Les Londoniens fournisseurs de la cour royale au xiiie siècle
p. 185-194
Texte intégral
1Londres était la plus grande, la plus riche et la plus peuplée des villes des îles britanniques au xiiie siècle1. Dans les nombreux marchés et boutiques de la ville, les commerçants et artisans offraient un éventail exceptionnellement large de produits et de marchandises à la vente. En termes contemporains, Londres était un Paradis pour les consommateurs, dont le roi profitait également2. Cependant, tout au long du xiiie siècle, les relations entre le roi et le gouvernement civique demeurèrent tendues et souvent conflictuelles3. Par conséquent, malgré les bénéfices considérables qu’il y avait à tirer de ces échanges, il y avait également des problèmes politiques. Nous présenterons ici le rôle des Londoniens en tant qu’agents et fournisseurs de la cour royale durant le règne d’Henri III, afin d’établir comment le roi a pu accéder aux marchés de Londres dans ce contexte. D’autre part, nous nous demanderons si le patronage spécifique accordé par le roi à certains Londoniens a renforcé la position de ceux-ci au sein de la société civile ou s’il les a, au contraire, constitués en groupe à part.
2Henri III a gouverné l’Angleterre de 1216 à 1272 et une riche variété de sources nous renseigne sur ses rapports avec la ville et ses habitants. Les sources narratives comprennent plusieurs chroniques contemporaines, telles que les œuvres de Matthieu Paris, moine à l’abbaye de Saint-Albans, située immédiatement au nord de Londres4. Si les chroniqueurs relatent en priorité les moments de crise, une variété de documents produits par l’administration royale illustre les interactions quotidiennes entre le roi et les Londoniens5. Enfin, des milliers de chartes conservées pour cette époque nous permettent de retracer l’histoire de la propriété foncière dans la ville et d’affiner notre connaissance des réseaux sociaux6. Ensemble, ces matériaux permettent aux historiens d’étudier les relations entre la ville et le roi, en croisant les points de vue.
Le roi et les princes à Londres
3Londres a longtemps été la plus grande place commerciale du royaume, mais la ville était politiquement et judiciairement divisée, parce que le maire de Londres n’avait compétence que sur le centre de la zone habitée, c’est-à-dire sur un espace concentré dans la zone jadis entourée par les remparts antiques, sans se limiter strictement à celle-ci7. C’est de cette zone d’habitation centrale, que l’on appellera la « ville » de Londres, qu’il sera ici question. Il est important de souligner que, vers le milieu du xiiie siècle, celle-ci se trouvait entourée de banlieues bien peuplées, parmi lesquelles les banlieues de Southwark et de Westminster qui étaient régies séparément et qui conservaient des identités bien distinctes8. Au xiiie siècle, Londres, en tant qu’ensemble urbain, était devenu un point focal pour le pouvoir royal, qui initia un processus de transformation de la ville en capitale du royaume. Une part importante des développements qui accompagnaient ce processus eurent lieu dans les quartiers périphériques, en dehors de la compétence du maire9. La manifestation la plus visible de cette transformation était l’architecture monumentale, par exemple le palais de Westminster et l’abbaye de Westminster. Aux limites orientales de la ville de Londres se trouvait la Tour de Londres, qui était l’une des forteresses les plus imposantes du royaume10. Londres offrait un séjour confortable et un cadre impressionnant pour le roi et sa cour lors des événements politiques, mais c’était également un lieu important pour les affaires. Bien que le roi Henri III soit resté itinérant tout au long de son règne, un certain nombre de services de l’administration royale se trouvaient à Londres, pour des raisons pratiques et économiques. L’une des premières administrations à se mettre en place dans la ville était l’échiquier du roi, qui chapeautait la comptabilité du système financier royal et qui s’y était installé à partir de la fin du xiie siècle11. D’autres ont suivi, y compris la grande garde-robe – la great wardrobe – qui prenait en charge les objets volumineux tels que les meubles, tapisseries, fourrures, la cire pour l’éclairage, les bijoux, les armures et les armes et enfin des aliments non périssables, parmi lesquels les épices, le sucre et les figues12. Il n’était pas commode de déplacer ces objets en même temps que la maisonnée royale, mais l’on pouvait aisément les entreposer à Londres jusqu’à ce que le roi en ait besoin. Ainsi Londres servait-elle une variété de fonctions au service du roi et la concentration de celles-ci en un lieu unique constituait pour celui-ci un avantage important. Réciproquement, la présence du roi, de sa cour et de l’administration royale a contribué de façon importante à l’économie urbaine.
4Si le roi était le client individuel le plus important pour les Londoniens, ces derniers faisaient également affaire avec les hommes et les femmes qui lui étaient associés, comme les membres de sa maisonnée ou de sa famille et les magnats du royaume. Les hommes et les femmes de l’entourage royal étaient de grands consommateurs de produits de luxe. Lorsque le comte Amédée de Savoie visita l’Angleterre en 1292, après avoir voyagé depuis la Savoie en passant par Paris, il rencontra le roi Édouard, fils d’Henri III13. Les comptes d’Amédée révèlent que, lors de son passage à Londres, il fit l’acquisition d’une large gamme d’articles, parmi lesquels des draps d’or, de la soie, des épées, des selles d’équitation, des ceintures, des gants et des couteaux. Si certains de ces articles furent distribués sur place, comme les draps d’or qu’il donna à l’abbaye de Westminster pour embellir les tombes des trois reines, d’autres furent envoyés en Savoie, ou encore emportés avec lui, tels que son sceau. Ceci suggère que les magnats anglais de passage à Londres lors d’événements politiques tels que les parlements, les couronnements, les funérailles et mariages royaux ou d’autres cérémonies importantes ont pu profiter de ces occasions pour acquérir des produits de luxe14. Seuls certains des hommes les plus puissants du royaume résidaient habituellement à Londres, comme par exemple l’ecclésiastique Bogon de Clare, un favori tant d’Édouard Ier que d’Henri III15. Celui-ci se distinguait également par le fait qu’il possédait des parcelles au centre de Londres dont la valeur foncière était relativement élevée. Ses comptes révèlent qu’il achetait de nombreux produits aux marchands londoniens, comme du sucre, des épices et des grenades, ainsi que du poisson et du tissu16. Bien que peu d’hommes du même niveau social que Bogon aient eu leur résidence dans la cité, plusieurs d’entre eux s’installèrent aux alentours, où les terrains étaient bien moins chers tout en permettant un accès facile à Westminster et aux marchés de la ville17. Ceci était particulièrement important pour certains de ces hommes, tels que l’évêque d’Ély, qui exploitait de nombreux domaines dans la région, dont il vendait le produit à Londres et qui avait besoin de terrain pour ses entrepôts18. À la fin du xiiie siècle, les faubourgs de Londres étaient parsemés de propriétés appartenant à l’élite du royaume. Cependant, pour un marchand londonien, faire des affaires avec un courtisan n’était potentiellement pas aussi rentable qu’avec le roi, même si toutefois cela comportait probablement moins de risques.
Les relations avec les Londonniens
5La présence du roi profitait à la ville de Londres, mais entraînait également des coûts pour ses habitants. Les commerçants savaient que le roi n’était pas toujours le meilleur des clients, car il pouvait être lent à payer ses dettes. En outre, il considérait Londres, où se concentraient les marchands et les marchés, avant tout comme une source de revenus et ses résidents comme insoumis et prétentieux, ce qui était source de tensions. Les Londoniens étaient fiers de leurs liens avec le roi. Quand celui-ci voulait passer cérémonieusement à travers la ville avec son entourage, il pouvait compter sur eux pour nettoyer les rues, décorer leurs maisons et venir à sa rencontre en portant leurs plus beaux habits19. Bien que les Londoniens aient participé à la pompe royale, ils se méfiaient du pouvoir royal. Ils voulaient préserver leurs privilèges d’auto-gouvernement, car ils craignaient que le roi veuille les leur enlever. Les Londoniens avaient un maire élu ainsi que des unités de gouvernement local présidées par des fonctionnaires appelés aldermen. Ensemble, ils opéraient un tribunal judiciaire qui traitait d’une diversité de questions. Néanmoins, lorsque Henri III renforça la Tour de Londres, les Londoniens y virent une menace contre leurs aspirations politiques20. En outre, les Londoniens et le roi n’étaient pas d’accord sur le statut social des Londoniens. Les Londoniens insistaient pour que, lorsqu’ils agissaient en tant que corporation, ils soient considérés comme hommes libres. Le sceau commun de la ville, mentionné pour la première fois au début du xiiie siècle, portait sur l’envers l’inscription « Sigillum baronvm londoniarvm21 ». Le titre de « baron » désignait communément à cette époque l’élite urbaine, mais son emploi par les Londoniens dénotait également, aux yeux de leurs contemporains, leur ambition sociale. Le roi se moquait d’eux en s’exclamant : « ces Londoniens paysans, qui se disent barons22 ». Cette dispute sur le statut des Londoniens était importante, car elle avait des conséquences sur la façon dont la ville était taxée. Si l’on considérait les Londoniens hommes libres, le roi devait obtenir leur consentement avant de les imposer ; dans le cas contraire, il pouvait les taxer à volonté. Le roi préférait considérer les Londoniens comme serviles, ce que ceux-ci refusaient. Par conséquent, l’autorité royale empêchait les Londoniens de réaliser leurs aspirations politiques et sociales.
6Malgré ces difficultés dans les relations entre le roi et la ville, beaucoup de Londoniens étaient prêts à s’enrichir en faisant des affaires avec le roi, ou en endossant des offices royaux qui leur offraient pouvoir et privilèges. À l’exception du maire, les fonctionnaires les plus importants de la ville au xiiie siècle étaient les shérifs, qui étaient responsables de la défense et de la collecte des droits royaux et des revenus de la ville, et ils étaient également importants pour l’administration municipale, car ils tenaient un tribunal judiciaire où certaines affaires civiles et pénales pouvaient être entendues23. En plus de leurs responsabilités habituelles, les shérifs pouvaient s’attendre à recevoir de façon quasi hebdomadaire de la part du roi des ordres concernant des marchandises ou de l’équipement qu’il leur fallait acheter, réceptionner ou transporter. En 1254, par exemple, les shérifs se virent ordonner par le roi d’acheter des provisions pour un banquet, comprenant « du pain, de la farine, de la toile, des serviettes de table, du linge, des sangliers, des grues, des poissons et du sel24 ». Le roi leur assignait en outre toutes sortes de tâches diverses. Par exemple, en 1255, il leur ordonna de construire une maison pour son éléphant dans la Tour de Londres25. Au milieu du xiiie siècle, une personne ne pouvait servir comme shérif qu’une seule année de suite. Ses comptes étaient examinés de près par l’échiquier royal : ce n’était donc pas un poste facile à exploiter à des fins personnelles. Durant cette période, l’office de shérif offrait à des hommes jeunes l’occasion de montrer leurs compétences et un grand nombre des hommes qui deviendraient plus tard les maires et les aldermen de la ville avaient servi une année comme shérif au début de leur carrière. Les shérifs étaient nommés conjointement par le roi et les Londoniens et représentaient donc la coopération entre ces deux entités. L’activité des shérifs ne suffisait cependant pas à obtenir tout l’approvisionnement nécessaire au roi et à son entourage lors de leurs séjours Londoniens, de sorte que le roi dut créer plusieurs autres fonctionnaires pour les aider dans cette tâche.
7Le camérier de Londres avait pour responsabilité de gérer l’approvisionnement en vin, ce dont il s’acquittait en s’appuyant sur le droit du roi d’acquérir à tarif préférentiel une partie de la cargaison en vin des navires marchands qui en apportaient dans la ville26. Toutefois, ce vin ne suffisait jamais à couvrir les besoins de la maisonnée royale et le camérier devait donc régulièrement effectuer des achats supplémentaires. À Londres, le vin était un produit de luxe et coûtait ainsi fort cher. Par conséquent, le camérier devait disposer d’une bonne connaissance du marché du vin afin de pouvoir négocier avec les commerçants des accords mettant en jeu des sommes importantes. Le camérier jouait également le rôle du coroner dans les enquêtes d’homicides, lequel devait être tenu par un officier royal27. Ce rôle est fort éloigné de celui qui consiste à superviser l’approvisionnement en vin, mais s’explique par la disponibilité du camérier, sur place, à Londres, et par le fait que le shérif était déjà chargé de nombreuses responsabilités. Le choix du roi de faire du camérier le coroner de la ville était donc avant tout pragmatique, mais avait pour conséquence de lui conférer, tout comme aux shérifs, des responsabilités à la fois administratives et judiciaires. Cependant, contrairement aux shérifs, la nomination du camérier appartenait entièrement au roi. La liste des officiers montre qu’il était possible de cumuler l’office de camérier avec un autre office dans l’administration municipale, mais cela restait exceptionnel.
Les effets sociaux du patronage royal
8À Londres, les offices de shérif et de camérier sont documentés dès le xiie siècle, mais la présence croissante du roi à Londres au xiiie siècle nécessita de créer des fonctionnaires supplémentaires pour les assister dans l’approvisionnement de la cour royale. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’entrepôt du roi, appelé la grande garde-robe, fut installé à Londres à cette époque, peut-être d’abord dans la Tour de Londres. Les officiers de la garde-robe effectuaient des achats pour le roi à Londres et dans les foires provinciales. En soi, il était logique d’employer au sein de la garde-robe des hommes avec une expérience marchande, et il y avait à Londres une abondance de tels candidats, l’un desquels était Richard Ewell28. Richard était un drapier, mentionné une première fois comme témoin dans un échange de propriété en 1247-124829. En 1253, Richard était un agent de la garde-robe employé pour acheter du tissu, de la fourrure et de la cire30. L’année suivante, il participa à la foire de Saint-Ives, il expédia du linge au roi en Gascogne et acheta de la cire à un marchand portugais pour la reine31. Le rôle de Richard était de servir d’intermédiaire entre la cour et les commerçants, à la fois à Londres et dans d’autres parties du royaume. Richard identifiait les marchandises souhaitées par la garde-robe et négociait un prix avec les commerçants, mais ce n’était pas toujours lui qui les payait, car il pouvait ordonner aux commerçants de porter leurs factures à l’Échiquier du roi. Par conséquent, les commerçants étaient parfois réglés de façon différée, car le roi était souvent à court d’argent. Dans d’autres cas, Richard se voyait donner l’ordre de faire des achats à prix réduit ou même de saisir les marchandises. Ceci ne l’a pas rendu populaire auprès de la communauté marchande et, en 1255, alors qu’il se trouvait à une foire à Northampton et qu’il essayait de saisir du tissu, les marchands lui résistèrent en déployant une « force armée32 ». Pour son travail, Richard recevait un salaire33. Il avait également des ambitions politiques et acquit un rôle central dans l’administration municipale, qui le vit servir comme shérif de Londres en 1256-1257 et peu après comme alderman. Une enquête sur les carrières des Londoniens qui ont travaillé pour la grande garde-robe montre que celle de Richard était typique à plusieurs égards. Il était difficile pour les hommes de passer de l’administration municipale au service du roi, mais s’ils étaient prêts, comme Richard, à prouver qu’ils étaient des agents royaux fidèles, le roi pouvait alors tolérer qu’ils cumulent son propre service avec celui de l’administration municipale.
9Si le roi offrait des emplois aux riches marchands, au milieu du xiiie siècle il offrait également son patronage à des commerçants de milieux plus modestes. L’un des contemporains de Richard Ewell était Walter de Kingston. En 1257, Walter est inclus dans une liste de vingt-deux Londoniens qui ont vendu de la volaille au roi34. Leur facture dépasse 56 livres et la part de Walter est seulement une fraction de ce total. Cependant, quelques années plus tard, on retrouve Walter de Kingston comme fournisseur privilégié du roi, chargé de commandes substantielles. En 1271, pour l’organisation d’un banquet, celui-ci fournit au roi des volailles pour une valeur de vingt marcs35. Walter a également reçu d’autres formes de patronage. En 1268, il était connu comme « le marchand de volailles du roi » et le roi lui accorda une propriété à Londres36. Le testament de Walter montre qu’il était un homme d’affaires prospère, car il avait acquis plusieurs propriétés à Londres, ce qui lui permit d’établir une fondation de messes dans l’église de Saint-Mary Aldermanbury37. Un autre Londonien intimement associé à la cour était le maréchal-ferrant John Wylmyng. Celui-ci occupait une propriété sur la rue Graschurch38. Quand une autre propriété dans ce quartier est tombée en possession du roi en 1269, le roi l’a accordée à John, qui est décrit comme « sergent du roi » et « maréchal du roi39 ». Dans son testament, daté de 1278, John indique qu’il souhaitait que ses biens financent une fondation de messes dans l’église de All Hallows Graschurch, ce qui démontre la continuité de son attachement à ce quartier40. Ainsi, le patronage royal s’étendait au-delà de l’élite marchande de la ville.
10La vie d’un artisan pouvait être transformée par le patronage royal. William de Gloucester était actif à partir de 1250, date à partir de laquelle on le voit travailler sur plusieurs commandes royales prestigieuses, parmi lesquelles une mitre destinée à l’archevêque de Canterbury et un reliquaire pour un flacon de sang du Christ41. En 1252, il est inclu dans la liste des hommes qui ont vendu des bijoux et d’autres objets précieux au roi, par l’intermédiaire des officiers de la garde-robe42. La même année, il se voit également accorder une exemption à vie de l’impôt, ainsi que le titre de « sergent et orfèvre du roi43 ». Dans les années suivantes, il reçoit un flot continu de commandes pour produire des objets de grande valeur pour le roi. Il avait des assistants, mais il était probablement lui-même un artisan expert. Quand il travaillait sur le monument de saint Édouard le Confesseur, il était payé 4 sous par jour pour couvrir ses dépenses et les salaires de ses cinq assistants44. En 1259, William fut chargé de produire une matrice de sceau pour Henri III45. Cependant, le travail de William ne se limite pas à la fabrication de produits de luxe et il était également un administrateur. En 1257, il fut impliqué dans la supervision de l’opération du change de Londres. Le change était une institution financière responsable de la fabrication de la monnaie et constituait également une source importante de revenus pour le roi. William n’a pas servi dans l’administration municipale, contrairement à Richard de Ewell, mais il s’est marié dans une famille établie à Londres : sa femme était Jeanne, fille de Michael de Sainte-Hélène (shérif de Londres de 1231 à 1232 et alderman de Aldersgate dans la période 1217-1240)46. Ainsi William faisait-il partie de la communauté civique, tout en étant un bénéficiaire du patronage royal.
11Pour les marchands qui agissaient en tant que fournisseurs du roi et pour les artisans qui recevaient des commissions royales, les avantages du patronage du roi sont clairs. Ils recevaient des titres tels que celui de « volailler du roi » et des avantages divers, tels que des offices, des exonérations d’impôt, et même des dons de propriétés. Cependant, le milieu du xiiie siècle anglais était une période d’instabilité politique, qui a débouché sur une guerre civile dans laquelle les Londoniens ont rejoint la rébellion contre le roi. Pour des hommes comme William de Gloucester, les années de révolte furent difficiles. Le roi n’était pas en mesure de lui faire de nouvelles commandes, tandis que les Londoniens le considéraient avec suspicion en raison des privilèges qu’il avait reçus du roi. William rapporta que les lettres royales qui lui avaient accordé une exemption de l’impôt lui furent « enlevées et cassées » durant la crise, sans doute par d’autres Londoniens qui pensaient qu’il devait contribuer comme tout le monde à l’effort fiscal de la ville47. Après l’échec de la révolte, le roi traita les Londoniens comme s’ils étaient collectivement coupables et il persécuta un grand nombre des grands hommes de la ville, y compris William, qui fut temporairement emprisonné au château de Windsor. Néanmoins, celui-ci finit par se réconcilier avec le roi et quelques années plus tard il travaillait à nouveau sur des commandes royales. En revanche, Richard de Ewell resta en bons termes avec le roi pendant la rébellion, et dès que l’autorité royale fut restaurée, il réintégra son poste comme agent de la garde-robe. Toutefois, sa fidélité au roi pendant la rébellion eut des conséquences permanentes sur ses relations avec ses collègues Londoniens. Richard ne perdit pas son poste au sein du gouvernement civique pendant la révolte, mais il semble avoir cessé de l’exercer, car il disparut des documents et ne revint pas à la gouvernance civique, même après la fin de la rébellion. Pour les artisans et marchands Londoniens, le service du roi était donc une source de possibilités d’avancement considérables, à condition d’en accepter les conséquences et de tirer son épingle du jeu dans les relations subtiles avec le gouvernement urbain. Il était néanmoins possible, pour les plus habiles, de jouer avec profit sur les deux tableaux.
Conclusion
12Les besoins matériels du roi ont donc nourri le développement d’une administration royale locale, dont les compétences se sont souvent étendues aux domaines judiciaire et mercantile. Cette évolution institutionnelle reflète l’essor progressif du statut de Londres comme capitale, dont le sort est inextricablement lié à celui de la royauté. Des départements de son administration se sont établis dans la ville et ont commencé à exploiter les compétences et l’expertise des marchands de Londres. Pour répondre aux besoins de la cour, le roi s’est appuyé sur les officiers existants, tels que les shérifs, en élargissant leurs responsabilités et leurs compétences à l’approvisionnement de la maisonnée royale. Inversement, les officiers royaux en charge de l’approvisionnement, tels que le camérier du roi à Londres, se voyaient impliqués dans le gouvernement urbain. Ce processus ad hoc n’avait pas pour objectif de créer un groupe d’hommes cohérent et distinct, lié au roi, dans la ville. Au contraire, le roi cherchait à exploiter la société urbaine dans toute sa complexité au service de sa cour. Les marchands de Londres étaient généralement désireux de commercer avec le roi et leur transfert à son service se faisait sans heurts. Même les grands de la ville, qui recherchaient le pouvoir dans l’administration municipale, avaient peu de scrupules à saisir les opportunités offertes par le roi. La distinction entre marchand et agent royal était mal définie et il y avait des perméabilités entre le service royal et celui de la communauté urbaine. Néanmoins, la suspicion réciproque entre le roi et l’administration municipale limitait la mesure dans laquelle ils pouvaient partager leur personnel. Quand une personne se trouvait associée au service du roi, elle héritait d’obligations qui pouvaient se révéler difficiles à remplir lorsque le roi et le gouvernement urbain étaient en conflit. Le service royal tendait ainsi à renforcer la position d’un homme dans la société civile, lui apportant une richesse et des privilèges qui confortaient sa situation sociale. Cependant, un homme avec une connexion particulièrement forte au roi se voyait désavantagé dans la politique municipale où l’on attendait que les hommes concentrent leur loyauté sur la ville plutôt que sur le roi. Le service royal pouvait donc, dans une certaine mesure, limiter ou compliquer l’avancement au sein du gouvernement urbain.
Notes de bas de page
1 Keene D., « London from the post-Roman period to 1300 », in Palliser D. M. (dir.), The Cambridge urban history of Britain, t. I : 600-1540, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 194-196.
2 Keene D., « Cultures de production, de distribution et de consommation en milieu urbain en Angleterre, 1100-1350 », Histoire Urbaine, n° 16, 2006, p. 21, 30-33.
3 Williams G. W., Medieval London, from commune to capital, Londres, Athlone Press, 1963, chap. 7-9.
4 Matthæi Parisiensis, monachi Sancti Albani, Chronica, majora, éd. H. R. Luard, Londres, Longman, 1884-9.
5 Calendar of the close rolls of Henry III, Londres, Public Record Office, 1902-38 ; Calendar of the patent rolls of the reign of Henry III preserved in the Public Record Office, Londres, Public Record Office, 1901-1913 ; Calendar of the liberate rolls preserved in the Public Record Office, Londres, Public Record Office, 1916-1964 ; Chew H. M. et Weinbaum M., The London eyre of 1244, Leicester, London Record Society, 1970 ; Weinbaum M., The London eyre of 1276, Londres, London Record Society, 1976.
6 Keene D. et Harding V., A survey of documentary sources for property holding in London before the Great Fire, Londres, London Record Society, 1985.
7 Lobel M. D., The british atlas of historic towns, t. III : The city of London, from prehistoric times to c. 1520, Oxford, Oxford University Press, 1989.
8 Keene D., « London from the post-Roman period to 1300 », in Palliser D. M. (dir.), The Cambridge urban history of Britain, t. 1 : 600-1540, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 192 ; Carlin M., Medieval Southwark, Londres, Hambledon Press, 1996 ; Rosser G., Medieval Westminster, 1200-1540, Oxford, Clarendon Press, 1989.
9 Tout T. F., « The beginnings of a modern capital : London and Westminster in the fourteenth century », in The collected papers of Thomas Frederick Tout, Manchester, Manchester University Press, 1932-1934, t. III, p. 250.
10 Carpenter D., The reign of Henry III, Londres, Hambledon Press, 1996, p. 199-218.
11 Tout T. F., Chapters in the administrative history of mediaeval England ; the wardrobe, the chamber, and the small seals, Manchester, Manchester University Press, 1920-1933, p. 96-98, 138.
12 Keene D., « Wardrobes in the city : houses of consumption, finance and power », in Britnell R. H., Frame R. et Prestwich, M. (dir.), Thirteenth century England VII : proceedings of the Durham conference 1997, Woodbridge, Boydell, 1999, p. 63-64.
13 Taylor A. J. « Count Amadeus of Savoy’s visit to England in 1292 », Archaeologia, n° 106, 1979, p. 126.
14 Chronicles of the mayors and sheriffs of London, éd. H. T. Riley, Londres, Trübner, 1863, p. 47, 178, 223 ; Carpenter D., « The burial of King Henry III, the regalia and royal ideology », in The reign of Henry III, Londres, Hambledon Press, 1996, p. 434 ; Barron C. M. « Centers of conspicuous consumption : the aristocratic town house in London 1200-1550 », The London Journal, n° 20-1, 1995, p. 8.
15 Summerson H., « Clare, Bogo de (1248-1294) », in Oxford Dictionary of National Biography, Oxford, Oxford University Press, 2004 [http://0-www-oxforddnb-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/view/article/50346,consultéle25oct.2015].
16 Guiseppi M. S. « The wardrobe and household accounts of Bogo de Clare, AD 1284-6 », Archaeologia, or, Miscellaneous tracts relating to antiquity, n° 70 (2e série), 1920, p. 9-10.
17 Keene D., « Wardrobes in the city… », op. cit., p. 63.
18 Barron « Centers of conspicuous consumption… », op. cit., p. 5.
19 Lachaud F., « Dress and social status in England before the sumptuary laws », in Coss P. R. et Keen M. (dir.), Heraldry, pageantry, and social display in Medieval England, Woodbridge, Suffolk, Boydell Press, 2002, p. 118-119.
20 Matthæi Parisiensis…, op.cit., t. III, p. 532 ; t. IV, p. 93-94.
21 Alexander J. et Binski P., Age of chivalry : art in Plantagenet England 1200-1400, Londres, Royal Academy of Arts, 1987, p. 273.
22 Crouch D., The english aristocracy (1070-1272) : a social transformation, New Haven, Yale University Press, 2010, p. 49 ; Matthæi Parisiensis, op. cit., t. V, p. 22.
23 Barron C., London in the later Middle Ages : government and people, 1200-1500, Oxford, Oxford University Press, 2004, p. 161.
24 Calendar of the liberate rolls…, op. cit., t. IV, p. 186.
25 Ibid.
26 Bateson M. « A London municipal collection of the reign of John », English Historical Review, n° 17, 1902, p. 496.
27 Kellaway W., « The coroner in medieval London », in Jones P. E., Hollaender A. E. J. et Kellaway W. (dir.), Studies in London history presented to Philip Edmund Jones, Londres, Hodder and Stoughton, 1969, p. 76.
28 Mcewan J. A. Seals in Medieval London, 1050-1300 : a catalogue, Londres, London Record Society, 2016, n° 685.
29 London Metropolitan Archives, CLC/313/L/H/001/MS25121/102
30 Calendar of the patent rolls…, op. cit., t. IV, p. 221.
31 Ibid., t. IV, p. 164, 168, 172.
32 Ibid., t. IV, p. 430.
33 Ibid., t. IV, p. 403.
34 Ibid., t. IV, p. 358.
35 Ibid., t. VI, p. 153
36 Ibid., t. VI, p. 308.
37 London Metropolitan Archives, CLA/023/DW/01/005, n° 49 ; Sharpe R. R., Calendar of wills proved and enrolled in the Court of Husting, London, A. D. 1258-A. D. 1688, Londres, J. C. Francis, 1889, t. I, p. 15.
38 Canterbury Cathedral Archives, DCc-ChAnt/L/18.
39 Calendar of the patent rolls…, op. cit., t. VI, p. 330.
40 London Metropolitan Archives, CLA/023/DW/01/009, n° 77 ; Sharpe R. R., Calendar of wills…, op. cit., t. I, p. 35.
41 Calendar of the liberate rolls…, op. cit., t. III, p. 271.
42 Ibid., t. IV, p. 55.
43 Ibid., t. VI, p. 85.
44 Ibid., t. VI, p. 66.
45 Ibid., t. IV, p. 472 ; Mcewan J. A., « Making a mark in Medieval London : the social and economic status of seal-makers », in Schofield P. (dir.), Seals and their Context in the Middle Ages, Oxford, Oxbow Press, 2015, p. 78.
46 London Metropolitan Archives, CLA/023/DW/02, n° 8 ; Mcewan J. A., « The aldermen of London, c. 1200-80 : Alfred Beaven revisited », Transactions of the London and Middlesex archaeological society, n° 67, 2012, p. 189 ; Williams G. W., Medieval London, from commune to capital, Londres, Athlone Press, 1963, p. 67.
47 Calendar of the patent rolls…, op. cit., t. VI, p. 85.
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Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008