La cour de Bourgogne et l’économie parisienne (1363-1422)
p. 151-167
Texte intégral
1Sous les règnes de Charles V et de Charles VI, de 1360 à 1422, les grands princes du royaume séjournent fréquemment dans la capitale royale avec leur cour, et les ducs Valois de Bourgogne ne font pas exception. Sur l’ensemble de son principat, Philippe le Hardi passe en moyenne 30 % de son temps à Paris, et son fils Jean sans Peur 40 % – ces moyennes masquant des disparités, puisque la cour de Bourgogne séjourne parfois des années entières à Paris ou dans ses environs immédiats, par exemple dans les dernières années du principat de Philippe le Hardi, à la fin des années 13901.
2Cette présence en ville impose à la cour de s’y fournir, puisque les ducs ne peuvent, à Paris, se reposer sur les productions de leurs domaines pour les denrées de consommation quotidienne. La capitale est également le lieu d’un marché du luxe florissant (textile et orfèvrerie notamment, mais aussi livres ou encore chevaux de prix). Cette situation de dépendance au marché urbain est aussi celle des autres cours qui fréquentent la capitale : cour royale, bien entendu, mais également cours des princes des fleurs de lys : ducs de Berry, de Bourbon, ou d’Orléans pour ne citer que les plus importantes.
3Paris est alors une très grosse ville à l’échelle de l’Europe (sans doute entre 150000 et 200000 habitants2) et se trouve au cœur de réseaux commerciaux denses et dynamiques. La question peut alors être posée de l’influence réciproque des cours et de la ville au niveau économique. Dans quelle mesure les cours sont-elles des acteurs du tissu économique parisien, et quel impact ont-elles sur lui ?
4Il ne s’agit pas ici seulement de s’intéresser à l’économie de la cour3, ou à la façon dont la cour est une institution économique4, c’est-à-dire à son fonctionnement économique interne, mais également d’envisager la façon dont la cour est un acteur économique à part entière au sein de l’espace urbain, en tâchant de mettre sa consommation en perspective par rapport à ce contexte. L’objectif est également d’examiner le cas parisien au regard du postulat de Wim Blockmans et Antheun Janse dans leur travail sur le poids de la cour de Bourgogne sur les villes de résidence des ducs dans les anciens Pays-Bas bourguignons. Ces auteurs affirment en effet que si « la cour doit avoir un impact important sur les marchés locaux, dans un contexte de grandes villes, la présence de la cour doit avoir été la bienvenue, mais ne doit pas avoir perturbé le marché. Au mieux, elle doit avoir stimulé à la fois le style et le volume de la production5. » Qu’en est-il pour Paris, « grande ville » par excellence ?
5Il s’agit donc ici de discuter du poids économique de la cour de Bourgogne à Paris au tournant des xive et xve siècles, en commençant par décrire et définir les structures de l’approvisionnement des cours à Paris, avant de tenter d’évaluer ce que représente cette consommation curiale dans l’économie urbaine, en valeur et en volume. Si la richesse des sources bourguignonnes en permet une exploitation économique poussée, la comparaison avec les autres cours princières qui font partie du paysage parisien vers 1400 sera également envisagée, dans la mesure du possible.
Les structures de l’approvisionnement des cours à Paris
Le poids démographique des cours
6Le problème de l’approvisionnement des cours et de leur influence sur une économie urbaine dépend en grande partie de leur taille et effectif : pour ne prendre qu’un exemple évident, la dépense de la cour pour les consommations quotidiennes est directement liée au nombre de courtisans présents. Or le poids des cours d’un point de vue démographique est difficile à évaluer, ne serait-ce que parce qu’il est impossible de savoir précisément combien de personnes gravitent au sein de l’entourage d’un prince. Les seuls chiffres que l’on peut tirer des sources sont ceux des Hôtels princiers, c’est-à-dire le nombre de ceux qui sont répertoriés dans les ordonnances de cour et/ou gagés pour leur présence et service à l’Hôtel, et dont la liste est fournie par les écrous. Toutefois, l’examen de cette documentation montre bien d’une part les importantes fluctuations que connaît l’entourage des princes, et d’autre part les différences importantes qui peuvent exister entre les diverses sources, selon notamment qu’elles sont normatives ou comptables6. De plus, les éléments quantitatifs donnés par les sources sont forcément des estimations a minima, car les officiers-serviteurs du prince, dès les moyens offices, sont eux-mêmes entourés de leurs propres serviteurs7, et éventuellement, pour les plus grands nobles, de leur famille et leur suite8, qui sont autant d’individus échappant la plupart du temps au regard des sources.
7Pour évaluer le poids de l’Hôtel en nombre d’hommes, il faut donc s’appuyer sur les chiffres des maisonnées princières, ce qui permet au moins d’avancer des ordres de grandeur. Il faut par ailleurs noter que la mise en place de documents normatifs pour l’Hôtel est directement liée au souci de limiter son coût, puisque les membres des Hôtels sont nourris aux frais du prince9.
8Le tournant des xive-xve siècles est le moment d’une croissance de l’appareil curial, que l’on peut observer à la fois à travers l’exemple de la cour royale et à travers les cas particuliers des cours princières. La cour de Bourgogne connaît en effet une croissance de ses effectifs tout au long de la période considérée, à mesure que croît l’influence politique du duc, passant de 100 à 200 personnes avant l’accession de Philippe le Hardi au duché de Flandre en 1385 à environ 350 personnes présentes en même temps sous le principat de Jean sans Peur (officiers gagés de l’Hôtel et serviteurs compris)10. Les autres Hôtels princiers comptent un effectif comparable : la maisonnée du duc d’Orléans, sous le principat de Louis, a entre 200 et 300 membres11 ; celle du duc de Berry compte 245 membres en 139812, et 271 à sa mort en 141613. En 1407, l’entourage domestique d’Antoine, duc de Brabant, rassemble environ 275 serviteurs, dont 215 pour le duc et une soixantaine dévolus au service de la duchesse14. Le dauphin Louis, duc de Guyenne, emploie 260 officiers en 141515. À titre de comparaison, l’Hôtel royal compte environ 700 officiers au début du xve siècle16, et paraît éclipser tous les autres ; toutefois les ordonnances prévoient que seuls environ 300 officiers servent ensemble, du fait du service à tour17 – ce qui n’empêche pas certains officiers d’être présents en dehors de leur temps de service dans l’objectif d’être entretenu à la cour, pratique que réprouvent les ordonnances.
9Il est légitime de se demander ce que représentent de tels effectifs par rapport à la population parisienne. Si l’on considère que cette dernière compte de 150000 à 200000 habitants au début du xve siècle, l’effectif de chacune de ces cours princières peut paraître tout à fait dérisoire. En prenant le chiffre, moyen, de 250 personnes, la population d’un Hôtel princier représenterait entre 0,17 et 0,13 % de la population parisienne, selon que l’on compte 150000 ou 200000 Parisiens. Même en considérant de façon large le cercle de ceux qui dépendent de la cour, sans se limiter aux seuls Hôtels, et en prenant en compte l’effectif cumulé des diverses cours princières, lorsqu’elles se trouvent ensemble à Paris, ainsi que des maisons de grands de rang inférieur, il apparaît que la population curiale est une composante extrêmement circonscrite de la population parisienne – sans doute moins de 5 %18. La question se pose de savoir si son influence économique est corrélée à son faible poids démographique.
L’approvisionnement des cours
10La cour, en tant qu’acteur économique, consomme de nombreuses denrées qui relèvent de l’approvisionnement quotidien ainsi que des produits liés à la vie de cour et aux impératifs de représentation qu’elle implique. La chronique du bon duc Louis de Bourbon met ainsi en scène un conseiller qui rappelle à son maître que « avez, la Dieu merci ! en vos pays de Bourbonnois assez vivres de toutes garnisons pour vivre, mais nonobstant cela, il faut moult d’autres choses en l’hostel d’ung tel seigneur comme vous estes. Car il y a besoing foison d’argent pour achapter autres choses, comme charnaiges, espices, et autres affaires qui surviennent en l’hostel d’ung seigneur, tant en ambasseries comme en messaiges, et pour vestir vous, madame, vostre fils, et cuelx de vostre hostel19 ». Et de poursuivre en mentionnant les dons divers aux courtisans, etc.
11Ces dépenses régulières et importantes sont cependant gérées de façon différenciée. À la cour de Bourgogne, comme dans les autres cours princières, les services de l’Hôtel, chargés de l’approvisionnement quotidien, notamment en denrées alimentaires, ont été institutionnalisés en six offices, sur le modèle royal20. L’Hôtel, adapté au caractère itinérant de la vie du prince, assure son approvisionnement selon une organisation éprouvée, indépendante du lieu de séjour de la cour et s’adaptant aux ressources locales. En effet, si les princes, lorsqu’ils sont sur leurs terres, peuvent vivre en partie du produit de leurs domaines, ce n’est pas le cas à Paris où la dépendance au marché est quasi-totale21, d’autant plus que les besoins sont grands. Les officiers de l’Hôtel produisent quotidiennement des « écrous de la dépense », bandes de parchemins récapitulant les achats effectués par office22. Ces documents, très détaillés, ont subsisté en petit nombre pour la cour des premiers ducs Valois de Bourgogne ; lorsqu’ils ont disparu, ce qui est le cas général pour les autres cours, les comptes récapitulatifs des dépenses de l’Hôtel ou les rubriques consacrées à ces dépenses dans la comptabilité générale sont la plupart du temps le seul moyen d’approcher la question de la dépense quotidienne, qui reste donc mal connue dans son détail. Les écrous montrent que des stocks, ou « garnisons », sont constitués pour les produits de garde (vins, cire, moutarde…) dont la gestion est sans doute confiée aux officiers de l’Hôtel23. Des denrées sont également achetées localement par les services de l’Hôtel, en fonction des déplacements du duc24. Enfin, des marchés peuvent être passés avec des fournisseurs pour un approvisionnement spécifique sur le long terme, notamment pour la viande ou le poisson : Jean Gaude, poissonnier originaire de Saint-Laurent-les-Chalon, est en 1402 « escuier de cuisine de mondit seigneur [le duc de Bourgogne] et son poissonnier d’eaue doulce et de mer, et aussi son marchand de foing et d’avoine25 ». Un paiement qui lui est fait à cette date révèle les modalités de passation de ce type de marché : il lui a « esté marchandé par messire Guichart de Saint Soigne, chevalier conseiller et maistre d’ostel de mondit seigneur, et Joceran Freppier, son tresorier, en la presence de pluseurs des gens et officiers de l’ostel dudit seigneur, de servir ycellui seigneur pour ung an commencant le premier jour d’octobre mil cccc et ung derrenier passé de poisson de mer et d’eaue douce pour la despense de son hostel, pour certains pris et somme de deniers declarés oudit marchié26 ». Ces marchés apparaissent dans la comptabilité générale à la faveur des paiements compensatoires faits en faveur des marchands qui y ont « perdu », notamment en raison des voyages du duc27.
12À l’opposé, les produits ne relevant pas directement de la responsabilité des offices de l’Hôtel (notamment orfèvrerie, « draps d’or et de soie », tapisseries et autres biens de luxe) apparaissent dans la comptabilité générale et suivent des voies d’approvisionnement diversifiées. Ils sont fournis à la fois par des marchands tenant boutique dans les endroits où séjourne la cour, par des marchands spécialisés qui nouent des relations sur le long terme avec le prince, et par des officiers de l’Hôtel, qui tirent ainsi bénéfice de leur position d’intermédiaires. La présence des cours princières stimule ainsi le tissu économique parisien, dans le domaine du luxe, du textile, de l’orfèvrerie ou des armes, et les comptabilités princières, ou royales, jettent un éclairage sur les artisans-commerçants de la capitale du royaume28. Une fois encore, la richesse de la comptabilité bourguignonne permet de donner une vue d’ensemble des structures d’approvisionnement d’une cour princière à Paris, et de dépasser l’aperçu ponctuel. On recense ainsi, dans les registres de la recette générale de toutes les finances bourguignonne, plus de 1000 Parisiens ayant fourni au moins une fois la cour de Bourgogne entre 1363 et 1422, parmi lesquels la moitié a été sollicitée à deux reprises au moins, tandis qu’un quart est sollicité de façon régulière (intervenant dans plus de 5 transactions, et/ou étant intégré à l’Hôtel ducal au moyen, par exemple, d’un office). La cour, loin de se limiter à quelques fournisseurs connus et appréciés d’elle, s’appuie sur un nombre important de marchands et artisans parisiens29.
13Gérer un tel réseau n’est pas sans contrainte, ne serait-ce que du point de vue de la tenue de la comptabilité : les fournisseurs et créanciers du duc se comptant par centaines, c’est aussi le cas des transactions et des mandements et quittances individuels, ce qui complexifie les relations commerciales, d’autant que les paiements ont parfois lieu plusieurs années après les achats30. On peut se demander pourquoi le duc et la cour conservent une organisation aussi éclatée, alors que certains grands marchands seraient à même de servir d’intermédiaires31. L’approche chronologique permet d’envisager plus précisément la constitution de ce vivier de fournisseurs, et d’apporter des éléments de réponse : en retenant les dates extrêmes auxquelles chacun de ces marchands ou artisans est en contact avec la cour de Bourgogne, il devient de possible de cerner le groupe des Parisiens susceptibles d’approvisionner la cour à un moment donné, et d’observer son évolution numérique. Or cette évolution paraît dissociée du temps de présence de la cour de Bourgogne dans la capitale du royaume : le vivier de fournisseurs croît de façon régulière à partir du début des années 1380, reflétant la prise d’importance du duc Philippe le Hardi sur la scène politique du royaume plus qu’une augmentation de son temps de présence à Paris, qui reste stable. De même, lorsque le duc Philippe le Hardi est écarté de la tête du royaume au moment où Charles VI entame son règne personnel, en 1388, la présence du duc à Paris diminue, et pourtant le panel des fournisseurs que la cour sollicite continue à augmenter, rassemblant jusqu’à près de 200 marchands ou artisans en 1389 et 1390, avant de décroître légèrement pour se stabiliser à environ 150 individus dans la deuxième moitié des années 1390, période à laquelle la cour de Bourgogne réside pourtant de façon quasi permanente à Paris. Le choix de diversifier les fournisseurs de la cour paraît donc tout à fait délibéré, et on peut y lire une volonté d’affirmer la présence ducale sur la place parisienne, en étendant et diversifiant ses liens avec la société locale. Il est impossible, en l’état des sources et de la recherche, d’affirmer que les autres cours princières fonctionnent sur le même modèle, toutefois il faut rappeler que ces pratiques prennent place dans le contexte concurrentiel du tournant des xive et xve siècles, et que les premiers ducs Valois de Bourgogne sont essentiellement des princes français et parisiens, ce qui laisse supposer des similitudes dans les usages observés. L’approvisionnement en denrées et services est en effet pour les cours l’un des moyens évidents d’entrer en contact avec la population parisienne, et permet donc de bâtir un vaste réseau servant de relais à l’influence princière.
14Les cours princières au tournant des xive et xve siècles représentent une infime proportion de la population parisienne, mais bénéficient dans la capitale de réseaux économiques complexes dans et hors de l’Hôtel pour assurer la satisfaction de leurs besoins commerciaux, alimentaires, etc. Le degré d’interconnexion entre la cour et le cadre parisien varie selon les produits, les acteurs et l’époque considérés. L’Hôtel est ainsi conçu pour assurer les approvisionnements dans le cadre de l’itinérance de la cour, et fonctionne de la même façon quel que soit son lieu de séjour, en même temps que la cour développe à Paris même un réseau étendu de fournisseurs qui paraît spécifique à la capitale du royaume.
L’impact de la consommation curiale dans l’économie urbaine
Le quotidien de la cour et le marché parisien
15Ce que les cours dépensent pour assurer le quotidien peut être en partie déduit des comptabilités des Hôtels, inégalement conservées : ces comptabilités font en effet apparaître une rubrique récapitulant la dépense journalière de l’Hôtel, les « journées » dont le détail était porté sur les écrous de dépense qui ont disparu. Si ces sommes générales ne permettent pas de détailler les consommations, elles donnent cependant une idée du niveau moyen de dépense journalière de la cour.
Tableau 1. – Dépense moyenne des « journées » de quelques Hôtels royaux et princiers.
Hôtel | Période | Dépense | Source |
Charles VI | 1380-1381 | 248 l. t. | Douët d’Arcq L., |
Isabeau de Bavière | Années 1398-1406 (moyenne) | 167 l. 10 s. t. | Rey M., op. cit., p. 224. |
Jean, duc de Berry | 1370-1371 (octobre-mars) | 57 l. t. | Autrand F., op. cit., p. 311-312. |
Philippe, duc de Bourgogne | 1371 | 79 l. t. | Rauzier J., op. cit., p. 373. |
Jean, duc de Bourgogne | 1411-1412 (juillet-juin) | 269 l. t. | AD Côte-d’Or, B 1568, fol. 31 v°. |
16Quoique dispersée, la documentation permet de mettre en évidence d’une part la croissance continue de la dépense des Hôtels, et d’autre part la concordance des ordres de grandeur des dépenses des différentes cours, y compris de l’Hôtel du roi, même s’il domine légèrement l’ensemble32. La comptabilité bourguignonne permet par ailleurs de calculer une moyenne de dépenses journalières : sur la période 1364-1418 elle s’établit pour cet Hôtel à 220 l. t. dépensées par jour. Ces sorties d’argent se cumulent donc lorsque plusieurs cours séjournent à Paris. C’est d’autant plus le cas qu’une étude plus fine sur les dépenses de l’Hôtel bourguignon montre qu’elles sont plus élevées lorsque la cour séjourne à Paris qu’ailleurs33, en raison de la fonction de représentation qui y est plus affirmée. L’évolution est particulièrement nette à partir des années 1390, au moment où les cours princières s’affirment sur la scène politique à la faveur de la folie du roi : les princes tiennent alors table ouverte, et le nombre de serviteurs de l’Hôtel s’accroît, ce qui entraîne une augmentation des dépenses de bouche.
17Il faut noter que, dans ces dépenses de l’Hôtel, sont compris à la fois les achats de denrées destinées à l’approvisionnement de la cour et le paiement des gages des officiers de l’Hôtel. À la cour de Bourgogne, ces derniers reçoivent, par bouche de cheval ou d’homme à nourrir et comptabilisée dans les ordonnances de l’Hôtel, une allocation journalière de 2 s. 8 d. t. jusqu’au milieu des années 1410, et de 3 s. t. ensuite34. Selon les cas, on peut estimer que la part des gages représente entre 60 et 75 % de la dépense de l’Hôtel35. Cette part des gages n’est certes pas affectée directement aux dépenses liées à l’approvisionnement de l’Hôtel ducal ; on peut cependant estimer qu’elle est, au moins en partie, dépensée par les officiers qui la touchent dans le lieu même où séjourne la cour. Elle contribue donc à l’impact économique de la cour, même si elle n’est pas directement appliquée aux consommations quotidiennes.
18Que représentent ces dépenses des Hôtels princiers au sein du tissu économique parisien ? Pour pouvoir répondre à cette question, il faudrait disposer de données globales sur l’économie parisienne de la fin du Moyen Âge, ce qui n’est pas le cas. Nous pouvons néanmoins risquer des hypothèses et des ordres de grandeur pour tenter de mettre en perspective les données chiffrées issues de la comptabilité bourguignonne.
19Pour une approche à très grande échelle, on peut s’intéresser à la consommation de viande. Pour cette question, le Ménagier de Paris permet une mise en perspective intéressante. Un passage de cet ouvrage présente en effet la consommation globale hebdomadaire de viande des Hôtels royaux et princiers à Paris, rapportée à la consommation de la ville, au début des années 139036.
Tableau 2. – La consommation hebdomadaire de viande des Hôtels d’après Le Ménagier de Paris37.

20Si l’impact de chaque cour prise individuellement reste relativement faible, sans être négligeable, leur poids cumulé sur le marché alimentaire urbain est tout à fait significatif. Les six cours envisagées ici représentent ainsi, selon le Ménagier, près du quart de la consommation urbaine de veau38.
21La question se pose toutefois de la fiabilité de ces chiffres. Il faut noter que l’auteur du Ménagier fait preuve d’un souci d’exactitude : il exprime ainsi sa surprise quant aux chiffres de la consommation de viande de l’Hôtel de Berry, qu’il vérifie et corrige en les augmentant39. Fin connaisseur de la cour40, il s’est probablement renseigné auprès des chefs d’office ou des clercs de l’office qui tiennent la comptabilité journalière des consommations de l’Hôtel au moyen des écrous de la dépense, et a dû calculer les consommations hebdomadaires pour permettre la comparaison avec la consommation urbaine, les quantités journalières connaissant de fortes variations. La fiabilité de ses données peut être confirmée par l’examen de la comptabilité bourguignonne. En effet, nous disposons des écrous de la dépense de boucherie pour une semaine que la cour de Bourgogne a passée à Paris à la fin mai 1396, ce qui permet d’envisager une comparaison.
Tableau 3. – Consommation hebdomadaire de viande à l’Hôtel de Bourgogne fin xive siècle.

22Il est intéressant de constater que les ordres de grandeur donnés dans le Ménagier sont très inférieurs à la consommation observée pour la boucherie : les chiffres des écrous sont tous, sauf pour le bœuf, plus du double de ceux donnés dans le traité. En revanche, « le fait de poulaillerie » semble largement surévalué par l’auteur du Ménagier, sans compenser pourtant en quantité de viande la sous-évaluation de la boucherie. Nous pouvons cependant estimer que les chiffres donnés par le Ménagier renvoient bien à des ordres de grandeurs concrets, même si nous n’avons pas de données permettant de contrôler ses estimations pour les consommations de la ville entière. On peut donc estimer globalement plausible que la consommation41 de viande des cours princières, lorsqu’elles sont à Paris, représente entre 10 et 20 % de la consommation de viande de la ville entière.
23On peut tenter d’adopter une approche plus globale de l’impact de la cour de Bourgogne sur la vie économique parisienne à travers la notion de « revenu urbain cumulé », élaborée par Peter Stabel42. L’objectif est d’évaluer le revenu global de toute une ville afin de le comparer aux chiffres de la dépense de la cour. Pour déterminer ce revenu général, on suppose que le revenu moyen d’un citadin correspond aux gages journaliers d’un ouvrier qualifié. Certes, les ouvriers qualifiés ne représentent qu’une minorité du monde urbain, mais plusieurs données tempèrent cette faible représentativité : pluriactivité, rémunérations en nature, etc.43. Ainsi le salaire de l’ouvrier qualifié peut-il être considéré comme représentant un chiffre moyen acceptable. Si l’on estime la population de Paris à 40000 chefs de famille à la fin du xive siècle44, et le salaire d’un ouvrier qualifié à environ 5 s. p. par jour45, soit 6 s. 3 d. t., le revenu annuel urbain cumulé peut être estimé à 3427500 l. t. par an (pour 275 jours travaillés46), soit environ 9400 l. t. par jour en base annuelle. L’approvisionnement de l’Hôtel ducal montant, à la fin du xive siècle, à environ à 250 l. t. par jour en moyenne, on peut donc estimer que la dépense ducale représente environ 2,65 % du revenu urbain cumulé47, chiffre à multiplier par le nombre de cours princières présentes en ville.
24Certes, ces chiffres doivent être considérés à la lumière de la présence intermittente de la cour, ce qui peut diluer son impact sur le long terme48. Dans le même temps, ils ne représentent qu’une fraction a minima des sommes dépensées par la cour en milieu urbain, car ils ne prennent en compte que la dépense de l’Hôtel. Par ailleurs, ils confirment que l’impact des approvisionnements de la cour, s’il est relatif, est loin d’être négligeable. Il est surtout sans commune mesure avec le seul poids démographique, infime, des membres de l’Hôtel ducal. Les cours ont donc un impact économique certain sur le tissu économique parisien, d’autant que leur présence se conjugue, et que, d’autre part, les chiffres de la dépense de l’Hôtel sont loin de représenter l’ensemble des dépenses de la cour.
25En effet, celle-ci consomme de grandes quantités de produits de luxe, pour lesquels les dépenses sont majoritairement concentrées à Paris. En relevant les achats de textile et d’orfèvrerie reportés dans la comptabilité générale bourguignonne sur un échantillon d’années49, on observe que si au début du principat de Philippe le Hardi (1368-1379) les achats à Paris représentent environ 50 % des sommes dépensées, à partir de 1385, Paris concentre entre 80 et 98 % de ces achats en valeur, proportion constante jusqu’au départ de Jean sans Peur en 1413. Entre 1384 et 1410, la dépense moyenne du duc de Bourgogne à Paris pour les textiles et l’orfèvrerie se monte, pour chacune des six années concernées, à plus de 75000 l. t., c’est-à-dire, pour chacune de ces années, plus de 2 % du revenu urbain cumulé annuel. Cette prédominance parisienne est le reflet de la place de Paris dans le marché du luxe européen, et elle témoigne du fait que le marché des produits de luxe est indépendant du lieu de résidence de la cour : même lorsqu’elle se déplace, ce sont les marchands parisiens de textile et d’orfèvrerie qui sont sollicités.
Le poids du marché curial dans les affaires des Parisiens
26La question se pose enfin de savoir ce que représente la fourniture des cours dans les affaires des Parisiens, à un niveau individuel : on peut supposer que le service régulier de la cour a une influence sur l’activité des fournisseurs les plus souvent sollicités. Toutefois, en l’absence de comptabilité particulière conservée pour les marchands-artisans parisiens de la fin du Moyen Âge, il est impossible de savoir si le marché curial représente peu ou beaucoup dans les affaires d’un individu.
27Le poids de la cour dans le chiffre d’affaires des fournisseurs peut être envisagé de façon indirecte à travers la concentration du service des cours. Il s’agit d’isoler, parmi notre échantillon de départ qu’est le groupe des fournisseurs de la cour de Bourgogne, ceux qui servent d’autres cours à Paris, et d’observer le niveau de leurs affaires.
28Si l’on compare les fournisseurs du duc de Bourgogne et ceux du roi sur la période allant de 1363 à 1394, on observe que 20 % des 630 fournisseurs ducaux identifiés apparaissent dans la comptabilité royale. Ces 121 marchands servant à la fois le duc et le roi représentent 65 % des sommes versées à des marchands parisiens par le duc entre 1363 et 139450. Ceci montre que si beaucoup de Parisiens profitent de la manne curiale, l’essentiel du commerce curial est aux mains de quelques grands marchands, qui fournissent d’ailleurs plusieurs cours. De même, parmi tous les fournisseurs parisiens de la cour de Bourgogne, les 25 % qui réalisent plus de 5 transactions avec la cour sont responsables de 75 % du nombre total des transactions. Les sommes déboursées par le maître de la chambre aux deniers sont donc fort inégalement réparties, et quelques grands marchands ou fournisseurs, avec lesquels des marchés sont passés, se partagent l’essentiel des achats ducaux.
29Un autre parallèle peut être esquissé dans le cas de la fourniture quotidienne de viande. Si l’on reprend la consommation de viande de l’Hôtel de Bourgogne pour la semaine du 18 au 25 mai 1396, le boucher de l’Hôtel ducal, Richard Yvet, fournit pour 160 l. 13 s. 6 d. p. de viande51. À titre de comparaison, en 1383, l’un des plus riches bouchers de Paris, Guillaume de Saint-Yon, propriétaire de trois étaux, déclare vendre par semaine pour 200 l. p. de viande, ce qui lui procure un bénéfice de 20 à 30 livres52. Ce rapprochement permet d’affirmer que l’approvisionnement régulier de la cour de Bourgogne, et, partant, de toute cour princière, place ceux qui en sont chargés au rang des gros marchands parisiens.
30Enfin, le très grand nombre de fournisseurs incite à penser que le bénéfice financier n’est pas le seul attrait du commerce avec les cours. Les princes accumulent en effet les dettes, que ce soit Jean de Berry53, Louis de Bourbon54, ou encore Philippe le Hardi, à qui le Religieux de Saint-Denis reproche, lorsqu’il en fait le portrait funèbre, d’être lent à payer ses fournisseurs55. Il faut donc que les marchands fournissant la cour en aient retiré certains avantages, couvrant l’investissement en temps et en risque. On peut ainsi penser que pour les nombreux vendeurs dont les transactions restent modestes, se prévaloir de la clientèle princière ou royale est un honneur propre à les distinguer de leurs concurrents parisiens – ne serait-ce qu’auprès des nombreux courtisans dont les dépenses doivent montrer qu’ils savent tenir leur rang56.
Conclusion
31En définitive, l’étude de l’impact économique de la cour de Bourgogne à Paris à la fin du Moyen Âge, si elle reste difficile en l’état des données, permet néanmoins de préciser les conditions d’interaction entre les cours princières d’une part et le tissu économique parisien de l’autre, et d’avancer quelques hypothèses.
32Les cours jouent un rôle économique dans la ville en s’appuyant à la fois sur leurs structures propres, telles que les services de l’Hôtel, et sur les réseaux et structures parisiens. Certes, elles ne « perturbent » pas le marché parisien, au sens où celui-ci a une masse critique suffisante à la fois pour exister et se développer sans elles, et pour faire face à leur demande massive et ponctuelle. L’itinérance des cours, qui est la norme, interdit d’ailleurs toute dépendance exclusive à ce marché particulier. Toutefois, le dynamisme économique apporté à la capitale par les cours princières est indéniable. Sur le modèle de ce qu’on a pu calculer dans le cas bourguignon, on peut estimer que le niveau de dépenses de chacun des Hôtels princiers représente au minimum 2 % du revenu urbain cumulé parisien pour le seul approvisionnement quotidien, auxquels s’ajoutent les dépenses de luxe, de logement, de loisirs, à la fois pour le prince et pour ses courtisans. Lorsque plusieurs cours sont présentes en ville, ce qui est fréquemment le cas à la fin du xive et au début du xve siècle, ces dépenses se cumulent et finissent par représenter une part conséquente, sans doute au moins 10 à 20 %, du revenu urbain cumulé, et donc des flux économiques.
33Par ailleurs, à un niveau individuel, les cours font la fortune de ceux qui les servent : être le fournisseur régulier d’une cour permet de se placer au premier rang des marchands et artisans parisiens, et pour la plupart des petits fournisseurs qui n’interviennent que très ponctuellement, l’affaire devait être suffisamment intéressante pour s’engager malgré les difficultés bien connues des princes à régler leurs dettes.
34Finalement, le rôle moteur des cours dans l’économie parisienne semble avéré, et ce d’autant plus qu’il est sans commune mesure avec le poids démographique des entourages curiaux. Il est lié aux fonctions de représentation de la cour, bien évidemment – et de ce point de vue la cour fournit un exemple de consommation ostentatoire qui stimule la demande des élites locales, augmentant encore son influence économique. Enfin, le caractère de capitale de Paris explique et motive la présence des différentes cours princières, qui s’engagent dans une logique d’émulation, puis de concurrence, qu’exacerbe encore l’effacement relatif de la cour royale en raison de la folie du roi. Fonction capitale et fonctions curiales se conjuguent ainsi pour démultiplier, au tournant des xive et xve siècles, l’effet économique des cours princières sur la ville de Paris.
Notes de bas de page
1 La durée des séjours parisiens doit également être augmentée du temps passé à proximité immédiate de la ville. Les analyses chiffrées concernant la cour de Bourgogne sont tirées de mon travail de doctorat : Berland F., La cour de Bourgogne à Paris, 1363-1422, thèse de doctorat, Lille 3, 2011.
2 Si le chiffre de la population parisienne médiévale a fait l’objet de nombreuses discussions, C. Bourlet a récemment mis en évidence des densités extrêmement élevées en 1300, ce qui plaide en faveur d’un chiffre de population supérieur à 200000 habitants en 1300. Si la ville a bien entendu souffert des crises du xive siècle, la construction de l’enceinte de Charles V, qui double quasiment la surface disponible pour l’habitat par rapport à l’enceinte de Philippe Auguste, permet d’envisager une compensation rapide des pertes de population à la fin du siècle. Cf. Bourlet C. et Layec A., « Densités de population et socio-topographie : la géolocalisation du rôle de taille de 1300 », in Noizet H., Bove B. et Costa L. (dir.), Paris de parcelles en pixels, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes-CHVP, 2013, p. 223-243.
3 Fouquet G., Hirschbiegel J., et Paravicini W. (dir.), Hofwirtschaft : ein ökonomischer Blick auf Hof und Residenz in Spätmittelalter und Früher Neuzeit, Ostfildern, Thorbecke, 2008.
4 Romani M. A. et Aymard M., La cour comme institution économique, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1998.
5 Blockmans W. et Janse A., « From territorial courts to one residence. The Low Countries in the late Middle Ages », in Aymard M. et Romani M. A. (dir.), op. cit., p. 17-28.
6 Prenant acte de cette disparité des sources, J. Saíz Serrano distingue ainsi, à partir de l’exemple d’Alphonse V d’Aragon, trois configurations de l’entourage royal, que l’on peut appliquer à toute cour princière : la maison « réglementée ou budgétisée » que révèlent entre autres les ordonnances de l’Hôtel, la maison « en service », qui apparaît à travers la comptabilité, et la maison « potentielle », regroupant au sens large tous ceux qui peuvent recevoir rémunération du prince : Sáiz Serrano J., « Accompagner et servir le prince. Structure et fonctionnement de la Maison royale d’Alphonse V d’Aragon », in Beauchamp A. (dir.), Les entourages princiers à la fin du Moyen Âge, Madrid, Caza de Velázquez, 2013, p. 131-149.
7 Dans les années 1420, à la cour de Bourgogne, un écuyer a à sa disposition un cheval et 2 serviteurs montés ; un chambellan a un cheval et 3 ou 5 serviteurs. Blockmans W. et Janse A., op. cit., p. 21.
8 Ainsi, lorsque Rodolfo Gonzaga, encore adolescent, se rend à la cour de Bourgogne pour parfaire son éducation en 1469, il est accompagné d’une « belle compagnie » (una bela famia), et dans une lettre du 29 août 1469 il précise qu’il a 23 bouches et 20 chevaux à nourrir. Savy P., « À l’école bourguignonne. Rodolfo Gonzaga à la cour de Bourgogne (1469-1470) », Revue du Nord, n° 345-346, 2002, p. 343-366. En 1469, l’Hôtel de Charles le Téméraire compte environ 300 officiers gagés, d’après les écrous (exemple : le 18 juin 1469 : DHI Paris, Prosopographia Curiae Burgundicae, ID écrou : 14999 [en ligne]. [www.prosopographia-burgundica.org], consulté le 21-02-2017).
9 Les ordonnances des Hôtels royaux et princiers font ainsi la liste des officiers autorisés à « manger en salle » ou « à court » et réglementent la prise des repas, interdisant par exemple que l’on ne mange aux frais du prince ailleurs qu’en salle, ou que les officiers de l’Hôtel ne fassent manger plus de valets qu’ils n’en ont le droit. Cf. l’ordonnance de l’Hôtel de Charles VI datée de janvier 1387, BnF, ms. Fr. 7855, p. 517-534, ou encore l’ordonnance de l’Hôtel de Charles VI datée du 1er juillet 1422 : Douët d’Arcq L., Choix de pièces inédites relatives au règne de Charles VI, Paris, Renouard, 1873, t. I, p. 429. C’est d’ailleurs dans l’objectif de contenir l’augmentation des dépenses de nourriture qui croissent avec l’entourage ducal que Philippe le Bon ordonne, à partir de 1445, la conversion en gages du droit qu’avaient les officiers de la cour de Bourgogne de manger à la cour : Kruse H., Hof, Amt und Gagen : die täglichen Gagenlisten des burgundischen Hofes (1430-1467) und der erste Hofstaat Karls des Kühnen (1456), Bonn, Bouvier Verl, 1996, p. 135-145.
10 Schnerb B., Jean Sans Peur. Le prince meurtrier, Paris, Payot, 2005, p. 331.
11 Gonzalez E., Un prince en son Hôtel. Les serviteurs des ducs d’Orléans au xve siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, p. 144-146.
12 Douët d’Arcq L., Choix de pièces…, op. cit., t. I, p. 149.
13 Autrand F., Jean de Berry. L’art et le pouvoir, Paris, Fayard, 2000, p. 312.
14 Comptage réalisé à partir de l’ordonnance de l’Hôtel publiée par J. Kauch, et tenant compte du service à tour : Kauch J., « L’organisation et le contrôle financier de l’Hôtel d’Antoine de Bourgogne, duc de Brabant », Revue belge de philologie et d’histoire, n° 24-1, 1945, p. 184.
15 Rey M., Les finances royales sous Charles VI : les causes du déficit, 1388-1413, Paris, SEVPEN, 1965, p. 303-304.
16 Ibid., p. 25.
17 Comptage effectué à partir des ordonnances de l’Hôtel de janvier 1387 et février 1389. Ainsi, pour les 45 chambellans nommés en 1389, il est précisé : « et avec le premier serviront v à la fois, tels que le Roy voudra eslire, et […] veult le Roy que en ses chasteaux et maisons fourriers ne autres ne baillent lit fors au premier chambellant et aux cinq qui serviront en leur mois » : BnF, ms. Fr. 7855, p. 538. En 1422, l’Hôtel de Charles VI réglé par l’ordonnance d’Henri V a été réduit de moitié et comporte environ 150 officiers présents en même temps : Douët d’Arcq L., Choix de pièces…, op. cit., p. 429-446.
18 Dans l’hypothèse, au début des années 1390, où les cours de Charles VI et de ses quatre oncles seraient toutes ensemble à Paris, l’effectif cumulé de leurs Hôtels serait d’environ 1500 personnes : en ajoutant les cours annexes, les entourages des grands et les courtisans non gagés, et sans tenir compte des appartenances multiples (un courtisan dans une cour peut également être gagé dans un autre Hôtel), un total de 5000 personnes relevant directement d’une cour paraît, pour Paris, un maximum. Cela représenterait entre 3,5 et 2,5 % de la population parisienne, selon qu’on l’évalue à 150000 ou à 200000 personnes. Cette évaluation est sensiblement inférieure à celle faite par C. Gauvard, qui, tout en estimant que « la population semble avoir retrouvé en 1380-1400 son niveau de 1328 », retient le chiffre de population bien plus faible (100000 habitants) avancé par Jean Favier pour 1430 – chiffre concernant par ailleurs une période à laquelle la présence des cours princières à Paris a très nettement diminué. Gauvard C., « La violence des Hôtels princiers à Paris », Ead., Violence et ordre public au Moyen Âge, Paris, Picard, 2005, p. 230-231.
19 Jean d’Orronville dit Cabaret, La chronique du bon duc Loys de Bourbon, Paris, Renouard (H. Loones), 1876, p. 279.
20 Paneterie, échansonnerie, cuisine, fruiterie, écurie et fourrière.
21 L’Hôtel du roi fait de ce point de vue exception, comme le montrent les comptes de l’Hôtel qui prennent en recette le gibier et le poisson tirés des domaines du roi en Île-de-France : cf. Douët d’Arcq L., Comptes de l’Hôtel des rois de France aux xive et xve siècles, Paris, Renouard, 1865, p. 11-12.
22 Morel Y., « Sources comptables et activités quotidiennes : quel est l’apport des écrous de dépenses de l’Hôtel de Bourgogne pour l’histoire de l’alimentation ? », Questes. Bulletin des jeunes chercheurs médiévistes, no 15, 2008, p. 82-91, [en ligne] [http://questes.free.fr/pdf/bulletins/activites/articledeyann.pdf] (consulté le 21/02/2017) ; Id., « Un écrit de gestion au service de la propagande ducale ? Les écrous de la dépense des ducs de Bourgogne (fin xive-fin xve siècle) », Comptabilité (S) (à paraître sur [http://comptabilites.revues.org/]).
23 Le 15 mai 1396 sont mentionnés au chapitre de la panneterie « sucre, formage et moustarde de garnison », ainsi que pour l’échansonnerie du vin de Saint-Pourçain « dez garnisons du concierge de Conflans », sans mention de quantité. Le jour suivant, l’écurie consomme de l’« avoyne d’achat » et du « foin de garnison », et la fruiterie achète 200 livres de cire au poids de Paris « pour garnison » : Archives départementales de Côte-d’Or (AD Côte-d’Or), B 326 bis.
24 Ce même 15 mai 1396, le duc de Bourgogne se déplace à Asnières pour « disner » chez le duc d’Orléans, une partie de son commun séjourne à Saint-Brice, et la nuit est passée à Saint-Denis : les écrous de la dépense mentionnent entre autres des achats de pain à « Jehan Paien de Aynieres » ainsi qu’à « Jehan Loucher de Saint Brise », et un achat « d’herbes » à Saint-Denis (ibid.).
25 AD Côte-d’Or, B 1526, fol. 173. Pour les origines familiales de Jean Gaude, voir Dubois H., « Soixante-huit Chalonnais en 1411 », Annales de Bourgogne, n° 80, 2008, p. 21-38.
26 AD Côte-d’Or, B 1532, fol. 355 v°-356 v°.
27 Le même Jean Gaude « en oultre perdi ou marchié par lui faiz aux dessusdiz tant ou pays d’Artois ou mondit seigneur estoit, pour les poissons d’eaue doulce qui y estoient chiers, comme depuis a Paris, mondit seigneur acompaignié de plusieurs nobles et grans seigneurs estans a sa livree par dessus de ses garnisons, qu’il ne povoit fournir au tiers pour la multitude de gens qui estoient lors avec le dit seigneur, ains convenoit que icellui Gaude achetast la denree au double, dont ycellui seigneur fust par ses diz maistres d’ostel informez », AD Côte-d’Or, B 1526, fol. 173-173 v°.
28 Voir par exemple Berland F., « Du commerce à la cour. Les marchands parisiens et la cour de Bourgogne, 1363-1422 », Hypothèses, n° 12, 2009, p. 27-37 ; Henwood P., « Les orfèvres parisiens pendant le règne de Charles VI (1380-1422) », Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, no 15, 1979, p. 86-180 ; Thouroude N., « Jean sans Peur, Paris et les chevaux (1399-1419) », in Paravicini W. et Schnerb B. (dir.), Paris, capitale des ducs de Bourgogne, Ostfildern, Thorbecke, 2007, p. 137-163.
29 Ceci concorde avec ce qu’observe Peter Stabel à une date plus tardive, puisqu’il constate qu’en 1468-1469, la plus grande partie des fournisseurs de la cour n’interviennent pas régulièrement : Stabel P., « For Mutual Benefit ? Court and City in the Burgundian Low Countries », in Gunn S. J. et Janse A. (dir.), The court as a stage : England and the Low Countries in the later Middle Ages, Woodbridge, The Boydell Press, 2006, p. 111.
30 Dans plusieurs cas, ce sont les héritiers des fournisseurs qui touchent les sommes qui leur sont dues : Jeanne de Paris, fille du pelletier Jean Mandole (AD Côte-d’Or, B 1469, fol. 60 v°), Orsine, veuve de l’orfèvre et bourgeois de Paris Laurencin Malequin (AD Côte-d’Or, B 1463, fol. 97 v°-98).
31 Voir par exemple le cas bien connu de Dine Raponde : Lambert B., The city, the duke and their banker : the Rapondi family and the formation of the Burgundian state (1384-1430), Turnhout, Brepols, 2006.
32 Ce qui coïncide avec l’estimation de son poids démographique, cf. supra.
33 Rauzier J., Finances et gestion d’une principauté : le duché de Bourgogne de Philippe le Hardi, 1364-1384, Paris, Impr. nationale, 1996, p. 377.
34 Sommé M., « Que représente un gage journalier de 3 sous pour l’officier d’un Hôtel ducal à la cour de Bourgogne au xve siècle ? », in Sosson J.-P., Thiry C., Thonon S. et Van Hemelryck T. (dir.), Les niveaux de vie au Moyen Âge, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 1999, p. 297-315.
35 Caron M.-T., Clauzel D., Rauzier J. et Sommé M., « La cour des ducs de Bourgogne (1369- 1477), consommation et redistribution », in Aymard M. et Romani M. A. (dir.), op. cit., p. 34.
36 Le Ménagier de Paris, Paris, Imp. de Crapelet, 1846, t. 2, p. 84-86. Le Ménagier a été écrit entre 1392 et 1394. Pour d’autres chiffres concernant la consommation en viande de la cour royale à Paris pour une période plus précoce, voir Lalou É., « Un compte de l’Hôtel du roi sur tablettes de cire, 10 octobre-14 novembre [1350] », Bibliothèque de l’École des Chartes, n° 152-1, 1994, p. 96.
37 Il faut noter que l’addition des chiffres donnés boucherie par boucherie par le Ménagier ne correspond pas au chiffre global qu’il annonce : notre tableau retient ce dernier, la différence étant par ailleurs minime, sauf en ce qui concerne le porc. L’addition des chiffres des boucheries donne en effet 3130 moutons, 512 bœufs et 528 porcs : en considérant ce dernier chiffre, la consommation curiale de porc monte à 12 % de la consommation parisienne.
38 Ce qui coïncide avec les résultats des fouilles archéologiques qui montrent que la consommation de veau est, à la fin du Moyen Âge, un marqueur social des classes aisées. Cf. Clavel B., « L’animal dans l’alimentation médiévale et moderne en France du Nord, xiiie-xviie siècles », Revue archéologique de Picardie, n° 19, 2001, p. 104.
39 « Les gens de Monseigneur de Berry dient que aux dimenches et grans festes il leur convient troiz beufs, trente moutons, huit-vins douzaines de perdris, et connins à l’avenant, mais j’en doubte. – Avéré depuis. » Le Ménagier de Paris, op. cit., t. II, p. 85 ; Autrand F., op. cit., p. 312.
40 Nicole Crossley-Holland propose de l’identifier avec Guy de Montigny, chevalier ayant servi le duc de Berry : Crossley-Holland N., Living and dining in medieval Paris. The household of a fourteenth-century knight, Cardiff, University of Wales Press, 1996.
41 Soit cinq jours (ce qui correspond à une semaine « classique ») de consommation de viande, les vendredi 19, samedi 20 et mercredi 24 (Quatre-Temps) ayant été maigres. Le jeudi 25 mai un dîner s’est tenu à Conflans, auquel étaient présents le roi, le duc d’Orléans, et « plusieurs Alemans et Anglois et autres estrangers ». AD Côte-d’Or, B 326bis.
42 Stabel P., op. cit., p. 106-108.
43 D’une part, un certain nombre de citadins ont des revenus supérieurs à ceux des ouvriers qualifiés ; d’autre part, dans bien des foyers, le chef de famille n’est pas le seul à percevoir un revenu ; enfin, la rémunération comprend une partie en nature (nourriture, logement) qui échappe aux sources écrites.
44 Soit un tiers de moins que les 61000 feux comptabilisés en 1328, de façon à tenir compte des difficultés liées à la peste ainsi qu’à la guerre. Lot F., « L’état des paroisses et des feux de 1328 », Bibliothèque de l’École des Chartes, n° 90, 1929, p. 305-308.
45 Ainsi, les charpentiers et maçons qui travaillent sur le chantier de l’hôtel de Flandre en 1375-1376 reçoivent 5 s. p. par jour de travail, leurs aides touchant 2 s. p. : Huisman G., « Un compte de réparations effectuées à l’hôtel de Flandre à Paris (1375-1376) », Bull. Soc. Hist. de Paris et de l’Île-de-France, n° 37, 1910, p. 266. Je remercie Caroline Bourlet de m’avoir suggéré cette comparaison. Il faut noter que ce salaire est près de deux fois supérieur aux gages ordinaires touchés par un serviteur de l’Hôtel ducal.
46 Geremek B., Le salariat dans l’artisanat parisien aux xiiie-xve siècles, Paris, EHESS, 1968, p. 82-83.
47 En prenant l’hypothèse de 61000 chefs de famille (chiffre équivalent à celui de l’état des feux de 1328), une dépense journalière de 250 l. t. représente 1,75 % du revenu urbain cumulé.
48 Encore que la présence fréquente de la cour puisse amener à nuancer ce constat. Ainsi, entre décembre 1401 et janvier 1403, la cour de Bourgogne passe 178 jours à Paris, y dépensant en « journées d’Hôtel » sans doute au moins 66600 l. t. (chiffre calculé en % de la dépense totale de l’Hôtel), ce qui représente l’équivalent de 2 % du revenu urbain cumulé sur toute cette période de 14 mois. AD Côte-d’Or, B 1527.
49 Étude réalisée sur onze comptes de la recette générale de toutes les finances, échelonnés de 5 ans en 5 ans entre 1368 et 1419.
50 Calculs effectués d’après les listes compilées par Camaret V., Les marchands parisiens et le roi au temps de Charles V et Charles VI de 1364 à 1394, mémoire de maîtrise, Paris IV-Sorbonne, 1987 ; et Villie A., Les marchands parisiens à la fin du xive siècle d’après les registres de comptes de Philippe le Hardi (1383-1394), mémoire de maîtrise, Paris IV-Sorbonne, 1982.
51 AD Côte-d’Or, B 326 bis. Sur les cinq jours considérés, le poulailler Pierre Chassepoul (qui est aussi sollicité les jours maigres pour fournir des œufs ou du poisson, mais ces jours n’ont pas été pris en compte ici), vend pour 152 l. 14 s. 4 d. p.
52 Le Ménagier de Paris, op. cit. t. II, p. 82, note.
53 Françoise Autrand le qualifie de « bon client et mauvais payeur ». Autrand F., op. cit., p. 476.
54 « Le duc de Bourbon se trouva bien endebté de soixante mille frans d’or qu’il debvoit à Paris ». Jean d’Orronville dit Cabaret, op. cit., p. 273.
55 Pintoin M., Chronique du Religieux de Saint-Denys, Paris, CTHS, 1994, t. III, p. 146-147.
56 Guy de la Trémoille, chambellan du duc de Bourgogne, fait ainsi appel à Paris au tapissier Nicolas Bataille, au sellier Jean de Troyes, au pelletier Jacob de Mareuil, au coffrier Robin Garnier, au drapier Phelisot de Compans, tous fournisseurs ducaux. Louis de La Trémoille, Livre de comptes, 1395-1406. Guy de la Trémoille et Marie de Sully. Publié d’après l’original par Louis de La Tremoille, Nantes, Grimaud, 1887, p. 24-25 ; voir aussi la nécessité des dépenses vestimentaires à la cour pointée par la comptabilité de Jacques de Bourbon ou la correspondance de Rodolfo Gonzaga : Caron M.-T., « Les choix de consommation d’un jeune prince à la cour de Philippe le Bon », in Rassart-Eeckhout E., Sosson J.-P., Thiry C. et Van Hemelryck T. (dir.), La vie matérielle au Moyen Âge. L’apport des sources littéraires, normatives et de la pratique, Louvain-la-Neuve, université catholique de Louvain, 1997, p. 50-64 ; Savy P., op. cit., p. 361.
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