Chapitre I. Recevoir la bulle Unigenitus
p. 31-57
Texte intégral
1Dans la longue querelle qui agite l’Église de France autour de la question de la grâce, les périodes de paix sont souvent souhaitées, mais rarement trouvées. Sous le règne de Louis XIV, les oppositions religieuses sont lourdes de conséquences et leur réduction est un axe majeur de la politique royale.
2Si les protestants demeurent les premières cibles de Louis XIV, les jansénistes ne sont pas épargnés par les ministres du roi1. D’abord largement hostile, le souverain relâche son emprise en 1669 et débute ce que l’on a coutume d’appeler la « paix de l’Église », ou « Paix clémentine », car elle est recherchée et voulue directement par Clément IX. Pendant plus d’une vingtaine d’années, cette situation relativement détendue se maintient. Les évêques proches de Port-Royal continuent leur apostolat sans se renier, ainsi Pavillon à Alet ou encore Arnauld à Angers2. Les idées jansénistes se diffusent dans la société et touchent l’ensemble des milieux3 : noblesse de robe, bourgeoisie, le corps ecclésiastique n’est pas en reste. Un des personnages essentiels, Louis-Antoine de Noailles, en témoigne.
3Louis-Antoine de Noailles appartient à l’une des plus illustres familles de France. Fils du premier duc de Noailles et de Louise Boyer, dame d’honneur de la reine Anne d’Autriche, il est dès son plus jeune âge destiné à l’épiscopat. Il n’est pas le premier de sa famille, plusieurs de ses ancêtres ayant illustré l’histoire des diocèses du sud de la France par la qualité de leur administration. Avant de venir à Paris, il fréquente le collège des jésuites d’Aurillac, mais fait l’essentiel de ses études au collège du Plessis où il a pour condisciple le jeune Fénelon4, avant de poursuivre son parcours à la faculté de théologie de Paris. Les thèses soutenues par Noailles en Sorbonne sont fortement influencées par l’augustinisme et par le gallicanisme. Dans celle de licence, il affirme « la nécessité de l’amour de Dieu », thème cher aux docteurs de Louvain, mais passant pour janséniste aux yeux du pouvoir. Le 14 mars 16765, devant un parterre choisi, l’abbé de Noailles soutient sa thèse majeure autour de six propositions concernant le pouvoir temporel et spirituel du pape6. L’ancien nonce apostolique à Paris, Fabrizio Spada, tente de la faire condamner à Rome, mais la protection du roi permet à l’abbé d’éviter l’ire du pape7.
4Les idées augustiniennes et gallicanes sont de plus en plus mêlées. Le clergé se forge rapidement une doctrine – le gallicanisme –, formalisée par Bossuet lors de l’assemblée extraordinaire du clergé de France de 1682, laquelle reprend une grande partie de celle héritée de la tradition gersonienne et de la Pragmatique Sanction de Bourges. Adoptée par les membres de l’assemblée, cette nouvelle doctrine est ramenée à quatre articles définissant les libertés de l’Église gallicane.
5Les papes Innocent XI et Alexandre VIII, furieux de cette réaction parisienne, la déclarent nulle. Le texte cristallise les opinions religieuses françaises et devient la vulgate de l’enseignement des séminaires jusqu’à la Révolution, même si le roi, depuis 1693, n’a plus rendu cet enseignement obligatoire8. Les divergences spirituelles sont nombreuses dans le clergé de France ; seul le gallicanisme semble un pivot essentiel dans la construction d’une identité épiscopale nationale.
6Lorsque la bulle Unigenitus arrive en France, le 3 octobre 1713, les notions de gallicanisme et de conciliarisme resurgissent comme autant de failles entre Rome et la France. Les ressorts de la Bulle sont mis en place rapidement et, dès les premiers jours les questions purement dogmatiques semblent être reléguées au second plan pour faire apparaître des enjeux plus temporels : la réception de la Constitution pose la question des contacts entre politique et doctrine, mais aussi celle du conflit entre les ambitions personnelles et les matières spirituelles. Peut-on envisager une réaction purement intellectuelle dans ce domaine ? Dans ses Mémoires, Saint-Simon prétend le contraire, le chapeau rouge de Bissy et les obligations contractées par le cardinal de Rohan semblant entrer en ligne de compte autant que leurs interrogations théologiques sur la bulle pontificale.
7La figure centrale de ce débat est celle du cardinal Louis-Antoine de Noailles9, archevêque de Paris, dont l’action – ou l’inaction – est au cœur des polémiques agitant le clergé de France à la fin du règne de Louis XIV. Sa personne fournit une clé de compréhension importante des problèmes politiques entre Rome et la France durant la conception de la Bulle. La réception de la Constitution est l’objet de négociations âpres et difficiles ; c’est tout l’enjeu de l’assemblée du clergé de 1713-1714, réunie sous la présidence de Noailles. Les divisions nées de l’arrivée de l’Unigenitus en France sont la matrice des tensions qui agitent le monde épiscopal sur la question janséniste. C’est en sortant d’une vision globale du clergé comme corps et en envisageant les réactions entre les individus que les crispations apparaissent et les clefs d’explications se donnent à comprendre.
Du siècle de Port-Royal au siècle de l’Unigenitus : le rôle du cardinal de Noailles dans la mise en place de la constitution de 1713
8La bulle Unigenitus est le résultat d’une aggravation des tensions entre les évêques de France, en particulier avec Louis-Antoine de Noailles, et le Saint-Siège. Revenir sur les événements antérieurs à la fulmination de la Constitution, le 8 septembre 1713, est important car cela permet de mieux saisir le degré d’exaspération des différents acteurs, évêques, pape ou gouvernement royal.
Pour une préhistoire de la Bulle
9Lorsque Louis-Antoine de Noailles arrive sur le siège de Paris, il est depuis plus de quinze ans évêque de Châlons en Champagne. Il doit sa promotion aux pressions de Mme de Maintenon qui le tient en très haute estime. Archevêque de Paris, il devient ipso facto supérieur des couvents de Port-Royal de Paris et de Port-Royal des Champs. En 1697, il rend visite aux sœurs des Champs et, d’après Thomas du Fossé, il en ressort profondément marqué. La foi des religieuses ne présente aucun doute à ses yeux, seule leur soumission est en cause et il se fait fort de l’obtenir par la douceur quand ses prédécesseurs Péréfixe et Champvallon ont échoué par la force. Sa protection couvre les sœurs jusqu’en 1709, date à laquelle il ne peut plus empêcher la reprise des persécutions.
10Les premières années parisiennes de Noailles soulignent la prégnance des questions jansénistes dans la gestion politique et pastorale du diocèse à la fin du xviie siècle. En 1696 paraît à Mons un ouvrage anonyme intitulé Exposition de la foi catholique touchant la grâce et la prédestination que l’on doit, en fait, à l’abbé Martin de Barcos, neveu de Saint-Cyran. La censure de Noailles surprend le public car quelques années auparavant, il avait autorisé les Réflexions morales de Quesnel dont l’orientation théologique est sensiblement la même que celle du livre de Barcos. Dans un pamphlet fameux, le Problème ecclésiastique, Barcos se livre à une analyse très précise des deux livres ainsi que des deux mandements de Noailles. La faiblesse de l’archevêque est rapidement démasquée. Touché dans son orgueil, Noailles obtient la condamnation du livre par le Parlement. Seulement, la question permanente est posée : Noailles est-il janséniste ou non ? Aucune de ses prises de position ne permet de trancher, il hésite, condamne celui-ci, autorise celui-là, sans qu’aucune ligne théologique se détache clairement.
11Promu au cardinalat sur les instances de Louis XIV10, il passe rapidement pour la tête de l’Église de France aux dépens de l’archevêque de Reims, Le Tellier. En 1700, il préside l’assemblée du clergé qui désapprouve cent vingt-sept propositions condamnant le probabilisme. Pour les membres de la Compagnie de Jésus, le responsable de cette déroute est bien le cardinal de Noailles. Il devient donc le personnage à abattre.
12En 1703, le Cas de conscience proposé par Louis Perrier, le neveu de Pascal, relance la querelle du droit et du fait. Dans ce texte, l’auteur demande s’il peut absoudre en conscience un pénitent qui dit s’en tenir au droit sur les cinq propositions de Jansénius, sans admettre le fait. Une nouvelle fois sommé d’agir, Noailles publie une ordonnance où il précise que Rome a déjà tranché cette question et que tout chrétien doit nécessairement se soumettre aux décisions du magistère11. Aucun moyen n’est plus simple pour le disculper de toute accusation de jansénisme. Deux ans plus tard, le cardinal préside une nouvelle fois l’assemblée des évêques chargés de recevoir la bulle Vineam Domini Sabaoth. Celle-ci déclare que le silence respectueux n’est pas suffisant et que les cinq propositions tirées de Jansénius doivent être condamnées de droit et de fait. Homme de négociations, Noailles arrive à obtenir qu’un consensus soit trouvé, il circonvient les archevêques de Rouen, Jacques-Nicolas Colbert, et d’Arles, François de Mailly, dont les positions théologiques sont pourtant antagonistes. Seulement, les prélats de France n’entendent pas être les exécutants dociles des volontés du siège apostolique. Alors qu’à Rome, le pape et les cardinaux attendent une déclaration de pure soumission, les membres de l’assemblée se déclarent juge de la foi au même titre que le souverain pontife. Noailles a échoué à calmer le gallicanisme de ses collègues12. Le père de la Constitution, Carlo-Agostino Fabroni, outré de la prétention de ses confrères français, l’accuse d’avoir trahi ses engagements ; il devient dès lors un de ses pires ennemis et cherche par tous les moyens à le détruire13.
13Sentant le vent tourner, Noailles multiplie les gestes de soumission envers Rome et se sépare rapidement des sœurs de Port-Royal. Familier de ces revirements, il demande à l’ambassadeur La Trémoille que le pape fulmine une bulle d’extinction du monastère des Champs. Après avoir soutenu les religieuses durant la première partie de son épiscopat, voilà qu’il les abandonne pour se sauver lui-même de la colère romaine. Le 11 juillet 1709, il publie le décret qui met fin à l’abbaye. Dans des lignes célèbres, le duc de Saint-Simon compare le sort de l’abbaye de la vallée de Chevreuse à celui de Carthage après les guerres puniques14. Port-Royal est détruite, le cardinal est soumis et pourtant son sort ne s’améliore pas ; à Rome comme à Versailles, les tractations vont bon train pour en finir avec cet hésitant prélat aussi pieux qu’imprévisible.
Punir un prélat gallican ? Les raisons d’une bulle contre Quesnel
Les Réflexions morales du père Quesnel
14L’ouvrage du père Quesnel est au centre de toute la production polémique liée à la bulle Unigenitus. Pasquier Quesnel15 est né en 1641 ; il suit de brillantes études au collège Louis-le-Grand puis en théologie à la Sorbonne. Il entre à l’Oratoire en 1657 et deux ans plus tard, il est ordonné prêtre. Sa spiritualité est très influencée par celle du cardinal de Bérulle ; il s’intéresse tout particulièrement à la discipline ecclésiastique et à la réforme du clergé. Il mène une carrière presque entièrement consacrée à la direction du séminaire Saint-Magloire et à celle des jeunes oratoriens, mais garde tout de même du temps pour l’étude et la rédaction d’ouvrages de piété, dont le très fameux Nouveau Testament en français avec des réflexions morales sur chaque verset dont la première édition est de 1692. Grand succès de librairie, le livre est réédité très régulièrement à partir de 1693. Dès 1696, il porte en préambule le mandement de celui qui est alors l’évêque de Châlons, Louis-Antoine de Noailles.
15Le prélat accorde une confiance entière à l’ouvrage de Quesnel dont il résume l’utilité : les Réflexions morales doivent être conçues comme un manuel destiné à aider les prêtres dans leur charge d’âme, un recueil de pensées chrétiennes dont ils peuvent s’inspirer pour la vie de leur paroisse. En un sens, elles doivent constituer une sorte de vade-mecum de l’Écriture sainte. Le texte du mandement ne doit tout de même pas faire illusion. Comme le remarquent Lucien Ceyssens et Joseph Tans, il ne porte aucune remarque sur le contenu dogmatique et spirituel de l’ouvrage, il ne fait qu’inciter les curés du diocèse à lire plus régulièrement le Nouveau Testament, ce que Quesnel a rendu plus facile par sa traduction en français et par des réflexions intéressantes et pratiques16.
16Si toutes les éditions n’ont pas connu une égale estime du public, en revanche celles de 1693 à 1698 sont saluées par des ventes importantes, malgré le prix relativement élevé de l’ouvrage17. Pasquier Quesnel et son éditeur ont véritablement voulu rendre ce livre simple d’utilisation et maniable. Il s’ouvre par une « Table des Épîtres ou des leçons et des Évangiles qui se lisent dans l’Église à la messe pendant toute l’année ». Chaque curé peut ainsi se reporter à l’Évangile et aux versets qui lui sont directement nécessaires pour son homélie dominicale. Le recueil est divisé en quatre volumes, un par Évangile. Il alterne les citations scripturaires – imprimées en italique – et les commentaires du texte de l’Évangile, lesquels éclairent la façon dont le prêtre peut orienter son propre commentaire en chaire.
17En marge du verset traduit en français, on trouve sa traduction latine. Pour ne pas s’attirer les foudres de Rome qui ne prescrit pas la lecture des textes sacrés en langue vernaculaire, Pasquier Quesnel a pris la précaution de placer le texte de la Vulgate dans son ouvrage, pour se couvrir sur ce front d’éventuelles critiques18. Il est vrai qu’en France, les canons dogmatiques du concile de Trente n’ayant pas été reçus, les habitudes sont moins strictes en la matière. La traduction de la Vulgate utilisée par l’oratorien est celle réalisée par Louis Isaac Le Maistre de Sacy.
18La collaboration entre Noailles et Quesnel est suivie durant toute la période 1695-1699. L’archevêque tente de corriger la plus grande part des erreurs qui pourraient être utilisées contre l’auteur. En effet, dès la publication les critiques ne manquent pas et le livre essuie des attaques qui, malgré tout, restent discrètes ; rares sont les auteurs qui peuvent, comme Quesnel, se prévaloir du soutien de la plus haute figure spirituelle de l’Église de France – Bossuet, évêque de Meaux – et en même temps de celui qui semble en être la tête naturelle : Noailles. Lucien Ceyssens et Joseph Tans analysent l’action de Rome contre le Nouveau Testament de Quesnel. Ils montrent que, dès 1703, Clément XI est alerté sur le contenu du livre19 par le capucin Timothée de La Flèche. Plus tard, en 1708, le bref Universi domini gregis condamne officiellement pour la première fois l’ouvrage et Quesnel ne trouve son salut que dans le simple fait que le bref n’est pas reçu en France. À la même période, l’évêque d’Apt, Foresta de Collongue, publie un premier mandement contre les Réflexions morales, puis en 1710 c’est au tour des évêques de La Rochelle et de Luçon, Champflour et Lescure. Le livre de Quesnel est sur la sellette. Les condamnations pleuvent, le soutien des frères Noailles20 et celui, posthume, du grand Bossuet ne pèsent plus grand-chose. La tempête romaine est prête à s’abattre sur l’Église de France.
19C’est à partir de cet ouvrage, conçu à l’origine comme un support à la prière et à la prédication quotidienne, qu’éclate la grande querelle du second jansénisme. Dès 1695, tous les acteurs du drame sont en place : Noailles, archevêque faible et hésitant, le confesseur jésuite du roi, le père Le Tellier, hostile aux oratoriens, Quesnel, auteur janséniste d’un ouvrage qui ne se revendique pourtant pas comme tel. Après la condamnation inefficace de 1708, Louis XIV demande immédiatement que la Curie rédige une bulle qui puisse être, cette fois, reçue dans le royaume. Le bref contre les Réflexions morales est une mise en cause directe de la morale et de la théologie de Quesnel et, par là, de son protecteur. La démarche de la Curie se heurte à la résistance du Parlement qui refuse d’enregistrer le texte, tandis que l’assemblée du clergé de 1710 ne souhaite pas soutenir la condamnation pontificale. Pour sa défense, l’oratorien publie une Justification des Réflexions morales, écrite quelques années auparavant par l’Aigle de Meaux. Devant un tel soutien, les prélats de France se taisent, laissant à Rome et au roi le travail de condamnation de l’auteur21.
Un archevêque trop faible et trop gallican
20Plus que le père Quesnel, c’est l’archevêque de Paris que la curie romaine souhaite atteindre. En butte aux critiques de Rome, Noailles n’est pas mieux loti en France. Considéré comme une créature de Mme de Maintenon, il se sent entouré d’ennemis à la cour et à la ville : le confesseur du roi, le père jésuite Le Tellier22, ministre de la Feuille des bénéfices, mais aussi le très ambitieux Mgr de Mailly, alors à Arles. Les tensions sont vives, Saint-Simon rapporte même que le dessein du jésuite était « d’embrasser de ses toiles le cardinal de Noailles, comme une araignée fait d’une mouche23 ». Avec le soutien de l’archevêque d’Arles, qu’il fait transférer à Reims, le père Le Tellier profite de sa position pour remplir les évêchés vacants de personnages partageant ses vues et dont l’unique point commun est une ambition mise au service de la Compagnie.
21L’aversion de Saint-Simon pour le confesseur du roi n’est plus à démontrer, il en dresse un portrait où sa méchanceté proverbiale s’exprime avec délice24. Cet homme, que le mémorialiste et nombre de contemporains reconnaissent comme redoutable, est très hostile au cardinal de Noailles. Il est auprès du roi une sorte de ministre du clergé puisqu’il tient la feuille des bénéfices25. Jusqu’alors, les choix politiques ont été nombreux, mais les critères canoniques étaient toujours respectés et le clergé de Louis XIV était majoritairement exemplaire. Avec l’arrivée de Le Tellier, le caractère des nominations change : seule son approbation compte26. Il procède donc de façon autoritaire à des promotions qui ne se font plus par listes, mais par un choix uninominal. Le souverain n’a plus de latitude dans ses décisions, ni même dans le rythme des nominations. En effet, Louis XIV s’est imposé comme règle de ne faire les promotions épiscopales que le jour des fêtes religieuses, après avoir communié. Le P. Le Tellier pratique différemment : les évêques sont nommés quand il le décide27.
22Les promotions épiscopales se font pour des raisons politiques et Le Tellier s’emploie à nuire au cardinal de Noailles le plus possible, en choisissant des évêques à sa façon. Encore une fois, le duc de Saint-Simon s’emporte dans sa haine envers le jésuite, tout en livrant un commentaire des plus éclairants sur les choix pris. Après avoir rapporté les rivalités entre Noailles et Mailly, le mémorialiste en vient aux raisons qui ont poussé Le Tellier à transférer Mailly à Reims, et à distribuer à des têtes indignes des mitres naturellement usurpées :
« Dans ce dessein de vengeance, et dans celui de se faire un épaulement contre le cardinal, il [Mailly, archevêque d’Arles] se jeta plus que jamais aux jésuites, à qui il avait toute sa vie beaucoup fait sa cour. Il n’oublia pas de leur parler du cardinal de Noailles, dont la haine commune le lia intimement avec le P. Tellier. Celui-ci trouva dans l’archevêque d’Arles tout ce qu’il pouvait désirer d’ailleurs pour en faire un grand usage contre le cardinal de Noailles : un nom illustre, une alliance avec Mme de Maintenon, une belle-sœur dame d’atours de Mme la duchesse de Bourgogne, un archevêque déjà un peu ancien. Il le fallait mettre en place de s’en pouvoir servir, et pour cela le tirer de Provence : c’est ce qui le détermina à le faire passer à Reims, dont je ne vis jamais homme si aise que le nouveau duc et pair, par toutes sortes de raisons28. »
23Ambitions, jalousies : tous les ingrédients sont réunis pour donner à cette histoire un aspect de complot qui plaît tout particulièrement à Saint-Simon. S’il faut se garder de considérer sans discernement les avis tranchés et parfois très injustes du duc, il n’est pas inutile d’examiner les ressorts psychologiques qui sont à l’œuvre à la cour. L’ambition de Mailly est un prétexte plus fort que n’importe quelle opposition doctrinale pour mettre les deux clans en rivalité. Les questions spirituelles cachent une jalousie liée aux avantages que procurent la proximité du roi et un chapeau de cardinal.
24Les nouveaux évêques faits par Le Tellier sont donc de cette aune : hostiles à Noailles et mal vus du mémorialiste. Parmi les dizaines de prélats qui peuplent les diocèses de France, quelques-uns sont farouchement hostiles à l’archevêque de Paris et très antigallicans, comme les évêques de La Rochelle, Étienne de Champflour29, et de Luçon, Jean-François Salgues de Valderies de Lescure. Circonvenus par le confesseur, ils se lancent dans la rédaction d’une instruction pastorale qui condamne les Réflexions morales de Quesnel dans l’édition approuvée par Noailles, alors qu’il était encore évêque de Châlons30. Ce texte est largement diffusé jusqu’à Paris et il est même affiché sur la porte de l’archevêché, prouvant ainsi que la cible n’est pas uniquement l’oratorien, mais que l’on en veut aussi au cardinal de Paris31.
25Les deux noms sont liés et faire tomber l’un, c’est affaiblir l’autre. Aux yeux de Saint-Simon, le point commun qui rassemble Le Tellier, Champflour et Lescure est leur ultramontanisme ; c’est une tare qui leur ôte tout crédit et qui aurait dû les mettre à l’écart des responsabilités dans l’Église de France. Lucien Ceyssens et Joseph Tans font d’ailleurs justement remarquer que les attaques romaines contre le jansénisme ne sont qu’un moyen pour toucher au gallicanisme32. Noailles, par son action remarquée à l’assemblée du clergé de 1705, apparaît comme le chef de la faction gallicane de l’Église ; c’est lui qu’il faut abattre pour que l’édifice s’écroule. La préparation de la Bulle en France est une lutte perpétuelle pour obtenir de la part des évêques du royaume des écrits ultramontains prouvant les prétentions dogmatiques de Rome33. Noailles, mauvais politique comme à son habitude, pense être la victime de calomnies dirigées par les jésuites. Afin de les empêcher de nuire, il retire leurs pouvoirs34 aux prêtres de la Compagnie et ne cache plus son aversion pour le confesseur du roi qu’il considère comme l’instigateur de tous ses malheurs35.
26Le Tellier, contrairement à l’archevêque, est un fin diplomate qui utilise toutes les failles de son adversaire pour faire avancer sa cause. C’est l’évêque de Saint-Pons, Percin de Montgaillard, qui lui fournit l’occasion tant désirée. Le vieux prélat, qui s’était illustré durant la négociation sur la Paix clémentine, a publié la bulle Vineam domini accompagnée d’un mandement signifiant son autonomie dogmatique par rapport au Saint-Siège, mais aussi aux décisions de l’assemblée du clergé de France36. L’évêque, peu enclin aux concessions, publie en outre le 2 mars 1711 une lettre à Clément XI, dont le contenu déplaît fortement37. Le père Daubenton écrit alors au confesseur du roi que, pour punir tous ceux qui s’opposent aux volontés du pape, il faut que Louis XIV demande la bulle lui-même, afin de passer outre les résistances de la curie38.
27En décembre 1711, le cardinal de La Trémoille, ambassadeur à Rome, sollicite officiellement une bulle du souverain pontife39. Noailles est immédiatement informé que son affaire est entre de mauvaises mains40. À Rome, on prétend même que son nom pourrait être inséré dans la constitution préparée par une commission dirigée par le cardinal Fabroni41.
28Demandée par le roi qui considère que les jansénistes sont de mauvais sujets après leur soutien au pape dans l’affaire de la Régale, la constitution Unigenitus est faite pour punir Quesnel de son soutien au jansénisme et Noailles d’un gallicanisme perçu au-delà des monts comme attentatoire à la dignité pontificale. Même pour le monarque, la position de l’archevêque est trop rigide ; le second défend les libertés de l’Église de France alors que le premier a lui-même reculé sur la définition du gallicanisme royal. Cette bulle est fondée sur un quiproquo qui place sa naissance et sa conception sous les auspices de l’ambiguïté la plus totale : est-elle un moyen de préserver et d’aménager les maximes du royaume comme Louis XIV, par l’intermédiaire du cardinal de La Trémoille, semble le vouloir, ou alors un biais subtil pour que Rome puisse diffuser en France la théologie de l’infaillibilité pontificale ?
L’assemblée extraordinaire du clergé de France de 1713-1714
L’arrivée de la Bulle à la cour : premières réactions épiscopales
29La bulle Unigenitus est préparée à Rome durant la période 1712-1713. Le souverain pontife, ainsi que le souligne Lucien Ceyssens, participe lui-même aux débats en se penchant sur chacune des propositions examinées par la commission cardinalice. Clément XI écrit plusieurs centaines de pages, ce qui prouve l’application qu’il met à caractériser chacune des propositions soumises à l’examen de la Curie42. Sur les cent cinquante-cinq propositions qui avaient été dénoncées comme suspectes par le père Daubenton, le Saint-Siège n’en retient que cent une. Les cardinaux Albani et Fabroni, et le secrétaire aux Brefs Fabio Olivieri prennent grand soin de rédiger une bulle ferme et définitive. Les problèmes posés par Vineam domini quelques années auparavant doivent être évités. Dans une lettre au cardinal de La Trémoille, Louis XIV demande explicitement à son ambassadeur de lui faire parvenir une copie du projet de bulle, afin d’en faciliter la réception par les évêques de France.
30Les premières années du xviiie siècle ont montré combien étaient sourcilleux les prélats de France. En 1705, l’assemblée générale du clergé avait conclu à l’acceptation de la bulle Vineam domini et la décision avait tout pour plaire au Saint-Siège. Une lettre contemporaine d’un des participants, Jacques-Nicolas Colbert, archevêque de Rouen, glisse quelques remarques soulignant le rôle actif des évêques dans la querelle43. Elle marque subtilement le rôle que l’assemblée s’attribue : elle étudie le texte pontifical pour s’assurer qu’il est conforme aux maximes du clergé de France, et s’érige ainsi en contrôleur de la politique papale. Les évêques ne sont pas, dans l’optique de Colbert, de simples exécutants des ordres romains ou versaillais, ils sont les garants de la pureté doctrinale de leur troupeau et doivent ainsi juger, eux aussi, les textes qui leur sont soumis.
31En 1713, Louis XIV a semble-t-il tout prévu pour éviter le moindre désagrément au Saint-Père44. L’assemblée ne doit pas discuter, mais accepter toutes les aspérités préalablement gommées par un travail en amont. Le roi convoque à Versailles les évêques présents à la cour pour leur soumettre la Constitution. Le marquis de Torcy transmet une copie de la Bulle au cardinal de Noailles et une autre au premier président du Parlement45. Immédiatement, le chancelier Voysin demande audience à Noailles, afin de discuter avec lui des modalités de réception du texte. Plusieurs solutions s’offrent au cardinal et au clergé : soit la convocation d’une assemblée extraordinaire, soit des conciles provinciaux, soit la réception par chaque prélat dans son évêché. Toutefois Louis XIV a déjà tranché : il veut une réception uniforme par un mandement préétabli que chaque évêque adoptera pour son diocèse.
32La conversation entre Noailles et Voysin, telle qu’elle est rapportée par l’abbé Dorsanne dans son Journal, montre la réticence diplomatique du cardinal : il remontre au ministre la particularité des coutumes ecclésiastiques et la dignité éminente de l’épiscopat qui nécessitent une réunion plus formelle : « Les affaires générales de l’Église [doivent] être traitées conciliariter46. » Noailles, agissant comme une sorte de ministre des questions ecclésiastiques, souligne que la régularité de la réception doit être garantie et que la procédure telle que voulue par le roi ne s’est jamais vue ni en France, ni même en Angleterre. Pour lui, la seule solution canonique demeure le concile provincial47. Sa première intention est de condamner le livre de Quesnel, car dit-il, « je l’ai promis au Roi, et je m’y suis engagé envers le public48 ».
33Satisfait par ces entretiens, le chancelier Voysin retourne auprès du monarque muni d’un projet de mandement et d’une lettre dans laquelle le cardinal de Noailles hésite entre la crainte des pressions de Bissy et du père Le Tellier, et la volonté de retrouver les bonnes grâces du souverain49.
34La réaction du Parlement est en conformité avec les vœux du cardinal : les magistrats demandent la convocation d’assemblées provinciales et non une acceptation particulière de chaque prélat. Le partage de vues entre l’archevêque et le Parlement ne convainc cependant pas Louis XIV. Le jeudi 5 octobre, le roi donne sa décision : l’acceptation doit se faire par la réunion d’une assemblée extraordinaire des évêques à Paris et la date en est fixée au lundi 16 octobre.
Débats autour d’une acceptation difficile
35Les agents généraux du clergé, les abbés de Broglie et du Cambout50, sont chargés de convoquer tous les évêques, même ceux n’ayant pas encore reçu leurs bulles d’investiture canonique. À la différence des assemblées régulières, celle de 1713 contrevient aux règles de plusieurs manières. D’abord, la réunion fait appel aux prélats nommés, consacrés ou non. Or d’un point de vue strictement théologique, un prêtre qui n’a pas encore reçu la consécration épiscopale n’est pas considéré comme un évêque de plein droit. Voir des évêques non sacrés dans des assemblées est donc exceptionnel et manifeste la volonté de Louis XIV de donner plus de poids à une assemblée dont la convocation est essentiellement politique. Ainsi le père récollet Le Bel, nommé au minuscule évêché de Bethléem, est-il convoqué. Néanmoins, il demande à ne pas siéger, faute d’être encore sacré51.
36Le souverain fait aussi appel aux prélats sortis de charge. La liste de présence dans le procès-verbal fait apparaître plusieurs « anciens » comme Ancelin, qui a quitté le siège de Tulle en 1702, ou Huet, que sa santé défaillante avait poussé à la démission du siège d’Avranches en 1699. Même s’ils ont toujours le rang d’évêque, ces personnages sont rarement considérés comme tels et vivent souvent dans les abbayes qu’ils ont reçues en commende. Les voir siéger dans une assemblée officielle manifeste l’impression de masse voulue par le roi, lequel mobilise par là même toutes les forces nécessaires à l’accomplissement de son projet. Cette idée est aussi renforcée par les exclusions de d’Acquin et Hervé, émérites respectivement de Fréjus et de Gap dont les sentiments sur le jansénisme sont trop connus pour les rendre indispensables dans les négociations qui doivent s’engager52.
37Enfin, l’ultime entorse aux règles habituelles est la présence de prélats qui ne relèvent pas de l’Église gallicane stricto sensu. Les provinces de Paris, Toulouse, Narbonne, Bourges, Albi, Auch, Aix, Rouen, Reims, Lyon, Sens, Tours, Vienne, Embrun et Arles sont nécessairement représentées car elles constituent ce que l’on appelle l’Église de France. À cette dernière ne sont pas intégrés les évêchés dont tout ou partie du territoire a été conquis sur le Saint-Empire après le règne de François Ier – leurs évêques étaient en effet auparavant princes du Saint-Empire. C’est notamment le cas de l’archevêché de Besançon et de plusieurs diocèses – Metz, Toul, Verdun ou Strasbourg. Depuis 1678, la Franche-Comté est annexée à la France et en 1692, les institutions françaises sont introduites dans la province. En 1698, Louis XIV extorque au chapitre cathédral le pouvoir de nommer l’archevêque. Promu selon les procédures classiques dans le royaume, l’archevêque de Besançon reste pourtant à l’écart de la structure ecclésiale de France, tout comme ses confrères des Trois-Évêchés ou de Strasbourg. Par leur convocation à l’assemblée, le roi souligne que la Bulle ne concerne pas que l’Église de France dans ses limites traditionnelles, mais bien toute la catholicité. Ainsi voit-on parmi les membres de l’assemblée le cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg, et le suffragant de Besançon, François Gaspard de Grammont, évêque in partibus d’Aréthuse. On comprend mieux dès lors le caractère exceptionnel de cette convocation53.
38L’assemblée du clergé de 1713 est particulière aussi dans son objectif. Elle a pour but d’accepter rapidement la bulle Unigenitus et de respecter – au moins en apparence – les libertés de l’Église gallicane. La marge de manœuvre n’est pas grande54 : les prélats sont là pour recevoir la constitution apostolique de « manière uniforme » ; aucun débat ne doit avoir lieu, comme le roi l’a promis au pape. Une fois les négociations entamées avec Noailles, l’assemblée peut commencer. L’archevêque est chargé de porter la parole royale devant des ecclésiastiques dont le rôle unique est d’accepter les décisions pontificales au mépris de leurs droits doctrinaux.
39Le cardinal de Noailles fait figure de premier évêque du royaume, mais il est concurrencé par un autre personnage qui jouit de la confiance sans faille du roi : il s’agit de l’évêque de Meaux, Henri de Thiard de Bissy. Évêque de Toul jusqu’en 1704, il est nommé par Louis XIV pour succéder à Bossuet. Ce personnage a un parcours très intéressant car, comme le montre René Taveneaux, il a commencé par soutenir et approuver le livre de Quesnel avant d’en devenir l’un des plus farouches adversaires dans son nouveau diocèse. Pour le souverain, il a l’avantage d’être très ambitieux et versatile dans ses jugements. Un revirement dogmatique ne semble pas lui faire peur et il devient rapidement un conseiller écouté pour les affaires jansénistes.
40Les sources varient sur l’attitude du cardinal de Noailles. Son official, l’abbé Dorsanne, le présente comme le meilleur soutien du pouvoir et un défenseur acharné du gallicanisme et des libertés de l’Église de France, alors que Lafitau le tient pour un prélat sournois et dangereux qu’il faut amener à une soumission de gré ou de force. Louis XIV ménage le cardinal : il lui laisse décider le lieu de réunion de l’assemblée, geste essentiellement symbolique dont le but est de ne pas fâcher outre mesure le prélat55. C’est encore à Noailles qu’il revient de présider les débats. Chacun a bien compris qu’il est sur la sellette, ce qui le conduit à prononcer un discours justifiant sa conduite à l’égard du livre de Quesnel : « Humanum est decipi ; et je me sens sur cela plus homme que les autres56 », conclut-il, après avoir rappelé les circonstances qui l’avaient poussé à autoriser l’ouvrage57. L’abbé Lafitau souligne que le discours du cardinal est assez mal perçu par une partie de l’auditoire qui trouve qu’il accorde encore trop de qualités à l’ouvrage censuré58. Le déroulement de l’assemblée se poursuit normalement, la Constitution est imprimée afin que les prélats puissent la lire et la commenter59.
41L’évêque de Vence, François de Berton de Crillon, s’étonne que l’on nomme des commissaires pour discuter plus amplement de la Bulle. Selon l’abbé Dorsanne, qui le taxe au passage des qualificatifs infamants de « prélat livré aux jésuites », puis d’« Avignonais » – ce qu’il faut traduire par romain –, l’évêque de Vence aurait même eu une altercation avec son confrère de Boulogne, Mgr de Langle60 :
« Quelques Prélats livrés aux Jésuites ou purement Sulpiciens, auraient fort souhaité que tout se terminât dans une seule Séance, pour acquitter la parole que le P. Tellier avait donnée au Pape que sa Constitution serait reçue sans examen. Et c’est pour cela que l’Évêque de Vence s’entretenant le lendemain avec l’Évêque de Boulogne ; lui demanda, comme un bon Avignonais, Si l’on prétendait ici corriger le Pape, Est-ce que vous croyez, lui répondit son Confrère, que le pape soit incorrigible61 ? »
42Dès les premiers jours, le débat attaque sur l’essentiel de la querelle : le souverain pontife est-il infaillible ? L’Église gallicane peut-elle se prononcer sur un jugement dogmatique du pape ? L’assemblée du clergé de 1713 porte en elle toutes les questions non résolues depuis la grande période conciliaire sur le rôle du Saint-Père dans la catholicité et sur celui des Églises nationales dans la chrétienté.
43Une commission est instituée dès les premières séances afin de permettre une étude plus approfondie de la Bulle : le cardinal de Noailles décide de ne pas en être et elle est alors placée sous la direction du cardinal de Rohan. Ce choix ravit l’ensemble des prélats car l’évêque semble plus mesuré que nombre de ses collègues sur le sujet :
« Dès que l’on sut dans le public les noms de ces commissaires, tout le monde fut ravi de voir le Cardinal de Rohan présider à la discussion d’une affaire de cette nature. […] Son genre de vie et ses liaisons avec les Jésuites détruisaient tout prétexte de le soupçonner de Jansénisme. Il ne pouvait pas non plus être suspect au Cardinal de Noailles, après la déclaration qu’il faisait sans cesse de lui avoir des obligations essentielles. Sa situation & sa politesse lui promettaient la confiance des deux partis, & le mettaient en état de tout Concilier62. »
44Les autres membres sont les archevêques d’Auch et Bordeaux, ainsi que leurs collègues de Blois, Soissons et Meaux63. Sur les six, trois ont été nommément choisis par Louis XIV – Rohan, Desmarets et Bissy. Le but est évident, ils doivent par leur autorité favoriser la réception de la Bulle64.
45Le travail est fait assez rapidement65. L’évêque de Strasbourg commence son rapport devant une assemblée élargie66 car, dès le 16 janvier 1714, d’autres évêques ont rejoint les rangs. Le compte rendu de la commission couvre cinq séances et s’achève le 22 janvier. La conclusion semble évidente :
« Le 22 janvier, Mgr le Cardinal de Rohan a fini le rapport, dont la solidité aussi-bien que la netteté & la précision ont découvert & mis en évidence les erreurs et le venin des propositions condamnées, & d’un livre, qui, sous les apparences de la piété & de la vérité, est capable de corrompre les cœurs : par le même rapport, il a été prouvé clairement, qu’il n’y a aucune des propositions condamnées qui ne méritât au moins quelques-unes des qualifications dans la Constitution, & qu’il n’y avait aucune des qualifications qui ne dût être appliquée à quelques-unes des propositions67. »
46Les commissaires ont fourni au roi toutes les satisfactions nécessaires, la lecture du rapport ne doit pas laisser place à une discussion : la Bulle est prête à être acceptée car elle ne contredit en rien les libertés de l’Église gallicane ainsi que l’affirment ses plus hautes autorités. Toutefois, en privé, le cardinal de Noailles ne cache pas son hostilité. Dans une lettre au chancelier Voysin, il n’hésite pas à insister sur la relativité de son acceptation. Elle est, selon lui la preuve de la sincérité de sa démarche :
« Que si notre acceptation n’est pas vraiment relative à nos explications, nous tombons dans une équivoque contraire à la sincérité que notre caractère exige de nous, nous trompons le Pape et le peuple, le Pape en lui donnant une acceptation pure et simple, qui dans le fond est relative, et le peuple en lui faisant croire que nous n’acceptons que selon nos explications la bulle que nous aurons cependant reçue purement et simplement68. »
47Les pressions exercées sur lui sont nombreuses : Louis XIV lui-même tente d’orienter les vues de son archevêque, faisant preuve de bontés envers le cardinal69. Rien ne semble pourtant fléchir ce dernier et il faut à Rohan déployer des trésors de flatteries pour s’assurer un soutien suffisant qui contrebalance l’opposition apparemment irréductible de Noailles. Rohan multiplie les dîners fastueux, les promesses de promotions et d’honneurs pour circonvenir les membres de l’assemblée du clergé70.
48L’ambition et le prestige courtisan jouent un grand rôle dans les négociations. S’élever contre la Constitution, c’est risquer la disgrâce royale et voir ses perspectives d’évolution réduites à néant. La séduction décrite par l’abbé Dorsanne a une connotation très profonde : elle souligne le côté tentateur – et presque diabolique – de Rohan. Le « Beau Cardinal » propose à ses confrères des hochets terrestres pour acheter leur apostasie. Les nourritures spirituelles et la théologie passent après les intérêts personnels et bassement matériels.
49L’assemblée se poursuit avec les discussions plénières ; l’abbé de Broglie, agent général, fait la lecture de la Bulle aux prélats arrivés après l’ouverture des travaux. Puis les commissaires lisent leur rapport, destiné à faciliter l’acceptation71. Celui-ci reprend sept points successifs :
La bulle Unigenitus est la doctrine de l’Église.
L’assemblée accepte avec « soumission et respect » la bulle Unigenitus.
Elle condamne les cent une propositions tirées des Réflexions morales de Quesnel.
Elle donne un modèle d’instruction pastorale destinée à une acceptation uniforme des évêques de France, « afin qu’étant tous unis à la chaire de Saint-Pierre, c’est-à-dire, au centre de l’unité, par l’uniformité des mêmes sentiments & des mêmes expressions, on puisse non seulement étouffer les erreurs qui viennent d’être condamnées, mais encore prévenir les nouvelles difficultés, & prémunir contre les mauvaises interprétations des personnes malintentionnées, dont on a déjà vu les effets par des écrits qu’ils ont répandus dans le public depuis le commencement de cette Assemblée ».
Tous les évêques du royaume recevront une copie de l’instruction et de la Bulle en français.
L’assemblée écrit au pape pour le remercier de son zèle pour la défense de la foi.
Elle remercie le roi de son soutien constant et le supplie de bien vouloir accorder des lettres patentes pour la publication de la Bulle dans l’étendue de ses États72.
50Les réactions à cette présentation sont surprenantes. Malgré les pressions exercées par les proches de Rohan, il se trouve quelques évêques pour mettre la décision générale en question73. Déjà, depuis plusieurs jours, un front de huit prélats s’est mis en place pour refuser l’acceptation pure et simple de la Bulle : le cardinal de Noailles, l’archevêque de Tours, d’Hervault, et les évêques de Verdun, Béthune, de Châlons-sur-Marne, Gaston de Noailles, de Bayonne, Dreuillet, d’Auxerre, Caylus, de Boulogne, Langle, et de Laon, Clermont-Chaste74. Pour eux, la direction prise par Rohan est mauvaise et dès avant la publication du rapport des commissaires, ils font connaître leur avis au roi : ils refusent d’assister à une assemblée qui bafoue les droits du premier ordre du royaume et entendent se retirer dans leur diocèse75. Seul l’ordre formel de Louis XIV de ne pas quitter l’assemblée les oblige à entendre leur confrère de Strasbourg.
51Une fois l’exposé des rapporteurs terminé, il revient au cardinal de Noailles, chef de la faction opposante, de reprendre le cours des débats. Le plus ancien archevêque présent, Mgr d’Hervault, ouvre alors les hostilités. Le Tourangeau souhaite temporiser et attendre que l’instruction pastorale prévue par le rapport soit prête, afin que la délibération porte aussi sur ce texte. Le cardinal de Rohan balaie cet argument d’un revers de main76.
52Une fois encore, l’assistance est majoritairement favorable à Rohan ; seuls les évêques de Verdun, Laon, Châlons-sur-Marne, Senez, Boulogne, Saint-Malo, Bayonne et le cardinal de Noailles soutiennent la position de d’Hervault77. L’assemblée du clergé, qui doit uniquement accepter le texte, se transforme alors en lieu d’expression des oppositions qui traversent le clergé de France. Toute la question de cette réunion porte en fait sur la qualification des propositions. La Bulle, en effet, indique dans son dispositif une condamnation in globo, sans que le Saint-Siège ait pris la peine de qualifier une à une les cent une propositions78.
53L’instruction pastorale composée par la commission devient dès lors la source de toute interprétation de la Bulle. Le clergé de France joue ainsi son rôle de juge de la foi et non plus de simple exécutant des décisions de Rome. En revanche, l’acceptation par les prélats soutenant la position de d’Hervault et du cardinal de Noailles porte seulement sur l’instruction pastorale et n’est plus absolue comme le souhaitait la cour pontificale.
54Les dernières semaines de l’assemblée de 1714 sont le cadre de luttes âpres et difficiles à appréhender. Tout s’y mêle et l’écheveau est complexe à saisir. Le premier aspect qu’il faut prendre en compte est la forte imprégnation gallicane : bon nombre d’évêques admettent sans réserve les Quatre Articles de 1682, tous sont convaincus de la place éminente de l’évêque dans la hiérarchie ecclésiale et de son rôle essentiel de juge de la foi dans l’Église79. Toutefois, dans le système clérical curial mis en place par la monarchie absolue, une place à la tête d’un diocèse représente une faveur pour la famille qui peut y placer un de ses rejetons, et détenir un évêché s’inscrit dans une stratégie plus vaste. Le haut clergé français n’est jamais totalement indépendant des coteries : il ne faut dès lors pas s’étonner que les décisions dogmatiques soient systématiquement inscrites dans le contexte politique. Une contravention aux ordres du roi en matière religieuse peut faire fondre toutes les ambitions d’un clan.
55Si le cas de l’évêque d’Auxerre s’explique aisément ainsi, il est plus difficile à faire entendre à la postérité, et l’abbé Dettey, biographe de Caylus, est un peu gêné pour insérer cet élément dans la biographie de celui qu’il présente comme le champion de la lutte contre la bulle Unigenitus :
« M. d’Auxerre fut de ce dernier avis [opiner sur l’acceptation avant de lire l’instruction pastorale composée par la commission] ; & on peut concevoir combien il lui en couta de ne pas s’unir au Cardinal de Noailles, qui lui avait toujours témoigné l’amitié la plus tendre, & auquel il tenait par tous les liens que peuvent former le respect pour la vertu, & les sentiments du cœur. Ces motifs se trouvèrent balancés par la crainte de mécontenter un Roi, qui croyait servir Dieu, en employant toute son autorité à faire accepter la Bulle : crainte toute fondée sur l’attachement, on peut dire, sur l’amour & la vénération dont M. d’Auxerre était pénétré pour la personne de Louis XIV, dont il avait reçu tant de marque de bonté : il a conservé toute sa vie les mêmes sentiments80. »
56L’humanité et la grandeur d’âme de Caylus ne sont qu’un piètre masque devant cet aveu : par peur de décevoir le roi et de tomber en disgrâce, nombre de prélats suivent la voie d’une acceptation plus courtisane que sincère.
57La position du cardinal de Rohan prévaut. Cependant tous les doutes sont permis et Noailles, comme président, ne se prive pas de le signaler au souverain lors de l’audience que Louis XIV lui accorde :
« [Noailles] dit que le plus grand nombre des Évêques avaient été de l’avis des Commissaires, parce qu’on publiait que S.M. le voulait ainsi : Mais que dans le fonds ils étaient si peu de ce sentiment, qu’il n’y en avait aucun qui ne le dit à ses Amis : & que M. l’Évêque du Mans était si convaincu que cette Constitution ne pouvait être acceptée purement et simplement, que parlant de l’abondance du cœur dans l’Assemblée, il avait demandé avec insistance qu’on ne fît point imprimer la Constitution sans l’Instruction pastorale qui en serait, dit-il, le contrepoison81. »
L’instruction pastorale des quarante évêques
58L’opposition des évêques conduite par Noailles est un échec : l’assemblée du clergé, comme le voulait le roi, a accepté la Bulle, sans pourtant parvenir à l’unité tant désirée. Tous les moyens sont pourtant employés pour obtenir que les derniers irréductibles se rangent derrière le flot des acceptants82.
59Rohan accorde un délai supplémentaire pour que Noailles puisse étudier dans le détail l’instruction pastorale composée par les prélats de la commission ; cette démarche ne satisfait pas l’archevêque de Paris qui la refuse. L’instruction est lue le 1er février 1714 et acceptée le même jour83. C’est un texte ample qui se compose de plusieurs parties : l’instruction en elle-même ; puis un modèle de dispositif pour la publication qui doit être « uniforme » ; pour finir deux lettres, la première adressée à Clément XI84 et la seconde aux évêques du royaume. Cette dernière leur enjoint de recevoir la Bulle sans délai. L’objectif est clair : il faut préparer une réception généralisée du décret du Saint-Siège en France et faire communier tous les prélats de France dans un même esprit85.
60La nécessaire concordance de vue est rappelée pour souligner l’importance de l’enjeu, mais aussi parce qu’elle a été demandée tant par Rome que par le roi. La lettre résume brièvement les circonstances qui ont mené Clément XI et Louis XIV à s’entendre sur la Bulle : Quesnel est vu comme un hérétique renouvelant les erreurs de Baïus et de Jansénius qui ont déjà été condamnées moult fois. Le jansénisme est perçu comme une attaque contre l’autorité de l’Église plus que comme une dérive des règles de la morale chrétienne et de la foi86.
61Afin de se protéger de toute accusation d’ultramontanisme, les évêques de l’assemblée du clergé se mettent à couvert en soulignant que leur action s’inscrit dans la tradition de l’Église et qu’ils n’ont en rien été les dociles exécutants de la volonté du pape : héritiers de l’épiscopalisme médiéval, fermes défenseurs de la position gallicane et conciliariste, ils ne pourraient l’accepter. La formule est habile et suffisamment subtile pour être reçue par tous :
« Nous ne pouvions avoir pour cela un meilleur guide que la Constitution même ; avec elle Nous nous sommes regardés dans notre Assemblée, comme si nous eussions eu l’honneur d’avoir le Souverain Pontife à notre tête & de prononcer un même jugement avec Sa Sainteté.
Nous avons donc reconnu dans sa Constitution avec une extrême joie la doctrine de l’Église, nous l’avons acceptée avec soumission & respect. Nous avons condamné le Livre des Réflexions morales sur le nouveau Testament, & les cent une Propositions qui en ont été extraites, de la manière & avec les mêmes qualifications que Sa Sainteté a employées dans sa Bulle…
Nous avons estimé devoir faire pour cela une Instruction Pastorale, qui pût faciliter aux fidèles, auxquels nous sommes redevables du dépôt de la Foi qui nous est confié, l’intelligence de la Bulle, & les prémunir contre les mauvaises interprétations, par lesquelles des gens mal intentionnés tâchent d’en obscurcir le vrai sens87. »
62L’emploi permanent du « nous » souligne le rôle actif des prélats dans la mise en place de la doctrine ; le pape est mentionné comme étant à la tête de l’assemblée, jugeant au milieu de ses confrères : cette dernière imposée par le roi devient sous la plume des évêques une sorte de concile qui débouche sur une instruction pastorale dont les enjeux sont équivalents à ceux des canons conciliaires. Chef-d’œuvre de conciliation entre épiscopalisme gallican et ultramontanisme déguisé, cette pièce est révélatrice des tensions agitant alors le clergé de France. La commission a jugé nécessaire de rédiger une instruction pastorale afin de clarifier le sens de la Bulle, et l’a chargée de références scripturaires et de citations de bulles pontificales antérieures. Le projet est de compléter la Constitution par un texte à ce point solide théologiquement que le décret romain en devienne par là même incontestable.
63Alors que l’Unigenitus se présente sous la forme d’une liste de propositions condamnées sans qualification précise, l’instruction les insère dans un dispositif d’analyse et d’arguments d’autorité. Plutôt que de faire une critique point par point de chacune des citations tirées des Réflexions morales qui sont l’objet de l’attention de la Curie, les ecclésiastiques choisissent de les rassembler par thèmes et de grouper les commentaires. Cela rend la lecture plus aisée, moins répétitive et moins fastidieuse. L’objectif est aussi de clarifier les liens entre la doctrine de Quesnel et celle de Jansénius. Adressée à des prélats qui ont tous signé le Formulaire et qui reconnaissent les erreurs contenues dans les cinq propositions de Jansénius, la méthode est judicieuse : après avoir reconnu les fautes du premier, pourquoi douter du fourvoiement doctrinal du second88 ?
64La grâce – thème central de la querelle janséniste au xviie siècle – puis la liberté qui lui est connexe ouvrent la litanie des commentaires. Viennent ensuite le mérite des œuvres, la rigueur de la contrition, la définition de l’Église comme assemblée des croyants, la pratique du chant à l’office et enfin le nœud de la contestation : la thèse de l’excommunication injuste. L’instruction est ouvertement favorable à Rome mais doit pourtant reconnaître que la question est problématique :
« Il est vrai que le pouvoir d’excommunier a été donné à l’Église en la personne des premiers Pasteurs [Proposit. condam. 90], & si la proposition n’allait pas plus loin, elle serait orthodoxe : mais il n’est pas vrai que les premiers Pasteurs le reçoivent du Corps de l’Église, c’est-à-dire des fidèles. Le pouvoir d’excommunier fait partie du pouvoir des clefs, que Jesus-Christ même donna aux Apôtres immédiatement, & dans leurs personnes aux Évêques, qui sont leurs successeurs. Il n’est pas vrai que les Évêques ne puissent excommunier que du consentement au moins présumé de tout le Corps, c’est-à-dire de tous les fidèles de leurs diocèses. Jesus-Christ n’a pas assujetti les premiers Pasteurs, dans l’exercice de leur pouvoir, à ceux qui leur sont soumis89. »
65La formule concessive ouvrant la dernière partie souligne bien la difficulté que représente cette condamnation ; les évêques ont été dans l’obligation de recourir à des expédients assez faibles d’un point de vue théologique. Se fondant sur une interprétation littérale de Matthieu90, Quesnel avait conclu que le pouvoir d’excommunier appartenait à l’Église, c’est-à-dire à la communauté des fidèles. La théologie de l’excommunication est dominée depuis le xviie siècle par la position du jésuite Francisco Suarez. Celui-ci considère que c’est une privation des droits à la communion des chrétiens et des biens mixtes, c’est-à-dire des actes et des cérémonies externes dont l’utilisation produit des fruits spirituels, comme les sacrements ou les offices liturgiques91. Il est clair que cela relève plus du domaine de l’autorité ecclésiastique et du pouvoir épiscopal ce qui explique la référence directe des prélats au premier évangile92 et au pouvoir des clés93.
66La seule proposition qui bénéficie d’un traitement à part est naturellement la quatre-vingt-onzième qui concentre depuis la publication de la Bulle les critiques de ses adversaires94. En remettant dans le contexte de la querelle janséniste la liste des propositions condamnées, les évêques tentent avec un certain brio de souligner les vues politiques de l’oratorien : ce dernier, lorsqu’il écrit – commentant saint Paul (Romains, IX, 13) – que « c’est imiter Saint Paul, que de souffrir en paix l’excommunication & l’anathème injuste, plutôt que de trahir la vérité, loin de s’élever contre l’autorité, ou de rompre l’unité », penserait à l’affaire du Formulaire et au silence respectueux. Les prélats de 1714 ont réinséré les Réflexions morales dans le parcours polémique de Quesnel. Pour eux, la production de l’oratorien est marquée par son soutien au Grand Arnauld et par une lutte de tous les instants en faveur du jansénisme. Ainsi, un ouvrage de morale comme celui-ci ne peut être autre chose que la prolongation du combat sous d’autres formes ; il faut débusquer ce qui peut prêter le flanc à une suspicion de jansénisme. L’ambivalence de l’explication montre encore une fois la prudence des évêques, soucieux de ne pas laisser penser que la censure porte sur le sens même de la phrase, ce qui équivaudrait à condamner saint Paul.
67Les derniers commentaires de l’instruction évoquent la version de la Bible utilisée par Quesnel. On lui reproche en effet d’avoir travaillé avec le Nouveau Testament de Mons et d’avoir altéré le sens et le texte de la Vulgate, reproduisant ainsi les erreurs des premiers hérétiques condamnés par Tertullien, lesquels avaient altéré les sources pour les rendre compatibles avec leurs thèses95. Les ultimes pages sont consacrées aux remerciements d’usage aux initiateurs du texte : Clément XI « toujours attentif aux besoins de l’Église » et Louis XIV garant de la pureté de la foi de son royaume.
68La défense de la religion passe par une acceptation uniforme, ce qui nécessite la publication conjointe d’un modèle de dispositif pour que les évêques puissent tous s’accorder dans leurs mandements. La formule fondamentale de ce dispositif – « [Nous déclarons] que nous condamnons le Livre des Réflexions Morales & les cent une propositions qui en ont été extraites, de la manière & avec les mêmes qualifications que le Pape les a condamnées » – a tout pour satisfaire la cour pontificale, puisqu’il n’est pas fait mention d’une acception relative à l’Instruction des xl, mais à la seule volonté du Saint-Père : les prélats se soumettent absolument et le texte de l’instruction n’est pas un document normatif, mais un précis de la position romaine.
La bulle Unigenitus en France : réception et réactions épiscopales
Chronologie d’une réception par les évêques du royaume
Réception et critiques gallicanes
69L’assemblée du clergé de France se termine par un coup d’éclat. Les huit évêques qui s’étaient déjà signalés quelques jours auparavant, refusent d’accepter l’instruction :
« Après la séance [d’acceptation de l’instruction] M. le Cardinal de Rohan étant encore dans la Salle avec M. le Cardinal de Noailles, il lui parla du parti qu’il avait pris avec les Commissaires, & dit qu’il ne s’y était déterminé qu’après avoir consulté les Théologiens les plus rigoristes, qui l’avaient assuré que c’était le meilleur. M. le Cardinal de Noailles répondit, que lui de son côté avait consulté les plus mols & les plus relâchés, qui l’avaient assuré qu’il ne pouvait en conscience s’y conformer, & qu’il n’y en avait pas d’autre à prendre que celui auquel il s’était déterminé96. »
70La joute entre les deux cardinaux, si spirituelle soit-elle, montre clairement que le clergé de France s’oppose sur l’utilité de l’instruction et le sens de la Bulle : rigoristes contre laxistes, ainsi pourraient s’analyser les débats entre les ecclésiastiques. Certains indices indiquent néanmoins que le conflit n’est pas aussi profond et que d’autres enjeux expliquent les positions des évêques.
71Saint-Simon, Dorsanne et plus tard les Nouvelles ecclésiastiques rapportent des propos qui sous-entendent que la foi est une dimension peu présente dans les débats de l’assemblée. À chaque fois, un mot d’esprit vient remettre en cause une acceptation que les récits de l’événement jugeaient pourtant sincère et faite en conscience. Dorsanne se délecte visiblement en rappelant les propos de l’évêque du Mans, Rogier du Crévy, lequel aurait dit « qu’il était très douteux, si le parti que les Quarante avait pris, mettait la foi à couvert, mais que certainement il n’y mettait pas la bonne foi97 ». D’autres, comme Sillery, regrettent de ne pas avoir demandé d’explication au pape comme le suggérait le cardinal de Noailles. Le témoignage le plus ample donné par l’abbé concerne l’évêque de Vence, Mgr de Bourchenu :
« Les autres Quarante Évêques ne parlaient pas mieux de la Constitution que M. l’Évêque de Soissons : M. l’Archevêque de Reims, MM. les Évêques de Vence & de St. Pons allèrent le jour de la Purification, ou le Dimanche suivant, dîner à Ste Geneviève, on y parla beaucoup de la Constitution, & M. de Vence, qui n’est assurément pas suspect au parti des Jésuites, dit en présence des PP. Polinier, Ribarolles, & du P. Subtil Curé de St. Étienne du Mont, que cette Constitution était très mauvaise ; qu’elle condamnait des Propositions qui n’étaient souvent que des expressions & des sentiments des Sts Pères. On lui demanda pourquoi donc il l’acceptait, lui qui était Évêque & juge de la foi ; tout ce qu’il répondit est qu’il n’était pas possible de faire autrement, sans s’arracher le blanc des yeux, & se battre les uns contre les autres ; que le Roi le voulait, & que c’était la réponse ordinaire des Quarante. Le Roi le veut, il faut bien obéir98. »
72L’acceptation devient un acte de pure politique dans lequel ni la foi ni même la théologie n’ont leur place. D’ailleurs la sanction de la désobéissance ne se fait pas attendre. Dès le 8 février 1714, le souverain adresse aux récalcitrants une lettre de cachet les reléguant dans leur diocèse, et l’on parle même à Versailles de demander à Rome leur suspension. Ces démarches ont raison de l’opposition de Clermont. L’évêque de Laon se résout à signer et cède aux désirs du roi, de Rohan et de Bissy, ces derniers jouant les conseillers en matière religieuse dans l’affaire de l’Unigenitus.
73Les prélats exilés n’en sont pas moins actifs. Conscients des pressions subies par leurs confrères et du comportement ambigu de certains, ils cherchent à compter leurs soutiens. L’évêque de Boulogne, Mgr Pierre de Langle, est le plus virulent ; sa vaste correspondance prouve qu’il essaie de rallier à lui ses collègues du nord de la France, comme Valbelle de Saint-Omer et Sève de Rochechouart d’Arras99. Quelques semaines plus tard, Langle semble heureux de signaler à Noailles que Valbelle est dans des sentiments conformes aux leurs100.
74La position publique de certains prélats est en décalage avec leur attitude en privé. Si l’on met en perspective leurs déclarations et leur conduite officielle, la surprise est grande car rares sont ceux qui restent cohérents : sur les quarante signataires, près du quart tient, dans les jours qui suivent l’assemblée du clergé, des propos contraires à l’acceptation et nient la justesse théologique de la Bulle101. La question centrale de tous ces débats reste la même : quel rôle doivent-ils jouer face au pape ? Sont-ils docteurs de la foi ou de simples exécutants de la volonté romaine ?
75Le gallicanisme révèle ici toute sa complexité : ses deux tendances se réclament de cette conception ecclésiologique héritée des rapports entre pouvoirs spirituel et temporel mis en place sous Philippe le Bel, de la tradition conciliariste de la fin du xive siècle, de la Pragmatique Sanction de Bourges et de l’assemblée de 1682. Cependant, le sens du concept s’est quelque peu modifié au cours des siècles102. À la fin du Moyen Âge, les gallicans défendaient l’image d’une Église fondée sur la communauté des évêques, dont l’instance suprême, le concile, orientait les décisions. Avec le xviie siècle, cette tradition n’est pas perdue, comme en témoigne la Déclaration des quatre articles de 1682, mais elle se charge d’une dimension nouvelle : le roi peut être dit « pape » en son royaume ; les prélats obéissent à ses volontés sans mettre en avant leur qualité de docteur. Les évêques opposés à l’Unigenitus lors de l’assemblée de 1713-1714 semblent plutôt s’inscrire dans la tradition conciliariste et leur hostilité aux décisions du souverain pontife puise sa source autant dans la Déclaration des quatre articles que dans la tradition gersonienne. Les prélats acceptants suivent, eux, les ordres du roi car ils le perçoivent comme le chef de l’Église de France. Or, dans l’historiographie janséniste, tous les évêques ayant accepté la Bulle sont régulièrement taxés d’ultramontanisme. La contradiction semble profonde, néanmoins on peut en partie la lever si l’on considère l’Unigenitus comme l’aboutissement de malentendus comme l’affaire de la Régale. On pourrait donc penser que Louis XIV a plié devant les exigences romaines pour satisfaire sa volonté de pacification du royaume et sa vision absolue du pouvoir.
Les étapes de la réception
76L’exil des prélats hostiles à l’acceptation directe de la Bulle marque le triomphe de la volonté royale. Mais à Rome, cela ne suffit pas. Le pape semble inquiet de la démarche de Noailles qui lui a respectueusement demandé d’expliquer la Constitution avant de l’accepter :
« Par une autre lettre du même P. Timothée adressée à M. le Cardinal de Rohan, il mandait que le Pape était très fâché du procédé de M. le Cardinal de Noailles, à qui il imputait la conduite de 8 Prélats103. »
77L’éloignement est un moyen de soulager le roi de contestataires trop voyants à la cour ; pour le pape, c’est aussi la preuve que Louis XIV marche sur la même voie que lui. La Curie n’est pourtant pas entièrement satisfaite. Les évêques de France, d’un point de vue romain, ont outrepassé leurs devoirs en commentant certaines des propositions de la Bulle :
« Le St. Père n’était pas plus content de l’acceptation des Évêques que de sa Constitution. La Lettre pastorale qui lui avait été envoyée par un courrier extraordinaire, n’adoucit point les chagrins qu’il avait de cette acceptation104. »
78La réception de la Constitution, ainsi que Bentivoglio l’avait indiqué au roi en septembre 1713, devait être absolue, pure et simple, sans référence à un quelconque texte explicatif. L’ambiguïté vient de la nature même de l’instruction pastorale rédigée par l’assemblée de 1714 : sans prétendre lui donner une dimension dogmatique, les prélats sont pris par leur fonction, ils sont docteurs et les documents qu’ils produisent ont nécessairement une nature théologique et dogmatique. Le respect manifesté pour les décisions du souverain pontife ne peut faire oublier le sens de l’instruction : expliquer la Bulle pour éviter les dérives épiscopales isolées.
79Pour les remercier d’avoir accepté l’Unigenitus tout en les fustigeant pour le temps mis à le faire, Clément XI envoie aux évêques un bref daté du 17 mars 1714. Le style est virulent et autoritaire, il interprète la position française comme une juste soumission à la grandeur de la chaire de Pierre105, « centre de l’unité » et lieu de définition de la « doctrine de vérité ». C’est un rappel clair des thèses bellarminiennes, qui considèrent que les évêques ne sont que des exécutants des volontés de Rome et que le pape est la figure essentielle de l’Église, supérieur par nature aux prélats du monde entier106.
La réception de la Bulle dans les diocèses
80Le bref est rapidement envoyé dans les différents diocèses du royaume. On trouve, jointe au texte romain, une lettre des agents généraux du clergé insistant assez lourdement sur l’adoption de la bulle Unigenitus :
« Les éloges que la même Assemblée reçoit par ce Bref, donnent à ses Délibérations une nouvelle force & un nouveau degré d’autorité, qui doivent les rendre encore plus respectables à tout le monde107. »
81Le message politique est net. Louis XIV souhaite en finir rapidement avec les dissensions religieuses : une acceptation rapide et uniforme avait été mise en route par la convocation de l’assemblée d’octobre 1713, ce n’est donc plus qu’une question de temps.
82Les premiers mandements épiscopaux sont publiés dès le 23 mars 1714. Sanzay, évêque de Rennes, inaugure une série de plus de cent vingt décisions épiscopales. Bentivoglio est particulièrement ravi de les voir « pleuvoir de toute part108 ». Échelonnés entre mars 1714 et juillet 1715, ces textes montrent que la résistance a été ténue : en effet, près de 90 % des diocèses sont entrés dans le giron romain à la fin du règne de Louis XIV. La seule année 1714 a vu près de cent dix mandements signés, tant par les évêques eux-mêmes que par leurs grands vicaires quand le siège était vacant – ce qui est le cas à Saint-Paul-Trois-Châteaux109, Reims110, Vienne111 –, par le doyen du chapitre comme à Senlis112, ou encore par l’administrateur diocésain dans le cas de Lyon113 où l’acceptation a été signée par Hallencourt, évêque d’Autun et administrateur-né de l’archidiocèse en cas de vacance. En utilisant les dates de publication des mandements épiscopaux, nous avons pu établir une carte montrant que la Bulle a été acceptée rapidement dans la quasi-totalité des diocèses du pays (figure 1).
83La promptitude des réactions s’explique aisément. La grande majorité des évêques du royaume n’a pas choisi de composer un mandement ou une instruction pastorale. Elle s’est contentée de rédiger une très brève introduction au texte des quarante et de l’assortir d’un dispositif lapidaire. Rares ont été les exceptions et c’est davantage un sentiment de soumission à l’égard de l’autorité royale qui domine qu’un choix théologique et doctrinal réfléchi. À Cambrai, Fénelon publie deux mandements différents car la position de son diocèse lui impose de respecter les pouvoirs en place. Le premier date du 29 juin 1714 et se compose d’un petit préambule que suivent l’Instruction pastorale des xl puis le dispositif prévu par l’assemblée du clergé de 1713 ; le second est adressé le même jour aux fidèles du diocèse placés sous autorité impériale – aux Pays-Bas. Cette fois, Fénelon élabore une instruction pastorale assez développée et détaillée. Elle s’organise autour de onze points de doctrine et c’est une vraie démonstration théologique dont la portée polémique ne fait aucun doute.
84Si, dans la partie française de son diocèse, Fénelon se contente de publier l’Instruction pastorale des xl, dans l’impériale, il fait œuvre de théologien. Pour démontrer la nécessité de la Bulle, il apporte divers arguments, comme le consentement notable d’une partie de la communion ecclésiale114 à la décision du souverain pontife ou encore les contradictions qui émaillent les positions de Quesnel115. Fénelon ne laisse aucun point du débat dans l’ombre : il analyse la position de Quesnel à l’égard des thèses avancées depuis la publication de l’Augustinus et fait de la réception de l’Unigenitus le point final de la querelle janséniste. Tout est mis en œuvre par l’archevêque pour montrer la filiation directe entre l’oratorien et Jansénius116. L’autre axe majeur du mandement est l’affirmation de la primauté du siège de Pierre sur l’ensemble de l’Église. Une telle sentence aurait pu déclencher quelques colères dans la partie française du diocèse, mais il prend la précaution de toujours citer les actes du clergé de France pour pousser jusqu’au bout la logique ultramontaine117, et conclut en ces termes :
« Ô Église Romaine, ô Cité Sainte, ô chère et Commune Patrie de tous les vrais Chrétiens ! Il n’y a en Jésus-Christ ni Grec, si Scythe, ni Barbare, ni Juif, ni Gentil. Tout est fait d’un seul peuple dans votre sein. Tous sont concitoyens de Rome, & tout Catholique est Romain. La voilà cette grande tige qui a été plantée de la main de Jésus-Christ. Tout rameau qui en est détaché, se flétrit, se dessèche, & tombe. Ô Mère, quiconque est enfant de Dieu, est aussi le vôtre118. »
85Le mandement se termine par une exaltation de la chaire de Pierre, il convoque Cyprien de Carthage, Bernard de Clairvaux et Deutéronome XVII, 8-10, et conclut : « Arrêtez-vous à ce centre de l’unité de la foi, qui est le point fixe et immobile119. »
86Rares sont les textes qui prennent un parti aussi romain et même Belsunce, évêque de Marseille, tempère sa verve habituelle pour faire un mandement qui, s’il évoque la piété et la sainteté de Clément XI, cite avec beaucoup de respect le travail « solide et savant120 » de l’assemblée de Paris. L’essentiel des publications faites à l’occasion de l’acceptation de la bulle Unigenitus sont de simples pièces officielles sans fortes prétentions théologiques. Les prélats, après une courte introduction, publient l’Instruction pastorale des xl puis le dispositif prévu par l’assemblée. Seul se distingue Henri-Charles du Cambout de Coislin, évêque de Metz121. Le prélat messin a reçu la Bulle, mais selon des formes propres. Dans un mandement publié le 20 juin 1714, il commente chacune des propositions de la Constitution car, comme il le rappelle dès les premières lignes, l’Écriture impose aux évêques « de garder le dépôt de la foi » et « d’écarter de leur troupeau tout ce qui peut altérer l’intégrité du dogme catholique, corrompre la pureté de la morale chrétienne ou affaiblir la force de la discipline ecclésiastique122 ». Les explications de l’assemblée ne sont pas plus valables pour lui qu’une acceptation pure et simple : l’évêque, garant de la foi dans son diocèse, doit faire œuvre de pédagogue et fournir à ses diocésains un repère dogmatique fort. Le prélat entreprend une étude de chacune des propositions de la Bulle ; il n’y agit pas seulement en théologien mais aussi en pasteur. Metz compte en effet une minorité importante de « nouveaux catholiques » pour qui la lecture de la Bible en langue vernaculaire reste essentielle. Pour ne pas heurter les fidèles, il n’hésite pas à limiter la portée de la censure romaine123 en reprenant l’esprit d’une lettre pastorale qu’il avait publiée quelques années auparavant et où il avait déclaré :
« L’Écriture sainte est l’héritage des Fidèles qui sont tous reçus à la lire sans distinction d’âge, de sexe, ni de condition ; pourvu qu’ils apportent un cœur droit et un esprit docile à la voix des pasteurs légitimes124. »
87Sans vouloir démontrer la justesse des positions de Quesnel, Coislin le rejoint quand même sur un certain nombre de points et en particulier sur le corps de l’Église. Par un jeu rhétorique alternant les concessions, il déclare que sans doute « le corps visible de l’Église est composé de justes et de pécheurs, d’élus et de réprouvés125 » mais que « [l’on] ne peut non plus nier qu’il n’y ait dans l’Église un corps invisible qui n’est composé que de justes126 ». Il tente de concilier les contraires, ce qui ne trompe pas les lecteurs. Les jésuites tonnent contre cette instruction qui, selon eux, est « la satire la plus violente qui eût paru contre la Constitution127 », alors que les jansénistes sont partagés entre la satisfaction de voir un des grands évêques du royaume prendre un parti très mesuré contre la Bulle et le regret de voir autant de contradictions dans le texte128.
88À Versailles, le mandement de Coislin fait scandale. Le roi, par arrêt du Conseil du 5 juillet 1714, le supprime en raison de son caractère « contraire à l’acceptation de la Bulle faite par l’assemblée du clergé de France, et tendant à affaiblir ou à rendre inutile la condamnation de tant d’erreurs contenues dans les 101 propositions que du livre qui les renferme129 ». Cet arrêt provoque la démission du chancelier de France, Louis de Pontchartrain, au nom de la défense des libertés de l’Église gallicane130. Selon lui, l’évêque est resté dans les limites de sa charge et sa mise en cause est une preuve supplémentaire de l’atteinte portée à l’Église de France, ce qui n’est pas acceptable. De son côté, Rome condamne le texte, et le considère comme téméraire et schismatique131.
89Fin 1715, la bulle Unigenitus semble être une affaire terminée : dix prélats de plus acceptent la Bulle, portant à cent vingt-deux le nombre d’acceptations dans les dix-huit mois suivant l’assemblée du clergé (figure 2). De surcroît, certains évêques nommés durant la période réitèrent l’acceptation formulée par leurs chanoines. Ainsi, Trudaine à Senlis publie un mandement le 14 juillet 1715, confirmant celui des vicaires généraux du 17 mai 1714.
90La quasi-totalité des diocèses de France est donc acceptante. Seuls quelques évêques comme ceux de Senez, Montpellier, Boulogne, Mirepoix, Angoulême et Paris, ne font rien ou se positionnent contre la Bulle. Leur attitude n’est pas celle du refus complet ; bien au contraire, ils veulent – pour le bien de l’Église, disent-ils – que le pape apporte des éclaircissements sur son texte. Ils attendent le bon vouloir de Rome. Toutefois, leur gallicanisme doctrinal heurte les volontés du roi. De défenseurs du gallicanisme royal, ils deviennent aux yeux du souverain des rebelles qu’il faut faire taire et ramener à la raison.
91L’arrivée de la bulle Unigenitus en France ouvre une période de mise en question des structures même de l’Église universelle. Comment doit-on entendre cette institution dont la double nature est plus que problématique, tant elle sous-tend des problèmes théologico-politiques ? Si c’est une théocratie et qu’elle se résume uniquement à une hiérarchie sacrée, alors le pape en est légitimement à sa tête, mais si l’on considère que l’Église universelle est la somme des Églises nationales, cette fois le rôle du roi peut s’entendre. Aucune conciliation n’est possible dans une telle confrontation, car aucune des parties ne peut ni ne veut céder.
92Ce rappel des événements ayant conduit à la fulmination de la Constitution du 8 septembre 1713 était indispensable afin de remettre en perspective tous les acteurs de cette grande affaire. En faire l’économie aurait été inconcevable. La bulle Unigenitus agit comme un révélateur des tensions internes à l’Église catholique dans son rapport au temporel. C’est la première fois que ce débat se pose de façon aussi claire et aussi durable. Les enjeux spirituels et politiques sont inextricables et les luttes de pouvoir entre Rome et Versailles doivent être prises en compte avant les questions ecclésiologiques : la définition de l’Église passe principalement en ces années 1710 par des rapports diplomatiques et des relations interpersonnelles, les dissertations théologiques n’interviennent qu’après coup pour justifier ou critiquer les positions choisies. Pierre Blet a montré avec justesse, les enjeux politiques et diplomatiques de l’Unigenitus en 1714. Son analyse de l’assemblée devait néanmoins être complétée par la réception diocésaine des injonctions des prélats réunis à Paris. On y découvre un épiscopat soumis aux volontés royales qui accepte sans sourciller l’instruction pastorale composée par leurs quarante confrères.
93La Constitution de 1713 doit être lue à la fois comme une reconstitution de la logique hérétique janséniste à l’œuvre dans la catholicité depuis 1643 mais aussi comme une réponse aux événements de 1682. Le gallicanisme royal au sens de la déclaration de 1682 est bel est bien mort avec l’Unigenitus, le vieux lion a cédé au pape sur les articles assurant sa suprématie, validant sans le dire les prétentions infaillibilistes de la cour de Rome132. En revanche, le haut clergé tient toujours pour la défense de ses droits et s’affirme par l’assemblée extraordinaire de 1713-1714 un acteur dogmatique important. Le pape n’est pas le seul juge de la foi, les évêques eux aussi doivent se prononcer pour donner à la décision pontificale sa force et son autorité. L’analyse des mandements de réception de la Bulle permet de souligner la permanence de l’option épiscopaliste chez les prélats du royaume. Accepter les souhaits du roi, certes, mais avec la sanction de leurs confrères agissant comme des membres d’un concile national et s’exprimant par le biais d’une instruction pastorale conciliatrice. De plus, les évêques reçoivent le soutien du Parlement qui s’engage dans la défense des libertés de l’Église gallicane133. S’arrogeant le contrôle de la discipline ecclésiastique, les magistrats interviennent davantage pour protéger les droits des évêques, proches du mouvement port-royaliste ; les parlementaires considèrent la Bulle comme une manifestation de la volonté théocratique de Rome. Évêques et parlements entrent alors en conflit pour savoir laquelle des autorités est la plus légitime pour définir la position juste de la France.
Notes de bas de page
1 L’histoire du premier jansénisme est très connue. Elle a fait l’objet depuis Sainte-Beuve d’une nombreuse production historiographique dont il faut ici rappeler l’importance. On citera par exemple les travaux de Louis Cognet, et en particulier sa synthèse intitulée Le Jansénisme, 1re éd., Paris, PUF, coll. « Que sais-je ?, 960 », 1961, dont on lira avec profit le compte rendu par Taveneaux René, « Louis Cognet. Le Jansénisme », Revue d’histoire de l’Église de France, t. 48, n° 145, 1962, p. 143-145. Comme nombre des travaux de cette époque, le jansénisme selon L. Cognet ne peut s’entendre en dehors du xviie siècle ; ce qui advient au xviiie ne ressortit plus aux mêmes catégories mentales, ce sont tout au plus quelques références sur l’Église d’Utrecht qui viennent signaler à un lecteur vigilant que le jansénisme n’est pas tout à fait mort au xviiie siècle.
2 Bonnot I., Hérétique ou saint ? Henry Arnauld, évêque janséniste d’Angers au xviie siècle, Paris, Nouvelles Éd. Latines, 1984.
3 Goldmann L., Le Dieu caché. Étude sur la vision tragique dans les « Pensées » de Pascal et dans le théâtre de Racine, Paris, Gallimard, 1976 ; Mandrou R., L’Europe « absolutiste ». Raison et raison d’État, Paris, Fayard, 1977, p. 37-39 ; Bénichou P., Morales du Grand Siècle, Paris, Gallimard, 1988 ; et pour le xviiie siècle, Lyon-Caen N., La Boîte à Perrette. Le jansénisme parisien au xviiie siècle, Paris, A. Michel, 2010.
4 Melchior-Bonnet S., Fénelon, Paris, Perrin, 2008, p. 37.
5 Bergin J., Church, Society and Religious Change in France, 1580-1730, New Haven-Londres, Yale University Press, 2009, p. 460.
6 Bossuet J.-B., Correspondance, Urbain Ch. et Levesque E. (éd.), Paris, Hachette, 1909, t. 2, p. 422 et 427.
7 Blet P., Les Nonces du pape à la cour de Louis XIV, Paris, Perrin, 2002, p. 109. Pour comprendre l’affaire des propositions soutenues par l’abbé de Noailles, voir Dainville-Barbiche S. de, Correspondance du nonce en France Fabrizio Spada (1674-1675), Rome, École française de Rome/Université pontificale grégorienne, 1982, p. 676.
8 Martimort A.-G., Le Gallicanisme, op. cit., p. 107.
9 Gombert P., Louis-Antoine de Noailles, cardinal-archevêque de Paris (1651-1729), thèse pour le diplôme d’archiviste paléographe, École nationale des chartes, 2004. (Résumé dans École nationale des chartes. Positions des thèses soutenues par les élèves de la promotion de 2004 pour obtenir le diplôme d’archiviste paléographe, Paris, 2004, p. 111-119.) Barthélemy É. de, Le Cardinal de Noailles, évêque de Châlons, archevêque de Paris, d’après sa correspondance inédite, 1651-1729, Paris, Techener, 1886.
10 Andurand Olivier, « Du consistoire au conclave. Réseau, rôle et influence de Louis-Antoine de Noailles à Rome (avril-décembre 1700) », Revue d’histoire de l’Église de France, t. 101, n° 246, 2015, p. 41-65.
11 Noailles L.-A. de, Ordonnance de Son Éminence Monseigneur le Cardinal de Noailles, archevêque de Paris, portant condamnation d’un imprimé intitulé Cas de Conscience proposé par un confesseur de province touchant un ecclésiastique qui est sous sa conduite & résolu par plusieurs docteurs de la faculté de théologie de Paris, Paris, L. Josse, 1703.
12 Andurand Olivier, « Louis XIV et son clergé. Les enjeux de la bulle Vineam Domini Sabaoth », Louis XIV et Port-Royal, Chroniques de Port-Royal, n° 66, 2016, p. 313-333.
13 Le Gros N., Abrégé chronologique des principaux événements qui ont précédé la constitution Unigenitus, qui y ont donné lieu, ou qui en sont les suites. Avec les CI. propositions du P. Quesnel mises en parallèle avec l’Écriture et la Tradition, s. l., 1732, p. 29.
14 Saint-Simon L. de, Mémoires, op. cit., t. 3, p. 638.
15 Ceyssens Lucien, Tans Joseph A. G., « Quesnel », dans eid. (dir.), Autour de l’Unigenitus. Recherches sur la genèse de la Constitution, Louvain, Presses universitaires de Louvain, 1987, p. 583-648.
16 Ibid., p. 627.
17 Ibid., p. 626.
18 Chédozeau B., Le Nouveau Testament autour de Port-Royal. Traductions, commentaires et études (1697-fin du xviiie siècle), Paris, H. Champion, 2012.
19 Ceyssens Lucien, Tans Joseph A. G., « Quesnel », art. cit., p. 634-635.
20 Succédant à son frère Louis-Antoine, Gaston de Noailles a réitéré le soutien de l’évêché de Châlons aux Réflexions morales.
21 Ceyssens Lucien, Tans Joseph A. G., « Quesnel », art. cit., p. 639-640.
22 Minois G., Le Confesseur du roi. Les directeurs de conscience sous la monarchie française, Paris, Fayard, 1988, p. 469-488.
23 Cité par Le Roy A., La France et Rome de 1700 à 1715. Histoire diplomatique de la bulle Unigenitus jusqu’à la mort de Louis XIV, Paris, Perrin, 1892, p. 272.
24 Saint-Simon L. de, Mémoires, op. cit., t. 3, p. 343-345.
25 Ceyssens Lucien, Tans Joseph A. G., « Le P. Michel Le Tellier (1643-1719) », dans eid. (dir.), Autour de l’Unigenitus, op. cit., p. 360 sq.
26 L’évêque de Boulogne, Pierre de Langle, rend le confesseur du roi responsable de la dégradation de l’épiscopat. « Il faut avouer, Monseigneur, que notre état est aujourd’hui dans un étrange avilissement par notre faute. La manière dont se fait maintenant la nomination aux évêchés et aux dignités ecclésiastiques par le canal d’un homme outré et sans mesure y contribue beaucoup. » Lettre de P. de Langle à G. de Noailles, évêque de Châlons, du 12 octobre 1711, dans Moulis Ph., L’Unigenitus en frontière de catholicité. Pierre de Langle et ses correspondants (1711-1724), Paris, Champion, 2016, p. 92.
27 Maral A., La Chapelle royale de Versailles sous Louis XIV. Cérémonial, liturgie et musique, Wavre, Mardaga, 2010, p. 265-267.
28 Saint-Simon L. de, Mémoires, op. cit., t. 3, p. 987-988.
29 Even Pascal, « Une fondation hospitalière originale au xviiie siècle : les Forestières de La Rochelle », Bibliothèque de l’École des chartes, t. 146, n° 2, 1988, p. 337-367.
30 Ordonnance et instruction pastorale de MM. les évêques de Luçon et de La Rochelle au clergé et au peuple de leurs diocèses, portant condamnation d’un livre intitulé : Le Nouveau Testament en françois, avec des Réflexions morales sur chaque verset, où l’on montre la conformité de la doctrine de l’auteur des Réflexions, avec la doctrine des cinq propositions et du livre de Jansenius, La Rochelle, P. Mesnier, 1710.
31 Saint-Simon L. de, Mémoires, op. cit., t. 4, p. 46.
32 Ceyssens Lucien, Tans Joseph A. G., « Le P. Michel Le Tellier (1643-1719) », art. cit., p. 365-366.
33 Plusieurs évêques répondent aux demandes de Le Tellier, en particulier Mgr de Bissy, évêque de Meaux qui, alors qu’il était à Toul, avait recommandé les Réflexions morales, mais aussi les évêques du Puy et de Clermont qui préparent ensemble un mandement directement inspiré par l’abbé de Bochart, neveu de l’évêque de Clermont ; voir Taveneaux R., Le Jansénisme en Lorraine, 1640-1789, Paris, J. Vrin, 1960, p. 201 ; Ceyssens Lucien, Tans Joseph A. G., « Le P. Michel Le Tellier (1643-1719) », art. cit., p. 368-369.
34 Il s’agit de l’interdiction de la pratique de la confession et de la prédication dans l’ensemble du territoire du diocèse.
35 Noailles L.-A. de, Lettre à son éminence monseigneur le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, touchant les artifices et les intrigues du père Tellier et de quelques autres jésuites contre son éminence, s. l., 1711. Voir la lettre du 1er décembre 1711 de P. de Langle au cardinal de Noailles, dans Moulis Ph., L’Unigenitus en frontière de catholicité, op. cit., p. 92-94.
36 Percin de Montgaillard P.-J.-F., Mandement de Mgr l’Évêque de Saint-Pons touchant l’acceptation de la bulle de Notre-Saint-Père le Pape Clément XI sur le cas signé par XL docteurs, s. l., 1706.
37 Percin de Montgaillard P.-J.-F., Epistola episcopi et cleri S. Pontii Thomeriarum ad summum pontificem Clementem XI, s. l. n. d.
38 Ceyssens Lucien, Tans Joseph A. G., « Le P. Guillaume Daubenton (1648-1723) », eid. (dir.), Autour de l’Unigenitus, op. cit., p. 283-332.
39 Dorsanne A., Journal de l’abbé Dorsanne, op. cit., t. 1, p. 22.
40 Le Roy A., La France et Rome de 1700 à 1715, op. cit., p. 381-382.
41 BnF, ms. fr. 23227, fol. 102-108, lettre de l’abbé Roslet au cardinal de Noailles, du 21 décembre 1711 : « J’ai pris des mesures avec le cardinal de La Trémoille pour empêcher que votre nom ne soit fourré dans la constitution en cas qu’elle se fasse » (ici, fol. 104).
42 Ceyssens Lucien, Tans Joseph A. G., « Les jugements théologiques portés à Rome sur les 155 propositions de Quesnel dénoncées au Saint-Office », eid. (dir.), Autour de l’Unigenitus, op. cit., p. 115-139.
43 Duranthon A., Collection des procès-verbaux des assemblées du clergé de France depuis l’année 1560 jusqu’à présent…, Paris, G. Desprez, 1774, t. 6, col. 843 ; voir Arch. nat., G8 670* pour l’ensemble des débats de l’assemblée.
44 Blet P., Le Clergé de France, Louis XIV et le Saint-Siège de 1695 à 1715, Città del Vaticano, Archivio Vaticano, coll. « Collectanea archivi vaticani, 25 », 1989, p. 429.
45 Dorsanne A., Journal de l’abbé Dorsanne, op. cit., t. 1, p. 41.
46 Ibid., p. 42.
47 Ibid.
48 Ibid.
49 Ibid., p. 43, lettre du cardinal de Noailles à M. Voysin, du 29 septembre 1713.
50 Besnier É., Les Agents généraux du clergé de France, spécialement de 1780 à 1785, Paris, Bernard, 1939. Voir chap. II (partie 3).
51 Dorsanne A., Journal de l’abbé Dorsanne, op. cit., t. 1, p. 44.
52 Ibid.
53 Blet P., Le Clergé du Grand Siècle en ses assemblées, op. cit., p. 441-461.
54 Duranthon A., Collection des procès-verbaux des assemblées du clergé de France, op. cit., t. 6, col. 1252, voir Arch. nat., G8 673* pour l’ensemble des débats. Ce volume conserve la version manuscrite de l’instruction pastorale finale de l’assemblée de 1713-1714.
55 Lafitau P.-F., Histoire de la constitution Unigenitus, op. cit., p. 104-106. P. Blet, Le Clergé de France, op. cit., p. 435.
56 Dorsanne A., Journal de l’abbé Dorsanne, op. cit., t. 1, p. 45.
57 Ibid. Discours similaire dans Lafitau P.-F., Histoire de la constitution Unigenitus, op. cit., p. 135.
58 Lafitau P.-F., Histoire de la constitution Unigenitus, op. cit., p. 136.
59 Arch. nat., G8673*, p. 7.
60 Moulis Philippe, « L’Artois : une province ultramontaine et antijanséniste sous l’épiscopat de Mgr Pierre de Langle, évêque de Boulogne-sur-Mer de 1698 à 1724 », Bulletin historique du Haut-Pays, t. 16, n° 65-66, 2003, p. 80-98 ; id., Le Clergé paroissial du diocèse de Boulogne-sur-Mer de 1627 à 1789, op. cit., t. 2, p. 329-363.
61 Dorsanne A., Journal de l’abbé Dorsanne, op. cit., t. 1, p. 45.
62 Ibid., p. 45-46.
63 Il s’agit de Desmarets, Bazin de Bezons, Bertier, Brûlard de Sillery et Thiard de Bissy. Blet P., Le Clergé de France, op. cit., p. 438.
64 Ibid., p. 440 et Bentivoglio C., Istoria della Costituzione Unigenitus, Belvederi R. (éd.), Bari, Editoriale Universitaria, 1968, t. 1, p. 36-38.
65 Pierre Blet donne une chronologie des travaux de la commission. Le 20 novembre, quatre-vingt-cinq des cent une propositions ont été examinées. Blet P., Le Clergé de France, op. cit., p. 445.
66 Nombre de prélats rejoignent l’assemblée après l’ouverture officielle de ses travaux. On remarque ici le caractère exceptionnel de la réunion, car dans le déroulement habituel, les évêques sont tous réunis avant le début de l’assemblée marqué rituellement par la messe du Saint-Esprit, célébrée par le président désigné.
67 Duranthon A., Collection des procès-verbaux des assemblées du clergé de France, op. cit., t. 6, col. 1256-1257.
68 BnF, ms. fr. 20946, fol. 14, Lettre du cardinal de Noailles au chancelier Voysin du 19 janvier 1714.
69 Dorsanne A., Journal de l’abbé Dorsanne, op. cit., t. 1, p. 92.
70 Ibid.
71 Blet P., Le Clergé de France, op. cit., p. 461.
72 Duranthon A., Collection des procès-verbaux des assemblées du clergé de France, op. cit., t. 6, col. 1257-1258.
73 Blet P, Le Clergé de France, op. cit., p. 462.
74 Dorsanne A., Journal de l’abbé Dorsanne, op. cit., t. 1, p. 94. D’après le père Timothée de La Flèche, l’archevêque de Tours est un des plus farouches ennemis des maximes romaines. Ancien auditeur de Rote, il refuse toute acceptation pure et simple. « Il éclatte, sollicite ses collègues et leur représente qu’ils doivent bien prendre garde de déférer à ce qu’on leur demande, qu’ils doivent faire voir que leur jugement doit être uni avec celui du Pape, qu’ils sont juges avec lui, et qu’aucune bulle ne doit avoir force de loi et autorité si leurdit jugement n’intervient avec les siens. » Lettre du P. Timothée à Clément XI, 16 janvier 1714, Arch. du Vatican, fondo Albani 154, fol. 152, cité par Blet P., Le Clergé de France, op. cit., p. 457.
75 Dorsanne A., Journal de l’abbé Dorsanne, op. cit., t. 1, p. 100.
76 Duranthon A., Collection des procès-verbaux des assemblées du clergé de France, op. cit., t. 6, col. 1259.
77 Il s’agit d’Hippolyte de Béthune, Louis-Annet de Clermont-Chaste, Gaston de Noailles, frère du cardinal, Jean Soanen, Pierre de Langle, Vincent-François Desmarets et André Dreuillet.
78 Pour le texte de la bulle Unigenitus, voir Ceyssens L., Tans J. A. G. (dir.), Autour de l’Unigenitus, op. cit., p. 789-805. Ce choix de condamnation pose des problèmes majeurs dans la réception de la Bulle. En effet, la proposition 91 sur l’excommunication injuste est en contradiction avec une décision d’Innocent III. Qu’elle puisse être malsonnante ou téméraire ne choquait pas outre mesure les évêques de l’assemblée, mais en revanche, ils contestaient hautement qu’elle puisse être hérétique. C’était une critique directe du choix du cardinal Fabroni. Blet P., Le Clergé de France, op. cit., p. 433.
79 Ibid., p. 434-435. On peut lire dans les Sentiments de M. l’archevêque de Tours sur la bulle Unigenitus, que « cet évêque n’accepte pas cette bulle comme un laïc ou simplement comme un théologien, mais comme un successeur des apôtres, auxquels le gouvernement de l’église a été confié, et on ne peut douter que le jugement de la doctrine et des livres ne fassent partie de ce gouvernement, et que le pouvoir d’en juger lui étant par conséquent attribué de droit divin, il ne lui est pas permis de s’en dépouiller ». BnF, ms. fr., 6949, fol. 149.
80 Dettey P., La Vie de M. de Caylus, évêque d’Auxerre, Amsterdam, Arkstée & Merkus, 1765, t. 1, p. 45.
81 Dorsanne A., Journal de l’abbé Dorsanne, op. cit., t. 1, p. 97.
82 Bentivoglio C., Istoria della Costituzione Unigenitus, op. cit., p. 65-66.
83 Arch. nat., G8 673*, p. 37-111. Blet P., Le Clergé de France, op. cit., p. 467-468.
84 « Lettre à Notre Saint Père le Pape Clément XI par les Prélats de l’Assemblée de 1714 pour la réception de la Constitution Unigenitus », dans Instruction pastorale de Nosseigneurs les Cardinaux, Archevêques, & Évêques de l’Assemblée de 1714, pour l’acceptation de la Constitution Unigenitus, s. l. n. d. [5 février 1714] ; voir annexe II, p. 319-321.
85 « Lettre à tous les prélats du Royaume par l’Assemblée des Cardinaux, Archevêques et Évêques de l’année 1714, Pour la réception de la Constitution Unigenitus… », dans ibid. ; voir annexe III, p. 323-325.
86 Ibid., p. 323.
87 Ibid., p. 325.
88 Voir annexe I, p. 301.
89 Ibid., p. 313.
90 Mt, xviii, 17.
91 Huizing Pierre, « Excommunication », Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique. Doctrine et histoire, t. 4, 2e partie, Paris, Beauchesne, 1961, col. 1866-1870.
92 Mt, xviii, 18.
93 Mager Wolfgang, « Die Kirche als Gehäuse der Freiheit. Die Ausbildung liberaler Anschauungen über den Aufbau der Kirche und des Staates in Frankreich als Entgegnung auf die päpstliche Bulle Unigenitus (1713) », dans Kampmann C., Malettke K. (dir.), Französisch-deutsche Beziehungen in der neueren Geschichte, Berlin, Lit, 2007, p. 159-204 ; Schmitz B., Le Pouvoir des clefs au xvie siècle. La suprématie pontificale et son exercice face aux contestations religieuses et politiques, thèse d’histoire, univ. Paris IV, 2013.
94 Voir annexe I, p. 312-313. La quatre-vingt-onzième proposition de la bulle Unigenitus porte sur la crainte de l’excommunication injuste : « La crainte même d’une excommunication injuste ne nous doit jamais empêcher de faire notre devoir… On ne sort jamais de l’Église lors même qu’il semble qu’on en soit banni par la méchanceté des hommes, quand on est attaché à Dieu, à Jésus-Christ, et à l’Église même par la charité. Jean 9, 22, 23 (éd. 1693, 1699). » Elle concentre les attaques des gallicans du clergé et du Parlement qui y voient la négation des libertés de l’Église de France et l’affirmation indirecte des revendications d’infaillibilité du pape ; Mey C., Dissertation dans laquelle on démontre que la bulle Unigenitus n’est ni loi de l’Église ni loi de l’État, s. l., 1752, 2e partie, p. 77.
95 Ibid., p. 315-316.
96 Dorsanne A., Journal de l’abbé Dorsanne, op. cit., t. 1, p. 99.
97 Ibid.
98 Ibid.
99 BnF, ms. fr. 23207, fol. 161 v°, lettre de Pierre de Langle à Gaston de Noailles, évêque de Châlons (cité par Moulis Philippe, « Le jansénisme et l’antijansénisme dans le diocèse de Saint-Omer de 1640 à 1730. Synthèse et pistes de recherche », Bulletin de la Société académique des antiquaires de la Morinie, t. 26, n° 471, 2011, p. 601-622, et en particulier p. 611).
100 Ibid., fol. 170 (cité par Moulis Philippe, « Le jansénisme et l’antijansénisme dans le diocèse de Saint-Omer », art. cit., p. 612).
101 Il s’agit des archevêques et évêques de Reims, Troyes, Vence, Soissons, Laon, Auxerre, Toul et du Mans.
102 Martimort A.-G., Le Gallicanisme, op. cit.
103 Dorsanne A., Journal de l’abbé Dorsanne, op. cit., t. 1, p. 107.
104 Ibid., p. 108.
105 Bref de N. S. P. le pape Clément XI du 17. de mars 1714…, Paris, Veuve Muguet, 1714.
106 De Franceschi Sylvio Hermann, « Le catholicisme antiromain et l’infaillibilité pontificale au début du xviie siècle », dans id. (dir.), Le Pontife et l’erreur. Anti-infaillibilisme catholique et romanité ecclésiale aux temps posttridentins (xviie-xxe siècles). Chrétiens et sociétés. Documents et mémoires, n° 11, 2010, p. 39-75 et en particulier p. 42-56.
107 Lettre de Messeigneurs les Agents du Généraux du Clergé de France, À Nosseigneurs les Prélats du Royaume, en leur adressant le Bref de Sa Sainteté, du 17. Mars 1714, Paris, Veuve Muguet, 1714.
108 « Accrebbe la sua soddisfazione il vedere in quei giorni piovere quasi da ogni parte alla Corte i Mandamenti de’ Vescovi delle Provincie », Bentivoglio C., Istoria della Costituzione Unigenitus, op. cit., p. 140.
109 Mandement de M. le Vicaire Général du diocèse de Saint-Paul Trois-Châteaux, le siège vacant, du 25 avril 1714, dans Recueil des Mandements et Instructions Pastorales de Messeigneurs les archevêques et évêques de France pour l’acceptation de la Constitution de N.S. le Pape Clément XI du 8 Septembre 1713 contre le Livre intitulé : Le nouveau Testament, en Français, avec des Réflexions Morales sur chaque verset, Paris, Veuve Muguet, 1715, p. 237-239.
110 Mandement de M. le Vicaire Général de Mgr l’Archevêque de Reims, du 27 avril 1714, dans ibid., p. 241-250.
111 Mandement de M. le Grand Vicaire de Vienne, le siège vacant, du 30 mars 1714, dans ibid., p. 72-75.
112 Mandement de MM. les Vicaires Généraux du Chapitre de l’Église cathédrale de Senlis, le siège vacant, du 10 mai 1714, dans ibid., p. 321-324.
113 Mandement de Mgr l’Évêque d’Autun, Administrateur de l’Archevêché de Lyon, le siège vacant, du 20 juillet 1714, dans ibid., p. 411-415.
114 Salignac de La Mothe Fénelon F. de, Mandement et Instruction pastorale de Monseigneur l’Archevêque de Cambray, pour la partie de son Diocèse, soumise à Sa Majesté impériale, dans ibid., p. 488.
115 Ibid., p. 491.
116 Ibid., p. 499 sq.
117 Ibid., p. 510 sq.
118 Ibid., p. 527-528.
119 Ibid., p. 530.
120 Belsunce de Castelmoron H.-F.-X. de, Ordonnance de Monseigneur l’Évêque de Marseille, en date du 30 mars 1714, dans Recueil des Mandements et instructions pastorales, p. 68.
121 Taveneaux R., Le Jansénisme en Lorraine, op. cit., p. 349-356. L’analyse de René Taveneaux garde toute sa force et sa justesse aujourd’hui. Nous la suivons dans ses grandes lignes.
122 du Cambout de Coislin H.-Ch., Mandement et Instruction pastorale de Monseigneur l’Évêque de Metz pour la publication de la Constitution de N. S. P. le Pape du 8 septembre 1713, Metz, B. Antoine, 1714, p. 1-2.
123 Ibid., p. 10.
124 du Cambout de Coislin H.-Ch., Lettre pastorale de Mgr l’Évêque de Metz [du 6 janvier 1700] (cité par Fleur É., Essai sur la vie et les œuvres de Henry-Charles du Cambout de Coislin, duc de Coislin, évêque de Metz, 1697-1732, Nancy, Société d’impressions typographiques, 1935-1936, p. 281-283). Cette hypothèse est confirmée – comme le souligne René Taveneaux – par la lettre des neuf évêques opposants au roi, le 29 juin 1714, dans laquelle ces prélats soulignent les alarmes suscitées par la bulle dans le milieu des nouveaux convertis (Taveneaux R., Le Jansénisme en Lorraine, op. cit., p. 351).
125 du Cambout de Coislin H.-Ch., Mandement et Instruction pastorale, op. cit., p. 18.
126 Ibid.
127 Louail J.-B., Cadry J.-B., Histoire du livre des Réflexions Morales sur le Nouveau Testament et de la Consititution Unigenitus pour servir de base aux Héxaples, Amsterdam, N. Potgieter, 1726, t. 1, p. 224.
128 BnF, ms. fr., 23205, fol. 123 r°, lettre de Gaston de Noailles au cardinal de Noailles, du 29 juin 1714.
129 Arrest du Conseil d’Estat du Roy, portant que le Mandement & Instruction Pastorale du Sr. Évesque de Metz du 20. Juin de la présente année pour la Publication de la Bulle Unigenitus de N. S. P. Le Pape Clément XI. du 8. Septembre 1713. demeureront supprimez & comme non avenus. Du 5. Juillet 1714, Paris, Imprimerie royale, 1714.
130 Frostin Ch., Les Pontchartrain, ministres de Louis XIV. Alliances et réseau d’influence sous l’Ancien Régime, Rennes, PUR, 2006, p. 411 sq.
131 Ingold A.-M.-P. (éd.), Rome et la France : la seconde phase du jansénisme, op. cit., p. 360.
132 Cottret M., Histoire du jansénisme, Paris, Perrin, 2016, p. 152-155.
133 Au nonce qui les presse de conclure l’affaire au plus vite, Rohan et Bissy répondent que les usages du royaume doivent être défendus afin que le Parlement ne casse pas la décision de l’assemblée. Il faut jouer en finesse, concilier les points de vue romains et français, faire preuve de modération pour que l’acceptation soit vraiment valable. Blet P., Le Clergé de France, op. cit., p. 450.
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