L’anti-physiocratie des financiers : les Doutes de Charles-Étienne Pesselier sur la Théorie de l’impôt du marquis de Mirabeau et l’instruction générale
p. 79-104
Texte intégral
1Dans une lettre datée de 1776 où il aime à rappeler qu’il ne cesse de « chanter » les louanges d’Anne-Robert-Jacques Turgot (1727-1781), le « meilleur ministre des finances que la France ait jamais eu », Voltaire ajoute qu’il y a probablement dans le royaume des voix, celles des financiers, qui ne se mêlent pas à ce concert, car « nous savons que les sangsues ne chantent point1 ».
2Que les financiers n’aient pas applaudi lors de l’avènement au pouvoir d’un homme qui a longtemps été associé au parti physiocrate, celui-là même qui a tant vilipendé la « finance dévorante » et les vices de la Ferme générale, on ne s’en étonne guère. Mais ces mêmes financiers ont-ils pour autant ajouté leurs voix à celles des antiphysiocrates pour tenter de contrebattre un parti qui a toujours fait montre à leur égard d’une grande hostilité ?
3En réalité nous n’avons relevé dans le courant qui s’oppose aux idées de Quesnay, Mirabeau et leurs disciples qu’un seul auteur significatif issu de la Finance : le sous-fermier Charles-Étienne Pesselier (1712-1763). Encore était-il considéré par la plupart de ses contemporains comme un auteur mineur, que l’on rangerait volontiers dans la catégorie des « folliculaires2 ». Il est donc manifeste que l’état-major des Fermiers ne s’est pas placé au premier plan de la contestation. Jugeant sans doute avec un certain cynisme qu’il suffisait de « tenir la queue de la poêle3 », il a opté pour la discrétion face à une prévention quasi-générale dans le public contre les agissements et le principe même de la Ferme.
4Peut-on pour autant négliger les « écrivains subalternes » ? Jean-Claude Perrot a insisté sur le risque pris par une histoire de la pensée bâtissant une planète où « les théories s’alignaient géométriquement, des tranchées idéales reliaient chaque bastion disciplinaire à ses avant-gardes présumées » et où « tous les textes trouvaient obligeamment leurs précurseurs4 ». Confronter les textes de notoriété permanente est indispensable « mais comment oublier le milieu nourricier dont ils sont détachés ? Durant deux longs siècles qui furent nécessaires à l’émergence de l’économie politique, les œuvres douteuses ou répétitives constituent le meilleur accès aux découvertes qui vont les contredire5 ».
5C’est tout le corpus des réactions aux thèses physiocratiques qu’il faudrait analyser. Les ténors de l’opposition y sont en position centrale, mais ces auteurs sont suffisamment intelligents pour nuancer leur propos et ne pas froisser les proches de l’École, parfois bien en cour. L’examen des œuvres des subalternes, moins soumis aux règles de précaution des courtisans, bien que plus fastidieuse, peut donc se révéler éclairante. Dans cette méthode d’analyse « en creux » ou par réfraction, l’étude des pamphlets de ces téméraires devrait permettre de mieux révéler l’ombre portée des idées physiocratiques.
6Le polygraphe Charles-Étienne Pesselier constitue un bon exemple d’application de cette méthode : il a acquis une certaine réputation dans la République des Lettres, c’est un praticien des finances bien introduit dans le milieu de la Ferme générale6 et il se portera au premier rang de la cabale contre l’impôt physiocratique. Il écrira en effet une réfutation de la Théorie de l’impôt de Mirabeau7, texte essentiel dans l’œuvre du marquis pour qui « l’impôt est la vie des États et la clef de toute la politique ou de l’art de maintenir et de perfectionner les sociétés8 ». Pesselier avait déjà fait preuve auparavant d’un remarquable entregent puisqu’il était parvenu à introduire l’exposé de ses conceptions dans plusieurs articles de l’Encyclopédie, citadelle des Philosophes qu’il méprisait tant.
7Après avoir présenté les éléments biographiques disponibles, nous examinerons les œuvres consacrées par l’auteur à ses deux thèmes privilégiés. D’abord celles où il développe sans fard la thèse des dangers de l’éducation du peuple, puis ses interventions dans le débat sur la fiscalité. Il y attaquait bien sûr, avec la dernière énergie mais beaucoup de mauvaise foi, le principe de l’impôt sur le produit net des terres et y défendait – en bon commis de la Ferme – l’excellence de son système. Analyser ses écrits sur l’éducation et sur l’impôt, devrait nous aider à clarifier les enjeux du programme physiocratique et à examiner la valeur de la position longtemps dominante des historiens de la pensée qui – même quand ils nuancent quelque peu leur jugement – voient dans la doctrine de Quesnay et de ses disciples une théorie passéiste, voire même une « utopie réactionnaire9 ».
Le polygraphe adoubé par les financiers
8Charles-Étienne Pesselier10, fils d’un bourgeois de Paris, entame ses études au collège des Quatre-Nations et il se consacre tout d’abord à l’écriture de pièces, de poèmes de circonstance et de fables11 publiés en son nom ou sous l’anonyme. Quelques succès d’estime dans les belles lettres lui permettent de collaborer au Mercure de France, de créer une feuille – le Glaneur – dont il est quasiment le seul rédacteur, et même de faire représenter certaines de ses comédies par les comédiens italiens ordinaires du roi et les comédiens français12, ce qui lui vaudra l’admission dans plusieurs académies de province13. Parallèlement, sur les instances de son père, il complète sa formation à la faculté de droit de Paris puis « prend les premières notions des affaires » chez un procureur et passe chez Me Rolland, avocat au Conseil. À l’issue de ce premier parcours, il entre à 30 ans au service du fermier général Michel Lallemant de Betz14 : personnage considérable, il préside même – de 1752 à 1757 – le Comité des Caisses qui gère la politique d’ensemble de la Ferme15. Cette carrière de sous-fermier16 des Aides et des Domaines, connaît une progression très rapide dès lors que Pesselier épouse – en 1745 – une parente pauvre de son mentor : Marie Anne de la Porte17.
9Sa fonction de sous-fermier lui permet de se présenter comme un spécialiste de ce domaine, il formera en particulier le dessein d’un Dictionnaire de Finance dont il ne publiera que le prospectus sous le titre Idée générale des Finances18 « répandu avec faste19 » à destination de la Cour, de la Ferme et de Philosophes influents, dont bien sûr le marquis de Mirabeau20, Rousseau21 et Voltaire22. Ces derniers n’y virent que la prétention et l’enflure. Le roi et les Fermiers Généraux jugèrent au contraire que « l’esprit de calcul ne nuisait point aux grâces qu’il avait cultivées » jusqu’alors ; grâce à une annuité de 30000 livres23, ils lui confièrent la création d’une École de Finance « qui pendant quelque temps lui a valu beaucoup d’argent, et qui a fini, comme bien d’autres projets, par ne servir à rien24 ». À cette occasion Pesselier se découvrit pédagogue et rédigea un nouvel opuscule : les Lettres sur l’éducation25.
Le fabuliste « anti-pédagogue ».
10Le contenu des Lettres sur l’éducation, s’il peut paraître assez affligeant, vaut qu’on s’y arrête dans la mesure où il trahit la pensée profonde de l’auteur, fondamentalement opposé aux Lumières. Il distingue en particulier, « et cet ordre paraît avoir été réglé par le Ciel même26 », trois formes d’éducation à dispenser aux différentes classes de citoyens, « proportionnément aux degrés d’utilité de chaque profession27 » : l’Éducation absolument nécessaire ou Éducation indispensable, l’Éducation utile et la belle Éducation ou Éducation agréable.
11Le grand philanthrope fixe ensuite les bornes de chacun des champs et s’attarde sur le premier : « l’Éducation absolument nécessaire, n’embrasse que la connaissance des devoirs les plus importants de la religion, de la probité, des bonnes mœurs ; et les instructions indispensables, relativement à la naissance, à la condition, à la profession […] de chaque Citoyen28 ». Ce premier type d’éducation, gratuit et délivré par des institutions publiques, est réservé aux cultivateurs et autres gens industrieux du menu peuple. Il n’est pas nécessaire de leur enseigner la lecture et l’écriture car cela « les rendrait assez mauvais raisonneurs pour les dégoûter de leur état29 ». Pesselier s’alarme des conséquences d’un exode rural massif et, d’une manière finalement assez traditionnelle, de la perte de bras que subirait la campagne si on venait à éduquer les pauvres car on quitte aisément, « pour des emplois doux, lucratifs, protégés, distingués, une profession pénible, peu lucrative […] et qui, la première dans l’ordre des besoins, est la dernière dans celui de la considération30 ». S’il faut que « ces heureux disciples de la simplicité » soient vertueux et raisonnables, il ne faut leur enseigner que la pratique des vertus, et non la théorie, « qui ne servirait […] qu’à les égarer : de fausses lumières sont plus à craindre que les ténèbres ».
12Le deuxième type d’éducation – public et gratuit comme le premier – est traité dans la même veine : « l’Éducation utile donnera la lecture correcte, […] l’écriture régulière ; l’arithmétique usuelle et pratique ; l’Histoire, la Géographie, les Mathématiques […] et les métiers, les arts, et les sciences31 ». Cette éducation dite « utile » est à destination des classes marchandes, négociantes et des petites professions juridiques32. Là encore, c’est l’aspect purement instrumental des connaissances qui est seul envisagé, dans le but explicite à la fois de préparer chacun à son état et de maintenir l’ordonnance sociale des conditions.
13Quant à l’éducation purement agréable, elle « se renfermera dans les talents qui le sont aussi ; la Danse, la Musique, la Déclamation, le Dessin, la Poésie, la Littérature ». De statut privé, et donc payante, elle ne sera organisée que dans les grandes villes et réservée à la petite élite caractérisée par son oisiveté, c’est-à-dire aux enfants des financiers et des nobles. C’est dans cette classe bien sûr que l’on trouvera « les vrais talents, les talents nés […], les autres ne sont pas dignes des maîtres33 ». Elle n’est due « qu’à ceux dont on ne craint pas que la vanité, l’opulence ou l’oisiveté nuisent aux branches essentielles de l’administration […]. On n’aura donc rien à perdre avec eux, ni rien à craindre du luxe de l’Éducation agréable, [procurée] à cette classe privilégiée des Citoyens ; mais il faut […] espérer que cette classe sera la moins nombreuse34 ». Ainsi ces Éducations surabondantes « n’enlèveraient plus aux Professions vraiment utiles, que ceux […] qu’une vive impression du génie, ou les commodités de la fortune, en auraient détournés35 ».
14Pesselier prend soin, au terme de ce programme d’austérité éducative36, de répondre par avance aux contestations. Ne craignez point, dit-il « que par cette diminution considérable de leçons publiques, on s’expose à nous faire retomber dans la barbarie des premiers siècles : on ne ferait que restreindre le pouvoir d’un luxe d’Éducation qui prend trop aujourd’hui sur le nécessaire : on ne ferait qu’élaguer sagement un arbre, dont les branches, à force de s’étendre, produiront très difficilement des fruits qui puissent atteindre à leur maturité37 ».
15Bref, la position de Pesselier est, presque terme à terme, l’opposée de celle des physiocrates, qui, eux-mêmes, font figure d’exception. Les travaux de Manuela Albertone38, notamment, attestent que Quesnay et ses disciples ont porté une attention extrême à l’éducation du peuple. Ils furent, comme elle le précise, « parmi les rares voix qui revendiquèrent, avant la Révolution, l’instruction primaire dans les campagnes en tant qu’instrument nécessaire pour accéder à l’évidence de l’ordre naturel39 ». N’oublions pas en effet qu’à cette époque, la plupart des publicistes restent opposés à l’instruction du peuple qui, selon eux, enlève des bras aux métiers manuels et rend la soumission plus dure à supporter.
16Cette position traditionnelle est représentée par exemple par René Caradeuc de La Chalotais (1701-1785)40 et son Essai d’éducation nationale de 1763. Lui qui défend dans cet ouvrage la primauté de l’agriculture reste attaché à l’idée selon laquelle instruire le peuple est dangereux41, position réitérée en 1766 lorsqu’il affirme : « il me paraît essentiel qu’il y ait des gueux ignorants. […] Ce n’est pas le manœuvre qu’il faut instruire, c’est le bon bourgeois42 ».
17Le marquis d’Argenson est l’un des plus célèbres contradicteurs de ces thèses. Ses mémoires circulent dès 1734 sous forme manuscrite au sein du Club de l’Entresol et dans tout le milieu philosophique, il y décrit le rôle de l’égalité et de la liberté de l’éducation dans la régénération de la république :
« On ne saurait trop imiter les gouvernements démocratiques bien réglés. Tel est celui de Genève. Dans cette république, il n’y a pas un citoyen, quelque pauvre qu’il soit, qui ne puisse s’adonner à quelque genre d’études et recevoir cette institution gratis. […] Nulle gêne dans le choix des professions ; on n’a pas honte de quitter celle de son père pour une moindre où l’on croit pouvoir mieux exceller ; on n’hésite point à s’élever à une supérieure par manque de fortune. Tels sont les avantages des gouvernements républicains. Qui nous empêcherait d’en faire notre profit43 ? »
18Cet auteur visionnaire aura une grande influence sur les physiocrates, en particulier sur Pierre-Samuel Du Pont (futur Dupont de Nemours) et sur Mirabeau. Ce dernier, dans sa correspondance avec le margrave de Bade plaide en faveur de l’instruction, même de celle du peuple :
« J’ose assurer Votre Altesse que l’instruction générale et universelle de son peuple est le premier et le principal devoir d’un bon Prince. […] Ne vous laissez pas dire [qu’un homme organisé et sain] ne soit pas capable de la science de son véritable intérêt. Le peuple n’est brutal et absurde qu’à force d’habitude d’être forcé de l’être pour supporter son état d’asservissement. […] Tous, si nous devenons un jour humains, sauront lire, écrire et l’arithmétique44. »
19En fait, Mirabeau renverse ici la logique des auteurs « barbares » qui prônent la misère et l’ignorance pour maintenir le peuple dans sa condition, et qui croient en même temps faire le bien de l’agriculture et de la nation. Le raisonnement des physiocrates est le suivant : des laboureurs instruits – en particulier sachant lire et écrire – pourront accéder aux vérités de la science économique, et, par la suite, les mettre en œuvre. Ainsi il faut que « la partie pensante du peuple », sache reconnaître, comprendre et défendre les lois de l’ordre naturel le plus favorable au genre humain : respect absolu de la propriété privée, liberté du commerce, impôt sur le produit net des terres. S’il en est ainsi, alors ce même peuple parviendra à l’aisance matérielle car il ne s’opposera plus aux bonnes lois qui encouragent l’agriculture, et, partant, font la richesse du royaume. Les laboureurs instruits seront dans l’aisance non pas tant parce qu’ils mettront en œuvre telle ou telle technique agronomique (bien que cela ait son importance), mais parce que convaincus par les évidences de la science nouvelle, ils en seront les plus fervents soutiens45.
20Si les historiens de la pensée ont généralement été peu attentifs aux implications culturelles des doctrines économiques de Quesnay et de ses disciples, ce sont les adversaires de la physiocratie qui ont le mieux compris « l’emploi qu’on faisait de l’éducation pour consolider les principes physiocratiques de l’évidence et du despotisme légal46 ».
21C’est en 1761 « l’Ami de la Paix », l’avocat Rivière pour qui les lumières de l’instruction généralisée « peuvent fournir des prétextes à secouer le joug ou à le faire trouver dur. Le secouer c’est révolte47 ». C’est Béardé de l’Abbaye qui pose la question : « Pourquoi rendre publique cette connaissance, cette nécessité de tout détruire ? Pourquoi donner aux sujets la charge de réformer, tandis que les rois sont en possession du pouvoir48. » Pour Simon Linguet, de même, les physiocrates hasardent là « le plus funeste peut-être de tous les principes [et mettent] au jour un axiome capable de renverser tous les trônes et de bouleverser tous les empires49 ». Madame de Genlis est encore plus claire : « Je ne crois pas qu’il fût bon, en supposant que cela fût possible, d’éclairer et de perfectionner l’esprit des gens du peuple… On verrait sur la terre une étrange confusion et de terribles soulèvements si on pouvait établir parmi les hommes une parfaite égalité de Lumière50. »
22C’est dire, une fois encore, quelle erreur on commet en présentant les physiocrates comme des auteurs « réactionnaires ». Malgré quelques contradictions internes, ils ont bien mesuré les enjeux philosophiques et politiques de l’instruction et de l’aisance du peuple et certains de leurs contradicteurs51 ont bien compris les dangers de leurs thèses pour l’ordre établi. Une vingtaine d’années plus tard, les « sombres pressentiments » de ces anti-physiocrates allaient être confirmés, en effet : « les implications de [l’analyse physiocratique] des résultats d’une alphabétisation de masse survécurent en tant que fondements des projets éducatifs révolutionnaires52 ».
Le financier, un intrus dans l’Encyclopédie ?
23Tout au long du xviiie siècle le système de la Ferme générale, la compagnie semi-privée chargée de la collecte des taxes indirectes, suscite la réprobation sous de multiples formes. Les dénonciations sont quasi unanimes, même si les réformes proposées diffèrent53. Les exemples abondent de pamphlets accusant les fermiers généraux d’humilier les Français et de leur livrer une « guerre intestine » avec leur soldatesque privée (plusieurs dizaines de milliers d’employés, pour la plupart armés, ayant des pouvoirs de police très étendus) ; ils réclament la suppression des fermes et des fermiers qui, en abusant de la confiance du roi, sont les « sangsues » ou les « vampires » de la nation, une « vermine » qui détruit l’État… Dès 1707, un écrit anonyme intitulé Les partisans démasqués, nouvelle plus que galante54, donne le ton : « ce qui leur attire cette haine générale des hommes, ne provient que de la manière orgueilleuse et sans miséricorde, dont ils se servent pour lever les impôts […]. L’abus qu’ils font de la suprême autorité qui leur est déposée entre les mains […] qui est barbare et contre les lois naturelles, leur attire l’indignation du genre humain, et elle fait mille fois plus de peine […] que l’impôt même ».
24Pourtant, la condamnation des financiers tout au long du siècle « surprend par son ampleur quand on la compare à l’évolution inverse qui s’était produite […] dans la bonne société55 ». Alors que le reste de la population les rejette avec un système d’impôts jugé archaïque, vexatoire et inefficace, « les Fermiers Généraux sont de mieux en mieux acceptés par les élites. C’est que la bonne société n’était pas en rapport avec [eux] dans le cadre de leur profession, mais avec des personnes qui avaient lentement acquis les usages d’un monde qui avait fini par les accepter56 ». Par ailleurs, il ne faut pas oublier que des milliers de possédants ont, soit par le biais de « croupes », qui permettent de diviser la place de fermier général en « portions57 », soit par les « cautionnements », un capital versé par le fermier et rémunéré par le roi, « un profit dans la Ferme, donc un intérêt à sa conservation58 ». Dès 1749, l’avocat Edmond-Jean-François Barbier constatait dans son Journal : « Il est étonnant le nombre de gens qui font des fonds comme ils peuvent, et qui remuent toutes les protections de la Cour […] pour rentrer dans les Sous-Fermes que l’on regarde comme une voie pour faire fortune. C’est aussi une voie aux femmes de la Cour pour vendre un peu de leur protection59. »
25Yves Durand considère que la République des Lettres elle-même, bien qu’hostile aux principes et aux pratiques de la Ferme générale, était de plus en plus tolérante vis-à-vis de ses dirigeants, « surtout lorsque les auteurs trouvaient quelques secours dans la richesse des Fermiers60 ». Ce jugement doit être nuancé au moins dans deux cas d’opposition résolue et intransigeante : celui de Montesquieu en 1748 dans l’Esprit des lois puis celui des physiocrates dans les décennies 1760 et 1770. Laissons de côté le second pour le moment et envisageons le premier cas, celui de Montesquieu, qui ramène directement Pesselier sur le devant de la scène.
26On connaît les arguments traditionnellement avancés en faveur de l’établissement de l’affermage des impôts : revenu fiscal fixe et prévu à l’avance pour le souverain, frais de collecte qui ne sont pas directement à sa charge, efficacité d’une compagnie privée par rapport à des agents de l’État. L’auteur de l’Esprit des Lois, au contraire, ne voit dans cette pratique que des abus, et est un fervent partisan de la collecte des impôts indirects en « régie », autrement dit par les agents du roi. Dans le livre XIII qu’il consacre à l’impôt en général, il s’intéresse plus particulièrement aux fermiers dans les chapitres xix et xx. Montesquieu dénonce ainsi les profits immenses qu’ils réalisent et qui ne vont pas dans les caisses du roi. Par la régie au contraire, l’argent des impôts va non seulement « directement au prince », il épargne encore « une infinité de mauvaises lois » au peuple. L’affermage est pour Montesquieu l’apanage des régimes despotiques et les fermiers sont sous sa plume le plus souvent désignés sous le vocable méprisant de « traitants ». Il conclut en fustigeant le renversement des valeurs (en particulier celle de l’honneur) et des hiérarchies provoqué par leur fortune : « tout est perdu, dit-il, lorsque la profession lucrative des Traitants parvient encore, par ses richesses, à être une profession honorée61 ».
27Une première tentative de restauration de cette image délétère véhiculée en particulier par Montesquieu avait été lancée (dès les années 1750 sans doute) avec la préparation d’une édition luxueuse des Contes et nouvelles en vers de La Fontaine62. Elle devait être offerte par les fermiers généraux à quelques personnes bien en cour afin d’obtenir leurs faveurs, mais l’opération avait également un plus large objectif, selon David Adams : « It seems likely that they initially intended the work simply as an affirmation of their values, their belief in luxury, and the tolerance of the human failings of which their adversaries accused them63. » Mais les concepteurs du projet durent se rendre à l’évidence : l’effet produit par le texte, mais surtout par les illustrations – très libres pour l’époque – était l’inverse de celui qui était visé, à tel point qu’ils durent renoncer à sa diffusion en 176364.
28Mieux valait selon eux s’attaquer directement aux critiques de la Ferme dans des ouvrages largement diffusés, au moins chez les gens instruits. « Ceux qui ont intérêt de soutenir la forme actuelle de l’administration des finances », et sans doute plus particulièrement le puissant Fermier général Michel Joseph Hyacinthe Lallemant de Betz (1693-1773), eurent ainsi l’idée d’utiliser Pesselier « employé dans quelque partie subalterne des Fermes » pour la réfutation publique des attaques qu’ils subissaient. Comme le relevait perfidement Grimm, « autrefois, M. Pesselier faisait des fables et des dialogues des morts dont il n’est point resté de souvenirs ; employé depuis par les Fermiers Généraux, il a consacré sa plume et ses talents à la défense de leur cause65 ».
29La première tentative de Pesselier pour la restauration de l’image des Fermiers Généraux a été assez peu remarquée, même par les spécialistes : c’est sa collaboration à l’Encyclopédie de Diderot, et pour une série d’articles sur des sujets rien moins qu’anodins. L’opération du nouveau héraut de la finance est d’envergure, qu’on en juge d’après la liste des sept entrées dont il est l’auteur. Il s’agit, au tome VI (1756), des entrées Exemptions, Fermes du roi (bail des), Cinq grosses Fermes, Fermier général66, Finances (économie politique) et Financier ; au tome XV (1765), de l’entrée Subside67.
30Deux articles sont purement descriptifs, il s’agit de (Cinq grosses) Fermes (p. 515), détaillant les différences des systèmes d’imposition entre les provinces du royaume et Fermier général (p. 540), évoquant la distinction entre Fermier général, Fermier particulier et Régisseur. L’article « Exemptions (Finances)68 » (p. 238) est, lui, bien dans la ligne de ses protecteurs, il vise à justifier sans réticences – et sans nuances – ce système, dans une verve que l’on pourrait qualifier par certains aspects de comique :
« Des citoyens aussi riches que désintéressés, viennent gratuitement au secours de la patrie, […] remplacent par le sacrifice de leur fortune, des ressources plus onéreuses au peuple ; c’est au peuple même à les dédommager par des exemptions qu’ils ont si bien méritées. »
31Pour les nobles, qui donnent leur sang à la patrie, pour les magistrats, qui veillent à la sûreté du peuple, pour quelques étrangers habiles, qui introduisent de nouvelles manufactures dans le royaume, et pour d’autres dont il ne précise pas les qualités, Pesselier affirme que les exemptions d’impôts se justifient pleinement. Tous ces évergètes des temps modernes, véritables bienfaiteurs de la nation, qui, enrichis antérieurement à leur activité présente (comment ?), utilisent et leur temps libre et leur fortune au service du roi méritent au moins de ne pas payer d’impôts.
32L’article « Finances (Économie politique) » de Pesselier (au tome VI, pages 811 et 812) est un prolixe amphigouri rédigé dans la même veine que les précédents. L’auteur part ici de la définition la plus courante : « On comprend sous ce mot les deniers publics du roi et de l’État. » Mais pour ennoblir le terme, il tente de lui donner une dimension humaniste : « Les finances considérées dans leur principe, sont produites par les hommes ; mot précieux, qui rappelle cette belle maxime de Térence : homo sum, nihil humania me alienum puto : “je suis homme, rien de ce qui touche l’humanité ne saurait m’être étranger”. » Mais l’apologie est un exercice difficile pour un terme aussi chargé d’opprobre, et le but de cet article va consister à l’immerger dans un long texte décrivant l’ensemble des richesses, leur origine (« naturelles ou acquises ») et leur statut (« réelles ou d’opinion »). Pesselier ne peut cependant éviter une présentation – très euphémisée et très générale – des revenus fiscaux du souverain :
« Les impositions qu’il met, comme roi, sur ce que les autres possèdent ; revenu toujours à charge à la bonté du monarque, qu’il n’augmente jamais qu’à regret […] ; la répartition avec une proportion […] qui ne charge le citoyen que de ce qu’il peut naturellement et doit équitablement supporter ; le recouvrement et la perception avec autant d’exactitude que de modération et d’humanité. »
33De cette description idyllique de l’imposition, Pesselier déduit la liste topique des principes d’une bonne administration de l’économie. Il reste, là encore, à un niveau extrême de généralité, expliquant qu’il faut conserver les sources de la richesse, faire en sorte que rien ne se perde des recettes fiscales ( !), veiller à ce que la dépense n’excède pas le revenu, ou encore à ce que la comptabilité soit en règle… Bref, Pesselier cherche sciemment ici à « noyer le poisson » et à esquiver les sujets controversés.
34L’article « (Bail des) Fermes du roi (Finances) » (p. 513) est plus stratégique et plus intéressant pour notre objet. Il s’agit d’une critique détaillée des arguments en faveur de la régie développés par Montesquieu dans l’Esprit des Lois69. Pour Pesselier, la question est simple :
« Tout se réduit à savoir si dans la Régie il en coûte moins au peuple que dans la Ferme ; et si […] le prince reçoit autant […] ; si le Régisseur fait perdre par sa négligence, ce que l’on prétend que le Fermier gagne par exaction, la Ferme et la Régie ne seront-elles pas également propres à produire l’avantage de l’État, dès que l’on […] saura bien les gouverner ? Peut-être néanmoins pourrait-on penser […] que dans le cas d’une bonne administration il serait plus facile encore d’arrêter la vivacité du Fermier, que de hâter la lenteur de ceux qui régissent. »
35Pesselier écarte le principe de l’honneur mis en avant par Montesquieu et développe une argumentation basée sur la notion d’intérêt individuel. Si les employés de l’État qui auront en charge le recouvrement des impôts « n’ont aucune raison personnelle d’épargner les frais du recouvrement », alors pourquoi agiraient-ils à l’économie ? S’ils « n’ont aucun intérêt de le garder dans la perception », pourquoi ferait-il régner le bon ordre dans leur administration ? Autrement dit, Pesselier ne voit pas quels motifs suffisamment puissants pourraient pousser des êtres humains à ne pas gaspiller des ressources et à effectuer correctement un travail si leur responsabilité (pécuniaire) n’y était pas directement engagée. Les accusations de paresse et de négligence sont explicites sous sa plume envers ces régisseurs « avares de la peine ». Le publiciste de la finance généralise d’ailleurs son propos en posant comme axiome l’incurie de tout système étatique : « ce que la Ferme absorbe en profits, la Régie le perd en frais ; en sorte que ce que l’État dans le dernier cas gagne d’un côté, il le perd de l’autre ». On connaît la fortune de ce type d’argumentation jusqu’à nos jours, comme justification de la délégation de service public. Pesselier se presse également de rappeler combien les impôts collectés en régie pourraient être dépendants des circonstances économiques alors que la Ferme générale fournit chaque année « une somme considérable, fixe, indépendante des événements ».
36Concernant l’argument de Montesquieu sur les « fortunes subites » et la perte des valeurs qui y est lié, Pesselier rétorque que « c’est moins le spectacle de la fortune de quelques particuliers qu’il faut épargner au peuple, que l’appauvrissement de provinces entières70 » – comme si les deux phénomènes étaient sans lien. Et il insiste en justifiant les profits des financiers par leur rôle économique positif : « une intelligence, une industrie active, mais louable, et renfermée dans les bornes de la justice et de l’humanité, peut donner au Fermier des produits honnêtes, quoique considérables71 ».
37À l’entrée « Financier (Politique)72 » (p. 814-815) l’auteur cherche, une fois encore, à combattre les préventions du populaire :
« Le peuple (on doit entendre par ce mot le vulgaire de toute condition) ajoute à cette définition l’idée d’un homme enrichi, et n’y voit guère autre chose. Le philosophe, c’est-à-dire l’homme sans prévention, peut y voir […] un citoyen utile à la patrie, quand il joint à l’intelligence, aux ressources, à la capacité qu’exigent les travaux d’un financier (considéré dans le grand), la probité indispensable dans toutes les professions, et le désintéressement plus particulièrement nécessaire à celles qui sont lucratives par elles-mêmes73. »
38La ficelle étant un peu retorse, il utilise encore le procédé consistant à mélanger sous le terme de financier toute une série de fonctions très diverses, voire concurrentes (ceux qui participent à l’administration des finances, mais aussi d’autres types de régisseurs, des commissionnaires des guerres, etc.)74. Dès lors, il peut énoncer doctement quelques banalités sur les devoirs de tous les financiers et assimilés. Mais cet article est surtout le lieu pour Pesselier de porter son ultime attaque contre Montesquieu qui a eu l’outrecuidance de lancer l’anathème contre les financiers qu’il « affecte de confondre tous dans les injurieuses dénominations de traitants et de publicains ». Le publiciste de la finance rapporte la différence que pointe le célèbre philosophe entre ceux qui, servant l’État, sont rétribués par les richesses et les autres qui le sont par l’honneur. Citant les Turenne et les Colbert, il se défend de vouloir placer les financiers au même rang que les grands capitaines ou les mémorables ministres de l’histoire de France. Toutefois, il avance que la « vertu » et le « désintéressement » ne sont pas moins notables chez les financiers que chez les magistrats. Ainsi, s’il se trouve quelques brebis galeuses chez les fermiers généraux, il y en a dans toutes les professions et cette charge n’a pas à être vouée aux gémonies.
39La gêne de Diderot est palpable, au point qu’il a fait suivre les articles « bail des Fermes du Roi » et « Financier (politique) » d’un avis de l’éditeur surprenant et sans équivalent. L’éditeur croit nécessaire de rappeler que l’Encyclopédie est une entreprise dialogique, autrement dit qu’elle ne défend pas une opinion particulière, ni un courant de pensée, mais que c’est au contraire de la confrontation des points de vue que doit naître la vérité. Il rappelle « l’impartialité » dont il fait profession et son but principal, qui est « l’utilité et l’instruction publiques75 ». Ne souhaitant attenter ni à la mémoire de Montesquieu, ni à la réputation des fermiers généraux, influents auprès du roi et des ministres qui pouvaient bloquer beaucoup de projets, et même incarcérer des auteurs trop téméraires, il croit bon de préciser que « bien éloignés de vouloir faire aucun reproche odieux et injuste à ceux de nos financiers qui font un usage respectable de leur opulence […], nous désirons seulement présenter […] l’occasion de discuter l’importante question de l’utilité de la finance considérée en elle-même : l’illustre auteur de l’Esprit des lois était incapable de penser là-dessus autrement76 ».
40Le procédé dialogique est d’ailleurs explicitement employé par Diderot en 1765 dans un addendum à « Subside », dernier article rédigé par Pesselier pour l’Encyclopédie77. Plutôt que de ne pas publier des opinions favorables à la Ferme générale, l’éditeur préfère répondre aux arguments de Pesselier en défendant la position de Montesquieu. Il rappelle qu’il est normal que ceux qui font profession d’argent se voient assigner en récompense la richesse et que par conséquent ces hommes ne peuvent être considérés comme « désintéressés ». Dans une posture qui est celle du Républicanisme classique, Diderot rappelle qu’il est impossible d’attacher l’honneur au maniement d’argent, et que par conséquent si le financier fait preuve de vertu, ce ne peut être que « celle du particulier, & non pas celle de son état78 ».
41Ce choix de Diderot allait être mal compris au sein du « Parti des philosophes » : comment justifier qu’un adversaire déclaré des Lumières tienne tribune ouverte dans l’Encyclopédie ? S’agissait-il d’un gage donné – par Le Breton79 – à la direction de la Librairie pour assurer la pérennité de l’édition ? Les liens des éditeurs avec certains fermiers généraux – et éventuels mécènes – les avaient-ils contraints à cet accommodement ? Où s’agissait-il seulement d’un procédé littéraire hasardeux ? Quoi qu’il en soit, le jugement exprimé a posteriori par Grimm dans la Correspondance littéraire était sans appel : « [les éditeurs] ont agi dans cette occasion contre leur propre conscience. L’Encyclopédie n’est point faite […] pour y présenter au public des plaidoyers pour et contre ; et son but étant […] de transmettre aux étrangers et à la postérité un tableau fidèle de l’état de la raison, des sciences et des arts en France au milieu du xviiie siècle, il n’est point permis d’y insérer […] des principes qui n’ont été avoués d’aucun bon esprit de notre temps80 ».
Les Doutes opposés à la Théorie de l’impôt de Mirabeau
42Avant d’étudier les Doutes proposés à l’auteur de la Théorie de l’impôt…81 de Pesselier, il nous faut examiner les raisons qui ont motivé sa publication – proprio motu ou, plus vraisemblablement à l’initiative de la Ferme – c’est-à-dire, outre les propositions de Mirabeau elles-mêmes, le ton choisi par le marquis qui, dans son argumentaire, n’hésite pas à dénoncer, dans les termes les plus vifs, le « brigandage82 » exercé par les financiers.
43Pour Mirabeau, « le grand secret de la science fiscale83 » réside dans une règle irréfragable : dans les nations agricoles, « c’est sur le produit net qu’il faut asseoir les revenus de l’État84 » car il ne peut les prélever « que sur ce qui est richesse » en revanche « le fisc aveugle qui pèse sur le Commerce […], le brigandage fiscal anéantit les valeurs85 ». Autrement dit, les impôts assis sur les biens de consommation, les salaires, l’activité des artisans et des manufactures sont ruineux à l’État car, d’un côté ils accroissent les coûts de production des laboureurs et, de l’autre, augmentent les prix des marchandises. L’argument général est celui selon lequel, en dernière instance, ce sont les propriétaires fonciers qui acquittent tous les impôts par leurs achats et qu’il est donc plus rationnel et moins coûteux de taxer directement leur revenu : le produit net des terres (la rente). Plus aucune taxe ne portera alors sur les « entrepreneurs de culture », qui pourront augmenter les « avances », c’est-à-dire les investissements agricoles.
44Dans cette logique, l’institution de la Ferme générale est d’autant plus délétère que, outre son inefficacité, elle est encore une source majeure de vexations et d’« exactions86 ». Ses pouvoirs extensifs de police entraînent l’entretien « d’Armées, signal d’esclavage sur tout le territoire, Prisons, Galères, Gibets et tribunaux patibulaires accordés à la cruauté des Traitants. De là […], le dessèchement entier du territoire, qui […] se voit en proie au brigandage armé de toutes ses fureurs87 ». Dans cette apocalypse fiscale, seul le financier « profite et devient important. Mais [plus il hâte ainsi] les progrès de la ruine du Souverain et de la Nation88 ». « [L]es conséquences de l’erreur énorme d’interposer une agence quelconque entre la contribution des Sujets et la recette du Souverain » sont terribles et ne conduiront à rien moins, si l’on en croit Mirabeau, qu’au renversement de l’État89.
45Aussi Mirabeau plaide-t-il pour la suppression des exemptions d’impôts, notamment celles qui profitent aux propriétaires privilégiés, la suppression de la vénalité des charges90, et, naturellement, la disparition pure et simple des taxes indirectes et de la Ferme générale. L’acceptation de l’impôt suppose enfin que les contribuables obtiennent un certain accès aux informations sur le fonctionnement du système91 :
« On peut résumer la matière de l’imposition à trois conditions nécessaires ; à savoir : qu’elle soit établie immédiatement et à la source des revenus ; qu’elle soit dans une proportion connue et convenable avec ces mêmes revenus ; qu’elle ne soit point surchargée de frais de perception92. »
46Et Mirabeau d’ajouter plus loin que « cela ne peut se faire que par la suppression des Fermes93 ». On ne peut être plus clair et peu importe que le crédit des financiers soit détruit puisqu’un État agricole bien gouverné n’aura plus besoin de leur secours, les recettes de l’impôt unique sur le produit net des terres comblant aisément les besoins du royaume94. Dans une péroraison quelque peu grandiloquente, le physiocrate croit qu’on doit aller jusqu’à purger la langue française du « mot odieux, Financier95 », comme si la disparition de la Ferme générale ne suffisait pas, il faudrait encore provoquer la mort symbolique de ses propriétaires en ne pouvant plus les désigner.
47Alors qu’il se voyait ministre, la véhémence des termes employés dans cette charge contre les financiers, par un auteur devenu célèbre dès la publication, en 1756, de l’Ami des Hommes96, conduisit Mirabeau une semaine à Vincennes, puis quelques mois en exil sur ses terres. Une peine finalement assez légère, qui, comme le souligne Georges Weulersse, « ne fit que rendre plus éclatant le triomphe de l’auteur97 ». Dans ces conditions, la Ferme ne pouvait rester sans réaction. Pesselier, en publiant en 1761 ses Doutes proposés à l’auteur de la Théorie de l’impôt, présentait en quelque sorte le Mémoire en défense de la Compagnie, mais la tâche était rude et l’auteur était plus armé pour la poésie de circonstance que pour l’économie politique.
48Les Doutes de Pesselier s’articulent sur les six propositions de la Théorie de l’impôt de Mirabeau, mais les développements correspondants sont très inégaux ; nous ne reprendrons ici que les passages les plus significatifs.
491re Proposition : « La contribution de tout Citoyen au Trésor public n’est point une dépouille, c’est un tribut, une offrande, une oblation98. »
50Pesselier, peut être plus réaliste, pense au contraire que « tout État quelconque a besoin d’être éclairé par la religion, défendu par les armes, jugé par les lois, gouverné par un Maître, en quelques mains que réside le pouvoir et la souveraineté99 ». Il faut donc prélever une partie des revenus des Citoyens et aucun d’entre eux ne serait prêt à une oblation volontaire. Les sujets doivent avoir confiance dans la justice et la bonté du Souverain et se soumettre à lui.
512e Proposition : « Le souverain n’a pas le droit d’imposer sur ses sujets, sans leur intervention, et sans leur consentement100. »
52Pesselier au contraire affirme « non seulement que le pouvoir souverain a le droit d’imposer, mais encore que ce droit n’appartient qu’à lui, & que c’est l’une des […] plus essentielles prérogatives de la souveraineté ». Suivant le fil de la tradition hobbesienne, celle de l’unicité d’un pouvoir enfermé dans les mains d’un souverain absolu et héréditaire, Pesselier refuse toute idée de contre-forces101. De ce point de vue, il pense que les peuples ne peuvent en aucun cas être consultés sur les matières fiscales car s’ils étaient libres de refuser au souverain les impôts dont celui-ci à besoin alors disparaîtrait « toute idée de pouvoir et de souveraineté102 ».
533e Proposition : « Une imposition territoriale est l’impôt le plus naturel, le plus juste et le plus avantageux. »
54L’argument dirimant de Pesselier réside dans l’impossibilité de mesurer le produit net des terres : « il m’arriverait, peut-être, de vous opposer des calculs aussi peu justes que les vôtres. L’exactitude de ces sortes de supputations, dépendant […] de la parfaite connaissance de certains faits que nous pouvons ignorer vous et moi, et que le gouvernement seul est à portée de bien vérifier103 ». C’est beaucoup prêter ici aux capacités de l’administration monarchique. Mais concernant les chiffres des physiocrates, c’est là un argument que Pesselier, en quelque sorte, inaugure, et que Forbonnais utilisera par la suite constamment104. Les physiocrates considèrent qu’on ne peut opposer que les calculs aux calculs, mais ils peinent souvent à expliquer de quelle manière ils produisent les leurs, par déduction, par inférence à partir de quelques cas ? Il est difficile de le savoir. D’ailleurs explique Pesselier, si l’on suit les raisonnements de Mirabeau, la taxe sur le produit net ne rapportera que 75 millions au souverain en l’état actuel de l’agriculture : trop peu pour financer les besoins de l’État. Il faudra attendre d’hypothétiques améliorations de culture pour que le rendement de cet impôt soit maximal, mais Pesselier, dans un argument qui lui aussi deviendra classique, s’interroge : « Oserais-je vous demander, Monsieur, si c’est un moyen bien sûr d’encourager les cultivateurs, et d’améliorer la culture, que de charger les terres de tout le poids des impositions105 ? »
554e Proposition : « C’est aux peuples mêmes, c’est-à-dire aux États qui les représentent, que l’assiette & le recouvrement des impositions doivent être confiés. »
56À Mirabeau qui veut prendre les baux comme référence de l’assiette de l’impôt territorial, Pesselier rétorque : « Ignorez-vous combien ces sortes de preuves sont imparfaites et susceptibles d’abus ? Vous n’avez pu vous dissimuler l’inconvénient des contre-lettres106. » Les expériences de taille tarifée et de taille réelle menées dans certaines élections des provinces françaises depuis la régence de Philippe d’Orléans se sont toutes heurtées à ce point soulevé par Pesselier : on ne peut se fier aux baux et la fixation de l’assiette de l’impôt par les commissaires du roi s’est souvent révélée inextricable.
575e Proposition : « Du nouveau plan résulteront […] le bonheur, l’abondance et la tranquillité, et […] le précieux avantage d’une égalité proportionnelle dans les impositions, à l’abri des vexations, des concussions, des extorsions, etc.107. »
58Peut-on en ce moment mettre en œuvre ces réformes sans « les dangers d’une subversion générale dans l’administration ? »« Vous prétendez le contraire, et vous pensez que ce corps épuisé, selon vous, […] a la force la volonté nécessaire pour agréer et soutenir la secousse terrible que vous proposez de lui donner108. » Reprenant l’image utilisée par Voltaire en 1759 à la chute du très bref ministère d’Étienne de Silhouette, qui avait voulu gouverner en temps de guerre comme à peine on aurait pu le faire en temps de paix, Pesselier juge que la situation catastrophique des finances et des armées françaises au cœur de la guerre de Sept Ans (1756-1763) rend impossible tout changement audacieux dans l’administration du royaume. Cette subversion proposée par Mirabeau est une chimère lointaine qui, si l’on venait à la tenter en cette période conduirait à « un ébranlement dangereux109 ».
596e Proposition : « Une liberté générale dans le commerce, même en faveur des Étrangers, la suppression totale d’une partie des droits du Roi, & conséquemment des Fermes et des Recettes générales de Sa Majesté. »
60Selon Pesselier, la liberté générale proposée par Mirabeau se décline en trois points :
61« 1° la suppression de toutes les Fermes, et l’abolition à jamais de tous les prétendus droits extorqués ou tolérés dans l’administration des Finances.
622° la liberté entière de l’agriculture, du commerce, de l’industrie […].
633° la liberté des hommes, en sorte qu’ils ne soient soumis qu’au Roi et aux lois110. »
64Sur le premier point, Pesselier se borne à recopier expressis verbis ce qu’il avait écrit dans les articles « Fermes » et « Financier ».
65Sur le deuxième, Pesselier lance sans états d’âme une attaque en règle contre le concept même de liberté, révélant ainsi son opposition radicale aux Lumières dans un passage d’une désarmante clarté :
« Ce mot de liberté que chacun interprète […] relativement à ses intérêts personnels et particuliers, nous est devenu si familier, […] on en a même fait une sorte de cri de guerre […]. Il nous est venu d’Angleterre […] et peut-être n’est-ce pas là l’un des moindres torts que nous aient fait nos voisins. […] On n’a point assez réfléchi sur le danger de ces sortes d’acquisitions. La censure politique, littéraire, Ecclésiastique, espèce de quarantaine établie contre ces sortes de contagions, ne nous en a pas entièrement garantis […]. L’objet de ce commerce entre les deux Nations pouvait être louable et de quelque utilité ; mais les écrivains ont-ils assez prévu les suites dangereuses qu’il pouvait avoir pour nous111 ? »
66Ce qui peut-être est bon pour l’Angleterre ne l’est certainement pas pour la France, qui, précise Pesselier dans une sorte de lecture vulgaire de Montesquieu (au travers d’une homologie explicite avec la théorie des climats), n’a pas le même « génie » et le même gouvernement. Il traite la liberté économique de la même façon extrême et sans nuance :
« La seule concurrence que nous puissions désirer chez les étrangers, c’est qu’elle règne entre eux, afin que leur rivalité dans le commerce procure à meilleur compte nos besoins ; mais non qu’ils deviennent eux-mêmes nos rivaux ; ce qui dans la circulation intérieure nous coûterait beaucoup, et dans le commerce extérieur nous empêcherait de gagner. […] Permettre la concurrence, c’est ouvrir les portes à l’ennemi, et ce titre appartient même aux Nations amies, par l’hypothèse dont il s’agit112. »
67Dans une version fruste de la théorie des deux circuits chère aux auteurs que l’on rassemble, d’ailleurs improprement, sous le vocable de « mercantilistes », Pesselier pense la prospérité du royaume sur une base autosuffisante. On ne doit laisser entrer dans la nation que les choses « que nous ne pouvons nous procurer par nos mains » et nous ne devons exporter à l’étranger que ce que nous avons en superflu113.
68Quant au projet de suppression des milices et des corvées, il reconnaît que l’agriculture souffre de ce système mais il esquive la proposition par une simple métaphore médicale : un homme d’état éclairé « sait que dans les opérations de politique, comme dans celle de chirurgie, il ne faut pas que le désir d’extirper certains corps étrangers […] empêche d’examiner […] s’ils ne tiennent pas à toute la machine, par des rameaux secrets […] qui rendraient l’extirpation dangereuse pour tout le Corps et peut être mortelle114 ».
69Finalement, pour Pesselier, si une règle domine c’est qu’en matière de gouvernement toute vérité n’est pas bonne à dire. Les « faiseurs de projets » doivent réserver leurs commentaires aux seules autorités : « Il est d’ailleurs des vérités qui, renfermées dans l’intérieur du cabinet des Souverains et de leurs Ministres, pourraient les éclairer, et devenir utiles aux Peuples, sans indisposer ceux qui les gouvernent ; lesquelles exposées au grand jour de l’impression, ont le double inconvénient d’affaiblir la confiance des Sujets, et de ranimer celle de l’Ennemi, […] nourrissent une fermentation toujours dangereuse115. » On retrouve ici la théorie classique du « mensonge officieux », autrement dit l’idée selon laquelle certains faits doivent rester enfermés dans le secret du roi au profit de la multitude gouvernée, car celle-ci ne saurait faire bon usage de la vérité. Publiciser des vérités, créer le débat autour des questions économiques et financières, c’est précisément ce que certains théoriciens de la Révolution vont mettre au crédit des physiocrates, et ce que Pesselier ne peut accepter116.
70L’accusation de crime de lèse-majesté n’est pas loin117 mais Pesselier n’a garde d’oublier, dans la liste des autorités agressées par Mirabeau, ses propres protecteurs, les Fermiers et plus généralement les Financiers : « que pour appuyer un plan de finances, […] vous imaginiez avoir besoin de recourir aux expressions les moins ménagées, à des imputations odieuses, à d’injurieuses déclamations ; c’est sur quoi je ne pense pas que l’on puisse facilement vous excuser118 ».
71Une des rares critiques approfondies des Doutes de Pesselier est celle que rédigea Grimm dès la parution de ce Factum119. S’il conteste l’analyse de Mirabeau sur certains points, son jugement sur Pesselier est sans concessions : « J’ai eu l’occasion de vous faire remarquer [le] défaut de netteté […] dans les vues de M. de Mirabeau […]. On ne fera point ce reproche à son adversaire ; il a les idées aussi claires que plates. » Et la volée de bois vert se poursuit. Selon Grimm il aurait fallu examiner si les idées de Mirabeau sur la liberté du commerce sont justes, au lieu de cela « il dit à M. de Mirabeau : […] “Avez-vous bien réfléchi s’il n’y a pas d’inconvénient à votre projet ?” […] D’autres fois, M. Pesselier emploie le cri de guerre des sots […] qui s’imaginent d’être des hommes d’État à mesure qu’ils trouvent des inconvénients à tout. Ainsi, dès que vous proposez un changement, on vous parle de la secousse toujours inévitable et souvent dangereuse de la plus heureuse révolution120 ». Moquant les passages de Pesselier sur la liberté, Grimm raille la pusillanimité du plumitif de la Ferme générale, qui s’effraie des conséquences de toutes les innovations. Bref, Pesselier « a abusé de la dangereuse liberté du commerce en vendant six francs un ouvrage qui, par sa valeur intrinsèque, ne vaut pas six sols121 ».
72On a beau chercher en effet dans les Doutes, on ne trouve pas de contestation complète de la théorie de l’incidence, de l’analyse des répercussions de l’impôt sur la circulation entre les classes, la consommation, la productivité, l’emploi… c’est-à-dire le cœur même de l’œuvre de Quesnay et de Mirabeau. Tout est centré sur l’avantage des Fermes par rapport aux Régies, et sur la dénonciation des tentatives de contrôle du peuple sur ses contributions. Cette attaque haineuse de Pesselier était censée lui valoir l’approbation du pouvoir et la condamnation des physiocrates par le monarque ! « Dans plusieurs endroits, il a la bassesse de reprocher à M. de Mirabeau […] d’attaquer les droits les plus essentiels de la souveraineté », il s’agit là d’une « accusation infâme », l’État devrait au contraire récompenser, selon Grimm, les frondeurs « quelque bile qu’ils mettent dans leurs remontrances, ils ne peuvent jamais faire que du bien à un gouvernement éclairé, [les flatteurs, eux, sont] des empoisonneurs publics et la peste d’un État122 ».
73Une seule idée de Pesselier trouve grâce aux yeux de Grimm : ne pas ostraciser tous les financiers : « Les arguments de M. de Mirabeau contre l’administration actuelle des finances n’auraient rien perdu de leur force s’il eût traité avec plus de ménagements les gens que le gouvernement y emploie. » Grimm donne ici comme exemple (est-ce un trait d’humour ?), la considération que l’on doit aux domestiques ! Et il poursuit : « il y a dans cette classe d’hommes [de finance] des gens d’un mérite distingué ; en petit nombre à la vérité, mais c’est que le mérite est rare partout123 ». Il y a cependant sur ce point une différence entre Pesselier et ses contradicteurs : pour le premier, on ne doit pas jeter l’opprobre sur un corps parce qu’il abrite quelques fripons ; pour Diderot, Grimm et la plupart des philosophes, on peut en même temps lutter contre le système de la Ferme et garder de l’estime pour « ceux de nos financiers qui font un usage respectable de leur opulence […] et les particuliers éclairés et vertueux qui se trouvent dans ce corps124 ».
74Au miroir des anti-physiocrates, la physiocratie apparaît singulièrement plus avancée que n’a voulu le faire croire une longue tradition exégétique, en partie sans doute parce que les auteurs concernés n’ont pas compris le programme physiocratique réel, en partie parce que les physiocrates eux-mêmes, par prudence, n’avaient dévoilé leurs intentions que de manière détournée125.
75Nous pensons quant à nous, avec le grand historien de la banque Herbert Lüthy, que l’œuvre de Quesnay constitue en effet « l’attaque la plus franche et la plus irréfutable contre les privilèges fiscaux des seigneurs terriens qui ont ruiné la monarchie126 », et que la thèse de Jean Cartelier pour qui l’œuvre de Quesnay est « une utopie réactionnaire » qui « paraît fournir sous le concept de royaume agricole et par le Tableau économique une rationalisation de la réaction féodale127 » est contredite par l’examen des textes – publiés et manuscrits – de Quesnay et Mirabeau. La question sort largement du cadre de la présente contribution, nous nous bornerons donc à évoquer deux objectifs que devrait selon nous se fixer une réflexion ultérieure sur ce thème – et que nous avons abordé dans d’autres études128 :
d’une part une clarification – parallèlement à la critique du concept très confus de féodalité – du statut de la propriété et du rôle respectif des propriétaires et des fermiers dans le système physiocratique129 ;
d’autre part – mais ces deux points ne sont pas sans liens –, une meilleure prise en compte des différences parfois très sensibles entre les positions de Quesnay lui-même et celles de ses disciples.
76En effet, « ce sont surtout les épigones de Quesnay eux-mêmes qui ont fait sombrer son enseignement dans le ridicule en le dégradant en réaction de nostalgie féodale et romantique contre la société industrielle montante130 ». Certains féodaux ne s’y étaient d’ailleurs pas trompés et préféraient se défier du maître que se fier aux disciples – fussent-ils de leur propre famille –, c’est le cas du Bailli de Mirabeau131 qui écrit à son frère le Marquis en 1779 une mise en garde très révélatrice : « Tes soins paternels pour l’humanité peuvent avoir fait du bien aux Suédois, aux Toscans, et à quelques étrangers ; mais ils ont prodigieusement nui, ainsi que tous les beaux paragraphes des Économistes à la Provence, au Languedoc, au Dauphiné, et à tous les pays où la commune fait communauté. Vous avez excité la rébellion générale de la canaille, qui argumente tout d’après l’égalité naturelle, et messieurs les avocats, procureurs et gratte-papier répètent vos arguments, en les accommodant à leur guise132. »
Notes de bas de page
1 Voltaire, au marquis de Thibouville, 11 janvier 1776, in Voltaire François-Marie Arouet dit, Correspondance, Théodor Besterman (éd.), Paris, Gallimard, 1988, t. XII, p. 383.
2 Terme créé par Voltaire pour les tâcherons des Lettres ; voir Voltaire François-Marie Arouet dit, Correspondance, op. cit., 1959, t. XLIV, p. 297 : « dans ces belles querelles […] chaque parti a pour lui un folliculaire ».
3 On trouve cette formule dans Morellet André, Mémoires de l’abbé Morellet, Paris, Mercure de France, 2000 [1re éd. 1821], p. 158. En 1764 le contrôleur général Laverdy note en marge d’un plan de réforme de Morellet : « pour parler d’administration, il faut tenir la queue de la poêle, être dans la bouteille à l’encre ; et ce n’est pas à un écrivain obscur, qui, souvent, n’a pas cent écus vaillants, à endoctriner les gens en place ».
4 Perrot Jean-Claude, Une histoire intellectuelle de l’économie politique (xviie-xviiie siècle), Paris, EHESS, 1992, p. 8.
5 Ibid., p. 9.
6 Il deviendra même une sorte d’« agent d’influence », stipendié par les Fermiers généraux.
7 Pesselier Charles-Étienne, Doutes proposés à l’auteur de la Théorie de l’impôt, s. l., 1761, in-12, xii-269 pages.
8 Mirabeau Victor Riqueti de, Supplément à la Théorie de l’impôt, La Haye, 1776, p. 306.
9 Cartelier Jean, Surproduit et reproduction, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble & Maspéro, 1976, p. 87 & passim ; Daniel Jean-Marc, Histoire vivante de la pensée économique, Paris, Pearson, 2010, p. 84 : « La révolution industrielle commence et les physiocrates ne rêvent que d’agriculture. On peut parler de libéralisme réactionnaire. »
10 Né à Paris en 1712, poète puis sous-fermier aux contrôles de Paris, il deviendra en 1761 l’un des conseillers secrétaires ordinaires de Stanislas Leszczynski. Il mourra jeune, en 1763, à Paris. Sa veuve recevra 30000 livres de la Ferme en reconnaissance des services rendus par le défunt à la Compagnie.
11 Un recueil est publié en 1748. Jean-Noël Pascal le considère comme un bon poète mais « la recherche systématique de l’ingéniosité et du mot d’esprit le conduit bien souvent à la limite du cocasse et du ridicule. […] C’est un précieux attardé » (Pascal Jean-Noël, La fable au siècle des Lumières, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, 1991, p. 26).
12 Respectivement : L’École du temps (1739) et Ésope au Parnasse (1739). Voir Quérard Jean-Marie, La France littéraire, Paris, Didot, 1835, t. VII, p. 81 ; Almanach royal, Paris, Le Breton, 1762 ; Prudhomme Louis-Marie, Dictionnaire universel, Paris, Laporte, 1805, v. iv ; Mayeul Chaudon Louis, Dictionnaire universel, 9e éd., Paris, Prud’homme, 1810, v. xiii ; « Éloge de Pesselier » en tête de l’Édition nouvelle des Œuvres de Pesselier, Paris, Vve Duchesne, 1772 ; Airiau Jean, L’opposition aux physiocrates à la fin de l’Ancien régime, Paris, LGDJ, 1965.
13 Nancy, Amiens, Rouen et Angers.
14 Né et décédé à Paris (1694-1773). Voir Claeys Thierry et Durand Yves, Dictionnaire biographique des financiers en France au xviiie siècle, Paris, SPM, 3e éd. 2011, 2 vol.
15 À ce titre, on l’appelle « Doyen » de la Compagnie ou « Celui qui a le portefeuille ». Voir Durand Yves, Les Fermiers Généraux au xviiie siècle, Paris, Maisonneuve & Larose, 1996 (1re éd. 1971), p. 133.
16 Le terme de « Sous-Fermier » n’étant pas plus goûté que celui de Fermier, les concernés préféraient se présenter sous le terme d’« Intéressés aux affaires du roi » !
17 Également apparentée à Jean de Boullongne (1690-1769), intendant puis contrôleur général des Finances (de 1757 à 1759). Voir Claeys Thierry et Durand Yves, op. cit. Cette alliance ouvre la voie à une fulgurante carrière in telonio de Pesselier même si certains critiques de l’époque feignent de croire « que c’est aux Muses [qu’il] doit sa naissante fortune ». Voir Desfontaines Pierre-François Guyot, Mairault Adrien, Fréron Elie-Catherine et Destrées Jacques, Jugements sur quelques ouvrages nouveaux, Avignon, Girou, 1745, t. 4, p. 208-209, à propos de la publication en 1744 de ses Vers sur la Convalescence du Roi, poème de circonstance très académique mettant en scène les allégories de la Discorde et de l’Envie au chevet du roi à l’article de la mort lors de l’épisode de Metz. L’auteur de cette critique (Fréron ?) poursuit, non sans perfidie : « quel encouragement pour les Sciences & les Arts, si à chaque Bail on avait la bonté de mettre quelques Auteurs sur la liste des nouvelles Compagnies de Soûfermiers. Leurs voix il est vrai ne seraient pas fort pondérantes dans les délibérations : mais on sait que cela n’est pas nécessaire, & que tous les Financiers ne sont pas versés dans la Finance » (nous soulignons).
18 Publié en 1759 et dédié au contrôleur général en fonction Jean de Boullongne.
19 « Notes de Prault (fils) », Bulletin du Bibliophile, 9e série, 1849-1850, p. 879.
20 Pour l’analyse de ce texte, on se reportera à la description (v. infra) des articles rédigés par Pesselier pour l’Encyclopédie. Le Prospectus est en effet, presque mot pour mot une reprise de ses articles sur la Finance. Les Archives Nationales en conservent (cote K 899 n° 59), un exemplaire annoté par Mirabeau ; voir Théré Christine et Charles Loïc, « Le fonds Mirabeau aux Archives nationales », in Chistine Théré, Loïc Charles et Jean-Claude Perrot, François Quesnay, Œuvres économiques complètes et autres textes, Paris, INED, 2005, t. II, p. 1316. Seule innovation du Prospectus : tout le texte est repris dans un grand Tableau sagittal (AN K 899 n° 60).
21 La réponse de Rousseau est sans détours : « Je n’entends rien, Monsieur, à la matière que vous avez traitée, et […] je souhaiterais que personne n’eût besoin d’y rien entendre. Il me paraît bien triste que tant d’impôts soient nécessaires pour assurer l’état des citoyens, et qu’il faille les ruiner pour leur profit. Je pense avoir vu des pays où la sûreté civile n’est pas moins solidement établie, et où on ne la paye pas si cher. » Lettre à Pesselier du 3 mai 1759, reproduite in Bulletin du bibliophile, art. cit.
22 Le verdict de Voltaire est sévère, on le trouve dans une lettre à la Comtesse d’Argental du 18 juin 1759 : « De quoi s’avise Pesselier, de gouverner les finances ? A-t-il trouvé quelque chose de mieux que les actions sur les Fermes ? […] Je mettrai [cet écrit] dans les rayons de ma petite bibliothèque destinés aux faiseurs de projets ; j’en ai déjà bon nombre », Voltaire François-Marie Arouet dit, Correspondance, op. cit., 1964, t. V, p. 527.
23 Voir Favart Charles-Simon, Mémoires et correspondance, Paris, Collin, 1808, t. II, p. 120.
24 Bulletin du Bibliophile, art. cit.
25 [Pesselier Charles-Étienne], Lettres sur l’éducation, Paris, Bauché, 1762, 2 tomes.
26 Ibid., t. I, p. 39.
27 Ibid., t. I, p. 81-82.
28 Ibid., t. I, p. 40.
29 Ibid., t. I, p. 82.
30 Ibid., t. I, p. 89-91 (nous soulignons).
31 Ibid., t. I, p. 40-41.
32 « L’Éducation utile paraît devoir être ajoutée à la nécessaire, en faveur du commerce et de l’industrie, et généralement de toutes les professions à qui certaines connaissances d’usage sont indispensables », ibid., t. I, p. 91-92. Il prône aussi une formation aux affaires (il s’y est lui-même essayé) : « Les jeunes gens sont nés pour posséder des biens. Pourquoi ne [leur] enseigne-t-on pas les moyens de conduire sagement leurs affaires économiques, et d’en tirer (avec équité) tout le parti dont elles sont susceptibles ? », ibid., t. II, p. 50-52.
33 Ibid., t. I, p. 43.
34 Ibid., t. I, p. 92-93 (nous soulignons).
35 Ibid., t. I, p. 95-96.
36 L’austérité ne va pas jusqu’à exclure toute ouverture sur l’humanité : « Il est essentiel de connaître les hommes en général ; mais plus particulièrement les hommes de sa société. » Il précise, avec une grande générosité… nuancée de quelque prudence : « Parmi les hommes, je comprends un sexe toujours aimable et quelquefois dangereux, qui forme, à tous égards, une portion si intéressante de la société, que je ne conçois pas les raisons de l’écarter, au risque de le voir ensuite se rapprocher du nôtre avec plus de force et plus de danger. Je pense donc qu’il est à propos […] que les jeunes gens voient des femmes honnêtes et non pas seulement des hommes de bonne compagnie », ibid., t. II, p. 97-99 (nous soulignons).
37 Ibid., t. I, p. 94-95 (nous soulignons).
38 Voir Albertone Manuela, Fisiocrati, istruzione e cultura, Turin, Einaudi, 1979, « Instruction et ordre naturel : le point de vue physiocratique », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1986, p. 589-607 et « Fondements économiques de la réflexion du xviiie siècle », Clio@Thémis, n° 3, 2010, p. 1-25.
39 Albertone Manuela, « Fondements économiques », art. cit., p. 8.
40 Cet auteur est pourtant considéré comme un proche des physiocrates mais on a maintes fois constaté combien les alliés et même des membres éminents de la Secte avaient pu faire montre dans certains cas d’une surprenante incompréhension des objectifs de Quesnay. Le cas de Mirabeau est à cet égard révélateur ; voir Longhitano Gino, Traité de la Monarchie de Mirabeau & Quesnay, Paris, L’Harmattan, 1999.
41 « Le bien de la société demande que les connaissances du peuple ne s’étendent pas plus que ses occupations. Tout homme qui voit au-delà de son triste métier ne s’en acquittera jamais avec courage et avec patience », op. cit., 1763, p. 28 ; apud Grosperrin Bernard, « Faut-il instruire le peuple ? La réponse des physiocrates », Cahiers d’histoire, Lyon, 1976, t. XXI, p. 166-167. Même Voltaire, dans une lettre du 28 février 1763, félicitera La Chalotais pour cette opinion : « Je vous remercie de proscrire l’étude chez les laboureurs. Moi qui cultive la terre je vous présente requête pour avoir des manœuvres et non des clercs tonsurés », voir Grosperrin Bernard, Les petites écoles sous l’Ancien Régime, Rennes, Ouest-France Université, 1984, p. 20.
42 Cité in Minois Georges, Censure et culture sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1995, p. 245 [nous soulignons]. Même Rousseau écrit dans La Nouvelle Héloïse : « N’instruisez pas l’enfant du villageois, car il ne lui convient pas d’être instruit » (Rousseau Jean-Jacques, Œuvres complètes, Paris, Hachette, 1863, Ve partie, lettre III, p. 513).
43 D’Argenson René Louis de Voyer de Paulmy, Mémoires et journal inédit, Paris, Jannet, 1858, t. V, p. 375-376.
44 Lettre n° 17 [1769] in Knies Karl (dir.), Carl Friedrichs von Baden brieflicher Verkehr mit Mirabeau und Du Pont, Heidelberg, Carl Winter, 1892, t. I, p. 17.
45 Steiner Philippe, La « science nouvelle » de l’économie politique, Paris, PUF, p. 110-113 ; Quesnay François, « Hommes », in Christine Théré, Loïc Charles et Jean-Claude Perrot (dir.), op. cit., t. I, p. 287-288.
46 Albertone Manuela, « Instruction et ordre naturel », art. cit., p. 590.
47 Rivière, L’Ami de la Paix, 1761, p. 159 et 146.
48 Béardé de l’Abbaye, Recherches sur les moyens de supprimer les impôts, 1770, p. 85.
49 Linguet Simon-Nicolas-Henry, Réponse aux docteurs modernes, 1771, 3e partie, p. 35. Linguet précise plus loin : « La plus lumineuse instruction du monde adoucira-t-elle la charge des sujets, sur qui porte par essence tout le fardeau social ? Et engagera-t-elle ceux que la naissance, la protection ou l’adresse en ont dispensés, à en aller prendre sur eux une partie ? », ibid. p. 35 et 36 (nous soulignons).
50 Et elle poursuit, comme pour se rassurer : « Heureusement que ce souhait de la philanthropie philosophique ne sera jamais exaucé » ; voir Grosperrin Bernard, Les petites écoles, op. cit., p. 20.
51 Cités par Albertone Manuela, « Instruction et ordre naturel », art. cit., p. 590-591.
52 Ibid., p. 607.
53 Durand Yves, Les fermiers généraux, op. cit.
54 Attribué généralement à un certain Blanchard, Cologne, Adrien l’Enclume, 1707, p. 15-16.
55 Durand Yves, Les fermiers généraux, op. cit., p. 454.
56 Ibid.
57 Le croupier « participait aux bénéfices sans exercer de fonction. […] En 1776, la publication de la liste des croupes et pensions scandalisa l’opinion publique qui découvrit alors que le roi, Mme de Pompadour et Mme du Barry avaient été des croupiers » ; voir White Eugene, « L’efficacité de l’affermage de l’impôt : la Ferme générale au xviiie siècle », in L’administration des finances sous l’Ancien Régime, Paris, CHEFF, 1994, p. 108. Louis XV avait ainsi une demi-place sur Poujaud, un quart sur Lahaye et un quart sur Saleur de Grizien. Y. Durand donne des exemples de gens de qualité, de philosophes même, qui n’hésitaient pas à agioter malgré leurs positions publiques très critiques sur la Ferme : on cite souvent les cas de Voltaire et de Diderot (voir Durand Yves, op. cit., p. 446).
58 Ibid. p. 76 : « Tous les employés comptables doivent fournir des cautions qui répondent de leur gestion jusqu’à une certaine somme. Ils rémunèrent naturellement les personnes qui apportent leur caution. »« Ces cautions appartiennent à tous les groupes sociaux. » Mirabeau lui-même, intraitable ennemi du système de la Ferme, se sent obligé d’adoucir un peu la condamnation des bénéficiaires : « Il est peu d’honnêtes citoyens, qui dans ces temps malheureux n’aient désiré […] des places de Fermiers, des intérêts dans les Traités, et qui ne soient persuadés qu’on peut acquérir légitimement le droit de faire le mal, par un pacte contracté avec la puissance tutélaire […]. Ce ne sont point des individus que j’envisage ici, c’est ce concours détestable d’agents déréglés, qui rompt tous les liens de la société, qui ruine la Nation, qui détruit la puissance du Monarque » ; voir Mirabeau Victor Riqueti de, Théorie de l’impôt, 1760, p. 123-124.
59 Barbier Edmond-Jean-François, Journal historique, Paris, Renouard, 1851, t. III, p. 73-74.
60 Durand Yves, op. cit. p. 447. Voir Chaussinand-Nogaret Guy, Le Citoyen des Lumières, Paris, Complexe, 1994, p. 71 où l’auteur cite le cas emblématique de Malesherbes : « Ses sœurs furent mariées dans la haute finance. [Il] se trouva apparenté aux plus riches mississipiens […] qui avaient la haute main sur les finances publiques. Lui-même épousa la fille de Antoine-Gaspard Grimod de la Reynière [secrétaire du roi et fermier général] […]. C’était un monde […] raffiné où le mécénat était d’institution […]. [Il] devint familier de ces cénacles prestigieux de la fortune et de l’esprit. »
61 Montesquieu Charles-Louis de Secondat de, De l’esprit des lois, livre XIII, chapitres xix et xx.
62 Voir Adams David, Book illustration, taxes and propaganda : the Fermiers généraux edition of La Fontaine’s Contes et nouvelles en vers of 1762, Oxford, Voltaire Foundation, 2006.
63 Adams David, op. cit. p. 60. L’auteur ajoute plus loin : « They chose this work […] because it is strongly based on the idea of freedom from social conventions, religious restraints and moral restrictions », ibid., p. 407.
64 « The Fermiers could have been accused of wanting to present a view of the world in which everyone else was a corrupt and unfeeling as they themselves were accused of being. […] It could have been said of them that they were not content simply to exploit and oppress their contemporaries, but had to insult them as well », Adams David, loc. cit.
65 Grimm Friedrich-Melchior et alii, Correspondance littéraire, Paris, Garnier, 1878, t. IV (1758- 1761), p. 404.
66 Avec Boucher d’Argis.
67 Avec Diderot.
68 Pesselier y donne la définition suivante : « Exemptions (Finances) : c’est un privilège qui dispense d’une imposition, d’une contribution, ou de toute autre charge publique & pécuniaire, dont on devrait naturellement supporter sa part & portion » (op. cit., p. 238). Il s’agit en particulier de l’exemption de taille : « privilège de ne point payer de tailles, qui appartient aux ecclésiastiques, aux nobles & autres privilégiés » (ibid., p. 236).
69 Titre : « Qu’est-ce qui est le plus convenable au prince et au peuple, de la ferme ou de la régie des tributs ? »
70 Pesselier Charles-Étienne, « (Bail des) Fermes du roi », Encyclopédie, t. VI, p. 514.
71 Ibid.
72 « Homme qui manie les finances, c’est-à-dire les deniers du roi ; qui est dans les Fermes, dans les affaires de sa majesté, quaestorius aerarii, collector [Questeur du Trésor, Receveur] », Pesselier Charles-Étienne, « Financier (Politique) », Encyclopédie, t. VI, p. 814.
73 Ibid.
74 Ce passage, repris par Pesselier dans l’Idée générale des Finances, lui vaut des notes marginales rageuses de Mirabeau : « Un Fermier des deniers publics implique la réalité de l’imposition forcée, c’est-à-dire de la tyrannie d’une part et bientôt de l’impuissance, de la terreur de l’autre […]. [Le] traitant est un homme qui prête à usure à l’État et qui prend en gage le peuple, le roi, les lois. Le régisseur ou receveur est le seul financier nécessaire et utile […]. L’entrepreneur de guerre ou de paix est une peste qui met dans l’État le même ordre qu’on voit dans certaines maisons dissolues où le cuisinier a pris à forfait la nourriture des maîtres », ms. cit., K 899 n° 59, p. viii.
75 Encyclopédie, t. VI, p. 515.
76 Ibid., t. VI, p. 815.
77 Au tome 7, p. 572 et suiv. et dans les toutes dernières années de l’Ancien Régime, la partie « Finances » de l’Encyclopédie Méthodique (rédigée, pour l’essentiel, par Jacques-Philippe Rousselot de Surgy, Premier Commis des Finances), présentera un dernier épisode de la controverse dans la reprise à deux voix – discordantes – des articles : « Ferme » au tome II, en 1785, et « Subside » au tome III en 1787.
78 Le jugement d’ensemble sur Pesselier est clair : « Les Doutes […] n’ont point été conçus par une tête bien forte. On voit aisément l’esprit qui les a dictés […] [il] n’est point celui de la candeur et du patriotisme. Ce n’est pas d’ailleurs avec quelques figures de rhétorique qu’on peut triompher des écarts d’un génie bouillant, et vaincre les élans d’un cœur que le spectacle de la misère a déchiré », Diderot Denis, ibid., p. 573.
79 Futur juge consul, syndic de sa corporation et premier imprimeur du roi. Il est avéré qu’il a supprimé ou adouci dans les articles les plus hardis tout ce qui lui paraissait trop fort. Voir sur ce point Grosclaude Pierre, Un audacieux message : l’Encyclopédie, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1951, p. 101 et suiv.
80 Grimm Friedrich-Melchior, Correspondance, op. cit., Paris, Garnier, 1878, t. IV, p. 404.
81 Parue sous l’anonyme en 1761, toutes les personnes informées ont attribué l’œuvre à Pesselier. C’est le cas bien sûr de l’inspecteur d’Hémery (très bien renseigné par des hommes du sérail comme Fréron) qui note cette attribution dans son Journal ; voir Juratic Sabine et Vittu Jean-Pierre, « Surveiller et connaître : le Journal de la Librairie de Joseph d’Hémery », in Sergueï Karp (dir.), Le Siècle des Lumières, Moscou, Naouka, 2008, t. I, p. 90-107.
82 Ceci explique en partie le scandale suscité à la Cour par cette publication. Elle lui valut un emprisonnement de cinq jours, à la prison du château de Vincennes, puis un exil de deux mois dans son château du Bignon.
83 Mirabeau Victor Riqueti de, Théorie de l’impôt, op. cit., p. 146. Nous analysons en détail cette thèse dans Delmas Bernard, « Les physiocrates, Turgot et “le grand secret de la science fiscale” », Revue d’histoire moderne et contemporaine, LVI, 2009, p. 79-103.
84 Mirabeau Victor Riqueti de, Théorie de l’impôt, op. cit., p. 310-311.
85 Ibid., p. 312-313.
86 Ibid., p. 315-316.
87 Ibid., p. 319-321.
88 Ibid., p. 321.
89 Ibid., p. 323-324.
90 Cela permettrait d’établir « que personne ne pût prétendre en vertu d’aucun privilège ou immunité, de s’exempter de cette contribution qui doit être générale puisqu’elle abolit une charge qui porte […] sur tous les habitants du royaume, même sur le Clergé, les Nobles et les Communautés Religieuses », ibid., p. 354-356.
91 Ibid., p. 363.
92 Ibid., p. 378.
93 Ibid., p. 352.
94 Ibid., p. 101. Ce thème sera repris par Raynal : « La contribution des citoyens au trésor public est un tribut. Ils doivent le présenter eux-mêmes au souverain, qui […] en doit diriger sagement l’emploi. Tout agent intermédiaire détruit ces rapports […]. C’est sous cet odieux aspect qu’ont toujours été regardés les Fermiers des taxes. »« Le Fermier imagine les impôts. Son talent est de les multiplier. Il les enveloppe de ténèbres pour leur donner l’extension qui lui conviendra […]. On vend au plus vil prix les lois, les mœurs, l’honneur […]. Ce traitant jouit […] de ces infâmes et criminels avantages jusqu’à ce qu’il ait détruit l’État, le prince et lui-même. »« Les peuples libres n’ont que rarement éprouvé ce sort affreux. Des principes humains et réfléchis leur ont fait préférer une Régie » (nous soulignons), Raynal Guillaume-Thomas, Histoire philosophique et politique des deux Indes, Genève, 1781, t. X, p. 224-225. Les rédacteurs de l’Encyclopédie méthodique de 1785 utiliseront d’ailleurs ce passage dans une dernière attaque contre Pesselier insérée à la suite de son article « Ferme » au tome II de cet ouvrage (1785, t. II, p. 126).
95 Mirabeau Victor Riqueti de, Théorie de l’impôt, op. cit., p. 380-381. Souligné par Mirabeau.
96 Parmi les grands succès des œuvres économiques « rien ne surpasse L’Ami des hommes avec ses 20 “éditions” en 3 ans et le double peut-être dans le siècle […] succès qui le place au rang d’Adam Smith, du Traité d’économie politique de Say ou du Manifeste de Marx », Perrot Jean-Claude, « Nouveautés : l’économie politique et ses livres », in Henri-Jean Martin et Roger Chartier (dir.), Histoire de l’édition française, Paris, Promodis, 1984, t. II, p. 255. Comme pour Voltaire, cette notoriété acquise constituait une protection relative contre la censure royale.
97 Weulersse Georges, Le mouvement physiocratique en France, de 1756 à 1770, Genève, Slatkine reprints, 2003 (1910), 2 volumes, p. 1-75.
98 Mirabeau Victor Riqueti de, Théorie de l’impôt, op. cit., p. 144 de l’édition in-12.
99 Pesselier Charles-Étienne, Doutes, op. cit., p. 15.
100 Mirabeau Victor Riqueti de, Théorie de l’impôt, op. cit., p. 157 de l’édition in-12.
101 « Je regarderai toujours, Monsieur, comme une règle inviolable […] que dans tout gouvernement quelconque, il y ait unité de pouvoir, et que ce pouvoir soit absolu », Pesselier Charles-Étienne, Doutes, op. cit., p. 42.
102 Ibid., p. 30-32.
103 Ibid. p. 49.
104 Charles Loïc et Orain Arnaud, « François Quesnay and the Invention of Anti-physiocracy », in Steven L. Kaplan et Sophus Reinert (dir.), The Economic Turn : Recasting Political Economy in Eighteenth-Century Europe, Londres, Anthem Press, 2017, sous presse.
105 Pesselier Charles-Étienne, Doutes, op. cit., p. 53. Pesselier entre à ce sujet dans une contradiction quelques pages plus loin en poursuivant : « Mais en imposant tout sur les terres, vous chargerez, par un contrecoup inévitable, l’industrie, le commerce et la consommation, que vous avez prétendu ménager. » Ibid., p. 58-59.
106 Ibid., p. 89-90. Contre-lettre : acte secret par lequel on déroge à ce qui est stipulé dans l’acte apparent.
107 Mirabeau Victor Riqueti de, Théorie de l’impôt, op. cit., p. 99 sq. de l’édition in-12.
108 Pesselier Charles-Etienne, Doutes, op. cit., p. 103-104.
109 Ibid., p. 107-108.
110 Mirabeau Victor Riqueti de, Théorie de l’impôt, op. cit., p. 112-113 de l’édition in-12.
111 Pesselier Charles-Étienne, Doutes, op. cit., p. 186-187.
112 Ibid., p. 200-201.
113 Ibid. Sur la théorie des « deux circuits », voir Steiner Philippe, « Circuits, monnaie et balance du commerce », in Alain Béraud et Gilbert Faccarello (dir.), Nouvelle Histoire de la pensée économique, Paris, La Découverte, 1992, vol. 1, p. 111-130.
114 Pesselier Charles-Étienne, Doutes, op. cit., p. 246-247.
115 Ibid., p. 267-268.
116 Voir l’introduction de ce volume.
117 Ibid., p. 249-250.
118 Ibid., p. 263-264.
119 Grimm Friedrich-Melchior, op. cit. p. 404 et suiv. Grimm avait déjà sérieusement étrillé Pesselier lors de la parution de son Esprit de Montaigne. Il avait sobrement conclu à l’époque : « Les petits écrivains devraient se contenter de la liberté qu’on leur laisse de barbouiller du papier, et apprendre une fois pour toutes que les ouvrages des hommes de génie sont respectables jusque dans leurs défauts mêmes » (op. cit., Paris, Furne-Ladrange, 1829, t. I, p. 119).
120 Ibid., p. 405.
121 Ibid., p. 405-406 (nous soulignons).
122 Ibid., p. 406-407.
123 Ibid., p. 410.
124 Addendum de Diderot à l’article « Financier », Encyclopédie, t. VI, p. 815.
125 Sur la censure, on peut consulter le premier chapitre de notre thèse Delmas Bernard, François Quesnay et la naissance de l’économie politique, Lille, université Lille 1, 2000.
126 Lüthy Herbert, La banque protestante en France, Paris, Sevpen, 1961, note p. 21. Voir aussi, Lüthy Herbert, Le passé présent, Monaco, Éd. du Rocher, 1965, p. 169 : « Quesnay ouvre ainsi l’attaque frontale contre les privilèges fiscaux de la noblesse, du clergé et de la haute bourgeoisie d’office qui devait conduire l’Ancien Régime de la faillite financière à la banqueroute politique. »
127 Cartelier Jean, « Introduction », in Quesnay François, Physiocratie, Paris, Flammarion, 1991, p. 62-64.
128 Voir Delmas Bernard, « Les physiocrates, Turgot et “le grand secret de la science fiscale” », art. cit.
129 On trouve une telle tentative dans l’article de Steiner Philippe, « Le projet physiocratique : théorie de la propriété et lien social », Revue économique, 1987, p. 1111-1128, et Charles Loïc, La liberté du commerce des grains et l’économie politique française (1750-1770), Paris, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 1999.
130 Lüthy Herbert, Le passé présent, op. cit., p. 160.
131 Jean-Antoine Riqueti de Mirabeau (1717-1794), frère cadet du marquis de Mirabeau, chevalier de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, puis gouverneur de la Guadeloupe.
132 Cité dans de Loménie Louis, Les Mirabeau, Paris, Dentu, 1879, t. II, p. 411-412 (nous soulignons). On pourrait citer aussi, dans un genre plus burlesque, une chanson datée de 1773 qui englobe dans le même sarcasme Encyclopédistes et Économistes (in Édouard Raunié, Chansonnier historique du 18e siècle, Paris, A. Quantin, 1884, t. 9, p. 86-88, consultable sur Gallica).
« Vivent tous nos beaux esprits / Encyclopédistes, / Du bonheur français épris, / Grands Économistes ;/Par leurs soins au temps d’Adam/Nous reviendrons, c’est leur plan. […]
On verra tous les états/Entre eux se confondre, /Les pauvres sur leurs grabats/Ne plus se morfondre./Des biens on fera des lots/Qui rendront les gens égaux : /Le bel œuf à pondre ! […] Du même pas marcheront /Noblesse et roture : / Les Français retourneront /Au droit de nature./Adieu, Parlements et lois, /Les princes, les ducs, les rois, /La bonne aventure… »
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