Introduction à la première partie
p. 29-30
Texte intégral
1Demandée par Louis XIV, la constitution Unigenitus Dei Filius est préparée par la curie entre la fin de 1711 et septembre 1713. Le pape Clément XI confie le travail préparatoire à neuf consulteurs et six cardinaux qui établissent une liste de cent-cinquante cinq points litigieux. Les commissions présidées par le cardinal Fabroni prennent plusieurs mois et aboutissent à la censure de cent une propositions tirées des Réflexions morales de Pasquier Quesnel1. Les débats à Rome ont été houleux, seule la détermination du cardinal arrive à emporter les hésitations de ses confrères et du souverain pontife. Lorsque l’Unigenitus paraît, les cris de satisfaction des opposants à Quesnel sont nombreux, le père Guillaume Daubenton écrit même triomphalement le 9 septembre : « Voilà le fameux livre des Réflexions de Quesnel […] réduit en poussière par les foudres que le Dieu du ciel a mises dans la main de son vicaire sur terre2. » Si la condamnation est bien là, l’excès de confiance est manifeste. La constitution tant espérée atteint certes sa cible mais elle révèle aussi les fractures qui parcourent l’Église universelle et en particulier sa partie gallicane. L’acceptation que le roi avait annoncée comme une pure formalité se transforme en débat sans fin.
2L’arrivée de la bulle Unigenitus en 1713 est donc un problème d’ordre politique : Louis XIV a voulu ce texte pour en finir avec l’hydre janséniste. En frappant Quesnel, chef présumé de cette faction, le monarque pensait bel et bien arriver à ses fins. Il ouvre pourtant la boîte de Pandore de la contestation. Les décisions du pape choquent jusqu’aux prélats les plus favorables à Rome. La solution à ces épineux problèmes ne peut venir que du corps épiscopal lui-même. Traversé par les oppositions spirituelles, mondaines et personnelles, le clergé de France est profondément divisé.
3Il convient alors de comprendre les enjeux de la querelle de l’Unigenitus à l’intérieur de l’épiscopat français. Comment l’institution a-t-elle réagi ? De quelle manière les hommes formés à l’école de Bossuet et du gallicanisme triomphant ont-ils accepté cette constitution romaine ? Ces questions méritent d’être posées car elles permettent d’envisager les relations entre les domaines temporel et spirituel en ce début de xviiie siècle, et de mieux saisir les options ecclésiologiques qui s’offrent aux ecclésiastiques.
4La réception de la Bulle est d’abord étudiée. Sur un temps très court, des changements importants se dessinent et soulèvent des interrogations qui ne cesseront d’agiter l’ensemble du siècle. Ici, c’est la définition même du gallicanisme qui est en jeu. Est-on encore gallican quand on défend les positions d’un roi qui, de son côté, se soumet à Rome ? Puis, c’est l’action des politiques qu’il faut examiner. Le royaume de France ne peut rester dans cette incertitude théologique et le pouvoir royal cherche des solutions pour régler la crise : d’abord la force avec Louis XIV, exaspéré par les résistances qu’il rencontre, ensuite la douceur avec le Régent qui souhaite ouvrir une nouvelle ère, moins conflictuelle. Plus de concile national, plus de jugement, l’heure est au compromis. Mais cette orientation se heurte à une résistance de quatre évêques décidés à refuser tout accommodement politique pour défendre ce qu’ils considèrent être la vérité de la foi. Politique et religion sont des domaines inconciliables et pourtant seule la voie de la concession peut apporter la paix à l’Église.
5Centrée sur un petit nombre de figures, la querelle de l’Unigenitus met en lumière des acteurs aussi différents qu’un prince de l’Église, le cardinal de Noailles, et l’évêque du plus petit diocèse du royaume, Jean Soanen de Senez. Si l’on cherche à ramener le premier dans le giron de la soumission à Rome et à Versailles, les hésitations ne sont plus de mise avec le second. Seul un concile peut réduire au silence cet évêque rebelle3. C’est tout l’objet de celui d’Embrun qui se réunit en 1727. Les évêques de France espèrent ainsi en finir avec une bataille interne qui les déchire depuis plus de quatorze ans. Soanen est condamné par ses confrères, les prélats mènent alors une politique de reprise en main sévère. Ce concile offre l’occasion d’une réflexion approfondie sur l’ecclésiologie et sur les liens entre politique et spirituel.
6Jansénisme, gallicanisme et enjeux politiques se croisent perpétuellement. La bulle Unigenitus fournit une grille de lecture et de compréhension de tous ces démêlés.
Notes de bas de page
1 Ceyssens Lucien, « L’Unigenitus à Rome (1712-1713). Les jugements théologiques portés sur les 155 propositions de Quesnel dénoncées au Saint-Office », Lias, n° 8, 1981, p. 3-77 et p. 269-306.
2 Pinault P.-O., Histoire abrégée de la dernière persécution de Port-Royal, suivie de la vie édifiante des domestiques de cette sainte maison, s. l., Édition royale, 1750, t. 1, p. 3.
3 Thomas J.-F., La Querelle de l’Unigenitus, Paris, PUF, 1950, p. 238 sq.
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