Sources de l’histoire des réfugiés et des étrangers dans les archives du ministère des Affaires étrangères : les dossiers de la série Guerre Vichy 1939-1945 relatifs aux étrangers et réfugiés
p. 271-275
Texte intégral
1Les archives de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) désormais ouvertes au public, constituent un ensemble de première importance pour tous les chercheurs qui s’efforcent, généalogistes comme universitaires, de retracer le destin individuel ou encore collectif de tous les étrangers réfugiés et établis en France. Les Archives diplomatiques conservent de leur côté de très nombreuses sources sur les étrangers et réfugiés ; peut-il en être autrement quand on connaît les liens qui ont uni l’Ofpra et le ministère des Affaires étrangères ? Mais si les principales séries des Archives diplomatiques sont depuis longtemps déjà ouvertes à la consultation, les travaux de classement et de traitement des fonds actuellement engagés permettent encore des découvertes non négligeables et livrent des informations particulièrement utiles aux chercheurs. On savait déjà, pour donner un exemple, que la série des Chancelleries, riche de plusieurs centaines de milliers de dossiers de Français établis ou ayant séjourné à l’étranger, contenait également des dossiers concernant des étrangers établis en France. Le plus célèbre de ces dossiers concerne ainsi la comtesse de Ségur, née Rostopchine, qui éprouva de grandes difficultés pour entrer en possession de sa part d’héritage qui lui revenait de la succession de son père, le fameux gouverneur de Moscou. Certes la comtesse de Ségur n’est pas une réfugiée et est devenue française par son mariage, mais qui sait qu’à partir de 1918, dans la même série, d’épaisses liasses thématiques contiennent également des milliers de dossiers d’étrangers établis en France dans les années qui précèdent et qui suivent la Première Guerre mondiale ?
2De la même façon, le classement engagé récemment de la série des conventions administratives devrait livrer de nouvelles informations sur les conditions de l’établissement et du séjour des étrangers en France, qu’il s’agisse des dossiers de principe, notamment des négociations engagées avec les autres États ou des dossiers nominatifs de particuliers dont le suivi imposait précisément l’établissement de règles avec les autres pays. Ainsi, dans le domaine des réfugiés et étrangers, chaque étape du programme de classement des Archives diplomatiques réserve des surprises. La publication prochaine de l’instrument de recherche de la série Guerre 39-45 Vichy l’illustre suffisamment. Aussi, dans le cadre de la coopération engagée entre les Archives diplomatiques et l’Ofpra, et plus particulièrement dans celui de l’élaboration d’un guide de sources et de recherche conjoint sur les étrangers et réfugiés en France au cours des deux derniers siècles, a-t-il paru intéressant de décrire les ressources offertes par ce nouvel instrument de recherche pour l’étude des étrangers et réfugiés dans notre pays. Ce n’est pas que les dossiers de la série Vichy constituent une découverte pour les chercheurs ; depuis de longues années déjà, les principales sous-séries de Vichy ont été ouvertes successivement à la consultation mais la publication d’un instrument de recherche couvrant l’ensemble des sous-séries, y compris celles qui ont fait l’objet d’un reclassement récent, les œuvres françaises à l’étranger, les dossiers de la délégation générale du gouvernement français en zone occupée, la délégation du service du personnel du ministère à Paris, donne à l’ensemble une visibilité nouvelle. Le recensement quasi exhaustif des sources offertes aux chercheurs travaillant sur l’histoire des étrangers et des réfugiés, illustre ainsi la richesse des Archives diplomatiques dans le domaine.
3En premier lieu, les différentes sous-séries de Vichy évoquent le sort des réfugiés par le biais des interventions faites en leur faveur, de façon individuelle ou parfois collective, auprès du personnel diplomatique par les gouvernements étrangers. Mais les dossiers constitués par les services diplomatiques de Vichy livrent également les préoccupations du régime vis-à-vis de ces étrangers. Précisons également que si d’une manière générale, les dossiers individuels sont regroupés dans des volumes particuliers, les dossiers généraux contiennent également assez souvent des informations nominatives, y compris parfois pour les individus pour lesquels un dossier a été parallèlement ouvert. C’est évidemment le cas, en premier lieu, des dossiers de la série Cabinet où, dans les volumes numérotés de 1 à 15, le chercheur trouvera de nombreux dossiers nominatifs d’étrangers ou encore dans les dossiers de la Délégation générale du gouvernement de Vichy dans les territoires occupés, c’est-à-dire dans la zone directement administrée par les Allemands.
4Mais pour les dossiers généraux relatifs aux étrangers et réfugiés en général, l’essentiel de la documentation disponible est conservé dans les dossiers des deux sous-séries suivantes : État français et International. Dans la première, on notera les volumes 146 à 159. Le volume 148 a trait plus particulièrement à l’accueil des réfugiés avec notamment des documents sur les organisations chargées de les prendre en charge, et le fonctionnement du Haut-Commissariat pour les réfugiés ainsi que sur la session du Comité intergouvernemental sur les réfugiés qui se déroule à Ciudad Trujillo en janvier 1941. La même sous-série conserve de nombreux documents consacrés aux étrangers dans les volumes 149 à 161 ; le chercheur trouvera notamment dans ces volumes une série de rapports d’inspection des camps d’internement sous les cotes 151-155, non seulement sur les camps de la métropole, avec ceux notamment de Beaune-la-Rolande et de Gurs, mais également ceux de la zone libre (volume 152) et ceux des territoires d’Afrique du nord, en Algérie (volume 153), en Tunisie (volume 154) et au Maroc (volume 155).
5Parmi ces étrangers dont se préoccupent les diplomates de Vichy, viennent en premier lieu les juifs. Dans la sous-série État français, plusieurs volumes leur sont consacrés, dossier général (volume 140) et dossiers individuels classés par ordre alphabétique dans le volume 141. Le volume 142 est consacré pour sa part à l’émigration des juifs étrangers tandis que le volume 153 évoque le sort des juifs d’origine allemande en zone libre. Rappelons toutefois que la série Vichy regroupe les dossiers du ministère des Affaires étrangères pendant la guerre et qu’elle ne contient pas les séries administratives relatives à la gestion des étrangers en France. C’est parce qu’il s’agissait précisément d’étrangers que le ministère et ses services étaient tenus informés et associés à la gestion des étrangers et réfugiés sur le sol français et que l’on n’hésitait pas à faire appel à leur intervention. D’autres dossiers ont trait aux étrangers internés ; c’est ainsi que le volume 158 contient, outre des dossiers individuels classés par ordre alphabétique, des documents sur le transfert d’indésirables internés en Afrique du Nord en 1941 et 1942. Nombre de documents concernent des sujets ennemis, Allemands et Italiens. Dans le volume 160, sont rassemblés des documents relatifs à la libération des travailleurs étrangers, aux demandes transmises par la Direction des services de l’armistice et enfin aux Groupements de travailleurs étrangers.
6Aux mesures d’internement des étrangers adoptées par les autorités françaises au début du conflit font écho les demandes de libération de leurs ressortissants par les autorités allemandes et italiennes après la conclusion de l’armistice. Une attention particulière permettra de distinguer parmi ces réclamations, notamment dans les volumes 165 à 168 de la sous-série International qui contiennent notamment une liste des ressortissants allemands réclamés par le Reich, celles qui visent des ressortissants allemands arrêtés par les autorités françaises au début de la guerre et celles qui visent des opposants au régime nazi réclamés par le Reich vainqueur. Pour les Italiens, toujours dans la sous-série International, sont conservés sous les cotes 233 à 267, les dossiers relatifs aux internés, que ce soit en France, ou dans les possessions françaises d’Afrique du Nord, ou encore à la Guadeloupe, dans l’AOF et à Madagascar. Sous les cotes 244 à 263, le lecteur trouvera les dossiers individuels des Italiens classés par département. Cette série est complétée par le volume 279 qui contient les dossiers des Italiens internés en Tunisie. La gestion des biens et valeurs possédés par les internés se retrouve, pour sa part, notamment dans la sous-série État français, sous les cotes 156 et 157 avec un dossier général et des dossiers individuels.
7Qui dit étrangers dit aussi naturalisations. Ces dernières sont évoquées, sous la rubrique Justice de la sous-série État français, dans les volumes 199 à 205 avec notamment les dossiers individuels d’enquêtes. Les documents relatifs aux ressortissants allemands sont regroupés dans le volume 202 et ceux concernant les Italiens dans les volumes 203 à 205. Une attention toute particulière sera apportée à l’étude des dossiers de déchéance de la nationalité française, en vertu notamment des dispositions de la loi du 22 juillet 1940 aux conséquences dramatiques surtout pour les étrangers réfugiés en France et récemment naturalisés. Ces dossiers ainsi que ceux relatifs au séquestre de leurs biens sont conservés dans les volumes 206 à 208. Le même thème est évoqué dans la sous-série International, dans les volumes 82 et 83 consacrés à la gestion des biens des ressortissants étrangers protégés par la Suisse et à la gestion des biens des personnes déchues de la nationalité française (volume 33).
8Parmi les étrangers établis en France pendant le conflit, figurent également ceux qui ayant fui la guerre ont trouvé un abri, généralement provisoire, à l’intérieur du pays. Les Belges représentent la majorité de ces réfugiés. Dans la sous-série International, sous les cotes 179-180 sont conservés des documents relatifs à ces réfugiés en zone occupée comme en zone libre, au personnel belge réclamé par les autorités allemandes, à la libération des Belges d’Eupen et de Malmédy, aux recherches de particuliers et enfin au rapatriement des réfugiés. Les ressortissants espagnols ayant trouvé refuge en France à la fin de la guerre civile, lors de la Retirada sont victimes des mesures d’internement adoptées par le régime de Vichy qui encourage, un temps, leur départ pour l’Amérique. Les volumes 281 à 290 de la sous-série International évoquent ainsi directement le sort de ces réfugiés politiques espagnols en France, celui des enfants espagnols (volume 283), l’émigration en Amérique des réfugiés espagnols et la négociation de l’accord franco-mexicain du 21 août 1940 (volume 284). Ces dossiers renseignent également sur les accords franco-espagnols Bérard-Jordana et les revendications du gouvernement espagnol sur les biens et avoirs emportés par les réfugiés ainsi que sur les avoirs des Espagnols établis en Tunisie (volume 285). Le rapatriement des réfugiés espagnols entre 1941 et 1943 (volume 286), les activités politiques de ces réfugiés sur le sol français mais aussi les liens qu’ils entretiennent avec les opposants au général Franco demeurés dans la péninsule ibérique (volume 287) sont également évoqués. Les deux derniers volumes, soit les numéros 288-289, concernent les demandes d’extradition formulées par le gouvernement espagnol. La question des réfugiés espagnols est encore évoquée dans la sous-série Amérique, notamment sous les cotes 71 à 74. Les deux volumes 72 et 73 traitent directement des travaux de la commission franco-américaine des exilés espagnols. Un autre volume concerne les distributions de secours effectuées par les légations mexicaine et suédoise ou encore le Secours national, aux réfugiés espagnols. On retrouvera le même sujet et les travaux de la commission franco-américaine dans le supplément de la série, sous la cote 197. Signalons encore, dans la sous série Amérique, le volume 148 relatif à la politique extérieure de l’Argentine, l’offre du gouvernement argentin d’accueillir un millier d’enfants juifs. Enfin, la sous-série Maroc, sous la cote 33, contient des informations sur le séjour en zone française de réfugiés provenant de la zone espagnole.
9À côté des réfugiés des pays de l’Axe et des Espagnols, les ressortissants d’autres États sont représentés dans les différentes sous-séries de Vichy. C’est le cas des Russes avec d’une part dans la sous-série International et sous les cotes 857 à 859 le sort des Russes blancs en France entre 1939 et 1944, mais également à l’étranger où leurs activités font l’objet d’une surveillance constante. Par ailleurs les dossiers de la Délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés contiennent un dossier intéressant sur l’Office central des réfugiés russes en France, conservé sous la cote 40. Le volume contient en effet des documents sur le sort des réfugiés, l’internement des Russes dans le camp du Vernet, l’émigration russe avec notamment une correspondance avec le prince Gortchakoff, le retour des réfugiés en zone occupée, l’aide aux associations, l’arrestation des responsables du Comité central des refugiés russes en mai 1940 ou encore les Comités d’assistance aux émigrés russes, ukrainiens et caucasiens. Dans le même volume, est conservé un sous-dossier relatif à l’Office des réfugiés ukrainiens entre 1940 et 1944.
10Toujours dans la sous-série Délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés, un volume est consacré à l’Office des réfugiés d’origine géorgienne de Paris. Le responsable de l’office, Serge (ou Sossipâtre) Assathiany, sollicite en effet l’intervention de la Délégation pour assurer la protection de la colonie géorgienne, et notamment des Géorgiens de confession juive1. Ce dossier livre encore des informations précieuses sur l’intervention des autorités allemandes d’occupation dans le fonctionnement de l’Office en 1941 ainsi que sur l’arrestation et la libération de Serge Assathiany en février-mars 1943. Dans la sous-série International, le volume 905 a trait aux activités de la Croix-Rouge polonaise et des groupements d’assistance aux Polonais pour les années 1940 à 1944.
11Sur le plan économique, la question des étrangers est évoquée dans le volume 234 de la sous-série État français, qui, sous l’intitulé « Production et travail », contient un dossier qui porte notamment sur l’utilisation de la main-d’œuvre étrangère. De façon plus anecdotique, cette recension se terminera avec les dossiers relatifs aux étrangers engagés dans la Légion étrangère pour la période considérée, dossiers conservés sous les cotes 218-219 de la sous-série État français ou encore dans le volume 222 de la même sous-série qui porte sur les décès de militaires étrangers pendant les années 1942 et 1943. Enfin, il convient de ne pas négliger les dossiers relatifs à l’admission d’étrangers dans les établissements d’enseignement français pendant la guerre ainsi qu’à l’attribution de bourses à des étudiants étrangers. Ces informations figurent notamment dans le volume 237 de la sous-série État français ainsi que dans les dossiers pays de la sous-série Œuvres françaises à l’étranger. À titre d’exemple, dans les dossiers relatifs à l’URSS (volume 163), figurent des informations sur les bourses d’étudiants accordées à des Arméniens, Géorgiens, Russes et Ukrainiens.
12Cette évocation, non exhaustive, des sources relatives aux étrangers dans la série Guerre 1939-1945 Vichy, illustre, par la variété des thèmes évoqués et la richesse des sources indiquées, l’impressionnant panorama qui s’ouvre aux chercheurs qui travaillent sur les étrangers et les réfugiés en France aux Archives diplomatiques. Cette recension constitue ainsi une première étape du guide des sources en cours de préparation dans le cadre du partenariat engagé entre les Archives diplomatiques et l’Ofpra. Cet instrument de recherche révélera dans leur véritable dimension, le tableau des ressources dont dispose le ministère des Affaires étrangères et du Développement international dans ce domaine et qu’il offre aux chercheurs et au grand public.
Notes de bas de page
1 Voir la contribution de Mirian Méloua dans le présent volume.
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