Dynamiques de la pratique et enjeux institutionnels : la mise en place des cadres juridiques et administratifs de l’Ofpra (1952-1953)
p. 181-204
Texte intégral
1L’ouverture des archives de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) permet de retracer de l’intérieur la mise en place de cet établissement public entre septembre 1952 et décembre 19531. Cette période de démarrage fait, sans surprise, une large place aux questions d’organisation et de financement mais s’avère également décisive quant à la mise au point des méthodes et outils de travail de l’institution (entretiens, documentation, rédaction des décisions) et à l’interprétation du droit applicable. Dans le cadre d’une publication sur l’invention de l’Ofpra, il est intéressant d’identifier les principaux thèmes sur lesquels on s’interrogeait en 1953. Sur tous ces points, l’ouverture des archives en 2012 a réservé quelques surprises, dont certaines de taille. Et le versement en mars 2013 du fonds Paul Chastand est venu utilement combler quelques lacunes dans les connaissances relatives à cette période2.
Instabilité institutionnelle et incertitudes juridiques (1950-1952)
2Si la période allant de septembre 1952 à décembre 1953 apparaît comme décisive pour l’Ofpra, le contexte général du début des années 1950 est celui d’une paralysie déjà perceptible des institutions de la IVe République, de grandes difficultés budgétaires, d’une remise à plat de très nombreuses législations en application du programme du Conseil national de la résistance et du bouleversement que va entraîner la convention de Genève du 28 juillet 1951. Le projet de loi créant l’Ofpra est examiné par la commission permanente du Conseil d’État le 14 novembre 19503 et déposé au Parlement fin novembre. Cette loi aurait, dans la meilleure des hypothèses, dû être votée avant le 1er janvier 1950, date d’expiration alors supposée du mandat de l’Organisation internationale des réfugiés (OIR), afin d’éviter toute rupture dans la continuité de la procédure d’éligibilité et l’exercice de la protection administrative des réfugiés. Elle ne sera en réalité définitivement votée que le 25 juillet 1952. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) salue le vote dans un communiqué du 22 juillet 1952 en soulignant trop rapidement sans doute qu’« à la satisfaction de tous les réfugiés résidant en France, on peut aujourd’hui considérer comme terminée la période d’incertitude qui a suivi la cessation de l’activité de l’Organisation internationale des réfugiés4 ». De même, la convention de Genève du 28 juillet 1951, signée par la France le 11 septembre 1952 (soit juste après le vote de la loi du 25 juillet 1952 qui y fait référence dans son article 2) n’est entrée en vigueur qu’à la suite de la publication au Journal officiel (JO) du 29 octobre 1954 du décret du 14 octobre 1954 assurant la publication de cette convention.
3Cette publication tardive des deux textes fondamentaux pose d’emblée de délicats problèmes d’entrée en vigueur. Lors de la réunion de la Commission interministérielle pour la protection juridique des réfugiés du 6 octobre 19525, la directrice du Service social d’aide aux émigrants (SSAE) « demande à partir de quelle date la nouvelle convention pour les réfugiés doit être considérée comme applicable ». Les représentants du ministère des Affaires étrangères (MAE) répondent que les conventions antérieures à la convention de 1951 restent en vigueur et qu’en vertu de son article 45, la convention de 1951 n’entrera en vigueur qu’après six ratifications et qu’une partie de ses dispositions n’a donc pas encore de valeur légale mais que d’autres, reprises par la loi du 25 juillet 1952, sont de ce fait immédiatement applicables. Le représentant de l’Ofpra souligne que cette analyse emporte des conséquences très importantes pour le statut personnel des réfugiés : tant que la convention de 1951 n’est pas entrée en vigueur, ce statut reste régi par l’ancienne loi nationale ; « après cette entrée en vigueur, il sera basé sur la loi du pays du domicile ». La commission conclut qu’« il y a lieu de s’assurer que la validité des certificats délivrés par l’office ne sera pas contestée par les tribunaux ». Cette formulation confirme, s’il en était besoin, la grande fragilité juridique des activités de l’Office à cette époque. Dans une note du 27 février 19516, il est indiqué à cet égard que « depuis le 1er janvier 1951, la protection exercée en France par l’OIR n’a plus qu’une valeur de fait et les actes que délivre sa délégation à Paris sont sans valeur juridique à l’égard des tribunaux français ; même sur le plan administratif il devient de plus en plus difficile de les faire accepter par les administrations ministérielles et les préfectures. Il est donc indispensable de créer sans nouveau délai l’office français qui est prévu par la loi dont un article l’habilite à délivrer des actes ayant valeur authentique ».
4Indépendamment de cette situation juridique d’une rare complexité, les archives de l’Ofpra comportent une série de documents – partiels – sur la manière dont a été organisée la soudure entre l’ancien dispositif (international avec l’OIR) et le nouveau (national avec l’Ofpra) ou sur la mise en place, chaotique, des nouvelles institutions nationales parallèlement à celle des nouvelles institutions internationales. Une note de la Direction des affaires administratives et sociales (DAAS) du MAE adressée au ministre le 2 janvier 1951 campe remarquablement le décor7. Elle rappelle en premier lieu que la protection des réfugiés a été assurée depuis la fin de la Première Guerre mondiale par le Haut-Commissaire de la Société des Nations (SDN) de 1928 à 1940, par un bureau du MAE de 1942 à 1945 (installé 6 cité Martignac) puis par le Comité intergouvernemental pour les réfugiés créé à Londres en 1938 et dont le mandat a été élargi en 1943 puis par l’OIR, groupant les 18 États intéressés, en vertu d’un accord du 13 janvier 1948. Le vote des Nations unies créant en 1950 un Haut-Commissaire pour les réfugiés a conduit l’OIR, dont la cessation d’activité avait été décidée fin 1949, à mettre progressivement un terme à ses activités en Europe et en France8. Un accord avec le gouvernement français du 28 février 1950 (complété par deux échanges de lettres des 4 juillet et 20 août 1950)9, a réglé les modalités de reprise de ses activités. Le SSAE est chargé depuis le 1er juillet 195010 d’assurer l’assistance matérielle aux réfugiés tandis que leur protection juridique doit revenir au gouvernement français à partir du 1er janvier 1951, le financement de ces deux activités étant assuré jusqu’au 31 mars 1951 par un reversement de l’OIR qui conservera par ailleurs jusqu’au 30 septembre 1951 la charge de l’émigration et de la réinstallation des réfugiés. Plus de 300000 personnes sont concernées par cette réorganisation (réfugiés reconnus par l’OIR, réfugiés non reconnus par lui et apatrides). La note décrit en deuxième lieu la manière dont le gouvernement comptait assurer la prise en charge de la protection administrative grâce à la mise en place d’un office administratif doté de l’autonomie financière et relevant du MAE. Sa mise sur pied comporte une loi (soumise à l’examen de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale depuis le 12 décembre 1950), un budget (les crédits nécessaires à partir du 1er avril 1951 ont été inscrits au budget 1951 et votés par l’Assemblée nationale), un personnel (le directeur et la direction seront français et les conseillers étrangers ont été sélectionnés parmi le personnel employé par l’OIR) et un local11. Faisant totalement abstraction des délais nécessaires à l’adoption d’une loi – on ne voit pas comment une loi déposée sous l’impulsion du MAE fin novembre 1950 aurait pu être votée avant le 1er janvier 1951 –, la DAAS du Quai d’Orsay n’hésite pas à rejeter en ces termes la responsabilité du retard sur le Parlement : « En résumé, l’office de protection aurait pu fonctionner intégralement au 1er janvier 1951 si la loi le créant avait été votée. » Le directeur général de l’OIR a donc été sondé pour savoir s’il serait possible de prolonger sa mission pendant quelques semaines, ce à quoi il a répondu que du fait de la désignation du HCR, les pouvoirs administratifs de l’OIR prendraient irrémédiablement fin le 31 décembre 1951 mais qu’il pourrait fermer les yeux sur une prolongation de deux semaines à un mois si cela rendait service au gouvernement français. La note soumet donc en troisième lieu à l’approbation du ministre la solution suivante : sachant que l’office est en mesure de fonctionner immédiatement, « il n’y a pas d’autre solution que de créer l’office envisagé sous la forme d’un service administratif, sa transformation en office autonome devant intervenir dans le courant du premier trimestre après le vote de la loi ».
5Les lettres échangées entre le MAE et le délégué général en France de l’OIR de juillet à novembre 1950 pour préparer la création de l’Ofpra sont à resituer dans ce contexte mouvant de reconfiguration internationale des institutions de l’asile. On discute bien sûr le montant du budget qui sera à la charge du gouvernement français (et notamment le relèvement du niveau des droits de chancellerie) et le volume des effectifs qui sera repris par l’Office le 1er janvier 1951. Les crédits de personnel demandés correspondent finalement à 82 postes, avec une compression possible de 10 postes pendant la période transitoire12. Les échanges de notes entre les responsables des anciens offices (dont celui de l’Office central des réfugiés russes, Basile Maklakoff) et le DAAS insistent beaucoup, de 1950 au début de 1952, sur l’indispensable continuité du personnel de protection, en contact avec des publics étrangers. Dans le débat sur le choix entre un organe international ou national, les représentants des offices font valoir le concours qu’apportent des compatriotes connaissant les pays d’origine, leur histoire, leur culture et leurs lois et la valeur ajoutée de leurs services d’interprétariat ou d’authentification de documents. La supériorité du système de protection internationale tient, selon eux, à l’étroite association des offices nationaux qui jouent un rôle de filtre, de conseil et d’orientation. Le recrutement par l’Ofpra d’agents réfugiés et l’organisation de l’Office en sections nationales qui seraient les interlocutrices des offices nationaux leur apparaissent, pour les mêmes raisons, également comme indispensables. L’Office reprendra les bureaux de la délégation sis 7 rue Copernic où seront installés les agents et les archives de l’Ofpra tandis que les bureaux des offices russes et arméniens situés Cité Martignac seront évacués fin décembre 1950 au moment où ces offices cesseront leur activité et le bail de l’Office espagnol rue des Pyramides sera résilié pour le 1er janvier 1951. L’OIR voyant son activité prolongée jusqu’au 30 septembre 1951, est également abordée dans une note manuscrite du 20 mai 195113 la distinction à établir pendant la période de cohabitation forcée entre une « éligibilité protection » à placer entièrement sous l’autorité du délégué du MAE14 et une « éligibilité émigration » qui resterait seule sous la direction du délégué de l’OIR.
6L’OIR n’ayant finalement cessé son activité que le 31 janvier 1952, la solution provisoire envisagée début 1951 est en définitive mise en place par un arrêté du secrétaire général du Quai d’Orsay signé le 6 mars 1952 qui crée au 7 rue Copernic, dans les anciens locaux de l’OIR, un service provisoire de protection des réfugiés. Cet arrêté autorise la délivrance gratuite d’un nombre limité de documents d’état civil aux réfugiés antérieurement sous le mandat de l’OIR mais rien n’est prévu pour les autres. Cette solution va durer jusqu’à l’entrée en activité de l’Ofpra le 22 septembre 1952. Ce service provisoire, selon le premier rapport d’activité de l’Ofpra, « avec des moyens de fortune, a pourvu pendant six mois aux besoins les plus pressants des réfugiés, leur délivrant des certificats et documents divers, légalisant leurs signatures, authentifiant des pièces et fournissant des traductions. Toutefois, en l’absence d’une loi, ce Service n’était pas habilité à délivrer des documents d’état-civil, inconvénient grave qui empêchait les réfugiés d’accomplir les actes les plus importants de la vie civile, spécialement le mariage15 ». De manière plus elliptique mais néanmoins claire, ce même rapport implique que les demandes d’admission au statut de réfugié n’ont pas pu non plus être toutes satisfaites durant cette période transitoire et les premiers mois d’activité de l’Ofpra : « au cours des trois derniers mois de 1952 et pendant le premier semestre de 1953, il y eut un afflux de demandes de protection présentées par des réfugiés qui n’avaient pu recevoir satisfaction pendant la période intermédiaire, par de nouveaux réfugiés récemment arrivés en France et par un certain nombre de personnes qui ne s’étaient pas, volontairement ou non, fait connaître de l’OIR ». Plusieurs documents antérieurs16 ou postérieurs à l’arrêté du 6 mars 1952 déplorent, en termes moins diplomatiques, la quasi-interruption du service depuis le 1er février 1952 et durant de très longs mois, qu’il s’agisse de la délivrance des documents d’état-civil ou de l’instruction des demandes de protection. Par exemple, treize organisations de réfugiés s’alarment dans une lettre commune du 5 août 1952 adressée au ministre des Affaires étrangères de l’absence de toute protection régulière depuis le 31 janvier 1952 et des retards observés dans l’application de la loi du 25 juillet 195217. En réalité, la situation de vide juridique préjudiciable aux réfugiés va perdurer jusqu’à juillet 1953 au moins pour les demandes d’admission au statut puisque l’Office n’a délivré aux demandeurs que des réponses d’attente jusqu’au moment où la Commission des recours des réfugiés (CRR) s’est trouvée en état de fonctionner18, son propre démarrage d’activité conditionnant l’exercice de la voie de recours prévue par la loi de 1952 contre les décisions de l’office selon des modalités qui n’ont été fixées que dans le décret du 2 mai 1953. Même si les documents officiels restent très cursifs sur le sujet, ils ne dissimulent pas que les réfugiés ont bénéficié d’un service nettement dégradé durant la période d’instabilité institutionnelle et d’insécurité juridique qui va du début de l’année 1951 à l’été 1953.
Mise en place et niveau d’activité de l’Ofpra (septembre 1952-fin 1953)
7Le premier directeur de l’office, Jean Lescuyer, ambassadeur de France, est nommé par décret du 11 août 1952 et reste en fonction jusqu’au 1er novembre 1954. Selon son premier rapport d’activité19, l’Ofpra a commencé à fonctionner le 22 septembre 1952, soit deux mois après le vote de la loi du 25 juillet 1952 et sept mois avant la publication du décret du 2 mai 1953 relatif à cet office. Les deux grandes missions de l’Office sont fixées par les articles 2 et 4 de la loi de 1952 et par les articles 2, 3 et 5 du décret de 1953 mais des notes internes les commentent dès avant la publication complète de ces deux textes. Ainsi, une note interne rédigée avant la publication du décret du 2 mai 195320 distingue deux grandes missions : la protection juridique et administrative des réfugiés et apatrides et la reconnaissance de la qualité de réfugié ou d’apatride. En ce qui concerne la première mission, elle indique que « le décret portant règlement de l’Office précisera ses attributions reprises de l’arrangement du 30 juin 1928 et de la convention du 28 octobre 1953 qui seront les suivantes… ». En ce qui concerne la seconde, la même note renvoie à la définition des réfugiés où il est indiqué que « les diverses conventions auxquelles la France est partie créent une obligation au Gouvernement français en faveur de certaines catégories de réfugiés ; elles sont mentionnées dans l’article 1er de la convention du 28 juillet 1951 ». Dépositaires des engagements internationaux de la France et des bonnes pratiques en matière d’asile développées depuis la fin de la Première Guerre mondiale, les services du Quai d’Orsay et l’Ofpra assurent en permanence le lien entre le passé et le présent et démontrent une bonne capacité à préfigurer ou à concevoir le droit nouveau dans la continuité des conventions internationales antérieures, avec le risque, qui se vérifiera en certaines occasions, d’un certain conservatisme de la part du MAE.
8Le conseil d’administration se réunit pour la première fois le 26 mai 1953, une deuxième fois le 14 octobre et une troisième fois le 16 décembre21. Il traite bien sûr de la situation budgétaire de l’office, de la rémunération des agents, de la création de la CRR et de la section du contentieux de l’Office, de la désignation du représentant du conseil à la CRR mais aussi de l’interprétation de la convention de Genève et de la loi du 25 juillet 1952 ainsi que de la doctrine de l’Office sur le statut de réfugié et d’apatride. Sur le plan budgétaire, les débuts de l’Ofpra présentent un aspect homérique, les paies ne pouvant être engagées à temps du fait du retard de nomination d’un agent comptable22 : la cessation de son activité fin janvier 1952 a entraîné la mise au chômage des anciens salariés contractuels de l’OIR. Une soixantaine d’entre eux a néanmoins continué à travailler bénévolement pour l’office en cours de création, non sans « déprime » en raison des atermoiements dans sa création si l’on en croit une note manuscrite du 20 mai 1951, et ont repris leur travail régulier le 1er juillet 1952. Pendant cette période, ils ont bénéficié d’indemnités de chômage ou de secours du SSAE. Mais en octobre 1952, certains ne sont toujours pas payés. Parmi les recettes de l’Office figurent les droits de chancellerie. Leur montant étant fixé par le décret du 25 septembre 1952, la note de service n° 11 reprend ce barème à l’attention des agents, en rappelle la date d’entrée en vigueur – le 3 octobre – et détaille les cas de dispense de paiement. Le projet de budget pour 1954 se monte à 62 millions de francs en recettes (46 millions de subventions de l’État et 16 millions de recettes propres) et en dépenses (dont 52 millions de rémunérations et charges sociales).
9En 1953, le personnel de l’Office compte 74 personnes. Le directeur et le secrétaire général sont des agents des Affaires étrangères. Spécificité du nouvel établissement et conformément aux attentes exprimées par les dirigeants des anciens offices, la moitié du personnel est composée de réfugiés de divers pays, qui en connaissent bien les coutumes et les langues, engagés par contrats de trois mois renouvelables. Une vingtaine d’entre eux possèdent la qualité d’officier de protection : le rapport d’activité de l’Office sur la période allant de septembre 1952 à octobre 195423 relève à cet égard que « ces officiers de protection appartenaient à l’élite intellectuelle et morale de leur nation. Ils ont occupé pour la plupart, avant d’être réfugiés, d’importantes situations dans la politique ou dans les services diplomatiques et consulaires ». On peut constater l’importance attachée à l’accueil du public dans les locaux dont témoignent les premiers rapports d’activité : environ 3500 documents sont délivrés mensuellement (avec une recette de 1500000 francs) et plus de 2000 visiteurs sont reçus chaque mois. Dans un communiqué relatif à l’année 195324, il est indiqué que l’Ofpra a délivré 43943 documents en 1953 et enregistré 69222 lettres à l’arrivée et au départ, « ce qui explique les lenteurs dont se plaignent parfois ceux qui ont recours aux services du 7 de la rue Copernic », lenteurs qu’il conviendrait d’attribuer au sous-calibrage des moyens de l’Office. Selon une note du 11 mai 195325 du directeur de l’Ofpra, l’Office a enregistré 6080 nouveaux réfugiés entre septembre 1952 et fin mars 1953, dont 1759 Polonais, 1659 Espagnols, 768 Russes, 614 Yougoslaves, 293 Tchécoslovaques, 215 Ukrainiens, 180 Roumains et 139 en provenance d’URSS.
10Selon le premier rapport d’activité de l’Ofpra26, la CRR a tenu sa première réunion fin juillet 1953 et a examiné durant cette année 120 affaires, 65 concernant des décisions prises par l’Ofpra et 55 des décisions prises par le ministre de l’Intérieur (avis sur les restrictions au séjour). S’agissant des décisions prises par l’Ofpra, 48 ont été confirmées et 13 annulées si bien que le taux d’annulation ressort à 20 % Selon le rapport d’activité de l’Ofpra portant sur la période septembre 1952-octobre 1954, 192 recours ont été enregistrés à ce titre par la Commission, qui a rendu 47 avis. Ce rapport ajoute que « l’expérience a mis en lumière la précarité de la situation de très nombreux réfugiés qui, bénéficiant de l’effet suspensif de leur recours en matière d’expulsion, ne peuvent durant les mois d’instruction de leur affaire exercer leur droit au travail : en effet, les mesures administratives qui les frappent entraînent automatiquement le retrait de leur carte de travail ». Il est donc recommandé « d’étendre l’effet suspensif des recours au domaine du travail et de permettre, par des autorisations renouvelables aux réfugiés ayant interjeté l’appel devant la Commission de continuer à travailler ». La nécessité de conférer un caractère suspensif au recours devant la CRR est bien identifiée par l’Ofpra à ses débuts. Pour défendre ses décisions devant la CRR, l’Ofpra a mis en place en juillet un bureau du contentieux dont la création avait été décidée le 26 mai 1953 par le conseil de l’Office et composé de trois personnes (un chef de bureau, Suzanne Bidault, un secrétaire administratif, Jacqueline Massat, et une dactylo). En 1953, il a transmis 189 rapports ou mémoires en défense à la CRR et reçu notification de 35 décisions ; il a également accueilli 200 visiteurs. L’activité de ce bureau concerne surtout les réfugiés espagnols à qui l’Ofpra a notifié durant le dernier trimestre 504 décisions de rejet et 150 de retrait (par comparaison, les autres sections ont notifié de 15 à 20 rejets par mois).
11Sans qu’il s’agisse nécessairement d’une pratique régulière, il semble que les méthodes de travail ont été parfois débattues au sein d’un comité de direction27 avant de donner lieu à formalisation dans des notes de service. Celles-ci28, dont la forme semble héritée de l’OIR, permettent d’appréhender les méthodes de travail attendues du personnel de l’Office. Ainsi, dès ses débuts, l’Office tente de standardiser ses décisions et ses certificats à l’aide de modèles dont l’usage est prescrit à tous les agents. Il met également au point des modèles d’avis de rejet et de retrait du statut ou d’attestation permettant aux femmes de réfugiés espagnols de faire état de leur lien de parenté avec un réfugié. En dépit de ses effectifs limités, l’Ofpra apparaît, à la lecture de ses premières notes de service, comme un établissement fortement hiérarchisé et très directif vis-à-vis de ses agents, dont les actes et comportements professionnels sont fermement encadrés. Les documents d’archive ne permettent pas, à ce stade, de mettre en évidence la justification d’un tel parti pris : souci de cohérence dans les décisions ou de sécurité juridique, d’efficacité et de gain de temps, facilitation du contrôle hiérarchique, lisibilité pour les destinataires. La question de la documentation semble avoir été rarement abordée. Elle l’est au moins une fois lors de la commission interministérielle du 1er décembre 195229 à l’occasion de l’examen des questions de nationalité. Le représentant du ministère chargé de la population fait observer « qu’en raison de la complexité des problèmes qui se poseront, l’Office devrait se créer une documentation sur les législations étrangères en matière de nationalité ». Une longue discussion s’ensuit. « Me Rubinstein possédait une documentation considérable, mais il l’a emportée. Chaque officier de protection s’est naturellement constitué une documentation personnelle. D’autre part, la bibliothèque d’un avocat polonais a été rachetée. » Le président conclut qu’il est toujours possible de se documenter à la Chancellerie et qu’un crédit de 500000 francs permet à l’Office de procéder à des consultations juridiques30. Sont ainsi dès le départ mis en évidence quelques traits caractéristiques de la question documentaire à l’Ofpra : l’absolue nécessité d’une documentation à jour pour exercer correctement les missions ; l’importance des documentations personnelles des officiers de protection en l’absence d’organisation collective performante ; la fragilité des fonds personnels ; la dispersion des fonds publics et la difficulté de constituer un fonds centralisé et exhaustif ; la limitation des moyens budgétaires.
Formalisation des règles de fond à appliquer pour la détermination du statut de réfugié
12Plusieurs notes de doctrine signées en 1953 précisent les règles à appliquer aux demandeurs d’asile et le contenu de certaines d’entre elles est ensuite repris dans les notes de service signées par le directeur de l’Ofpra. Parmi ces notes, celle du 19 mai 195331 décrit le régime appliqué aux réfugiés (entrée, séjour, travail, exercice des professions commerciales, industrielles, agricoles ou réglementées, chômage, sécurité sociale) en distinguant, avant l’entrée en vigueur de la convention de 1951, entre les réfugiés soumis à réciprocité dont les avantages sont moindres et les réfugiés dits statutaires qui bénéficient de la dispense de réciprocité diplomatique et dont les avantages sont plus étendus. La note souligne ensuite que la dispense de réciprocité législative est étendue à tous les réfugiés en vertu de la convention de 1951. À vocation essentiellement descriptive ou explicative, ces notes prennent parfois parti sur des questions de droit délicates dont la solution sera contredite ultérieurement par la jurisprudence. La note du 19 mai 1953 relève ainsi au sujet de l’expulsion que ni la convention de 1951 ni la loi de 1952 n’évoquent l’assignation à résidence des réfugiés indésirables en France car munis d’un casier judiciaire mais qu’aucun pays ne souhaite accueillir. Elle en induit que « cette mesure administrative… aurait pour conséquence pratique d’éviter de la part des réfugiés le recours contre une décision administrative qui n’est pas l’expulsion ». La CRR va rapidement se prononcer dans un sens contraire et admettre les recours contre tous les types de décisions, y compris les assignations à résidence32.
13La note de service n° 1033 pose ainsi deux règles fondamentales : « l’éligibilité des réfugiés ne peut être déterminée au bénéfice du doute » ; « les femmes et les enfants mineurs qui rejoignent ou ont rejoint le chef de famille reconnu déjà comme réfugié, ne peuvent être admis à l’éligibilité, à moins qu’ils n’aient à se réclamer personnellement d’événements survenus avant le 1er janvier 1951 ». La position exprimée dans cette note a été rapidement remise en cause par la jurisprudence de la CRR. Dans son rapport d’activité pour la période qui va de septembre 1952 à octobre 1954, l’Ofpra relève en effet que « certaines décisions de la CRR ont fait jurisprudence. Il s’agit plus particulièrement de décisions concernant les parents proches de réfugiés espagnols (épouse ou enfants) qui, d’Espagne, viennent rejoindre leur mari ou leur père et mère réfugiés inscrits à l’Office et ne peuvent, de ce fait, obtenir un passeport national en France ». Une autre note, rédigée par le jurisconsulte de l’Office, précise la définition de l’apatride et du réfugié. Son contenu est repris à l’identique dans la note de service n° 39 adressée aux agents. Une note du 4 novembre 1952 adressée pour information aux officiers de protection comporte un extrait du procès-verbal de la réunion interministérielle du 6 octobre 1952 au cours de laquelle a été abordée la distinction entre réfugiés et apatrides et a été donnée la définition, acceptée par tous les délégués, de l’apatride : toute personne qui n’est saisie par aucune loi interne sur la nationalité. Le nombre d’apatrides vivant en France est alors estimé à 5000, dont 500 par déchéance de la nationalité française34.
14Le conseil de l’Office, qui comprend représentants ministériels et représentants de l’Office, se prononce également sur plusieurs points de droit délicats et sur l’interprétation de la convention de Genève, ce qui invite à mesurer le pouvoir effectif de décision et d’interprétation du directeur, reconnu dans les textes fondateurs de l’Office. En pratique, il semble que le conseil ne se soit pas borné à donner des avis ; sur quelques questions, il a en réalité arrêté la position de l’Office. Le 14 octobre 1953, le conseil consacre l’essentiel de ses débats à l’interprétation de l’article 2 de la loi du 25 juillet 1952, c’est-à-dire aux catégories de réfugiés qui relèvent de l’Office35. Deux thèses sont en présence, étant précisé que ce débat est soulevé au sujet de la décision à prendre sur le cas Abril de Vivero36, réfugié péruvien sous mandat du HCR qui ne répond pas à la définition du réfugié donnée par la convention de Genève. Attitude déjà relevée chez ce directeur du Quai d’Orsay, le président du conseil, Jean Serres, impute en ces termes cette difficulté au législateur : « la difficulté d’interprétation résulte de la rédaction défectueuse de l’article 2 de la loi du 25 juillet 1952. Celui-ci vise à la fois le mandat du Haut-Commissaire et la Convention, alors qu’ils sont en opposition. Le mandat du Haut-Commissaire est sans limitation, la convention est limitée dans le temps et dans l’espace, tout au moins en ce qui concerne la France » et ajoute un peu plus loin « le texte de loi a été complètement remanié par la Commission des affaires étrangères, en dehors de la direction des affaires administratives ». Le débat du conseil, de haute tenue, tourne ensuite sur la question de savoir s’il faut interpréter la loi de 1952, la convention de 1951 qui reprend la définition de toutes les catégories de réfugiés ou le mandat du HCR qui est moins clair. Le délégué en France du HCR souligne que le « ou » qui figure à l’article 2 de la loi du 25 juillet 1952 ne peut pas être assimilé à un « et ». Puis, pour écarter l’analyse de M. Serres selon laquelle les Américains du Sud ne seraient bénéficiaires que du droit d’asile et comme tels administrés par le ministère de l’Intérieur seul, il suggère d’accorder « certains avantages aux réfugiés sous mandat du Haut-Commissaire, tout au moins en matière de séjour et droit d’asile » ; pour écarter la position du représentant du ministère de l’Intérieur qui n’a pas d’objection à l’analyse de M. Serres et estime qu’« il faut distinguer très nettement les deux catégories, l’une qui bénéficie de la convention, l’autre non », le délégué oppose la circulaire du ministre de l’Intérieur du 26 mai 1953 qui admet que tous les réfugiés sous mandat du HCR relèvent de l’Office. Le débat se déplace alors sur le terrain de la nécessaire clarté des catégories de réfugiés (convention de 1951 et mandat du HCR) et de sémantique. M. Serres rappelle alors « qu’il y a trois catégories de réfugiés : les “statutaires” (anciens réfugiés qui continuent à bénéficier de droits acquis) ; les “conventionnels” (convention de 1951) ; les réfugiés de fait (réfugiés sous mandat du Haut-Commissaire). Mais il est à craindre que le mot “réfugié”, s’il est employé pour cette dernière catégorie, n’induise en confusion ». Rétorquant au représentant du ministre du Travail qui reprenait à son compte la suggestion du délégué en France du HCR d’admettre que les réfugiés sous mandat du HCR pourraient, dès maintenant et sans attendre le résultat du vote du Parlement sur la loi de ratification de la convention de 1951, relever de l’Office sans bénéficier de cette convention, M. Serres « craint que ce ne soit pas une bonne solution. Une fois les réfugiés admis comme tels, il ne sera plus possible de les rejeter. Une distinction dans la dénomination devrait exister dès maintenant. Lorsqu’un réfugié de l’espèce se présente à lui, l’Office pourrait adresser une lettre au ministère de l’Intérieur indiquant que l’intéressé ne relève pas de la convention aux termes de la définition du réfugié, mais se trouve sous mandat du Haut-Commissaire. L’Office donnerait à l’intéressé une référence de la lettre, ce qui lui permettrait de se présenter à l’Intérieur ». Le conseil décide finalement d’examiner la mise au point de la question dans ce sens. Signalons toutefois que dans sa décision Abril de Vivero du 6 octobre 195437, la CRR a clairement tranché la question en ce sens que la loi du 25 juillet 1952 revêt un champ d’application plus large que celui de la Convention de Genève puisqu’elle vise également les réfugiés relevant du mandat du HCR. On peut ainsi constater que la formalisation de toutes ces règles de fond par l’Ofpra, qui engage l’avenir et conditionne la correcte application du droit dans le futur, n’est pas le résultat d’un travail isolé mais d’une vaste concertation interministérielle dont l’ouverture des archives a révélé l’ampleur. Et à l’issue de la concertation interministérielle, la plupart de ces règles sont validées par le conseil de l’Office.
Un établissement public autonome mais en lien étroit avec les administrations françaises
15Même s’il a été créé – à l’issue d’un long débat – sous la forme d’un établissement public autonome, l’Ofpra ne se conçoit pas et n’est pas géré comme une administration isolée des autres. L’Office entretient des liens avec de nombreux services français. Comme l’indique son premier rapport d’activité, pour assurer la protection juridique et administrative des réfugiés et apatrides, l’Office est « en rapport constant à Paris avec les ministères de l’Intérieur et du Travail et avec la préfecture de police et, en province, avec les préfectures pour les nombreuses démarches, verbales ou écrites, que nécessite cette protection. C’est ainsi que l’Office doit intervenir fréquemment auprès de ces administrations pour faire observer les prescriptions de la Convention du 28 juillet 1951 en ce qui concerne, par exemple, les droits des réfugiés en matière de séjour et de travail, l’assistance judiciaire, l’assistance médicale gratuite, les bourses scolaires en faveur des enfants des réfugiés et le retrait des expulsions ou des refoulements, conformément aux règles établies par la convention internationale38 ». Plusieurs documents d’archive attestent de cette étroitesse des liens avec les autres administrations qui remonte à la période antérieure à la création de l’Office et qui se poursuit après celle-ci.
16Une Commission interministérielle pour la protection juridique des réfugiés se tient sous l’égide de la DAAS du MAE. Elle réunit, dans son bureau, des représentants du MAE, des ministères de la Santé publique et de la Population, de l’Intérieur, du Travail et de la Sécurité sociale, de la Justice, de l’Office des réfugiés et du SSAE. Cette commission s’est d’ailleurs réunie avant la mise en place de l’Ofpra : un courrier n° 354 du ministre de l’Intérieur39 mentionne par exemple la conférence tenue le 28 avril 1952 au Quai d’Orsay au sujet des mesures envisagées en vue d’assurer, au moins partiellement, la protection juridique des réfugiés en attendant que le Parlement ait statué sur le projet de loi portant création de l’Ofpra. Une note antérieure de la DAAS, non datée, adressée à M. Chastand fait état de deux réunions de la Commission interministérielle, l’une le 21 septembre, l’autre le 11 octobre, pour examiner une demande d’avis au Conseil d’État portant sur la constitution d’un Office central de réfugiés (expédient provisoire présentant l’avantage d’une procédure accélérée), les statuts de cet Office et un projet de loi portant création d’un Ofpra. Cette dernière mention donne à penser que cette note date de 1950 et concerne les travaux préalables à la saisine du Conseil d’État intervenue peu après. La réunion du 6 octobre 1952 traite de l’apatridie (typologie et nombre) et de la position française sur le projet de convention préparé par l’ONU qui est examiné article par article avant la réunion de la 7e session de son Assemblée générale. Les archives de l’Ofpra permettent de retracer la suite de cette discussion. Par résolution du 6 novembre 1952, l’assemblée générale des Nations unies a demandé aux États de se prononcer sur les articles de la convention de 1951 qu’ils seraient disposés à étendre aux apatrides et de présenter leurs observations au Conseil économique et social. Une note du MAE adressée le 16 avril 195340 au directeur de l’Ofpra rappelle l’accord intervenu en octobre 1952 sur les clauses de la convention de 1951 à étendre aux apatrides et propose pour observation un projet de réponse au secrétaire général de l’ONU. Ce projet invite à définir l’apatridie dans l’un des considérants du protocole et s’oppose à l’extension aux apatrides d’une part des articles 23 (assistance publique) et 24 (sécurité sociale) au motif qu’on peut appliquer sans inconvénient aux apatrides le statut des étrangers en général, d’autre part des articles 31 et 32 relatifs à l’expulsion au motif que les apatrides ne sont menacés ni dans leur vie ni dans leur liberté. Dans une note du 24 avril 195341 adressée au MAE, le directeur de l’Ofpra insiste sur les inconvénients de la non-extension des articles 23 et 24 aux apatrides en invoquant le cas des apatrides d’origine turque et de confession israélite qui résident depuis longtemps en France et se voient refuser par le ministère des Anciens Combattants les droits à pension alloués aux parents de déportés au motif qu’ils ne bénéficient ni du statut Nansen ni de la convention de 1951. Il en va de même pour l’allocation aux vieux travailleurs salariés en l’absence d’accord de réciprocité, accord dont les apatrides ne peuvent, par définition, pas bénéficier. Elle suggère que l’Office puisse signaler aux organismes de sécurité sociale et au ministère des Anciens Combattants les cas jugés dignes d’attention particulière par l’Office.
17La commission aborde aussi la question des réfugiés espagnols sous plusieurs aspects : l’impact de la barrière de la date du 1er janvier 1951 sur le sort des nouvelles demandes et la possibilité pour l’Office d’avoir connaissance des premières déclarations faites à la police par les nouveaux arrivants ; la situation des femmes de réfugiés venant rejoindre leur mari mais pour qui le statut des réfugiés espagnols doit être considéré comme non extensible aux autres membres de la famille, sous réserve d’une étude très poussée. La réunion du 24 novembre 195242 revient sur la situation des réfugiés espagnols à laquelle elle est presque entièrement consacrée. On décide par exemple que les Espagnols entrés sous couvert d’un passeport national « ne seront reconnus réfugiés qu’à titre tout à fait exceptionnel », après enquête dans chaque cas pour savoir comment le passeport a été obtenu. On revient sur la situation des enfants et sur celle, plus complexe, des femmes de réfugiés. Le représentant du ministre de la Santé et de la population explique que le statut personnel réservé aux Espagnols en vertu de la convention consulaire de 1862 est parfaitement satisfaisant et que le statut de réfugié ne donne que deux possibilités supplémentaires, celle de divorcer et le régime des tutelles, mais « ce ne sont que des questions de détail ». Il poursuit : « Actuellement, les Espagnols viennent le plus souvent en France pour trouver de meilleures conditions de travail. Comme ce sont en général des gens frustes, qui veulent éviter de longues démarches, ils passent clandestinement la frontière et, sachant que c’est là le seul moyen de ne pas être refoulés, ils imputent à la politique du général Franco les motifs de leur entrée irrégulière. Si la situation de ces travailleurs pouvait être régularisée autrement, ils renonceraient à demander le statut de réfugié. » Le représentant de l’Office invite à distinguer trois périodes et confirme que « depuis février 1948, la plupart des Espagnols viennent en France pour des motifs d’ordre économique et ne sont pas réfugiés ». Après discussion, on conclut qu’« il est convenu qu’en principe ces épouses seront considérées comme Espagnoles. Si elles veulent émigrer avec leur mari, elles recevront sans difficulté des titres d’identité et de voyage des préfectures. Elles constitueront une sorte de catégorie intermédiaire entre les réfugiés et les Espagnols protégés par leur consulat. Ceci est évidemment regrettable mais ne crée pas de difficulté d’ordre pratique. Pour les enfants, s’ils sont venus avec leurs parents, ils sont reconnus réfugiés si les parents sont réfugiés. S’ils sont venus avec un parent non réfugié, rejoindre un parent réfugié, ils ne sont pas reconnus réfugiés ». On décide également de refouler dans toute la mesure du possible les Espagnols qui entrent clandestinement en provenance d’Andorre car ils n’ont pas été menacés dans leur vie dans leur dernière résidence. Le président conclut que la réunion « qui n’a pas eu d’autre objet que d’éclairer les problèmes ne peuvent remplacer, pour la fixation de la doctrine de l’Office, les décisions que seul le Conseil de l’Office a qualité pour prendre. Les avis donnés […] ne sont pas exécutoires […] on établira de cette réunion comme des suivantes un procès-verbal détaillé qui servira de base à la rédaction d’une proposition générale qui sera soumise à l’appréciation du Conseil qui sera convoqué dès lors que l’étude en cours sera au point ».
18Des réunions régulières se tiennent avec les représentants du ministère de l’Intérieur sur la base d’ordres du jour élaborés par l’Ofpra et pour trancher des questions délicates d’accès au statut ou d’admission au séjour. Un compte rendu de la réunion tenue le 2 décembre 195343 admet par exemple qu’« il sera possible de reconnaître la qualité de réfugié à une personne qui se trouve déjà sous le coup d’un arrêté d’expulsion. L’Intérieur est disposé à faire connaître à l’Office, sur sa demande, les motifs d’expulsion avant l’instruction des demandes des intéressés » ; ou qu’« Il y a lieu d’informer l’Intérieur que l’Office prend sous sa protection un étranger incarcéré ». De la même manière, des correspondances fréquentes sont échangées avec le ministère du Travail pour favoriser l’accès des demandeurs d’asile ou des réfugiés au marché du travail. En réponse à une demande de la DAAS du MAE du 9 octobre 1952 (agissant elle-même à l’instigation d’Alexandre Parodi), la réponse du directeur de l’Office évoque le 21 octobre 195244 la question des délais anormalement longs pour le renouvellement ou la modification des titres de travail des réfugiés espagnols, particulièrement en ce qui concerne la modification de la profession entre secteurs (passage de l’agriculture ou des mines vers l’industrie) et dans le secteur industriel ou le changement de lieu de travail. Pour préparer cette réponse, une note interne à l’Office en date du 15 octobre 195245 rappelle les conventions internationales46 et la législation nationale47 applicables ainsi que les quatre types de cartes de travail délivrées aux étrangers en vertu du décret du 5 juin 1946 pris pour l’application de l’ordonnance du 2 novembre 1945. Il y est clairement indiqué que la carte la plus favorable (carte permanente pour toute profession salariée) a été délivrée aux Espagnols entrés en 1939 et qu’elle ne l’est plus qu’à titre exceptionnel. La carte la plus fréquemment délivrée est devenue la troisième dans la hiérarchie, à savoir la carte ordinaire à validité limitée, tandis qu’on ne délivre que la quatrième aux nouveaux entrants, c’est-à-dire la carte temporaire qui autorise l’exercice d’une activité déterminée pendant une durée limitée et parfois dans un canton déterminé. Elle souligne aussi que certains départements comme les Bouches-du-Rhône restent fermés aux étrangers, donc aux réfugiés.
19Une note du 24 juin 195348 décrit le contexte de l’emploi (baisse du chômage et besoins de main-d’œuvre) et suggère que le ministère du Travail examine désormais les requêtes des réfugiés « avec plus de logique, plus de compréhension, plus de souplesse et de rapidité49 ». Une note en ce sens est adressée à ce ministère le 12 juillet 195350 où il est d’abord indiqué que l’Office ne dispose pas des informations requises pour diriger utilement les réfugiés à la recherche d’un emploi ; il adresse donc les intéressés au SSAE « qui se met en rapport avec les services intéressés par l’intermédiaire de ses assistantes sociales ». Elle fait ensuite état des difficultés spécifiques rencontrées (délivrance de la carte de travail, possibilité de changer de profession ou de département) par des réfugiés qui acceptent au départ n’importe quel emploi et souhaitent ensuite utiliser plus efficacement leurs compétences. À la suite de cette démarche, des circuits courts sont prévus fin juillet 1953 avec la sous-direction de la main-d’œuvre étrangère. Une note du 22 juillet 1953 de la sous-direction de la main-d’œuvre étrangère du ministère du Travail51 répond favorablement à une demande de changement de profession présentée par l’Ofpra le 20 avril 1953 mais rappelle la doctrine ministérielle dans les termes suivants :
« Je saisis cette occasion pour rappeler qu’un étranger titulaire d’un contrat d’introduction ne peut se prévaloir d’un droit à changement de profession lorsqu’il a rempli les obligations d’un engagement qu’il a souscrit en toute connaissance de cause et qui n’a été visé favorablement par les services du ministère du Travail que parce qu’il s’agissait d’une demande formulée pour un secteur d’activité déficitaire en main-d’œuvre. Les demandes de changement de profession sont toujours examinées en tenant compte de divers éléments, notamment de la situation de l’emploi. Dans le souci de protection des travailleurs nationaux, qui inspire la politique du ministère du Travail, en matière d’utilisation de la main-d’œuvre étrangère, une suite favorable ne peut être donnée d’une manière automatique à ces demandes. »
20L’office recevra des informations régulières sur le marché de l’emploi. Une circulaire n° 70/54 du 9 décembre 1954 permettra aux réfugiés qui remplissent les conditions de l’article 17 de la convention de bénéficier de la carte « toutes professions salariées » sur simple demande, supprimant ces limites professionnelles et territoriales52.
21Un autre exemple significatif d’intervention de l’Office auprès d’autres administrations concerne le bénéfice de la sécurité sociale étudiante pour les plus de vingt ans. Une note adressée le 24 septembre 195253 par le conseiller juridique de la section espagnole au directeur de l’Office mentionne que trois réfugiés espagnols ont signalé que leurs fils ne bénéficiaient plus de l’assurance maladie au-delà de vingt ans et étaient ainsi privés du bénéfice de la loi du 23 septembre 1948 étendant aux étudiants certaines dispositions du régime de sécurité sociale. L’auteur de la note se fonde sur la combinaison des articles 10 (clause de la nation la plus favorisée)54 et 14 (dispense de réciprocité) de la convention du 28 octobre 1933 pour soutenir que la loi du 23 septembre 1948 doit être appliquée à ces étudiants et qu’il y a lieu de saisir de cette difficulté les ministères de l’Éducation nationale et de la Sécurité sociale. Deux lettres en ce sens sont adressées le 2 octobre 1952 à ces ministres en reprenant ce raisonnement juridique et en y ajoutant l’invocation de l’article 24 de la convention de Genève du 25 juillet 1951. Dès le 23 octobre 1952, le ministre du Travail et de la sécurité sociale répond en distinguant deux cas : celui des « réfugiés Nansen » qui peuvent effectivement bénéficier de la loi du 23 septembre 1948 au même titre que les étudiants britanniques ou sarrois55 et celui des réfugiés visés par la convention de 1951. Pour ces derniers, la réponse est négative car l’article 24 de cette convention comporte deux réserves dont l’une porte sur les prestations payables exclusivement sur fonds publics. Or le régime de sécurité sociale des étudiants est alimenté par une importante subvention de l’État. Mécontent de cette réponse, le directeur de l’Office revient à la charge auprès du ministre de la Sécurité sociale par lettre du 7 novembre 195256. Il fait à son tour la leçon à la direction générale de la sécurité sociale en rappelant que les « réfugiés Nansen » visent les Russes, les Arméniens, les Assyriens, les Turcs, les Sarrois et Espagnols et lui demande de marquer son accord sur ce point. En ce qui concerne les réfugiés couverts par la convention de 1951, l’Office indique que cette dernière convention, en cours de ratification mais déjà partiellement entrée en application avec le vote de la loi du 25 juillet 1952, « est […] la Charte de l’Office » et que tous les réfugiés politiques sont dorénavant des statuaires. Il sollicite donc sur cette base l’assimilation des réfugiés de la convention de 1951 aux précédents. Dans sa réponse du 11 décembre 1952, le ministre du Travail et de la sécurité sociale confirme son accord en ce qui concerne les réfugiés Nansen et les réfugiés provenant d’Allemagne et d’Autriche couverts par la convention du 10 février 1938 mais maintient son refus pour les autres en indiquant qu’il n’est pas possible de mettre en application la convention de 1951 avant sa ratification et que ce ne sera pas non plus possible après cette ratification car l’article 24 1 b) ne comporte pas de clause de la nation la plus favorisée et réserve au ii) le cas des prestations payables exclusivement sur fonds publics (ce qui est le cas du régime des étudiants, financé à 90 % par une subvention de l’État). Le ministre entrouvre cependant une fausse porte de sortie :
« Toutefois, je ne suis pas […] opposé, pour des raisons sociales, à ce que les réfugiés soient admis au bénéfice de ce régime. Mais en raison de son mode de financement […], il est bien entendu nécessaire d’obtenir l’accord du ministère des Finances, direction du budget. Avant de saisir, éventuellement, ce département ministériel, je vous serais obligé de bien vouloir me faire connaître si des motifs d’influence culturelle française justifieraient l’extension de la législation de sécurité sociale des étudiants aux étudiants réfugiés57. »
22Les questions de sécurité sociale apparaissent donc, comme celles relatives au travail, d’une redoutable complexité et justifient des consultations interministérielles, sans doute fréquentes.
Un Office inséré dans les échanges internationaux
23L’Office cherche parfois à obtenir ou à confirmer des informations auprès des représentations diplomatiques en France. Par exemple, dans une note du 28 juillet 1954, la mission diplomatique de la République fédérale d’Allemagne fait savoir à l’Office que « selon la législation actuellement en vigueur les ressortissants allemands ne perdent pas leur nationalité par suite de leur service dans la Légion étrangère58 ». L’Office cherchait sans doute ici à prévenir l’octroi en grand nombre du statut de réfugié aux Allemands qui s’étaient engagés dans la Légion à l’issue de la Seconde Guerre mondiale et qui cherchaient à s’établir en France à l’issue de leur engagement59. Cette demande est à rapprocher d’une note du 10 novembre 195260 rédigée par le jurisconsulte du MAE en réponse à une interrogation de l’Ofpra sur la conduite à tenir à l’égard des anciens légionnaires espagnols qui solliciteraient la reconnaissance de la qualité de réfugié espagnol car l’article 20 du Code civil espagnol dispose que la nationalité espagnole se perd par l’entrée au service des armées d’une puissance étrangère sans l’autorisation du roi. Le jurisconsulte répond que la détermination de la nationalité est une compétence des tribunaux civils mais recommande de délivrer un certificat de réfugié lorsque les conditions sont remplies car « c’est là une hypothèse où un État se refuse à donner effet sur son territoire à une loi étrangère, dans une situation administrative où l’intérêt des individus l’exige et où l’État tiers serait seul qualifié pour protester ».
24L’Office peut aussi contacter les autorités des pays d’origine des réfugiés sur des questions d’ordre général mais le rapport d’activité de l’Ofpra portant sur la période septembre 1952-octobre 1954 exprime la réserve suivante au sujet des informations recueillies à l’étranger qui lui sont communiquées par le ministère de l’Intérieur :
« Toutefois, dans l’intérêt des réfugiés mal notés par définition par les services de police de leur pays d’origine et laissant derrière eux, souvent, des parents exposés aux représailles, la plus grande prudence devra présider aux communications faites aux autorités du pays d’origine et les renseignements fournis par celui-ci devront être examinés avec circonspection61. »
Un Office qui travaille avec les communautés réfugiées en France
25Le délégué pour la France du HCR ayant porté à la connaissance du directeur de l’Office le 17 avril 195362 une information, tirée du Manchester Guardian, selon laquelle la Bulgarie venait d’adopter des mesures législatives à l’encontre des personnes ayant quitté ce territoire, il invitait ce directeur à lui faire part des informations recueillies à ce sujet dans les milieux de l’immigration bulgare en France. Dans sa note en réponse datée du 7 mai 195363, le directeur analyse les nouveaux textes intervenus en février 1953 avant d’indiquer que « d’après les informations recueillies dans les milieux bulgares, le but de ces nouvelles mesures serait : 1) de parvenir par la ruse ou la terreur à fermer hermétiquement les frontières afin que rien ne puisse transpirer à l’extérieur de ce qui se passe à l’intérieur ; 2) de faire rentrer en Bulgarie le plus grand nombre de réfugiés politiques afin d’affermir la propagande officielle qui assure que le régime actuel est démocratique et de réduire à l’impuissance la lutte pour la libération menée contre lui à l’extérieur par l’émigration et à l’intérieur par la résistance organisée ou passive du peuple bulgare ». La note indique ensuite que les réfugiés bulgares n’ont pas souhaité communiquer copie des lettres recommandées adressées directement par la Milice bulgare à leur domicile mais en décrit le contenu avant d’expliquer que ces lettres sont parfois dédoublées par des visites domiciliaires effectuées par des fonctionnaires de la Légation de Bulgarie à Paris ou par des congressistes à l’occasion d’un déplacement en France. Le directeur conclut : « À ma connaissance, aucun réfugié ne s’est laissé tenter par ces promesses, tant écrites qu’orales. »
26L’Office démontre ainsi qu’il sait aller chercher rapidement la bonne information au bon endroit et, fort de ses réseaux ou des relations de travail qu’il a nouées avec les partenaires les plus divers, peut à la fois se tenir au courant de l’actualité dans les pays d’origine mais aussi dans les communautés installées en France et exercer un lobbying bien ciblé auprès des différents ministères sur les principaux dossiers intéressant les réfugiés.
Deux sujets d’interrogation : les catégories et les chiffres
27Principalement préoccupé par la question de son organisation et de ses moyens et par celle de l’interprétation du droit nouveau qu’il va devoir appliquer aux réfugiés, l’Office n’a guère le temps de s’interroger ou de problématiser les éléments d’une politique d’accueil des réfugiés. La consultation des archives met en évidence la polarisation de ses réflexions autour de deux interrogations portant l’une sur les catégories de réfugiés, l’autre sur l’estimation du nombre de réfugiés vivant en France et susceptibles de relever du mandat de l’Office. Rares sont les documents et les notes qui ne se fondent pas ou ne se réfèrent pas, d’une manière ou d’une autre, à une catégorisation des réfugiés. La difficulté est que les classifications proposées ou retenues comme opérantes sont multiples et très liées aux sujets débattus.
28Le terrain n’est pas totalement vierge en 1952 : il faut d’abord compter avec l’héritage de l’OIR. Dans une note adressée le 5 août 1948 par la Direction des conventions administratives et sociales du MAE au délégué général de l’OIR64 il est proposé, avec l’accord du ministère de l’Intérieur, d’adopter les terminologies suivantes au sujet des mentions à apposer sur les titres de séjour des différentes catégories de réfugiés : réfugiés bénéficiaires du statut Nansen : « réfugié » (exemple : réfugié russe, réfugié arménien) ; réfugiés bénéficiaires de la convention du 10 février 1938 : « réfugié provenant d’Allemagne » ; réfugiés placés sous la protection de l’OIR mais ne bénéficiant pas d’un statut particulier : « réfugié d’origine » (exemple : réfugié d’origine roumaine) ; réfugiés ayant appartenu aux minorités ethniques allemandes (Volkdeutsche) qui ne sont plus protégées par les autorités de leur pays d’origine : « réfugié ex-… d’origine germanique » (exemple : réfugié ex-tchécoslovaque d’origine germanique). Le terme « réfugié » est ainsi réservé aux étrangers se trouvant sous mandat de la Commission préparatoire de l’OIR (CPOIR).
29Les appellations suivantes ont en outre été prévues pour les apatrides et personnes déplacées qui ne bénéficient pas de la protection de la CPOIR : étrangers dénationalisés par l’État dont ils étaient ressortissants : « apatride d’origine… » (exemple : apatride d’origine polonaise) ; étrangers qui, n’ayant pas perdu leur nationalité d’origine, refusent néanmoins ou ne bénéficient pas de la protection de leurs autorités consulaires : « asilé » (exemple : asilé roumain) ; étrangers ayant appartenu aux minorités ethniques allemandes (Volksdeutsche), qui ne sont plus protégés par les autorités de leur pays d’origine : « apatride » (exemple : apatride d’origine germanique). Une circulaire du ministre de l’Intérieur adressée à tous les préfets de métropole le 28 août 1948 reprend ces appellations en expliquant que :
« L’existence de l’OIR, qui a pris sous sa protection une partie des émigrés ayant trouvé asile en France, ainsi que l’apparition de nouvelles catégories de réfugiés impose une révision des appellations qui, conformément à la circulaire n° 423 du 7 février 1940, sont actuellement données à ces étrangers65. »
30Ces catégories ne sont pas étanches et des passages de l’une à l’autre peuvent se produire. Ainsi en va-t-il pour les émigrés russes qui avaient obtenu la nationalité yougoslave après la révolution russe de 1917 et qui ont été déchus de cette nationalité en vertu d’une mesure générale prise dès son avènement par le gouvernement Tito, avant d’être expulsés de ce pays. Saisi de cette question par l’Office des réfugiés russes et par l’OIR, le MAE donne, selon une note de P. Chastand en date du 12 juillet 195166, son accord à la réintégration dans le statut Nansen de cette catégorie de néo-réfugiés russes (« réfugiés russes ») qui, jusque-là, étaient dirigés vers l’OIR où ils étaient reconnus comme « réfugiés d’origine yougoslave ». Une solution identique a été appliquée, selon cette note, aux émigrés russes expulsés de Chine dès l’instauration du régime de Mao. Les catégories servent ainsi, avant 1952, à différencier les titres de séjour des réfugiés selon leur statut et leur régime juridique.
31Sans être directement concerné par les appellations figurant sur les titres de séjour, l’Ofpra dresse également ses propres typologies en partant d’une analyse des différents statuts. Parmi les notes de doctrine67 l’une différencie deux catégories : les réfugiés statutaires (reconnus en application des accords antérieurs à la convention de Genève de 1951 en application de l’article 1er, A, 1° de cette convention) et les réfugiés d’origine (avec la mention de leur nationalité) reconnus en application de l’article 1er, A, 2° de la même convention. Une note établie début 1953 comporte une rubrique « catégories de réfugiés » qui décline cette fois les définitions données par l’article 1er de la convention de 1951 en quatre catégories : les réfugiés statutaires (bénéficiant du statut Nansen) ; les réfugiés éligibles selon les critères de l’OIR définis par sa constitution du 15 décembre 1946 (victimes des régimes nazi et fasciste, etc.) ; les réfugiés éligibles pour d’autres motifs (réfugiés ayant appartenu aux minorités ethniques allemandes qui ne sont plus protégées par les autorités de leur pays d’origine et qui n’ont pas acquis un nouveau statut ; Volksdeutsche désignés sous la forme d’apatrides d’origine germanique ; étrangers dénaturalisés par l’État dont ils sont ressortissants pour les raisons énumérées par l’article 1er de la convention du 28 juillet 1951 ; réfugiés répondant aux conditions prévues par l’article 1er, A, 2° de cette convention) ; les apatrides (apatrides « techniques » qui ont perdu leur nationalité par le jeu de la loi de leur pays de naissance ; étrangers dénaturalisés par l’État dont ils sont ressortissants pour des motifs différents de ceux figurant à la convention de 1951 ; étrangers d’origines diverses, apatrides de fait, ne rentrant pas dans les deux catégories précédentes). Une note de cinq pages émanant du jurisconsulte de l’Office et datée du 5 février 195368 suggère de retenir des catégories différentes selon la nature des problèmes posés, avant de traiter de la question des critères d’éligibilité à la protection de l’Office (définitions applicables ; réfugiés et apatrides ; date d’entrée en France ; texte à viser dans les décisions de rejet ou de retrait ; retrait en cas d’erreur ou de fraude). Après avoir rappelé l’historique des textes antérieurs à la convention de 1951, que cette dernière les laisse intacts pour les étendre et maintient les droits acquis de leur fait, il remarque « que la réponse à la question de savoir combien de catégories de réfugiés il y a en France est nécessairement complexe ». Il se livre alors à des découpages de catégories qui servent à déterminer la compétence de l’Office ou à définir la hiérarchie des droits et des avantages reconnus aux réfugiés.
32Alors qu’elles étaient auparavant entièrement déterminées par les conventions internationales et par les institutions internationales en charge de la question, la disparition de l’OIR et le positionnement du HCR non pas comme organisation de détermination du statut mais de coopération et de contrôle de l’action des États, restitue aux autorités nationales à compter de 1952, le pouvoir de déterminer ces catégories. Elles servent aussi à marquer les territoires que se reconnaissent les différentes administrations : les « asilés » relèvent de l’Intérieur, les « réfugiés » et les « apatrides » du MAE. Ce dernier ministère continue à raisonner entre 1950 et 1953 comme si les conventions internationales propres aux réfugiés demeuraient la seule source des catégories. Le Parlement en effet, par la rédaction de l’article 2 de la loi de 1952, a également piqueté le terrain, préparant l’unification ultérieure en une seule et même catégorie juridique – celle des réfugiés de la convention de Genève de 1951 – des réfugiés « statutaires » et des réfugiés sous mandat du HCR. Quant à l’asile constitutionnel, en germe dans la constitution de 1946, personne n’y prête attention à l’époque. Dans cette période de grande confusion institutionnelle et d’instabilité juridique, l’Ofpra émerge en tout cas comme le lieu par excellence où l’on s’essaie à introduire de la cohérence conceptuelle et un minimum d’ordre dans les catégories d’ayants-droits69. Cependant, l’Office est le premier à reconnaître que ses propres catégories ne suffisent pas à rendre compte de la réalité : l’invention d’une catégorie intermédiaire pour les femmes de réfugiés espagnols ou pour certains réfugiés d’Andorre, le traitement individuel au cas par cas, voire même le recours au signalement de cas individuels dignes d’intérêt montrent bien que la réalité ne se laisse pas facilement appréhender par une liste exhaustive et fermée de catégories et que l’administration selon un nombre prédéterminé de catégories demeure vouée à l’échec.
33La question du dénombrement des réfugiés et apatrides vivant en France fait aussi l’objet de sérieuses interrogations. Antérieures à la création de l’Ofpra, elles redoublent après celle-ci. Une note de l’OIR datée de décembre 1949 relève qu’« en raison des très grandes variations qui sont souvent apparues dans le passé dans l’appréciation du nombre des réfugiés relevant de l’OIR et se trouvant en France, il a paru nécessaire d’entreprendre une étude critique des données statistiques utilisées jusqu’ici et d’effectuer un travail susceptible de fournir une base sérieuse pour toute étude des problèmes de réfugiés en France70 ». Menée par le chef du service d’information et de statistiques de la délégation de l’OIR en liaison avec l’INSEE, cette étude d’une quinzaine de pages dresse un tableau des différentes communautés réfugiées en France entre 1936 et 1949 et conclut à une estimation (301000) deux fois moindre que celle habituellement donnée par la délégation (611000). Dans son communiqué du 22 juillet 195271 le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés évalue à 350000 le nombre des réfugiés vivant actuellement sur le territoire français. Dans une réponse qu’il adresse le 11 mai 1953 au délégué pour la France de la National catholic welfare Conference, le directeur de l’Ofpra indique que l’OIR avait enregistré 378325 réfugiés au 31 janvier 1952 et qu’en tenant compte des 6080 enregistrements effectués par l’Ofpra du 22 septembre 1952 au 31 mars 1953, le nombre de réfugiés atteignait 384405 au 31 mars 1953. Il ajoute que les réfugiés sur place en provenance de l’Est et déjà établis en France en 1939 atteignent le chiffre de 716500 selon les personnalités de l’émigration et leurs comités d’entraide. Dans une note du 18 août 195372, la DAAS du MAE transmet à l’Ofpra la statistique des réfugiés et apatrides établie par le ministère de l’Intérieur par nationalité d’origine et, au vu d’un effectif total estimé par lui à 222479 fin 195273, le juge extrêmement faible et demande à l’Office de bien vouloir lui communiquer ses propres chiffres « pour lui permettre de déterminer dans quelle mesure ils coïncident avec la statistique officielle du ministère de l’Intérieur ». La note du 20 novembre 195374 adressée en réponse à la DAAS dresse un tableau détaillé du nombre de réfugiés en France et explique qu’il est difficile de fournir des données précises après avoir indiqué que les chiffres sur les réfugiés et apatrides en France sont « loin de correspondre à ceux indiqués dans la statistique du ministère de l’Intérieur ». D’un intérêt historique considérable, elle commence par retracer la succession des offices par nationalité et leur sort, en concluant « que seul l’Office central des réfugiés espagnols a établi, dès sa création, une statistique des réfugiés qu’il prenait sous sa protection ». À partir de 1945, des milliers de réfugiés se sont adressés tant aux services du conseiller technique du MAE qu’au Comité intergouvernemental des réfugiés créé en 1938 et reconduit en avril 1945 « mais aucun de ces deux organismes n’a dressé la liste des réfugiés qu’il a enregistrés. Quand le 1er juillet 1947, l’IRO crée sa Délégation à Paris, hormis les Espagnols, il n’y a officiellement pas d’autres réfugiés en France. Ce n’est qu’à partir de mars 1948 que l’IRO commence à dresser une statistique mensuelle des réfugiés qu’il prend sous sa protection. Au 31 janvier 1952, l’IRO disparaît et cède la place à l’Ofpra. À cette date, la dernière statistique établie par l’IRO indique qu’il avait enregistré 378325 réfugiés de toutes nationalités. La question est maintenant de savoir quel peut être le chiffre approximatif des réfugiés et apatrides en France ? » Suit une description sommaire des treize principales communautés classées par ordre décroissant d’importance numérique en partant des Polonais, avec l’indication des mouvements d’immigration, de retour au pays, de naturalisation et de réfugiés75. La note précise que « Les enseignements qui seront fournis ci-après émanent tant des personnalités de l’émigration que des comités d’entraide créés en France par les réfugiés et des officiers de protection de l’Ofpra qui ont été, pour la plupart, en poste en France dans les services diplomatiques ou consulaires de leur pays respectif avant 1945. Ce sont donc des sources sérieuses auxquelles il est logique de se référer76 ». Un tableau de synthèse rapproche ensuite les effectifs inscrits à l’Ofpra au 31 octobre 1953 (339663, desquels il faut déduire 21000 réfugiés qui ont émigré par les soins de l’OIR, soit un solde de 318663) de l’estimation du volume des collectivités de réfugiés établis en France (660700). Une explication complémentaire est donnée à l’écart constaté entre ces chiffres : certaines émigrations remontant à la Première Guerre mondiale bénéficiaient de certains avantages administratifs tels que la détention d’une carte de résident privilégié (valable 10 ans) si bien qu’ils ne se manifesteront à l’Ofpra qu’au moment du renouvellement de leur carte. Le rapport d’activité de l’Ofpra portant sur la période septembre 1952-octobre 1954 fait discrètement écho à cette double approche statistique en mentionnant 357674 réfugiés inscrits à l’Ofpra au 31 octobre 195477 et approximativement 665700 réfugiés établis en France.
34Au-delà du débat byzantin sur les catégories de réfugiés qui relèvent ou non de la compétence de l’Office, vivent sur le territoire français au début des années 1950 selon l’Ofpra trois fois plus de réfugiés que ce qu’indiquent les chiffres du ministère de l’Intérieur et deux fois plus que ceux officiellement inscrits à l’Office. Si ce décalage constitue naturellement à l’époque un argument fort pour accroître les responsabilités et les moyens de l’Office dans un contexte de tension budgétaire ou pour justifier le maintien des offices par nationalité, on en retiendra surtout que le dénombrement officiel des réfugiés et apatrides n’apparaît pas fiable et que l’État n’est pas encore outillé pour suivre l’évolution du stock et du flux net. Ce questionnement demeure confidentiel au début des années 1950 : il n’existe ni débat public ni expertise sur les « vrais » chiffres et les autorités publiques ne les ont pas encore instrumentalisés.
L’esprit dans lequel l’Office conçoit ou exerce sa mission
35La consultation des archives témoigne aussi des contradictions dans lesquelles se trouve placé l’Office dès le démarrage de son activité. Office de protection, il défend les intérêts des demandeurs d’asile et contribue à une application bienveillante des textes à une population fragile. Par exemple, saisi le 9 mars 1953 par Lucie Chevalley, directrice du SSAE, des retards apportés à la transmission des correspondances des réfugiés détenus dans les établissements pénitentiaires, le directeur de l’Office demande le 28 mars 195378 au ministre de la Justice que l’acheminement des questionnaires polycopiés rédigés par eux dans leur langue maternelle ne soit pas retardé par l’examen de la censure. Le ministre de la Justice répond le 28 mars 1953 qu’il a décidé que « désormais les questionnaires […] seraient remis au détenu puis envoyés […] au service destinataire sans aucune traduction ni censure, réserve faite cependant du contrôle exercé par l’autorité judiciaire sur la correspondance des prévenus » mais que cette mesure ne vaut que pour les questionnaires de l’Office, à l’exclusion de ceux provenant d’ambassades, de consulats ou d’organismes privés. Il ajoute qu’il a diffusé le même jour une instruction en ce sens aux chefs d’établissements pénitentiaires. Le 20 avril 1953, le directeur de l’Office écrit à Madame Chevalley pour lui faire part des instructions données par le garde des Sceaux en concluant par cette belle formule « je ne doute pas qu’elles ne vous donnent toute satisfaction ». S’agissant de l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail, une note du 15 mai 195379 regrette que certains demandeurs admis à la protection de l’Ofpra se voient délivrer une autorisation provisoire avec la mention « pour départ », ce qui les empêche d’être embauchés et de gagner leur vie. Elle fait valoir que ce titre va à l’encontre de l’intérêt des réfugiés, de celui du budget français et de la sécurité publique et recommande donc que les autorités de police cessent de porter de telles mentions pour « humaniser les règlements ».
36Établissement public de l’État, l’Office fait néanmoins sienne sa préoccupation de ne pas encourager le contournement de la législation. Témoignent par exemple de cet état d’esprit les notes échangées entre l’Ofpra et la DAAS au sujet des entrées irrégulières en France d’Israélites en provenance d’Europe de l’Est ou d’Israël80, en particulier celle adressée le 3 décembre 1952 par le directeur de l’Office au ministre de l’Intérieur au sujet des réfugiés d’Europe centrale, en provenance d’Israël, qui séjournent provisoirement en France sous couvert d’un visa de transit avant de se faire admettre en Amérique du Nord. Ayant été saisi d’un nouveau cas dans lequel le service médical du consulat du Canada avait jugé les candidats « inaptes à l’émigration », l’Office rappelle avoir déjà attiré l’attention du MAE sur le nombre important de cas dans lesquels les intéressés déclarent alors avoir l’intention de s’établir en France. Le directeur de l’Office indique au ministre de l’Intérieur que le MAE vient de diffuser à tous les postes du Proche-Orient « des instructions aux termes desquelles les visas de transit avec arrêt par la France ne seront désormais accordés que si les intéressés justifient qu’ils sont admis d’ores et déjà au Canada, et qu’ils recevront le visa d’immigration à Paris après une simple visite médicale. En outre, ces voyageurs devront fournir à nos chefs de postes un certificat médical attestant qu’ils remplissent réellement les conditions physiques requises de tout immigrant ». La note ajoute que l’office partage l’analyse du ministre de l’Intérieur selon laquelle les personnes en provenance d’Israël, où elles ont séjourné souvent plusieurs années, et se sont effectivement ré-établies ne sont pas des réfugiés et peuvent donc, selon l’appréciation au cas par cas des préfectures, faire l’objet d’un refoulement vers Israël à l’expiration de la validité de leur visa de séjour en France. La conclusion illustre bien l’état d’esprit de l’Office : « J’ai tout lieu de croire que les nouvelles instructions des Affaires étrangères et les directives de l’Office auront pour effet de mettre fin à une pratique qui permettrait à certains étrangers de tourner notre législation et notre réglementation. »
37Établissement conçu comme autonome, l’Office ne prend aucune décision importante sans en référer à sa tutelle, le MAE. L’avis du jurisconsulte du Quai d’Orsay est souvent sollicité sur des questions de droit nouvelles ou difficiles. Le directeur de l’Office, d’après les archives, a comme principal interlocuteur durant cette période de mise en place de l’institution les grandes directions du Quai et principalement la DAAS. Même sur les questions de doctrine qui, pour délicates qu’elles soient, sont néanmoins de son ressort, le directeur recherche à tout instant l’aval du Quai d’Orsay. Illustration de cette attitude, une note du 24 juillet81 interroge la DAAS sur la disposition légale (convention de 1951 ou loi du 25 juillet 1952) susceptible de fonder le refus du statut aux demandeurs qui invoquent le mandat du HCR. Il joint à sa note la consultation du conseiller juridique de l’Office en date du 22 juillet 195382 et conclut « au cas où la direction des affaires administratives et sociales serait d’un avis opposé à celui de Me Monneray, le directeur de l’Office serait reconnaissant à la direction […] de soumettre d’urgence la question dont s’agit à l’examen de monsieur le Professeur Gros, chef du service juridique du département ». En réalité, sur cette question sensible, le directeur de l’Office avait, en passant commande au conseiller juridique de l’Office, relevé « la direction des affaires administratives et sociales […] invoquant la réserve française lors de la signature de la Convention de 1951 (victime d’événements survenus avant le 1er janvier 1951 en Europe seulement) est d’avis qu’il n’y a pas lieu de déclarer réfugiées les personnes qui relèvent du mandat du Haut-Commissaire et semble ainsi limiter la compétence de l’office à une seule catégorie de réfugiés : ceux qui répondent aux définitions de l’article 1er de la Convention du 28 juillet 1951 ». Cette opposition de la DAAS à une interprétation large de la compétence de l’Office est également confirmée à la lecture du procès-verbal du conseil de l’Office du 14 octobre 1953 présidé par ce directeur : « M. Serres estime que la position restrictive adoptée par la France au moment de l’établissement de la convention doit être maintenue… » Cet échange de notes montre que le directeur d’un Office naissant à la fois défend le champ de compétence le plus large possible pour son institution, suggère une solution très diplomatique – le recours au meilleur expert et départageur qui soit, le chef du service juridique du MAE – pour contourner l’analyse erronée de son principal interlocuteur mais n’ose pas imposer son propre point de vue, dont la suite devait montrer qu’il était exact, à son autorité de tutelle, le DAAS qui se trouve aussi présider de droit le conseil de l’Office.
Conclusion
38La consultation des archives de l’Ofpra relatives à sa période de démarrage (1952- 1953) est riche d’enseignements. Il s’agit, à n’en plus douter, d’une période d’instabilité institutionnelle et d’insécurité juridique mais aussi d’effervescence où le bricolage administratif et budgétaire et l’improvisation ne sont pas absents. C’est une époque de créativité doctrinale car l’adoption de la convention de Genève du 28 juillet 1951 remet en cause les schémas de pensée et bouscule les catégories juridiques et les terminologies héritées des conventions internationales antérieures et de l’OIR. Une nouvelle institution définit son champ de compétence, conquiert sa légitimité à l’égard des autres administrations, construit son identité et définit le corpus juridique et bureaucratique en fonction duquel elle va exercer ses missions et ses attributions. Opportunément éloignée du Quai d’Orsay, elle se montre plus inventive que lui sur le plan doctrinal. L’Ofpra se révèle aussi comme une institution biface : chargée de la protection des réfugiés et apatrides, elle connaît bien leurs difficultés grâce à ses agents et aux nombreux liens qu’elle entretient dans les milieux intéressés et sait se montrer offensive pour tenter de les résoudre aussi bien au jour le jour qu’en proposant des réformes de fond. Établissement public rattaché au MAE, elle défend aussi les intérêts de l’État et ne demeure pas insensible à la dimension diplomatique et politique de ses activités. Son étroite proximité avec son ministère de tutelle mais aussi avec les autres administrations de l’État sur les questions de principe et de mise en place doctrinale à cette époque avait sans doute été sous-estimée avant l’ouverture des archives : condition de sa réussite, elle laisse penser que le rêve d’une institution totalement indépendante faisait fi des exigences de l’efficacité administrative en cette période de création.
Notes de bas de page
1 Une première analyse des débuts de l’Ofpra, dans une version plus longue et détaillée de cette contribution, est accessible en ligne [https://www.ofpra.gouv.fr/sites/default/files/atoms/files/ftiberghien_premiereanneeofpra.pdf].
2 Diplomate, Paul Chastand fut consul général de France à l’OIR en 1951 puis chargé de mission auprès de l’Office des réfugiés russes début 1952 avant de devenir le collaborateur de M. Lescuyer, premier directeur de l’Ofpra. Le fonds d’archives est un don d’Agnès et Arielle Denis.
3 Selon les notes de séance prises par le représentant du ministère des Affaires étrangères, le rapporteur du Conseil a manifesté son opposition à un office autonome, lui préférant un service d’administration centrale.
4 Archives Ofpra. DIR3/0bis.
5 Archives Ofpra. DIR3/0bis.
6 Archives Ofpra, DIR3/0bis.
7 Archives Ofpra, DIR3/0bis.
8 L’OIR avait reçu au nombre de ses missions le pilotage des offices de réfugiés créés antérieurement.
9 Décret n° 50-1445 du 24 novembre 1950 publié au JO du 25 novembre 1950.
10 Selon d’autres documents, ce transfert est en réalité intervenu dès 1948, c’est-à-dire dès l’accord conclu entre la France et l’OIR le 13 janvier 1948.
11 Il s’agit en réalité de plusieurs locaux : un étage de l’ancienne ambassade du Japon (7 avenue Hoche) pour la direction ; leurs locaux actuels pour les sections espagnole (10 rue des Pyramides) et russe et arménienne (6 cité Martignac, siège des ex-offices russe et arméniens fusionnés en 1945 et installés à cette adresse) ; le 7 rue Copernic, siège de l’OIR, pour les autres sections.
12 Note du 4 janvier 1951. Archives Ofpra DIR3/0bis. Le nombre définitif arrêté pour la période transitoire sera finalement de 69 personnes, dont 6 délégués provinciaux en dépit des réserves du ministre des Finances.
13 Archives Ofpra DIR3/0bis.
14 Archives Ofpra, Fonds Paul Chastand – don d’Agnès et Arielle Denis ; Dossier « Notes verbales » 1951-1953. Article 4.
15 Archives Ofpra, DIR1/2.
16 Lettre de Théophile Djourovitch, ancien ministre plénipotentiaire de Yougoslavie à Robert Schuman, 22 février. Archives Ofpra, Fonds Paul Chastand, – don d’Agnès et Arielle Denis 10.18.
17 Archives Ofpra, DIR3/0bis.
18 Délibération du conseil de l’office du 26 mai 1953, point n° 5 de l’ordre du jour. Archives Ofpra, DIR1/7.
19 Archives Ofpra, DIR1/2.
20 L’ensemble des notes de service citées ont la cote suivante : archives Ofpra, DIR1/26.
21 Archives Ofpra, DIR1/7.
22 Fonds Paul Chastand, don d’Agnès et Arielle Denis, 10.44.
23 Archives Ofpra DIR1/2.
24 Archives Ofpra, DIR3/0bis.
25 Archives Ofpra DIR3/0bis.
26 Rapport de l’année 1953. Archives Ofpra, DIR1/2.
27 Archives Ofpra, DIR3/0bis, compte rendu d’une réunion du 1er octobre 1952.
28 Archives Ofpra, DIR1/26.
29 Archives Ofpra DIR3/0bis.
30 Dans la note du 4 janvier 1951 (archives Ofpra DIR3/0bis), le montant des crédits nécessaires pour les consultations juridiques avait été estimé à 1000000 francs en année pleine pour 1950 et à 250000 francs pour la période transitoire.
31 Archives Ofpra DIR1/26.
32 Avis du 6 juin 1955. Voir Tiberghien F., La protection des réfugiés en France, Paris, Economica, 2e éd., 1988, p. 211.
33 Archives Ofpra, DIR1/26.
34 Archives Ofpra DIR1/26. Fonds Chastand – don d’Agnès et Arielle Denis. Note pour les officiers de protection, PV de la réunion interministérielle du 6 octobre 1952 sur l’apatridie, 8.1.
35 Par ailleurs, dans sa note du 5 février 1953, le jurisconsulte de l’office avait répondu à juste titre qu’en cas de rejet d’une demande d’éligibilité au statut il fallait toujours viser la loi de 1952 et, soit le statut du HCR (en cas d’événements postérieurs au 1er janvier 1951), soit la convention de 1951 (en cas d’événements antérieurs au 1er janvier 1951).
36 Tiberghien F., La protection des réfugiés en France, Paris, Economica, 2e éd., p. 465.
37 Tiberghien F., La protection des réfugiés en France, op. cit., p. 465.
38 Rapport d’activité, DIR1/2.
39 Archives Ofpra, DIR3/0bis.
40 Archives Ofpra, DIR3/0bis.
41 Archives Ofpra, Fonds Paul Chastand – don d’Agnès et Arielle Denis, 3.9.
42 Archives Ofpra, DIR3/0bis.
43 Archives Ofpra, DIR3/0bis.
44 Archives Ofpra, DIR4/69.
45 Ibidem.
46 La note mentionne incidemment que le ministère du Travail a trois interprétations différentes de la réserve formulée en ces termes par la France sur l’article 7 de la convention du 28 octobre 1933 relative au statut international des réfugiés.
47 Sont évoqués la loi du 10 août 1932 protégeant la main-d’œuvre nationale et l’article 7 de l’ordonnance du 2 novembre 1945. Cette dernière supposant, pour entrer en vigueur, un certain nombre de règlements d’administration publique, la note relève également qu’il existe une incertitude sur la date de cette entrée en vigueur.
48 Archives Ofpra, DIR4/69.
49 Ces termes sont déjà employés dans une note du 11 mars 1953 relative à l’émigration des réfugiés établis ou en résidence en France (fonds Chastand). Elle mentionne que le réfugié se voit souvent proposer un emploi agricole, pénible et mal payé, avec une promesse, jamais tenue, de reclassement dans sa profession et que les difficultés sont insurmontables quand un réfugié demande à changer de département. Il est donc suggéré « de réformer en profondeur les conditions de l’emploi des réfugiés et d’inciter les services de main-d’œuvre à plus de compréhension à leur égard ».
50 Archives Ofpra, DIR4/69.
51 Archives Ofpra, Fonds Chastand, don d’Agnès et Arielle Denis.
52 Circulaire du ministère du Travail, LC MO 70/54 aux préfets, inspecteurs divisionnaires du travail et de la main-d’œuvre, directeurs départementaux du travail et de la main-d’œuvre et chefs des services départementaux de la main-d’œuvre sur les réfugiés bénéficiaires de la convention de Genève. Archives Ofpra, DIR3/0bis.
53 Archives Ofpra, DIR3/0bis.
54 La note cite à cet égard le précédent britannique.
55 Archives Ofpra, DIR4/69.
56 Ibidem.
57 Archives Ofpra, DIR4/69.
58 Archives Ofpra, DIR3/40.
59 Voir la jurisprudence de la CRR sur ce point dans Tiberghien F., La protection des réfugiés en France, op. cit., p. 354.
60 Archives Ofpra, fonds Chastand, don d’Agnès et Arielle Denis, 1.37.4. Nationalité des Espagnols ayant servi dans la légion étrangère, 10 novembre 1952.
61 Archives Ofpra, DIR1/2.
62 Archives Ofpra, DIR3/18.
63 Ibidem.
64 Fonds Chastand, don d’Agnès et Arielle Denis 8.9. Lettre du MAE direction des conventions administratives au délégué général de l’OIR sur les mentions apposées sur les titres de séjour des réfugiés, 5 août 1948.
65 Fonds Chastand. don d’Agnès et Arielle Denis. Circulaire du 28 août 1948 du ministère de l’Intérieur aux préfets de métropole sur les appellations à apposer sur le titre de séjour des réfugiés et apatrides. 2.11.
66 Fonds Chastand, don d’Agnès et Arielle Denis. Note au sujet des réfugiés russes expulsés de Yougoslavie, 12 juillet 1951, 5.19.
67 Archives Ofpra, DIR1/26.
68 Fonds Chastand. Note de H. Monneray sur le champ d’application de la convention, 5 février 1953. 1.19.
69 La commande contenue dans la note du 20 janvier 1953 est très explicite : « Il importe hautement […] que l’Office ait une doctrine en cette affaire qui, dès la publication du décret d’application, relèvera de la compétence du Conseil (d’administration) qui […] aura notamment dans ses attributions d’émettre un avis sur les règles générales concernant l’admission à la qualité de réfugié. »
70 Fonds Chastand, 12.
71 Archives Ofpra, DIR3/0bis.
72 Fonds Chastand, 11.
73 Ce chiffre se décompose en 173986 réfugiés statutaires, 37936 réfugiés d’origine et 10557 apatrides d’origine.
74 Fonds Chastand, 11.
75 Pour compléter cet aperçu, on peut se reporter aux notes contenues dans le fonds Chastand qui décrivent la situation des principales communautés et les difficultés qu’elles rencontrent.
76 Cette affirmation sera contredite par les rapports d’activité postérieurs de l’Ofpra qui procèdent à plusieurs révisions à la baisse de ces chiffres. Legoux L., « Statistiques des flux de réfugiés depuis la création de l’Ofpra », Les réfugiés en France et en Europe. Quarante ans d’application de la Convention de Genève 1952-1992, Paris, Primavera-Quotidienne, 1993, p. 389-405.
77 Ce rapport ajoute que pour tenir compte des départs et des décès non recensés, il faut défalquer environ 10 % du nombre des réfugiés inscrits à l’Ofpra mais en effectuant ce calcul l’Office semble commettre une erreur puisqu’il ne déduit que 1 % de l’effectif total (3500 au lieu de 35767), ce qui ramène son chiffre à 354174 au lieu de 321907.
78 Archives Ofpra, DIR3/0bis.
79 Archives Ofpra, DIR4/69.
80 Fonds Chastand, 4.
81 Archives Ofpra DIR3/0bis.
82 Cette note exprime clairement l’avis selon lequel « les personnes originaires des pays situés hors d’Europe, dès l’instant où leur situation répond au paragraphe B… de l’article 6 du statut du Haut-Commissariat peuvent revendiquer la qualité de réfugié » et développe ensuite l’étendue de l’enquête approfondie à laquelle devrait se livrer l’Office dans les deux dossiers soumis à son appréciation (dont le cas Abril de Vivero) en ce qui concerne les conditions de fait d’ordre subjectif et matériel mentionnées à l’article 6 B.
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