Chapitre II. Terre, crédit, coopératives
p. 97-132
Texte intégral
1La forme coopérative fait sa première apparition dans les législations française et italienne à la seconde moitié du xixe siècle, mais des initiatives de ce type s’étaient déjà développées au cours des décennies précédentes, dans les secteurs de la consommation, de la production et du crédit mutuel. Avant d’être officiellement reconnu dans les textes, le phénomène s’est donc d’abord imposé au niveau des pratiques. Dans le contexte de l’époque, cette innovation répondait à une double nécessité. D’un côté, comme l’observe André Gueslin, « les agents économiques dominés – artisans, prolétaires, paysans – ressentent alors le besoin de s’organiser, de s’associer pour remédier à leur infériorité1 » : ils jouent ainsi leur supériorité numérique pour revendiquer une place en tant que groupe et non seulement en tant qu’individus isolés. De l’autre côté, les pouvoirs publics font des efforts de plus en plus marqués afin d’organiser et d’intégrer les forces productives dans le cadre de l’économie nationale. Si le désir de coopérer des acteurs trouve dans la libre association un outil formidable, les institutions voient dans ce même outil une opportunité pour surveiller et orienter les dynamiques en cours.
2De ce point de vue, la comparaison des processus d’institutionnalisation italien et français constitue un observatoire extrêmement fructueux afin de retracer les deux trajectoires qui mènent à la reconnaissance de la coopération en tant que forme d’entreprise spécifique et originale. Cette démarche est particulièrement intéressante dans le cas de l’agriculture où l’action des pouvoirs publics est essentielle pour encadrer les nouvelles formes de solidarité et pour arbitrer entre la continuité et la rupture avec les anciennes pratiques communautaires.
3En France, une Commission spéciale est lancée en 1865, dans le cadre des travaux préparatoires du projet de loi sur les sociétés, et elle est chargée de procéder à une enquête sur les organismes coopératifs au niveau national et dans d’autres pays. Si différentes positions se manifestent dans le rapport final présenté en février 1866, « il ressort, au contraire, de toutes les dépositions, qu’elles soient favorables ou non au principe de la coopération, que ces sociétés ont pris un tel développement, qu’il est indispensable que le législateur prenne des mesures pour le régulariser et l’organiser2 ». Deux ans plus tard, la loi de 1867 sur les sociétés n’envisage pas de forme juridique précise et spécifique, mais fournit l’armature juridique pour la diffusion du mouvement coopératif par le biais du statut des initiatives à capital et personnel variables. Dans les campagnes françaises, dominées par la figure de l’exploitant indépendant, il faudra pourtant attendre la loi du 21 mars 1884 sur les syndicats professionnels pour que la diffusion atteigne des proportions significatives.
4En Italie, l’apparition du phénomène est un peu plus tardive. Ce décalage est souvent imputé au retard que la jeune nation manifeste en général par rapport à d’autres pays européens. La forme coopérative fait sa première apparition dans la législation italienne avec le Code de commerce de 1882. Les idées de Luigi Luzzatti y trouvent leur place, ainsi que celles d’autres figures de la coopération libérale influencées par un mouvement réformateur selon lequel la coopérative est un instrument de stabilisation et éventuellement d’ascension sociale, capable de faire participer les couches les plus faibles au processus de développement3. Faute d’un statut juridique autonome, ces organismes peuvent adopter une pluralité de formes différentes, avec pour seules contraintes le vote par tête, les mécanismes de répartition des excédents et l’interdiction de mettre en place un marché des actions entre sociétaires. Cette flexibilité leur donne une marge de manœuvre relativement large, mais les expose dans le même temps à des risques de déviation, aucune limite n’étant par exemple définie du point de vue de la nature sociale de l’entreprise4. Conçue à partir de mécanismes traditionnels voués à disparaître devant de nouveaux défis, la législation coopérative du Code de commerce est rapidement dépassée par l’explosion de la question sociale, ouvrière certes, mais avant tout paysanne.
5Dans un pays comme dans l’autre, la nécessité de conquérir une place économique et de garder une spécificité sociale, la définition des frontières entre ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas, les mécanismes d’attribution des privilèges, les conditions définies pour l’accès à certaines ressources deviennent autant d’enjeux auxquels le mouvement coopératif se trouve vite confronté. Dans le secteur agricole surtout, les analyses du phénomène ont longtemps mis l’accent sur l’opposition entre les parcours « ascendants » et les parcours « descendants ». Pour pousser à l’extrême cette perspective, on pourrait dire que les premiers, du bas vers le haut, manifestent un véritable esprit de solidarité, conduisant les individus à s’associer de manière libre et autonome en vue d’un projet partagé, de besoins et de finalités communes. Les seconds, du haut vers le bas, représenteraient au contraire une anomalie, voire une exception, sinon la perversion du « véritable esprit coopératif », à cause de l’introduction d’un principe de contrôle et d’ingérence par des organismes extérieurs dans un univers qui devrait ressortir exclusivement de la sphère de la société civile.
6Cette distinction mérite sans doute d’être prise en considération, mais il ne faut cependant pas en exagérer l’importance au risque de véhiculer l’idée exagérée d’une volonté d’auto-organisation des paysans s’affirmant contre les institutions.
7Pour sortir de l’impasse théorique à laquelle peut conduire la dichotomie entre mouvement venu d’en bas et dynamique venue d’en haut, ce chapitre s’engage à en interroger la pertinence même. Cette opposition transmet en effet la vision d’une histoire coopérative souvent subordonnée à d’autres priorités et à des pressions de nature à la fois endogène et exogène mais dont les dynamiques d’évolution procèdent toujours en vase clos. Selon ce point de vue, le choix de s’associer découle d’un pouvoir central ou, inversement, s’explique dans l’horizon spécifique d’un contexte micro-local, mais l’accent est rarement mis sur la nature floue et finalement hybride qui touche l’histoire de la quasi-totalité des coopératives. Renversant la perspective d’analyse, ce chapitre qui explore la racine syndicale et le rôle du système de crédit montrera à quel point l’histoire des coopératives, dans l’agriculture, est prise dans un labyrinthe d’interrelations complexes, où des tensions internes croisent et se superposent en permanence à des pressions venant de l’extérieur. De ce fait, les pratiques d’organisation en vue de la représentation des intérêts des agriculteurs ou de l’accès aux ressources financières ne peuvent pas être comprises si l’on fait abstraction de la nécessité pour les initiatives périphériques d’entrer en relation avec les institutions centrales. Un focus sur la question foncière permettra enfin d’interroger les deux trajectoires nationales à partir d’un même laboratoire coopératif où, de manière plus évidente qu’ailleurs, les préoccupations individuelles coexistent et s’articulent avec les pratiques collectives, sous le regard d’institutions préoccupées par les évolutions du secteur.
Coopératives, syndicats et pouvoirs publics, entre dépendance et autonomie
8Dans les campagnes italiennes et françaises, comme dans beaucoup d’autres contextes, la frontière entre initiatives coopératives et syndicales reste longtemps indéfinie, d’autant que les origines des deux mouvements ont manifesté une certaine opacité à ce sujet. Plusieurs travaux ont exploré cette relation étroite, surtout pour la période initiale, entre la fin du xixe siècle et les années 19205.
9Il faut d’ailleurs garder à l’esprit qu’à cette époque, les coopératives agricoles ne possèdent pas encore de statut juridique spécifique et autonome. La confusion avec les syndicats est courante, à tel point que Robert de Rocquigny, dans son enquête pour l’Office du Travail, constate à propos du cas français, que « le nom de “syndicat agricole” a fait fortune ; mais le terme “coopération” n’est pas encore compris dans les campagnes6 ». Dans son ouvrage de 1926, Augé-Laribé tente d’opérer une distinction sur le plan lexical, observant :
« Le mot coopérer nous vient du latin cum operari, œuvrer conjointement avec quelqu’un. Le mot syndicat nous vient du grec à travers les langues romaines […] de sorte que les “syndiqués” sont “ceux qui ont à défendre la même cause”. Dans le mot mutualité nous retrouvons du mot latin, mutuum, qui désignait l’échange ; il signifie donc un échange équitable de services7. »
10Mais il est néanmoins obligé de reconnaître que les faits sociaux ne se laissent pas si aisément simplifier et classer. Il écrit lui-même plus tard :
« J’ai employé tantôt le terme de syndicat, tantôt celui de coopérative, comme s’ils étaient interchangeables. Pour la période confuse des origines, ils l’étaient à très peu près. Entre l’un et l’autre, il n’y avait guère de différence de statut légal. Un syndicat, c’était, au fond, une coopérative professionnelle, non ouverte à tous8. »
11Certains auteurs ont tenté d’opérer une distinction entre les différentes formes associatives présentes dans le monde agricole sur la base de la fonction qu’elles se donnent. Dans un texte spécifiquement consacré à ce sujet, Charles Gide identifie les trois typologies suivantes : le syndicalisme, la coopération et le mutualisme. Les syndicats agricoles, ou mieux les « associations professionnelles », se composent « de personnes exerçant la même profession, dans l’espèce des agriculteurs, qui s’associent pour défendre leurs intérêts ». Au contraire, poursuit Gide, « l’association coopérative n’est pas une association de lutte : elle est constructive. L’association coopérative a pour but de créer une forme d’entreprise commerciale ou industrielle – achat, vente, production, crédit, etc. – mais qui diffère, par certains caractères, de celle existante dans le monde capitaliste9 ». Enfin, l’assurance mutuelle « est l’association pour lutter contre les risques de toute nature, soit ceux qui concernent les personnes : maladie, vieillesse, mort – mais en ce cas elle n’a rien de spécialement agricole – soit les risques qui concernent les choses : incendie, grêle, gelée, épizooties10 ».
12Dans le but de tracer une frontière nette et opératoire, la tendance a souvent été de séparer de manière fictive les coopératives, en tant qu’initiatives fondées sur le seul intérêt matériel et économique, des syndicats qui auraient plutôt une vocation sociale et des préoccupations politiques. Cependant, l’impulsion originelle du syndicalisme agricole ne se situe nullement dans des prérogatives abstraites de défense professionnelle. Ici, les préoccupations économiques se révèlent une composante capitale dans une stratégie visant à renforcer la catégorie – vaste et hétérogène – des producteurs du secteur primaire, dont le profil peut varier suivant les contextes et les situations.
13Le législateur semble d’ailleurs éviter de formaliser la distinction entre coopératives et syndicats. Au contraire, il finit par entériner un rapport d’interdépendance, en lançant, par exemple, des mesures qui prévoient l’inscription obligatoire à un syndicat pour les membres des coopératives françaises qui souhaitent demander des avances sur la base de la loi du 29 décembre 1906. Ce n’est qu’en présence de circonstances précises ou en réponse à des préoccupations nouvelles qu’une frontière – plus ou moins efficace – émerge et que des statuts spécifiques sont définis. L’introduction d’avantages juridiques et fiscaux conduira par exemple à la nécessité de marquer une distinction entre les ayants droit et les autres. Des critères de sélection sont parfois invoqués, mais leurs effets se trouvent souvent neutralisés au nom du principe de la libre adhésion. Si une séparation nette entre syndicats et coopératives permettrait de rendre autonomes leurs trajectoires respectives, les différentes forces politiques et sociales préfèrent longtemps garder une dimension aléatoire destinée à servir leurs stratégies d’ancrage local et de contrôle des intérêts des populations rurales.
14Schématiquement, nous pouvons opposer la « mission économique » des coopératives à la « mission sociale-politique » des syndicats, mais, dans les faits, cette séparation est purement théorique et les deux tendent à se combiner dans chacun des cas.
15Une telle confusion, parfois entretenue, parfois subie, perdure longtemps et nécessite d’être comprise au-delà du cliché qui veut que « les agriculteurs, hommes d’action, n’ont pas songé à inviter des grammairiens ou des juristes au baptême de leurs œuvres11 ». Même si on accepte comme vraisemblable l’hypothèse du désintérêt des agriculteurs pour les aspects formels, la question n’est pas purement terminologique. Grâce à cette frontière perméable et indéfinie, les acteurs peuvent à la fois combiner et alterner instances revendicatives et activités économiques organisées, suivant les situations et les conjonctures. La manière d’articuler la coopérative avec le syndicat révèle alors de relations de dépendance ou d’échange, issues de contextes spécifiques et variables à travers le temps. Comment néanmoins envisager ce rapport entre coopération et syndicalisme ?
16Traditionnellement, la coopérative a été présentée comme un complément indispensable de l’action syndicale, dans une situation de dépendance qui parfois a même pu aller à l’encontre de ses propres objectifs d’entreprise économique. De ce point de vue, elle serait destinée à assurer la continuité de la mobilisation, au-delà des cycles revendicatifs au sens large, c’est-à-dire non seulement en termes de lutte des classes, mais aussi sous la forme d’instances de nature professionnelle ou à vocation corporatiste. Malgré les confusions et les difficultés qui peuvent ressortir de leur étude, coopératives et syndicats doivent donc être pensés comme des instruments complémentaires plutôt qu’antithétiques. De plus, au lieu d’accepter l’idée d’une coopération perçue comme un simple outil mis au service de la pérennisation des luttes et du renforcement de l’action syndicale, suivant la piste indiquée par les travaux déjà cités de Luigi Trezzi, il nous faut aussi tenter de renverser la perspective : en effet, au début du xxe siècle, des syndicats ont fondé des entreprises coopératives destinées ensuite à sortir de leur sphère d’influence pour se développer de manière autonome.
17Touchant à la fois le syndicat et la coopérative, la convergence entre préoccupations économiques et engagement social constitue donc l’élément central à partir duquel penser cette relation car les unes ne peuvent pas avoir d’existence solide et durable sans l’autre, et inversement. On le voit de manière évidente dans les luttes agraires des campagnes italiennes où la coopérative est accusée de continuer la grève par d’autres moyens. Mais ce n’est pas là une particularité de ce contexte national. Les conflits peuvent aussi opposer les agriculteurs-coopérateurs aux commerçants et aux intermédiaires qui accusent les formes associatives de profiter d’avantages fiscaux et techniques injustifiés12.
18Bien qu’en présence d’itinéraires spécifiques pour chaque contexte, au final, des lignes interprétatives communes semblent envisageables en ce qui concerne les rapports qu’entretiennent les différentes formes collectives d’organisation. De ce point de vue, la coopérative apparaît comme la composante d’une stratégie plus large et variable en fonction des conditions locales, qui vise la défense d’une catégorie agricole particulière ou du monde rural dans son ensemble.
19Ces considérations nous obligent à questionner les modèles syndicaux qui se diffusent dans les campagnes des deux pays, c’est-à-dire les manières de mobiliser le monde rural, d’organiser les campagnes et de représenter les intérêts des agriculteurs13. Au risque de simplifier la complexité des manifestions réelles – car les contre-exemples à l’échelle locale ne manquent pas –, deux typologies semblent envisageables : d’un côté, le syndicalisme agrarien français, héritier de la rue d’Athènes et du boulevard Saint-Germain, de l’autre côté, le syndicalisme de classe italien, influencé par « l’empreinte des clivages politiques14 » et qui, au-delà des tentations ouvriéristes, reste fondamentalement marqué, au sein des campagnes, par le conflit de la petite paysannerie contre les grands propriétaires et les capitalistes agraires.
20Déclinées de manière différente, les deux visions sont pourtant nourries par un même débat concernant l’unité interne des campagnes face à l’extérieur. Cet enjeu est donc l’occasion d’une première réflexion sur les différents types d’engagements associatifs qui s’offrent aux paysans. Animé par un esprit de conflit, le syndicalisme de matrice socialiste se diffuse d’un côté comme de l’autre des Alpes surtout chez les salariés et les petits paysans pauvres. En Italie, il a ses bastions dans la plaine du Pô, notamment en Émilie-Romagne où les luttes agraires sont dures, épuisantes, mues par un esprit révolutionnaire et parfois violent15. Dans les campagnes françaises de la fin du xixe siècle, les recherches de Philippe Gratton identifient les foyers de la conflictualité sociale chez les bûcherons du Centre, les feuillards du Limousin et les résiniers landais, sans oublier les grèves des ouvriers agricoles du Midi viticole et du Bassin parisien ou le cas, assez particulier, des métayers du Bourbonnais, soumis à la pression des fermiers généraux16. Dans ces régions, les affrontements ouverts ne manquent pas, et l’Italie est, de ce point de vue, un terrain que l’on surveille avec attention. Craignant la contamination, au moment des mobilisations agricoles du Bas-Languedoc de 1903-1904, Robert de Rocquigny, en sa qualité de directeur de la Section agricole du Musée social, consacre par exemple une enquête aux grèves de 1901 et aux organisations du prolétariat rural en Italie, dont les résultats sont publiés dans un volume qu’il considère comme « une “leçon de choses” pour nos sociologues et nos agriculteurs17 ». Cependant, sauf exceptions bien circonstanciées, le socialisme rural français est souvent « un socialisme vague qui voyait la cause de la misère paysanne plus dans l’usure et dans l’impôt que dans le régime de la propriété18 ».
21Si les socialistes jouent un rôle fondamental dans le développement du mouvement coopératif et si les conflits devant les évolutions économiques et sociales des campagnes suscitent des préoccupations communes, comment expliquer les différentes trajectoires qu’empruntent les deux pays au tournant du siècle ? En effet, le véritable clivage entre la France et l’Italie sur cette question semble plutôt se situer dans le champ des « forces concurrentes », c’est-à-dire des autres forces engagées dans l’encadrement et la représentation des intérêts du monde rural.
22Du côté français, les strates d’organisation agricole qui se superposent depuis des décennies ont contribué à consolider « le faisceau solidement noué des solidarités multiples qui unissent le village face à la ville19 ». Portée par des élites et des notables répondant à des inspirations diverses, cette idéologie agrarienne défend l’idée d’une unité paysanne et d’une « corporation agricole moderne20 » centrées sur les liens de la solidarité professionnelle comme fondement de la paix des campagnes. Du côté italien, où de profondes inégalités persistent, le corporatisme est décliné de manière différente et ne revendique que rarement une séparation nette entre ville et campagne, du moins jusqu’à l’entre-deux-guerres. Effectivement, cette opposition émerge plutôt avec le fascisme, mais ce n’est, en définitive, « qu’une manière euphémisée ou détournée de parler des vices des ouvriers et de la ville21 ». Les groupes conservateurs se retrouvent souvent autour de la formulation du respect des traditions, des principes religieux et des hiérarchies sociales, dont les ennemis sont toujours l’individualisme et, surtout, la lutte des classes. Parfois, ils s’engagent dans des initiatives paternalistes mais, dans la défense de leurs intérêts, ils s’orientent plus vers la conflictualité ouverte face à un mouvement syndical qui trouve dans les luttes agraires un de ses principaux champs de bataille. En parallèle, plusieurs courants émergent au sein de l’Église et le catholicisme social – dans sa version préfasciste, qui conduit en 1919 à la naissance du Parti populaire – fait preuve d’un positionnement original. Par ses stratégies, il concurrence les socialistes sur leur propre terrain et il affiche un « engagement de classe » en faveur du monde du travail, que la volonté unificatrice de la Démocratie chrétienne d’après-guerre préférera nuancer au nom de l’anticommunisme.
23Avec des spécificités nationales et locales qu’il faudrait approfondir ultérieurement, les itinéraires coopératifs méritent d’être croisés avec les différents regards portés à « l’enjeu que représente l’encadrement de la paysannerie22 ». Les visions mettant en avant la réalité du pluralisme s’opposent ici à celles centrées sur le mythe de l’unité, « mythe au sens propre du terme, c’est-à-dire servant à masquer des intérêts non directement avouables23 ». De manière plus ou moins explicite, les coopératives sont concernées par les conflits autour de la prise de parole des agriculteurs : non seulement elles s’engagent directement sur le terrain des batailles syndicales, mais elles sont aussi en retour influencées par les dynamiques du champ syndical qu’elles ont contribué à forger.
24Des modèles différents de la représentation du monde agricole et de ses intérêts semblent donc conduire à des trajectoires particulières en termes d’histoire du mouvement coopératif, des missions qui lui sont attribuées et des catégories sociales impliquées. Cependant, ces processus ne se développent pas de manière autonome et indépendante mais toujours sous l’influence d’autres acteurs extérieurs. De ce point de vue, la mise en place des réseaux formels de crédit agricole dans les campagnes françaises et italiennes témoigne, par exemple, du rôle des autorités publiques dans chaque histoire coopérative. Si le crédit a toujours fonctionné comme un levier pour la transformation des campagnes, une étape ultérieure se trouve ici franchie. La création des circuits officiels du crédit agricole – institution à la frontière entre public et privé – permet non seulement une « respiration spatiale » qui libère ces mécanismes de la contrainte locale24 mais ouvre également de nouvelles opportunités pour des formes associatives qui se donnent pour but l’émancipation des paysans, alors que l’endettement est identifié comme un facteur crucial de dépendance économique et de subordination sociale pour ceux-ci25.
25Au tournant du xixe siècle, les coopératives se diffusent mais, souvent, elles se heurtent aux limites de la pénurie des moyens financiers disponibles et de l’absence d’un statut juridique spécifique. Par l’octroi direct de ressources ou, indirectement, via l’action d’encadrement que les autorités compétentes exercent sur les circuits du crédit rural, l’État introduit des mécanismes de « discrimination positive » en faveur des organismes associatifs à finalités économiques. En retour, les sociétés se voient imposer une formalisation qui participe à la fixation progressive des frontières entre ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas : il s’agit du premier effort de réglementation du phénomène. Le « rôle structurant de l’État26 » est ici indiscutable et contribue « à donner aux sociétés coopératives un statut précis répondant à leur forme ; [il] a, par-dessus tout, créé une coopération strictement professionnelle27 ». L’action de contrôle des pouvoirs publics peut ainsi prendre de l’ampleur : sans intervenir directement, les autorités trouvent ici un moyen pour influencer les initiatives à l’échelle locale. Cette évolution ne mène toutefois pas à un dirigisme strict dans la mesure où le caractère hybride des systèmes de crédit agricole reste la constante d’histoires où s’affrontent trois grands pôles : les pouvoirs publics, les organisations professionnelles et les instituts de crédit eux-mêmes, qui conservent leur propre logique interne.
26Le crédit a joué un rôle fondamental dans la diffusion du mouvement coopératif dans les campagnes tant françaises qu’italiennes. De plus, il a contribué à définir de manière nette et formelle les frontières d’un phénomène qui s’est construit sur une contamination entre un caractère professionnel et une mission mutualiste. Si, dans une première phase, l’octroi des ressources servait aux autorités à surveiller l’évolution des initiatives collectives, après la Grande Guerre, un mouvement général se met en place dans la plupart des pays européens, qui va dans la direction d’une spécialisation et d’une organisation des initiatives associatives du secteur primaire28. Les coopératives deviennent alors une composante à part entière des politiques de modernisation de l’agriculture.
L’expérience originale des coopératives d’affermage dans les campagnes italiennes
27La dimension syndicale et la relation avec les pouvoirs publics nous ont permis de suivre les trajectoires des coopératives du point de vue des dynamiques d’ensemble. Nous allons désormais approfondir cette histoire à partir des pratiques exercées par un type particulier de coopératives. Les coopératives d’affermage – ou fermages collectifs – constituent en effet un cas exemplaire qui mérite d’être étudié dans le but de saisir l’articulation entre, d’un côté, les formes d’auto-organisation et de revendication portées par un ou plusieurs groupes sociaux et, de l’autre, le dialogue noué avec les interlocuteurs institutionnels. Souvent apparenté au collectivisme ou cantonné aux systèmes agraires archaïques, ce type de coopération plutôt original suscite des débats qui permettent de suivre la transformation des structures productives et la modernisation des campagnes.
28Précisons par ailleurs que notre objet d’étude est un laboratoire privilégié pour étudier l’émergence, les développements successifs et les circulations de ce modèle coopératif, puisque le fermage collectif trouve dans l’Italie du début du xxe siècle son berceau d’origine. Après une période de forte conflictualité sociale et devant le caractère éphémère des acquis issus d’une stratégie purement revendicative, les syndicats et les ligues de résistance s’engagent alors dans l’organisation de leurs adhérents. Avec un degré variable de formalisation, des organismes coopératifs se diffusent dès la fin du xixe siècle en tant que nouvel outil au service des luttes menées pour l’accès à la terre et contre le chômage29.
29Durant cette période, la réalité de la coopération agricole de travail et d’affermage s’impose comme une évidence. La littérature existante sur le sujet a longtemps mis l’accent sur la dimension politique du phénomène, inscrite dans les origines du mouvement ouvrier italien. Mais c’est finalement en dehors des superstructures idéologiques que les paysans découvrent la puissance de l’action collective et adoptent les coopératives comme des outils leur permettant de sortir d’une condition de précarité et de subordination. Au cours des années Giolitti, les pouvoirs publics et les institutions du secteur vont même jusqu’à envisager ces expériences comme l’instrument possible d’une modernisation régulée, à la fois technique et sociale, de l’agriculture. Le « laboratoire italien » suscite ainsi un vif intérêt bien au-delà des frontières nationales, en vertu de la capacité des coopératives d’affermage d’articuler de manière nouvelle propriété et exploitation.
30L’économiste russe Alexandre V. Tchayanov, théoricien de l’économie paysanne, s’intéresse par exemple au mouvement coopératif agricole italien lors d’un voyage dans la péninsule en 1908. À cette occasion, il mène des observations qui servent de base à un essai publié l’année suivante et à des séminaires dispensés dans les années 1910. Il cite en particulier les associations d’exploitation foncière, capables de se substituer aux propriétaires absents et de mettre des parcelles à la disposition des petits exploitants, mais il fait aussi référence à la « coopération totale » appliquée dans les fermes collectives, où plusieurs dizaines de familles s’associent afin de gérer les travaux de manière coordonnée30. Dès sa création en 1905-1908, l’IIA consacre une attention spécifique au phénomène qu’il considère comme une réponse originale aux défis posés par des systèmes agraires particuliers. Plusieurs articles, parus au cours des années dans le Bulletin des institutions économiques et sociales, fournissent des mises en perspective historiques, des données et des informations détaillées sur la situation dans les différentes régions, voire à l’échelle locale31. La section italienne d’une étude monographique réalisée par l’IIA sur la coopération agricole dans plusieurs pays propose la description suivante :
« C’est là une des formes les plus récentes et les plus caractéristiques du mouvement agricole coopératif italien. Ce sont des associations d’ouvriers agricoles ayant pour but de se procurer l’usage de la terre qu’ils cultivent. Cela a lieu, dans la plupart des cas, moyennant un contrat de location, d’où le nom de fermages collectifs, et dans quelques cas aussi par des contrats de participation au revenu, soit de métayages divers, suivant la proportion de revenu concédée32. »
31Cette description est très large ; une pluralité de réalités différentes, tant au niveau des principes fondateurs que des mécanismes de fonctionnement, y correspond. D’ailleurs, le terme de fermage collectif, tel qu’il est souvent utilisé, n’est pas exact puisqu’il se concentre sur un aspect du phénomène au lieu de le saisir dans son ensemble. Il nous faut donc procéder à une définition et à une délimitation plus précise de l’objet d’étude.
32À la veille de la Première Guerre mondiale, Arrigo Serpieri, chef de file d’une génération d’économistes agraires italiens, publie, dans le bulletin du Bureau des institutions économiques et sociales de l’IIA, les résultats d’une enquête sur les fermages collectifs en Italie, menée en collaboration avec Giuseppe Mami33. Les deux auteurs y étudient l’univers multiforme des associations de travailleurs agricoles visant à se procurer l’usage de la terre qu’ils cultivent par des baux à fermage mais aussi par d’autres formes contractuelles, notamment le colonage, ou directement par l’achat. Au-delà de l’expression entrée dans la terminologie courante de l’époque, on pourrait donc distinguer entre : fermages collectifs, métayages collectifs et propriétés collectives.
33Deux questions cruciales émergent ici : d’un côté la forme spécifique de l’accès au foncier, de l’autre les modalités de gestion mises effectivement en œuvre. Si la première considère le phénomène à partir de la perspective des contrats agraires, l’autre le saisit sous l’angle des types d’exploitation pratiqués. Il faut donc envisager les coopératives comme une réponse possible aux défis posés par chaque contexte particulier. Apparemment homogènes en termes de finalités, ces expériences s’adaptent et opèrent au croisement des marchés de la terre, des baux, du travail et des produits.
34Pour bien distinguer et mieux comprendre les manifestations du phénomène, nous adopterons d’abord le point de vue des contrats agraires, c’est-à-dire de « l’un des mécanismes essentiels d’organisation des rapports sociaux et le cadre premier du travail comme de la production34 ». L’intérêt à suivre cette piste est confirmé par le fait que Serpieri, dans un ouvrage de 1920 sur le sujet, consacre un chapitre entier aux fermages collectifs en Italie et, plus particulièrement, à celui des braccianti. Les modalités concrètes de la prise de possession du foncier par des cultivateurs associés deviennent donc un aspect crucial à prendre en compte pour comprendre les idées inspiratrices d’un mouvement répandu mais aux déclinaisons locales multiples.
35Cette pluralité s’attache aussi bien aux caractères spécifiques du système agraire qu’aux aspirations des catégories sociales qui sont à l’origine des initiatives. Les contraintes et les besoins des exploitations de la plaine du Pô, en effet, ne correspondent pas aux défis posés par la mise en culture des grands domaines des collines du Mezzogiorno. De plus, si les petits propriétaires autonomes restent plutôt à l’écart de ce phénomène, ouvriers agricoles, petits fermiers et métayers se tournent vers cette forme d’organisation socioéconomique. Cependant, à l’intérieur de cet univers paysan multiforme, les besoins et les pratiques des uns ne s’accordent pas nécessairement avec ceux des autres. Chaque catégorie a ses propres stratégies et finalités ; chacune tente de recentrer, en fonction de ses besoins et de ses aspirations, les termes du « contrat collectif » établi par le biais de la coopérative.
36Les approches traditionnelles à l’étude des coopératives d’affermage ont souvent privilégié la dimension politique, notamment en se fondant sur l’opposition entre initiatives socialistes et initiatives catholiques. En adoptant, à l’inverse, le point de vue des structures agraires et des catégories sociales, un cadre plus complexe apparaît. Dans le sillage des analyses de Serpieri, nous pouvons relier cette diversité de pratiques coopératives à trois typologies de systèmes agraires présents en Italie : le colonage partiaire ou métayage « traditionnel », le latifondo méridional et les campagnes avec une forte présence de salariés35.
37Les petites exploitations paysannes du Centre-Nord connaissent très bien ce type de coopération, caractéristique surtout de la partie centrale du pays et des collines de la zone préalpine, notamment de la Lombardie, du Piémont et de la Vénétie36. Grâce à l’action collective, des unités productives indépendantes se constituent ici sur des surfaces capables d’occuper une famille paysanne, avec un faible apport de main-d’œuvre extérieure. Le rapport avec le propriétaire foncier est direct ou passe éventuellement par la médiation d’un fermier. Le bail, fixe ou lié à la production, est payé en argent ou en nature. La conquête de l’autonomie économique demeure la finalité ultime de ces cultivateurs et l’éventuelle décision de s’associer dans un fermage collectif procède de cette volonté. L’organisme collectif vise d’ailleurs à remplacer le régisseur ou le fermier général, afin de négocier de meilleures conditions de location. Par ailleurs, la société exerce des fonctions d’administration, de crédit et de garantie sur la rente due. Elle vise donc à l’émancipation économique et à l’ascension sociale des petits cultivateurs dans le but, grâce à l’action collective, d’abandonner les formes mixtes de colonage partiaire en faveur du fermage.
38Les coopératives du deuxième type réunissent les paysans pauvres des grands domaines du Mezzogiorno et notamment de la Sicile. Situé sur des terres cultivées de manière extensive selon l’alternance blé-légumineuses-pâturage, le latifondo est souvent administré par l’intermédiation de contremaîtres qui s’occupent de gérer la main-d’œuvre, de surveiller la production et de prélever les fruits de la récolte. Chargés du bail par le propriétaire-rentier, les gabelloti procèdent au lotissement de l’unité foncière en petites parcelles, qui sont ensuite sous-louées sous la forme de contrats de fermage ou de métayage, caractérisés par de lourdes charges, par une très courte durée et par des conditions de précarité permanentes. Les preneurs sont en général des paysans pauvres et souvent pluriactifs, propriétaires de microfonds incapables de leur offrir l’autonomie économique. Ce contexte spécifique s’impose donc comme le « milieu naturel » des fermages collectifs du Mezzogiorno, dans le double sens de leur localisation géographique et des conditions socio-historiques de leur existence. Ici, la lutte des petits paysans précaires pour revendiquer l’accès à la terre n’envisage pas un bouleversement radical du système d’exploitation. De ce point de vue, la remise en cause du latifondo constitue pour eux un enjeu secondaire ; à travers l’action collective, le véritable objectif des cultivateurs est d’éliminer le pouvoir discrétionnaire des intermédiaires et de négocier les conditions contractuelles directement auprès des propriétaires37. Ces derniers voient parfois avec sympathie ces expériences d’inspiration réformiste qui peuvent leur offrir des baux plus élevés et la possibilité de se défaire de contremaîtres de plus en plus puissants. C’est là le germe d’un possible projet alternatif de modernisation des campagnes méridionales, en mesure d’éliminer les figures parasitaires, de prendre en charge les aménagements fonciers et d’orienter les ressources vers l’intensification des techniques. Cette « voie autre » obligerait néanmoins les propriétaires à reconsidérer les conditions de vie, précaires, des exploitants et, par le biais de la coopérative, à reconnaître aux paysans qui la cultivent le droit de s’installer sur la terre.
39La troisième typologie de coopérative d’affermage ne se définit pas selon une forme spécifique de possession de la terre. Sa singularité renvoie plutôt à l’importance, tant démographique qu’économique, de la catégorie des ouvriers agricoles dans les régions où celle-ci se développe. C’est le cas des grandes exploitations capitalistes, en propriété ou en fermage, de l’Émilie, de la Romagne et de certaines régions contiguës, telles que la province de Mantoue. Ici, une partie importante du travail nécessaire aux activités agricoles et d’entretien foncier est fournie par une main-d’œuvre salariée, fixe comme saisonnière, mobilisée en fonction des besoins de la production. Le déclin économique des unités paysannes favorise la formation d’une large classe de prolétaires ruraux dont les effectifs augmentent après la crise de la fin du xixe siècle. Conséquence de l’offre excédentaire de main-d’œuvre, le chômage est permanent et les rémunérations sont maintenues au niveau de la quasi-subsistance. Dans une première phase, les grèves et des luttes sociales acharnées parviennent à obtenir de meilleures conditions salariales, mais les entreprises agricoles ont tendance à rapidement s’adapter aux nouveaux équilibres, rendant éphémères les conquêtes précédentes. L’association à vocation économique s’impose ainsi comme une solution complémentaire parmi les pratiques visant à améliorer les conditions des travailleurs. À côté des coopératives, qui prennent en charge les aménagements et les travaux publics, les fermages collectifs commencent à se diffuser dans les campagnes38. Le but n’est pas uniquement d’offrir des emplois ; il est aussi d’imaginer de véritables formes de régulation du marché du travail, y compris pour aider les non adhérents, grâce à la réduction de la pression sur les salaires. Ces coopératives d’affermage organisent souvent la gestion unitaire des terres et procèdent à l’embauche de leurs adhérents qui sont ensuite rémunérés par des salaires ou par des formes de participation au produit. Certains observateurs considèrent cette solution comme une opportunité pour intensifier et moderniser l’agriculture de ces territoires sur le modèle de la grande exploitation, avec les organismes collectifs comme appui pour garantir les apports en capitaux et l’assistance technique.
40En raison du caractère multiforme du phénomène, il est quasiment impossible de procéder à un recensement exhaustif des fermages collectifs au cours des deux premières décennies du xxe siècle. L’absence d’une législation ad hoc et d’obligations juridiques précises contribue au fait qu’un grand nombre d’initiatives soit resté à l’état informel. Des listes officielles existent dans les registres préfectoraux, mais si la plupart des sociétés se sont constituées devant un notaire, elles ont ensuite abandonné les autres démarches nécessaires à la formalisation. Malgré ces limites et à partir des données disponibles, on peut néanmoins constater, avec intérêt, que la diffusion géographique des fermages collectifs reproduit assez fidèlement la « carte des coopératives » telle que nous l’avons décrite dans le chapitre précèdent.
41Le premier document fournissant des informations globales est l’étude statistique que la Lega nazionale delle cooperative italiane réalise en 1902. Dans la catégorie « production et travail agricole », vingt-neuf sociétés sont recensées dans dix régions pour la quasi-totalité de la partie septentrionale du pays. Des études à l’échelle locale ou régionale suivent, mais la première enquête nationale spécialement consacrée aux fermages collectifs est signée en 1906 par Giovanni Raineri pour la Federazione italiana dei consorzi agrari dont il est le directeur, puis le président39. Il s’agit d’un travail surtout prospectif, dans la mesure où il décrit un mouvement qui est encore dans ses étapes initiales, mais qui semble destiné à prendre de l’ampleur (figure 8 du cahier cartographique pour la Sicile). Le tableau 1 fournit d’ailleurs une synthèse des résultats atteints sur un arc temporel d’une vingtaine d’années.
Tableau 1. – Distribution par province et caractéristiques des fermages collectifs en 1906 et 1925.

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44Leur diffusion se fait tout au long des deux premières décennies du xxe siècle et les coopératives les plus anciennes remontent à la fin du xixe siècle. Le nombre de fermages collectifs ne fait que s’accroître tout au long de cette période, tout comme celui de leurs adhérents. Une tendance vers la concentration se manifeste toutefois au cours des années, en cohérence avec la stratégie des institutions qui privilégient les expériences jugées les plus solides. Quant à leur nature politique, rares sont les sociétés qui se déclarent neutres dans l’étude de 1906, alors que cette question disparaît de l’enquête de 192542, la date correspondant évidemment au « tournant totalitaire » du régime fasciste (figure 11 du cahier cartographique pour la Sicile). Un aspect intéressant émerge en ce qui concerne la surface gérée, même si les données par province peuvent parfois masquer cette tendance : nullement homogène, le mouvement des fermages collectifs manifeste une dynamique dualiste où des coopératives en charge de plusieurs grands domaines coexistent avec de petites initiatives qui opèrent sur quelques dizaines d’hectares. Ce décalage s’inscrit souvent dans les structures agraires des territoires où les organismes sont installés. De plus, si on intègre dans l’analyse le montant des baux, deux grandes orientations se dégagent, même si les exceptions ne manquent pas. D’un côté, les fermages du Nord concernent des surfaces plus limitées mais avec un prix par hectare plus élevé. Cela nous conduit à formuler l’hypothèse qu’il s’agit de sols de meilleure qualité ou destinés à des cultures plus riches. De l’autre côté, dans le Sud, les coopératives s’installent sur de plus grands domaines, mais il s’agit souvent de terres pauvres et avec des contrats de courte durée.
45L’héritage du système agraire local, que ce soit l’écosystème cultivé ou le système social productif43, est finalement reconduit dans l’expérience des fermages collectifs, même si, parfois, ceux-ci servent de catalyseur pour des projets de réaménagement foncier et de transformation culturale, notamment par l’implantation de vignes ou de cultures arborées en général. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que les fermages collectifs focalisent leur attention et leurs efforts sur les aspects liés à l’exploitation. La question de l’accès définitif à la propriété reste présente mais avec une importance secondaire et variable d’un cas à l’autre. Par vocation ou par opportunisme, ces coopératives cherchent d’abord à revendiquer la possession des terres, c’est-à-dire le droit à la mise en valeur de celles-ci. Elles refusent donc l’idée du foncier comme une fin en soi, le considérant plutôt comme une composante de stratégies économiques – tant individuelles que collectives – plus larges44.
46Déclinés en fonction des conditions spécifiques de chaque système local et observés sous l’angle des contrats agraires, les fermages collectifs se posent de fait comme le lieu de rencontre d’un bailleur avec un preneur collectif. Celui-ci se charge ensuite de la gestion et de l’organisation interne des sociétaires. Cet aspect introduit la deuxième entrée possible sur le sujet, qui explore les coopératives d’affermage sur la base des formes d’exploitation mises en œuvre. De ce point de vue, les trois possibilités suivantes sont envisagées : la gestion unique, la gestion divisée et celle par lotissement45. Chacune suivant ses particularités, ces solutions témoignent de la nécessité de fonder la légitimité des nouvelles expériences dans la continuité avec des pratiques préexistantes.
47Dans les fermages collectifs à exploitation unique, l’association des cultivateurs, généralement ouvriers agricoles, prend en charge le faire-valoir de l’unité foncière en entier, suivant le modèle des formes d’organisation et de direction des grandes entreprises de la zone. La société met à disposition la terre, le capital et éventuellement l’assistance technique, les membres sont embauchés en tant qu’employés. Ils travaillent sur la base d’un système centralisé de répartition des tâches et ils sont rémunérés suivant des grilles tarifaires définies de manière plus ou moins fine.
48Les fermages collectifs à exploitation divisée se fondent au contraire sur l’existence préalable, au sein d’un domaine, d’unités culturales autonomes, capables d’héberger et d’occuper une famille moyenne de cultivateurs. Différentes formes – du colonage au bail à ferme – sont possibles en fonction des modalités spécifiques de répartition des frais et des bénéfices entre le bailleur et les preneurs. Pour aider ses membres, la coopérative peut aussi prendre en charge des tâches et des opérations qui ne peuvent être réalisées seul, telles que les transformations culturales, les investissements productifs, l’accès au crédit, etc.
49Les fermages collectifs à exploitation par lotissement constituent une sorte de déclinaison de la catégorie précédente, spécifique au système du latifondo. Ici, on procède au lotissement et à la distribution des terres parmi les membres, qui paient ensuite une sous-location proportionnelle aux dimensions et à la qualité de la parcelle obtenue. Des systèmes d’assolement sont introduits pour éviter la dégradation des sols, mais, là où l’association blé-légumineuses est dominante, l’objectif de chaque sociétaire est essentiellement de produire les céréales nécessaires aux besoins de sa famille. Grâce à l’association, les paysans se libèrent, dans ce cas, du poids des figures intermédiaires, ils renforcent leur pouvoir contractuel et s’imposent comme un interlocuteur légitime auprès des propriétaires. Mais, en l’absence de projet de transformation culturale, le risque est que la coopérative se limite à remplacer le contremaître individuel par un contremaître collectif46.
50Souvent réduite aux divergences sur le plan politique et idéologique qui opposent les catholiques et les socialistes, la distinction entre gestion unitaire et gestion divisée semble plutôt s’expliquer par le système agraire local et les catégories paysannes concernées47. Une fois sur le terrain, les différents positionnements théoriques sont effectivement obligés de se confronter aux réalités concrètes de chaque contexte particulier. De plus, au-delà des différentes formes de gestion, les coopératives se trouvent toujours soumises à une double responsabilité : dans leurs relations avec l’extérieur (propriétaires, institutions publiques et bancaires, etc.), elles se portent garants de leurs adhérents dont elles doivent en même temps surveiller la bonne conduite en tant que sociétaires dans le cadre d’une entreprise économique.
51Au sein des fermages collectifs, plusieurs objectifs coexistent donc de manière complémentaire les uns avec les autres : garantir des bonnes conditions de travail, déclencher des dynamiques collectives, installer les cultivateurs sur des parcelles individuelles ou encore négocier directement avec le propriétaire. Cette multitude de pratiques et de préoccupations trouve finalement son unité dans une aspiration émancipatrice commune, visant la transformation des « paysans en entrepreneurs unis en coopératives48 », et le bilan de l’expérience reste globalement positif :
« En ce qui concerne les résultats jusqu’ici obtenus par ces coopératives, ils sont de nature plutôt complexe. Relativement à l’agriculture, on peut dire que les fermages collectifs ont en bien des cas contribué à un réel progrès. Au égard à l’éducation morale des sociétaires, ils ont, sans aucun doute, excité chez eux le sentiment de la responsabilité et leur ont donné une connaissance plus exacte des moyens de la production agricole, de leur coût et de leur rendement49. »
52Pour conclure, cette approche de la question centrée sur les contrats agraires a mis l’accent sur les coopératives d’affermage comme instrument d’accès au foncier ; l’approche centrée sur les modes d’exploitation a montré le rôle que celles-ci peuvent jouer dans la transformation des systèmes culturaux. Pratiques collectives et logiques individuelles semblent ici capables de se rejoindre, donnant lieu à une dynamique vertueuse qui permettrait à la fois l’émancipation des paysans et la transformation des systèmes agraires. Mais les origines des fermages collectifs sont profondément ancrées dans le contexte réformiste du début du xxe siècle, et le phénomène ne retrouvera jamais les fastes qu’il a connus avant la Première Guerre mondiale. Le conflit constitue de ce point de vue un véritable tournant, qui fragilise certaines sociétés et en élimine d’autres, privées des ressources humaines et matérielles nécessaires à leur bon fonctionnement. Les coopératives d’affermage ne disparaissent pas pour autant.
53Après l’exclusion des initiatives les plus politisées, elles survivent, bien que limitées dans leur autonomie, à l’arrivée au pouvoir du fascisme et se voient préemptées par le nouveau régime (tableau 2). S’il est très difficile de fournir des chiffres précis pour la période de transition, des dynamiques intéressantes se signalent à partir des données fournies par De Carolis pour les années 1925-1926 et des listes d’adhérents à l’ENC.
54Les fermages collectifs résistent dans leur bassin d’origine, où ils parviennent à négocier leur maintien avec le nouveau pouvoir en place. L’intégration des initiatives d’anciens combattants est relativement simple et passe par la conquête fasciste de l’Opera nazionale combattenti (ONC), dont nous reparlerons en détail dans le prochain chapitre et qui détient une sorte de monopole sur les coopératives agricoles de travail dans le Mezzogiorno. Dans les régions du nord, où on craint les réactions de la « classe dangereuse » des ouvriers agricoles, l’encadrement s’effectue au contraire par la subordination des sociétés coopératives de travail aux organismes syndicaux officiels. Privés de leur autonomie d’action et soumis à la surveillance des pouvoirs publics, les fermages collectifs deviennent ainsi des simples organismes d’assistance et de gestion de la main-d’œuvre à l’échelle locale. Ce type d’organismes ne fait d’ailleurs l’objet d’aucun soutien spécifique de la part du régime, sauf dans les territoires où ils participent à des projets d’assainissement et de transformation agricole50.
55Profitant des migrations comme d’une opportunité pour réduire le surplus de main-d’œuvre locale et s’appuyant sur un système favorable d’aides publics, au cours de la première moitié du xxe siècle, les fermages collectifs s’imposent en Italie comme l’une des solutions possibles pour garantir aux paysans l’accès au foncier et de meilleures conditions de vie. Cette double stratégie – fondée à la fois sur les circulations migratoires et sur des formes d’action collective faisant appel à l’État – s’apparente à une réédition de l’antinomie exit/voice proposée par Albert O. Hirschman. Si le choix de partir et les motivations économiques qui l’accompagnent ressortissent au mode de la défection, bien que de manière tempérée par l’horizon du retour et par le mécanisme du rapatriement de l’argent accumulé, les efforts pour s’associer s’apparentent au contraire à celui de la prise de parole. On pourrait ici reprendre les considérations de cet économiste, observant que « la défection est une solution facile. En revanche […] le coût de la prise de parole, si l’on tient compte du temps consacré et de l’effort fourni, dépassera souvent le bénéfice qu’il est concevable d’en retirer51 ». Malgré les limites de ce pari, les coopératives d’affermage italiennes semblent toutefois émerger comme « une nouvelle conception de la lutte économique chez les paysans52 ». L’organisation collective devient ainsi le lieu où se combinent et s’influencent réciproquement les stratégies individuelles et les initiatives revendicatives des agriculteurs-coopérateurs.
Tableau 2. – Les coopératives de culture adhérentes à l’ENC en 1928 et 1938, par région.

Coopération de production et question foncière dans le cas français
56L’expérience italienne des fermages collectifs a des échos en France, même si la question foncière fait montre de caractéristiques totalement différentes. En effet, cette influence peut apparaître paradoxale dans un contexte français où la « mystique de la petite propriété53 » exerce un tel pouvoir symbolique qu’elle finit presque par masquer la complexité de la situation réelle. Devant cette sorte d’axiome, les conclusions d’Étienne Weill Raynal, en 1948, sont au contraire plutôt claires : « La France : pays de petits cultivateurs et de petits propriétaires ? Oui ; pays de petite culture et de petite propriété ? Non54. »
57Mais si, en Italie, l’enjeu foncier est porté par des luttes sociales hantées par la question de l’accès à la terre, de l’autre côté des Alpes cette préoccupation domine plutôt la réflexion des professionnels et des experts, confrontés au problème de la réforme des structures du secteur en vue de la modernisation. Devant les contraintes techniques et la nécessité des remembrements, la solution originale offerte par exemple par les coopératives d’affermage semblait pouvoir apporter des avantages concrets. Elle était susceptible de rendre accessibles les opportunités offertes, sur le versant économique, aux exploitations de grande taille, tout en échappant, sur le plan social, aux inconvénients du modèle de la ferme capitaliste grâce au fait de « remplacer le salariat par l’association55 ».
58Dans ce contexte, les formes collectives de gestion du foncier font progressivement leur entrée dans des débats concernant l’équilibre économique de l’exploitation et l’unité culturale viable. Au cours des années 1950, des missions d’étude sont même organisées, afin d’observer les résultats obtenus en Italie, où « la mise en commun de terres, et même, le cas échéant de cheptel, n’entraînant pas nécessairement le passage à la propriété collective, apparaît comme une formule susceptible de répondre au désir des Pouvoirs Publics56 ».
59Depuis le premier après-guerre, il est vrai, les paysans français prennent possession de la terre de manière de plus en plus stable. Cependant, vers la moitié du xxe siècle, la question foncière persiste, bien qu’elle soit destinée à changer de nature. Face à la modernisation et afin de garantir l’efficacité du système de production, la fragmentation et le morcellement deviennent deux préoccupations largement dominantes. À partir notamment des mesures prises lors de la seconde moitié des années 1930, qui encouragent les remembrements, on commence à reconnaître un devoir d’exploitation correcte des terres, y compris s’il déroge au principe de l’inviolabilité du droit de propriété.
60Cette évolution est à placer sous le signe du nouvel enjeu de l’intensification agricole et finit par modifier la manière d’envisager les pratiques de l’action collective. Au début du siècle, Charles Gide considérait la coopération de consommation comme l’étape ultime d’un nouvel ordre économique et jugeait les coopératives d’affermage comme la preuve du retard des pays latins57. Quelques décennies plus tard, les formes associées de travail agraire semblent finalement devenir une sorte d’indicateur de la modernité et la manifestation de la capacité des agriculteurs à sortir de la dimension individuelle.
61Cependant, encore en 1947, Pierre Lavigne, chargé de cours à la faculté de droit de l’université de Rennes, constatait qu’en France les coopératives de culture et d’exploitation « n’ont, jusqu’à l’heure actuelle, eu aucun prestige58 ». Les résultats de l’enquête publiée en 1896 par Robert de Rocquigny sont, de ce point de vue, extrêmement significatifs. Sous la catégorie de la coopération dans l’exploitation du sol, l’auteur inclut des initiatives destinées à rendre accessibles, même aux petits paysans, les « avantages de l’outillage perfectionné jusqu’alors réservés aux grands agriculteurs59 ». C’est par exemple le cas des sociétés de battage ou pour l’utilisation en commun des machines, dont l’influence reste pourtant assez limitée dans la phase de production proprement dite. Le mouvement coopératif a donc plutôt tendance à se développer en amont et en aval, c’est-à-dire dans la phase qui précède le travail de l’exploitant, avec les achats collectifs et l’approvisionnement, et dans celle qui le suit, avec la transformation et la vente des produits.
62En revanche, si les observateurs français suivent toujours avec attention les expériences qui se font à l’étranger60, seules des conditions exceptionnelles semblent à leurs yeux justifier, dans leur pays, le recours à des solutions comme les coopératives d’affermage. Pour Augé-Laribé, celles-ci permettent de remplacer « ces intermédiaires qu’on appelle des fermiers généraux. Ce n’est donc guère que dans le Bourbonnais où des grandes propriétés sont divisées en plusieurs métairies que des coopératives de ce genre pourraient s’organiser chez nous61 ».
63Benoît Rambaud, enseignant d’économie rurale à l’École nationale d’Agriculture de Grignon, consacre sa thèse à la question à partir de quatre études de cas-pays (France, Italie, Roumanie et Irlande)62. Il y envisage la création de coopératives d’affermage dans certains territoires de l’Allier marqués par la concentration foncière et par l’absentéisme des propriétaires. Mais il va aussi jusqu’à affirmer qu’elles existeraient déjà dans certaines régions de France, depuis le xviie siècle, sous la forme primitive d’associations solidaires ou dans un cadre familial, où les membres mettent leurs efforts en commun afin de conserver l’unité d’un domaine pris à bail, d’empêcher les fragmentations foncières et d’obtenir de meilleures conditions contractuelles.
64Plus ou moins à la même époque, la fédération syndicale bourbonnaise propose de réaliser « par les coopératives et les associations diverses un système de culture mieux en rapport avec les conceptions de la vie moderne63 ». S’appuyant sur les exemples du passé, Rambaud s’aventure pourtant dans la formulation d’une étape ultérieure. Il envisage l’introduction en France des coopératives d’affermage en réponse tant aux problèmes d’organisation interne de l’agriculture qu’aux défis plus récents auxquels est confronté le secteur. D’après lui, cette forme sociétaire pourrait servir d’instrument pour lutter contre le chômage, l’exode rural et l’abandon des terres en friche, en particulier par des actions de diversification productive capables « de pratiquer sur le terrain coopératif la polyculture dans les régions de monoculture, et la monoculture dans les régions de polyculture64 ». Devant les limites de l’action individuelle dans les campagnes, Jules Méline plaidait lui aussi pour la solution associative : « Qui empêcherait, par exemple, de créer, partout où cela est possible, des sociétés de propriétaires qui mettraient en commun des fermes abandonnées et même des fermes en plein rapport, dont on confierait l’exploitation générale à des agronomes ayant fait leurs preuves65 ? »
65Durant et dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale, des solutions associatives sont adoptées pour la restauration des régions dévastées et pour l’aménagement des sols abandonnés66. Certains considèrent que « ces opérations de remembrement ont montré aux cultivateurs les avantages de la coopération […]. Si leurs adhérents savent le maintenir et ne se hâtent pas trop de retourner au régime individualiste, ils verront sans doute diminuer sensiblement leurs frais de production67 ». Malgré les souhaits de plusieurs experts et après cette conjoncture de courte durée, ces expériences semblent pourtant condamnées à disparaître : lors de l’enquête agricole de 1929, les notices explicatives relèvent qu’« il n’a pas paru utile d’établir une rubrique pour les exploitations collectives ou coopératives qui sont vraisemblablement très exceptionnelles68 ».
66Dans le contexte de la fin du second conflit mondial, un intérêt nouveau pour les expériences de culture en commun gagne les milieux agricoles français69. En 1944, le ministre de l’Agriculture François Tanguy-Prigent lance deux projets. Le premier vise à établir un Office national foncier, destiné en premier lieu à regrouper les exploitations confisquées aux dirigeants de la Corporation nationale paysanne et aux individus jugés coupables de marché noir. Le second se propose d’encourager les coopératives de culture par des fusions, sur la base du volontariat, de plusieurs exploitations familiales voisines entre elles, en vue d’une gestion partagée mais sans propriété collective. Pour résumer, la ligne directrice « affirmait la nécessité de modifier le concept traditionnel du droit de propriété et d’établir parallèlement le principe de la “propriété culturale” (reconnaissant les intérêts du tenancier d’une terre comme distincts de ceux du propriétaire)70 ». Des pressions politiques conduisent à l’abandon du projet, mais le statut du fermage et du métayage fait entrevoir de nouvelles possibilités pour l’outil coopératif, dans la perspective de stabiliser les cultivateurs sur la terre qu’ils travaillent et d’encourager les formes directes de faire-valoir. D’une part, les mesures de 1945-1946 envisagent que la coopérative de culture figure parmi les options qui permettent au propriétaire de refuser le renouvellement du bail pour s’engager directement dans l’exploitation des terres, d’autre part elles autorisent l’adhésion à une coopérative de culture, pour une durée de neuf ans, de la part du preneur, qu’il soit fermier ou métayer71.
67La solution associative réapparaît ainsi dans les débats et dans les projets français comme une opportunité pour répondre aux problèmes des campagnes et pour garantir « le plein rendement de la main-d’œuvre, la réduction des frais généraux, la diminution des prix de revient et l’amélioration des produits ». Les réactions à cette formule hypothétique sont diverses et variées. Certains ironisent, même à l’intérieur des institutions du secteur, sur « la coopérative d’exploitation en commun […] présentée comme une institution nouvelle séduisante et pleine de promesses que l’État doit donc encourager de toutes ses forces ». D’autres s’enthousiasment ; d’autres encore craignent une tentative de nationalisation de la terre, première étape, selon eux, vers la soviétisation des campagnes françaises72.
68Du point de vue des pouvoirs publics, la prudence devant des voies potentiellement risquées est l’attitude recommandée pour l’action sur le terrain : « Nous nous trouvons devant une forme de la coopération agricole pratiquement nouvelle dans notre Pays, et qui, de ce fait, exige plus que toute autre, la définition de règles de fonctionnement précises et nettes, sous peine d’aboutir au même échec qui a jusqu’ici marqué en France les quelques tentatives de culture coopérative en commun73. » La principale préoccupation réside, au fond, dans le rapport qui va s’instaurer entre le nouvel organisme coopératif et le modèle de l’exploitation paysanne, dans un cadre délicat et crucial comme celui de la production. Il faut donc bien délimiter les frontières respectives et surveiller que toute dérogation à l’autonomie du producteur indépendant soit justifiée par une supériorité effective, c’est-à-dire « que le rendement de la main-d’œuvre groupé[e] dans une coopérative en commun dépasse celui de l’exploitation familiale, même poussée à son plus haut point de perfection74 ».
69La définition d’un cadre juridique spécifique reste donc une étape indispensable. Si l’ordonnance du 12 octobre 1945 a déjà fixé un premier statut pour les coopératives agricoles, elle demeure insuffisante et la confusion persiste. Il faut donc attendre l’arrêté du 31 janvier 1947 d’homologation des statuts-types K, concernant les coopératives de culture en commun, pour plus de clarté. Ce statut suscite beaucoup de débats et certains proposent même de distinguer les deux sous-catégories suivantes (types K1 et K2) : d’un côté, « la coopérative agricole d’exploitation en commun [serait] composée uniquement d’exploitants (propriétaires ou fermiers) qui apportent à la coopérative la jouissance des terres et bâtiments agricoles qu’ils exploitaient jusqu’ici individuellement. [De l’autre côté] la coopérative agricole de production en commun, procédant d’un principe essentiellement différent, [serait] basée sur la mise en commun du travail et de la technique de ses membres75 ».
70Dès avril 1948, cette formule est d’ailleurs abandonnée pour faire place aux statuts de type E, et un glissement sémantique très intéressant s’opère, car la coopérative d’exploitation en commun remplace la dénomination de coopérative de culture en commun76. L’objet des coopératives de type E est « la mise en valeur des terrains ou exploitations que les coopérateurs ou des tiers lui auront loués, qui lui auront été concédés ou qui lui appartiendront en propre [ ;] elle effectuera ou facilitera toutes les opérations concernant la production, la transformation, la conservation et la vente des produits agricoles provenant exclusivement de ces terrains ou exploitations77 ». Ces évolutions formelles finissent par être inscrites dans le Code rural par le décret du 20 mai 1955 qui distingue les quatre catégories suivantes de coopération agricole : transformation et vente, achat, services, exploitation en commun. Cette dernière, indéfinie et transversale par nature, tend à plusieurs reprises à se confondre avec les autres, mais les formules mixtes, bien qu’acceptées, sont rarement reconnues comme telles. Si cette plasticité garantit une grande capacité d’adaptation, elle contribue en même temps à faire de l’exploitation en commun une « coopération faible », largement répandue, bien que souvent subordonnée à d’autres missions plus engagées dans la spécialisation et valorisées dans le cadre des procédures d’agrément.
71Malgré l’existence d’un statut juridique défini, la diffusion des initiatives de ce type reste assez limitée, comme en témoignent les données du tableau 3, issues des recensements réalisés à partir de 1948 par la direction des Services agricoles.
72Entre 1948 et 1950, seules treize coopératives, officiellement agréées, existent sur l’ensemble du territoire français. Elles se trouvent dans onze départements, appartenant pour la quasi-totalité à la partie centre-méridionale du pays. Mais le succès de ces initiatives est assez variable. Constituée en 1947 et agréée deux ans plus tard, la Coopérative d’exploitation du Marais des Javouls, dans le Puy-de-Dôme, est jugée « de beaucoup la plus importante coopérative d’exploitation fonctionnant en France78 ». Elle se situe sur un territoire où les sols sont particulièrement propices aux cultures céréalières, à celles de la betterave et des oléagineux, mais où les conditions précaires liées à une forte période de pluies et à l’exode rural massif ont eu comme conséquence l’abandon des terres. Aidée par les services du ministère de l’Agriculture et par les syndicats professionnels locaux, la coopérative prend en charge les opérations de défrichage et de réaménagement foncier. Au début, elle s’appuie sur le travail des sociétaires, mais rapidement cette formule est abandonnée et l’exploitation est confiée à des salariés79.
Tableau 3. – Les coopératives de culture et d’exploitation en commun en France, sur la base des recensements du ministère de l’Agriculture (1948-1959).




73D’autres expériences se développent au cours des années 1950, qui rentrent en général dans l’une des quatre typologies coopératives suivantes : technique, forestière, de pâturage, d’exploitation-travail. Du point de vue de la distribution géographique, deux axes presque parallèles émergent de part et d’autre du pays : d’un côté, se trouvent les coopératives de pâturage des territoires montagneux de la France orientale ; de l’autre, les initiatives de travail et d’aménagement foncier, vouées à l’exploitation des terres dans quelques grands domaines ou dans les marais, le long des plaines du versant atlantique qui de la Loire descendent vers les Pyrénées. Au centre, sont principalement situées des coopératives forestières ainsi que quelques initiatives, plutôt éphémères, qui prennent place dans les régions céréalières de la partie septentrionale.
74Les chiffres restent pourtant assez insignifiants par rapport aux 17275 coopératives agricoles qui existent en France à la même époque, dont 8000 CUMA. Cette dernière forme d’association bénéficie d’un succès incontestable et certains avancent même l’hypothèse qu’il ne s’agit que d’une première étape, car « tout se passe comme si les agriculteurs qui ont commencé à s’associer par l’utilisation du matériel suivaient une sorte de progression logique et s’acheminaient par étapes successives vers l’association complète80 ». En effet, pour affronter la modernisation agricole, d’importantes immobilisations productives deviennent nécessaires et les exploitations doivent se doter d’un capital financier et technique approprié, notamment en termes de machines et d’intrants. Dans ce contexte, l’idée de dépasser la contrainte imposée par la propriété du sol en ayant recours à la coopération émerge comme une voie possible afin de réduire la charge foncière et de libérer des ressources, ensuite investies dans l’exploitation. À l’heure où l’« agriculture de groupe industrielle et commerciale81 » semble offrir de nouvelles opportunités, la formule coopérative apparaît finalement comme « un symbole social de la société rurale en mutation, dont le travail agraire devenant une profession, à l’égale de toute autre, est le noyau82 ».
75Les solutions associatives deviennent progressivement un outil mis au service des institutions et de la politique structurelle, notamment grâce à la capacité qu’on leur attribue de s’adapter à différents contextes locaux : elles pourraient, par exemple, servir la colonisation interne des terres incultes et aider au développement de nouvelles activités économiques dans les régions pauvres, alors que, dans les zones riches, « un système d’unité de travail […] permettrait le maintien à la terre d’un plus grand nombre de personnes83 », faciliterait le regroupement des unités non-viables et contribuerait à limiter les concentrations. L’aide à l’installation de jeunes agriculteurs est une autre des préoccupations des pouvoirs publics à cette époque. Elle prend son origine tant dans la crainte de l’exode rural, « forme de grève, permanente et individuelle84 », que dans la volonté de contrer le vieillissement de la population agricole. Pour garantir l’accès des nouvelles générations aux équipements nécessaires à une ferme moderne, on considère que « la constitution de coopérative de culture en commun, dont l’objet serait une entraide mutuelle permanente, contribuerait grandement à diminuer les difficultés que rencontrent les jeunes cultivateurs85 ». Malgré les limites de la législation existante, « négligée dans les textes, la coopération devait, dès le début des années soixante, s’imposer dans les faits86 ».
76Mues par les aspirations d’une couche d’agriculteurs « en quête de progrès », les pratiques collectives d’exploitation échappent à la sphère des initiatives velléitaires ou éphémères et obtiennent une reconnaissance sous la forme des groupements agricoles d’exploitation, « associations volontaires et spontanées d’agriculteurs qui mettent en commun tout ou partie de leurs moyens de production, et qui partagent leur pouvoir de décision87 ». Plusieurs projets se succèdent au cours des années, mais cette évolution aboutit officiellement lors de l’institution des Groupements agricoles d’exploitation en commun (GAEC) par la loi du 8 août 1962, qui complète la loi d’orientation agricole du 5 août 1960. Défini comme un « acte de liberté de pensée en agriculture88 » qui consacre la centralité du travail et de l’exploitation familiale, le GAEC invente de nouveaux instruments juridiques et adopte le statut d’une société civile originale, dotée de la personnalité morale.
77De façon presque paradoxale, cette reconnaissance officielle des pratiques associatives correspond au déclin définitif de l’expérience des coopératives de production et d’exploitation en commun, dont la forme législative s’est souvent révélée difficile à appliquer en raison des contraintes imposées aux adhérents en ce qui concernait le partage des ressources nécessaires au fonctionnement de l’entreprise agricole89. Malgré cet échec et la décision d’adopter un statut spécial et non coopératif au sens strict, le GAEC reste pourtant, comme le souligne Placide Rambaud, une « société de personnes, et non pas de capitaux, réunies au titre de l’interconnaissance et du service réciproque, il est avant tout une coopérative de travailleurs puisque les associés doivent participer effectivement au travail en commun et ses membres être exploitants à titre principal90 ».
78Face à un contexte en mutation qui pose des contraintes et des opportunités inédites, le GAEC peut être perçu comme une forme extrême d’accomplissement et d’appropriation de l’outil coopératif dans l’agriculture, le conduisant jusqu’à son dépassement. Le recentrage opéré par les paysans sur la coopération est tellement profond qu’il finit par dépasser largement le cadre de départ. À une époque où on considère que le paysan moderne ne peut être qu’un paysan associé91, la gestion des coopératives de culture en commun manifeste néanmoins plusieurs limites difficilement solubles dans un cadre économique et social dominé par l’« individualisme de structure92 ». Le GAEC, au contraire, se trouve vite englobé dans l’univers des stratégies de nature familiale, fondées à la fois sur des liens de parenté ou, mais plus rarement, sur des formes de parenté élective.
Notes de bas de page
1 Gueslin A., L’invention, op. cit., p. 25.
2 Enquête sur les sociétés de coopération, ministère de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics. Paris, Imprimerie impériale, 1866, p. 516.
3 Voir Code de commerce de 1882, Titre IX, section VII, articles 219-228.
4 Les organismes coopératifs sont en effet obligés de se constituer comme des sociétés anonymes, collectives ou en commandite, voir Bonfante G., « La legislazione », art. cit., p. 195.
5 Deux ouvrages méritent d’être cités ici, dont l’intérêt pour le rapport entre les deux phénomènes est explicite dès le titre. Le premier est la remarquable synthèse proposée à la moitié des années 1920 par Augé-Laribé, voir Augé-Laribé M., Syndicats, op. cit. Le second est un texte où Luigi Trezzi reconstruit l’évolution de ce rapport en Italie, des origines à la prise du pouvoir par le fascisme, voir Trezzi L., Sindacalismo, op. cit. La question traverse par ailleurs tout l’ouvrage de Pierre Barral consacré aux agrariens français. Sur le cas italien, mais dans une perspective comparative, mérite aussi d’être cité Meriggi M. G., Cooperazione e mutualismo. Esperienze di integrazione e conflitto sociale in Europa fra Ottocento e Novecento, Milan, Franco Angeli, 2005. Sur la relation entre coopération et résistance, voir aussi Castro A., « L’analisi della “Critica sociale” (1891-1926) », in F. Fabbri (dir.), Il movimento, op. cit., p. 777-796.
6 Rocquigny (de) R., La coopération, op. cit., p. 6.
7 Ibid., p. 6 (italiques présents dans le texte original).
8 Augé-Laribé M., La politique agricole, op. cit., p. 137, voir aussi Lecomte A., Les Associations Agricoles Professionnelles et Mutuelles. Sociétés – Comices – Syndicats – Coopératives – Caisses de crédit – Assurances mutuelles, Paris, Lucien Laveur Éditeur, 1907.
9 Gide C., Les Associations, op. cit., p. 3.
10 Ibid., p. 4.
11 Augé-Laribé M., Syndicats, op. cit., p. 7.
12 Voir, sur le cas français, Barral P., Les agrariens, op. cit., p. 118-119. C’est là aussi l’un des angles de l’attaque fasciste contre la coopération, comme en témoigne le volume de Preziosi G., Cooperativismo rosso piovra dello Stato, Bari, Laterza, 1922. En revanche, sur la coopérative comme instrument au service des luttes ouvrières, voir le cas français sous la IIIe République dans Perrot M., Les ouvriers, op. cit., t. II, p. 411.
13 Dans une perspective comparatiste sur quatre itinéraires nationaux différents (France, Allemagne, Espagne et Italie), le rôle des syndicats et des coopératives, dans le processus de structuration d’un champ socioprofessionnel autonome au cours des années 1880-1930, est analysé dans Marache C. et Bourrigaud R., « Vers la structuration du monde agricole », in J.-M. Moriceau (dir.), Les Campagnes, op. cit., p. 138-157.
14 Pour reprendre l’expression proposée dans Albanese F. et Capo E., « L’empreinte des clivages politiques », in B. Hervieu et R.-M. Lagrave (dir.), Les syndicats, op. cit., p. 161-183. Sur le poids des clivages politiques dans le milieu rural français, voir Marache C., « Enjeux et résonances du politique », art. cit., et id., « La responsabilisation politique du monde paysan », art. cit., p. 82-84.
15 Sur la spécificité du socialisme rural italien, voir Zangheri R., « Contadini e politica nell’800. La storiografia italiana », in La politisation, op. cit., p. 13-27.
16 Voir, sur le cas du Bourbonnais, Guillaumin É., La vie d’un simple (Mémoires d’un métayer), Paris, Stock, 1904.
17 Rocquigny (de) R., Le prolétariat rural en Italie. Ligues et grèves de paysans, Paris, Arthur Rousseau Éditeur, 1904, p. vii. Voir aussi Mignemi N., « Agriculteurs », art. cit., p. 52-58 et les résultats de l’enquête sur le Bas-Languedoc dans Augé-Laribé M., « Les ouvriers de la viticulture languedocienne et leurs syndicats », Le Musée social. Mémoires et documents, novembre 1903, p. 265-328.
18 Barral P., Les agrariens, op. cit., p. 31.
19 Id., « Un secteur dominé », art. cit., p. 378.
20 Rocquigny (de) R., Les syndicats agricoles et leur œuvre, Paris, Armand Colin, 1900.
21 Bourdieu P., « Une classe objet », art. cit., p. 4.
22 Hubscher R. et Lagrave R.-M., « Unité et pluralisme dans le syndicalisme agricole français. Un faux débat », Annales ESC, n° 1, 1993, p. 110.
23 Ibid., p. 133.
24 Voir Postel-Vinay G., La terre et l’argent. L’agriculture et le crédit en France du xviiie siècle au début du xxe siècle, Paris, Albin Michel, 1998, p. 183-187.
25 Voir Aymard M., « Autoconsommation et marchés : Chayanov, Labrousse ou Le Roy Ladurie », Annales ESC, 38, n° 6, 1983, p. 407, et Béaur G., « Foncier et crédit dans les sociétés préindustrielles. Des liens solides ou des chaînes fragiles ? », Annales HSS, n° 6, 1994, p. 1411-1428.
26 Gueslin A., Histoire des crédits agricoles, Paris, Économica, 1984, p. 11.
27 Le crédit agricole. II. Crédit collectif, op. cit., p. 49. La loi du 29 décembre 1906 sur les prêts à long terme en faveur des coopératives agricoles est complétée par les décrets du 30 mai 1907 et du 26 août 1907. Ceux-ci identifient les opérations suivantes comme susceptibles de recevoir des avances en vertu de la loi de 1906 : « la production, la transformation, la conservation, l’installation et l’appropriation des bâtiments, ateliers, magasins, matériel de transport, l’achat et l’utilisation des machines et des instruments nécessaires aux opérations agricoles d’intérêt collectif ».
28 Voir Tardy L., Rapport sur les systèmes de crédit agricole et d’assurances agricoles, Genève, Société des Nations, 1938 et, sur le cas italien, voir Cova A., « Il credito all’agricoltura dalla unificazione alla seconda guerra mondiale : alcune considerazioni », in P. P. D’Attorre et A. De Bernardi (dir.), Studi, op. cit., p. 37-61.
29 Voir Trezzi L., Sindacalismo, op. cit., p. 9-11. La Società Umanitaria de Milan figure parmi les exemples les plus importants dans le développement des fermages collectifs dans l’Italie septentrionale, voir Granata I., In difesa della terra. L’Ufficio Agrario della Società Umanitaria, 1905-1923, Milan, Franco Angeli, 2003.
30 Voir Chayanov A. V., The Theory, op. cit., p. 205 et 220.
31 Voir les différents articles parus dans le Bulletin des institutions économiques et sociales de l’IIA : « La coopération agricole dans le Midi de l’Italie, d’après les résultats de la dernière enquête parlementaire » (n° 1, 1910, p. 314-334) ; « Les fermages collectifs » (n° 5, 1918, p. 385-401) ; « Les fermages collectifs dans les provinces de Parme, de Modène, de Mantoue et en Sicile » (n° 8, 1918, p. 645-658) ; « Les fermages collectifs dans les provinces de Parme, de Bologne, de Ferrare, et en Lombardie » (n° 8-9-10, 1919, p. 467-483) ; « Le mouvement des fermages collectifs » (n° 5, 1920, p. 341-343) ; « Les fermages collectifs » (n° 10, 1921, p. 497-512).
32 Études monographiques sur la coopération agricole dans quelques pays. Tome II. Argentine, Autriche, Hongrie, Italie, Suisse, IIA. Service des institutions économiques et sociales, Rome, Imprimerie de la Chambre des députés, 1914, p. 172.
33 Voir Serpieri A. et Mami G., « Les fermages collectifs en Italie, et en particulier les fermages collectifs de “braccianti” », Bulletin des institutions économiques et sociales, IIA, n° 9, 1913, p. 17-38 et n° 11, 1913, p. 29-54. Sur la figure d’Arrigo Serpieri et son influence sur l’économie et la statistique agricole italiennes, voir D’Onofrio F., Observing, op. cit., mais aussi D’Antone L., « Politica e cultura agraria : Arrigo Serpieri », StS, n° 3, 1979, p. 609-642 et Prampolini A., « La formazione di Arrigo Serpieri e i problemi dell’agricoltura lombarda », StS, n° 2, 1976, p. 171-209.
34 Arnoux M. et Béaur G., « Les contrats agraires et l’histoire des sociétés rurales », in G. Béaur, M. Arnoux et A. Varet-Vitu (dir.), Exploiter, op. cit., p. 5.
35 Voir Serpieri A., Studi sui contratti agrari, Bologne, Nicola Zanichelli editore, 1920, p. 127-151.
36 À propos des provinces lombardes de Milan, Côme, Crémone et Bergame, mais aussi de Novare, dans le Piémont, voir Raineri G., Le affittanze collettive in Italia. Inchiesta, Federazione italiana dei consorzi agrari, Piacenza, Stabilimento Tip. V. Porta, 1906, p. 20-21.
37 Il s’agit des considérations de Luigi Sturzo, reprises par Raineri dans son enquête, ibid., p. 23. Voir aussi Renda F., Socialisti e cattolici in Sicilia. 1900-1904, le lotte agrarie, Caltanissetta-Rome, Salvatore Sciascia, 1972.
38 Sur le cas des coopératives de journaliers embauchés comme ouvriers dans le bâtiment ou sur les chantiers de travaux publics, voir Études monographiques, op. cit., p. 183-184. Parmi d’autres exemples, voir les fermages collectifs de la « province coopérative » de Reggio Emilia, cités dans Raineri G., Le affittanze, op. cit., p. 4-6 et p. 55-56.
39 Sur la figure de Raineri, voir Fontana S., « Giovanni Raineri, tecnico agrario e uomo politico : dalla Federconsorzi al Comitato agrario nazionale », in id. (dir.), La Federconsorzi, op. cit., p. 34-60.
40 Pour les coopératives qui n’ont pas indiqué le nombre de leurs membres, nous avons utilisé comme indicateur l’information sur les lots établis en gestion divisée, là où cette information était disponible.
41 Nombre de coopératives qui ont effectivement répondu au questionnaire de l’enquête et fourni l’information sur le nombre des sociétaires ou les surfaces en gestion.
42 Voir De Carolis C., La cooperazione, op. cit., p. 110-133.
43 Voir Mazoyer M. et Roudart L., Histoire, op. cit.
44 L’attention accordée à la position et au fonctionnement économique des fermages collectifs n’a pas été suffisante jusqu’ici dans les études scientifiques, notamment en raison de la faiblesse des sources effectivement disponibles. Parmi les exceptions qui méritent d’être signalées, citons Trezzi L., « Terra e contadini nell’affittanza collettiva di Fara Olivana (1911-1928) », BASMSC, n° 1, 1976, p. 122-168 et Granata I., La difesa, op. cit., p. 208-227. Dans la perspective de dépasser les visions traditionnelles des pratiques de solidarité dans la gestion des activités rurales, voir aussi Cazzola F., « Tra conflitto e solidarietà : considerazioni sull’esperienza storica delle Partecipanze agrarie dell’Emilia », Cheiron, n° 14-15, 1990, p. 293-307.
45 L’enquête de Raineri se limite à la distinction entre exploitation unique et exploitation divisée. Voir Raineri G., Le affittanze, op. cit., p. 3-12. Dans la littérature française sur le sujet, la tripartition est reprise par Cramois A., Coopératives agricoles, op. cit., p. 22.
46 Voir Contributo a nuovi studi sulle affittanze collettive in Sicilia, Girgenti, Premiata Stamperia Montes, 1912, p. 16.
47 Sur la question des catégories sociales et les différentes formes de fermages collectifs, voir Études monographiques, op. cit., p. 173. Chez certains socialistes siciliens, par exemple, l’exploitation en commun sur des parcelles bien délimitées a des fonctions de propagande et d’éducation à la vie collective afin de sortir les paysans de l’individualisme. Le cas sicilien sera approfondi dans la deuxième partie, mais voir d’ores et déjà Barone G., « La cooperazione agricola dall’età giolittiana al fascismo », in O. Cancila (dir.), Storia, op. cit., p. 227-304.
48 « Les fermages collectifs dans les provinces de Parme, de Modène, de Mantoue et en Sicile », Bulletin mensuel des institutions économiques et sociales, IIA, n° 8, 1918, p. 653.
49 Études monographiques, op. cit., p. 174.
50 Voir Costanzo G., « La coopération agricole en Italie », Revue internationale d’agriculture. Bulletin des renseignements économiques et sociaux, n° 1, 1931, p. 25e-30e.
51 Hirschman A., Vers une économie politique élargie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1986, p. 59-60.
52 « Les fermages collectifs dans les provinces de Parme, de Modène, de Mantoue et en Sicile », Bulletin mensuel des institutions économiques et sociales, IIA, n° 8, 1918, p. 654.
53 C’est le titre qu’Augé-Laribé utilise pour la première partie du chapitre consacré aux politiques sur la propriété et le travail dans la Grande crise, voir Augé-Laribé M., La politique agricole, op. cit., p. 86-92, mais qui reprend aussi un des thèmes centraux de sa thèse : Augé-Laribé M., Grande ou petite propriété ? Histoire des doctrines en France sur la répartition du sol et la transformation industrielle de l’agriculture, thèse pour le doctorat, université de Montpellier. Faculté de Droit. Montpellier, Imprimerie G. Firmin, Montane et Sicardi, 1902, p. 184-199.
54 Weill Raynal E., « La répartition des terres en France : légende et réalité », Études et conjoncture. Union française (série rouge), n° 9-12, 1948, p. 75.
55 AN, 19860290/11, Documentation générale années 1945-1961, Compte rendu d’une réunion d’études des coopératives de culture en commun tenue le 19 novembre 1948 au ministère de l’Agriculture, p. 4.
56 Ibid., Rapport de la mission en Italie « Coopérative de culture et d’exploitation en commun » (27 juin au 2 juillet 1955). Organisé dans le cadre des missions intra-européennes de productivité, le groupe envoyé en Italie se compose de huit personnes, dont deux membres fonctionnaires, quatre représentants des organisations coopératives et deux représentants des ententes et communautés rurales. Ceux-ci visitent des coopératives dans les quatre provinces suivantes : Rome, Ravenne, Bologne, Rovigo.
57 Voir Gide C., La Coopération dans les Pays Latins, op. cit., mais aussi, du même auteur, Les Associations, op. cit., p. 163-177.
58 Lavigne P., « Vers une collectivisation de l’agriculture française ? Les coopératives de culture », Recueil Dalloz de doctrine de jurisprudence et de législation, section Chroniques, n° 37, 1947, p. 145.
59 Rocquigny (de) R., La coopération, op. cit., p. 12.
60 Ces « références étrangères », appartiennent tant à l’histoire qu’à l’actualité : le mir russe de l’avant-Révolution, les kolkhozes soviétiques, la Zadrouga serbe, l’Obste roumain, les fermages collectifs italiens, les kibboutz en Palestine, les coopératives de culture bulgares.
61 Ce point de vue est développé par Augé-Laribé en reprenant les travaux de Benoît Rambaud, dans Augé-Laribé M., Syndicats, op. cit., p. 64. Sur la persistance des fermiers généraux en France au début du xxe siècle, voir l’enquête La petite propriété, op. cit., p. 9-11.
62 Voir Rambaud B., La question des fermiers généraux en France et à l’étranger (Étude d’Économie rurale), thèse pour le doctorat, Faculté de droit de l’université de Paris, Paris, A. Pedone Éditeur, 1913, et id., « Les fermages collectifs », Annales de l’École nationale d’Agriculture de Grignon, t. 3, 1912, p. 107-135.
63 Voir « L’enquête de la Fédération. Réponses et Commentaires », Le Travailleur rural. Bulletin trimestriel de la Fédération des Syndicats de Cultivateurs de la région de Moulins, n° 18, juin 1910, p. 5.
64 Rambaud B., « Les fermages collectifs », art. cit., p. 131.
65 Ces paroles de Jules Méline, prononcées en 1908, sont citées dans Lavigne P., « Vers une collectivisation », art. cit., p. 145.
66 Voir par exemple les considérations dans Augé-Laribé M., Le paysan français après la guerre, Paris, Garnier Frères, 1923, p. 105. Soutenus par les autorités civiles et militaires qui mettent à leur disposition des ressources financières et des dotations techniques, des organismes collectifs se développent en particulier dans l’Orne, l’Eure-et-Loir, l’Indre, la Vienne, la Dordogne, le Lot, le Gers, la Haute-Garonne, le Vaucluse, la Loire et le Puy-de-Dôme. Ils s’occupent de l’achat des intrants, des travaux agricoles, de l’entretien des terres et des cultures. Dans les régions du Nord et de l’Est, les coopératives prennent aussi en charge la remise en état d’un million et demi d’hectares de terres labourables dévastés par les combats, produisant 18 millions de quintaux de blé et disposant d’un cheptel mort ou vif de plus de deux milliards de francs d’avant-guerre. Nombreux sont les articles et les notices consacrés au cas français dans le Bulletin mensuel des institutions économiques et sociales de l’IIA, parmi lesquels on peut citer : « Les coopératives pour la mise en culture des terres abandonnées et la reconstitution des villages détruits » (n° 7, 1917, p. 23-25) ; « Les sociétés coopératives pour la mise en culture des terres » (n° 1-2, 1919, p. 31-37) ; « La reconstitution agricole des régions libérées » (n° 1-2, 1919, p. 83-84) ; « Les coopératives de culture en commun des terres dans l’arrondissement de Reims » (n° 3, 1920, p. 176) ; « Mesures prises, depuis 1914, pour faciliter la coopération agricole » (n° 12, 1921, p. 661-673).
67 Augé-Laribé M., L’agriculture pendant la guerre, Paris, PUF, New Haven, Yale University Press, 1925, p. 209. Le volume fait partie du projet international pour une « Histoire économique et sociale de la guerre mondiale », soutenu par la Dotation Carnegie pour la Paix internationale, voir Chatriot A., « Une véritable encyclopédie économique et sociale de la guerre », L’Atelier du Centre de recherches historiques, n° 03.1, 2009.
68 Il s’agit d’un extrait des notices consacrées aux modes d’exploitation, voir Statistique agricole de la France, op. cit., p. 773.
69 Voir les considérations de Hirschfeld A., La coopération agricole. Cours, op. cit., p. 91-92, reprises par le même auteur dans id., La Coopération agricole en France, op. cit., 1957, p. 60-62.
70 Wright G., Révolution rurale, op. cit., p. 167.
71 Voir en particulier l’art. 33 de l’ordonnance du 17 octobre 1945 et l’art. 25-bis de la loi du 13 avril 1946, qui modifie la mesure précédente. Pour une analyse plus générale des effets du statut du fermage et du métayage, voir : Hirschfeld A. et Follin (de) H., « Les coopératives de culture en commun : leurs perspectives d’avenir », Revue des Études Coopératives, n° 75, 1946, p. 77-86 ; Cépède M., Agriculture et alimentation en France durant la iie guerre mondiale, Paris, Éditions M.-Th. Génin, 1961, p. 468-470 et id., « Family Farm in France », in J. Ackermann et M. Harris (dir.), Family Farm Policy, Chicago, Chicago University Press, 1947, p. 353-381 ; Boussard I., « L’évolution des contrats de location de terre en France. L’exemple du statut du fermage, 1936-1946 », in G. Béaur, M. Arnoux et A. Varet-Vitu (dir.), Exploiter, op. cit., p. 173-193. Sur le plan des pratiques, des exemples se signalent dans les Pyrénées-Orientales, à Savigny-lès-Beaune (Côte-d’Or) et à Chaumont (Haute-Savoie).
72 AN, 19860290/23, Correspondance 1945-1961, cit., Lettre n° 1196/Coo du 15 juin 1946 au directeur des Services agricoles des Basses-Pyrénées à propos d’une demande d’information sur les coopératives d’exploitation en commun et la « Note pour Monsieur le Ministre » du Secrétariat général de la Production agricole du 23 octobre 1945.
73 AN, 19860290/11, Documentation 1945-1961, cit., Contribution à l’étude d’un statut des coopératives agricoles d’exploitation en commun par Pierre Reymond du 16 mars 1947.
74 Hirschfeld A. et Follin (de) H., « Les coopératives », art. cit., p. 85.
75 AN, 19860290/11, Documentation 1945-1961, cit., Contribution à l’étude d’un statut des coopératives agricoles d’exploitation en commun par Pierre Reymond du 16 mars 1947.
76 AN, 19860290/11, Documentation 1945-1961, cit., Lettre n° 4513/Coop du 29 avril 1948 (réunion du 14 avril 1948 de la Commission du Conseil supérieur de la Coopération agricole chargée de réviser les statuts de type K).
77 Extrait de l’art. 3, dans Formules de statuts pour les différents types de coopératives agricoles, ministère de l’Agriculture, Paris, Imprimerie nationale, 1951, p. 68. Seuls les agriculteurs, exploitants ou ouvriers agricoles, possédant des intérêts dans le territoire où celle-ci exerce son activité peuvent adhérer à la coopérative. La répartition des excédents se fera proportionnellement à la valeur du travail et aux moyens de production, à l’exclusion du capital, que chaque sociétaire a fournis au cours de l’exercice.
78 AN, 19860290/11, Documentation 1945-1961, cit., Note sur les coopératives agricoles d’exploitation en commun agréées à la date du 1er janvier 1957.
79 Voir Rouleau L., « Les coopératives de culture en France », Revue des Études Coopératives, n° 85, 1951, p. 195-196.
80 Nicolas P., « La coopération au niveau de la production : croissance des entreprises et groupements agricoles d’exploitation », Paysans, n° 36, 1962, p. 41. Sur les CUMA, voir Chombart de Lauwe J., « Aspects économiques de l’utilisation en commun du matériel agricole (d’après une enquête dans dix régions) », Bulletin de la Société française d’économie rurale, n° 4, 1952, p. 1-187.
81 Voir Gervais M., Servolin C. et Weil J., Une France sans paysans, op. cit., p. 92.
82 Rambaud P., « Des initiatives de la société rurale », art. cit., p. 66.
83 AN, 19860290/11, Documentation 1945-1961, cit., Rapport de la mission en Italie « Coopérative de culture et d’exploitation en commun » (27 juin au 2 juillet 1955).
84 Augé-Laribé M., La politique agricole, op. cit., p. 102.
85 Il s’agit des observations formulées par l’inspecteur général de l’Agriculture Jean-Marius Gatheron, voir AN, 19860290/11, Documentation 1945-1961, cit., Compte rendu d’une réunion d’études des coopératives de culture en commun tenue le 19 novembre 1948 au ministère de l’Agriculture, p. 2. Sur les politiques d’installation des jeunes agriculteurs à partir des années 1960, voir Barthélemy D. et Barthez A., « Propriété foncière, exploitation agricole et aménagement de l’espace rural », EcR, n° 126, 1978, p. 10.
86 Nicolas P., « Les origines des coopératives agricoles en France et leur développement séculaire », RECMA, n° 240, 1991, p. 132. Voir aussi les analyses de Mendras H., La fin des paysans, Paris, SEDEIS, 1967, p. 27.
87 Nicolas P., « La coopération au niveau de la production », art. cit., p. 35.
88 Sur la naissance et le rôle des initiatives liées au mouvement des jeunes agriculteurs, voir Barthez A., « Un acte de liberté de pensée en agriculture. La création du GAEC », EcR, n° 300, 2007, p. 115-119 et id., « GAEC en rupture : à l’intersection du groupe domestique et du groupe professionnel », in F. Weber, S. Gojard et A. Gramain (dir.), Charges de famille. Dépendance et parenté dans la France contemporaine, Paris, La Découverte, 2003, p. 211-236.
89 Voir Pedrotti R., L’État, op. cit.
90 Rambaud P., Les coopératives de travail agraire en France, avec la collaboration de Alain Carof, Jacques Cloarec, Alain Guillemin, Rose-Marie Lagrave, Monique Vincienne, Paris, École Pratique des Hautes Études VI, Centre de sociologie rurale, CORDES, 1973, p. 32.
91 Pour le dire comme Augé-Laribé M., La révolution agricole, Paris, Albin Michel, 1955, p. 380.
92 Rambaud P., Les coopératives, op. cit., p. 195.
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