, Middlesbrough, Leicester City et les deux principaux clubs écossais, Rangers et Celtic. Enfin, Granada a pris des intérêts dans Liverpool et Arsenal.
10 Une complémentarité similaire existe en matière de retransmissions sportives entre British Eurosport et la BBC. En tant que membre de l’UER, la BBC dispose des mêmes droits d’images que British Eurosport. Ce fut le cas du championnat d’Europe de football en juin 2000 et des Jeux olympiques de Sidney en septembre de la même année. La complémentarité entre les deux chaînes tient au fait que British Eurosport peut offrir une couverture complète de ces événements que la BBC ne peut couvrir que partiellement. Pendant les Jeux olympiques, alors que la BBC n’offrait qu’un long résumé de la journée en fin de soirée, British Eurosport assurait une couverture quasi-permanente.
11 Entretien avec Agnès Pierret, Sport News Producer à l’UER, réalisé à Genève par Jean Chalaby, Eric Darras et Dominique Marchetti.
12 Suivant Eurosport France et British Eurosport, Eurosport International aurait également des projets de version nationale en Espagne. Il est à noter que la plupart des multinationales de la communication s’efforcent d’adapter leurs produits internationaux aux marchés-cibles, une stratégie d’adaptation baptisée « localisation ». Par exemple, MTV, la chaîne musicale, a lancé MTV UK, MTV Nordic, MTV Central et MTV Italy.
13 Richard Copeman, Senior News Producer.
14 Vickie Perdersen, Commercial Controller.
15 Idem.
16 Seules les chaînes généralistes disposent du droit à l’information (le « news access ») pour la Premier League, et elles seules peuvent montrer des images de rencontre à la fin de leurs journaux télévisés.
17 Tom, journaliste.
18 On arrive à la situation paradoxale où Eurosport France et British Eurosport peuvent couvrir le même événement pour des raisons différentes. On peut imaginer qu’Eurosport France pourrait être intéressé par le Real Madrid en raison de la présence d’Anelka dans l’équipe nationale, alors qu’il apparaît sur les écrans de British Eurosport du fait de son passage à Arsenal. À travers l’Europe, le même sujet peut avoir des significations différentes.
19 Richard Copeman, entretien.
20 Sur cette nationalisation des événements sportifs internationaux, voir Bourdieu (P.), « Les Jeux olympiques. Programme pour une analyse », Actes de la recherche en sciences sociales, n ° 103, 1994, p. 102-103.
21 Vickie Perdersen, entretien.
22 Richard Copeman, entretien ; Vickie Perdersen, entretien.
23 « European Media : Flirtation and frustration », The Economist, 11 décembre 1999, p. 61-63. Voir également la contribution d’Éric Darras, chapitre 3.
24 Tongue (C.), « Culture or Monoculture – The European Audiovisual Challenge », in Marsden (C.) et Verhulst (S.), Convergence in European Digital TV Regulation, London, Blackstone, 1999.
Auteur
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