Chapitre VI. Terres occupées, terres disputées : la province de Caltanissetta de la Libération à la réforme agraire
p. 243-289
Texte intégral
1Les évolutions de la fin des années 1940, puis la réforme foncière de 1950 et les lois qui l’accompagnent correspondent à une sorte de dernier acte de l’histoire des coopératives agricoles de travail et d’affermage, voie alternative à la modernisation des structures du latifondo sicilien. Dans ce chapitre, nous allons suivre cette trajectoire à l’échelle d’une province. La province de Caltanissetta nous est apparue comme un espace propice pour étudier la manière dont les paysans-coopérateurs se réapproprient des pratiques associatives lors de cette phase qui précède la grande vague de l’exode rural et de l’émigration des années 1950, quand certains réussissent finalement à s’installer comme exploitants.
2Le choix de Caltanissetta se justifie tant pour des raisons d’ordre pratique qu’en vertu de ses caractéristiques. Il est d’abord lié à la question de la disponibilité des sources. En effet, si la législation de 1919-1920 a souvent laissé des traces dans les archives des préfectures, les décisions prises sur les terres incultes dans le cadre des décrets Gullo et Segni incombaient à une section agraire spéciale, constituée auprès du tribunal civil. L’accès aux dossiers concernant les conflits fonciers dépend donc de leur éventuel dépôt auprès des sections locales des Archivi di Stato, comme c’est le cas pour Caltanissetta.
3L’exemplarité de cette province constitue le deuxième facteur qui justifie notre choix. Comme nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises, cette région, où les collines dominent, se situe dans la partie centrale de l’île et porte les caractéristiques traditionnelles du système agraire du latifondo céréalier1. Les pratiques associatives dédiées aux classes les plus pauvres se développent assez tôt dans la province, sous l’influence, d’une part, du mouvement catholique qui s’appuie sur un vaste réseau de caisses rurales et, d’autre part, des socialistes qui s’engagent surtout dans l’organisation des travailleurs des mines de soufre2. En parallèle, l’emprise des organisations mafieuses donne parfois une tonalité violente à la compétition qui se joue autour de l’accès au foncier, comme plusieurs enquêtes et travaux de recherche l’ont montré3. Il n’est donc pas surprenant que les deux principales forces politiques de l’époque – les démocrates-chrétiens et les communistes4 – choisissent Caltanissetta comme terrain privilégié de leur engagement en faveur du mouvement paysan sicilien invoquant la rupture des anciens mécanismes de subordination économique et sociale.
4Notre analyse s’organisera en trois étapes qui correspondent à trois échelles d’analyse différentes. Le point de départ sera un regard d’ensemble porté sur la totalité de la province à partir des registres de la commission pour les terres incultes. Ensuite, nous focaliserons notre attention sur la seule municipalité de Caltanissetta, afin d’étudier, dans le cadre d’un espace plus restreint, le rôle des coopératives dans les luttes des paysans pour l’accès à la terre. La dernière étape se fixera sur un cas spécifique, grâce à la documentation conservée dans les archives privées de la coopérative La Rinascita, établie dans le chef-lieu en 1945 et toujours en activité5.
Les coopératives du mouvement paysan dans la province de Caltanissetta
5Les répertoires et registres des travaux de la commission pour les terres incultes rendent compte des coopératives qui naissent et se mobilisent, à la fin des années 1940, dans le cadre des conflits agraires de la province de Caltanissetta. 64 sociétés ont été recensées, dont la plupart opèrent dans la commune où se trouve leur siège social. Sept sociétés opèrent au contraire dans les provinces proches de Catane (San Michele di Ganzaria) et d’Agrigente (Licata et Ravanusa), comme l’indique la carte disponible dans le cahier cartographique (figure 12). L’ensemble du territoire de la province est donc investi par l’action des coopératives, mais l’application des décrets tend en général à respecter l’organisation économique traditionnelle du territoire et, au-delà des critères administratifs, privilégie les coopératives formées par les petits fermiers et métayers qui avaient déjà exploité, dans le passé, les terres demandées en concession.
6La coopérative est le résultat de préoccupations à la fois juridiques et sociales. Suite au mécanisme formalisé par le décret Segni de 1946, elle devient une condition nécessaire pour pouvoir déposer les demandes de concession des terres auprès des autorités, mais elle permet aussi d’expérimenter de nouvelles formes d’auto-organisation au service de la mobilisation paysanne. La coexistence de ces deux aspects est particulièrement évidente dans l’expérience éphémère des « coopératives du domaine », c’est-à-dire de sociétés créées dans le but de remplacer le lotissement individuel par la gestion collective du latifondo. Cette solution permet en effet d’éviter la fragmentation du domaine concédé et de profiter des opportunités économiques offertes par une exploitation à grande échelle, dotée d’équipements techniques modernes6. Plusieurs de ces coopératives se constituent, sur le territoire qui nous intéresse ici, entre février et mars 1947 : les coopératives Marcato Serra à San Cataldo, Cicutella e Annilista, Garistoppa e Pescazzo, Giffarrone e Bifaria et Trabonella e Stretto à Caltanissetta. Leurs dénominations sont évocatrices : elles reprennent souvent le nom du domaine que les coopératives espèrent s’approprier. Ces sociétés constituent donc une tentative supplémentaire de modeler l’instrument coopératif en fonction des opportunités et des contraintes fixées par le contexte. C’est aussi une occasion, pour les propriétaires, d’attaquer la légitimité de l’action des coopératives, comme dans le cas de Giffarrone e Bifaria :
« De plus, on observe que la coopérative requérante est formée d’une vingtaine de paysans, métayers sur les mêmes terres qui sont en cours d’examen, sans aucun apport de cheptel ni vif ni mort.
Une coopérative constituée de la sorte ne peut se revendiquer comme telle ; il s’agit plutôt d’une association d’individus désireux de prendre en bail les terres par la coercition […]. Pour cette raison, nous considérons comme inacceptable la demande d’occupation des terres, faute de personnalité juridique de ce regroupement de métayers se dissimulant sous la forme d’une coopérative7. »
7En raison de l’importance qu’il occupera par la suite, le cas de la société La Rinascita mérite d’être présenté ici plus en détail. Fondée à Caltanissetta le 21 janvier 1945 par une soixantaine de paysans de la commune réunis auprès de la Camera del lavoro, cette coopérative est destinée à devenir un des protagonistes des luttes agraires de la province, du côté des forces proches du PCI8. Elle se donne pour objet d’aider à l’amélioration morale et matérielle des conditions de vie de ses membres, par le moyen de la coopération et dans le respect des principes du mutualisme9. Sa vocation est ouvertement multifonctionnelle et non spécialisée, dans la continuité de l’ancienne tradition des fermages collectifs. En tant que coopérative agricole de travail et d’affermage, elle peut mettre à disposition ou prendre en gestion des terres, qui sont ensuite exploitées par les sociétaires de manière collective ou individuelle. Elle peut participer aux travaux d’aménagement et de transformation culturale, ainsi qu’à d’éventuels chantiers de construction. En tant que coopérative d’approvisionnement, elle peut mettre à disposition des intrants, des outils, des machines et tout autre bien nécessaire aux activités agricoles. En tant que coopérative de transformation et de vente, elle peut s’occuper du stockage, de la conservation et de la commercialisation des récoltes. En tant que coopérative de consommation, elle cherche à protéger le pouvoir d’achat des adhérents. En tant que coopérative de crédit, elle peut servir d’organisme de garantie et négocier des conditions favorables auprès des institutions spécialisées du secteur. En tant qu’organisme doté d’une mission sociale, elle peut mener des projets destinés à aider à la vulgarisation des nouvelles techniques et à l’émancipation culturelle des sociétaires. De plus, par sa participation aux structures fédératives de la Lega nazionale delle cooperative, elle sort de l’isolement provincial et inscrit son action au sein du mouvement coopératif national.
8La Rinascita se constitue sous la forme d’une société coopérative par actions, à responsabilité limitée et à capital variable, pour une durée de vingt-quatre ans, prolongeable par délibération de l’assemblée générale des membres10. Au moment de sa fondation, son capital social consiste en 192 actions d’une valeur nominale de cent lires chacune11. Naturellement, les statuts fixent la règle d’un vote par tête, indépendamment du nombre des actions effectivement détenues, ce qui est cohérent avec le principe de l’égalité des membres. Néanmoins, l’analyse de la composition du capital social fournit des informations dignes d’intérêt. Comme l’indique ci-dessous le graphique 6, il se dégage une situation plutôt polarisée : 58 % des membres détiennent une ou deux actions, c’est-à-dire 25 % du capital de la société, tandis que 34 % des sociétaires possèdent entre cinq et dix actions et contrôlent ainsi deux tiers du capital. Il faut cependant préciser que les actions ne donnent aucun avantage particulier. Par conséquent, nous pouvons interpréter ces chiffres soit comme la manifestation des disponibilités de chaque membre, soit comme l’indice du degré d’engagement personnel dans la coopérative. Il est toutefois intéressant de noter que la distribution des fonctions de direction à l’intérieur de la coopérative ne dépend pas de la répartition du capital social. Le nombre d’action n’est donc pas un critère discriminant pour l’exercice d’un rôle actif dans les structures de direction de la coopérative.
Graphique 6. – Membres de la coopérative La Rinascita et de ses organes de direction et de contrôle, nombre d’actions détenues et composition du capital au moment de la fondation.

9Sur la base de l’article 4 des statuts de la société, tous les membres doivent être agriculteurs et s’occuper directement de l’exploitation agricole, indépendamment du titre qu’ils possèdent sur les terres en gestion. Il peut donc s’agir de braccianti, d’ouvriers agricoles, de métayers et de fermiers. Les propriétaires sont admis mais seulement s’ils sont en faire-valoir direct et si la taille de leur parcelle est insuffisante pour pourvoir aux besoins de leur famille. Dans la limite de 4 % du total des membres, les techniciens et les agronomes peuvent éventuellement adhérer en s’engageant à garantir de façon régulière leurs services à la société. Les membres doivent résider de préférence dans la municipalité de Caltanissetta et sont sollicités pour adhérer à la section locale de la Confederterra, le syndicat agricole proche du PCI et adversaire de la Coldiretti, son pendant catholique12.
L’action des coopératives selon les documents de la commission provinciale
10Les registres de la commission pour les terres incultes de Caltanissetta nous permettent de dresser une liste complète des concessions autorisées dans la province entre les premiers mois de 1945 et les derniers mois de 1948, c’est-à-dire dans la phase la plus intense de l’application des décrets Gullo et Segni. Entre la décision prise le 2 mai 1945 en faveur de deux coopératives de Santa Caterina Villarmosa et celle du 26 septembre 1948 en faveur de la société Achille Grandi de San Cataldo, 158 concessions sont autorisées pour un total de 17747 hectares. Dans les mois qui suivent, comme le cas de La Rinascita l’illustrera, la commission est souvent appelée à se prononcer sur des demandes de prolongation et de renouvellement, ainsi que sur des recours présentés par les propriétaires pour obtenir une annulation. Si de nouvelles demandes sont présentées après 1948, elles finissent en général par être rejetées ou deviennent caduques avant la décision finale de la commission. Entre la fin du mois de novembre et la moitié de celui de décembre 1950, les sources disponibles n’enregistrent que trois nouvelles concessions sur une cinquantaine d’hectares, qui, de plus, viennent compléter des concessions déjà existantes. Finalement, le 27 décembre 1950, la loi régionale de réforme agraire pour la Sicile est approuvée.
11La législation attribue aux commissions l’autorité de faire appliquer les décisions adoptées mais, sur le terrain, la tendance est plutôt d’encourager les négociations privées entre les propriétaires et les organisations paysannes, pour ensuite formaliser les accords établis. Les registres ne fournissent malheureusement aucune information globale sur ces aspects et une analyse point par point de chaque dossier s’avère donc indispensable. La décision de la commission, confirmée ensuite par un décret préfectoral, est néanmoins majoritairement respectée. Dans six cas, un accord intervient avant la décision finale et les parties fixent le bail de manière autonome ; en revanche, trois cas ne trouvent pas de solution et nécessitent l’intervention des autorités administratives et agricoles régionales.
12Les concessions montrent une certaine hétérogénéité en termes de surface : les domaines attribués ont une superficie moyenne de 110 hectares et la superficie médiane s’élève à 63 hectares, alors que chaque coopérative gère 278 hectares en moyenne mais seulement 140 hectares d’après la superficie médiane. En effet, la distribution des terres entre les différentes sociétés n’est nullement uniforme. À une extrémité se situent les rares sociétés concessionnaires de 20-30 hectares, à l’autre toutes les coopératives qui arrivent à accumuler plus de 1000 hectares de terres en concession : Risorgimento et Unione à Butera, La Rinascita à Caltanissetta, Il Lavoratore à Riesi, Agricola e di Consumo à Santa Caterina Villarmosa, jusqu’aux 1400 hectares du domaine de Raffirrosso, attribués en 1948 à la coopérative Coltivatori diretti de Niscemi. Cette dernière concession est tellement exceptionnelle qu’à l’échéance du bail, en 1952, elle attire l’attention de l’ensemble des coopératives locales et devient un des principaux enjeux des luttes agraires de la province13.
13Pour avoir une idée plus précise de la temporalité et des cycles d’attribution, nous avons procédé, à partir des registres, à la classification des concessions en fonction de leur date de début d’activité sur une base saisonnière14. Les résultats de cette opération sont synthétisés dans le graphique 7 et dans la figure 13 du cahier cartographique, les deux mettant l’accent respectivement sur la surface et sur le nombre de concessions. La capacité des coopératives à obtenir des terres en concession peut constituer un indicateur approximatif de la vigueur du mouvement paysan, c’est-à-dire de sa capacité à influencer les rapports de force qui président à la distribution du foncier dans un contexte déterminé. Sur la base de cette hypothèse, les données présentées ci-dessus confirment l’interprétation qui veut que la période la plus incisive du mouvement paysan se situe entre 1945 et 1947. Après un sursaut initial, le démarrage se fait de manière lente à cause des mécanismes administratifs et des éventuelles controverses qui peuvent surgir. La croissance, à la fin de l’été 1946, suit l’approbation du décret Segni, qui renforce les aspects techniques des concessions puis précise les procédures formelles.
Graphique 7. – Surface des concessions autorisées par la commission pour les terres incultes de la province de Caltanissetta, sur la base des registres (hectares, mai 1945-septembre 1948).

14Plusieurs facteurs concomitants expliquent la dynamique de 1947. D’abord, le calendrier des travaux agricoles rend souvent inutiles les demandes déposées à une date trop éloignée du 1er septembre, qui est, dans la région, la date traditionnelle du début des baux. Mais les changements politiques jouent aussi un rôle important, car la pression des coopératives sur les terres incultes s’atténue temporairement suite à la signature, en novembre 1946, du pacte de collaboration entre les représentants des propriétaires et ceux des organisations du mouvement paysan15. Le compromis semble donner des résultats favorables aux coopératives et, en 1947, la dynamique se fait moins épisodique, avec 72 concessions et 6098 hectares concernés. Cependant, l’année suivante, la diminution est frappante, avec six concessions seulement portant sur 2131 hectares.
15La dynamique décroissante s’inscrit dans un cycle quasi naturel : au départ, l’occupation de l’espace se fait de manière relativement facile mais, tôt ou tard, l’augmentation des superficies concédées a comme conséquence immédiate la diminution des surfaces disponibles, même si la limite des sols identifiables comme incultes reste dans une certaine mesure négociable devant la commission provinciale. Ce constat explique pourquoi, dans l’objectif de raviver la pression paysanne sur la terre, les organisations proches des forces socialistes et communistes, réunies lors du premier congrès régional de la Federterra en mars 1947, soulignent la nécessité de ne pas se cantonner aux terres dites incultes pour s’attaquer à tous les domaines dépassant 100 hectares et répondant à l’un des critères suivants : les domaines sont déjà partiellement gérés par les coopératives ; ils sont entre les mains des contremaîtres par le biais de la sous-location ; ils appartiennent à des propriétaires qui ne respectent pas les obligations de la loi en matière de stockage des céréales ; ils ont fait l’objet d’un investissement public pour des travaux qui n’ont jamais été accomplis16. Ce sont là des opportunités nouvelles mais qui dépassent largement le cadre législatif des décrets Gullo et Segni.
16Il est également intéressant de prendre en considération l’évolution des attributions en faveur des coopératives au cours de l’année afin d’identifier d’éventuelles dynamiques saisonnières. En additionnant, sur une base mensuelle, l’ensemble des concessions autorisées entre 1945 et 1950 dans la province de Caltanissetta, nous sommes parvenus à identifier une sorte de cycle annuel des concessions, dont nous trouvons le schéma dans le graphique 8. Le second semestre est la période habituelle des attributions, notamment entre fin août et novembre. Celles-ci atteignent un pic en termes de nombre entre début septembre et la première moitié d’octobre. Ce phénomène important apparaît normal dans une région où, en raison du calendrier local centré autour de la rotation blé-légumineuses, la date traditionnelle de clôture des baux correspond au 31 août de chaque année. Au cours du premier semestre, on enregistre, d’une part, de petites concessions épisodiques vers janvier-mars et, d’autre part, un nombre assez limité de grandes concessions, ce qui résulte essentiellement des décisions prises en mai 1945 et juin 1947.
Graphique 8. – Caractéristiques et nombre des concessions par mois (1945-1950).

17C’est donc en suivant la temporalité traditionnelle des fermages que la commission cherche à répondre à la demande de terres des coopératives. Ce choix a pour but de permettre à chaque concessionnaire de prendre possession des terres dès le début de la nouvelle année agraire, de limiter ainsi les occasions de conflit et de réduire les interférences sur les rythmes naturels des cultures afin de répondre aux exigences de la production. Sur la période 1945-1950, deux pics restent pourtant identifiables dans le cycle annuel : au printemps, un petit nombre de grandes concessions – autour de 270 hectares en moyenne – est octroyé, alors que, à l’automne, les concessions sont plus nombreuses mais leurs dimensions sont en général plus limitées, entre 30 et 100 hectares.
18Cette question complexe n’autorise pas les généralisations, mais il nous semble que les deux pics correspondent à des causes différentes, que l’on peut tenter d’interpréter. D’un côté, les attributions du printemps mettent à disposition des surfaces importantes, qui peuvent commencer à être exploitées dès le début de la nouvelle année agraire. Elles répondent donc avant tout à des préoccupations relatives à la production. De l’autre côté, les concessions de l’automne sont souvent faites sous la pression de la mobilisation sociale et elles répondent plutôt à un objectif de nature politique : la volonté de stabiliser les conflits et de maîtriser les tensions. Elles cherchent donc à contenter le plus grand nombre possible de demandes, y compris au prix d’une fragmentation foncière qui réduit l’efficacité de l’action économique des coopératives sur le long terme17.
Mécanismes d’accès et de gestion des terres de la coopérative
19La procédure en vue d’obtenir la concession d’un domaine en vertu des décrets Gullo et Segni suit un cheminement relativement stable : face à un terrain inculte, mal cultivé, destiné au pâturage ou dont on estime possible l’intensification productive, les paysans, réunis en coopérative et aidés de leurs avocats, déposent une demande auprès de la commission. Celle-ci réclame une expertise technique au service agricole local afin de déterminer l’état de culture des terres, à laquelle les propriétaires peuvent éventuellement faire opposition, prétextant des justifications agronomiques voire des subtilités juridiques. Comme l’extrait qui suit l’indique, le caractère aléatoire et la nature finalement politique de l’arbitrage entre culte et inculte se prêtent en effet à une stratégie défensive, notamment dans les territoires marqués par des formes d’exploitation extensives comme le latifondo :
« La réponse positive à la demande pourrait induire en erreur si on pense que la terre est appelée à répondre aux besoins alimentaires de la collectivité seulement pour les produits céréaliers.
Mais, si la réponse à la demande ci-dessus prend aussi en considération – et il ne pourrait en être autrement – les exigences de la population pour satisfaire ses besoins en viande, lait, beurre, graisses, œufs, fromages, peaux, laine, sans parler de nombreux sous-produits, on arrive à la conclusion qu’il est non seulement légitime et nécessaire mais indispensable de consacrer au pâturage des surfaces importantes, car les produits alimentaires et transformés industriellement sont destinés à satisfaire des besoins non moins importants [voire équivalents des besoins] auxquels sont destinées les céréales en général18. »
20À côté des arguments techniques, les propriétaires imputent parfois l’état d’abandon de leurs terres aux fermiers et aux métayers sur place. Ces derniers peuvent même être accusés de négligence volontaire, dans le but de s’approprier la terre par un subterfuge, en particulier lorsque les exploitants mis en cause appartiennent eux-mêmes à la coopérative qui fait la demande de concession. Le mémoire que présente, en 1947, la propriétaire du domaine de Giffarrone est un exemple de cette stratégie de défense :
« Le statut de métayer du domaine en question, qui caractérise les membres de la Coopérative, prouve l’inaptitude de celle-ci dans la demande avancée : si le domaine était insuffisamment cultivé (et le résultat de l’inspection a prouvé exactement le contraire) cela serait évidemment imputable à la malveillance ou à l’incapacité des mêmes métayers membres de la Coopérative19. »
21La résistance des propriétaires fonciers est donc acharnée, mais les paysans disposent aussi de leurs propres armes, dont la plus radicale est l’occupation du domaine au nom du respect des mesures sur les terres incultes et pour faire pression sur les décisions de la commission provinciale. Cependant, même quand les coopératives parviennent à obtenir la concession effective des terres, la surface attribuée permet rarement de satisfaire les besoins de la totalité des membres. Les domaines sont lotis en parcelles de trois à cinq hectares, qui sont ensuite attribuées de manière aléatoire (par tirage au sort) ou par des mécanismes qui donnent la priorité à certains adhérents, par exemple les cultivateurs déjà installés depuis plusieurs décennies sur le domaine en tant que locataires. Les nouvelles coopératives du mouvement paysan réactivent ainsi les anciennes modalités d’action propres aux fermages collectifs du début du xxe siècle, dans la mesure où elles s’attachent avant tout à reconnaître les droits des paysans sur des terres qu’ils travaillent depuis longtemps.
22Cette stratégie n’est pas non plus sans risque. Elle peut en effet conduire à l’émergence de discriminations et de tensions internes parmi les sociétaires. En 1946, par exemple, la coopérative La Rinascita obtient le domaine de Stretto en vertu d’un accord privé avec le propriétaire, mais 100 hectares ne sont pas distribués et sont laissés en gestion auprès des anciens exploitants. L’année suivante, ce choix conduit à la révocation de la concession et à l’élection d’un nouveau président à la tête de la coopérative. De plus, les propriétaires mobilisent cet argument pour s’opposer à toute nouvelle demande de la part de La Rinascita, désormais jugée comme non fiable20.
23La coopérative exerce la fonction d’intermédiaire collectif et chaque membre-concessionnaire paie à la société un bail déterminé en fonction de la superficie et de la qualité des sols exploités. Ce dernier aspect n’est nullement homogène parmi les concessions. Afin de garantir un certain équilibre et de limiter les conflits internes, le critère des quote maritate est souvent adopté : on procède à la constitution de lots individuels qui regroupent plusieurs parcelles de différentes qualités21. Au lieu de favoriser les remembrements, ce mécanisme tend au contraire à pérenniser les formes traditionnelles de fragmentation, propres au système du latifondo, et rend inefficace l’action des coopérateurs. Des cas d’abandon des terres les plus pauvres et les plus marginales sont par exemple signalés du fait de leur faible rentabilité. On trouve aussi la mention d’épisodes d’échange ou de compensation entre concessionnaires, qui donnent lieu à une sorte de marché parallèle et qui peuvent aboutir à des remembrements. Durant cette phase de transition, les parcelles établies par les coopératives en faveur des adhérents trouvent ainsi leur place au sein des stratégies plus larges mises en œuvre par les petits exploitants.
24Une étude de terrain consacrée aux expériences collectives de gestion de la terre au début des années 1950, menée sous la direction de l’agronome Francesco Platzer, nous permet d’approfondir cette première intuition22. Dans la tradition de l’école italienne d’économie agraire, ce travail propose six profils monographiques de familles d’agriculteurs-coopérateurs de la province de Palerme. Chaque unité de production correspond à une exploitation familiale de cinq à sept personnes – deux parents plus les fils, dont l’âge varie entre 1 et 26 ans – où le poids des unités de consommation est toujours estimé supérieur à celui des unités de travail23. Comme le montre le tableau 15, ces familles exploitent entre 1,10 et 7,20 hectares, avec une moyenne de 2,65 hectares, fragmentés en deux parcelles au moins et cultivés pour les deux tiers en blé et en légumineuses. La terre mise à disposition par la coopérative leur garantit entre 1 et 2 hectares, mais dans deux cas seulement elle constitue la seule ressource foncière accessible. En effet, la plupart des familles possèdent des micropropriétés ou complètent leurs ressources grâce à d’autres terres en métayage ou en petit fermage. À l’exception d’un foyer « plus riche », l’analyse du budget familial confirme par ailleurs que la moitié au moins du total des revenus provient d’autres sources, externes à l’exploitation agricole. Le lot obtenu dans le cadre de la gestion collective semble donc la composante d’une pluriactivité complexe et multiforme.
25En général, chaque sociétaire cultive les terres qu’il a reçues de manière individuelle, mais la coopérative, chargée de faire respecter les orientations et les critères fixés par la direction provinciale de l’agriculture en matière de choix culturaux, de gestion des ressources, d’adoption de pratiques rationnelles, exerce un contrôle24. La direction de l’agriculture identifie, par exemple, deux formes possibles de rotation culturale : une rotation biennale blé-légumineuses, pour les parcelles en dessous de 4 hectares, et une rotation quadriennale blé-fourrages-blé-légumineuses ou cultures industrielles (coton ou tomate) pour les autres. Ce principe, valable du point de vue théorique, peut difficilement être appliqué en pratique. En effet, en raison de l’insuffisance des terres disponibles, les paysans accordent une priorité absolue à la culture du blé, y compris en courant le risque de compromettre la fertilité des sols ou de subir des sanctions de la part de la coopérative à cause de la violation des obligations prévues. L’exploitation en commun, qui permettrait de résoudre certains problèmes, reste pourtant rare et toujours partielle25. Elle est privilégiée en cas de travaux d’aménagement ou de transformation culturale – comme l’implantation d’arbres ou de vignobles –, c’est-à-dire pour la mise en œuvre d’opérations qui nécessitent un effort supra-individuel de coordination.
Tableau 15. – Organisation de l’exploitation dans six familles concessionnaires des coopératives de la province de Palerme (1951).

Coopératives et enjeux fonciers dans la municipalité de Caltanissetta
26Pour rentrer dans le détail du fonctionnement des concessions en faveur des coopératives, nous avons décidé de focaliser notre analyse sur la seule municipalité de Caltanissetta. En nous basant sur les registres de la commission provinciale pour les terres incultes, nous avons recensé l’ensemble des 112 demandes impliquant des coopératives dont le siège social se trouvait dans le chef-lieu26. Entre le premier semestre de 1946 et la fin de 1950, six procédures de révocation sont entreprises par les propriétaires et 106 demandes de concessions sont présentées par les coopératives afin d’obtenir la gestion de vingt-sept domaines appartenant à trente propriétaires particuliers. Aucun registre n’est conservé pour 1945, mais onze demandes ressortent des archives pour cette période : elles ont été présentées par La Rinascita, en mars-avril 1945, et concernent 1578 hectares au total.
27Concentrées pour les deux tiers entre septembre 1945 et novembre 1946, les concessions accordées se situent dans les campagnes environnantes de Caltanissetta, comme l’indique la carte du cahier cartographique (figure 14). La coopérative La Rinascita est le protagoniste incontournable de ce mouvement de conquête des terres. Entre septembre et octobre 1945, elle obtient 17 hectares du domaine de Ficodindia, rapidement abandonnés à cause du manque de rentabilité de la mise en culture, ainsi que 55 hectares du domaine de Deri et 67 hectares du domaine de Turolifi. Cependant, les compteurs sont remis à zéro dès l’année suivante car, en août 1946, la commission annule les deux dernières concessions en raison du non-respect des obligations culturales prévues. Avec le début de la nouvelle année agraire, La Rinascita obtient la gestion de 100 hectares du domaine de Stretto, grâce à un accord privé avec le propriétaire, et de 110 hectares du domaine de Lannari, en vertu d’une concession autorisée fin octobre 1946 et augmentée de 25 hectares le mois suivant. À la même époque, la coopérative Toniolo s’empare de 330 hectares du domaine de Turolifi et de 50 hectares de celui de Garistoppa, qu’elle perd en 1949 sous le prétexte de vices contractuels.
Tableau 16. – Concessions en faveur des coopératives, autorisées par la commission provinciale dans la municipalité de Caltanissetta.

28La commission n’autorise, par la suite, aucune autre concession sur le territoire de la municipalité. Plusieurs « coopératives du domaine » naissent à l’initiative de La Rinascita au début de 1947 et elles sont les seules capables d’obtenir une concession dans les mois qui suivent, comme l’indique le tableau 16. En effet, entre les mois d’août et d’octobre suivants, les trois sociétés Santa Rita, Garistoppa e Pescazzo et Cicutella e Annilista obtiennent respectivement 20 hectares du domaine de Pisciacane, 48 hectares du domaine de Pescazzo, 430 hectares du domaine de Cicutella et 70 hectares de celui d’Annilista.
29Les relations déjà tendues entre coopératives, à cause des clivages politiques qui opposent démocrates-chrétiens et communistes, peuvent évoluer vers des épisodes conflictuels là où plusieurs sociétés revendiquent des droits sur le même domaine. En 1945, La Rinascita dénonce, par exemple, l’abandon du domaine de Ficodindia, dont elle demande la concession, alors que 420 hectares de celui-ci ont été loués par le propriétaire à onze familles d’exploitants membres de la coopérative Santa Lucia27. Les deux sociétés cherchent réciproquement à se faire du tort : La Rinascita accuse la Santa Lucia d’être complice du propriétaire et d’empêcher l’accès aux terres à d’autres exploitants, alors que la seconde défend le travail qu’elle mène depuis plusieurs années. La commission autorise la concession sur 17 hectares, mais La Rinascita décide d’y renoncer en raison de la qualité secondaire des sols finalement attribués28. La controverse qui touche le domaine de Turolifi est également significative. En 1945, La Rinascita obtient la concession de 67 hectares, qu’elle perd en août 1946, sous le prétexte de retards dans la mise en culture des terres. Le mois suivant, 330 hectares du même domaine sont attribués à la coopérative catholique Toniolo, mais cette décision est bloquée à cause d’un contentieux avec les anciens fermiers, ce qui justifie les nouvelles demandes d’attribution présentées par La Rinascita en 1948 et 194929.
30Certaines terres sont demandées de manière systématique tous les ans et la constitution de coopératives du domaine – comme nous l’avons expliqué plus haut – devient un stratagème pour intensifier les pressions sur la commission provinciale. Entre 1946 et 1950, les domaines de Garistoppa, de Lannari et de Pescazzo, par exemple, font l’objet de dix à quinze demandes chacun. En 1946, la concurrence est à tel point élevée que trois sociétés cohabitent sur ces domaines : la Toniolo, en association avec la section locale de la Coldiretti, obtient 50 hectares de Garistoppa ; La Rinascita conquiert 135 hectares de Lannari et relance son offensive l’année suivante sur Pescazzo dont 48 hectares lui sont donnés en concession suite à la création de la société Garistoppa e Pescazzo.
31La réaction des propriétaires ne se fait pas attendre. Ils s’engagent à refuser toute forme de compromis. Six demandes de révocation sont présentées entre février 1946 et avril 1949 mais, si ce chiffre peut paraître limité dans l’absolu, il prend une tout autre importance lorsqu’on le compare aux douze concessions autorisées sur l’ensemble du territoire de la commune. De plus, l’offensive des propriétaires se montre extrêmement efficace et, à quatre reprises, la commission se prononce en faveur de l’expulsion. Les coopératives, de leur côté, opposent une résistance assez faible et, au lieu de s’engager dans des batailles judiciaires à l’issue incertaine, elles semblent parfois profiter de l’occasion pour se débarrasser de concessions qu’elles considèrent comme marginales afin de concentrer leurs efforts sur un nombre plus limité d’exploitations viables. Plusieurs exemples peuvent être cités : La Rinascita perd plus de 120 hectares, en août 1946, mais trois mois plus tard elle obtient trois nouvelles concessions, pour un total de 235 hectares ; la société Toniolo se voit amputée de 50 hectares en 1949 mais conserve le reste, c’est-à-dire 330 hectares, en concession. Si les initiatives du mouvement paysan se poursuivent sans répit, les propriétaires se montrent ainsi capables de réaffirmer leurs droits sur la terre de manière plutôt efficace. Qu’elles soient invoquées en faveur ou contre les coopératives, les mesures sur les terres incultes deviennent des instruments de négociation et leur application un terrain de lutte politique dont l’issue dépend du cadre législatif mais aussi des rapports de force en place dans chaque contexte particulier.
32Avant d’analyser un cas spécifique, l’examen de l’évolution de la dynamique des demandes et des autorisations de concessions dans la municipalité de Caltanissetta mérite d’être approfondi. À partir du dépouillement des archives de la commission, il est possible de tracer les courbes annuelles de cette dynamique pour la période 1946-1950. Deux phases semblent alors se succéder. Lors de la première phase, en 1946-1947, le nombre de demandes s’intensifie à partir de juin et, en raison du calendrier régional des contrats agraires, atteint son sommet en septembre, c’est-à-dire au moment du renouvellement des baux. La commission tend, au contraire, à autoriser plus facilement les concessions entre la fin de l’été et le mois d’octobre, avec un calendrier calqué sur celui des travaux de préparation des terres pour les nouvelles cultures. Dans une phase intense de mobilisation sociale, l’usage local de la fin des baux au 31 août semble être le facteur principal autour duquel s’organisent tant les revendications des coopératives que la réponse des institutions.
33Une nouvelle phase s’ouvre suite au décret du 27 décembre 1947, n° 1710, qui modifie les mesures de 1944-1946 et autorise la formulation de nouvelles demandes de concession uniquement entre le 1er janvier et le 31 mai de chaque année, ce qui confirme l’objectif d’intensification céréalière qui est à l’origine de la législation sur les terres incultes30. Cette mesure ne devient effective que deux ans plus tard, en 1949, quand les données dans les archives montrent une concentration des nouvelles demandes dans le seul mois de mai, c’est-à-dire à un moment avancé de l’année agraire, qui permet d’exercer une pression sur les commissions. On peut supposer que c’est là un choix stratégique : du point de vue des coopératives, le fait d’indiquer les terres ciblées seulement vers la fin de l’année agraire devrait, en principe, faire obstacle à tout stratagème de la part du propriétaire pour sauver ses terres et échapper à l’application du statut d’inculte. Dans cette phase, les décisions de la commission semblent mieux réparties sur l’ensemble de l’année, notamment entre juillet et octobre, ce qui permet de régler les conflits avant le début des travaux de l’automne. Encore une fois, ce calendrier conforte l’hypothèse de pouvoirs publics qui tendent de plus en plus à ne pas agir dans l’urgence de la mobilisation populaire et qui, en accord avec les évolutions de la loi sur les terres incultes, cherchent plutôt à mettre l’accent sur les aspects techniques et sur les aspects liés à la production.
34À l’échelle de la coopérative La Rinascita de Caltanissetta, la dynamique décrite ci-dessus prend d’abord la forme d’une croissance significative du nombre de demandes qui se poursuit jusqu’en 1948, pour ensuite évoluer vers un déclin inexorable. Les surfaces moyennes demandées en concession montrent au contraire une inclination générale à la hausse. Nous pouvons faire l’hypothèse d’une modification de la stratégie des coopératives : au fil des ans, elles abandonnent la tendance à la fragmentation des domaines et cherchent de plus en plus à constituer des unités culturales viables à la fois en demandant d’importantes extensions foncières géographiquement localisées et en remembrant des parcelles appartenant à divers propriétaires.
Présentation d’un cas exemplaire : la controverse autour du domaine de Lannari
35Afin d’approfondir l’étude des mécanismes d’accès à la terre mis en place par les paysans par le biais des coopératives, nous avons choisi, enfin, d’aller jusqu’à l’échelle du domaine, celui de Lannari dans les environs de Caltanissetta. Réclamé par la coopérative La Rinascita, celle-ci obtient la concession du domaine malgré l’opposition du propriétaire. Nous avons exploré cet épisode et la controverse qui l’entoure à partir des dossiers de la commission provinciale pour les terres incultes, des archives de la société La Rinascita et des récits de Saverio Baio Mazzola, à l’époque « constructeur d’organisations de masse31 » et meneur du mouvement paysan communiste de la région. Ce dernier témoignage nous a permis de retracer les pratiques des acteurs mais aussi de pallier à la vision parfois trop normative qu’offrent les sources administratives.
36La coopérative La Rinascita de Caltanissetta est en effet le principal protagoniste de cette histoire qui débute vers la fin du mois de juin 1946 quand elle présente sa demande pour prendre possession de 200 hectares du domaine de Lannari. Au mois de septembre, deux autres coopératives avancent des prétentions sur les mêmes terres auprès de la commission. Premièrement, la société concurrente Toniolo, née en 1945 et d’inspiration catholique, opère de manière coordonnée avec la section locale du syndicat Coldiretti et cherche à imposer son hégémonie dans la défense professionnelle de la petite paysannerie. Deuxièmement, la coopérative Santa Lucia, formellement constituée en 1938, fait appel à la légitimité que lui confèrent les actions qu’elle prétend mener depuis 1919-1920 en faveur des métayers du territoire de Caltanissetta, dans la continuité des fermages collectifs de la période préfasciste32.
37Au-delà des clivages politiques, une quatrième société complète, dans cette histoire, le panorama coopératif, témoignant de la plasticité à laquelle se prête cet outil. La genèse de la « pseudo-coopérative33 » San Michele, dont il est ici question, semble en effet répondre à d’autres préoccupations que l’encadrement des revendications paysannes. Non seulement elle surgit soudainement, au début du mois d’octobre 1946, quand quatre demandes de concession pèsent déjà sur le domaine de Lannari, mais elle prétend de plus obtenir la gestion de la totalité du domaine, pour une durée de quatre ans, en vertu d’un accord signé directement avec le propriétaire34. Partageant le même point de vue, les autres coopératives accusent la San Michele de n’être qu’un artifice, créé par l’action coordonnée du propriétaire et des anciens gabelloti dans le but de se conformer aux normes fixées pour les terres incultes et d’éviter de la sorte que des terres soient données en concession aux organisations coopératives. Cette stratégie finit par être couronnée de succès puisque, trois ans plus tard, un rapport technique fait état de 224 hectares du domaine toujours exploités par seize familles de métayers membres de la San Michele35. Par ailleurs, celle-ci, sans engager directement le propriétaire, devient aussi un instrument de pression constant sur les autres coopératives, comme c’est le cas de La Rinascita, qu’elle attaque devant la commission provinciale en 1947 sous prétexte de retards dans les paiements36.
38La commission provinciale effectue une inspection technique dans le domaine de Lannari le 14 octobre 1946, avec l’aide d’un agronome chargé de vérifier si la demande de concession est justifiée ou non par la qualité des culturels. À cette occasion, le microcosme coopératif que nous venons de décrire figure dans sa quasi-totalité. Les présidents des coopératives San Michele, La Rinascita et Toniolo, auxquels s’ajoute le délégué de la section locale de la Coldiretti, accompagnent la visite, ainsi que deux représentants du propriétaire37. Seule la Santa Lucia n’est pas représentée.
39À cette date, la situation du domaine de Lannari peut être reconstituée grâce aux informations fournies dans les trois sources suivantes : le rapport technique rédigé par le fonctionnaire de la direction agricole de la province et les deux mémoires présentés à la commission respectivement par le propriétaire et par la coopérative Toniolo38. Le domaine a une surface totale d’environ 360 hectares et se situe à une dizaine de kilomètres de Caltanissetta, à côté de la route principale qui va vers Enna. On y trouve des maisons et des bâtiments ruraux. Selon les registres cadastraux, les sols se répartissent de la manière suivante : plus de 220 hectares de terrains à cultiver, dont 31,6 hectares de culture intercalaire avec arbres, 27 hectares d’amandiers, 94 hectares de pâturages permanents, 14 hectares d’inculte productif et, enfin, près de 4 hectares de figuiers de Barbarie. Le mémoire du propriétaire confirme ces données dans les grandes lignes, même si, en ce qui concerne les terres à semer, il a tendance à réduire à une trentaine d’hectares l’importance des sols de mauvaise qualité, pour mettre au contraire l’accent sur les surfaces arborées. Le graphique 9 présente une synthèse de la répartition et permet de comparer la qualité des sols avec l’organisation de l’exploitation et le système des cultures.
40Du point de vue de la destination des terres, à l’exception de 29 hectares qui se trouvent au bord du fleuve Salso et de 16 hectares soumis aux obligations de transformation culturale selon la loi de 1940 sur la colonisation du latifondo, le propriétaire s’occupe directement de la gestion de 15 hectares, tandis que 4 hectares de potager sont en location. Les 300 hectares restant sont loués à un contremaître qui les exploite grâce à la main-d’œuvre fournie par les membres de sa famille et par vingt-six métayers dont plusieurs habiteraient sur place. C’est précisément cette situation que la création de la coopérative San Michele prétend conserver.
Graphique 9. – Répartition cadastrale des sols, système des cultures et organisation de l’exploitation sur le domaine de Lannari (octobre 1946).

41Le système cultural suit la rotation biennale traditionnelle de la Sicile céréalière, avec alternance du blé et des cultures de rénovation, notamment les fèves ou les légumineuses fourragères comme la vesce, le trèfle ou le sainfoin d’Espagne39. Plus précisément, 232,20 hectares ont été mis en culture au cours de l’année agraire 1945-1946 et la répartition suivante résulte des informations fournies par le bureau communal de la statistique agricole : 105,20 hectares destinés au blé et 114 hectares aux légumineuses. Les pâturages permanents et les friches occupent 107 hectares, dont 20 – dans le lieu-dit Manca di Sabucina – sont labourés, puis abandonnés en 1945-1946 et jugés comme non susceptibles d’amélioration par le technicien de la commission provinciale. En revanche, la mise en culture des 87 hectares qui restent – une longue bande argileuse dans le lieu-dit Capreria – est jugée possible après des opérations de dépierrage et de défrichement. Comme l’indique la comparaison des données présentées dans le graphique 9, la surface exploitable est donc en large partie destinée à l’association du blé et des légumineuses, via des formes plus ou moins pures de métayage qui concernent l’outillage agricole et le bétail40.
42Dans le mémoire qu’il remet à la commission le 5 octobre 1946, le propriétaire confirme en grande partie le schéma du rapport technique et sa stratégie de défense met l’accent sur les investissements réalisés en vue d’une exploitation la plus rationnelle possible du domaine41. Non seulement il vante l’importance des cultures arborées (oliviers, amandiers, poiriers, etc.), mais la parcelle, soumise à la loi de 1940 sur le latifondo en Sicile, devient la preuve concrète de son engagement résolu en faveur des transformations culturales et de l’intensification productive. De plus, il s’attribue le mérite du défrichement et de la mise en culture d’environ 48 hectares, où il a pu obtenir des rendements de neuf quintaux de blé par hectare malgré la qualité assez médiocre des terres42. Grâce aux efforts qu’il a fournis, la surface non cultivée s’élèverait donc à 60 hectares seulement qui, d’après lui, ne correspondent pas à la définition d’inculte donnée dans les décrets Gullo et Segni, à moins d’adopter un critère de perfection absolue, comme l’indique l’extrait suivant :
« La formule vague et incertaine adoptée par les requérants de la Coopérative pour la concession des terres du domaine de Lannari, qualifiées d’incultes ou de mal cultivées ou jugées susceptibles d’améliorations, paraît orientée vers la recherche fébrile de cette perfection absolue qui, comme en toute chose humaine, échappe au pouvoir des hommes. Il n’y a pas de limite à la perfection, Dieu seulement est parfait43. »
43Après avoir déclaré son inquiétude pour le sort des métayers installés depuis longtemps sur le domaine, le propriétaire met finalement en avant son pragmatisme et s’ouvre au compromis. Non seulement il se déclare prêt à dialoguer avec les coopératives – comme l’accord avec la San Michele devrait l’attester – mais il en vient même à faire l’éloge d’initiatives qu’il juge « nobles et patriotiques » quand elles sont effectivement animées par le souci de mieux répondre aux besoins alimentaires de la population par des projets de réaménagement agricole et d’intensification productive. Une fois encore, à l’échelle micro comme dans les débats publics, la voie de la bonifica est la solution technique qu’on oppose à la revendication politique de la distribution des terres grâce à la réforme agraire.
44Dans un mémoire transmis à la commission, la coopérative Toniolo s’oppose nettement à la version du propriétaire44. Elle conteste la rationalité des pratiques culturales, met l’accent sur le fonctionnement irrégulier des rotations et dénonce les faibles investissements en intrants. Elle décrit en détail la situation d’abandon dans laquelle sont laissés la plupart des arbres du domaine, en l’absence des mesures d’entretien nécessaires, ainsi que la négligence généralisée des terres labourées superficiellement en 1946, dans le seul but d’échapper aux demandes de concession présentées par les organisations paysannes.
45Au-delà du détail des propos avancés par chaque partie, nous retrouvons la même volonté d’avancer des arguments techniques et prétendument objectifs tant du côté de la coopérative que de celui du propriétaire. Les deux protagonistes font appel aux mêmes outils juridiques et mobilisent les mêmes notions agronomiques, malgré des objectifs qui restent, naturellement, opposés. Quand la coopérative cherche à s’approprier un domaine qu’elle prétend inculte, le propriétaire s’efforce de prouver le bon état de l’exploitation pour conserver ses droits. Si ce dernier doit démontrer la qualité des aménagements entrepris dans le passé, la coopérative s’engage à présenter un projet de rationalisation et d’intensification des cultures, comme le fait la Toniolo qui promet de pratiquer avec régularité la rotation blé-fèves, de développer les cultures fourragères et l’arboriculture à destination du marché local, d’augmenter les rendements jusqu’à 15 quintaux de blé par hectare grâce aux travaux de labourage et d’engraissement des terres.
46Malgré ses efforts, qui lui valent la concession de 380 hectares en octobre-novembre 1946, la coopérative Toniolo ne réussit pas à obtenir une réponse positive à sa demande concernant le domaine de Lannari. La commission provinciale décide, d’une part, de conserver la location en faveur de la San Michele, d’autre part, de respecter l’ordre chronologique de la présentation des demandes. De ce point de vue, la Rinascita est prioritaire et se voit donc attribuer 110 hectares du domaine, pour une durée de neuf ans à partir de l’année agraire 1946-1947. La décision est prise par la commission le 20 octobre 1946. Elle est confirmée par le décret préfectoral du 23 octobre 1946, n° 3167, et complétée le 27 décembre par la notification officielle du cahier des charges qui définit les obligations culturales pour la société gestionnaire, dans le respect des critères fixés par la direction provinciale de l’agriculture.
47La concession Lannari en faveur de la coopérative La Rinascita est finalement composée de cinq parcelles plus ou moins proches, voire limitrophes, mais toutes situées à une dizaine de kilomètres du centre de Caltanissetta45, comme le montre la figure 15 du cahier cartographique. Il nous a été possible d’identifier avec plus de précision les trois parcelles suivantes : 23 hectares de terre argileuse et partiellement en pente dans le lieu-dit Manche di Sabucina, 40 hectares de sols de mauvaise qualité et en friche au cours de l’année 1945-1946 dans les lieux-dits Molicella et Capreria, 30 hectares de terres pauvres et abandonnées, plus 3,75 hectares de figuiers de Barbarie dans les lieux-dits Marcatello et Terremoto. Il s’agit, comme nous pouvons le constater, de terres assez pauvres et marginales, classées pour les deux tiers comme inculte productif par le cadastre et dont l’exploitation se révèle difficile. La commission semble pourtant se désintéresser de la viabilité effective de la concession octroyée car elle considère les aspects économiques de la gestion en dehors de ses compétences. En octobre 1946, La Rinascita cherche, par exemple, à obtenir 170 hectares supplémentaires sur le même domaine mais qui appartiennent à d’autres propriétaires. L’une des deux demandes est acceptée, pour une superficie de 25 hectares seulement, l’autre, au contraire, est rapidement rejetée, malgré l’évocation de la possibilité d’une opération de remembrement foncier46. D’autres demandes sont présentées dans les années qui suivent mais au final toutes obtiennent une réponse négative47.
De l’accès à la terre à l’exploitation du domaine
48Un temps plus ou moins long s’écoule, en général, entre la décision officielle en faveur de la concession et le moment où la coopérative rentre effectivement en possession des terres. Par ailleurs, comme c’est le cas pour le domaine de Lannari, la commission peut attribuer une partie seulement de la propriété concernée et l’application de ses décisions est susceptible d’interprétations qui correspondent à autant d’occasions de conflits entre le propriétaire, les nouveaux concessionnaires et les anciens exploitants. Les tensions entre ces trois acteurs ne se terminent donc pas avec le début de la gestion de la coopérative mais se poursuivent dans des controverses en apparence techniques mais qui relèvent en réalité d’enjeux politiques, inscrits dans la lutte pour le contrôle de l’accès au foncier.
49La Rinascita, par exemple, fait appel à la commission provinciale pendant l’été 1947 – peu de temps avant le début de la nouvelle année agraire – car la surface effective de sa concession est d’environ 90 hectares au lieu des 110 hectares fixés par le décret préfectoral d’octobre précédent. Elle propose d’ajouter une vingtaine d’hectares exploités par deux métayers déjà membres de la coopérative et dont la location entrerait ainsi dans la concession collective. Cette solution permettrait de ne pas occuper de surfaces supplémentaires et mettrait, dans le même temps, les adhérents sous la protection de la société dans leurs relations avec le bailleur. La commission confirme néanmoins sa manière stricte d’interpréter les effets des mesures sur les terres incultes et refuse toute ingérence ultérieure dans les rapports contractuels qui relèvent, selon elle, de la compétence exclusive du propriétaire48.
50Rédigé en juillet 1947, le mémoire présenté par La Rinascita dans le cadre de cette controverse permet de reconstruire le système d’exploitation et les formes d’organisation mis en place par la coopérative dans le cadre de la concession. Les gestions collectives sont rares et chaque surface est, en principe, lotie en parcelles de dimensions et qualités variables, qui sont attribuées aux membres sur la base de mécanismes proches de ceux appliqués par les fermages collectifs à la période préfasciste. Parfois, les paysans qui deviennent concessionnaires étaient déjà installés sur le domaine et la coopérative se contente donc d’être un outil pour l’accès au foncier, choisi en vertu des opportunités ouvertes par les mesures de 1944-1946. Nous allons, dans ce qui suit, approfondir l’examen de ces mécanismes en adoptant l’angle des ruptures et des continuités qui touchent les pratiques de gestion des terres incultes.
51Comme l’indique la carte disponible dans le cahier cartographique (figure 15), l’exploitation s’organise de la manière suivante : une parcelle de 12 hectares et le coteau de 3,75 hectares de figuiers de Barbarie sont en gestion unitaire et se situent respectivement dans les lieux-dits Molicella et Terremoto ; pour le reste la concession se divise en 38 parcelles dont la surface varie entre 0,5 et 5 hectares, avec l’exception d’un lot qui mesure 12 hectares. Les champs sont, en général, coupés dans leur longueur, ce qui produit des parcelles rectangulaires qui « s’allongeaient souvent sur des sols fort variés [et qui – comme dans des contextes très différents – devenaient] l’élément d’égalisation des parts primitives, en permettant tout le jeu possible de compensations49 ». Dix lots, avec une surface moyenne légèrement supérieure à 2 hectares, sont ainsi constitués sur les sols de mauvaise qualité du lieu-dit Capreria, et dix autres, d’une taille variant entre 2 et 3 hectares, occupent des terres apparemment meilleures dans le lieu-dit Manche di Sabucina. Les abords du fleuve Salso sont, en 1946, dans une situation d’abandon qui explique peut-être la grande hétérogénéité des dix-huit lots constitués, dont les surfaces varient de quelques ares à 4 hectares mais dont la moyenne s’élève à 1,5 hectare environ.
52En excluant pour l’instant la parcelle de 12 hectares située dans le lieu-dit Molicella, les lots constitués dans le domaine de Lannari sont d’une superficie de 2 hectares en moyenne et sont attribués à trente paysans. La parcelle dont ils obtiennent la gestion – d’une taille moyenne de 2,5 hectares – consiste normalement en un seul lot, plus rarement en deux ou trois du fait de compensations prévues dans les cas de fragmentation excessive. Dans le tableau 17, nous avons croisé les chiffres sur les classes de surface avec les informations disponibles sur la qualité des sols50.
Tableau 17. – Organisation de la concession de La Rinascita en faveur de ses membres en 1947.

53* L’indice de qualité varie entre 1 et 4 sur une échelle décroissante où la valeur 1 correspond aux terrains de meilleure qualité et la valeur 4 aux sols de mauvaise qualité.
54La coopérative La Rinascita attribue à ses membres des parcelles dont la taille se situe, pour presque la moitié, entre 2 et 3 hectares, bien que 20 % du total des parcelles dépasse à peine 50 ares. Combinant ces résultats avec les données relatives à la qualité des sols, on constate que les terres de meilleure qualité figurent dans la classe de surface de 3-4 hectares. Reste toutefois à vérifier l’existence d’une éventuelle relation entre les dimensions des lots et leurs caractéristiques.
55On peut faire une première hypothèse qui voudrait que la relation entre la taille et la qualité des parcelles soit inverse, c’est-à-dire que plus la concession est grande moins ses terres sont de bonnes qualités et inversement. Sur la base des chiffres du tableau 17, cette hypothèse semble confirmée pour les classes de surface jusqu’à 3 hectares où la taille s’accroît alors que la qualité des sols se réduit progressivement. Le graphique 10 représente l’interaction entre les deux variables tant pour les lots issus de la fragmentation du domaine de Lannari, que pour les parcelles constituées à partir de l’éventuel regroupement de plusieurs lots donnés en concession aux membres de la coopérative. Pour la première catégorie – les lots attribués directement sous la forme de concession –, l’hypothèse de la proportionnalité inverse semble vérifiée mais cette relation devient beaucoup moins évidente si on complète l’échantillon avec les lots soumis par la suite à une opération de remembrement. En effet, l’analyse des parcelles constituées par l’agrégation de plusieurs lots semble aller dans une direction différente : des terres hétérogènes sont réunies dans le but de bénéficier d’une surface plus importante pour atteindre un équilibre viable en termes de qualité. Au final, aucune relation univoque ne paraît identifiable mais des informations intéressantes sont fournies par la comparaison entre l’indice de qualité des nouvelles parcelles, calculé sous la forme d’une moyenne arithmétique, et l’indice pondéré en fonction de la taille de chaque lot faisant l’objet du regroupement. En général, la pratique de la constitution de nouvelles parcelles, entre 3 et 6,5 hectares, obéit à un schéma où les terres de bonne qualité sont associées à d’autres moins productives et plus fragmentées.
Graphique 10. – Diagramme combinant la dimension et la qualité des lots constitués par La Rinascita dans le domaine de Lannari, distinguant quatre catégories différentes de concessions individuelles.

56On peut avancer une deuxième hypothèse, qui vise à mettre en relation la qualité des terres obtenues par chaque membre avec l’importance de l’engagement de ceux-ci dans la coopérative. Il s’agit, naturellement, d’un aspect relativement difficile à définir et encore plus complexe à mesurer. Le degré de participation au patrimoine sociétaire pourrait, sur le principe, être un indicateur ; il se révèle pourtant inconsistant à l’épreuve des faits. En revanche, des observations intéressantes émergent lorsque l’on examine la date à laquelle les paysans-concessionnaires adhèrent à la société. Dans le graphique 11, nous avons croisé cette information chronologique avec l’indicateur de la qualité par hectare51 et cela nous a permis de dégager trois phases différentes. La première et la dernière, identifiées par les deux lignes rouges, sont les deux phases les plus importantes. Elles correspondent respectivement à la date de création de la coopérative La Rinascita, le 21 janvier 1945, et à celle de l’attribution du domaine de Lannari de la part de la commission provinciale pour les terres incultes, le 20 octobre 1946. Neuf des futurs concessionnaires adhèrent à la société entre janvier et février 1945, trois vers février 1946, mais plus de la moitié – seize au total – ne deviennent membres qu’à partir du mois d’octobre. L’ancienneté de l’adhésion à la coopérative ne facilite pas l’accès aux terres de bonne qualité. Assez paradoxalement, la situation semble l’inverse, c’est-à-dire que les nouveaux sociétaires obtiennent plus finalement les meilleures terres.
57De plus, parmi les trente-et-un concessionnaires qui, en juillet 1947, sont installés sur le domaine de Lannari par La Rinascita, neuf figuraient déjà parmi les exploitants du domaine, d’après la liste des dix-huit métayers fournie par le propriétaire à la commission, en octobre 1946. Sur la base des registres des membres de la coopérative52, nous pouvons aussi avancer que cinq individus, issus de trois familles d’anciens métayers du domaine figurent parmi les bénéficiaires de la redistribution opérée par la coopérative. Bien avant la création de celle-ci, quatorze des futurs concessionnaires étaient donc déjà engagés, directement ou de par leur famille, dans l’exploitation des terres du domaine et, sauf deux fils de métayers inscrits dès le début, aucun d’entre eux n’adhère à La Rinascita avant la mi-octobre 1946. Du point de vue des stratégies des acteurs, ce choix peut se comprendre comme la tentative d’accéder à la terre grâce aux instruments rendus disponibles par la législation Gullo et Segni. Mais comment expliquer cette adhésion tardive ? Deux hypothèses sont envisageables. Soit les paysans n’ont pas adhéré avant afin d’éviter un éventuel conflit avec le propriétaire, soit ils se sont décidés à l’automne 1946 en raison du nouveau contexte qui voit la concession de la terre se faire en faveur de la coopérative. Ces considérations nous encouragent à poursuivre l’analyse des modalités d’organisation et de gestion mises en place dans le domaine.
Graphique 11. – Diagramme combinant la date d’adhésion à La Rinascita et l’indicateur de qualité pour les concessions constituées dans le domaine de Lannari.

58Les démarches entreprises s’inspirent, en effet, des pratiques d’intermédiation collective qui existaient auparavant. La coopérative donne voix aux petits agriculteurs contre les mécanismes de subordination mais, souvent, elle se montre frileuse devant tout changement radical, préférant éviter les rivalités potentielles entre anciens et nouveaux exploitants. Via la concession, elle tend ainsi à conforter les paysans dans la position qu’ils occupaient au sein du domaine.
59Plutôt qu’imposer ses hommes, en courant le risque d’être perçue comme un nouvel acteur des anciens mécanismes clientélistes, La Rinascita cherche, dans la mesure du possible, à incorporer dans ses structures les forces déjà en place, dans une perspective réciproquement avantageuse : d’un côté, les concessionnaires n’obtiennent pas la terre en propriété mais voient leur pouvoir contractuel temporairement renforcé par l’effet de l’action collective ; de l’autre côté, la société peut aspirer à renforcer sa légitimité auprès de la population locale ainsi que des propriétaires et des pouvoirs publics53. Par le biais de la coopérative, les agriculteurs souhaitent donc s’emparer des clés de la régulation du système agraire, plutôt que détruire les mécanismes existants de manière radicale : il s’agit d’une stratégie de transformation souple, tout à fait cohérente avec les projets de modernisation générale revendiqués par les syndicats professionnels et avec la volonté de garantir des réponses conjoncturelles mais potentiellement capables d’influencer les relations contractuelles de manière durable. La contestation de la nature économique du latifondo précède celle de ses fondements juridiques, car « la réclamation des terres, quel que soit son caractère révolutionnaire objectif, n’exige aucune remise en question idéologique de la forme existante de légalité54 ».
60En raison aussi de l’avancement de l’année agraire, l’hypothèse est donc qu’en 1946-1947 La Rinascita choisit d’organiser la concession suivant le système d’exploitation déjà en place dans le domaine de Lannari, ce que semble confirmer l’existence de la parcelle de 12 hectare dans le lieu-dit Molicella. Cette solution de compromis introduit pourtant une discrimination en faveur d’un nombre limité de sociétaires qui obtiennent des parcelles de taille acceptable. Les autres se voient, au contraire, confiés des lots de dimensions risibles, pouvant seulement constituer des sources de revenus complémentaires en plus de ceux qu’ils perçoivent de l’exploitation d’autres terres dont ils étaient déjà propriétaires, fermiers ou concessionnaires en vertu d’autres attributions coopératives.
61Au fil des années, la coopérative semble toutefois renforcer sa capacité d’influence sur l’administration du domaine en concession. Les archives de La Rinascita nous permettent, de ce point de vue, de comparer la situation de 1947 avec le plan des parcelles pour l’année agraire 1950-195155. Non seulement la surface totale est passée de 90 à 104 hectares mais, comme l’indique le tableau 18, les parcelles sont beaucoup plus homogènes quant à leur taille et, à trois exceptions près, les cinquante-sept adhérents installés détiennent une seule parcelle chacun, d’une dimension variant entre 70 ares et 2 hectares. Ce dernier chiffre constitue d’ailleurs à la fois le seuil maximal et la surface standard des deux tiers des parcelles attribuées.
Tableau 18. – Organisation de la concession de La Rinascita en faveur de ses membres en 1950.

62Il est intéressant de constater que vingt-et-un concessionnaires enregistrés en 1947 conservent leur position trois ans plus tard, dont les neuf métayers qui travaillaient sur le domaine avant l’avènement de la gestion par la coopérative. Cependant, si au cours de la première année de la nouvelle gestion, ceux-ci détenaient 69 hectares, c’est-à-dire plus de 80 % de la concession, en 1950 ils contrôlent moins de 40 % de la surface totale. Cette considération mérite d’être précisée, par la prise en compte du cadre familial.
63Si nous n’avons pas la possibilité ici de rentrer dans le détail des mécanismes d’entraide et de collaboration entre foyers liés par des relations de parenté, les sources permettent néanmoins de vérifier si, par rapport à 1947, la fragmentation enregistrée en 1950 est réelle ou résulte d’un simple changement de perspective. Cela correspond-il à la volonté d’influencer les pratiques de gestion de manière progressive, par étapes ? Ou bien s’agit-il d’une conséquence pure et simple d’un effet de cycle de vie, qui conduit un certain nombre de fils, auparavant inclus dans l’exploitation parentale, à revendiquer leur droit à la concession d’une parcelle indépendante ?
64Croisant la documentation des concessions avec les registres de La Rinascita, nous pouvons affirmer que des liens familiaux existent pour quarante-quatre56 des soixante-sept assignataires enregistrés en 1947 et en 1950. En procédant au « remembrement » sur la base du groupe familial, on assiste à une croissance des superficies totales qui passent de 21 individus et 65 hectares, en 1947, à 40 individus et 73 hectares, en 1950. En revanche, la surface moyenne des lots, qui passe de 3,0 à 1,8 hectares sur l’arc temporel considéré, diminue significativement. Pour comprendre le sens de ce phénomène, nous avons suivi l’évolution de onze groupes de parenté, dont au moins un des membres était présent à la fois dans la première et dans la deuxième liste nominative des concessions gérées par La Rinascita. De plus, sept groupes parmi eux sont constitués par des familles de métayers installés sur le domaine de Lannari avant l’arrivée de la coopérative. Voici donc l’exemple d’un paysan qui, en 1947, est le seul de sa famille à détenir 6,5 hectares réduits à 2 hectares en 1950 quand son frère et son fils s’installent également avec des lots équivalents, pour un total de 6 hectares. Citons encore l’exemple de 12 hectares attribués en 1947 à un seul assignataire qui, trois ans plus tard, n’obtient que trois parcelles de 2 hectares chacune, pour lui et pour ses deux fils.
65Si des inégalités subsistent parmi les différentes familles, elles sont beaucoup plus accentuées en termes de surface totale par groupe que du point de vue de la surface moyenne par unité de travail. En attribuant des lots d’une dimension standard de 2 hectares, la coopérative formalise donc un mécanisme déjà en place, qui cherche à équilibrer la quantité de terre en fonction de la capacité productive de chaque famille. Elle sert donc de régulateur contre les risques d’accaparement du domaine en gestion par quelques individus car, si cette solution accentue la fragmentation, elle garantit, en même temps, un accès plus large aux terres de la concession Lannari. Les familles des anciens métayers du domaine ne semblent profiter ici d’aucun avantage particulier et, comme les autres, elles obtiennent une quantité de terre en fonction du nombre de membres de leur famille en âge de travailler. Cependant, en plus de l’outil coopératif tel que nous venons de le décrire, d’autres éléments introduisent des facteurs de discrimination : le marché foncier ordinaire et les lois, dites de réforme agraire, en 1950.
L’assaut sans répit contre l’inculte
66L’opposition culte-inculte constitue l’enjeu central des luttes agraires dans les campagnes siciliennes de la fin des années 1940. Doté d’une grande puissance d’évocation, surtout dans des contextes marqués par le chômage et par les inégalités foncières, l’« espace inculte [finit ici par incarner la] permanente agression contre la propriété et le travail57 ». Cependant, chaque situation fait l’objet d’une négociation en fonction du système agraire, des conditions conjoncturelles et de l’équilibre des rapports de force. Les définitions techniques perdent ainsi leur caractère prétendument universel et les mêmes outils juridiques servent des finalités apparemment incompatibles.
67Désigner une terre comme « inculte » devient un moyen de pression sur celui qui possède cette terre et une façon de remettre en cause la légitimité de ce droit. Renforcé par les décrets Gullo et Segni, le principe s’affirme selon lequel détenir une terre implique des obligations en termes d’exploitation. Les coopératives fonctionnent comme un vecteur de ce nouvel impératif auprès des acteurs des luttes agraires mais, de manière un tant soit peu paradoxale, les rôles entre coopératives et propriétaires peuvent finalement se renverser. Comme nous l’avons souligné plus haut, après avoir subi cet argument pour justifier la concession, c’est au tour du propriétaire d’accuser la coopérative de négliger l’exploitation, dans sa tentative de récupérer les propriétés soumises aux effets des mesures de 1944-1946. Le cahier des charges, contenant la liste des obligations culturales fixées par la direction provinciale de l’agriculture, devient alors la principale menace brandie contre les coopératives.
68À partir de juin 1948, par exemple, le propriétaire de Lannari fait appel à la commission provinciale pour les terres incultes afin d’obtenir la révocation de la concession de 110 hectares en faveur de La Rinascita. Parmi les raisons qui justifient sa demande, il est intéressant de voir figurer les fautes qui lui avaient été imputées deux ans plus tôt : de graves insuffisances dans les opérations d’entretien, la non-rationalité des pratiques culturales, l’absence de systèmes d’exploitation permettant l’intensification productive58. Des dommages durables sont dénoncés, ainsi que la vente frauduleuse d’une parcelle faisant partie de la concession et l’occupation d’une terre en jachère louée à la coopérative San Michele. L’absence de travaux de réaménagement foncier et de projets pour l’implantation de nouvelles cultures commerciales est avancée comme preuve supplémentaire de la situation d’abandon de la concession, tout comme le fait de n’en exploiter que 89 des 110 hectares formellement attribués.
69Ce n’est plus le rentier de la terre qui se trouve sur le banc des accusés mais la coopérative La Rinascita, que le mémoire du premier présente comme une initiative velléitaire, dépourvue tant de ressources que de gestion rationnelle, incapable d’offrir un équipement technique approprié et déchirée par des conflits internes à un point tel que plusieurs membres, installés sur le domaine depuis des générations, seraient prêts à quitter la société pour revenir à leurs anciens contrats de métayage. Étant donné ces incapacités manifestes, la coopérative est donc accusée d’avoir invoqué les besoins alimentaires de la population locale pour son propre intérêt, violant ainsi le principe inscrit dans le premier article du décret Gullo de 1944 qui autorise la mise en culture des terres dans le seul but de l’intensification productive nécessaire pour soutenir la reconstruction nationale59.
70À l’instar du mémoire du propriétaire, celui que la coopérative remet à la commission60 fait appel à tous les arguments juridiques et techniques afin de prouver l’illégitimité de la demande de révocation. D’abord, elle souligne que, d’après le décret Segni de 1946, seule l’inexécution totale des obligations prévues ou des infractions graves, compromettant l’exploitation de manière globale, peuvent justifier l’annulation d’une concession. Toutes les terres en gestion ont par ailleurs été mises en culture aux cours des deux années précédentes et les obligations de rotation des parcelles destinées au blé ont été respectées ainsi que les apports d’engrais nécessaires à la fertilisation des sols. L’acquisition de la terre en jachère par la San Michele est niée, alors que la vente frauduleuse du pâturage est admise mais imputée à l’initiative privée d’un membre, expulsé par la suite en raison de sa conduite. La Rinascita, enfin, proteste de l’impossibilité d’accéder à l’ensemble des terres obtenues en concession et justifie ainsi l’auto-réduction pratiquée par le montant du bail dû en 1946-194761.
71Dans sa réponse, la coopérative conteste point par point les accusations de négligences du propriétaire. Toutefois, suite à la visite du domaine, le technicien de la direction provinciale de l’agriculture rédige un rapport à destination de la commission, où il confirme plusieurs insuffisances par rapport aux obligations fixées par le cahier des charges : les retards généralisés dans les travaux d’aménagement promis sur les friches font ainsi contrepoids à l’exploitation correcte des terres de bonne qualité dans le lieu-dit Manche di Sabucina62.
72Le conflit qui se joue devant la commission pour les terres incultes de la province de Caltanissetta n’est pourtant pas de nature strictement économique et cela explique l’acharnement réciproque pour des surfaces dont tous semblent finalement admettre l’assez mauvaise qualité. Aux yeux du propriétaire, l’attaque que les paysans mènent par le biais de la coopérative est un défi à son statut social et la concession autorisée s’apparente à un échec symbolique. Contre la nature éphémère de toute forme de culture en commun, il met l’accent sur les vertus de la gestion précédente et sur les projets de renouvellement que celle-ci peut promouvoir dans le futur. Si son ton reste mesuré contre une initiative qu’il juge populiste et qu’il accuse de participer à la subversion communiste, il ne manque pas d’ironiser sur les velléités et les gaspillages de ressources qui pourraient trouver meilleur emploi ailleurs. Il ressort néanmoins de sa rhétorique tout son mépris pour une expérience qu’il considère comme vouée au désastre et à « reproduire le geste d’Icare63 », tel qu’il l’affirme.
73Alors que le propriétaire défend son patrimoine contre une concession temporaire et qu’il craint de perdre définitivement en cas de réforme agraire, la coopérative doit prouver sa capacité à incarner les aspirations des paysans pour des terres qu’ils occupent depuis longtemps en tant qu’exploitants. À cette fin, et avec le soutien de la fédération régionale Unione siciliana delle cooperative agricole (USCA)64 dont elle fait partie, La Rinascita choisit en février 1949 de mettre en avant son rôle de corps intermédiaire entre les dynamiques sociales et les institutions publiques65. Si l’ancien propriétaire présente son retour comme la seule alternative possible afin de garantir la viabilité du domaine de Lannari, la coopérative défend la rationalité de sa gestion, souligne les relations solides qu’elle entretient désormais avec des organismes bancaires tels que le Banco di Sicilia, offre comme garantie l’assurance souscrite contre les risques de retard ou de non-paiement du bail. À côté des engagements économiques, elle se vante également d’avoir entrepris des efforts d’amélioration et de transformation agricole, comme l’implantation d’un vignoble et de 250 arbres de types différents (oliviers, amandiers, poiriers, etc.).
74Voulant être considérée comme un interlocuteur crédible auprès des instances du territoire de Caltanissetta, La Rinascita préfère mener bataille en maniant les armes juridiques à sa disposition plutôt que recourir à l’affrontement social. Initialement, elle se limite donc à défendre les positions acquises mais, face aux attaques du propriétaire et compte tenu de la conjoncture nationale, à savoir la préparation de la grande offensive du mouvement paysan de l’automne 1949, elle décide de se lancer de nouveau dans une stratégie offensive et, en mai, dépose une demande pour obtenir la concession des 250 hectares restant du domaine de Lannari, loués à la coopérative San Michele. Une fois encore, les notions de culte et d’inculte sont mobilisées pour des enjeux de nature politique, bien que présentés sous une forme technique. Par rapport à l’immédiat après-guerre, la situation s’est pourtant modifiée car la commission interprète désormais de manière différente son rôle d’arbitre dans les conflits agraires : elle veut accompagner les concessions actives vers une officialisation mais, dans le même temps, elle est déterminée à éviter toute ouverture de nouveaux conflits potentiels. Le 10 août 1949, la nouvelle demande est donc rejetée, malgré la tentative de La Rinascita d’invoquer un remembrement utile à la rationalisation de la concession déjà en cours. La même demande est présentée l’année suivante et subit le même sort.
75Entretemps, le climat entre le propriétaire et la coopérative se détériore de plus en plus. La seconde, par exemple, procède à l’expulsion de six membres qu’elle accuse d’avoir ressemé du blé sur des sols destinés à la rotation, violant de la sorte les critères fixés par la direction de l’agriculture66. Elle indique aussi que l’un des pâturages, objet de la vente frauduleuse évoquée plus haut, a été racheté par le frère du président de la société San Michele qui possède en bail une partie du domaine. Enfin, elle porte plainte contre le propriétaire considéré comme le commanditaire des dommages causés par des inconnus aux figuiers de Barbarie dont l’état de négligence a toujours été imputé à La Rinascita67.
76La solution du conflit autour du domaine de Lannari survient en deux moments successifs. Dans un premier temps, le 16 février 1950, la coopérative verse les montants qui sont dus au propriétaire pour la concession68. Dans un second, le 5 juillet 1951, la commission provinciale se prononce pour le rejet formel de la demande de révocation, présentée trois ans plus tôt. La concession conserve par ailleurs son caractère temporaire, alors que les lois de la réforme foncière de 1950 bouleversent de manière définitive les conditions à l’origine des coopératives d’exploitation des terres incultes et favorisent la petite propriété, plus ou moins viable, mais en tout cas individuelle. De plus, elles accentuent la précarité et les contraintes imposées aux formes collectives de gestion du foncier. Le domaine de Lannari subit lui aussi les conséquences de cette importante transformation.
Les coopératives entre réforme agraire et accompagnement de la petite propriété paysanne
77L’expérience des coopératives d’affermage était ancrée dans le système agraire du latifondo à un point tel que le déclin de ce système correspond dans les faits à la fin de celles-ci. D’ailleurs, le modèle de développement du secteur primaire participe désormais de l’intensification productive et condamne les formes d’exploitation extensives. Dans les campagnes pauvres du Mezzogiorno, la phase de transition qui s’ouvre est guidée par ces nouveaux impératifs. Elle conduira certains, parmi les actifs agricoles, à s’installer comme exploitants et la plupart à choisir la voie de l’émigration, pour s’embaucher comme ouvriers dans les usines du nord du pays ou à l’étranger69.
78C’est aussi la relation des agriculteurs avec les formes de l’organisation collective en milieu rural qui se modifie progressivement. Le cadre institutionnel joue sur cette question un rôle crucial. Si les coopératives qui œuvrent sur les terres incultes sont nées grâce aux décrets des deux après-guerres et si les fermages collectifs du début du xxe siècle ont servi de médiateurs dans l’accès au crédit et dans les relations avec les pouvoirs publics, une rupture intervient à la fin des années 1940 quand les formes directes d’accès au foncier sont privilégiées. Deux nouveautés législatives sont à l’origine de cette nouvelle tendance : le décret du 24 février 1948, n° 114, devenu par la suite une loi, destiné à encourager par des avantages financiers et fiscaux la formation de la petite propriété paysanne et les trois lois de 1950, traditionnellement identifiées à la réforme agraire italienne70.
79Avec la fin du conflit, le marché foncier ordinaire reprend de manière lente et non linéaire. La perte de valeur de la rente foncière, l’augmentation du coût du travail, les possibilités offertes par des investissements plus rémunérateurs dans d’autres secteurs ainsi que la peur de réformes radicales dérogeant aux droits des propriétaires non exploitants encouragent la fragmentation des grands domaines et facilitent les achats chez les agriculteurs. En effet, si le marché des grandes et moyennes exploitations stagne, celui des petites parcelles montre un dynamisme indiscutable, encouragé par l’approbation – deux mois avant les premières élections du Parlement républicain où la Démocratie chrétienne triomphe – du décret de février 1948 en faveur de la petite propriété. Malgré les épisodes de spéculation et la promesse, sans cesse repoussée, de la distribution des terres, les agriculteurs préfèrent saisir les opportunités ouvertes par le marché foncier et leurs demandes se focalisent surtout sur les sols de bonne qualité.
80Dans la seule province de Caltanissetta, par exemple, entre la fin de la guerre et 1952 environ, 22000 hectares sont vendus ou donnés en emphytéose à 4000 paysans et, dans les deux ans qui suivent son adoption, la mesure de 1948 garantit des aides en faveur de 2266 achats pour 7280 hectares, dont 1192 nouvelles installations sur 2365 hectares et, pour le reste, des opérations d’accroissement de propriétés préexistantes71. À la fin des années 1940, ce mouvement évolue vers une individualisation des initiatives de revendication du foncier, mais très souvent de manière complémentaire – et non concurrentielle – avec l’action des coopératives sur les terres incultes. Dans la décennie qui suit, plusieurs sociétés se montrent toutefois capables de profiter des opportunités offertes et, comme le montre le tableau 19, nous avons pu retrouver la trace de huit coopératives qui, dans la province de Caltanissetta, font appel à la mesure de 1948 et obtiennent des aides publiques pour le remboursement d’emprunts souscrits pour l’achat de 2864 hectares, lotis par leurs adhérents72.
81Si le marché ordinaire garantit la circulation des bonnes terres, la réforme foncière concerne, en Sicile, essentiellement les sols de qualité médiocre ou qui nécessitent d’importants travaux de transformation culturale. C’est là, bien sûr, un jugement global qui tend à supprimer les spécificités propres à chaque contexte, alors que l’application des mesures de 1950 n’est nullement uniforme à l’échelle du pays et que l’histoire de la mise en œuvre de la réforme agraire en Italie reste encore en grande partie à écrire73.
82La genèse des mesures destinées à distribuer les terres a au contraire suscité déjà plusieurs études, ce thème étant dominant dans les débats publics dans les années qui suivent la Libération. Deux visions s’y affrontent. D’un côté, les forces progressistes revendiquent une réforme agraire générale, c’est-à-dire une réorganisation intégrale du secteur primaire destinée à modifier, au-delà du seul aspect foncier, les rapports de force internes entre les acteurs de la filière et les relations de celle-ci avec le reste du système économique. De l’autre côté, les instances plus modérées militent pour une réforme minimale et limitée tant dans ses objectifs que dans son impact géographique. Plus pragmatiques que les partisans de la voie radicale, les représentants de cette tendance font appel à des arguments techniques et, au nom du futur de l’agriculture nationale, parviennent à imposer leur vision bien avant la conclusion des débats parlementaires, à tel point que, dès 1948, le projet d’une réforme agraire globale est considéré comme un « mythe à enterrer74 ».
Tableau 19. – Coopératives bénéficiaires d’aides publiques sur la base de la mesure de 1948 pour des achats fonciers dans la province de Caltanissetta.

83Finalement, les lois de 1950 entérinent une « refonte foncière opportuniste, partielle et localisée75 », cantonnée à un certain nombre de régions identifiées comme retardataires et focalisée sur les terres pauvres ou susceptibles de réaménagement foncier. Les nouveaux exploitants obtiennent des parcelles d’une dimension variable – fixée entre 3 et 6 hectares par la loi régionale sicilienne – qu’ils sont obligés de racheter afin de se voir formellement reconnu le titre de propriétaire. De plus, les demandes excèdent largement les surfaces disponibles, au risque d’un morcellement foncier qui condamne le caractère viable des interventions, car « 3 hectares semés avec du blé à 12 ou 15 kilomètres du village, sans route ni eau, sans aucune possibilité économique d’amélioration des cultures, c’était la même vie paysanne contre laquelle on s’était battus et à laquelle on ne voulait plus être condamnés76 ». Seule une augmentation des surfaces soumises aux effets des lois de la réforme foncière aurait permis de sortir de l’impasse mais, pour aller dans cette direction, il aurait fallu relancer la bataille politique autour de la définition de culte et d’inculte qui avait été au cœur des luttes du mouvement paysan dans les années précédentes.
84L’influence des coopératives sur la mise en œuvre des mesures de 1950 constitue par ailleurs un enjeu crucial qu’il faut observer en considérant leur capacité à orienter les stratégies des différents acteurs face à la possibilité d’une redistribution des terres. Dans le cas du domaine de Lannari, le dépouillement des registres cadastraux, pour la période 1947-1962, rend compte de 68 transactions, concernant un total de 153 parcelles et une surface de 497,59 hectares77. Dans le graphique 12, nous avons regroupé les transactions en nous fondant sur la base des quatre phases suivantes : la phase qui précède les lois de la réforme agraire (1947-1950) ; la phase de transition dans l’attente de l’application effective des mesures (1951- 1954) ; la première phase d’application (1955-1958) ; la deuxième phase d’application (1959-1962).
85Les listes nominatives des adhérents de la coopérative nous ont aussi permis d’identifier les transactions où l’acheteur est un membre de La Rinascita. Il s’agit, en particulier, de 12 opérations sur le marché foncier ordinaire, pour 44,49 hectares, et de 14 concessions établies par la réforme agraire sur 89,56 hectares. En termes relatifs, cela correspond à environ une concession sur deux, alors que, sur le marché foncier, les achats des sociétaires ne pèsent que pour 37 % des opérations et moins de 20 % de la surface totale transférée.
Graphique 12. – Nombre et surface des transferts fonciers sur le domaine de Lannari, par typologie (1947-1962).

86Avant de porter notre attention sur le rôle de la coopérative comme facteur discriminant dans l’accès à la terre, les transactions méritent d’être présentées en considérant leur évolution. Dans la phase qui précède les lois de 1950, les transactions sont rares mais significatives quant à leur taille et à l’identité des protagonistes : fin septembre 1947, un des anciens contremaîtres achète 88,63 hectares de sols de qualité moyenne ; début décembre 1950, 63,99 hectares de terres de bonne qualité sont transférés au sein même de la famille du propriétaire. Ces deux opérations réduisent la taille totale de chaque propriété et mettent à l’abri des expropriations l’essentiel du domaine. Au cours de la deuxième phase, les grands propriétaires terriens opposent des obstacles qui retardent la distribution des terres et, malgré l’interdiction légale, procèdent à des opérations de lotissement et de vente spéculative. Dans la province de Caltanissetta, 20000 hectares sont vendus aux paysans à cette époque. Le prix à l’hectare se situe autour de 300000-400000 lires, alors que la réforme fixe à 80000-100000 lires le tarif par hectare des expropriations78. Dans le domaine de Lannari aussi, 1951-1954 correspond à une période d’ouverture du marché foncier, avec vingt et un achats d’une dimension moyenne de 2 à 4 hectares, dont profitent les agriculteurs de la zone parmi lesquels on compte plusieurs membres de La Rinascita. Les achats se poursuivent mais, dès la moitié des années 1950, les concessions issues de la réforme agraire deviennent pour les paysans le principal mécanisme d’accès à la terre. Au cours de la quatrième phase, elles constituent la procédure quasi exclusive. En 1957, vingt-deux personnes ont déjà profité d’une première distribution de 114,42 hectares des terres de Lannari. Huit d’entre elles sont des sociétaires de La Rinascita qui obtiennent 41,25 hectares. Une deuxième distribution intervient en février 1960 et 66,09 hectares passent entre les mains de onze paysans, dont six membres de la coopérative qui parviennent à s’approprier 48,40 hectares.
Graphique 13. – Surface totale et rente cadastrale moyenne de 61 transactions sur Lannari.

87Dans le graphique 13, nous avons exclu un certain nombre de transferts exceptionnels en ce qui concerne leur taille et focalisé l’attention sur la soixantaine de transactions de surfaces entre zéro et 15 hectares. Ici, les concessions de la réforme agraire correspondent en général à des sols de qualité assez médiocre et leurs dimensions varient entre 3 et 6 hectares. La différence principale concerne les parcelles attribuées en 1960 qui sont constituées sur des terres de meilleure qualité. La situation se modifie sur le marché foncier ordinaire où, alors que les achats des non-adhérents sont de dimensions hétérogènes, ceux effectués par les membres de La Rinascita n’excèdent jamais les six hectares, en raison peut-être de leurs plus faibles moyens.
Tableau 20. – Accès aux terres de Lannari par les membres de La Rinascita (1947-1962).

* Le calcul de la moyenne ne concerne que dix opérations et exclut une concession de 27,15 hectares, dont le montant aurait biaisé le résultat.
88En ce qui concerne les membres de La Rinascita, la question de l’alternative entre la certitude de l’achat via le marché foncier et la promesse d’une concession future en vertu de la réforme foncière mérite d’être analysée avec plus de précision. En effet, parmi les vingt-six sociétaires devenus propriétaires de terres du domaine de Lannari au milieu des années 1950, onze ont auparavant participé à l’exploitation de ce même domaine à l’époque de la gestion coopérative de celui-ci, autorisée par la commission provinciale pour les terres incultes79. Comme l’indique le tableau 20, au lieu d’attendre l’application d’une réforme qui tarde, ceux qui avaient déjà obtenu des lots à cette période préfèrent s’installer via le marché ordinaire : une solution qui leur coûte peut-être plus cher mais qui leur permet sans doute d’avoir des garanties plus immédiates. Lorsque la réforme intervient, les concessions profitent donc en grande partie aux membres de La Rinascita qui n’avaient pas été impliqués dans la gestion de ces terres à la fin des années 1940.
89À l’aube de la grande transformation des campagnes siciliennes, les coopératives d’affermage semblent perdre leur utilité face à la fragmentation du système du latifondo sous la pression de différentes forces. Après avoir accompagné leurs adhérents à la période de l’accès progressif à la terre, elles sont appelées à redéfinir leur mission et à trouver de nouvelles modalités pour faire de l’action collective un complément des stratégies individuelles des agriculteurs. Si certaines sociétés arrivent à se mettre au service des nouveaux besoins suscités par la modernisation du secteur, la période qui avait débuté avec les fermages collectifs à la fin du xixe siècle semble définitivement close, comme le confirme l’échec, en 1947, du projet de « défascisation » et de transformation de l’Ente di colonizzazione del latifondo siciliano en centre moteur des projets d’aménagement par le biais des coopératives agricoles de travail80.
90Les lois de 1950 attribuent une place centrale aux organismes coopératifs, qui sont officiellement présentés comme un élément capable de transformer une simple refonte foncière en véritable réforme agraire. Exception faite de la loi régionale sicilienne, les mesures de 1950 imposent aux bénéficiaires de la réforme d’adhérer, pour une durée d’au moins vingt ans, aux coopératives spécialement constituées81. Tel que le tableau 21 l’indique, un nombre important de coopératives voit néanmoins le jour sur l’île sous les auspices de l’ERAS, l’organisme régional en charge de la mise en œuvre de la réforme82.
91Les nouvelles initiatives s’occupent de l’encadrement et de l’accompagnement technique des paysans concessionnaires des terres. À partir du milieu des années 1950, elles émergent souvent dans des territoires où d’autres sociétés sont déjà présentes. Si cette superposition met parfois les organisations préexistantes en concurrence avec les nouvelles, ces dernières peuvent prendre la relève des cellules locales du mouvement paysan désertées après la fin de la phase revendicative. La figure 16 du cahier cartographique permet de comparer les coopératives promues par l’ERAS sur le territoire de Caltanissetta avec celles liées à la Lega nazionale delle cooperative. Les trois provinces centrales d’Agrigente, de Caltanissetta et d’Enna – depuis toujours à l’avant-garde de la coopération sicilienne – concentrent d’ailleurs plus d’un tiers des sociétés issues de la réforme de 1950.
Tableau 21. – Surface distribuée par la réforme et coopératives de l’ERAS en 1963-1964.

92Les collines céréalières représentent donc bien la terre d’élection du mouvement coopératif agricole en Sicile mais, pour continuer à exister, celui-ci doit désormais s’adapter aux nouvelles missions d’accompagnement des agriculteurs dans les évolutions en cours. Avec la fragmentation du latifondo en tant qu’unité juridique et le refus d’envisager la gestion sociétaire comme une alternative capable de constituer des unités viables d’exploitation dans les zones pauvres du Mezzogiorno83, les coopératives cessent d’occuper leur fonction de régulateur de l’accès à la terre. Au cours des décennies suivantes, La Rinascita abandonne, par exemple, son engagement direct sur le versant de l’exploitation pour se convertir dans le stockage et la commercialisation de la production céréalière de ses adhérents ainsi que dans l’accompagnement de projets de transformation culturale du point de vue administratif et technique. Après avoir servi les aspirations des paysans confrontés au chômage et aux inégalités foncières, les coopératives affirment en définitive un rôle d’intermédiaire auprès des pouvoirs publics, des industries agroalimentaires et des acteurs de la commercialisation. Apparues à la fin du xixe siècle pour négocier avec les grands propriétaires et les contremaîtres dans des contextes marqués par les inégalités foncières et la subordination sociale, au cours des années 1950 elles sont appelées à se renouveler radicalement face au modèle de développement du secteur primaire, fondé sur la combinaison du productivisme et de l’assistance publique84.
Notes de bas de page
1 Voir les notes que Lorenzoni consacre au territoire de Caltanissetta dans sa monographie régionale Inchiesta parlamentare (Parte III, IV e V), op. cit., 1910, p. 255. En 1946-1948, l’enquête de l’INEA sur la distribution de la propriété foncière confirme la persistance de fortes inégalités : 80 % des propriétés sont en-dessous de deux hectares et occupent moins de 15 % de la surface totale, alors qu’environ deux-cent-cinquante propriétaires possèdent des domaines supérieurs à 100 hectares et contrôlent 46 % des terres : voir les données et la monographie régionale de La distribuzione, op. cit. Cette région semble aussi susciter l’intérêt des chercheurs venant de l’extérieur, telle l’anthropologue américaine Charlotte Gower Chapman qui, à la fin des années 1920, s’installe dans le village de Milocca (aujourd’hui Milena) pour mener une recherche de terrain sur le modèle des travaux de Robert Redfield sur les communautés paysannes : voir Chapman C. G., Milocca. A Sicilian Village, Cambridge-Londres, Schenkman Publ. Co., 1971, ainsi que la nouvelle enquête, réalisée dans les années 1980, Pasqualino C., Milena. Un paese siciliano sessant’anni dopo, Naples, Edizioni scientifiche italiane, 1990.
2 Sur l’histoire du mouvement catholique dans la province, voir en particulier les travaux de Cataldo Naro et les recherches menées dans le cadre du Centro studi sulla cooperazione Arcangelo Cammarata de San Cataldo. Sur l’action des socialistes en faveur des mineurs de la région, voir Procacci G., « Movimenti sociali », art. cit.
3 Plusieurs épisodes confirment le climat de tension dans la province et sont cités, par exemple, dans les rapports réalisés dans le cadre des travaux de la première commission parlementaire antimafia : voir les extraits publiés dans Mafia e potere politico. Relazione di minoranza e proposte unitarie della commissione parlamentare d’inchiesta sulla mafia, Rome, Editori Riuniti, 1976. Francesco Di Bartolo a retracé dans le détail l’histoire exemplaire d’un grand domaine appartenant à ce territoire, Mussomeli, dans l’ouvrage récemment paru, Di Bartolo F., Nel latifondo siciliano. La violenta trasformazione del feudo Polizzello (1920-1964), Catane, Villaggio Maori Edizioni, 2014.
4 Du côté démocrate-chrétien, un rôle crucial est joué par Salvatore Aldisio, premier préfet de Caltanissetta au moment de la Libération et qui deviendra ensuite haut-commissaire pour la Sicile lors de la phase de transition, en 1944-1946. Pour un profil biographique de cette figure, voir l’ouvrage récent de Vecchio Verderame D., Salvatore Aldisio. Un’esperienza politica, Gela, Centro studi Salvatore Aldisio, 1999. Du côté communiste, les luttes paysannes de la province font émerger plusieurs jeunes cadres de l’organisation, destinés à une carrière tant locale que nationale, dont le plus connu est sans nul doute Emanuele Macaluso. Voir les témoignages réunis dans Vitale F. P., La memoria dei comunisti nisseni, Palerme, Istituto Gramsci Siciliano, 1988.
5 La coopérative La Rinascita est fondée en 1945 à Caltanissetta, puis transférée à Mazzarino en 1996. Proche du PCI, elle figure parmi les protagonistes des luttes agraires de la province, au cours des années 1940-1950, mais elle poursuit ses activités après la fin de la phase de mobilisation et, encore aujourd’hui, continue à œuvrer en faveur des agriculteurs de ce territoire.
6 Le profil optimal de ces gestions collectives est estimé à 1000 hectares de surface et doté d’un équipement moderne composé d’un tracteur et d’une batteuse, auxquels s’ajoute l’accompagnement permanent d’un conseiller technique. Voir à ce sujet le document officiel produit en 1947 par la Federterra sicilienne, c’est-à-dire la fédération syndicale proche du PCI, publié en annexe de Marino G. C. (dir.), A cinquant’anni dalla Riforma agraria in Sicilia, Milan, Franco Angeli, 2003, p. 325-329.
7 ASCL, Tribunale civile di Caltanissetta, Sezione specializzata agraria, b. 6, f. 47 (1947), Mémoire présenté par l’avocat du propriétaire du domaine Giffarrone e Bifaria (notre traduction).
8 ACLR, Acte de constitution de La Rinascita rédigé le 21 janvier 1945 à Caltanissetta et enregistré par le notaire à Mazzarino le 25 du même mois. Parmi les figures principales, nous avons déjà cité Saverio Baio Mazzola, président de la coopérative pendant trente ans et, dans le même temps, membre des organes de direction de la fédération communiste locale et de la fédération professionnelle des petits agriculteurs. Voir Vitale F. P., La memoria, op. cit., et Oddo G. (dir.), Movimento contadino e questione agraria nel Nisseno. I dieci anni di attività della Confederazione italiana coltivatori, 1977-1987, Monreale, La Zisa, 1988.
9 ACLR, Assemblée générale du 22 août 1954 qui approuve à l’unanimité la nouvelle version du statut. Il nous a été malheureusement impossible de retrouver le document établi en 1945.
10 ACLR, Assemblées du 22 août 1954 et du 13 mai 1996 qui allongent d’abord la durée de la société à cinquante ans, puis la reconduit jusqu’au 31 décembre 2050.
11 ACLR, Acte de fondation et registre des membres de la coopérative.
12 Née en 1944 à l’initiative de Paolo Bonomi, la Federazione nazionale dei coltivatori diretti, ou Coldiretti, est la seule organisation qui décide de se situer en dehors du pacte d’unité syndicale réunissant toutes les forces du front antifasciste. Revendiquant l’identité spécifique de la catégorie de la petite et moyenne paysannerie, elle se situe dans la continuité de la tradition de l’engagement social catholique, même s’il ne faut pas oublier que sa vocation ruraliste récupère, dans le même temps, une partie de la structure syndicale agricole héritée de la période fasciste. Il n’existe pas encore une histoire complète de la Coldiretti mais, pour avoir une perspective d’ensemble du parcours de ce syndicat, voir Mottura G., « Il conflitto senza avvenire. Contadini e strategia ruralista nella storia della Coldiretti », in P. P. D’Attorre et A. De Bernardi (dir.), Studi, op. cit., p. 491-528, La Palombara J. G., Interest Groups, op. cit., et Rossi E., Viaggio nel feudo di Bonomi, Rome, Editori Riuniti, 1965. Pour une analyse des continuités entre l’après-guerre et la période précédente, voir D’Attorre P. P., « Le organizzazioni padronali », in P. Bevilacqua (dir.), Storia. III, op. cit., p. 703-732 et pour un portrait des organisations de gauche du syndicalisme agricole dans la seconde moitié du xxe siècle, voir les trois volumes de Trent’anni di storia italiana attraverso le lotte nelle campagne. Raccolta di documenti della Federbraccianti-CGIL, Rome, Editrice Sindacale Italiana, 1978, et l’ouvrage récent Bernardi E., Nunnari F. et Scoppola Iacopini L., Storia della Confederazione italiana agricoltori. Rappresentanza, politiche e unità contadina dal secondo dopoguerra ad oggi, Bologne, Il Mulino, 2013.
13 IGS, Federazione del PCI di Palermo, b. 51, f. 10, Rapport de la commission agraire de la fédération de Caltanissetta (août 1952).
14 Il faut préciser que, pour des raisons de simplicité, nous avons identifié les saisons de la manière suivante : hiver (janvier-mars), printemps (avril-juin), été (juillet-septembre), automne (octobre-décembre). Cette division nous permet avant tout d’éviter une superposition des années. De plus, dans une région où le bail annuel arrive à son terme le 31 août, nous pouvons distinguer avec facilité les concessions autorisées jusqu’à la fin du mois de septembre et celles autorisées à partir du mois d’octobre.
15 ACS, Presidenza del Consiglio dei ministri, anni 1948-1950, f. 3-1-1 n. 14505, sf. 5, Patto di concordia e di collabolazione. Le pacte est signé le 6 novembre 1946 en présence des directions agricoles locales et grâce à la médiation de Giovanni Selvaggi, haut-commissaire en charge des affaires régionales. Les organisations syndicales signataires sont l’Unione Regionale Agricoltori, représentant les grands propriétaires, et, pour le mouvement paysan, la Coltivatori diretti, catholique, ainsi que la Federterra à gauche. Voir Renda Francesco, « Il movimento contadino », art. cit., p. 638-639.
16 Voir le document reproduit dans Marino G. C. (dir.), A cinquant’anni, op. cit., p. 325-329.
17 Pour une analyse des cycles des luttes paysannes dans la province de Caltanissetta, voir Mignemi N., « Peasant cooperatives », art. cit.
18 ASCL, Tribunale, cit., b. 1, f. 5 (1945), Lettre du propriétaire du domaine Turolifi à la commission provinciale du 11 juin 1945 (notre traduction). Des arguments semblables sont mobilisés dans ibid., b. 3, f. 8 (1946), rapport technique du 25 novembre 1946.
19 Ibid., b. 6, f. 49 (1947), Mémoire du 6 septembre 1947 présenté par la propriétaire de Giffarrone (notre traduction).
20 Ibid., b. 6, f. 46 (1947), Mémoire du 31 juillet 1947, présenté par le propriétaire du domaine de Stretto.
21 Voir la description donnée par Schifani à propos des modes de gestion de la coopérative agricole de Piana degli Albanesi, dans Schifani C., « Sulla cooperazione », art. cit., p. 83-86.
22 Voir Montagno Capuccinello S., Le cooperative agricole ad affittanze collettive nel recente dopoguerra, tesi di laurea, Università degli studi di Palermo, 1951. Sur l’usage de la monographie familiale par les économistes agraires italiens à cette époque, voir Tolaini R., « I contadini italiani e le loro famiglie negli anni Trenta. Le ricerche dell’INEA di Arrigo Serpieri tra ruralismo e modernizzazione », QS, n° 2, 2010, p. 360-392 et D’Onofrio F., Observing, op. cit.
23 Pour le calcul des unités de consommation et de travail, l’auteur utilise la méthodologie définie par le manuel d’Arrigo Serpieri, destiné à la formation des jeunes économistes agraires. Voir Serpieri A., Guida, op. cit. La démarche de Serpieri a fait l’objet d’une critique récente pour la faible importance qu’il attribue au travail féminin, voir Salvatici S., Contadine dell’Italia fascista. Presenza, ruoli, immagini, Turin, Rosenberg & Sellier, 1999, p. 31-59.
24 AS FLAI-CGIL, Fondo Federbraccianti 1 (1948-1977), b. 9.6/6, f. 31, Normes relatives aux critères fixés par l’Inspection provinciale de l’agriculture de Caltanissetta au sujet des pratiques culturales (dans Gazzetta ufficiale della regione siciliana n° 56 du 22/11/1951). Voir, par exemple, l’interdiction de ressemer du blé dans la même parcelle, afin de prévenir l’épuisement des sols.
25 Voir Schifani C., « Sulla cooperazione », art. cit., p. 91.
26 Le travail de dépouillement a permis d’établir une base de données avec les informations suivantes : nom et caractéristiques du domaine concerné ; objet de la demande (concession, révocation, etc.) ; identité des acteurs mobilisés (coopératives, propriétaires, exploitants ou contremaîtres en place) ; calendrier des travaux et issue de la procédure (acceptation, rejet ou expiration de la validité de la demande).
27 ASCL, Tribunale, cit., b. 1, f. 5 (1945), Mémoire du 14 juin 1945 présenté par le propriétaire.
28 Voir le procès-verbal de la prise de possession de l’exploitation Ficodindia du 2 octobre 1945, dans ibid., b. 1, f. 5 (1945), Lettre du 15 juin 1945 adressée au président de la commission provinciale pour les terres incultes et l’état des lieux du domaine Ficodindia.
29 Ibid., b. 10, f. 24 (1949), Rapport de la coopérative Toniolo du 16 août 1949, procès-verbal de la séance du 9 juin 1949 de la commission provinciale, demande de concession présentée par La Rinascita le 27 mai 1949.
30 AS ARS, c. 11, f. 8, Rapport du groupe communiste, présenté à l’Assemblée régionale sicilienne le 3 avril 1949 à propos du projet de loi régionale n° 178 de 1948. Cette source considère que la date du 31 mai est censée procurer un délai supplémentaire aux propriétaires pour la mise en culture des terres, alors que, dans le Mezzogiorno, les travaux pour préparer les terres aux cultures céréalières commencent en général dès le mois de janvier.
31 IGS, Federazione del PCI di Palermo, b. 51, f. 10, Rapport de la commission agraire de la fédération communiste de la province de Caltanissetta (août 1952).
32 ASCL, Tribunale, cit., b. 1, f. 5 (1945), Rapport technique du 20 juillet 1945, p. 10-11. La coopérative Santa Lucia est inscrite dans les registres du ministère du Travail le 30 octobre 1938. Cette date correspond probablement au moment de la formalisation juridique, puisqu’on trouve déjà la trace de son existence dans Monografie di famiglie agricole. IX. Sicilia, op. cit., p. 81.
33 ASCL, Tribunale, cit., b. 2, f. 24 (1946), Rapport technique du 14 octobre 1946 et ibid., b. 8, f. 43 (1948), Mémoire de La Rinascita (10 septembre 1948).
34 Ibid., b. 2, f. 24 (1946), Rapport technique du 14 octobre 1946. Le contrat avec le propriétaire pour la location de Lannari est signé le 8 octobre 1946 et concerne la totalité du domaine, à l’exception de 15 hectares.
35 Ibid., b. 10, f. 16 (1949), Rapport technique de 1949 où 44 métayers sont recensés, appartenant à 16 familles formant un total de 124 individus.
36 Ibid., b. 8, f. 43 (1948), Demande de la coopérative San Michele, enregistrée le 15 mai 1947, qui réclame de surcroît une indemnisation de 179000 lires pour les travaux (labours et engrais) réalisés sur les terres en concession à La Rinascita.
37 Ibid., b. 2, f. 24 (1946), Rapport technique du 14 octobre 1946.
38 Ibid., b. 10, f. 16 (1949), Rapport de l’inspection de l’agriculture de la province de Caltanissetta (14 octobre 1946) et ibid., b. 2, f. 24 (1946), Mémoires du propriétaire (5 octobre 1946) et de la coopérative Toniolo (14 octobre 1946).
39 En raison de son importance dans l’agriculture de l’île, Renée Rochefort compare le sainfoin d’Espagne (sulla en italien) au foin en France. Voir Rochefort R., Le travail, op. cit., 1961, p. 124-126.
40 ASCL, Tribunale, cit., b. 10, f. 16 (1949), Rapport technique du 14 octobre 1946. Ce texte fait état du bétail que les métayers possèdent directement (70 ovins, 8 chèvres, 4 cochons et 21 chevaux) ou qu’ils détiennent en vertu d’un contrat de coparticipation avec le propriétaire, dit soccida (54 bovins). L’outillage agricole est également apporté soit par les métayers (5 herses, 18 charrues voltaorecchio et plusieurs charrettes), soit par le propriétaire (notamment 2 semoirs et une arracheuse).
41 Ibid., b. 2, f. 24 (1946), Mémoire du 5 octobre 1946, présenté par le propriétaire.
42 Sur la base des statistiques officielles, le rendement moyen du blé dans la province de Caltanissetta varie entre 10 et 17 quintaux par hectares suivant les zones, la qualité des sols et l’intensité des cultures.
43 ASCL, Tribunale, cit., b. 2, f. 24 (1946), Mémoire du 5 octobre 1946 (notre traduction).
44 Ibid., b. 2, f. 24 (1946), Mémoire de la coopérative Toniolo du 14 octobre 1946.
45 Ibid., b. 8, f. 43 (1948), Rapport du 31 juillet 1947.
46 Ibid., b. 3, f. 8 (1946), Demande de concession du 25 octobre 1946 de la part de La Rinascita et rapports du bureau local de la statistique agricole. La concession de 25 hectares est autorisée par la commission le 26 novembre 1946 et confirmée par le décret préfectoral du 29 novembre 1946, n° 3555.
47 Ibid., b. 10, f. 16 (1949), Rapport technique du 13 décembre 1947 et procès-verbal de la séance de la commission provinciale du 8 juillet 1948.
48 Ibid., b. 8, f. 43 (1948), Rapports techniques du 31 juillet 1947 et du 23 avril 1949.
49 Roupnel G., Histoire de la campagne française, Paris, Presses Pocket 1984 [1932], p. 164.
50 Les sols de la concession se répartissent sur la base de quatre classes de qualité différentes : près de 30 hectares de terres sont de bonne qualité (catégorie 1), environ 55 hectares sont de qualité plus ou moins médiocre (catégories 2 et 3), le reste consiste en des surfaces de nature assez secondaire (catégorie 4).
51 Cet indicateur de la qualité des terres est calculé comme rapport entre la qualité des sols et la surface totale de chaque parcelle attribuée.
52 ACLR, Società Cooperativa La Rinascita. Libro dei Soci 21/1/1945-14/4/1980.
53 Ce double rôle à la fois de défenseur des droits des travailleurs et de garant auprès des institutions se rapproche de la fonction décrite pour le Camere del lavoro dans Bruno R., « Ci chiamano barbari », op. cit., p. 79-80.
54 Hobsbawm E.J., « Peasant Land Occupations », art. cit., p. 301.
55 ACLR, Livre du conseil d’administration de La Rinascita, 4/5/1949-30/6/1954, Procès-verbal du 24 octobre 1950.
56 Sur la base du recensement des liens de parenté jusqu’au deuxième degré, nous avons enregistré 18 cas de parenté au premier degré et 29 au deuxième degré (tous reliant deux frères entre eux).
57 Rambaud P., « Le travail agraire et l’évolution de la société rurale », EtR, n° 22-24, 1966, p. 143.
58 ASCL, Tribunale, cit., b. 8, f. 43 (1948), Demande de révocation du 27 juin 1948.
59 Ibid., b. 8, f. 43 (1948), Mémoire présenté par les avocats du propriétaire et daté du 12 octobre 1948.
60 Ibid., b. 8, f. 43 (1948), Mémoire rendu à la commission le 10 septembre 1948.
61 Ibid., b. 8, f. 43 (1948), Rapport technique du 10 mai [1947]. Le document en question indique 1946, mais il s’agit sans doute d’une erreur car, dans le texte, on fait explicitement référence au décret de concession du 23 octobre 1946.
62 Ibid., b. 8, f. 43 (1948), Rapport technique du 11 septembre 1948.
63 Ibid., b. 8, f. 43 (1948), Mémoire du 12 octobre 1948 (notre traduction).
64 L’USCA naît en 1947 pour fédérer les organisations économiques du mouvement paysan proche des communistes et des socialistes, avec des fonctions de conseil juridique et d’accompagnement technique. En parallèle et via les sociétés adhérentes, elle doit œuvrer à la modernisation agricole et au développement économique des campagnes siciliennes (travaux d’aménagement, mécanisation, accès au crédit, etc.). L’expérience est pourtant vouée à l’échec deux ans plus tard, en 1949, quand elle est mise en liquidation suite aux opérations frauduleuses de son président. Cet épisode marque durablement la mémoire du mouvement coopératif agricole de l’île et il est évoqué également dans Rochefort R., Le travail, op. cit., p. 108 et 148.
65 ASCL, Tribunale, cit., b. 8, f. 43 (1948), Mémoires du 11 février 1949 et du 10 juillet 1949.
66 ACLR, Livre du conseil d’administration de La Rinascita 4/5/1949-30/6/1954, Procès-verbal du 12 mai 1949.
67 ASCL, Tribunale, cit., b. 8, f. 43 (1948), Note du 12 octobre 1948.
68 Le président de La Rinascita verse au propriétaire 61416 lires d’indemnisation pour les terres en concession, 47552 lires comme simple remboursement pour l’impôt général sur les loyers qu’il avait payés le 7 décembre 1949 au bureau d’enregistrement de Caltanissetta pour les années 1946-1947 et 1948-1949, puisque le montant de 1947-1948 lui avait déjà été remis. Voir les déclarations du propriétaire du 16 février 1950, dans ibid., b. 8, f. 43 (1948).
69 Pour un cadre général des évolutions vécues en Sicile au cours de cette période, voir Problemi dell’economia siciliana, op. cit.
70 La soi-disant réforme agraire italienne se fonde sur les trois mesures suivantes : la loi du 12 mai 1950, n° 230, dite aussi legge Sila ; la loi du 21 octobre 1950, n° 841, dite aussi legge stralcio ; la loi régionale sicilienne du 27 décembre 1950, n° 104.
71 IGS, Federazione del PCI di Palermo, b. 51, f. 10, Rapport de la commission agraire de la fédération de Caltanissetta (août 1952) et ibid., b. 36, f. 18, compte rendu du congrès de la fédération de Caltanissetta de la Lega nazionale delle cooperative (29/11/1953). Pour les données sur les effets de la mesure en faveur de la formation de la petite propriété paysanne en 1948-1950, voir Annuario statistico dell’agricoltura italiana 1947-1950, Istituto Centrale di Statistica, Rome, Tipografia Fausto Failli, 1953. En Sicile, 6523 achats sont subventionnés portant sur 22772 hectares, dont 2660 pour de nouvelles propriétés sur 9128 hectares.
72 ACS, Ministero dell’agricoltura e delle foreste. Direzione generale della produzione agricola. Divisione settima (1947-1987), b. 99, f. 1486-1495, dossiers des aides publiques au payement des intérêts sur les emprunts des coopératives pour les achats fonciers dans le territoire de la province de Caltanissetta. Les aides varient entre 3,5 % et 4,5 % pour un taux d’intérêt total de 6 % sur des emprunts de dix à trente ans.
73 Si, au-delà des débats politiques, l’histoire de la réforme agraire italienne reste encore en grande partie à écrire du point de vue des agriculteurs et des techniciens impliqués, plusieurs économistes ou sociologues ont proposé des bilans tout au long de la seconde moitié du xxe siècle, à partir de la vaste étude, sollicitée par la FAO, qui donne lieu au volume Barbero G., Riforma agraria italiana. Risultati e prospettive, Milan, Feltrinelli, 1960. À l’occasion de son trentième anniversaire, l’Istituto nazionale di sociologia rurale (INSOR) publie les deux volumes de La riforma fondiaria. Trent’anni dopo, Milan, Franco Angeli, 1979, puis sortent les actes du colloque organisé à l’occasion de la parution de l’ouvrage : voir le dossier « La riforma fondiaria trent’anni dopo » dans Rivista di economia agraria, n° 4, 1979. Parmi les publications plus récentes, voir Bonini G. (dir.), Riforma fondiaria e paesaggio. A sessant’anni dalle leggi di riforma : dibattito politico-sociale e linee di sviluppo, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2012 ; Bernardi E., La riforma agraria, op. cit. ; Bianchi T., « Riforma agraria ed economia dello sviluppo : lezioni internazionali dall’esperienza italiana », Meridiana, n° 49, 2004, p. 227-262. Bien que vieillis, nous devons également signaler Vöchting F., La questione meridionale, Naples, Istituto editoriale del Mezzogiorno, 1955 et, parmi les publications en langue française, les articles de Renée Rochefort dans la Revue de géographie de Lyon : « Réflexions à propos du partage des terres en Sicile » (n° 2, 1956, p. 99-106) et « La réforme agraire en Italie » (n° 1, 1957, p. 73-81).
74 Voir Rossi-Doria M., « Il professor Ammazzagatti », in id., Dieci anni di politica agraria nel Mezzogiorno, Bari, Laterza, 1958, p. 47-59.
75 Le Coz J., Les réformes agraires. De Zapata à Mao Tsé-toung et la FAO, Paris, PUF, 1974, p. 237.
76 Saladino G., Terra di rapina. Come un contadino siciliano può diventare bandito, Turin, Einaudi, 1977, p. 58 (notre traduction).
77 Les transferts de propriétés considérés ici se répartissent de la manière suivante : 32 échanges (226,78 hectares) sur le marché foncier ordinaire ; 33 concessions (180,50 hectares) sur la base de la loi régionale de réforme agraire ; 3 transactions en dehors du marché (90,31 hectares), c’est-à-dire conclues en vertu d’une donation ou d’un transfert de propriété à l’intérieur d’une famille. Nous disposons de la date précise pour 38 transactions, alors que les registres indiquent génériquement 1957 pour les autres, même s’il s’agit probablement d’une synthèse des transferts réalisés entre 1955 et 1957, au moment de la première phase d’application de la réforme foncière sur les terres du domaine de Lannari.
78 Voir Mafia, op. cit., p. 37.
79 Sur la base des rapports techniques, dans le cadre de la gestion du domaine de Lannari par La Rinascita, les onze membres en question contrôlaient, individuellement ou par le biais de l’exploitation familiale, 33 hectares en 1947 et 24 hectares en 1950.
80 ACS, Ministero dell’Agricoltura e delle Foreste. Direzione generale bonifica e colonizzazione. Calabria, Sicilia, Sardegna (1920-1948), b. 124, Promemoria sulle modifiche di carattere urgente da apportare alla legge 2 gennaio 1940 n° 1 su la colonizzazione del latifondo siciliano e al R. D. 26/2/1940 n° 247 su l’ordinamento dell’Ente di colonizzazione del latifondo siciliano nonché altre leggi, sur ce projet voir aussi Renda F., « La cooperazione agricola dai decreti Gullo alla riforma agraria », in O. Cancila (dir.), Storia, op. cit., p. 393-408. Un centre régional pour l’accompagnement des coopératives est créé au sein de l’Ente di colonizzazione del latifondo siciliano et rapidement liquidé suite à une décision de la Cour des comptes de juin 1947, notamment pour des raisons politiques, suite aux craintes suscitées par la nomination comme nouveau directeur de l’ingénieur Mario Ovazza, futur député régional du PCI.
81 Si la loi du 9 juillet 1957, n° 600, ouvre l’accès aux agriculteurs non-assignataires, ce mécanisme à la fois contraignant et sélectif fait l’objet de vifs débats et suscite un intérêt y compris à l’étranger. Voir, pour une contextualisation générale du phénomène Botteri T., Le cooperative nella riforma fondiaria italiana, Rome, La Rivista della cooperazione, 1961, ainsi que les deux articles suivants de Giuseppe Medici : « La cooperazione agricola nelle zone di riforma fondiaria », RdC, n° 7, 1951, p. 687-696 et « Senza la cooperazione crollerà la riforma fondiaria », RdC, n° 4, 1952, p. 366-369, parmi les publications en langue étrangère consacrées au sujet, il faut signaler Trintignac A., « Réforme agraire et implantations coopératives dans le Mezzogiorno », in H. Desroche (dir.), Planification et volontariat, op. cit., p. 127-143 et Bandini M., « Co-operatives and Agrarian Reform », International Labour Review, n° 2, 1965, p. 115-127.
82 Une source intéressante au sujet de la mise en œuvre de la réforme en Sicile est constituée par la publication Verità sull’ERAS, Palerme, Tip. La Cartografica, 1964, dans laquelle la liste complète des coopératives liées à l’ERAS, et créées avant le 31 mars 1964, est aussi disponible (p. 188-193).
83 Voir, par exemple, les considérations de Rossi-Doria M., Scritti sul Mezzogiorno, op. cit., notamment dans le texte de 1967 « La realtà agricola e il suo avvenire » (p. 51-79).
84 Sur la transformation des coopératives agricoles en outil permettant d’obtenir des subventions voir Schneider J. et Schneider P., « Economic Dependency and the Failure of Cooperatives in Western Sicily », in J. Nash, J. Dandler et N. S. Hopkins (dir.), Popular Participation in Social Change. Cooperatives, Collectives, and Nationalized Industry, The Hague-Paris, Mouton Publishers, 1976, p. 289-303, ainsi que l’enquête menée sur la Sicile occidentale dans Dolci D., Gaspillage, Paris, François Maspero, 1963 [éd. italienne de 1960], p. 286-287.
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