Turgot et la Physiocratie : les raisons d’un divorce
p. 193-218
Texte intégral
1Turgot est une figure importante de l’environnement immédiat de l’école physiocratique en raison des relations qu’il a entretenues avec certains de ses principaux représentants et en particulier avec François Quesnay. Bien que nous ne connaissions ni les circonstances ni la date exacte de la première rencontre entre Turgot et Quesnay, nous savons par les Mémoires de Mme du Hausset, femme de chambre de Mme de Pompadour, que Turgot fréquentait l’entresol de Quesnay à Versailles dans les années 1757-17581. Ce point est confirmé par Marmontel qui dans ses Mémoires raconte que, « dans l’entresol, nous raisonnions d’agriculture, nous calculions le produit net ou quelquefois nous dînions gaiement avec Diderot, d’Alembert, Duclos, Helvétius, Turgot, Buffon2 ». Il semble donc probable que ce soit par l’intermédiaire des encyclopédistes que Turgot ait fait la connaissance de Quesnay puisque, l’un comme l’autre, ont contribué par différents articles aux tomes VI et VII de l’Encyclopédie, respectivement publiés en 1756 et 1757.
2Bien qu’à l’époque Turgot disposait déjà de solides connaissances en matière économique3, il ne fait aucun doute que les travaux de Quesnay exercèrent sur lui une forte influence. Dès 1759, dans son « Eloge de Gournay », il fait explicitement référence à l’article « Grains » de Quesnay et, quelques années plus tard, dans une lettre à Du Pont, il désigne Quesnay comme leur « commun maître4 ». Durant cette période, Turgot se considère donc comme très proche de l’école physiocratique, même s’il ne s’en revendique pas. Ainsi, dans une lettre de septembre 1767, il demande à Du Pont de transmettre « mille amitiés au Docteur, à frère Paul [l’abbé Baudeau] et à tous vos économistes ; car, quoi que je ne sois d’aucune secte, ce serait celle-là que je voudrais choisir si j’en prenais une5 ».
3Pourtant, très vite, sa position à l’égard des thèses physiocratiques change de registre. Dès novembre 1767, à l’occasion de la publication de l’ouvrage de Du Pont intitulé Physiocratie, qui rassemblait les principaux textes de Quesnay, Turgot lui écrit : « J’ai la Physiocratie […]. J’en ai lu le discours préliminaire […]. L’analyse des idées ne m’a paru ni complète, ni même exacte ; leur développement systématique est trop systématique […]. Cela tient un peu à l’asservissement aux idées du Maître ; quelque respectable que soit celui-là, il ne peut faire exception à la règle qui dit qu’il n’en faut aucune en matière de science6. » Puis, dans les années qui suivent, le ton de sa critique se durcit et il refuse catégoriquement d’apparaître comme physiocrate. En particulier, à l’occasion de la publication de ses Réflexions sur la formation et la distribution des richesses dans les Ephémérides du citoyen, et des corrections introduites par Du Pont, Turgot lui écrit : « Toutes ces additions […] tendent à me donner pour économiste, chose que je ne veux pas plus être qu’encyclopédiste7. »
4Dès lors, quelles peuvent être les raisons de ce divorce ? Turgot s’en explique en partie dans les termes suivants : « Malheureusement les deux patriarches des économistes [Quesnay et Mirabeau] ne brillent pas dans l’analyse fine du langage et de la grammaire et le grand respect des disciples fait qu’ils veulent toujours lier ce qu’ils disent à ce qu’ont dit les maîtres, d’où j’en conclus qu’ils déraisonneront toute leur vie, car pour bien raisonner, il faut commencer par faire table rase, chose antipathique à tout esprit de secte8. » Si les critiques formulées par Turgot à l’égard du ton de secte adopté par les physiocrates sont bien connues, les raisons plus profondes qui le conduisent à reprocher à Quesnay et à ses disciples un manque de rigueur dans la définition de leurs concepts le sont beaucoup moins et méritent donc, nous semble-t-il, d’être explicitées.
5Dans le but de préciser ces raisons, qui se situent pour l’essentiel dans ses écrits économiques9, il sera nécessaire tout d’abord de comprendre pourquoi Turgot adhère, dans un premier temps, aux thèses physiocratiques, même si c’est avec quelques réserves. Nous montrerons ensuite que c’est pour corriger ce qu’il pense être des imprécisions de Quesnay que Turgot approfondit le rôle des capitaux dans la production des richesses et propose une analyse du profit qui s’appuie sur une définition originale de la notion de produit net. Il nous sera alors possible de démontrer que le divorce entre Turgot et la physiocratie s’explique par la manière dont il articule son concept de circulation de l’argent, qui soulève la question de la détermination des prix, avec celui de commerce d’argent pour analyser la reproduction économique. Enfin, notre conclusion confirmera que c’est cette démarche analytique qui fait que Turgot ne peut adopter le modèle du royaume agricole élaboré par les physiocrates.
L’adhésion réservée de Turgot à la physiocratie
6Si au départ, Turgot accepte l’essentiel des thèses physiocratiques, il n’en exprime pas moins certaines réserves puisqu’il écrit à Du Pont : « Il est encore pour moi des mystères et je ne suis point entièrement satisfait sur les fondements de notre algèbre10. » Aussi, il lui adresse un certain nombre de remarques à propos des notes que celui-ci ajoutait aux articles publiés dans le Journal de l’Agriculture, dont il était le directeur.
« Quelquefois, je trouve que vous ne donnez pas assez d’étendue à vos principes, que toujours guidés par la marche qu’a suivi notre Docteur, toujours appuyés sur la base de l’analyse profonde qu’il a le premier faite de la formation, de la circulation, de la reproduction du revenu, vous ne vous servez pas assez du principe moins abstrait, mais peut-être plus lumineux, plus fécond ou du moins plus tranchant par sa simplicité et par sa généralité sans exception : le principe de la concurrence et de la liberté du commerce, conséquence immédiate du droit de propriété et de la faculté exclusive qu’a chaque individu de connaître ses intérêts mieux que tout autre. Ce seul principe avait conduit M. de Gournay, parti du comptoir, à tous les mêmes résultats pratiques auquel est arrivé notre Docteur, en partant de la charrue. Je me ferai honneur toute ma vie d’avoir été le disciple de l’un et de l’autre11. »
7Il apparaît donc que si Turgot adhère aux analyses physiocratiques, c’est parce qu’il est convaincu que les approches de Gournay et de Quesnay sont parfaitement complémentaires. Ses remarques ne viennent donc pas fondamentalement contester les idées physiocratiques, telles que Turgot les conçoit, mais la manière dont Du Pont les exprime.
8La même attitude se retrouve à propos de la question de l’impôt. Ainsi, dans le Programme d’un concours sur l’impôt indirect, proposé en 1765 par la Société d’agriculture du Limousin présidée par Turgot, on peut lire : « Les personnes les plus éclairées dans la science de l’économie politique savent depuis longtemps que tous les impôts, sous quelque forme qu’ils soient perçus, retombent nécessairement à la charge des propriétaires des biens-fonds, et sont toujours en dernière analyse payés par eux seuls, ou directement, ou indirectement12. » Turgot envoie ce programme à David Hume et après lui avoir suggéré de concourir, il ajoute : « Nos philosophes économiques, sectateurs de Quesnay, soutiendront fortement le système de leur maître. C’est un système dont les écrivains anglais sont fort éloignés quant à présent ; et il est trop difficile d’en concilier les principes avec l’ambition de monopoliser le commerce de l’univers, pour espérer qu’ils l’adoptent d’ici à longtemps. Il serait, cependant, bien à désirer que M. Pitt et tous ceux qui conduisent les nations, pensassent comme Quesnay sur tous les points13. »
9Cependant, cet accord de principe n’empêche pas Turgot, à la même époque, de formuler quelques critiques en marge de l’article « Impôts » de Quesnay. En particulier, à propos d’une attaque de ce dernier contre « ces richesses […] qu’on appelle finance circulante », qui loin de « manifester l’opulence de l’État n’en indiquent réellement que la décadence et la ruine, parce qu’elles se forment au préjudice de l’agriculture, de la navigation, du commerce étranger, des ouvrages de main-d’œuvre et des revenus du souverain14 », Turgot soutient au contraire l’idée que le commerce d’argent ne doit pas être discrédité parce qu’il joue un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’activité économique.
« Puisque toutes les entreprises d’agriculture et de commerce ne peuvent se faire sans avances et, par conséquent, sans capitaux, il est nécessaire qu’il y ait, dans une nation, une masse de richesses pécuniaires destinée à fournir ces avances, et il doit nécessairement s’établir un commerce entre les possesseurs de l’argent et ceux qui en ont besoin pour en faire emploi dans leurs entreprises ; ainsi, le commerce d’argent n’est pas plus mauvais en lui-même que tout autre commerce, quoiqu’il ne soit qu’un agent intermédiaire entre le consommateur et le producteur, toujours payé sur le revenu des biens-fonds, en quoi il ressemble à tout autre commerce15. »
10Sur ce même sujet, Turgot informe également Du Pont qu’il a commencé « une réfutation de M. Nissaque sur l’intérêt de l’argent16 ». Bien que cette réfutation ne nous soit pas parvenue, il est cependant aisé de deviner la nature des critiques de Turgot par une simple lecture du texte de Quesnay. Ce dernier établit en effet une distinction entre les « emprunts passagers usités dans le commerce, qui sont d’un autre ordre que les emprunts contractés à constitution de rentes perpétuelles17 ». Si pour les premiers, la fixation du taux de l’intérêt peut être laissée à la libre concurrence entre les prêteurs et les emprunteurs, en revanche, pour les seconds, les intérêts qu’ils produisent s’apparentent aux revenus des biens fonds et Quesnay en déduit qu’il s’agit là de faux revenus qui doivent donc être plafonnés par la loi du Prince, « car un faux revenu qui excède l’ordre du revenu réel est une excroissance parasite dans une nation, et un dérèglement désastreux dans l’économie générale d’un royaume agricole18 ». Or, comme nous venons de le voir, Turgot ne saurait considérer le commerce d’argent comme une excroissance parasite et l’intérêt comme un faux revenu, puisqu’il s’agit pour lui d’un commerce comme un autre ; mais surtout il ne peut accepter le principe d’une fixation légale du taux de l’intérêt, car c’est « une erreur de croire que l’intérêt de l’argent dans le commerce doive être fixé par les lois des princes ; c’est un prix courant fixé comme celui de toutes les autres marchandises19 ».
11Ce sont ces différents désaccords qui expliquent, semble-t-il, pourquoi Turgot ressent le besoin de mettre par écrit l’essentiel de ses idées en matière économique. Ainsi, en décembre 1766, il signale à Du Pont : « J’ai barbouillé beaucoup de papier depuis que je ne vous ai vu ; indépendamment d’une explication de la grande et de la petite culture que j’avais faite pour un Mémoire sur les impositions du Limousin qui a été donné, j’ai fait des Questions pour deux chinois dont je vous ai parlé et, pour en faire voire l’objet et le sens, je les ai fait précéder par une espèce d’esquisse de l’analyse des travaux de la société et de la distribution des richesses. Je n’y ai point voulu d’algèbre et il n’y a du Tableau économique que la partie métaphysique ; encore ai-je laissé bien des questions à l’écart qu’il faudrait traiter pour rendre l’ouvrage complet, mais j’ai traité assez à fond ce qui concerne la formation et la marche des capitaux, l’intérêt de l’argent, etc. ; c’est un canevas20. »
12Le premier texte, dont il est question ici, est en fait un article de Turgot intitulé « Des caractères de la grande et de la petite culture », publié en 1767 dans le tome VI des Éphémérides du Citoyen, sans doute à la demande de l’abbé Baudeau pour répondre aux critiques que Forbonnais avait formulées, dans le second tome de ses Principes et Observations Œconomiques (1767), contre cette distinction utilisée par Quesnay dans son article « Fermiers ». En effet, dans son article pour l’Encyclopédie, Quesnay notait que « les terres sont communément cultivées par des fermiers avec des chevaux, ou par des métayers avec des bœufs. Il s’en faut peu qu’on ne croit que l’usage des chevaux et l’usage des bœufs ne soient également avantageux21 ». Parce qu’elle utilise des chevaux pour labourer, la grande culture propre aux régions riches apparaît aux yeux de Quesnay comme plus productive que la petite culture, propre aux régions pauvres qui utilise des bœufs : « Il s’ensuit de là que les terres qu’on laboure avec des bœufs, produisent beaucoup moins que celles qui sont cultivées avec des chevaux par des riches fermiers22. »
13Or, pour Turgot, une telle explication est insuffisante parce qu’elle réduit l’opposition entre ces deux formes de culture à une simple différence de techniques de production. Il remarque en effet : « Les détails dans lesquels sont entrés quelques auteurs sur ces deux sortes de culture ont donné lieu à bien des personnes d’imaginer que ce qu’on entendait par grande culture était la culture qui s’exécute avec des chevaux, et que la petite culture était celle qui s’exécute avec des bœufs. Quoiqu’il soit vrai qu’en général on n’emploie point de chevaux dans la petite culture, il s’en faut bien que ce soit là le vrai caractère de ces deux cultures23. » Il corrige donc la position de Quesnay en montrant que ce n’est pas le fait d’utiliser des chevaux ou des bœufs qui compte mais celui de savoir qui, du cultivateur ou du propriétaire, fournit les avances de la culture. Dans cette perspective, écrit Turgot, « ce qui distingue véritablement et essentiellement les pays de grande de ceux de petite culture, c’est que, dans les premiers, les propriétaires trouvent des fermiers qui leur donnent un revenu constant de leur terre et qui achètent d’eux le droit de cultiver pendant un certain nombre d’années. Ces fermiers se chargent de toutes les dépenses de la culture, des labours, des semences, de meubler la ferme de bestiaux de toute espèce, des animaux et des instruments de labour. Ces fermiers sont de véritables entrepreneurs de culture qui ont à eux, comme les entrepreneurs dans tout autre genre de commerce, des fonds considérables et qui les font valoir par la culture des terres24 ». Au contraire, ajoute Turgot, « les pays de petite culture, […] sont ceux où il n’existe point d’entrepreneurs de culture, où un propriétaire qui veut faire valoir sa terre ne trouve pour la cultiver que des malheureux paysans qui n’ont que leurs bras, où il est obligé de faire à ses frais toutes les avances de la culture, […] d’avancer même à son métayer de quoi se nourrir jusqu’à la première récolte25 ».
14Ces deux modes de mise en culture des terres renverraient à des techniques de production différentes si la règle de répartition du surplus était la même dans le fermage et dans le métayage. Or, tel n’est pas le cas pour Turgot. Dans la petite culture la règle de répartition est purement égalitaire et donc entièrement indépendante du montant des avances, des résultats de la production, du travail ou des risques du métayer et du propriétaire. En effet, nous dit Turgot : « Le propriétaire foncier qui fait les avances, court les risques des accidents de récoltes, des pertes de bestiaux ; il est le seul véritable entrepreneur de la culture. Le métayer n’est qu’un simple manœuvre, un valet auquel il abandonne une part des fruits pour lui tenir lieu de gages26. » Dans la grande culture, la répartition de la valeur de la production nette repose sur une règle toute différente puisque « le propriétaire, de son côté, offre sa terre à louer à différents fermiers. La concurrence de ces derniers donne à chaque terre, à raison de la bonté du sol, une valeur locative courante, si j’ose ainsi parler, constante et propre à la terre, indépendante de l’homme qui la possède. […] Il est bien évident que cette valeur locative universelle, […] n’est due qu’à l’existence de cette espèce précieuse d’hommes qui ont, non pas seulement des bras, mais des richesses, à consacrer à l’agriculture, qui n’ont d’autre état que de labourer, non pour gagner leur vie à la sueur de leur front comme des ouvriers, mais pour employer d’une manière lucrative leurs capitaux27 ».
15Il est ainsi possible de constater que c’est encore une fois la question du rôle des capitaux qui est au centre des réserves exprimées par Turgot. Il n’est donc pas surprenant qu’il indique également à Dupont avoir traité à fond ce sujet dans un deuxième texte qu’il présente comme une « esquisse » ou un « canevas », et qui n’est autre que ses Réflexions sur la formation et la distribution des richesses. Bien que Turgot affirme qu’il n’y a dans son texte que la « partie métaphysique » du Tableau économique, son analyse se démarque nettement de celle de Quesnay.
Le rôle des capitaux dans la production des richesses
16Pour mettre en évidence le rôle des capitaux, Turgot s’écarte dans ses Réflexions de la démarche de Quesnay puisqu’il se place dans une perspective historique d’évolution des sociétés humaines28. Il évoque en effet pour commencer une première forme de division du travail entre agriculteurs et artisans, qui repose sur deux idées essentielles. La première est que chaque terre ne produit pas l’ensemble des divers biens nécessaires à la consommation des hommes. La seconde est que les produits de la terre doivent nécessairement être transformés par le travail pour pouvoir être consommés. Turgot en déduit que l’échange, qui découle de cette division du travail, ne porte pas sur les produits respectifs de ces deux classes, mais concerne les produits de l’agriculture et le travail des artisans. Ces deux classes, qu’il qualifie respectivement de classe productrice et de classe stipendiée, sont hiérarchisées sur la base de leur contribution à l’activité économique : les artisans préparent les produits que les agriculteurs ont fait naître. Pour Turgot en effet « c’est donc le travail du laboureur qui donne le premier mouvement. Ce que son travail fait produire à la terre au delà de ses besoins personnels est l’unique fonds des salaires que reçoivent tous les autres membres de la société en échange de leur travail29 ». Le rôle prépondérant attribué au laboureur provient uniquement du fait qu’il fournit à l’artisan non seulement ses moyens de subsistance, mais aussi les matières premières que ce dernier transforme par son travail. En conséquence, l’artisan qui « n’a rien qu’autant qu’il parvient à vendre à d’autre sa peine » voit son salaire se réduire « à ce qui lui est nécessaire pour lui procurer sa subsistance30 ». La position du laboureur est au contraire bien différente.
« La nature ne marchande point avec lui pour l’obliger à se contenter du nécessaire absolu. Ce qu’elle donne n’est proportionné, ni à son besoin, ni à une évaluation conventionnelle du prix de ses journées : c’est le résultat physique de la fertilité du sol et de la justesse, bien plus que de la difficulté, des moyens qu’il a employés pour le rendre fécond. Dès que le travail du laboureur produit au-delà de ses besoins, il peut, avec ce superflu que la nature lui accorde en pur don au-delà du salaire de ses peines, acheter le travail des autres membres de la société. Ceux-ci, en le lui vendant, ne gagnent que leur vie ; mais le laboureur recueille, outre sa subsistance, une richesse indépendante et disponible, qu’il n’a point acheté et qu’il vend. Il est donc l’unique source de toutes les richesses qui, par leur circulation, animent tous les travaux de la société, parce qu’il est le seul dont le travail produise au-delà du salaire du travail31. »
17Il est intéressant de noter que le « superflu » de richesse, récupéré par le laboureur, que Turgot assimile, en vertu de son caractère essentiellement agricole, à un « pur don » de la Nature, n’est pas qualifié de produit net bien qu’il en présente toutes les caractéristiques. Ce concept typiquement physiocratique n’est utilisé par Turgot que dans un deuxième temps, lorsqu’il introduit la distinction entre le propriétaire et le cultivateur.
18Pour que la personne du propriétaire puisse être séparée de celle qui se charge de cultiver la terre, il est nécessaire de se placer, nous dit Turgot, à une étape ultérieure de l’évolution de la société : celle dans laquelle toutes les terres ont un maître. Dans ce cas en effet, « puisque la terre rendait au maître qui la cultivait non seulement sa subsistance, non seulement de quoi se procurer, par la voie de l’échange, ses autres besoins, mais encore un superflu considérable, il put, avec ce superflu, payer des hommes pour cultiver sa terre, et pour des hommes qui vivent de salaires, autant vaut les gagner à ce métier qu’à tout autre. La propriété dut donc être séparée du travail de la culture, et bientôt elle le fut32 ». Dans cette nouvelle phase de développement de la division du travail, le surplus de richesse que Turgot qualifie cette fois de « produit net ou revenu », est donc prélevé en totalité par le propriétaire. C’est ce que Turgot nomme « la part du propriétaire ou le revenu avec lequel celui-ci peut vivre sans travail et qu’il porte où il veut33 ». Il en résulte ainsi une nouvelle division de la société en trois classes :
« La classe des laboureurs, à laquelle on peut conserver le nom de classe productrice ; la classe des artisans et autres stipendiés des produits de la terre, et la classe des propriétaires, la seule qui, n’étant point attachée par le besoin de la subsistance à un travail particulier, puisse être employée aux besoins généraux de la société, comme la guerre et l’administration de la justice, soit par un service personnel, soit par le payement d’une partie de ses revenus avec laquelle l’État ou la société soudoie des hommes pour remplir ces fonctions. Le nom qui lui convient le mieux par cette raison est celui de classe disponible34. »
19Si cette nouvelle organisation de la production ne change pas le statut de l’artisan qui reste toujours celui d’un salarié, elle modifie en revanche celui du cultivateur qui devient à son tour un salarié. Turgot indique en effet que « les deux classes des cultivateurs et des artisans se ressemblent par bien des rapports, et surtout en ce que ceux qui les composent ne possèdent aucun revenu et vivent également de salaires qui leur sont payés sur les produits de la terre. Les uns et les autres ont encore cela en commun qu’ils ne gagnent que le prix de leur travail et de leurs avances, et ce prix est à peu près le même dans les deux classes35 ». Toutefois, Turgot précise que ces deux classes peuvent également être distinguées parce qu’elles ne jouent pas le même rôle dans le processus de production des richesses.
« Il y a cette différence entre les deux genres de travaux, que le travail du cultivateur produit son propre salaire, et en outre le revenu qui sert à salarier toute la classe des artisans et autres stipendiés ; au lieu que les artisans reçoivent simplement leur salaire, c’est-à-dire leur part de la production des terres en échange de leur travail, et ne produisent aucun revenu. […] Le cultivateur, tout borné qu’il est à la rétribution de son travail, conserve donc cette primauté naturelle et physique qui le rend le premier moteur de toute la machine de la société et qui fait dépendre de son travail seul, et sa subsistance, et la richesse du propriétaire, et le salaire de tous les autres travaux. L’artisan, au contraire, reçoit son salaire, soit du propriétaire, soit du cultivateur, et ne leur donne, par l’échange de son travail, que l’équivalent de ce salaire et rien au-delà. Ainsi, quoique le cultivateur et l’artisan ne gagnent l’un et l’autre que la rétribution de leur travail, le cultivateur fait naître, au-delà de cette rétribution, le revenu du propriétaire ; et l’artisan ne fait naître aucun revenu, ni pour lui, ni pour d’autres36. »
20Cette différence de fonction justifie de « distinguer les deux classes non disponibles, en classe productrice qui est celle des cultivateurs, et classe stérile qui comprend tous les autres membres stipendiés de la société37 ». Il apparaît donc qu’à ce stade, l’analyse de Turgot n’est pas fondamentalement différente de celle de Quesnay. Cependant, Turgot ne s’arrête pas à cette forme de division du travail.
21En étudiant les différentes manières dont un propriétaire peut mettre sa terre en culture, il reprend pour l’essentiel la distinction entre le fermage et le métayage qu’il avait établi dans son article sur la grande et la petite culture. Ainsi, dans le cas du métayage, il indique que « le partage le plus commun a été de faire deux parts égales, dont l’une appartenait au colon, et l’autre au propriétaire ; c’est ce qui a donné lieu au nom de métayer (medietarius), ou colon à moitié fruits » ; tout en rappelant que dans les arrangements de ce genre, « le propriétaire fait toutes les avances de la culture, c’est-à-dire qu’il fournit à ses dépens les bestiaux de labour, les charrues et autres outils aratoires, la semence et la nourriture du colon et de sa famille, depuis l’instant où celui-ci entre dans la métairie jusqu’après la première récolte38 ». Dans le cas du fermage, la situation est complètement différente puisque c’est le fermier qui, en se chargeant d’effectuer la totalité des avances, s’approprie l’ensemble de la récolte pour verser au propriétaire un revenu constant. La différence entre ces deux modes de culture réside donc dans la position du propriétaire (respectivement du cultivateur) vis-à-vis de la fourniture des avances.
22Il est alors possible de constater que si l’hypothèse de l’appropriation complète des terres permet de justifier l’émergence du métayage, elle n’est pas suffisante pour expliquer la séparation de la personne du propriétaire de celle du fermier. Pour que cela se réalise, encore faut-il que les cultivateurs possèdent des capitaux préalablement accumulés leur permettant de faire les avances à la place des propriétaires. Or pour Turgot, cette possibilité est considérablement facilitée par la généralisation de l’usage de l’argent dans le commerce, seul moyen offert à ceux qui ne possèdent pas de terre d’accumuler les capitaux requis39.
« Il n’est presque pas nécessaire de remarquer que les entreprises de tout genre, mais surtout celles de fabrique, et encore plus celles de commerce, n’ont pu être que très bornées avant l’introduction de l’or et de l’argent dans le commerce, puisqu’il était presque impossible d’accumuler des capitaux considérables […]. La seule culture des terres pouvait se soutenir un peu, parce que les bestiaux sont le principal emploi des avances qu’elle exige ; encore est-il probable qu’il n’y avait d’autre entrepreneur de culture que le propriétaire. Quant aux arts de toute espèce, ils n’ont pu être que dans la plus extrême langueur avant l’introduction de l’argent. Ils se bornaient aux ouvrages les plus grossiers, dont les propriétaires faisaient les avances en nourrissant les ouvriers et leur fournissant les matières, ou qu’ils faisaient faire chez eux par leurs domestiques40. »
23C’est pour cette raison que Turgot introduit une sorte de renversement dans l’ordre de son discours pour aborder le rôle de l’argent dans la formation des capitaux puisqu’il note : « Il y a un autre moyen d’être riche sans travailler et sans posséder des terres, dont je n’ai point encore parlé. Il est nécessaire d’en expliquer l’origine et la liaison avec le reste du système de la distribution des richesses dans la société, dont je viens de crayonner l’ébauche. Ce moyen consiste à vivre de ce que l’on appelle le revenu de son argent, ou de l’intérêt qu’on tire de l’argent prêté41. » Aussi, après avoir consacré plusieurs paragraphes de ses Réflexions à expliquer la nature de la monnaie, la question de la valeur et l’origine des capitaux, Turgot peut renouer le fil de son analyse de la distribution des richesses.
« Replaçons-nous maintenant à l’époque postérieure à l’introduction de l’argent. La facilité de l’accumuler en a bientôt fait la plus recherchée des richesses mobiliaires, et a donné les moyens d’en augmenter sans cesse la quantité par la simple voie de l’économie. Quiconque, soit par le revenu de sa terre, soit par les salaires de son travail ou de son industrie, reçoit chaque années plus de valeur qu’il n’a besoin d’en dépenser, peut mettre en réserve ce superflu et l’accumuler : ces valeurs accumulées sont ce que l’on appelle un capital42. »
24Ainsi, ce n’est qu’avec l’appropriation de toutes les terres et la généralisation de l’usage de l’argent dans le commerce que les fermiers peuvent véritablement apparaître. Il s’agit pour Turgot d’entrepreneurs capitalistes de culture, c’est-à-dire « des possesseurs de gros capitaux qui, pour les faire valoir dans des entreprises d’agriculture, afferment les terres et en payent aux propriétaires de gros loyers, en se chargeant de faire toutes les avances de la culture43 ».
25En apportant toutes ces précisions sur le rôle des capitaux et des entrepreneurs de culture, Turgot ne peut avoir que le sentiment qu’il s’inscrit dans la même perspective que celle de Quesnay puisque ce dernier affirme dans son article « Grains » : « Nous n’envisageons pas ici le riche fermier comme un ouvrier qui laboure lui-même la terre ; c’est un entrepreneur qui gouverne et qui fait valoir son entreprise par son intelligence et par ses richesses. L’agriculture conduite par de riches cultivateurs est une profession très honnête et très lucrative, réservée à des hommes libres en état de faire les avances des frais considérables qu’exige la culture de la terre, et qui occupe les paysans et leur procure toujours un gain convenable et assuré44. » Toutefois, bien que Quesnay traite le fermier comme un entrepreneur de culture, il est beaucoup moins précis en ce qui concerne la nature de son revenu. Au contraire, en faisant du profit le revenu des capitalistes entrepreneurs, Turgot est nécessairement conduit à adopter une définition particulière du produit net, différente de celle de Quesnay.
Profit et produit net
26Dans son article « Grains », Quesnay considère que « les terres ne doivent pas nourrir seulement ceux qui les cultivent, elles doivent fournir à l’État la plus grande partie de ses subsides, produire des dîmes au clergé, des revenus aux propriétaires, des profits aux fermiers, des gains à ceux qu’ils emploient à la culture45 ». D’où il ressort que le profit se présente comme un revenu prélevé sur le produit net de l’économie, au même titre que le revenu du propriétaire ou que l’impôt. Cette interprétation est confirmée par le fait que Quesnay indique explicitement, dans un exemple numérique, qu’un produit net de 17 liv. 8 s. se décompose en 3/5 pour le propriétaire, 1/5 pour la taille et 1/5 pour le fermier. Cependant, dans le cadre de cet exemple Quesnay ne parle pas de profit au sens strict, mais de « gain pour subsister46 ». Cette ambiguïté du discours de Quesnay est renforcée par le fait que dans ses « Maximes de Gouvernement Economique », qui suivent l’article « Grains », il écrit : « Les travaux de l’agriculture dédommagent des frais, payent la main-d’œuvre de la culture, procurent des gains aux laboureurs : et de plus ils produisent les revenus des biens-fonds. Ceux qui achètent les ouvrages d’industrie, payent les frais, la main-d’œuvre, et le gain des marchands ; mais ces ouvrages ne produisent aucun revenu au-delà47. » Quesnay assimile ici le profit ou le gain du fermier au gain du marchand et à ce titre, en contradiction avec ce qui précède, il considère que ce gain ne fait pas partie du produit net.
27Le seul moyen de rendre compatible ces deux positions alternatives consiste à interpréter le profit comme un revenu résiduel provenant uniquement des conditions du marché48. C’est ce que Quesnay suggère lorsqu’il indique que « les fermiers des biens-fonds profitent jusqu’au renouvellement de leurs baux, de l’augmentation constante des prix des productions qui arrivent pendant le cours de ces baux49 ». Ce prélèvement sur le produit net n’est pas condamné par Quesnay ; bien au contraire, il y voit le moyen du développement de la grande culture dès lors que les fermiers réinvestissent leurs gains : « Ce gain est le plus fructueux, le plus profitable, le plus nécessaire à une nation dont l’agriculture a besoin d’être étendue et améliorée. Car les fermiers, s’ils ne sont pas opprimés, ne quittent point leur état ; les profits qu’ils font accroissent leurs richesses d’exploitation, au grand avantage de l’agriculture50. » Toutefois, ces gains ou ces profits qui résultent de l’augmentation des prix sont purement transitoires dans la mesure où ils sont récupérés par les propriétaires au moment du renouvellement des baux : « Ces profits qui multiplient les riches fermiers, mettent, lors du renouvellement des baux, une plus grande concurrence entre eux, ce qui assure alors aux propriétaires et au souverain la rentrée entière du produit net, et non seulement de celui qui résulte directement de l’augmentation des prix, mais encore de celui que fait naître en outre la plus grande aisance des fermiers51. » Le profit, comme composante du produit net, se présente donc comme un simple résidu, lié au défaut de concurrence entre les fermiers, qui vient compléter provisoirement, jusqu’au renouvellement des baux, leur rémunération normale. Cette dernière fait donc nécessairement partie des avances, comme l’indique Quesnay dans le chapitre 7 de la Philosophie rurale : « Dans le détail des reprises du fermier, nous n’avons parlé que de la reproduction de ses avances annuelles et des intérêts, sans avoir rien dit encore de la rétribution due aux soins, aux travaux et aux risques de son entreprise ; parce que cette rétribution se trouve confondue dans les dépenses de ses avances annuelles et dans le produit des bestiaux de profit52. » Ce constat est confirmé par le fait que même si Quesnay distingue explicitement la rétribution des fermiers de l’intérêt de leurs avances, il comptabilise ces deux éléments dans les avances annuelles. Il en résulte que, chez Quesnay, le profit n’a pas de statut clairement défini puisqu’il se présente à la fois comme une composante des avances et comme une fraction du produit net.
28Chez Turgot au contraire, le profit ne saurait être inclus dans les avances parce qu’il est la condition nécessaire à l’apparition d’un produit net. En effet, nous dit Turgot, « si le cultivateur n’avait pas un profit honnête et proportionné à ses avances, s’il n’était assez riche pour avoir droit à un gros profit pour de grosses avances, la production ne serait plus du tout la même, elle deviendrait d’autant plus faible que le cultivateur s’appauvrirait davantage au point que, passé à un certain degré de pauvreté, il n’y aurait presque plus de produit net53 ». En le définissant ainsi par son taux et en le distinguant explicitement des avances, Turgot considère donc que le profit des entrepreneurs de culture est une fraction du surplus de l’agriculture tout comme la rente des propriétaires fonciers.
29Cependant, si tel est bien le cas, comment se réalise le partage de ce surplus entre la rente et le profit ? Pour Turgot, il ne fait aucun doute que ce sont les anticipations ou les « calculs » réalisées par les entrepreneurs de culture qui conduisent à fixer la rente qui sera versée aux propriétaires. En effet, « la concurrence des riches entrepreneurs de culture établit le prix courant du fermage à raison de la fertilité de la terre et du prix auquel se vendent ses productions, toujours d’après le calcul que les fermiers font de tous leurs frais et des profits qu’ils doivent retirer de leurs avances : ils ne peuvent rendre au propriétaire que le surplus54 ». Toutefois, bien que le propriétaire n’intervienne pas directement dans la détermination de son propre revenu, il ne reste pas pour autant totalement passif puisqu’en choisissant de louer sa terre au fermier qui lui offre le loyer le plus élevé, il incite les fermiers à restreindre leurs profits : « Lorsque la concurrence entre eux est fort animée, ils lui rendent tout ce superflu, le propriétaire ne donnant sa terre qu’à celui qui lui offre un loyer plus fort55. » Ceci implique donc qu’en l’absence d’une concurrence complète, les entrepreneurs s’approprient une fraction de cette rente et réalisent en quelque sorte des surprofits. Telle est bien la situation envisagée par Turgot, car « le défaut de concurrence pour les entreprises met les entrepreneurs dans le cas de faire des profits plus considérables que ne l’exige la continuation de leur entreprise […]. Ces profits sont une portion du produit net que l’entrepreneur s’approprie, au-delà des reprises qui lui sont indispensablement dues aux dépens de la part des propriétaires56 ».
30Cette dernière remarque pourrait alors laisser croire que finalement Turgot développerait une conception équivalente à celle de Quesnay puisqu’il considérerait que le profit des fermiers résulte uniquement d’un défaut de concurrence. Cependant, telle n’est pas la position de Turgot qui précise, d’une part, que « quoique la concurrence des fermiers limite leurs profits, elle leur en laisse toujours un réel57 », et qui indique, d’autre part, que les entrepreneurs de culture « doivent recueillir, outre la rentrée de leur capital, c’est-à-dire de toutes les avances primitives et annuelles : 1° un profit égal au revenu qu’ils pourraient acquérir avec leur capital sans aucun travail ; 2° le salaire et le prix de leur travail, de leur risques, de leur industrie ; 3° de quoi remplacer annuellement le dépérissement des effets employés dans leur entreprise, les bestiaux qui meurent, les outils qui s’usent, etc.58 ».
31Turgot fait ainsi clairement la distinction entre le profit qui est la rémunération du capital avancé, le salaire qui est la rémunération du travail et l’amortissement des moyens de production. Or ce profit, qui ne peut jamais être nul et qu’il appelle le « profit honnête et proportionné aux avances », n’est finalement que le taux de profit minimum dont se contentera l’entrepreneur de culture pour investir son capital dans l’agriculture. Il ne fait donc aucun doute que les propriétaires fonciers ne s’approprient pas la totalité du surplus de l’agriculture, mais uniquement sa fraction disponible, celle qui n’est pas la condition de la reproduction. Aussi, à l’inverse de Quesnay, c’est le revenu des propriétaires fonciers qui prend la forme d’un résidu et, à ce titre, il peut parfaitement devenir nul. Cependant, plutôt que de se résoudre à n’avoir aucun revenu, les propriétaires préfèreront mettre eux-mêmes leur terre en culture. On comprend alors pourquoi un mode de culture comme le métayage peut se maintenir ; mais dans ce cas, comme nous l’indique Turgot, le propriétaire se substitue à l’entrepreneur et son revenu n’a plus rien d’une rente, il doit être au contraire assimilé au profit minimum, car « une conséquence qui résulte de ce système de culture [le métayage] est que, dans la totalité des produits que le propriétaire retire annuellement de son domaine, sont confondus les intérêts légitimes de ses avances. Cependant, ces intérêts ne doivent et ne peuvent jamais être considérés comme le revenu de la terre car le capital employé à tout autre usage eût produit le même intérêt59 ».
32L’analyse de Turgot est donc bien différente de celle de Quesnay puisqu’elle est étendue aux secteurs d’activités autres que l’agriculture. Leurs productions nécessitant également des avances importantes, celles-ci seront fournies par « un de ces possesseurs de capitaux […] qui les emploiera, partie aux avances de la construction et achats de matières, partie aux salaires journaliers des ouvriers qui travaillent à leur préparation60 ». Il en résulte que, comme l’entrepreneur de culture, l’entrepreneur manufacturier doit récupérer sur la valeur de sa production « non seulement toutes ses avances, mais encore un profit suffisant61 ». Les entrepreneurs de commerce se trouvent dans la même situation avec la seule différence « qu’ils achètent pour revendre et que leurs premiers achats sont une avance qui ne leur rentre qu’avec le temps62 » ; ils doivent donc recueillir en plus de leurs avances un profit suffisant, car « sans l’assurance de cette rentrée de ces profits indispensables, aucun marchand n’entreprendrait le commerce ; aucun ne pourrait le continuer63 ».
33Ainsi, en n’incluant pas le profit dans les avances, pour en faire la rémunération des capitaux avancés par les entrepreneurs capitalistes, aussi bien dans l’agriculture que dans l’industrie et le commerce, Turgot est conduit à reconnaître, contre la thèse physiocratique, que ces deux derniers secteurs dégagent également un surplus entièrement récupéré par les entrepreneurs capitalistes sous forme de profit. Ce constat ne contredit en rien les affirmations de Turgot selon lesquelles seule la terre fournit un produit net puisque son concept de « produit net » ne désigne que la partie disponible (pour l’impôt) du surplus de l’agriculture, c’est-à-dire la rente des propriétaires fonciers ou encore ce qu’il appelle le « revenu ». La fraction restante du surplus, celle qui est affectée au profit, en représente la partie non disponible parce qu’elle est la condition de la reproduction qu’il analyse à travers sa notion de « circulation de l’argent ».
Circulation de l’argent et détermination des prix
34Dans ses Réflexions, Turgot développe une approche originale de la reproduction, qui repose sur l’idée que « l’argent a dans le commerce deux évaluations distinctes : l’une exprime la quantité d’argent qu’on donne pour se procurer les différentes espèces de denrées ; l’autre exprime le rapport d’une somme d’argent à l’intérêt qu’elle procure suivant le cours du commerce64 ». La première de ces évaluations renvoie à ce qu’il nomme « la circulation de l’argent » ; tandis que la seconde fait référence à ce qu’il appelle le « commerce d’argent ». C’est par l’articulation de ces deux concepts que Turgot analyse la reproduction économique. Il commence en effet par indiquer :
« La culture des terres, les fabriques de tout genre, et toutes les branches de commerce roulent sur une masse de capitaux ou de richesses mobiliaires accumulées qui, ayant été d’abord avancées par les entrepreneurs dans chacune de ces différentes classes de travaux, doivent leur rentrer chaque année avec un profit constant ; savoir, le capital pour être reversé et avancé de nouveau dans la circulation des mêmes entreprises, et le profit pour la subsistance plus ou moins aisée des entrepreneurs. C’est cette avance et cette rentrée continuelle des capitaux qui constituent ce qu’on doit appeler la circulation de l’argent, cette circulation utile et féconde qui anime tous les travaux de la société, qui entretient le mouvement et la vie dans le corps politique, et qu’on a grande raison de comparer à la circulation du sang dans le corps animal65. »
35Dans ce processus de circulation des richesses, le profit présente la particularité d’être le seul revenu qui soit anticipé ; ce qui pose le problème de sa nécessaire réalisation lors de la phase des reprises, car « si par un dérangement quelconque dans l’ordre des dépenses des différentes classes de la société, les entrepreneurs cessent de retirer leurs avances avec le profit qu’ils sont en droit d’en attendre, il est évident qu’ils seront obligés de diminuer leurs entreprises, que la somme du travail, celle des consommations des fruits de la terre, celle des productions et du revenu, seront d’autant diminuées, que la pauvreté prendra la place de la richesse66 ». Dans cette perspective, le marché est une étape essentielle du déroulement de l’activité économique qui soulève la question de la détermination des prix67. C’est donc cette question qu’il convient d’aborder maintenant, en reportant l’analyse du problème de la reproduction à la section suivante.
36Turgot s’intéresse pour la première fois à cette question des prix dans son Plan d’un ouvrage sur le commerce où il note que « les intérêts réciproques du vendeur et de l’acheteur se balancent pour fixer le prix de chaque chose68 ». Pour lui, en effet, « le désir de vendre cher cède au besoin de vendre ; le désir d’acheter bon marché cède au besoin d’acheter, chacun compare en lui-même ces deux intérêts et se détermine en conséquence à offrir plus ou à demander moins, jusqu’à ce que tous deux étant d’accord, le marché soit conclu69 ». La comparaison ainsi réalisée en lui-même par chaque individu est analysée plus en détail par Turgot dans son projet d’article intitulé Valeurs et monnaies (1769)70. Cette procédure permet d’établir ce qu’il appelle la « valeur estimative », qui correspond au « degré d’estime que l’homme attache aux différents objets de ses désirs71 ». S’il ne fait aucun doute que cette valeur estimative dépend de l’utilité et de la rareté des objets propres à satisfaire les besoins humains, Turgot prend soin de préciser que « ce genre de valeur [est] relative à l’homme isolé72 ». La perception de l’utilité et de la rareté est donc purement subjective puisque Turgot constate que, dans un échange entre deux individus, cette « valeur estimative […] n’a d’existence que dans l’esprit de chacun d’eux pris séparément73 ». Aussi, bien que la valeur estimative soit la condition de ce que Turgot nomme la « valeur échangeable », qui n’est observable qu’une fois l’échange réalisé, celle-ci s’exprime sous la forme d’un « prix courant » qui correspond au « prix mitoyen entre les différentes offres et les différentes demandes74 ».
37Cependant, ce n’est pas la comparaison des intérêts des échangistes qui préoccupe Turgot dans son Plan d’un ouvrage sur le commerce, mais c’est de montrer que l’échange est en lui-même égalitaire dès lors que la liberté des contractants est assurée. En effet, « à ne considérer qu’une seule vente isolée entre deux particuliers, il est bien évident que l’échange serait toujours parfaitement égal et qu’aucun des deux ne pourrait être lésé ; puisque les choses échangées ne peuvent avoir d’autre prix que celui qu’y a mis le désir de chacun des deux contractants et qu’eux seuls peuvent juger de ce désir75 ». Dans le cas où il y a plusieurs vendeurs et plusieurs acheteurs, le mécanisme est le même si ce n’est que « le prix est fixé par le débat entre la totalité des vendeurs, d’une part, et la totalité des acheteurs, de l’autre, au lieu de l’être par le débat entre deux personnes seulement76 ». Cette « concurrence réciproque » a pour effet d’empêcher toute idée d’inégalité dans l’échange, car « il faudrait pour cela que la marchandise considérée en elle-même eut un prix naturel, indépendamment de ce qu’elle est plus ou moins rare, plus ou moins demandée ; or, c’est ce qui n’est, ni ne peut être, puisqu’il n’y a que la comparaison du besoin qu’ont tous les acheteurs pris collectivement avec l’offre de tous les vendeurs pris aussi collectivement qui en établisse la valeur vénale77 ». Turgot précise cette idée dans son Mémoire sur les prêts d’argent où il envisage le cas d’un jeune étranger arrivant dans une ville qu’il ne connaît pas, pour acheter un produit qu’un marchand peu scrupuleux lui vend au double de son prix courant.
« Mais en quoi consiste cette injustice ? Est-ce en ce qu’il lui a fait payer la chose au double de sa valeur réelle ou intrinsèque ? Non ; car cette chose n’a point, à proprement parler, de valeur réelle et intrinsèque, à moins qu’on entende là le prix qu’elle a coûté au vendeur ; ce qui ne serait pas exact, car ce prix de la façon ou du premier achat n’est point la valeur dans le commerce, ou sa valeur vénale uniquement fixée par le rapport de l’offre à la demande78. »
38En refusant ainsi la notion de « prix naturel », Turgot écarte en fait l’idée d’une « valeur intrinsèque », attribuée par la Nature, qui serait propre aux objets et indépendante de toute procédure d’échange. Toutefois, en faisant référence à ce que la chose « a coûté au vendeur », il laisse entendre qu’il est nécessaire, en plus de la valeur vénale ou du prix courant déterminé par l’offre et la demande, de tenir compte également du coût de production et des profits des producteurs ou des commerçants, car « en dernière analyse le vendeur et l’acheteur se confondent avec celui qui produit et celui qui consomme79 ». Ce constat, absent de Valeurs et monnaies parce que l’incidence de la production n’y est pas abordée, est précisé par Turgot dans la suite de son Plan d’un ouvrage sur le commerce où il indique : « Ils [les vendeurs] ne peuvent pas cependant baisser [leur prix] jusqu’à renoncer à tout profit puisqu’ils vivent de leur trafic ; il faut qu’ils gagnent leur subsistance, leurs déboursés et l’intérêt des avances qu’exige leur commerce. Lorsque la concurrence a réduit le profit des vendeurs à ce point, les denrées sont au plus bas prix qu’il soit possible ; si elles baissaient davantage, le vendeur vendrait à perte et, par conséquent, il cesserait de vendre et le producteur de produire80. » Et il ajoute, quelques lignes plus loin : « Que fera le magistrat ? Tentera-t-il régler le prix courant au-dessous de ce prix qu’on peut appeler le prix fondamental. Malheur à lui s’il y pouvait réussir ! Bientôt le commerce cesserait ; au lieu de la cherté qu’il veut éviter, il aurait la disette. » Ce prix fondamental, qui se présente comme la limite en-dessous de laquelle ne saurait se fixer le prix courant, vient donc garantir que le producteur pourra renouveler son activité de production. Dans ses Observations, Turgot reprend cette notion en précisant : « On distingue deux sortes de valeurs : la valeur fondamentale et la valeur vénale. La valeur fondamentale est ce que la chose coûte à celui qui la vend, c’est-à-dire les frais de la matière première, intérêt des avances, salaires du travail et de l’industrie. La valeur vénale est le prix dont l’acheteur convient avec le vendeur81. »
39Bien que la terminologie retenue soit identique à celle de Quesnay, l’analyse de Turgot emprunte cependant une voie différente puisqu’il poursuit en indiquant que « la valeur fondamentale est assez fixe et change beaucoup moins que la valeur vénale. Celle-ci ne se règle que sur le rapport de l’offre à la demande ; elle varie avec le besoin, et souvent la seule opinion suffit pour y produire des secousses et des inégalités très considérables et très subites. Elle n’a pas une proportion nécessaire avec la valeur fondamentale, parce qu’elle dépend immédiatement d’un principe tout différent ; mais elle tend continuellement à s’en rapprocher, et ne peut guère s’en éloigner beaucoup d’une manière permanente82 ». Ainsi, à l’opposé de Quesnay, qui considère que c’est l’excédent de la valeur vénale sur la valeur fondamentale qui définit le produit net83, Turgot explique que la valeur vénale converge nécessairement vers la valeur fondamentale, car « dès qu’une denrée ne peut se vendre qu’à perte, on cesse de la faire produire jusqu’à ce que la rareté l’ait ramenée à un prix au-dessus de la valeur fondamentale. Ce prix ne peut non plus être longtemps fort au-dessus de la valeur fondamentale, car le gros prix, offrant de gros profits, appellerait la denrée et ferait naître une vive concurrence entre les vendeurs. Or l’effet naturel de cette concurrence serait de baisser les prix et de les rapprocher de la valeur fondamentale84 ».
40On pourrait alors en déduire que « ce texte nie l’existence de tout produit net déterminé85 » parce que l’effet de la concurrence serait d’égaliser la valeur vénale à la valeur fondamentale. Deux raisons viennent cependant contredire une telle conclusion. La première est que ce constat serait pertinent si Turgot définissait effectivement le produit net comme l’excédent de la valeur vénale sur la valeur fondamentale. Or, comme nous l’avons montré, le concept de produit net retenu par Turgot est différent de celui de Quesnay puisqu’il ne désigne par ce terme que le « revenu », c’est-à-dire la partie « disponible » du surplus de l’agriculture qui échoit aux propriétaires fonciers sous forme de rente. La seconde raison est que la valeur fondamentale ne désigne pas chez Turgot un coût de production au sens strict mais bien un prix de production au sens classique du terme86, qui comprend en plus du coût de production (la valeur des avances), la rémunération des capitaux avancés par les producteurs (le profit) et le revenu des propriétaires (la rente), uniquement dans la grande culture puisque dans la petite culture, comme nous l’avons vu également, la rente des propriétaires est nulle.
41Dans ces conditions, il apparaît que le processus de concurrence décrit par Turgot ne nécessite pas véritablement que la valeur vénale converge complètement vers la valeur fondamentale, ni que toutes les marchandises produites soient effectivement vendues. Certains agents peuvent donc ne pas dépenser, volontairement ou involontairement, la totalité de leur rémunération. De même, certains producteurs peuvent se retrouver à la fin de la phase de marché avec des reprises excédentaires ou déficitaires. Ces déficits et ces excédents viennent alors alimenter ce que Turgot nomme le « commerce d’argent ».
Commerce d’argent et reproduction économique
42Pour Turgot, en effet, « dans le commerce d’argent, un capital est l’équivalent d’une rente égale à une portion déterminée de ce capital, et réciproquement une rente annuelle représente un capital égal au montant de cette rente répété un certain nombre de fois suivant que l’intérêt est à un denier plus ou moins haut87 ». Cette forme de commerce ne renvoie donc pas à la circulation des marchandises, mais concerne uniquement le capital. Elle correspond à une sorte de circulation financière qui englobe non seulement le prêt à intérêt, c’est-à-dire le financement par le crédit, mais aussi l’achat et la vente de terres88.
43Pour comprendre le mécanisme de ce « commerce d’argent » et son articulation avec celui de la « circulation de l’argent, » il convient de souligner tout d’abord que Turgot établit une distinction précise entre capital et avance : le premier terme désigne une masse d’argent accumulée, tandis que le second correspond à une forme particulière d’emploi d’un capital ; ces deux termes ne sauraient donc être synonymes. Il faut également indiquer que Turgot compte cinq manières différentes d’employer un capital : « La première est d’acheter un fonds de terre qui rapporte un certain revenu ; la seconde est de placer son argent dans des entreprises de culture en affermant des terres ; […] la troisième est de placer son argent dans des entreprises d’industrie ou de fabriquer ; la quatrième est de le placer dans des entreprises de commerce ; et la cinquième, de le prêter à ceux qui en ont besoin, moyennant un intérêt annuel89. » Parmi ces différents emplois, seuls le deuxième, le troisième et le quatrième impliquent une transformation de capital en avances et sont bien équivalents puisqu’ils se traduisent tous les trois par un même revenu : le profit. En revanche, le premier et le cinquième emploi des capitaux sont différents puisque les revenus qu’ils rapportent (la rente et l’intérêt) ne sont pas assimilables au profit.
44C’est le cas pour la rente, dont Turgot nous dit que « le prix qu’il [le détenteur d’un capital] donne pour sa terre ne contribue en rien au revenu qu’elle produit ; elle n’en aurait pas donné moins de revenu quand il ne l’aurait pas acheté : ce revenu est, comme nous l’avons expliqué, ce que la terre donne au-delà du salaire des cultivateurs, de leurs profits et de l’intérêt des avances90 ». Le montant de la rente est donc indépendant du prix de la terre en ce sens que ce n’est pas la rente qui s’uniformise avec le profit, mais le prix de la terre qui se fixe de manière à ce que la valeur du revenu rapportée à la valeur de la terre soit égale à la valeur du profit rapportée à la valeur du capital avancé et ceci pour toutes les terres quelle que soit leur fertilité respective. Il y a ainsi, à superficie égale, autant de prix différents qu’il y a de terres de qualités différentes, sans que pour autant la rente perde son caractère résiduel par rapport au profit.
45Le même constat s’impose pour l’intérêt, car « il ne faut pas s’y méprendre, le prêt à intérêt n’est exactement qu’un commerce dans lequel le prêteur est un homme qui vend l’usage de son argent, et l’emprunteur un homme qui l’achète, précisément comme le propriétaire d’une terre et son fermier vendent et achètent respectivement l’usage d’un fonds affermé91 ». La comparaison ne s’arrête pas là dans la mesure où l’intérêt n’a, comme la rente, aucun rapport avec le profit. Pour Turgot en effet « le prix du prêt n’est point fondé, comme on pourrait l’imaginer, sur le profit que l’entrepreneur espère de faire avec le capital dont il achète l’usage. Ce prix se fixe, comme le prix de toutes les marchandises, par le débat entre le vendeur et l’acheteur, par la balance de l’offre avec la demande92 ».
46La règle de détermination du taux de l’intérêt est donc bien entièrement indépendante de celle du profit. Lorsque Turgot note que « les produits annuels qu’on peut retirer des capitaux placés dans les différents emplois sont bornés les uns par les autres et tous relatifs au taux actuel de l’intérêt de l’argent93 », c’est en fait à l’idée que le taux de l’intérêt constitue une sorte de limite inférieure du niveau de l’activité économique qu’il fait référence, car « si l’intérêt est 5 p. 100, toute terre à défricher dont les produits ne rapporteraient pas 5 p. 100, outre le remplacement des avances et la récompense des soins du cultivateur, restera en friche ; toute fabrique, tout commerce qui ne rapporterait pas 5 p. 100, outre les salaires et l’équivalent des peines et des risques de l’entrepreneur, n’existeront pas94». Mais ce constat n’implique nullement que le niveau du taux de l’intérêt déterminerait celui du taux de profit95. La raison essentielle justifiant la position de Turgot est que, contrairement à l’intérêt, le profit ne relève pas de la sphère du commerce d’argent mais bien de celle de la circulation de l’argent. À l’inverse, l’intérêt comme la rente, n’étant relatifs ni aux avances ni à la production, ne relèvent pas de la circulation de l’argent, ainsi que le confirme l’absence de toute référence à leur propos lorsque Turgot définit cette notion, mais de ce qu’il nomme le commerce d’argent.
47Cette distinction permet alors de comprendre pourquoi Turgot ne saurait se rallier à la thèse de Quesnay. Il considère en effet que « c’est très gratuitement qu’on suppose que l’épargne diminue les valeurs vénales, en retirant de la circulation les sommes mises en réserves. Elles y entrent presque toutes sur-le-champ ; et pour en être convaincu, il ne faut que réfléchir sur l’usage qu’on fait de l’argent épargné : ou on l’emploi en achats de terre, ou on le prête à intérêt, ou on l’emploi en avances. Il est évident que ce dernier genre d’emploi fait rentrer de suite les capitaux dans la circulation, et les échange en détail contre les instruments, les bestiaux de labour, les matières premières et les salaires des ouvriers, l’achat des marchandises qui sont l’objet du commerce. Il en est de même des deux autres emplois96 ». Pour Turgot en effet, l’argent utilisé pour acquérir une terre retourne également à la circulation puisque le vendeur utilisera l’argent obtenu « pour faire une acquisition plus utile ou pour payer des dettes » ; il en va de même pour l’argent prêté par l’usage qu’en fait l’emprunteur. Il peut alors en conclure : « Il suit évidemment de ce détail que l’argent épargné, accumulé, mis en réserve pour former des capitaux, n’est point enlevé dans la circulation, et que la somme des valeurs pécuniaires, qui se balance dans le détail du commerce avec les autres valeurs pour en fixer le prix, n’en est ni plus ni moins forte97. »
48C’est parce que cette analyse est nettement différente de celle des physiocrates, que Du Pont ajoute des commentaires aux Réflexions, lors de leur publication dans les Ephémérides du Citoyen. Il s’agit en effet pour lui de concilier les opinions de Turgot avec celles de Quesnay qui condamnait la formation des « épargnes stériles98 ». Turgot réagit violemment à ces corrections : « Confondre l’emploi des capitaux avec la formation des capitaux : appeler la dépense, recette, et s’imaginer qu’épargner et thésauriser sont deux mots synonymes ! Quel renversement d’idée ou plutôt de langage, et cela pour couvrir quelques fausses expressions échappées au bon Docteur dans ses premiers écrits. Oh ! Esprit de secte99. »
49Toutefois, si chez Turgot l’épargne ne se confond pas avec la thésaurisation, elle n’est pas non plus identique à l’investissement puisque l’achat de terre et le prêt à intérêt n’impliquent ni la transformation d’un capital en avance, ni même un achat de marchandises. Ces deux emplois d’un capital constituent bien une fuite, hors de la « circulation de l’argent », mais cette fuite vient alimenter le « commerce d’argent ». C’est donc par le mécanisme de cette double circulation que passe la reproduction de l’activité économique. En effet, à la fin de la phase de marché, les excédents monétaires de certains détenteurs de revenus ou de certains producteurs correspondent à des épargnes volontaires ou involontaires qui, par leur transfert dans le « commerce d’argent », vont permettre de financer les déficits des autres producteurs et de répondre aux besoins de financement des autres agents. Ce faisant, l’argent reflue vers la circulation des marchandises et rend possible la réitération par les entrepreneurs d’une nouvelle phase de production qui peut prendre en compte les résultats de la phase de marché antérieure à travers les dettes et les créances des différents agents ne relevant plus que du seul « commerce d’argent ». C’est pour cette raison que Turgot se fait le défenseur de la libre concurrence. Ce mécanisme de la reproduction économique repose en effet sur une fluidité complète de l’activité économique impliquant, pour être garantie, la suppression de toutes les entraves à la liberté, non seulement du commerce des marchandises, mais surtout du commerce d’argent. Dans ce cas alors, « l’économie en deviendrait d’autant plus active à accumuler des capitaux, lorsque le commerce d’argent serait un débouché toujours ouvert à l’argent. […] Si le commerce d’argent acquérait le degré d’activité que lui donnerait la liberté entière et l’anéantissement du préjugé, il s’établirait des marchands d’argent qui le recueilleraient en petites sommes, qui rassembleraient dans les villes et dans les campagnes les épargnes du peuple laborieux pour en former des capitaux et les fournir aux places de commerce100 ».
Conclusion
50Au total, le divorce entre Turgot et la physiocratie trouve son origine dans la place centrale que Turgot accorde au capital dans son analyse de la formation et de la distribution des richesses et s’exprime pleinement dans la manière dont il traite de la propriété foncière et des conséquences qui en découlent. En effet, la propriété foncière n’a pas pour lui le caractère naturel, que lui attribuent les physiocrates, puisqu’elle n’est que le résultat « des conventions humaines et des lois civiles qui ont garanti aux premiers cultivateurs et à leurs héritiers la propriété des terrains qu’ils avaient occupés, lors même qu’ils cesseraient de les cultiver101 ». Cette affirmation peu orthodoxe à l’égard de la doctrine physiocratique est bien évidemment corrigée par Du Pont au moment de la publication des Réflexions. Il supprime les mots « humaines » et « civiles », puis ajoute les mots suivants : « et pour prix des avances foncières par lesquelles ils ont mis ces terrains en état d’être cultivés et qui se sont pour ainsi dire incorporés au sol même ». Or, une telle correction est inacceptable pour Turgot qui s’en plaint à son ami : « Je vous dirai que, quoique les avances que vous appelez foncières contribuent pour leur part à la production des récoltes, ce que j’aurai dit si mon objet avait été de développer les principes du Tableau Economique, il est cependant faux que les avances foncières soient le principe de la propriété. Ainsi en croyant me corriger, c’est vous qui m’avez prêté une grosse erreur, mais c’est bien pour vous le prouver qu’il faudrait faire un gros livre, et je n’en ai nulle envie. C’est cette correction qui m’a le plus fâché102. »
51Turgot est donc désormais convaincu que son analyse est bien différente de celle du Tableau économique, dans lequel c’est aux propriétaires fonciers, seuls détenteurs du produit net, qu’il revient d’assurer la reproduction du système par leurs dépenses auprès de la classe productive. Il montre au contraire que cette classe n’a pas le rôle économique fondamental, que lui attribuent les physiocrates, puisque ce rôle est dévolu à celle des capitalistes entrepreneurs. Il lui concède néanmoins une fonction sociale importante : le propriétaire foncier étant le seul dont la richesse et la personne soient disponibles, il lui revient en conséquence de contribuer à la direction de l’État et à son financement par l’impôt, car « lui seul a intérêt à conserver l’ordre permanent de la société103 » qui lui garantit le privilège de bénéficier de la répartition des richesses sans contribuer à leur production.
52Quelques fois interprété comme une contradiction ou comme une inconséquence de Turgot104, ce renversement des rôles du propriétaire et du capitaliste entrepreneur est au contraire parfaitement cohérent avec son approche historique de l’évolution économique des sociétés, qui sert de trame à ses Réflexions. En effet, les propriétaires fonciers ne jouent un rôle économique central que dans la société à dominante agricole qui précède la généralisation de l’usage de l’argent et l’accumulation des capitaux. En revanche, dès que les capitaux entrent dans la production et alors même que la terre reste la source originelle de toutes les richesses, une nouvelle société émerge dans laquelle ce rôle fondamental est attribué au capital productif et à la classe des capitalistes entrepreneurs qui le met en œuvre. C’est donc finalement cette démarche historique qui empêche Turgot d’adhérer au modèle circulaire, et donc irrémédiablement statique, du royaume agricole défendu par les physiocrates.
Notes de bas de page
1 Schelle Gustave, Œuvres de Turgot et documents le concernant, 5 tomes, Paris, Alcan, 1913-1923, t. 1, p. 626-627.
2 Marmontel Jean-François, Mémoires d’un père pour servir à l’instruction de ses enfants, Paris, 1804, t. 2, p. 34.
3 Dans ses Mémoires, l’abbé Morellet indique avoir orienté ses réflexions « vers les objets de l’économie publique et du gouvernement, conduit dans cette route par le goût qui y portait de leur côté M. Turgot et l’abbé de Brienne » (Morellet André., Mémoires sur le dix-huitième siècle et sur la révolution [1821], Paris, Mercure de France, 2000, p. 71). Ce souvenir de Morellet remonte à l’époque où Turgot était jeune conseiller au parlement et pas encore maître des requêtes, c’est-à-dire entre janvier 1752 et mai 1753. C’est de cette période que date son Plan d’un ouvrage sur le commerce, la circulation et l’intérêt de l’argent, la richesse des États, dans lequel il développe un certain nombre de considérations sur la liberté du commerce, ce qui fait dire à Gustave Schelle que, « à l’égard de la réglementation industrielle, Turgot avait donc des idées bien arrêtées avant même d’être en relation avec Vincent de Gournay » (Schelle Gustave, Œuvres de Turgot, op. cit., t. 1, p. 73).
4 Turgot Anne Robert Jacques, « Lettre à Du Pont de Nemours du 29 mars 1765 », in Gustave Schelle, Œuvres de Turgot, op. cit., t. 2, p. 436.
5 Turgot Anne Robert Jacques, « Lettre à Du Pont de Nemours du 25 septembre 1767 », ibid., p. 667.
6 Turgot Anne Robert Jacques, « Lettre à Du Pont de Nemours du 18 novembre 1767 », ibid., t. 2, p. 676-677.
7 Turgot Anne Robert Jacques, « Lettre à Du Pont de Nemours du 2 février 1770 », ibid., t. 3, p. 374.
8 Turgot Anne Robert Jacques, « Lettre à Du Pont de Nemours du 15 février 1771 », ibid., t. 3, p. 474.
9 D’autres raisons plus philosophiques, qui ne seront pas abordées ici, peuvent également expliquer pourquoi Turgot ne pourra jamais adhérer à la doctrine physiocratique de l’ordre naturel et encore moins à ses implications politiques. Pour plus de précision, on peut se reporter à Ravix Joël Thomas et Romani Paul Marie, « Le système économique de Turgot », in Turgot, Formation et distribution des richesses, Paris, GF Flammarion, 1997.
10 Turgot Anne Robert Jacques, « Lettre à Du Pont de Nemours du 29 mars 1765 », in Gustave Schelle, Œuvres de Turgot, op. cit., t. 2, p. 436.
11 Turgot Anne Robert Jacques, « Lettre à Du Pont de Nemours du 20 février 1766 », ibid., t. 2, p. 506-507.
12 Turgot Anne Robert Jacques, « Programme d’un Concours sur l’impôt indirect » [1765], ibid., t. 2, p. 431.
13 Turgot Anne Robert Jacques, « Lettre à Hume du 23 juillet 1766 », ibid., t. 2, p. 495-496.
14 Quesnay François, « Impôts » [1757], in Christine Théré, Loïc Charles et Jean Claude Perrot (éd.), François Quesnay. Œuvres économiques complètes et autres textes, 2 vol., Paris, INED, 2005, vol. 1, p. 217.
15 Turgot Anne Robert Jacques, « Notes sur l’article “Impôts” de Quesnay » [1763], in Gustave Schelle, Œuvres de Turgot, op. cit., t. 2, p. 314. L’éditeur des œuvres de Turgot date ces notes de 1763. Les éditeurs des œuvres de Quesnay précisent au contraire que « ces notes ont été écrites après novembre 1763, date de la publication de la Philosophie rurale, ouvrage que Turgot mentionne dans sa première note. Selon toute vraisemblance, elles ont été rédigées au milieu des années 1760 (1765 ou 1766) dans le cadre de la préparation du fameux concours sur l’impôt organisé par la Société d’agriculture de Limoges à l’instigation de Turgot » (in Christine Théré, Loïc Charles et Jean Claude Perrot [éd.], François Quesnay, op. cit., p. 214). Bien que la seconde datation soit certainement plus exacte, nous conservons celle de 1763 pour harmoniser les références bibliographiques empruntées à l’édition Schelle des œuvres de Turgot.
16 Turgot Anne Robert Jacques, « Lettre à Du Pont de Nemours du 20 février 1766 », in Gustave Schelle, Œuvres de Turgot, op. cit., t. 2, p. 512. Il s’agit d’un article de Quesnay intitulé « Observations sur l’intérêt de l’argent », publié en janvier 1766 dans le Journal de l’Agriculture, du Commerce et des Finances sous le nom de M. Nisaque.
17 Quesnay François, « Observations sur l’intérêt de l’argent » [1766], in Christine Théré, Loïc Charles et Jean Claude Perrot (éd.), François Quesnay, op. cit., vol. 2, p. 849.
18 Ibid., p. 853.
19 Turgot Anne Robert Jacques, « Réflexions sur la formation et la distribution des richesses » [1766], in Gustave Schelle, Œuvres de Turgot, op. cit., t. 2, p. 580-581. Le même argument est repris par Turgot dans son « Mémoire sur les prêts d’argent » [1770], ibid., t. 3, p. 191.
20 Turgot Anne Robert Jacques, « Lettre à Du Pont de Nemours du 9 décembre 1766 », ibid., t. 2, p. 519.
21 Quesnay François, « Fermiers » [1756], in Christine Théré, Loïc Charles et Jean Claude Perrot (éd.), François Quesnay, op. cit., p. 129.
22 Ibid., p. 132.
23 Turgot Anne Robert Jacques, « Des caractères de la grande et de la petite culture » [1767], in Gustave Schelle, Œuvres de Turgot, op. cit., t. 2, p. 447-448.
24 Ibid., p. 448.
25 Ibid., p. 449.
26 Ibid.
27 Ibid., p. 448-449.
28 C’est parce qu’il adopte cette démarche historique que Turgot peut écarter toute référence à l’idée d’ordre naturel défendue par les physiocrates (cf. Ravix Joël Thomas et Romani Paul Marie, « L’idée de progrès comme fondement des analyses économiques de Turgot », Économies et Sociétés, Série PE, n° 1, 1984, p. 97-118).
29 Turgot Anne Robert Jacques, « Réflexions », op. cit., p. 537.
30 Ibid., p. 538.
31 Ibid.
32 Ibid., p. 539-540.
33 Ibid., p. 541.
34 Ibid., p. 541-542.
35 Ibid., p. 542.
36 Ibid., p. 542-543.
37 Ibid., p. 543.
38 Ibid., p. 549.
39 Turgot remarque en effet que la situation du propriétaire foncier est différente dans la mesure où « aussitôt qu’il s’est trouvé des hommes à qui la propriété des terres assurait un revenu annuel plus que suffisant pour satisfaire à tous leurs besoins, il dut se trouver des hommes ou inquiets de l’avenir, ou simplement prudents, qui mirent en réserve une partie de ce qu’ils recueillaient chaque année, soit pour subvenir aux accidents possibles, soit pour augmenter leur aisance. Lorsque les denrées qu’ils recueillaient étaient difficiles à conserver, ils durent chercher à se procurer en échange des objets d’une nature plus durables et auxquels le temps ne ferait pas perdre leur valeur, ou qui pouvaient être employés de façon à procurer des profits qui en répareraient avec avantage le dépérissement » (ibid., p. 562). Et bien évidemment, l’argent fait partie de ces objets « plus durables ».
40 Ibid., p. 575-576.
41 Ibid., p. 551.
42 Ibid., p. 567.
43 Ibid., p. 570.
44 Quesnay François, « Grains » [1757], in Christine Théré, Loïc Charles et Jean Claude Perrot (éd.), François Quesnay, op. cit., p. 185.
45 Ibid., p. 184.
46 Ibid., p. 165.
47 Ibid., p. 198.
48 Vaggi Gianni, The Economics of François Quesnay, Durham, Duke University Press, 1987.
49 Quesnay François, « Problème économique » [1766], in Christine Théré, Loïc Charles et Jean-Claude Perrot (éd.), François Quesnay, op. cit., p. 611.
50 Ibid.
51 Ibid.
52 Quesnay François, « Philosophie rurale (chapitre 7) » [1763], in Christine Théré, Loïc Charles et Jean-Claude Perrot (éd.), François Quesnay., op. cit., p. 662. Précisons que pour Quesnay le produit « des bestiaux de profit », qui ne figure pas dans les avances annuelles parce qu’il est « absorbé par des dépenses qui le dérobent entièrement au produit net ou au revenu » (ibid., p. 659-660), est alloué au fermier « pour la rétribution due à son emploi personnel » (ibid., p. 662).
53 Turgot Anne Robert Jacques, « Observations sur les mémoires récompensés par la Société d’agriculture de Limoges » [1767], in Gustave Schelle, Œuvres de Turgot, op. cit., t. 2, p. 633.
54 Turgot Anne Robert Jacques, « Réflexions », op. cit., p. 571.
55 Ibid.
56 Turgot Anne Robert Jacques, « Observations », op. cit., p. 649-650.
57 Turgot Anne Robert Jacques, « Lettres au Contrôleur Général (abbé Terray) sur le commerce des grains » [1770], in Gustave Schelle, Œuvres de Turgot, op. cit., t. 3, p. 306.
58 Turgot Anne Robert Jacques, « Réflexions », op. cit., p. 570.
59 Turgot Anne Robert Jacques, « Des caractères de la grande et de la petite culture », op. cit., p. 449.
60 Turgot Anne Robert Jacques, « Réflexions », op. cit., p. 569.
61 Ibid.
62 Ibid., p. 574.
63 Ibid.
64 Ibid., p. 581.
65 Ibid., p. 575.
66 Ibid.
67 Sur cette question, les interprétations divergent. Certaines voient en Turgot un partisan d’une théorie subjective de la valeur et en font un précurseur de l’approche néo-classique. Voir en particulier : Desai Meghnad, « A pioneering Analysis of the Core : Turgot’s Essay on Value », Recherches économiques de Louvain, vol. 53, n° 2, 1987, p. 191-198 ; Hutchison Terence, Before Adam Smith, the Emergence of Political Economy 1662-1776, Cambridge, Cambridge University Press, 1988 ; Faccarello Gilbert, « Turgot et l’économie politique sensualiste », in Alain BÉraud et Gilbert Faccarello (dir.), Nouvelle histoire de la pensée économique, Paris, La Découverte, t. 1, 1992, p. 254-288. D’autres au contraire considèrent Turgot comme l’un des fondateurs de l’approche classique qui articule deux concepts de prix. Voir en particulier : Groenewegen Peter D., « A Reappraisal of Turgot’s Theory of Value, Exchange and Price Determination », History of Political Economy, vol. 2, n° 1, 1982, p. 177-196 ; Ravix Joël Thomas, « Le concept de produit net dans les analyses économiques de Turgot », in Christian Bordes et Jean Morange (dir.), Turgot, économiste et administrateur, Limoge/Paris, Presses universitaires de France, 1982, p. 91-100 ; Brewer Anthony, « Turgot : Founder ofClassical Economics », Economica, vol. 54, n° 216, 1987, p. 417-28. C’est dans cette seconde perspective que s’inscrit notre analyse.
68 Turgot Anne Robert Jacques, « Plan d’un ouvrage sur le commerce, la circulation et l’intérêt de l’argent, la richesse des États » [1753-1754], in Gustave Schelle, Œuvres de Turgot, op. cit., t. 1, p. 383.
69 Ibid.
70 Turgot destinait ce projet d’article, qui est resté inachevé, au Dictionnaire du Commerce de l’abbé Morellet. Ce dictionnaire, dont seul parut le Prospectus, ne fut jamais terminé et les matériaux en furent utilisés par Peuchet pour son Dictionnaire de géographie commerçante, publié en 5 volumes en 1800.
71 Turgot Anne Robert Jacques, « Valeurs et monnaies » [1769], in G. Schelle, Œuvres de Turgot, op. cit., t. 3, p. 87.
72 Ibid.
73 Ibid., p. 92.
74 Turgot Anne Robert Jacques, « Réflexions », op. cit., p. 553.
75 Turgot Anne Robert Jacques, « Plan d’un ouvrage sur le commerce », op. cit., p. 383.
76 Ibid.
77 Ibid., p. 384.
78 Turgot Anne Robert Jacques, « Mémoire sur les prêts d’argent », op. cit., p. 176.
79 Turgot Anne Robert Jacques, « Plan d’un ouvrage sur le commerce », op. cit., p. 384.
80 Ibid., p. 385.
81 Turgot Anne Robert Jacques, « Observations », op. cit., p. 655. La même opposition est également développée par Turgot dans sa lettre à Hume du 25 mars 1767, mais à propos du prix du travail (Gustave Schelle, Œuvres de Turgot, op. cit., t. 2, p. 658-665).
82 Ibid., p. 655-656.
83 Cf. Cartelier Jean, Surproduit et reproduction, la formation de l’économie politique classique, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble – François Maspero, 1976, p. 52.
84 Turgot Anne Robert Jacques, « Observations », op. cit., p. 656.
85 Cartelier Jean, Surproduit et reproduction, op. cit., p. 94.
86 Pour une définition de la notion de prix classique et une analyse de ses implications, on peut se reporter à Cartelier Jean, Surproduit et reproduction, op. cit., p. 19-23.
87 Turgot Anne Robert Jacques, « Réflexions », op. cit., p. 581.
88 Chez Turgot la terre ne saurait appartenir à la circulation des marchandises parce que n’étant ni produite, ni reproductible, elle n’est pas une marchandise. En effet, ce ne sont pas fondamentalement les terres elles-mêmes qui sont achetées et vendues, mais des titres de propriété qui sont de la même nature que les billets à ordre du prêt à intérêt puisqu’ils rapportent à une échéance déterminée (le terme du bail) un intérêt stipulé (la rente).
89 Ibid., p. 589.
90 Ibid., p. 599.
91 Ibid., p. 577.
92 Ibid.
93 Ibid., p. 589-590.
94 Ibid., p. 592-593.
95 Ainsi, lorsque Turgot remarque que « l’intérêt de l’argent prêté peut donc être regardé comme une espèce de thermomètre de l’abondance ou de la rareté des capitaux chez une nation, et de l’étendue des entreprises de toute espèce auxquelles elle peut se livrer » (ibid., p. 592), il convient de prendre l’expression au pied de la lettre : le taux de l’intérêt n’explique pas plus le taux de profit que le thermomètre n’explique la température.
96 Turgot Anne Robert Jacques, « Observations », op. cit., p. 656-657.
97 Ibid., p. 657.
98 « Que les propriétaires et ceux qui exercent des professions lucratives, ne se livrent pas à des épargnes stériles, qui retrancheraient de la circulation et de la distribution une portion de leurs revenus ou de leurs gains » (Quesnay François, « Maximes générales du gouvernement économique d’un royaume agricole » [1767], in Christine Théré, Loïc Charles et Jean-Claude Perrot [éd.], François Quesnay., op. cit., p. 570-571).
99 Turgot Anne Robert Jacques, « Lettre à Du Pont de Nemours du 23 mars 1770 », in Gustave Schelle, Œuvres de Turgot, op. cit., t. 3, p. 383-384.
100 Turgot Anne Robert Jacques, « Mémoire sur les prêts d’argent », op. cit., p. 193.
101 Turgot Anne Robert Jacques, « Réflexions », op. cit., p. 542-543.
102 Turgot Anne Robert Jacques, « Lettre à Du Pont de Nemours du 20 février 1770 », in Gustave Schelle, Œuvres de Turgot, op. cit., t. 3, p. 378. Précisons que si l’expression « avance foncières » est utilisée par certains physiocrates pour justifier l’appropriation du produit net par les propriétaires fonciers, elle ne se retrouve pas sous la plume de Quesnay.
103 Turgot Anne Robert Jacques, « Plan d’un mémoire sur les impositions » [1763], in Gustave Schelle, Œuvres de Turgot, op. cit., t. 2, p. 301.
104 Cartelier Jean, « La contradiction terre/capital-argent chez Turgot », in Christian Bordes et Jean Morange (dir.), op. cit., p. 121-130 ; Larrère Catherine, « Histoire et Nature chez Turgot », in Bertrand Binoche et Franck Tinland (dir.), Sens du devenir et pensée de l’histoire au temps des Lumières, Seyssel, Champ Vallon, 2000, p. 178-208.
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