La critique saint-simonienne de la secte des économistes : un positionnement original
p. 265-289
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Texte intégral
« Quesnay n’a pas laissé une seule idée réellement praticable ; mais il a ouvert le champ des expériences économiques. Ses écrits, peu nombreux et tous empreints d’un néologisme sentencieux qui rappelle assez bien le style des écoles récentes saint-simonienne et fouriériste, sont à l’économie ce que l’alchimie est à la chimie. Quesnay cherchait modestement la pierre philosophale ; nos sectaires modernes déclarent sincèrement qu’ils l’ont trouvée. »
« Les Saint-Simoniens ont un point de ressemblance avec les physiocrates, auxquels ils semblent aussi avoir emprunté le dogme de l’obéissance passive et d’un respect idolâtre pour l’autorité. »
A. Blanqui, 1845 Histoire de l’économie politique en Europe (Paris, Guillaumin, 2 tomes), respectivement 3e éd., t. II p. 406 et 4e éd., t. II, chap. xliii, p. 280.
1La doctrine saint-simonienne en économie politique s’est constituée essentiellement sur la période 1825-1832, de la mort de Saint-Simon au schisme entre disciples et à la dissolution de fait de l’École. Son positionnement a été souvent identifié à celui d’un socialisme utopique ou romantique, et souvent réduit à une approche industrialiste et bancaire, appuyée sur des fondements analytiques assez limités, mais accompagnés d’effets pratiques ultérieurs très représentatifs d’une industrialisation à la française (mise en place des réseaux de chemins de fer, des banques2…).
2On oublie parfois que, dans le contexte intellectuel et politique du premier tiers du xixe siècle, et encore à l’articulation du siècle précédent, cette doctrine a cherché à se positionner par rapport aux grands « systèmes » de l’époque en économie politique. Elle l’a fait dans le cadre nouveau ouvert par la réception de l’œuvre de Smith en France, mais aussi par rapport à l’héritage national de la « secte des économistes » (Quesnay3 et son école physiocratique). Si l’industrialisme bien connu des saint-simoniens laisse augurer un désaccord lourd avec la défense de la grande agriculture et de la propriété foncière habituellement attachée à la physiocratie, les rapprochements avancés en exergue par un économiste compagnon de route des saint-simoniens ensuite repenti, A. Blanqui4, laissent pourtant penser que l’anti-physiocratie des saint-simoniens ne va pas de soi. Il importe donc d’examiner de plus près la question.
3L’article rappelle tout d’abord le rattachement net des saint-simoniens à ce que certains ont appelé un courant français « néo-smithien5 », au moins dans le sens où ces derniers vont globalement épouser la critique smithienne de la secte. Dans ce cadre, c’est la question de l’origine de la richesse, à partir du travail, et de la contestation du rôle de la terre comme étant au centre du travail productif qui est la base de la critique portée envers Quesnay. La secte est alors présentée comme l’émanation du pouvoir des propriétaires fonciers. Sur ce plan, l’anti-physiocratie des saint-simoniens ne fait pas de doute, et elle débouche sur une série de recommandations et revendications pratiques significatives, en contradiction avec une « néo-physiocratie » persistante encore à l’époque. La seconde partie de l’article veut montrer comment les saint-simoniens, malgré ce lourd désaccord, vont s’emparer de la doctrine physiocratique, cette fois positivement : contre Smith et Say, les saint-simoniens vont enrôler la physiocratie dans la défense commune d’une économie politique comme étant fondamentalement dépendante d’un « principe général », de la définition d’un « but social », d’une conception de « l’organisation sociale » ou des « rapports sociaux », en bref d’un certain rapport entre politique et économie politique (sous l’appellation de « système »). Ainsi, si les saint-simoniens critiquent le type de l’organisation sociale défendue par Quesnay, ils approuvent donc ce dernier sur la méthode qui le conduit à en définir un, préalablement à toute science des richesses. De manière paradoxale, les saint-simoniens vont même jusqu’à insérer le système de Quesnay dans leur projection historique d’une organisation à venir. Dans des remarques conclusives, cette appréciation ambivalente des saint-simoniens, assez spécifique, nous servira alors à interroger ce qui peut expliquer le statut paradoxal de l’anti-physiocratie de cette secte particulière que fut le saint-simonisme.
Les saint-simoniens « néo-smithiens » et anti-physiocrates : travail, industrie et rente foncière
4Pour examiner la position des saint-simoniens envers la physiocratie, l’héritage laissé par Saint-Simon lui-même demeure limité, dans la mesure où l’identification explicite d’une économie politique associée à cet auteur par rapport à celle d’autres économistes paraît reposer sur une base réduite. Les références directes faites par Saint-Simon renvoient quasi exclusivement à Say, à l’exception de quelques mentions faites à Turgot et à Smith : elles apparaissent dans le volume de L’Industrie de 1817 (t. 2 et t. 4), dans Le politique de 1819 et dans l’Organisateur de 1820. Le nom même de Quesnay n’est jamais cité directement dans l’ensemble de l’œuvre (sur 3000 pages environ6.) Cela ne signifie pas que l’industrialisme de Saint-Simon, ainsi que sa définition des propriétaires et de leur rôle ne permettent pas de lui imputer un positionnement indirect sur les conceptions physiocratiques. Cela signifie seulement que, comme il est assez souvent reproché au saint-simonisme (chez Schumpeter par exemple), le contenu d’analyse économique peut paraître succinct par rapport au contenu doctrinal. La situation est très différente chez les disciples7, même si cela reste en grande partie méconnu. En effet, en dehors de mentions diverses souvent assez brèves et d’un article de compte-rendu de l’ouvrage d’un auteur considéré comme un physiocrate tardif, Schmalz8, un article assez long entièrement consacré à la physiocratie a été écrit par Enfantin en 1826 dans le premier journal des saint-simoniens, Le producteur. Il est intitulé : « Considérations sur les progrès de l’économie politique, dans ses rapports avec l’organisation sociale, 2e article. Quesnay, Turgot9 ». Cet article, en plus des diverses autres mentions et du contenu de la doctrine elle-même, permet de délimiter plus strictement le positionnement saint-simonien10.
5La caractéristique centrale de ce positionnement est, en dehors d’une admiration jamais démentie envers Quesnay11, celle d’une critique smithienne de la secte, à partir d’une position assez commune à l’époque : la contestation du rôle de la terre comme source unique de richesse et, par voie de conséquence, du rôle des propriétaires fonciers. Les saint-simoniens approuvent ainsi totalement la mise en cause du système physiocratique énoncée par Smith dans le chapitre ix du livre IV des Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations12. Le produit de la terre n’est pas la seule source du revenu et de la richesse du pays, et la classe des artisans, manufacturiers et marchands n’est pas stérile. Le travail est reconnu comme la source de la richesse collective, et la terre ne fait apparaître des produits que parce qu’on y affecte du travail. À propos de l’expression physiocratique : « la terre comme source unique de la richesse », Enfantin écrit une longue note :
« Ces analogies de mots nous trompent bien souvent : sans doute la terre est à la source de la richesse, le travail de l’homme en est aussi la source ; car, si la nature n’existait pas, ou si le globe n’était pas habité, il n’y aurait pas lieu à parler de richesse, mais une définition basée sur une telle puérilité ne mène à rien. La terre est la source des richesses, comme une rivière est la source d’un canal qu’elle alimente ; sans rivière, pas de canal, rien de plus évident ; mais que faut-il en conclure ? […] Ce mot source remplace celui de cause : la rivière est la cause du canal, comme le canal est cause que les terres qui l’avoisinent sont mieux cultivées, comme l’abondance et le choix de la nourriture, la salubrité du logement et des habits, l’instruction enfin que possède le travailleur, sont des causes d’un travail plus productif et par conséquent de nouvelles richesses. L’agriculture est la source de richesses, mais ces richesses ne serviraient à rien et ne mériteraient pas ce nom, si elles n’étaient pas transformées et transportées ; les manufactures et le commerce sont donc aussi sources de richesses ; ceux qui les exploitent appartiennent par conséquent à la classe productive ; les mariniers du canal, les constructeurs des bateaux dont il est couvert, sont des producteurs, aussi bien que les laboureurs dont ils transportent les produits13. »
6En définitive, comme l’écrit Rodrigues :
« L’agent unique et nécessaire de la production, la véritable cause productive, c’est le travail de l’homme, c’est-à-dire l’application de ses facultés musculaires et intellectuelles à un objet déterminé14. »
7Cet accord central des saint-simoniens avec Smith et cette mise en cause du système agricole (assez courante à l’époque) se font cependant au nom de la prolongation de l’analyse ouverte par Saint-Simon en 1816-17, dans l’Industrie. C’est là un point central, qui peut rajouter à la confusion déjà présente liée aux diverses lectures de Smith durant ce premier tiers du xixe siècle. En effet, Saint-Simon, le maître de l’École, est bien redevable aux physiocrates de la notion de « classe », employée comme substantif et associée à une position économique et se substituant à la notion d’« ordre » ; il en est de même concernant la généralisation du terme « producteurs15 ». Il n’y a cependant pas chez lui une distinction en trois classes : ni sur le mode physiocratique (classe stérile, classe productive, classe des propriétaires), ni sur le mode smithien (ouvriers, capitalistes, propriétaires fonciers), avec trois types de revenus associés (salaire, profit, rente). C’est une double division entre « oisifs » d’un côté et « travailleurs » de l’autre qui sous-tend toute l’analyse de Saint-Simon et qui est reprise par les disciples. Les oisifs sont les propriétaires de terre (propriétaires fonciers oisifs) et les propriétaires de capitaux non actifs (capitalistes oisifs), c’est-à-dire des consommateurs qui ne produisent pas. Les travailleurs sont tous les autres, qui permettent par leur travail de faire apparaître des produits finalement destinés à la consommation, en utilisant des instruments de production. Ainsi, la catégorie d’industriels englobe-t-elle tous les « travailleurs » (capitalistes actifs, c’est-à-dire les chefs d’industrie, dirigeants mettant en œuvre le capital, les propriétaires fonciers s’ils améliorent leur terre, les ouvriers et artisans16). Cette catégorisation soulève des ambiguïtés sérieuses : salaires et profits (parfois nommés « profits de travail17 ») sont en fait assimilés. Deux catégories lui font face : l’intérêt lié au loyer du capital, et la rente liée au loyer de la terre. Toutes deux sont considérées génériquement comme des loyers pour pouvoir utiliser un instrument de production. Ces loyers sont liés à la séparation entre travail et moyens de travail, séparation qui, dans la « marche générale de la civilisation », est destinée à se réduire et à être remplacée par un rapport de plus en plus direct entre producteurs. Du fait des progrès constants de la classe travailleuse et de la dépréciation graduelle des non producteurs, il doit y avoir une baisse progressive des loyers des objets immobiliers et mobiliers, et donc une évolution à la baisse de la rente foncière. La critique économique de la rente est donc fondamentalement liée au statut de la propriété immobilière, qui est permis par un monopole de propriété (ce qui lui permet de prélever des loyers élevés), et qui est l’élément le moins mobile dans la mise en rapport directe des divers producteurs18. Le loyer-rente n’est pas lié à la qualité de la terre : il n’est que le résultat de la « constitution de la propriété19 ».
8La mise en cause des propriétaires fonciers, contraire à la doctrine physiocratique, s’effectue logiquement sur ce terrain. De manière répétée, Quesnay, Turgot, la secte, les « économistes » sont accusés de défendre non le fermier, qui est un travailleur, mais le propriétaire (foncier) qui, pour les saint-simoniens, est un oisif : pour ces derniers, Quesnay se place du point de vue des propriétaires et non du point de vue des producteurs. Les propriétaires sont au centre du Tableau, même si Turgot est présenté comme étant un peu plus avancé, en reconnaissant le statut de « classe disponible » à la classe des propriétaires fonciers et celle de classe « stipendiée » pour les artisans20. En réalité, pour les saint-simoniens, les propriétaires d’objets fonciers et immobiliers liés à la terre (propriétaires fonciers) ou mobiliers (capitalistes oisifs) sont des détenteurs passifs d’instruments de production21 seulement intéressés à consommer sans produire eux-mêmes :
« En donnant aux propriétaires le caractère de producteurs, Quesnay confondait deux attributs de nature diverse, qui se rencontrent quelquefois, il est vrai, dans le même individu, mais qui doivent cependant suffire pour donner lieu à une classification basée sur cette différence même : ainsi le propriétaire qui perfectionne la culture de son champ, et celui qui en perçoit le fermage, ne font pas des actes de même nature ; la même différence existe entre le simple commanditaire d’une fabrique, et l’homme qui dirige le travail, invente les machines, compose les couleurs ou les dessins22. »
9On voit donc qu’une construction spécifique permet d’adopter la critique smithienne de la physiocratie, au nom d’un principe industrialiste reposant sur une définition large du travail qui forme les richesses, face à une situation d’oisiveté (détention passive d’instruments, avec perception d’une sorte de redevance pour entretien d’hommes oisifs, sous forme de rentes et d’intérêt). Bien que les bases soient différentes, on peut d’ailleurs noter que les saint-simoniens sont plus smithiens, face aux physiocrates, que certains « néo-smithiens » de la période, et en particulier Say. En effet, comme on l’a vu, les saint-simoniens contestent radicalement la possibilité de classer dans les producteurs le propriétaire d’un fonds de terre (ou d’un capital). L’hypothèse de Say selon laquelle le propriétaire « rend un service », dans la mesure où, en détenant un instrument de production de terre, il concourt à la production agricole, est alors absolument récusée par l’ensemble des saint-simoniens : la notion de « service productif » n’est pas retenue. Sur ce plan, il faut noter que Say est alors associé à Quesnay dans la critique23 : « M. Say semble partager l’amour de Quesnay et de ses élèves pour les propriétaires, lorsqu’il dit, livre I, chap. 4 de la 4e éd. [du Traité d’économie politique, 1819] : “Qui ne sait que nul ne connaît mieux que le propriétaire le parti que l’on peut tirer de sa chose ?” S’il s’était exprimé ainsi en nommant le fermier, personne n’aurait contesté, mais le propriétaire !!! » Cette critique est évidemment liée au fait que Say rejette l’idée smithienne que le travail est la valeur des choses, comme il l’indique de manière répétée dans son Traité24.
10Les saint-simoniens ont donc une position qui couple une définition très large du travail (faisant apparaître des productions utiles, à finalité d’objets de consommation et de bien-être, sans définition stricte du travail productif) et un rejet strict de la notion de service productif qui légitimerait le rôle des détenteurs de terres et d’argent. Ils ne cèdent jamais sur ce point. C’est cette ligne qu’ils confrontent à la secte, et qui conduit à une opposition sans concession face aux propriétaires fonciers, opposition théorique, mais aussi pratique, comme on le verra plus loin, dans le contexte de la Restauration.
11Notons enfin que cette position « néo-smithienne » des saint-simoniens dans la critique de la secte touche aussi les « néo-physiocrates ». On sait en effet que la terre d’origine de la physiocratie ne va pas purement et simplement abandonner les principes physiocratiques face à l’influence écossaise de Smith. Une « néo-physiocratie25 » demeure très active en France, du fait des divergences d’interprétation de l’œuvre de Smith elle-même, et du fait du rôle économique et politique de la propriété foncière, notamment au sein de la Chambre des pairs. Une série d’auteurs, au premier chef G. Garnier, mais aussi E. Schmalz, J. Dutens, L. L. G. de Boislandry26 (et quelques autres, dont Dupont de Nemours, resté actif en France jusqu’en 1815) vont composer avec le libéralisme industriel. Ils rejettent certes souvent la doctrine de la productivité exclusive de l’agriculture, mais insistent sur la complémentarité des activités, voire sur la supériorité relative des activités et des nations agricoles. Dutens27 par exemple, introduit quatre industries créatrices de richesses, qu’il faut faire coexister : l’industrie agricole, l’industrie manufacturière, l’industrie commerçante et l’industrie qu’il appelle libérale (couvrant les fonctions de direction, d’instruction). Schmalz, quant à lui, dans son Économie politique parue en 1826, maintient le fond du raisonnement physiocratique, mais indique que « les adversaires du système de Quesnay ne font pas attention que, dans la réalité, ce système attache au commerce et à l’industrie bien plus d’importance que ne lui en supposent et le système commercial de Colbert, et le système industriel de Smith28… » Face à cette extension « néo-physiocratique », la position anti-physiocratique des saint-simoniens se maintient. Ainsi, dans le bref compte rendu de l’ouvrage de Schmalz, Enfantin indique bien que, contrairement à ce qu’avance ce dernier auteur (qui invoque une mauvaise lecture de Quesnay), on doit soutenir le point de vue smithien : « Smith et ses élèves ont condamné Quesnay sur des points où ils comprenaient parfaitement son système. » L’ouvrage de Schmalz est alors jugé dépassé dans sa ligne générale29.
12Cette position se prolonge sur le terrain important des dispositions pratiques, des recommandations concernant la politique gouvernementale (des « maximes du laisser-faire », de la liberté du commerce extérieur et du taux d’intérêt). Démier, dans les textes cités, a bien montré comment la “néo-physiocratie” était dépendante des contraintes nouvelles et des compromis nécessaires à la fin de la Révolution et de l’Empire, et qu’ainsi, elle tentait de s’adapter à des applications concrètes30. Il est donc important de voir comment les saint-simoniens défendent un programme de recommandations pratiques et de réformes anti-physiocratiques (un équivalent des « maximes du gouvernement » des physiocrates), conformes selon eux aux principes relevés ci-dessus, particulièrement face au rôle économique de la rente et au rôle politique de la propriété foncière. Pour ce qui est de la circulation des produits et de ce qu’on appellerait la liberté des échanges, on sait que la « pleine liberté de la concurrence » est très souvent évoquée par Quesnay, essentiellement pour faire circuler le produit (essentiellement les blés) et ce qui permet son apparition. Quesnay s’oppose donc aux entraves au commerce qui, en freinant la circulation, font s’accumuler des richesses en argent dans un pays ou un lieu, en défavorisant la formation de richesses véritables, qui sont les richesses du sol (critique donc du « mercantilisme » et de la doctrine dite de la balance du commerce). Ce laisser-faire est invoqué pour s’opposer à l’industrie, à l’argent, au commerce mercantile, c’est-à-dire à tout ce qui peut mettre en cause les revenus liés à l’activité agricole (monopoles féodaux, droits élevés de rivière, droits de péage, privilèges des villes, des provinces, des communautés…). Dans les conditions nouvelles de la Restauration, et dans un contexte nouveau des rapports entre la France et l’Angleterre après la Révolution et l’Empire31, ces recommandations sont invoquées avec des adaptations diverses par la « néo-physiocratie ». Sur ce plan, de manière insidieuse mais tout à fait juste, Enfantin32 demande quelle est la position réelle du « néo-physiocrate » Schmalz sur l’importation des produits bruts du sol. En effet, alors que l’on trouve dans les deux tomes très détaillés de l’auteur33 une condamnation des prohibitions d’importations de produits manufacturés de l’étranger et des prohibitions d’exportations de matières premières, conformément à la doctrine physiocratique, on ne trouve rien sur le point soulevé par Enfantin. Alors que cette question est un enjeu pratique majeur encore à l’époque34, ce silence ne semble donc pas conforme aux recommandations pratiques de la physiocratie. Cependant, face aux ambiguïtés de Schmalz, la position exacte des saint-simoniens concernant la liberté du commerce, en rapport avec leur conception industrialiste est-elle plus claire ? Enfantin tente de la préciser dans un texte35 qui commente de manière critique les orientations des défenseurs du “système de la balance du commerce”, eux aussi encore actifs à l’époque (Ferrier et Moreau de Jonnès, que l’on pourrait qualifier de « néo-mercantilistes ») :
« La manie de réglementer les relations commerciales cessera sans doute ; et l’on finira par comprendre qu’il existe un moyen d’intéresser les peuples à la tranquillité, à la richesse les uns des autres ; de les lier étroitement par leurs besoins, d’éteindre leurs rivalités par la nécessité des échanges, et de parvenir ainsi à faire de la guerre un acte de folie… […] Nous avançons lentement sous le rapport économique ; car nous en sommes encore, pour le commerce des laines, aux actes les plus connus du règne d’Élizabeth en Angleterre. Nous voulons absolument tout produire chez nous… Il vaudrait mieux sans doute que la France soit un paradis terrestre, mais il n’en est point ainsi… et nous avons enfin un moyen très simple pour profiter de l’abondance et de la variété des productions de la terre : c’est de reporter, sans jalousie, le travail de l’homme sur des points les plus productifs, et de n’apporter aucune entrave aux relations qui s’établiront nécessairement entre tous les producteurs36… »
13On voit que sur ce plan, la conception optimiste de l’atelier social transposé à l’échelle du globe37, avec développement coordonné des associations (plus que des échanges) débouche sur des recommandations encore très générales. Par contre, sur d’autres dimensions pratiques, les saint-simoniens tentent de développer une ligne cohérente de recommandations par rapport à leurs propres prémisses. En effet, il s’agit pour eux, comme on l’a indiqué, de favoriser le transfert des instruments de production, notamment la richesse immobilière, vers leur utilisation productive, en suivant une évolution historique qui conduit à la baisse progressive des rentes ou fermages (et des intérêts), du fait du rapprochement direct entre travailleurs. Ainsi, pour Decourdemanche, « dans l’état actuel de notre législation le sol, qui présente une valeur immense, est comme enlacé dans mille liens qui s’opposent à ce qu’il puisse facilement changer de mains », et « toute législation fondée sur les vrais principes de l’économie politique doit tendre à rendre les richesses du pays aussi circulables dans le corps social, que le sang dans les veines de l’homme. Plus les valeurs actives pourront être facilement réalisées et échangées, et plus le bien-être commun fera de progrès38 ». Il s’agit alors d’une série de mesures pratiques couvrant :
la mise en cause de l’héritage lié aux droits de la naissance (précisément abolition des successions en ligne collatérale et augmentation des droits de succession en ligne directe39) ;
la tentative de favoriser les droits liés aux capacités productives, et de mettre en cause la place de la pairie, sur le plan politique, avec baisse du cens et attribution d’une patente au nom de celui qui cultive le fonds, afin de lui assurer le droit de candidature et de vote ;
le développement de contrats entre propriétaires fonciers et travailleurs (capitalistes actifs, fermiers, ouvriers agricoles) permettant à ces derniers de borner les propriétaires à un rôle de simples commanditaires, sans intervention sur la production elle-même (par le moyen de baux emphytéotiques par exemple) ;
la modification de toute la législation qui a été organisée « pour la propriété et contre l’industrie40 ». Tout particulièrement, il s’agit de la « mobilisation du sol » ou des propriétés foncières, qui consiste à rapprocher le plus possible la propriété foncière et immobilière de la propriété mobilière, et de la faire rentrer dans la législation commerciale, afin de faciliter le transfert de propriété pour la production (modifications du marché hypothécaire, création de banques pour rendre circulables les actifs, notamment). Les saint-simoniens s’opposent cependant à une loi agraire (évoquée en 1791) qui distribuerait à égalité les propriétés foncières : ils défendent un passage pacifique, progressif, et surtout en fonction des capacités (c’est-à-dire des compétences productives), ce qui interdit d’emblée une redistribution égalitaire41 ;
enfin la modification du système fiscal, qui ne peut être fondé sur l’impôt foncier unique physiocratique (lui-même contesté à partir du moment où les « néo-physiocrates » admettent la pluralité des sources de richesses, et donc de revenus42), et qui ne doit pas toucher le seul revenu. Selon Decourdemanche43, la Révolution de 1830 doit déboucher, comme la Révolution de 1789, sur une nouvelle donne fiscale : il faut établir un impôt direct non seulement proportionnel, mais progressif à la fortune de chaque individu, et abolir les impôts indirects (surtout boissons, sel, tabacs, mais aussi octroi, timbre)44.
14Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que la critique des saint-simoniens vise les propriétaires fonciers oisifs, et que l’on peut donc lire les propositions comme une tentative pour favoriser les propriétaires actifs, donc les capitalistes agraires. Si l’on admet que l’analyse profonde de Quesnay n’est pas totalement étrangère à cette préoccupation et qu’elle est annonciatrice des temps modernes (par exemple chez Cartelier présentant les points de vue de Marx, de Fox-Genovese, etc.45), l’hypothèse d’un capitalisme agricole est-elle plus défendable dans les années de la Restauration ? De ce point de vue, les difficultés à fonder un modèle de développement productif agricole demeure, avec les ambiguïtés des rapports entre propriétaires de terres, fermiers et travailleurs (identification séparée ou recouvrement ?), et également entre grands domaines concentrés et petite exploitation agricole (« grande culture » ou « petite culture » ?). On sait que Quesnay vante la « grande culture46 » et le rôle du fermier, tout en défendant strictement le rôle des propriétaires fonciers, avec les ambiguïtés de lecture sur l’anticipation d’un capitalisme agricole. Dans un contexte modifié47, les saint-simoniens se trouvent face à un même dilemme. Rouen, en 182648, souligne le décalage de croissance entre l’agriculture d’une part, et l’industrie et le commerce d’autre part, et il en renvoie la responsabilité principale à la classe des rentiers propriétaires du sol, dans la pure tradition saint-simonienne. Deux solutions s’ouvrent alors : soit le fermier devient propriétaire et le rentier simple commanditaire, soit le rentier devient lui-même cultivateur. Rouen défend la seconde option, qui replace les rentiers dans le projet industriel et les détourne du pouvoir politique indu qu’ils ont sur l’administration et la fonction publique. Plus largement, Rouen met en cause la combinaison économico-politique liant propriété (rentiers) et possession temporaire (fermiers), et préconise, pour favoriser la révolution agricole, et à l’instar des biens mobiliers, que possession vaille titre. Ce cadre général ne suffit cependant pas à régler les problèmes dans l’agriculture. Decaen, par exemple, examine ce qui est préférable, de la grande ou de la petite culture, et dans quelle mesure le morcellement de la propriété foncière peut être analysé comme dommageable. Selon lui, « il est bien certain que, dans les dix-neuf vingtièmes de la France, les terres cultivées avec le plus de soin et de perfection sont celles qui appartiennent à de petits propriétaires qui les cultivent eux-mêmes49 » et il invoque les exemples de la Belgique, du Palatinat, du Rhin et de la Suisse, le succès de la grande culture étant en fait une exception (autour de la capitale parisienne surtout). Ce modèle français suscite cependant de fortes inquiétudes au sein de la secte saint-simonienne, pour ce qui relève de son efficacité productive. Cette inquiétude est renforcée après la Révolution de 183050, qui a souvent été politiquement et économiquement présentée comme un déplacement de la prédominance des grands propriétaires vers les petits. Cette lecture est contestée par l’auteur saint-simonien demeuré anonyme, car elle reposerait sur la méconnaissance de « la valeur exacte du rôle qu’a joué la petite propriété dans la lutte que la France a eue à soutenir contre la dynastie bourbonienne, et contre la grande propriété qui en était la milice » : la petite propriété a certes participé à sa mission civilisatrice de participation au pouvoir nouveau des travailleurs (au sens saint-simonien), mais le système ancien n’est pas effacé par le rôle nouveau de la petite propriété : « la petite propriété a dû sympathiser un moment avec les classes utiles… », mais c’est une alliance éphémère, et « la petite propriété oisive est placée actuellement vis-à-vis des travailleurs dans une situation analogue à celle où se trouvait la grande propriété, il y a dix ans, vis-à-vis de la petite propriété et du travail réunis. Elle seule aujourd’hui est l’héritière de l’ancien régime, elle est le seul débris vivant de la féodalité51 ».
15Nous pouvons donc conclure que le trait majeur d’opposition des saint-simoniens à la secte repose sur deux éléments : d’une part la mise en cause de la rente foncière comme prélèvement issu de la propriété, permettant une consommation sans travail, et empêchant ou freinant la mise en œuvre de la production du fait de l’impossibilité d’une mise en relation directe entre producteurs et instruments de travail (donc plus rapide et mobile) ; et, d’autre part, la contestation du rôle politique des propriétaires fonciers qui doit être remplacé par celui des travailleurs, dans le régime industriel. Très clairement, les saint-simoniens ne voient pas dans la doctrine physiocrate la défense masquée d’un capitalisme agricole à venir, mais un cadre rétrograde de défense des propriétaires fonciers oisifs, symbole d’une phase historique dépassée. Ce point de vue débouche sur des recommandations pratiques qui vont à l’encontre des recommandations physiocratiques (concurrence, rente, impôt), même lorsque ces recommandations prennent la forme de compromis « néo-physiocratiques » encore identifiables dans la période du début du xixe siècle. L’inspiration physiocrate, de ce point de vue, demeure pour les saint-simoniens fondamentalement rétrograde et expressive d’une vision sociale conservatrice.
Les saint-simoniens « néo-physiocrates », critiques de Smith et des « néo-smithiens » : économie et politique
16Cependant, cette critique nette appuyée sur Smith se double en fait d’une approbation du système de Quesnay, pour des raisons évidemment différentes, qui sont d’ordre méthodologique et qui touchent la définition même de l’économie politique. Cette double question est assez commune dans une période durant laquelle la discipline commence à s’institutionnaliser. Toutefois, comme on va le voir, les saint-simoniens, dans leur soutien à Quesnay, proposent une entrée qui est assez spécifique.
17Tout d’abord, les saint-simoniens approuvent la méthode de travail en « système », et, en tant que tels, se retrouvent sur cette question en accord avec le « système des Économistes » (Physiocrates). Cette approbation représente, dans ces années 1820-1830, une exception quasi absolue. En effet, le raisonnement en « système » est généralement condamné, en économie politique particulièrement : Say, Sismondi, Blanqui, Dutens, mais aussi Constant, Dunoyer, Ch. Comte et bien d’autres écartent explicitement une méthode qui, selon eux, tout à la fois : interdit une approche mesurée, est trop abstraite, ne respecte pas les enseignements historiques liés à l’expérience, viole les hypothèses liées à la diversité de la nature humaine, a des prétentions scientistes sur la totalité des phénomènes physiques et moraux, et, en définitive, a conduit aux excès de la Révolution et de l’Empire52. Turgot lui-même s’élève contre « l’esprit de système » par lequel « on s’efforce d’expliquer tous les phénomènes, et qui effectivement les expliquent tous également, parce qu’ils n’en expliquent aucun53 ». Pour autant, il faut souligner qu’A. Smith, à la même date, avait pris le soin de différencier les caractéristiques de « l’homme de système » de celles liées à « l’esprit de système » dans sa Theory of Moral Sentiments (175954) et qu’il n’emploie pas qu’à titre négatif cette dernière expression. Il a été le premier à affubler la physiocratie de l’appellation de « systèmes agricoles » dans ses Recherches55 de 1776, mais en appelle aussi, rappelons-le, à un « système » de liberté naturelle. Il s’agit dans ce cas de l’usage méthodologique newtonien, dans le sens employé auparavant par Condillac et D’Alembert. Avant Smith, Turgot, dans son Éloge de Vincent de Gournay avait relevé d’ailleurs le double sens du terme, positif et négatif56. Ainsi, l’expression peut-elle recouvrir des significations diverses. Il importe donc d’expliciter le cadre qui, sous ce terme, permet de revendiquer un terrain commun entre la physiocratie et les saint-simoniens, et donc de complexifier fortement l’anti-physiocratie de ces derniers, telle que définie en première partie.
18Ensuite, selon les saint-simoniens, le recours méthodologique à un « système » est nécessaire pour deux raisons : il y a unité, organisation et finalité du monde dans son ensemble. Ainsi, les sciences des corps organisés, physiques et morales, doivent tenter de saisir cette unité, cette organisation et cette finalité. Pour ce qui concerne le « corps social », il faut donc un cadre qui traduise l’ensemble des relations humaines (dont les relations économiques ne sont qu’une partie), dans leur dimension générale, et renvoyer les dimensions particulières à ce cadre général. Le recours à une conception ensembliste, unitaire, physiologique et finaliste se traduit par le recours à un « système », élaboré à partir d’une conception positive du travail scientifique. Examinons en premier lieu les caractéristiques d’unité et d’organisation propres à la notion de système, qui permettent de dégager une proximité sur le statut de l’économie. Quel peut être alors le terrain commun revendiqué avec Quesnay de la part des saint-simoniens ? L’article de base de 1826 écrit par Enfantin concernant les physiocrates, cité plus haut, est à nouveau révélateur sur ce plan. À partir de la lecture du recueil de Dupont de Nemours de 1768, l’argument central d’Enfantin est en effet que la partie la plus intéressante du Tableau économique, ce n’est pas le tableau57, mais la première partie, à savoir « la conception philosophique d’un type d’organisation sociale58 ». Enfantin se réfère en fait au « Discours de l’éditeur », écrit par Dupont lui-même (p. i-lvxxiii), et au texte de Quesnay de 1765, Le droit naturel, placé à sa suite, dans ce même volume i. Quesnay est apprécié par les saint-simoniens parce qu’il présente un système d’organisation sociale préalable et complet, dans lequel s’insère une économie politique, qui en est en fait dépendante. Cette expression signifie que Quesnay disposait préalablement d’une « philosophie générale », comprise comme principes généraux de l’organisation sociale, comme « science générale comprenant l’ensemble des faits sociaux », comme étude des « rapports sociaux », ce qui représente la bonne méthode. Les économistes, note Enfantin, doivent en effet être à « la recherche de l’ordre essentiel des sociétés, c’est-à-dire à la création d’un type d’organisation vers lequel devaient tendre toutes les modifications des formes sociales », en soulignant bien que l’expression qu’il indique en italique est « le titre de l’un des ouvrages les plus marquants de la secte, composé par Mercier de la Rivière59 ». Comme on l’a déjà indiqué, le Tableau en lui-même n’est pas décisif :
« Quesnay, procédant scientifiquement, avait divisé son système en trois parties : la première renfermait la conception philosophique d’un type d’organisation sociale ; la seconde présentait le tableau de la société divisée en trois classes, et des rapports qui les liaient entre elles pour la distribution des produits du sol ; enfin la troisième partie était consacrée à l’application de la conception philosophique, c’est-à-dire à faire concorder les résultats du tableau économique avec l’ordre typique qui avait été imaginé ; et pour nous servir des termes de Quesnay, il avait pour but d’exposer, d’une part, le droit, l’ordre et les lois naturels, de l’autre, les moyens d’asseoir sur cette base inébranlable, qui lui paraissait soutenue par l’évidence, les droits, l’ordre et les lois politiques60. »
« Quesnay avait cherché à s’élever jusqu’à la conception de l’ordre social qui devait remplacer le désordre… Le Tableau économique, qui semble devoir être l’expression d’un fait matériel assez facile à observer, la distribution des produits, était une conséquence indirecte de la conjecture à laquelle les économistes [physiocrates] voulaient rattacher tous les faits sociaux61. »
19Ce système, chez les physiocrates, c’est celui du droit naturel, qui a l’ambition de servir, selon les saint-simoniens, de cadre reconstructeur, organique (donc constructif, et non critique) de l’organisation sociale, et en particulier des droits de l’homme et de la propriété. En définissant un système d’ordre naturel, Quesnay chercherait à échapper à la philosophie critique du xviiie siècle, et à fonder des règles d’ordre et de justice. Ces règles amènent par exemple à identifier la place de chacun et à l’affecter dans la production selon son inégalité productive (d’où déduction d’une économie politique). Ces règles amènent aussi à établir le rôle des individus dans une société, avec des formes d’associations garantissant la sûreté et la propriété (d’où une définition de la liberté compatible avec l’ordre). Ce qu’il faut donc élaborer, ce n’est pas une économie politique autonome, mais une « histoire philosophique de l’industrie », enchâssée dans une philosophie générale qui en est la source : la doctrine physiocrate est conforme à ce projet. Selon Enfantin, l’insistance mise sur la deuxième partie du travail de Quesnay (le tableau lui-même) a conduit et les disciples de la secte (Turgot62) et surtout les critiques (Smith63) à restreindre l’analyse dans le cadre étroit de la science des richesses, contrairement au projet même engagé par Quesnay. L’argument est repris plus tard par Enfantin :
« Les économistes, soit par adresse, soit par défiance de leurs forces (nous parlons des derniers économistes, et non de ceux de la secte de Quesnay) ont prétendu qu’ils ne faisaient pas de politique, que leur science s’inquiétait peu des formes de gouvernement, et qu’ils examinaient simplement comment les richesses se produisent, se distribuent et se consomment indépendamment de l’organisation sociale à laquelle sont soumis les producteurs, les distributeurs et les consommateurs64. »
20Enfantin, concernant la responsabilité de Smith mais aussi de Say dans le rétrécissement de la définition de la discipline économique, suit en fait l’appréciation de son maître Saint-Simon, fondée sur le renversement de la proposition de Say concernant les rapports entre économie politique et politique. Il introduit cependant deux modifications. D’une part, il ne soutient plus la thèse d’une fusion nécessaire entre politique et économie politique, mais la thèse de la dépendance de la seconde envers la première, c’est-à-dire envers ce qu’Enfantin appelle le « politique » (qu’on ne doit de plus pas réduire à la science du gouvernement). D’autre part, il ajoute le nom de Turgot dans les premiers auteurs responsables de la rupture de méthode et de définition de l’économie politique, avant Say65. Selon lui, Turgot, « est le premier qui ait réduit scientifiquement sur une petite échelle la doctrine de Quesnay, en négligeant de comprendre dans son Traité… les questions politiques qui s’y rattachent66 ». On notera ici qu’Enfantin dissocie Turgot de Quesnay. Il dénonce en fait la coupure entre les premiers travaux de Turgot (Histoire des progrès de l’esprit humain de 1750) et son Traité sur la formation et la distribution des richesses de 1766 (mais dans la version de Dupont de 1770, comme indiqué ci-dessus67).
21En second lieu, examinons la dimension de finalisme liée à la définition d’un système propre aux saint-simoniens et qui les amènent à défendre la physiocratie. De ce point de vue, l’originalité profonde de la position saint-simonienne favorable alors à la physiocratie tient à un véritable enrôlement de Quesnay au service d’un cadre historique et finaliste. Alors même que la doctrine physiocratique, liée à une philosophie du droit naturel, semble exclure une vision historique, les saint-simoniens lui reconnaissent une légitimité dans les étapes des progrès de l’esprit humain et de la marche générale de la civilisation. En effet, pour Enfantin, tout système permet de discerner le « but social », c’est-à-dire le cadre sociétal progressif qui peut unifier les comportements individuels et encadrer les égoïsmes. Le système physiocratique, de ce point de vue, tente de dépasser une phase critique de l’histoire pour établir une phase organique (un « ordre ») : il s’insère donc dans une dynamique historique, qui va jusqu’à anticiper la flèche du temps. Bien évidemment, les saint-simoniens ne valident pas la philosophie générale physiocratique fondée sur l’ordre naturel, et proposent un autre « système », un autre but social correspondant à la phase historique en cours. Il faut en effet passer de l’ordre naturel de la secte à un ordre fondé sur la réorganisation scientifique industrielle, qui n’est pas concevable à partir d’une hypothèse de droit naturel (ni d’ailleurs à partir d’une hypothèse de contrat social). Quesnay a certes bien identifié la dépendance nécessaire d’une économie politique envers un système, mais le système proposé ne tient pas compte de l’histoire, ici définie au travers d’un principe d’évolution décisif, identifiable expérimentalement comme les termes successifs d’une série : la nature des relations humaines est soumise à la perfectibilité et ainsi à des étapes successives (régime féodal et théologique, régime industriel et scientifique, selon la typologie qui s’est peu à peu stabilisée chez les saint-simoniens). Comme l’indique Enfantin dans une formule frappante, tous les ordres sont « naturels », car ils font partie des termes d’une série qui conduit au régime industriel. Le système avancé par les saint-simoniens déplace par exemple la question centrale de la propriété, sur une base clairement anti-physiocratique : la propriété n’est pas antérieure à la société, comme Quesnay l’avance. Elle en est le produit. La « constitution de la propriété », selon l’expression saint-simonienne consacrée, évolue dans le temps selon une dynamique de perfectibilité qui rapproche les travailleurs entre eux (association) et ces derniers avec les instruments de production, à l’échelle globale du globe. Ce que n’a donc pas pris en compte Quesnay, c’est que la rente foncière et le propriétaire foncier étaient des formes historiques passagères, légitimées un temps par des législations en phase avec le régime historique conforme à la marche de la civilisation, puis délégitimées lorsque la législation n’était plus en phase avec le nouveau régime en gestation ou même à demi installé. Dans cette vision d’évolution, la loi de décroissance de la rente et de l’intérêt s’appliquera progressivement, avec la perte de pouvoir politique des propriétaires fonciers qui y est liée. Toutefois, pour saisir ce nouveau système de pensée, il faut disposer d’une philosophie générale, à l’instar de la secte physiocratique, et non partir de ce qu’Enfantin appelle des « détails », liés à une seule science des richesses. Comme l’auteur saint-simonien l’indique :
« Les économistes modernes ont presque tous réservé pour la conclusion de leurs ouvrages leurs vues sur les plus grands faits sociaux. Ils ont voulu poser les bases de l’organisation sociale a posteriori, en commençant par les plus petits faits, depuis la division du travail, considérée même dans un individu isolé jusqu’à la liberté du commerce entre les peuples ; mais la science des richesses est insuffisante pour donner l’idée philosophique qui préside à la théorie de l’organisation des sociétés. […] Placés à des points de vue spéciaux, ces hommes ne sauraient prétendre à remonter de leur science particulière à la philosophie générale, à la science de l’organisation sociale. »
22Et, plus précisément, à l’étape actuelle,
« la science de la production, de la distribution et de la consommation des richesses est toujours soumise avant toutes choses, à la manière dont on envisage les relations qui existent entre l’homme qui possède et celui qui travaille68 ».
23Le système de la secte a donc un statut ambivalent pour les saint-simoniens : il relève du régime féodal et théologique, et donc, en tant que tel, ce qu’il légitime (ou tente de légitimer) est dépassé. Toutefois, dans le même temps, il établit une voie d’étude indispensable pour trouver les conditions générales du dépassement d’une période « critique » (au sens saint-simonien). On peut même signaler que les saint-simoniens discernent dans le système physiocratique, d’une manière que l’on pourrait appeler dialectique, des principes généraux en germe, qui ne se développeront pleinement que plus tard, dans le régime industriel. Et c’est en cela que réside leur profonde originalité de positionnement par rapport à Quesnay. Donnons-en trois exemples. Tout d’abord, « la nécessité de certaines supériorités sociales69 » et, en particulier, l’inégalité de distribution des instruments de production à partir de la reconnaissance des inégalités de capacités productives (rôle des chefs, et notamment des chefs de production dans la construction saint-simonienne) est un trait commun général : le système physiocratique et le système saint-simonien assignent tous deux une place déterminée à chacun dans la production. C’est le cas aussi de l’identification du finalisme des deux systèmes : chez les saint-simoniens, une fin historique, au sens d’état final et de but, tendant à l’accomplissement du régime industriel (en laissant une place pour l’action collective pilotée par des élites en capacités productives), remplace une fin naturelle (en laissant une place pour la révélation du royaume agricole et l’extension du droit naturel). C’est enfin le cas pour une analyse ensembliste commune aux deux systèmes, l’identification d’un ordre global dans la société vue comme un tout, avec les conséquences sur le statut de la liberté individuelle : chez les saint-simoniens, la liberté individuelle s’insère dans un processus global de développement de l’espèce, avec le développement d’un motif ou d’un esprit d’association, pour un but commun, réduisant le rôle de l’individualisme aux seules époques critiques ; pour Quesnay, l’individualisme ne s’inscrit que dans le cadre du respect de l’ordre naturel. Cette réinsertion des physiocrates dans un panorama historique qui leur est étranger permet donc de situer les deux systèmes comme deux utopies, dans le sens ici de projection sur un futur de l’unité, de l’organisation et de la finalité du monde économique et social. Paradoxalement, les disciples de Saint-Simon tentent le tour de force de situer les systèmes et les sectes physiocratiques et saint-simoniennes dans un projet social lisible selon une ligne historique commune. On se trouve alors assez éloigné de l’approche purement anti-physiocratique décrite antérieurement.
24On identifie donc bien, chez les saint-simoniens, une contrepartie importante à leur sévère critique de la secte, qui empêche de les considérer seulement comme des anti-physiocrates. Il existe un terrain présumé commun portant sur la méthode de travail (nécessité d’un « système ») et sur le refus d’autonomisation de la nouvelle science de l’économie politique, définie étroitement comme science des richesses. Ce refus de l’autonomisation est relativement courant à l’époque, mais il faut noter qu’il ne repose pas chez les saint-simoniens sur l’héritage d’une insertion de la discipline au sein d’une science du Législateur (Hume, Smith), ou, plus trivialement, d’une insertion au sein de la Législation ou de la Science administrative (Dunoyer ou Cazaux par exemple), ou encore, plus techniquement sur un couplage à un champ appliqué, comme la législation commerciale (le Sismondi de la Richesse commerciale). Selon nous, il est spécifique à partir du moment où la place de la législation n’est pas celle de Smith et où le retour à une philosophie du droit naturel est lui aussi exclu. Nous laissons donc ces questions importantes ouvertes sur ce point70. Les critiques habituelles portées contre l’économie politique smithienne, et plus encore contre l’économie ricardienne, concernant l’abstraction, ou bien les débats sur le rôle de la statistique (Peuchet71, Schmalz72) dans la nouvelle discipline ne sont pas considérées comme décisifs par les saint-simoniens : la question essentielle, celle de la méthode et de la définition de l’économie politique, liée en même temps à une prise en compte d’une philosophie de l’histoire, renvoie bien à un « système » préalable qui, seul, est apte à discerner l’unité, l’organisation et aussi la succession finalisée des régimes et phases de la perfectibilité.
Conclusion. Sur le statut ambivalent de l’anti-physiocratie des saint-simoniens
25L’analyse fait apparaître deux volets dans l’appréciation critique des saint-simoniens. On trouve d’une part un volet assez peu original en lui-même, recoupant la critique smithienne sur le rôle de la terre dans la formation de la richesse et du revenu, mais mené à partir d’un point de vue lié à l’héritage de Saint-Simon et de la dichotomie entre travailleurs et oisifs. On identifie d’autre part un volet plus positif et original reposant sur le rapport entre économie et politique, et délimitant une communauté de vue partielle entre la secte et le saint-simonisme des disciples, les deux participant à une utopie dont on pourrait discerner certaines caractéristiques communes. Au-delà de cette constatation, quel statut a donc l’antiphysiocratie des saint-simoniens ? L’ambivalence que l’on a constatée est fondamentalement liée à l’ambition saint-simonienne de situer la volonté de réforme dans un cadre historique long. Le projet politique de réforme est lié à la volonté de « terminer la Révolution française », après les bouleversements de la République, du Consulat, de l’Empire et de la Restauration, de fonder enfin un « régime organique » stabilisé dépassant enfin les irruptions critiques ; mais il ne fait que prolonger, sous une forme nouvelle, des questionnements plus anciens. En tant que tel, ce positionnement exige évidemment l’identification de points de rupture, mais aussi la revendication de certaines filiations.
26D’un côté, les ruptures nécessaires concernent évidemment le contenu des réformes physiocratiques, qui ne sont pas conformes au régime industriel nouveau qui est le régime maintenant conforme à la marche générale de la civilisation. Et, tout particulièrement, le rôle politique des propriétaires fonciers doit être laminé, au profit des producteurs. Cette anti-physiocratie est devenue d’autant plus nécessaire que les Restaurations postérieures à la chute de l’Empire sont marquées par des tensions fortes sur le pouvoir des couches nouvelles de l’industrialisation face au pouvoir encore puissant de l’aristocratie terrienne (Chambre des pairs, suffrage censitaire, double vote, million des immigrés) et qu’une « néo-physiocratie » demeure active, sur les plans idéologique et administratif. Mais les ruptures concernent aussi ce que l’on pourrait appeler le camp industrialiste. L’étude de la physiocratie est en effet aussi un moyen, pour les saint-simoniens, de chercher à trouver une place et une spécificité dans l’analyse économique au sein de ce camp, dans un contexte difficile, et sur un terrain où ils ont peu d’alliés et peu de forces directes. Ils sont en effet plus liés à un milieu d’ingénieurs (Polytechnique et Mines essentiellement), de praticiens, d’entrepreneurs que de professeurs, de membres d’Instituts, d’élus ou de nommés au sein des Chambres. De plus, on aura remarqué que, dans le double volet que l’on a dégagé, J.-B. Say est à chaque fois visé par ricochet. L’économiste libéral souvent considéré comme le plus influent à l’époque n’est donc pas seulement un inspirateur pour les saint-simoniens73, mais aussi une cible, ce qui peut aussi contribuer à positionner ces derniers. Particulièrement net à cet égard est le rejet d’une approche collaborationniste de la production en termes de « services productifs », pour la terre, mais aussi pour le capital, approche qui préfigurerait une théorie des facteurs de production. La complexité du paysage de la période liée au premier tiers du xixe siècle (en gros avant 1848) en économie s’en trouve renforcée : la base « néo-smithienne » de l’économie en France et ses versions dites industrialistes laissent encore ouvertes des lectures plus diverses qu’on ne le croit.
27Mais, d’un autre côté, le projet des saint-simoniens tente aussi de se constituer des filiations, d’où l’autre face de leur position sur la physiocratie. L’expression « Antiphysiocratie » apparaît alors comme mal adaptée pour apprécier la position de ces derniers, du fait même de leur philosophie historique et physiologique. En effet, selon eux, toute pensée a sa signification, sa nécessité et son utilité par rapport à un degré de perfectionnement de la société. L’alternance historique entre phase critique et phase organique laisse donc une place particulière au projet de réforme de Quesnay. Ce dernier est alors présenté comme le penseur réformateur qui a tenté de défendre une organisation sociale sous une forme organique, en échappant à la pensée critique dominante au xviiie siècle, mais en conservant des traces significatives du régime féodal et théologique. L’anti-physiocratie des saint-simoniens ne les conduit donc pas à ranger Quesnay dans la catégorie des « partisans du passé ». La lecture de l’histoire de la discipline faite par les saint-simoniens est plus complexe que celle qui avance qu’à partir de Smith, l’économie politique ne fait que se perfectionner : certains auteurs antérieurs à Smith, comme les physiocrates, peuvent être décisifs. En clair, il y a sans doute une utopie politique commune aux physiocrates et aux saint-simoniens, entre le Royaume agricole des uns et le grand Atelier industriel des autres. Si le projet de Quesnay est bien celui d’une refondation de la Monarchie française74, celui des saint-simoniens est indiscutablement la fondation du pouvoir de l’industrie et de la banque. Si, concernant Quesnay, il est important de mettre en rapport le Tableau avec le Traité de la Monarchie, le travail des saint-simoniens peut tout entier, explicitement et directement, se lire comme un unique Traité des industriels. L’ordre naturel des uns et l’ordre historique des autres possèdent malgré les apparences des traits communs (la recherche d’un ordre au sens plein du terme, c’est-à-dire d’un système cohérent et d’un système de places, le refus du contractualisme, la lecture globaliste en classes, la métaphore organique du corps social, la hiérarchie inégalitaire des producteurs associée à l’ordre, le rôle des élites, l’importance d’une École ou secte75.) La communauté de vue des saint-simoniens (certes critique) avec la physiocratie concernant le statut de la discipline économique, comme discipline non autonome, soumise en fait à une philosophie générale et évolutionniste des rapports sociaux et de la politique, prend alors son sens. Certes, ce projet commun passe chez Quesnay par le filtre de la construction d’une économie analytique (le Tableau), alors que la « politique économique » d’Enfantin rejette ce passage. De même, le rôle du Despote éclairé de Quesnay diffère-t-il du rôle des chefs d’industrie chez les saint-simoniens qui, malgré quelques tentations étatistes, défendent fondamentalement une véritable digestion de l’État dans le corps industriel. Cependant, la force de l’utopie commune est là, et les saint-simoniens, dans leur usage très particulier de Quesnay (incluant une forme d’enrôlement), l’ont compris.
28En définitive, l’anti-physiocratie des disciples saint-simoniens révèle une grande ambition : donner à l’industrialisme une philosophie générale, dont l’économie politique n’est qu’un élément dépendant. Cette dépendance revendiquée envers la sphère politique peut limiter une ambition analytique précise dans la discipline économique, et, comme il a été signalé, nous situer en deçà de Quesnay sur des notions décisives, mais elle ne conduit pas pour autant à un simple exposé général sur l’industrialisme et à une utopie de type « présocialiste » sans contenu, comme on le présente souvent. De ce point de vue, le jugement de Blanqui, présenté en exergue, assimilant les deux systèmes physiocratique et saint-simonien à une enfance préscientifique de l’économie et à un fonctionnement de sectes demeure bien superficiel et conformiste.
Notes de bas de page
2 Pour une bibliographie et une mise en perspective de ces interprétations traditionnelles du saint-simonisme en économie, cf. Bellet Michel et alii, « Y a-t-il un moment saint-simonien en économie politique », Website scientifique Textes économiques saint-simoniens (GATE LSE, CNRS, ISH, Région Rhône-Alpes, université Jean Monnet Saint-Étienne), avec plus de 1000 textes sélectionnés, introduits et annotés. Cf. aussi Jacoud Gilles (éd.), Political Economy and Industrialism, Londres/ New York, Routledge, 2012.
3 Sur Quesnay, on peut se référer à l’édition de Théré Christine, Charles Loïc et Perrot Jean-Claude (éd.), François Quesnay, Œuvres économiques complètes et autres textes, Paris, INED, 2005, 2 vol.
4 Rappelons qu’Adolphe Blanqui (1798-1854), bien que non strictement saint-simonien, a été le deuxième contributeur (derrière Prosper Enfantin) du premier journal saint-simonien, Le producteur, durant les deux années 1825-26 (24 articles sont de sa plume).
5 Cf. Béraud Alain, Gislain Jean Jacques et Steiner Philippe, « L’économie politique néo-smithienne en France (1803-1848) », Économies et Sociétés, série PE, n° 34, 2004, p. 325-418.
6 Saint-Simon Claude Henri, Oeuvres complètes, introduction, notes et commentaires par Grange Juliette, Musso Pierre, Régnier Philippe, Yonnet Franck, Paris, Presses universitaires de France, 2012, 4 vol. Dans des lignes très brèves, Turgot est évoqué favorablement par Saint-Simon au nom de sa vision historique sur les progrès de l’esprit humain (au même titre que Condorcet), au nom des grands administrateurs et de leur rôle pour faciliter l’établissement du système industriel, et, en tant que ministre, comme modèle du libéralisme face à l’arbitraire. Il l’est de manière critique au titre de théoricien des droits de l’homme (respectivement in vol. I, p. 518 ; vol. III, p. 2592 ; vol. IV, p. 2962, et vol. II, p. 1688).
7 On entend ici par disciples le groupe qui a entouré Saint-Simon avant sa mort (mai 1825), qui s’est élargi puis segmenté pour finalement imploser (1832). Sur le plan des contributions à contenu économique, il s’agit essentiellement de Saint-Amand Bazard et Prosper Enfantin (les deux « pères suprêmes » de l’École), de Olinde Rodrigues, de Michel Chevalier, des frères Isaac et Jacob Pereire, de Pierre-Isidore Rouen, de Joseph Allier, d’Alphonse Decourdemanche, de Stéphane Flachat et Emile Clapeyron, d’Henri Fournel, Charles Duveyrier, Adolphe Guéroult.
8 Schmalz Theodor, Économie politique, ouvrage traduit de l’allemand par Henri Jouffroy, revu et annoté sur la traduction, par M. Fritot, Paris, Arthus Bertrand, 2 tomes, 1826.
9 Enfantin Prosper, « Considérations sur les progrès de l’économie politique, dans ses rapports avec l’organisation sociale (Premier article) », Le Producteur, tome 4, 3e cahier (septembre), 1826, p. 373-389 et « Considérations sur les progrès de l’économie politique, dans ses rapports avec l’organisation sociale (2e article). Quesnay-Turgot », Le Producteur, tome 5, numéro 1 (octobre), 1826, p. 17-47.
10 Comme cela a été le cas pendant très longtemps, c’est le recueil de Dupont Pierre-Samuel, Physiocratie ou constitution naturelle du gouvernement le plus avantageux au genre humain, Yverdon, 1768-1769 (5 tomes), qui constitue la référence d’Enfantin, et non les publications de Quesnay. D’autres auteurs et ouvrages où articles sont mentionnés, mais sans précisions (notamment Lemercier de la Rivière Paul-Pierre, L’ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, quelques morceaux de l’abbé Baudeau Nicolas parus dans Les éphémérides du citoyen et Turgot Anne Robert Jacques, Recherche sur les causes des progrès et de la décadence des sciences et des arts ou réflexions sur l’histoire des progrès de l’esprit humain et son Éloge de M. de Gournay). Dans une note de son deuxième article de 1826 (p. 47), Enfantin identifie de manière très large vingt-six noms affiliables à la secte. Nous nous limitons ici, hormis quelques remarques, à la figure principale de Quesnay.
11 Cette admiration non démentie de la part de tous les saint-simoniens repose en partie sur la mise en cause catégorique du système de la balance du commerce, donc du « système mercantile » et de la définition de la richesse-argent déjà critiqués par Smith.
12 C’est la traduction avec notes, en cinq tomes, effectuée par Germain Garnier en 1802 qui, à l’époque, sert de référence (cf. en particulier Garnier Germain, Préface et Notes sur les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Paris, Agasse, t. 1 et t. 5).
13 Enfantin Prosper, « Considérations sur les progrès de l’économie politique », art. cit., p. 26-27.
14 Rodrigues Olinde, « Considérations générales sur l’industrie (1er article) », Le producteur, vol. I, 1825, p. 97-105, p. 97.
15 Sur ces points, cf. Piguet Marie-France, « Classe. » Histoire du mot et genèse du concept des physiocrates aux historiens de la Restauration, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996 (tout particulièrement chap. 3 sur les physiocrates, et chap. 5 sur Saint-Simon) et Piguet Marie-France, « Producteur. De l’économie au politique », in Pierre Fiala et Pierre Lafon (éd.), Des mots en liberté, Mélanges Maurice Tournier, t. 2, Fontenay-Saint Cloud, ENS Éditions, 1998, p. 389-400.
16 Au-delà, les travailleurs sont certes ceux qui font apparaître le produit matériel par leur travail (les industriels), mais aussi ceux qui contribuent aux dimensions intellectuelles et morales de ce produit (donc les savants et les artistes). Ces trois catégories de travailleurs représentent les trois fonctions fondamentales de l’organisation et du fonctionnement d’un corps social qui doivent s’associer : respectivement action-intérêt/idée-calcul/sentiment-sympathie. Il n’y a pas chez les saint-simoniens, à la différence de Smith, de définition stricte du travail productif.
17 « Malheureusement, ce mot de profit n’est pas employé dans la même acception par tout le monde » (Enfantin Prosper, « Considérations sur la baisse progressive du loyer des objets mobiliers et immobiliers », Le producteur, vol. 1, (2e article), 1825, p. 559). Pour les saint-simoniens, « les plus hauts profits temporaires, ou même constans, ne sont désirables que lorsqu’ils se présentent sous la forme de hauts salaires » (ibid.). Selon eux, chez Ricardo, les profits sont le nom de la rente du capitaliste oisif. La rente foncière devrait peu à peu s’annuler avec la réduction historique de la part des oisifs dans la société et avec des mesures progressives transitoires qui transfèrent une part de leurs droits vers les producteurs (capitalistes actifs et ouvriers-artisans-fermiers). Les saint-simoniens s’opposent à la théorie ricardienne de la rente différentielle au nom de ce principe d’évolution tendancielle.
18 Lire la théorie saint-simonienne comme une théorie de l’exploitation du travail au cours de la production (l’expression « exploitation de l’homme par l’homme » a été lancée par les disciples) est donc, selon nous, erroné. Il y a seulement une théorie de la mobilité, du transfert, de la fluidité, de la rapidité de rapprochement, de la réduction de distance entre producteurs et instruments de production, aux fins de consommation (d’où l’importance des réseaux matériels et immatériels : de banques, de transport, de confiance-crédit…). On pourrait dire que les saint-simoniens tentent de construire une théorie de la circulation monétaire des instruments de production. Le freinage de cette circulation fait naître une rente. Rien à voir donc avec une théorie de l’exploitation au sens marxiste.
19 Cette expression est différente de celle des « droits de propriété », qui, en étant dépendante d’une théorie des droits naturels et du contrat, est étrangère au saint-simonisme.
20 Cf. Enfantin Prosper, Économie politique et politique, Paris, Bureau du Globe, 2e éd., 1832, p. 41 (articles issus du Globe, 1831-1832, notamment, viie, viiie, ixe, xie articles), et Collectif, Doctrine de Saint-Simon. Exposition, 1re année, Paris, Bureau de l’Organisateur, 1830 (viiie séance, Théories modernes de la propriété). La définition et le rôle de l’entrepreneur chez Turgot n’ont pas attiré l’attention des saint-simoniens pourtant industrialistes et sensibles à l’innovation, ni remis en cause leur définition des profits.
21 Enfantin Prosper, Économie politique et politique, op. cit., ixe article, après la Révolution de 1830, indiquera que les propriétaires oisifs et les « travailleurs propriétaires », tout en tant séparés économiquement, ont une crainte commune : le désordre. Politiquement, donc, il peut y avoir des alliances non fondées économiquement.
22 Enfantin Prosper, « Considérations sur les progrès de l’économie politique », art. cit., 2e article, 1826, p. 35.
23 Collectif, Doctrine de Saint-Simon. Exposition, op. cit., p. 148, note 1.
24 Say Jean-Baptiste, Traité d’économie politique, 1803 (1re éd.) et 1819 (4e éd.), in Say Jean-Baptiste, Œuvres complètes, vol. i, éd. par Emmanuel Blanc et alii, Paris, Economica, 2006.
25 Sur ce point, cf. Démier Francis, « “Néo-physiocratie” et première industrialisation française », in Bernard Delmas, Thierry Demals et Philippe Steiner (éd.), La diffusion internationale de la physiocratie (xviiie-xixe), Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1995, et Démier Francis, La France de la Restauration (1814-1830). L’impossible retour au passé, Paris, Gallimard, Folio histoire, 2012. Sur les tentatives d’acclimatation de Smith au contexte national et à l’héritage physiocratique en France, cf. particulièrement Steiner Philippe, « Quels principes pour l’économie politique ? Charles Ganilh, Germain Garnier, Jean-Baptiste Say et la critique de la physiocratie », in Bernard Delmas, Thierry Demals et Philippe Steiner (éd.), La diffusion internationale de la physiocratie (xviiie-xixe), op. cit. p. 213-234. Cf. également Béraud Alain, Gislain Jean Jacques, Steiner Philippe, « L’économie politique néo-smithienne en France (1803-1848) », art. cit.
26 Cf. respectivement Schmalz Theodor, Économie politique, op. cit. ; Dutens Joseph Michel, Analyse raisonnée des principes fondamentaux de l’économie politique, Paris, Courcier, 1804 ; Boislandry Louis de, Examen des principes les plus favorables aux progrès de l’agriculture, des manufactures et du commerce en France, Paris, Renouard, 2 t., 1815.
27 Dutens Joseph Michel, Analyse raisonnée des principes fondamentaux de l’économie politique, op. cit.
28 Schmalz Theodor, Économie politique, op. cit., « Système de Quesnay », p. 319.
29 Enfantin Prosper, « Économie politique de M. Schmalz », in Mélanges, Le Producteur, t. 5, 1826, p. 116-118, p. 117. « Il nous a été impossible d’y trouver une seule idée nouvelle, et malheureusement l’auteur en adopte quelques-unes qui sont par trop anciennes » (ibid., p. 116).
30 Nous renvoyons particulièrement aux pages 234-248 de l’ouvrage cité de 2005, notamment sur la politique libérale à l’importation et à l’exportation, qui, à partir des années 1820 qui nous concernent ici, bascule et voit la conversion de la propriété foncière au prohibitionnisme agricole, en contradiction avec les derniers feux de la « néo-physiocratie ».
31 Il s’agit particulièrement de la fin du blocus continental.
32 Enfantin Prosper, « Économie politique de M. Schmalz », art. cit., p. 118.
33 Schmalz Theodor, Économie politique, op. cit., p. 144-154.
34 Du fait de l’importation des blés d’Ukraine tolérée jusqu’en 1819, remplacée à cette date par une loi dite d’échelle mobile avec des droits protecteurs variables pour faire face à la baisse des prix, puis à partir de 1821, par une version très restrictive. Cette évolution est bien sûr contraire aux recommandations physiocratiques, même si les propriétaires fonciers l’ont globalement soutenue. On peut trouver les recommandations pratiques de la secte sur ce point dans Quesnay François, Maximes générales du gouvernement économique du royaume agricole, in Dupont Pierre-Samuel, op. cit., 1768, vol. 1 et dans le texte de Dupont Pierre-Samuel, De l’exportation et de l’importation des grains, 1764.
35 Enfantin Prosper, « Réflexions sur quelques questions de douane et de finances, discutées actuellement en France et en Angleterre », Le Producteur, vol. 2, 19e numéro, 1826, p. 420-427.
36 Ibid., p. 422-423.
37 L’atelier social mondial des saint-simoniens n’est pas assimilable à la division internationale du travail smithienne. Les producteurs ne sont pas ipso facto des marchands : ils sont des coopérateurs associés. La métaphore de l’atelier social laisse peu de place à une théorie du marché.
38 Decourdemanche Alphonse, « Aux industriels. Lettres sur la législation dans ses rapports avec l’industrie et la propriété », Le globe, 24 avril 1831, 8e lettre, p. 17 ; et 7 juin 1831, 10e lettre, p. 39.
39 Cf. Enfantin Prosper, Économie politique et politique, op. cit., viie article, « Fermages, loyers, intérêts, salaires. Moyens transitoires », 14 mars 1831 ; viiie article, « Abolition des successions collatérales ».
40 Decourdemanche Alphonse, « Aux industriels », art. cit.
41 Collectif, Doctrine de Saint-Simon. Exposition, op. cit., viiie séance, p. 159-161. Ceci est une manière de répondre à la question des grands domaines, recommandés par Quesnay.
42 Schmalz Theodor, Économie politique, op. cit., t. 2, p. 257-285, défend cependant la suppression de tous les impôts existants pour les remplacer par un impôt unique sur la rente foncière.
43 Decourdemanche Alphonse, « Aux industriels. Lettres sur la législation dans ses rapports avec l’industrie et la propriété », Le globe, 1er août 1831, 12e lettre.
44 Sur la période 1818-1828, l’impôt foncier en France a baissé, mais les impôts indirects sur la consommation ont fortement augmenté.
45 Sur ce point, cf. Cartelier Jean, « Introduction », in F. Quesnay, Physiocratie, Paris, GF Flammarion, 1991, p. 61-64. On notera que la « classe productive » dans la définition de Quesnay associe salariés (en fait journaliers agricoles) et fermiers, à l’instar de la définition plus large des producteurs chez les saint-simoniens. La « classe stérile » (commerçants et artisans), bien que non productive, s’oppose aussi aux propriétaires fonciers chez Quesnay.
46 Cf. en particulier Quesnay François, « Fermiers » et « Grains », in Christine Théré, Loïc Charles et Jean Claude Perrot (éd.), François Quesnay, op. cit., vol. 1, p. 127-159 et p. 161-212.
47 On peut trouver un témoignage de ce nouveau contexte dans deux textes descriptifs qui ont eu un écho dans les années 1810-1820, avec Chaptal Jean-Antoine, Des progrès de l’industrie manufacturière et agricole en France depuis trente ans, in Claude Henri de Saint-Simon, L’industrie ou Discussions politiques, morales et philosophiques dans l’intérêt de tous les hommes livrés à des travaux utiles et indépendants, t. 2, Paris, Bureau de l’Administration, 1817, p. 155-271, en particulier dans l’article premier, « État actuel de l’industrie agricole ». Cf. également Blanqui Adolphe, « Relation d’un voyage dans le midi de la France », Revue encyclopédique, 119e cahier, novembre, 1828, p. 291-324.
48 Rouen Pierre-Isidore, « Exploitation agricole », Le producteur, vol. 3, 3e cahier, juin 1826, p. 518-525.
49 Decaen Auguste, « Du morcellement de la propriété foncière, considéré dans ses rapports avec la prospérité de l’agriculture », Le producteur, vol. 3, 1er cahier, avril 1826, p. 17.
50 Anonyme, « La grande et la petite propriété », Le Globe, journal de la doctrine de Saint-Simon, n° 7, 20 janvier 1831. L’article est très probablement de la main de Michel Chevalier.
51 Ibid., p. 355.
52 Rousseau, par exemple, est souvent cité comme étant prisonnier d’un système, qui pousserait à l’excès la revendication d’égalité et l’appel à la raison (chez Constant ou Dunoyer par exemple). Ganilh Charles, Dictionnaire analytique d’économie politique, Paris, Ladvocat, 1826, valide cette appréciation purement négative (rubrique « Systèmes », p. 395) : « En économie politique, on entend par ce mot les doctrines erronées sur la nature et les causes de la richesse moderne… » Assez souvent, dans la critique, l’idée de « système » est associée à l’idée de « secte », comme l’indique à sa manière Blanqui dans les citations en exergue de notre texte, ou le mentionne, dans son introduction, Sismondi Jean Charles Léonard Sismonde de, De la richesse commerciale, ou Principes d’économie politique appliqués à la Législation du Commerce, Genève, Paschoud, 1803, in Œuvres économiques complètes, t. 2, Paris, Economica, 2012. Mais on peut voir aussi Say Jean-Baptiste, « Discours préliminaire », in Say Jean-Baptiste, Traité d’économie politique, op. cit., 5e-6e éd., p. 47 : « Depuis la mort de Ricardo, cet auteur fait secte… »
53 Turgot Anne Robert Jacques, Éloge de Vincent de Gournay, 1759, in Joël Thomas Ravix J.-T. et Paul Marie Romani (éd.), Turgot. Formation et distribution des richesses, Paris, GF Flammarion, 1997, p. 148-149. Enfantin a pu lire ce texte dans sa version parue dans le tome IIIe de 1808 de l’édition des œuvres en 9 volumes dirigée par Dupont (1808-1811, op. cit., p. 321-375, Paris, Impr. de Delance).
54 Les passages principaux concernent le chap. i de la ive partie (qui lie le système, la convenance à une fin pour lequel il est prévu, et la beauté, d’où amour du système) ainsi que le chap. ii de la vie partie (qui met en cause « un certain esprit de système » comme esprit public non modéré par le spectateur impartial). Le texte de Smith était disponible en langue française à l’époque, à la suite de la traduction effectuée par Mme de Grouchy en 1798 (Smith Adam, Théorie des sentimens moraux, ou, Essai analytique sur les principes des jugemens que portent naturellement les hommes, d’abord sur les actions des autres et ensuite sur leurs propres actions. Suivi d’une dissertation sur l’origine des langues, traduit de la 7e éd. par S. de Grouchy, 2 volumes, Paris, Buisson).
55 Smith Adam, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, édition française de l’ouvrage de référence de 1776, parue en 1802 par les soins (traduction, notes et observations) de Germain Garnier.
56 Cf. Turgot Anne Robert Jacques, Éloge de Vincent de Gournay, op. cit., p. 149-152, au sujet de la distinction entre « esprit de système » et « homme à système ».
57 Enfantin (p. 29) reproduit strictement et uniquement la formule du Tableau économique telle qu’elle apparaît dans l’ouvrage dirigé par Dupont Pierre-Samuel, op. cit., tome 1, 1768, p. 53, lui-même issu de l’article de Quesnay François, « Analyse de la formule mathématique du tableau économique », Journal de l’agriculture, du commerce et des finances, juin 1766 (cf. in Christine Théré, Loïc Charles et Jean Claude Perrot [éd.], François Quesnay, op. cit., vol. 1, p. 527 et suiv.). On retrouve souvent à l’époque cette version du Tableau ; pour une exception, cf. Schmalz Theodor, Économie politique, op. cit., t. 1, 1826, p. 329, qui lui ajoute une version « italienne ».
58 Ibid., t. 1, p. 21.
59 Ibid., p. 85, note 1.
60 Enfantin Prosper, « Considérations sur les progrès de l’économie politique », art. cit., 2e article, p. 21-22.
61 Ibid., 1er article, p. 380.
62 Tous les termes cités sont issus de ibid. Concernant Turgot, on peut penser qu’Enfantin se soit laissé influencer par la présentation des œuvres de ce dernier effectuée par Dupont de 1808 à 1810. En effet, cette présentation transforme une part des écrits de Turgot et modifie leur ordre chronologique, ainsi que l’éditeur Schelle l’a indiqué dans son édition ultérieure des œuvres. Il se peut, en fait, qu’Enfantin, à la différence de Bazard Saint Amand, « Considérations sur l’histoire », Le producteur, journal philosophique de l’industrie, des sciences et des beaux-arts, n° 4, 3e cahier, septembre 1826, p. 390-415, n’ait pas eu un accès direct au Tableau philosophique des progrès de l’esprit humain. Il est probable qu’il ait simplement suivi la référence faite à cette œuvre par Condorcet. De ce fait, la dimension « philosophique » de l’œuvre de Turgot paraît moins nette, par rapport à une présentation des œuvres de Quesnay par Dupont qui débute par le texte sur le droit naturel.
63 Enfantin, comme on l’a déjà indiqué, connaît la Théorie des sentiments moraux, traduite en français, mais le lien avec les Recherches n’est pas clairement saisi. C’est la lecture autonome de l’ouvrage de 1776, analysant le développement de la richesse matérielle, qui domine en effet son interprétation.
64 Enfantin Prosper, op. cit., xie article, 1830, p. 119-120.
65 Pour Enfantin, « les successeurs de Smith ont dépassé le maître dans cette fausse direction » (ibid., iie article, 1826, p. 387).
66 Ibid. Concernant Schmalz, cf. Schmalz Theodor, Économie politique, op. cit., t. 1, p. 46-47.
67 Cette assertion semble très discutable. Il est étonnant qu’Enfantin ne prenne pas en compte positivement, sur le plan de la méthode, le modèle historico-logique de Turgot, présent dans les Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, ou les commentaires élogieux de Bazard Saint Amand, « Considérations sur l’histoire », art. cit., 1826, dans son article sur l’histoire, comportant plusieurs pages sur le Tableau de Turgot (p. 401-405). De même, il est surprenant qu’il ne relève pas la vision conventionnelle (et non naturelle) que Turgot confère à la rente. Nous ne développons pas ici précisément le positionnement des saint-simoniens concernant Turgot. Cela nécessiterait une étude spéciale, compte tenu de la place originale de cet auteur que l’on ne peut considérer comme disciple de la secte, mais aussi des problèmes d’accès aux textes effectifs de l’auteur de la part des saint-simoniens.
68 Enfantin Prosper, op. cit., iie article, 1826, p. 387.
69 Enfantin Prosper, « Considérations sur l’organisation féodale et l’organisation industrielle ; comment l’esprit d’association se substitue graduellement dans les rapports sociaux à l’esprit de conquête », Le Producteur, 3, 1er cahier, avril 1826, p. 66-85, ici p. 71.
70 Sur les fondements philosophiques du saint-simonisme, cf. en particulier Bellet Michel, « De la physiologie de la sensation à la physiologie de l’organisation : les fondements philosophiques de l’économie saint-simonienne », Working Paper GATE L-SE, CNRS, 2013.
71 Peuchet Jacques, « Discours préliminaire », in Statistique générale et particulière de la France et de ses colonies, t. 1, p. v-lxi, Paris, Buisson, 1803.
72 Schmalz Theodor, Économie politique, op. cit.
73 Boureille Bernard et Zouache Abdallah, « Influences de J.-B. Say dans les écrits économiques des Saint-Simoniens (1825-1832) », in Tiran André (éd.), Jean-Baptiste Say : Influences, critiques et postérité, Paris, Classiques Garnier, 2010, p. 253-270.
74 « Mirabeau and Quesnay’s royaume agricole is a political utopia sustained by the idea of a Natural Order, which science can only account for. Since them, history has presented other “necessary and unavoidable laws” which have been proved by economics, scientific socialism and optimal properties of a global and competitive market being two outstanding examples », Cartelier Jean, « Nobility and Royaume agricole : The Tableau économique as a Political Utopia », in Jean Cartelier et Gino Longhitano (éd.), Quesnay and Physiocracy. Studies and Materials, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 62-86, p. 64.
75 Nous ne traitons pas ici d’autres aspects importants : la question de la centralisation, l’utilisation raisonnée d’une mythologie extra-européenne (la Chine pour Quesnay, l’Orient pour Enfantin et Chevalier), la question de la place de la conquête dans la légitimation du rôle de la noblesse (argument contesté par Quesnay, mais validé par les saint-simoniens à partir des emprunts faits à A. Thierry et à A. Comte)…
1 Nous remercions les rapporteurs de cette version ainsi que Jean Cartelier et Philippe Steiner, qui ont bien voulu nous faire un certain nombre de remarques.
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