Chapitre IX. Face aux médecins : relations de soin et de pouvoir
p. 261-298
Texte intégral
1La place spécifique tenue par les membres des corporations médicales dans les soins portés aux élites féminines, en dépit d’un marché thérapeutique très concurrenciel, invite à revenir plus en détail sur les relations tissées entre ces soignants et leur patientèle. Les femmes aisées et les médecins entretiennent des rapports complexes et ce serait se fourvoyer que de ne les entrevoir qu’à partir d’un pouvoir grandissant des praticiens sur leur corps. Pouvoir de régenter les chairs, d’édicter des normes, de dénoncer des pratiques, d’investir la matrice… Aussi impressionnant que soit le processus qui mène à la médicalisation de soins, mais aussi de manières d’être et de faire autrefois laissées au bon vouloir des profanes et d’autres instances normatives, ces femmes n’en sont pas moins des actrices de ces phénomènes. Les médecins savent bien que le positionnement social de leurs patientes fait d’elles de potentielles alliées cruciales pour promouvoir leurs pratiques. Ils redoublent donc d’attentions à leur égard, souhaitant obtenir le monopole des soins.
2De leur côté, les malades ont pleinement conscience des forces en présence et des conflits qui traversent le marché thérapeutique. Au cours de la relation de soin, elles formulent ouvertement leurs attentes et n’hésitent pas à user de leur pouvoir – social et économique –, avec lesquels les médecins doivent composer. Loin d’être passives, les élites féminines pèsent de tout leur poids : il s’agit de négocier avec le thérapeute le traitement le plus adapté à leur maladie et à leur confort. En outre, elles attendent des médecins – et de leurs soignants en général – un certain nombre de qualités. Leurs écrits proposent parfois le portrait d’un thérapeute idéal auquel ils sont sommés de se conformer. Les enjeux sont de taille pour ces derniers : ils ont tout intérêt à prendre en considération ces exigences pour combattre la concurrence des praticiens parallèles, mais aussi parce qu’ils connaissent l’influence des malades aisées sur leur carrière et leur renommée. De la perception de leurs soins dépend leur réussite.
3Ces femmes participent ainsi à la construction d’une pratique professionnelle : leurs attentes modèlent les manières de faire d’une corporation médicale ambitieuse. En tant que destinataires de soin, elles jouent un rôle non négligeable dans l’élaboration progressive de la figure du médecin. Les professions médicales et chirurgicales étant exclusivement masculines, la rencontre thérapeutique est aussi celle d’un homme et d’une femme, et renvoie à des normes sociales telles que la pudeur. Elle fait émerger de nouveaux questionnements quant aux jeux de maîtrise et de dépossession du corps à l’œuvre dans la conduite de la maladie, non plus face à Dieu ou aux siens, mais face à ces professionnels de santé.
Attentes et pouvoirs des malades
4Sous la plume de Guy de Maupassant, Léon Daudet, Émile Zola ou René Boylesve apparaît la figure du « médecin des dames » du xixe siècle1. Ce personnage romanesque trouve sa genèse dans la relation spécifique nouée dès les siècles précédents par des praticiens au service d’une clientèle féminine aisée. Le médecin des dames porte la marque d’une ambiguïté entre soins attentifs, séductions voilées, confidences recueillies et liens d’amitié tissés au fil des années. Tandis que le médecin ordinaire est une figure respectable attachée à la famille en son entier, le médecin des dames suscite généralement une intrigue romanesque ou porte au ridicule burlesque. Il passe pour être complaisant et intéressé, flagorneur et concupiscent, au service des caprices des femmes plus qu’à celui de leur santé, supportant les extravagances et les tergiversations des vaporeuses dans un esprit courtisan. Est-ce réellement ce soignant que les élites féminines appellent de leurs vœux ? Comment pèsent-elles sur la définition des vertus médicales ?
Le médecin des dames ou la définition des vertus médicales
5Dans leurs écrits, les femmes aisées livrent des constats sans concession à la hauteur de leurs exigences. Leurs plumes sont parfois acerbes : Adélaïde Augé de Luzarche n’a d’estime que pour le Dr Michelon, voyant dans les chirurgiens de « vilene gens2 » et s’exclamant à propos des médecins : « Cette maudites rasse la, de rien fait quelque chose3. » D’autres livrent des indications précises sur les compétences et attitudes qu’elles attendent de leur thérapeute. Les consultations épistolaires et les écrits personnels masculins témoignent d’ailleurs d’une proximité de vues.
6Inspirer la confiance constitue une qualité indéniable4. Dans les années 1770, Marie de Livry juge que Théophile de Bordeu est « fort habile », mais choisit pourtant M. Lemonier en qui elle a « la plus grande confiance5 ». Alors qu’Isabelle de Jaucourt pratique l’automédication à la fin des années 1720, sa belle-sœur l’exhorte à consulter : « Vos souffrances devroient, ma chère sœur, vous déterminer à voir quelqu’un en qui vous prissier de la confiance et vous soumettre à ses ordonnances6. » Liée à la confiance, la sincérité est une autre qualité majeure. Les femmes apprécient que la vérité leur soit dite : elles louent la franchise et l’honnêteté des soignants qui avouent leur ignorance, plutôt que de mettre leur vie en danger afin de garder bonne figure. Élisabeth Charrière voit ses deux médecins procéder de la sorte : « M. d’Apples et Maurice m’ont avoué tout naturellement qu’ils n’y comprenoient rien7. » Toutefois, le médecin idéal doit associer à sa sincérité un certain don de persuasion8. Pour parvenir à la guérison, la simple présence du soignant, corrélée à son pouvoir de conviction, agit avec plus d’efficacité que les remèdes proposés, car « la façon de donner vaut parfois mieux que ce qu’on donne9 ». La pratique médicale procède parfois d’une véritable performance théâtrale10.
7Le soignant idéal est également compréhensif, il ne saurait aller à l’encontre des dires des souffrantes qui pourraient s’en trouver blessées. Dorothée Bertier de Pinsaguel éprouve ainsi avec aigreur le sentiment d’être prise pour une malade imaginaire par son médecin11. Il doit exercer avec beaucoup de tact et appréhender les femmes avec finesse pour cerner leur caractère et satisfaire leurs besoins. Charlotte de Bégon se félicite que M. Vieussieux soit « maître » de ses nerfs, contrairement au médecin Butini, conseillé par son époux, dont elle n’apprécie guère l’attitude : « Ton Butini, je t’en demande pardon, mais je ne pourrais m’y acoutumer de ma vie. Qu’on soit mal, qu’on soit mieux, son air est toujours sec comme celui d’un arbre mort et les meaux longs et lens demandent un médecin pitoyable12. » Le médecin doit donc être à l’écoute et montrer de l’empathie.
8Cependant, les femmes savent aussi respecter les sautes d’humeur des soignants connus pour leur caractère ombrageux. Dans les années 1760, Anne de Cadillac et Mme de Bonrepos acceptent patiemment la colère du médecin Gouasé, venu les rejoindre pour soigner le fils de la famille :
« Gouasé est arrivé aujourd’huy à quatre heures de la plus mauvaise humeur du monde, il a verssé trois ou quatre fois dans son voyage. Il a voulu que le médessen qui étoit isi luy fit en particullier le détail de la maladie et des remèdes. Il a examiné le malade et puis il a envoyé promené les personnes qui luy ont demendé ce qu’il en pensoit, à comencer par Mme de Bonrepos. Ci avan son couché nous pouvons en tirer quelque chose, Cerou vous le mandera13. »
9Face à des maux graves, les femmes aisées peuvent donc se montrer moins exigeantes et passer outre le tempérament du médecin, surtout si ses talents sont reconnus.
10D’ailleurs, certaines apprécient les usages directifs, estimant que des thérapeutes trop conciliants ne sauraient les mener à la guérison. Le chantage et la menace dont ils se servent pour persuader leurs malades récalcitrantes peuvent être appréhendés comme la marque de leur pugnacité à les soigner. Néanmoins, l’insistance des médecins et le rapport d’autorité qu’ils tentent d’instaurer pour faire accepter leurs vues peuvent froisser des femmes impatientes et habituées à ce qu’on les ménage. Charlotte de Bégon n’hésite pas à rabrouer le sien : « Mon médecin qui sort d’icy m’ordonne toujour à grand cris les bains de Bourbonne. Ennuyée de sa persévérance, je lui ay dit que je n’étois pas en argent cette année14. »
11L’humilité est aussi appréciée alors qu’on rit encore de la verve de Molière contre les médecins du Grand Siècle15. Malgré ses connaissances, un bon thérapeute ne saurait se montrer trop prétentieux ou arrogant. Théodore Tronchin est un exemple à suivre selon Suzanne de Jaucourt : « Ceux qui exercent la médecine voudroient presque nous persuader qu’ils sont de droit divin, je ne veux croire qu’en M. Tronchin, nulle charlatanerie chez luy et malgré toutes ses connoissances, je jurerois qu’il ne pense qu’aider la nature16. » Humilité et simplicité sont deux qualités qui éloignent le médecin idéal de la figure pitoyable du Dr Diafoirus.
12Souvent, Molière fait irruption dans les écrits personnels. Tandis que Théodore Tronchin est adulé par la plus grande partie de sa patientèle, les époux Bombelles ont un avis bien différent trente années après les louanges de Suzanne de Jaucourt. Ils plaisantent au sujet du mémoire qu’il fait parvenir à Marc :
« J’ai reçu l’ordonnance de Tronchin ; que ce galant homme est heureux que Molière ne soit plus du nombre des vivants ! Cette ordonnance est le chef-d’œuvre des discours de monsieur Gobemouches : j’en savais autant que notre docteur.
Oui, ce sont effectivement
Des vents incarcérés dans un colon brûlant
Au-dessus de la rate ils font douleur très vive
Auxquelles les docteurs, à la vie inactive
Le politique et le pédant
Sont exposés, mais très souvent,
Des frictions habituelles
Faites avec douces flanelles
Sont les plus sûrs préservatifs
De ces vents piquants et rétifs.
De plus, une eau bien dégourdie,
Avec le sucre abâtardie
En moins d’un clin d’œil vous guérit
Le vent s’échappe et tout est dit.
Voici mot à mot le précepte de notre fameux Dr Tronchin. […] Ce que dit Tronchin, ce qu’il conseille n’est pas ce qu’on pouvait attendre d’un homme un peu instruit. Je voulais travailler à détruire une cause vicieuse, je n’avais pas besoin de lui pour l’effet qui m’est connu et sur lequel il raisonne en l’air […]. Ces sottises me confirment dans l’opinion qu’il faut après trente ans être sobre et son médecin soi-même. Tu t’es donné bien des peines, mon ange, pour accrocher une sentence d’un Esculape charlatan17. »
13Ce discours rompt avec ce que l’on écrit généralement à propos du médecin genevois, mais Angélique est tout à fait d’accord avec son époux : « J’ai eu envie de rire comme toi de l’ordonnance de Tronchin, cependant je crois que les frictions sont ce qu’il y a de mieux pour tes points. Tes vers sont fort plaisants et rendent parfaitement ce que Molière, s’il était encore de ce monde, aurait dit à ta place18. »
14En dehors de ces qualités, le médecin des dames est indubitablement un homme disponible, qui peut se rendre rapidement au chevet de sa patiente pour lui prodiguer tous les soins nécessaires. Cette disponibilité ne semble pas avoir de limites, car de jour comme de nuit, les thérapeutes peuvent être appelés19. Les femmes aisées font preuve d’une grande intransigeance à ce propos, pour elles ou leurs proches. Un mois après s’en être moquée, Angélique de Bombelles s’émeut ainsi de l’indisponibilité de Théodore Tronchin :
« J’en veux bien à Tronchin, et je ne lui pardonnerai jamais la dureté de cœur qu’il m’a témoignée. Il faut que tu saches que le quatrième jour de sa petite vérole, Bombon ayant passé une nuit affreuse, Goetz étant à Neuilly et voyant mon petit Dupré fort mécontent, la tête me pète et j’écris à Tronchin une lettre capable d’attendrir une pierre et le conjurant de venir secourir mon enfant qui se mourait. Il était six heures du matin, j’envoie mon Lentz sur un bidet de poste porter ma lettre à Paris. Tronchin me répond froidement qu’il est bien fâché de l’état de mon enfant, mais qu’il ne peut le venir voir à Versailles. Je l’aurai tué en lisant sa réponse, heureusement nous nous sommes bien passés de lui, mais dans ce moment-là j’étais désespérée et j’aurais vendu ma chemise pour l’avoir. Ces vilains médecins n’ont certainement pas d’âme et on est bien malheureux quand on a besoin d’un20. »
15À la disponibilité est corrélée la fidélité, autre qualité très appréciée. La marquise de Mirabeau, emprisonnée à plusieurs reprises dans les années 1770 à la demande de son époux – par lettres de cachet –, sait reconnaître les mérites de son médecin, dans un courrier à un des siens :
« Vous recevrez en même temps que cette lettre un mandat de 4000 livres, mon cher des Valois, que je vous prie d’acquitter toute de suite pour m’acquitter d’une dette larvée et bien chère à mon cœur, puisque je dois la vie à mon médecin qui ne m’a jamais abandoné dans les maux et maladie que m’a occasionée mes malheurs et que mes affaires et ma captivité m’a empêcher de payer depuis trois ans que M. Guindan mon médecin m’a vue jour et nuit21. »
16Nul doute que les élites féminines savent récompenser une telle fidélité faite de soins répétés qui démontrent, au-delà du professionnalisme et de l’appât du gain, une certaine amitié et considération.
17Le soignant idéal est donc un être attentif, qui sait prendre des nouvelles de ses malades et s’enquérir de leur santé. Suzanne de Jaucourt apprécie que le Dr Lacaze, venu lui rendre visite « par hasard », lui prescrive finalement des remèdes22. En outre, ses attentions, loin d’être affectées, doivent être sincères et aimables, pour plaire à une patientèle habituée aux témoignages de déférence. Dorothée Bertier de Pinsaguel loue son médecin ordinaire, le Toulousain Sol, parce qu’il lui « montre le plus grand intérêt pour [la] bien soigner23 ». Bien sûr, il s’agit aussi de prendre en compte la sensibilité des malades, en veillant notamment à les faire souffrir le moins possible.
18À la lecture des écrits masculins, ces attentes ne semblent en rien spécifiques aux femmes. La relation entre un soignant et une souffrante implique cependant un comportement particulier : l’attitude du médecin, gage de son professionnalisme, est déterminante. Respectueux de l’honneur des dames, il doit prendre garde à ne pas éveiller de soupçons sur leur moralité24. En 1781, Angélique de Bombelles rapporte la confusion du médecin Bourdet quand il apprend que son époux est absent depuis plusieurs mois, alors qu’il ne cesse d’affirmer que ses maux lui viennent d’un début de grossesse : « Il s’est répandu en excuses et il était d’une honte affreuse de l’entêtement avec lequel il voulait me persuader de ma grossesse25. »
19Le médecin idéal ne saurait pas non plus offenser la pudeur des femmes en les séduisant par leurs mots galants ou une possible proximité sensuelle. Julie Bondeli réfute la réputation sulfureuse de Théodore Tronchin, qui aurait flatté outre mesure Salomé de Watteville en 1757, lors d’une de ses consultations26. Elle se moque du récit que l’on fait « sur toutes les femes qui alloient consulter Tronchin, parce que Tronchin est beau, bien fait, et que quand l’âge et la figure des consultantes l’empêche de leur dire les galanteries d’usages, il leur dit au moins “Madame vous parlés admirablement le français”27 ». D’autres critiquent de façon cinglante les usages de certains médecins. Nicolas-Théodore de Saussure décrit ainsi le Dr Butini : « Il est toujours le héros de ses malades, surtout dans le sexe féminin. Il sait leur persuader qu’il en est amoureux et qu’il les fait vivre28. » Ces récits rappellent les multiples caricatures obscènes ou satiriques dépeignant les jeux de séduction des thérapeutes. La proximité sensuelle créée par certains actes médicaux est à l’origine de cet imaginaire libertin ou grivois29.
20Bien loin des mièvreries du médecin des dames, les écrits féminins indiquent donc que le soignant idéal sait susciter la confiance par sa sincérité et son humilité, son tact et ses bonnes manières, ses attentions et son écoute, ainsi que par son irréprochable moralité. Ce portrait est assez proche des qualités fondamentales que s’attribuent les médecins selon Philip Rieder : douceur, empathie et tact, mais aussi distance professionnelle30. Femmes aisées et médecins partagent le même idéal – les unes appellent de leurs vœux ce soignant, les autres tentent de se conformer à cette image – et élaborent de concert une pratique et une figure médicales.
21Le renforcement de l’assise des médecins et, plus généralement, le processus de médicalisation des soins ne sauraient alors être décrits que comme une emprise croissante des professionnels de santé sur les corps. Une étroite correspondance entre les volontés médicales et les attentes de leur patientèle restitue mieux les dynamiques de la relation de soin et ses évolutions. Tandis que les hommes aisés partagent les aspirations féminines, les patientes influencent de manière spécifique la relation thérapeutique, car l’intrusion d’un homme dans le foyer nécessite quelques précautions – comme la présence d’un tiers lors de la consultation – pour préserver l’honneur de la parenté. Pour gagner en légitimité et avoir toute autorité à agir sur les corps féminins, les médecins doivent impérativement faire valoir leur moralité qui devient une des qualités essentielles dont ils se prévalent.
22Toutefois, peu de médecins correspondent pleinement au soignant modèle brossé par les écrits personnels. La relation thérapeutique est alors davantage le théâtre de tensions que celui d’une parfaite harmonie. À l’occasion de ces conflits, les pouvoirs des souffrantes apparaissent, comme leur volonté de conduire leurs maux.
Faveurs féminines : modes, réputations et patronages
23Face aux médecins, les malades ne sont pas à égalité, car les plus aisées disposent d’un pouvoir économique et d’un positionnement social susceptibles d’orienter leurs relations avec les soignants. En tant que consommatrices de soins dans un marché thérapeutique très concurrentiel et dynamique, leurs choix font la fortune des uns et des autres, même si la dépendance financière des médecins a été longtemps admise avant d’être nuancée31. Des phénomènes de patronage sont repérables, notamment au xviie et au début du xviiie siècle, et semblent essentiels à bon nombre de médecins issus de milieux modestes : des femmes aisées n’hésitent pas à mobiliser leurs réseaux pour agrandir la patientèle des thérapeutes de leur choix32.
24Mme de Sablé participe activement à la promotion du médecin Vallant qui reste à ses côtés pendant vingt ans, de 1658 à sa mort, officiant également en qualité de secrétaire33. Originaire de province, elle le prend sous sa protection et le recommande activement à ses amis. Les contacts établis du vivant de Mme de Sablé favorisent la poursuite de sa carrière. Conformément aux prérogatives de leur rang, les femmes s’illustrent dans ces patronages34, mais leur domination socio-économique varie en fonction des soignants. Les médecins célèbres des Lumières – comme Samuel-Auguste Tissot, Félix Vicq d’Azyr, Théodore Tronchin ou encore Théophile de Bordeu – sont à l’abri des préoccupations financières et plus libres d’exercer comme bon leur semble35.
25Tous sont, en revanche, tributaires de leur réputation, essentielle à l’agrandissement de leur patientèle et donc à la reconnaissance de leur pratique professionnelle36. Elle constitue un critère primordial dans le choix des soignants dépassant largement le prestige des diplômes et des titres, ou le coût des consultes pour une population aisée pouvant s’offrir les meilleurs soins. La réputation constitue ainsi un véritable capital pour les médecins qui ne peuvent sans conséquences la négliger. Il s’agit de conserver des relations cordiales avec les malades et leur entourage et de se rapprocher du soignant idéal, qui échoue peut-être face au mal, mais montre toutes les qualités requises pour faire un bon thérapeute.
26Les élites féminines jouent un rôle central en modelant à loisir la renommée des médecins. Elles causent leur fortune ou leur ruine par les effets de mode qu’elles impulsent, à condition qu’elles soient influentes à l’échelle de leur ville ou de leur pays. Les rumeurs et les courriers qui sillonnent l’Europe font le reste. Les échanges épistolaires sont effectivement des lieux de formation des réputations médicales. Julie Bondeli livre avec humour son appréciation de celles qui se font et se défont sur la place publique, dans les boudoirs ou les salons, en s’adressant à Johann Zimmermann :
« Je suis encore à atendre la félicité que vous me prometés à la fin de mon rhume […]. Ce qu’il y a de plus fâcheux c’est que je risque de redevenir laide et alors l’hônete M. Bertrand se mordra les doigts d’avoir dit à toute la ville que depuis deux mois qu’il ne m’avait vue j’avais rajeuni de cinq ans, et vous mon bon ami vous y serés pour votre réputation, car plaisanterie à part, je comencais à faire les honeurs de votre science d’une façon très visible37. »
27L’effet de mode est utile au médecin, comme au charlatan38. Pour asseoir une réputation, les femmes ne se réfèrent pas forcément à des on-dit lointains, préférant se fier à des expériences vécues par des proches, gage de leur véracité39. Les malades procèdent ainsi à une forme de contrôle collectif des actes médicaux leur permettant de connaître les « antécédents » des praticiens, concernant aussi bien leurs exploits que leurs échecs thérapeutiques.
28Les réputations négatives sont d’autant plus importantes que les souffrantes et leur entourage disposent de très peu de recours en cas d’erreur de diagnostic ou de traitement40. Pour ces femmes, il ne s’agit pas de briser la carrière d’un médecin qui ne serait pas parvenu à les soigner, car toutes savent que les thérapeutes, aussi célèbres soient-ils, ne sont pas infaillibles et conjecturent bien plus souvent qu’ils ne maîtrisent le mal41. Quand elles émettent une opinion réservée sur un médecin, c’est qu’elles jugent qu’il a commis des fautes graves. De nombreux témoignages vont dans ce sens et soulignent la responsabilité du thérapeute42.
29En 1766, Marie de Livry écrit ainsi sa douleur à la nouvelle de la mort de la marquise de Baune, que son médecin « a tué en luy donnant de l’opium pendant qu’elle avoit la petite vérole et qu’elle étoit après à faire une fausse couche43 ». Les erreurs médicales font l’objet de discussions et l’information circule avec fluidité. On chuchote près du lit des malades, observant le traitement des soignants, puis la sentence tombe. L’épistolière parisienne rapporte aussi l’état de santé de l’abbesse de Miremont qui meurt dix jours plus tard de consomption : « On dit que M. Barthès, son médecin, par le traitement qu’il fait aggrave plutôt la maladie que de la guérir par la quantité de quinquina qu’il lui a fait prendre44. » Souvent démunis face aux maux, les médecins sont dans une position difficile, mais ceux qui savent répondre aux attentes des malades gagnent de multiples faveurs.
30Les réseaux de sociabilité des femmes aisées leur permettent aussi bien de bâtir la réputation d’un médecin, que de s’impliquer activement dans sa promotion. Certains s’adressent directement à elles pour obtenir des honneurs ou des charges. Marie de Livry possède un droit sur les terres de Barbotan et leur exploitation thermale qui la place dans une position d’autorité pour influer sur les médecins qui veulent y exercer. Le Dr Terrade est de ceux-ci :
« M. Terrade a en vue de se faire médecin des boues de Barbotan. Il m’a priée de luy en faire obtenir le brevet. Je n’ay voulu prendre aucun engagement, parce que je ne say point encore si Barbotan me restera et puis entre nous soit dit, je ne puis croire qu’en deux ans de tems M. Terrade soit devenu ce qui s’appelle un bon médecin. Je ne voudrois pas risquer de donner au public un homme hors d’état de pouvoir le servir45. »
31Marie de Livry prend son rôle très au sérieux et ne compte pas recommander le premier venu. D’autres attendent un geste de leurs patientes en veillant à susciter l’engouement ; l’opération porte parfois ses fruits. Marie recommande ainsi un « jeune médecin » qu’elle juge « grand physicien » et à qui elle reconnaît de « l’agrément46 ». Élisabeth Du Bourg favorise quant à elle un étudiant en médecine et souhaite que son amie parisienne le recommande à son tour à un médecin de la capitale47. Quand ils sont établis, c’est souvent à la suite d’une guérison inattendue ou de soins dévoués que les femmes se décident à récompenser leurs soignants, en signe de reconnaissance48.
32La relation nouée entre le médecin Johann Zimmermann (1728-1795) et la Bernoise Julie Bondeli, fille d’un membre du Grand Conseil, éclaire ces pratiques. Leur sensibilité pour les belles-lettres les rapproche et Johann devient vite un ami. Julie joue d’ailleurs de ses différents statuts49 : « Le titre d’ami-médecin, vous est, monsieur, si absolument acquis que je ne me fais plus le moindre scrupule de continuer à vous parler maladie50. » Elle écoute ses conseils avec intérêt et les confronte aux dires de son médecin ordinaire, attribuant aux praticiens « la supériorité des conaissances et l’humanité bienfaisante51 ». Leur complicité est réelle ; l’épistolière discute longuement Du traité de l’expérience en général et en particulier dans l’art de guérir, composé par son correspondant, en le comparant aux écrits d’Albrecht von Haller sur le génie52. Johann prend en compte son avis et insère dans son ouvrage, comme un clin d’œil, un passage d’une lettre de Julie, dont il fait un cas : « Une jeune Suissesse, qui, selon Rousseau joint à l’esprit de Leibnitz la plume de Voltaire, m’écrivoit un jour : Sans café je n’ai que l’esprit d’une huître53. »
33Quand débute leur échange épistolaire, Johann Zimmermann est médecin de la ville de Brugg, après des études à Göttingen où il a suivi les cours d’Albrecht von Haller et soutenu une thèse intitulée Dissertatio physiologica de irritabilitate (1755). Trois années après leurs premiers échanges, Julie évoque sa carrière et les opportunités qui s’ouvrent à lui, en réponse à une lettre qu’il lui a adressée :
« J’en viens à l’article de votre lettre qui m’intéresse le plus, c’est celui d’un autre emplacement pour vous. Je sens qu’il aurait des inconvéniants à Berne, mais peut-être dans peu moins de dificulté que vous ne l’imaginés. M. Itth refuse les pratiques et souvent avec si peu d’humanité et de décence que bientôt il aura fait. J’en parle non sur ouï-dire, mais d’après mes propres expérience ; celle qu’il m’a fait faire cete automne au sujet de ma sœur a été des plus fortes et pas ignorés. […] M. Langhans est presque toujours à Soleure à peine peut-il soigner trois ou quatre maisons qui souvent sont obligés d’en faire chercher un autre. Outre cela l’ambassadeur et l’État de Soleure lui font des conditions si avantageuses qu’on ne doute pas qu’il les accepte. Les autres médecins de Berne sont ou vieux, ou ignorans, ou eux-mêmes souvent malade. On ne songe pas à vous, pourquoi ? Parce que vous ne le dites à personne, à telle enseigne que lorsque je parle de vous, on suppose toujours que vous aimeriez mieux un établissement dans l’étranger54. »
34Le constat de Julie Bondeli paraît sans appel, Berne a besoin d’un médecin disponible et aimable, autrement dit de Johann Zimmermann. L’année suivante, en 1765, elle rencontre son collègue Samuel-Auguste Tissot. Le médecin lausannois lui apprend son désir d’aller exercer à Soleure et la jeune femme s’indigne de ne pas avoir été tenue au courant : « Allés vous à Soleure, n’y aliés vous pas ? Vous ne pouviés deviner que votre ami Tissot vin me parler de cela, et vous avez cru m’être assés indiférent pour qu’il ne valut pas la peine de m’écrire au plus quatre lignes pour m’en parler55. » Elle poursuit en annonçant que le chambellan de Volhynie désire s’entretenir avec le roi afin de lui procurer une charge de médecin56. Trois mois plus tard, c’est d’un établissement à Berne dont il est de nouveau question. Le médecin souhaite s’y installer, mais Julie Bondeli le met en garde contre une décision hâtive :
« Malgré l’envie démesurée que j’ai de vous voir établi à Berne, je ne puis vous conseiller d’y venir sans de bones conditions ; point de souscriptions il faut quelque chose de plus sûr. Wilhelmi est de mon avis, il dit que vous ne devés pas rejeter trop loin la proposition d’y venir, mais que vous devés tenir ferme sur une pension. Je crois que pour le présent il ne sera question de rien, la faveur fera obtenir à M. Tribolet la pension de M. Ith, et tout en disant qu’il est bien jeune et mal instruit on prendre patience, mais cete automne lorsque M. Langhans empaquetera feme et enfans pour aller en Hollande alors la détresse et les clameurs recomenceront, et alors sans perdre de vue l’essentiel qui est une pension fixe, il ne faut rien négliger pour intéresser vos amis afin de l’avoir, d’être établi à Berne et de ne pas laisser occuper pour une fois et toute cet emploi à un autre57. »
35Julie Bondeli ne laisse rien au hasard, se renseignant de tous côtés pour conseiller et encourager au mieux son ami. Très impliquée, elle discute certainement autour d’elle de la possibilité de cette charge, mobilisant ses connaissances pour faire aboutir son projet. Il s’agit de placer Johann Zimmermann en position de force.
36À la fin du mois d’août, les nouvelles sont moins bonnes. La femme de lettres lui apprend que le Conseil des Deux-Cents bernois a décidé de ne pas recruter d’étranger pour le poste de médecin de la ville : « C’est l’ouvrage de M. Haller qui voulait faire doner la place vacante au jeune Tribolet, mais il faut peu de chose pour faire renaitre les clameurs du public et alors M. H n’aiant plus d’intérret l’afaire passera58. » Julie tente de rester positive, mais Johann Zimmermann est furieux et écrit sa colère à Samuel-Auguste Tissot qui en informe Albrecht von Haller59 ; celui-ci se défend en disant que le médecin de Brug n’aurait trouvé à Berne que des ennemis. Les efforts de Julie Bondeli sont vains, son ami n’obtient aucune charge à Berne, mais devient conseiller à la cour de Hanovre et médecin personnel de Georges III en 1768. En 1784, c’est Catherine II qui le convoite, toutefois Johann repousse son invitation. Si la jeune Bernoise n’est pas parvenue à ses fins, elle a fait preuve d’une capacité à se mobiliser et à recourir aux membres de sa société pour favoriser son médecin. Sa réputation étant faite, elle souhaitait lui permettre d’exercer dans les meilleures conditions.
37Les faveurs et recommandations, comme la constitution des réputations, sont des moyens d’action cruciaux employés par les femmes aisées pour promouvoir ou gêner au contraire les praticiens de leur choix. Tandis que la maladie déséquilibre souvent les rapports hiérarchiques, elles peuvent de la sorte peser dans la relation qui les lie aux médecins. Les malades énoncent des attentes précises auxquelles les soignants sont priés de se conformer, conscients de la possibilité qu’elles ont d’en consulter d’autres. La position encore inconfortable de ces praticiens permet aux profanes de peser sur la définition de leurs qualités, vertus et domaines de compétences. Le couple médecin-souffrante semble donc bien plus riche que ne saurait le suggérer la figure littéraire du médecin des dames, bien qu’il soulève effectivement l’épineuse question de la séduction et de la sexualité. La relation de soin est aussi une rencontre des corps et des sens, rencontre d’autant plus complexe qu’elle est régie à la fois par les codes sociaux de la décence et par une pratique professionnelle en construction.
Médecine masculine et pudeurs féminines
38La pudeur constitue un thème prisé des médecins qui la considèrent comme un obstacle à l’exercice de leurs soins. À les lire, elle distinguerait nettement les relations qu’ils entretiennent avec leur patientèle masculine et féminine. La pudeur est à la fin du xviie siècle définie comme un « mouvement excité par l’appréhension de ce qui blesse ou peut blesser l’honnesteté et la modestie60 ». Elle « répand sur le visage le rouge qu’on a nommé le vermillon de la vertu61 ». Un siècle plus tard, le sens du mot n’a pas changé, mais dès la seconde moitié du Siècle des lumières, la pudeur est directement rapprochée de la pudicité qui « a un sens plus restreint, et ne se dit que de la chasteté » : « La pudicité est le plus bel ornement d’une femme62. » À la fin du xixe siècle, Émile Littré estime qu’elle peut tout simplement désigner la « chasteté, en parlant d’une femme63 ». Ce sentiment glisse vers une acception plus strictement corporelle et féminine, renforçant l’idée d’un vécu différencié : elle serait morale pour les hommes et d’ordre physique et moral pour les femmes64.
39Louis de Jaucourt, dans l’article « Pudeur » de l’Encyclopédie, justifie ce déséquilibre : « Pourquoi, réplique-t-on, ce qui n’est pas honteux à l’homme le seroit-il à la femme ? Pourquoi l’un des deux sexes se feroit-il un crime de ce que l’autre se croit permis ? Je réponds encore avec M. Rousseau, que les conséquences ne sont pas les mêmes des deux côtés. Les austères devoirs de la femme dérivent de ce point qu’un enfant doit avoir un père65. » Les représentations de la pudeur féminine sont ainsi corrélées aux prohibitions sexuelles attachées au « beau sexe », car elle est liée à l’honneur de la parenté. L’influence de Jean-Jacques Rousseau dans la féminisation et même la naturalisation de ce sentiment est très claire : « L’Être suprême » a donné la raison aux hommes pour maîtriser leurs passions, et aux femmes la pudeur pour les contenir66.
40Les hommes seraient-ils impudiques ? Les théories éliasiennes selon lesquelles les corps s’effacent, laissant place au sentiment de gêne ou de honte à en révéler certains aspects tandis que la civilité et la pudeur deviennent des régulatrices des relations sociales et des attitudes occidentales, gagneraient à être revisitées à l’aune du genre67. Le fait est qu’au sein des ouvrages de médecine, comme dans l’Encyclopédie, seules les pathologies féminines et leurs organes mènent à évoquer ce sentiment. Le vagin est d’ailleurs fréquemment appelé le « conduit de la pudeur68 ». Les médecins, en chœur, dénoncent un sentiment qui leur barre l’accès aux corps des femmes. L’enjeu est de taille : condamner leur pudeur excessive et en montrer les incidences revient à asseoir leur légitimité à les soigner. Leur tact et leur éthique professionnelle doivent être à même de rassurer les patientes et leurs proches. Ils ont aussi à contenir et repousser leur propre pudeur afin de permettre l’exercice de la médecine69. À mesure que le corps des femmes aisées devient un lieu d’action des thérapeutes masculins, son accès est balisé et codifié.
41Du côté des souffrantes, la pudeur est causée par un acte, un regard ou un discours sur soi considérés comme immoral. Il faut alors traquer les situations, les lieux et les personnes qui provoquent ce sentiment, en comparant expériences féminines et masculines et en distinguant la pudeur qui se manifeste dans le quotidien de celle qui survient plus spécifiquement dans la relation de soin. Au sein des correspondances privées et des consultations épistolaires, une pudeur des mots se précise et revient à se sentir gêné d’évoquer des actes ou des pensées jugées répréhensibles et immorales, ainsi qu’une pudeur corporelle relative à la honte que suscitent l’exposé du corps – dans sa nudité ou sa quasi-nudité – et le toucher médical. L’énonciation des excrétions corporelles, le vocabulaire du sexe, les pratiques sexuelles honteuses, le dévoilement des corps et les pérégrinations du « doigt explorateur70 » des médecins sont autant de motifs propices à l’expression de la pudeur et essentiels à la compréhension des relations entre thérapeutes masculins et souffrantes.
Usages narratifs des excréments
42Le refus de nommer certaines parties du corps ou des états physiologiques jugés honteux s’apparente à une pudeur des mots : la conscience de soi freine le processus de mise en récit. Ces silences reflètent les convenances sociales d’une époque et d’un milieu socioculturel. Au Siècle des Lumières, l’ensemble des excrétions corporelles ou excréments – les matières fécales, ainsi que « l’urine, la sueur, la salive, et ce qui sort du nez quand on se mouche71 » – est détaillé sans gêne au quotidien. Au sein des échanges épistolaires, les femmes aisées évoquent sereinement les urines et les matières fécales. Elles commentent leur qualité, n’hésitant pas à rapporter l’évolution de leur consistance pour notifier les fluctuations de leur état de santé. La sérosité « couleur de citron » qui peut être aussi bien « épaisse, chargée, trouble, claire, cuite, crue, âcre que mordicante72 », tout comme les « gros excrémens » ou « déjections du bas ventre » ont toute leur place dans les lettres raffinées des épistolières de ce siècle ; la plume se mêle sans gêne au pissat. Dans la première moitié du siècle, Françoise Chandieu se réjouit du récit de sa fille :
« Venons à ce qui m’intéresse encorre plus, s’est ta santé. Tu m’a dégagé en nous mendant tes seles, je ne connois rien de comparable au plaisir de vuider son corps à propos. Il me semble que dans le même moment, se dont on se débarasse fais place à des idées agréables. Mon Dieu, qu’elle est notre misère. Notre bonheur ou notre malheur réside quelques fois dan une tasse de bille73. »
43Rien de plus banal que d’évoquer les matières excrémentielles dans les discussions comme dans les lettres, même si l’acte de déféquer est habituellement soustrait aux regards74. L’information circule sans honte. Dans les années 1780, Thérèse d’Albis de Belbèze apprend d’un de ses amis, qui tient lui-même ceci d’une de ses connaissances, que son mari a « eu la diarrhée à Noé75 ». Aucune maladie grave ne justifie sa mention : c’est une nouvelle de convenance indiquant l’état de santé général.
44Les évacuations venteuses font aussi l’objet d’entretiens détaillés dans les lettres féminines et masculines. Marie-Louise de Riquet est mise au courant des flatuosités de son fils :
« Je ne vous écrit longuement, ma chère maman, par le courier attendu qu’à peine puis-je dans le moment étant rentré chez moy avec les accès venteux et misérables que vous me connoisés, maladie dont on ne se vente pas, parce qu’on se moque de vous, et qu’on dit que c’est chimique, mais malheureusement réel au point qu’à peine puis je me plier76. »
45Quand les flatulences suscitent rire et moquerie, au point que l’on s’en cache, c’est certainement leur excès qui est en jeu. Dans l’intimité familiale, le pet ne choque pas. En plein cœur des Lumières, la tante de Salomon Charrière commence son courrier ainsi : « Bonjour mon cher Sallem (ta mère vien de faire un gros pet pour te saluer au bruit du canon), je te remercie de tout ces détails [… ]77 ».
46Les femmes sont-elles aussi à l’aise quand il s’agit de s’entretenir de ces sujets avec leurs médecins ? De manière générale, le proverbe médical Naturalia non turpia semble refléter le comportement des élites féminines face à ces aspects de la maladie. Nommer les excrétions corporelles, c’est donner au médecin les informations nécessaires à l’établissement du diagnostic, selon l’importance des « six choses non naturelles » de la médecine galénique. Les femmes les précisent donc assez librement. Le Dr Tronchin écrit à la comtesse de Jaucourt : « Je suis charmé que vos urines soient toujours belles78 » ; il n’y a point de honte à les évoquer de part et d’autre. Au sein des consultations épistolaires envoyées à Samuel-Auguste Tissot, les femmes mentionnent toutefois moins leurs excréments et urines que les hommes79. Se révèleraient-elles plus honteuses face à ces évacuations naturelles et leurs mauvaises odeurs, signe d’une intériorisation plus précoce des usages socioculturels d’un corps policé ?
47Les menstrues sont finalement évoquées avec une plus grande facilité, surtout dans les consultations épistolaires qui dispensent d’en faire le récit de visu. Considérées comme essentielles dans l’économie générale du corps, il est nécessaire de les notifier quand on s’adresse à un thérapeute. On l’a vu, les médecins eux-mêmes s’enquièrent du cycle menstruel de leurs malades au cours de la consultation80. Certaines sont toutefois réticentes, à l’instar de Mme de Bourchenu : « La répugnance outrée de Mme de Bourchenu à parler de ces espèces de maladie a fait qu’elle n’a […] consenti à en parler à son médecin que peu de jours avant la fin du mois81 », rapporte un proche. Les femmes pudiques usent de périphrases pour nommer cette « indisposition de femme », selon la formule de Suzanne de Jaucourt82. D’autres proposent au regard des médecins l’état de leurs menstrues, telle Mme Goubert : « Le médecin qui a vu les linges qui en étoient imbibés, dit qu’il n’avoit point vu de sang de plus belle couleur, et qui parut mieux composé83. » Une perte de Mme de Civrac est jugée par ses médecins abondante, « sortant par flots, foetide, bourbeuse, ichoreuse, grisâtre84 ».
48À la lecture des correspondances privées et des consultations épistolaires, il apparaît donc que les différents symptômes trouvant leur siège dans les lieux de la pudeur sont mentionnés avec une certaine aisance, dans l’échange thérapeutique et au quotidien. Le sang menstruel, l’urine, les matières fécales et autres excrétions corporelles peuvent être sujets à des contournements pudiques, mais sont généralement évoqués dans la relation de soin. Une expression plus franche de la pudeur, et plus clairement marquée par le genre, se révèle dans l’exposé de la sexualité.
L’indicible sexualité féminine
49Au regard des écrits féminins, la pudeur narrative la plus flagrante se situe dans la désignation des pathologies liées au sexe. Contrairement aux hommes, les femmes aisées éprouvent de grandes difficultés à surmonter leur pudeur pour mentionner leur sexualité et les organes de la génération. Leur éducation orientée vers une négation des désirs sexuels et de leur expression en est grandement responsable85. Généralement maintenues dans une profonde ignorance, un malaise les saisit lorsqu’elles évoquent les choses du sexe. Même la marquise de Merteuil, héroïne libertine de Choderlos de Laclos, rappelle ces difficultés86. Le récit des sexualités féminines et masculines diffère alors profondément. Le parallèle proposé par Philippe Lejeune entre le journal de Cécile Coquebert de Montbret et celui de son époux Alexandre Brongniart, futur directeur de la manufacture de Sèvres, est éclairant87. Tous deux racontent leur nuit de noces ; voici le récit de Cécile :
« Je fus vraiment touchée des petites recherches qui semblaient faire de ce jour un jour de fête. Il en eût été un pour moi sans l’embarras inséparable qui l’accompagnait. La joie de Brongniart, qu’il m’exprimait d’une manière si délicate et si aimable, était seule capable de me faire cacher cette émotion qui aurait pu la troubler. Il m’avait préparé un charmant petit goûter auquel je n’eus assurément aucune envie de toucher.
Mon Dieu, comment peut-on se résoudre à se donner à un être que l’on aime – ou du moins que l’on ne connaît – pas assez, pour qu’il possède toutes vos affections ? Ces moments d’émotion, d’embarras doivent être changés alors en des moments de désespoir et d’horreur. Je conçois moins que jamais le mariage de connaissance. Rien au monde ne peut dédommager des sacrifices qu’on fait à un mari, si ce n’est la tendresse la plus vive, la certitude de le rendre heureux et de s’acquérir des droits à sa reconnaissance ; ces assurances seules peuvent donner le courage et la force nécessaires dans ces premiers moments qui sont si pénibles, même lorsqu’on épouse l’homme que l’on chérit le plus tendrement88. »
50La jeune Cécile conçoit le mariage à travers ses festivités, car elle aime l’homme qu’elle épouse. Elle appréhende toutefois ce moment l’estomac noué, ne sachant trop comment se comporter. Son mari, bien plus à l’aise, l’entoure d’attentions et tente de la rassurer pour gagner ses faveurs. Son récit est mécanique et dépouillé. Aux multiples réflexions soulevées par son épouse, il répond par l’expression froide de son désir sexuel :
« Je vais à l’École centrale puis au conseil des Mines. Je vais dîner avec Cécile, je passe la soirée avec elle, je travaille un peu. À huit heures, je l’emmène en fiacre souper avec moi et coucher dans son nouveau chez elle. Tout était disposé dans ma chambre pour qu’elle y arrive secrètement et le plus commodément et le plus agréablement possible. Un petit souper était préparé pour elle, mais nous n’avons faim ni l’un ni l’autre. Nous causons bien gentiment et à dix heures, nous nous déshabillons. Je sers de valet de chambre à ma Cécile. Elle est charmante. Je trouve en elle la retenue qui doit exister dans une fille de son âge et de son caractère, mais non de ces sentiments de pruderie ou d’une honte exagérée qui ôtent tout le bonheur d’un plaisir partagé. Nous dormons peu… cependant encore plus que je ne m’y attendais89. »
51La satisfaction d’Alexandre et son sentiment de « plaisir partagé » rompent fortement avec le discours de son épouse qui, deux jours après ses noces, revient sur cet événement marquant avec la sœur de son mari :
« J’ai fait une petite visite à Émilie. On avait voulu lui cacher l’enlèvement de la surveille, mais elle l’avait su et n’avait pu l’ignorer que par discrétion. Sans me permettre vis-à-vis d’elle de ces détails qui seraient disconvenants avec une jeune personne, je n’ai pas craint de lui laisser voir combien les descriptions des romans et des poèmes, qui éveillent l’imagination et les sens, étaient loin de la réalité ; et la raison en est simple, puisque les hommes sont les auteurs de ces charmantes fictions90. »
52La grande divergence narrative de cette nuit de noces reflète des vécus opposés au sein du couple. L’appréhension de la jeune vierge, élevée dans une cruelle innocence, s’oppose à l’assurance et au désir de son époux qui, dans son journal, propose « l’éclatante récapitulation de (ses) prouesses amoureuses91 » avec une liberté de ton interdite aux femmes de son époque. Fortement influencée par le genre, l’expression de la sexualité féminine reste difficile, malgré le caractère privé des journaux intimes. Comment pourrait-elle être révélée sereinement à un thérapeute masculin ?
53Il faut tout d’abord trouver les mots pour le dire. Or, le vocabulaire anatomique concernant le sexe féminin est très pauvre sous la plume des femmes. Dans le fonds Tissot, une malade ose néanmoins évoquer ses « parties nobles », d’autres mentionnent la « matrice », bien loin toutefois de la précision des terminologies employées par les hommes dans un ballet de « verges », « pénis », « testicules », « bourses » et plus timides « parties de la génération ». Pour autant, les « maladies des femmes » sont un sujet de préoccupation : elles figurent dans près du quart des consultations envoyées à Samuel-Auguste Tissot, et sont très nombreuses dans celles du médecin Louis-Marie Lavergne (1756-1831)92. En revanche, les correspondances privées sont plus silencieuses à ce sujet. Au quotidien et avec ses proches, il semble plus difficile de rapporter ses fleurs blanches ou les problèmes liés à la matrice, que ses selles.
54L’existence de telles évocations dans les consultations épistolaires indique que les médecins représentent des interlocuteurs de choix pour ces maladies. Est-ce à dire que les femmes sont à l’aise en relatant leurs troubles intimes ? Ces consultations leur permettent d’instaurer une relation thérapeutique à distance susceptible de favoriser l’expression de ces pathologies, car les malades se soustraient alors au regard et à l’oreille des médecins, tout comme à ceux de leurs proches. Lorsque les femmes aisées s’adressent aux soignants pour leurs troubles gynécologiques, elles ont certainement tenté de se guérir seules, mais face aux maux qui les assaillent, se sont finalement résolues à passer outre la répugnance qu’elles éprouvent à converser de ces maladies pour consulter les personnes les plus aptes à les guérir.
55En outre, les pathologies de l’appareil génital féminin n’occasionnent pas toutes les mêmes silences. Les femmes ont bien plus de mal à évoquer une maladie « honteuse » comme la vérole, que l’on dissimule au xviiie siècle, que les pâles couleurs. Cette pudeur est tributaire des représentations morales liées à ces pathologies, assimilant les maladies vénériennes à une conduite libertine. Les causes présupposées de ces troubles freinent alors le récit des élites féminines, mais aussi masculines. En témoignent ces quelques lignes de Mathias Du Bourg riant avec sa mère de sa maladresse lors d’une visite des bains de Gorgitello, en Italie :
« Un docteur en lunettes, et un gros abbé, étoient dans le bas. Je leur demandai le plus poliment qu’il me fut possible pour quelle maladie étoient bonnes ces eaux. Ils ne me répondirent qu’à la seconde fois et d’un ton assés brusque qu’elles étoient bonnes à tous les maux. Cette réponse générale ne m’ayant pas satisfait, j’interrogeai un italien fort instruit qui voyageait avec nous et je m’apperçus alors de l’indiscrétion de ma demande. Ces eaux ne guérissent d’une maladie qui, quoique très à la mode à Naples, ne convient ni à un docteur ni à un abbé93. »
56Tous connaissent la raison pour laquelle ils sont réunis dans ces bains, mais la décence veut que l’on taise leurs pouvoirs thérapeutiques. Cependant, les hommes évoquent bien plus facilement ces désordres intimes, au quotidien ou avec leurs médecins94.
57Dans leurs écrits personnels, ils décrivent leur sexualité avec une grande liberté, quand bien même ils utilisent quelques codes secrets, à l’instar du « diariste sexuel » Pierre-Philippe Candy95. Encore célibataire, Alexandre Brongniart n’ose écrire en toutes lettres les chaudes-pisses dues à ses frasques sexuelles avec deux prostituées du Palais-Royal :
« J’avais dit étant jeune, si jamais j’attrape quelque chose ce ne sera pas avec une fille : j’ai attrapé une ch. p. et cela avec une fille. J’avais dit pendant et après ma ch. p. si on m’y reprend on sera malin. M’y voilà repris et c’est avec la même femme. Ah, je suis constant ! Mais il faut avouer aussi que j’ai du malheur, je n’ai jamais baisé de ma vie que deux filles après les protestations les plus solennelles de leur part. Mademoiselle Voitel la première et la première fois me donne la ch. p., et la deuxième c’est Rose, heureusement que je ne l’ai baisée qu’une fois96. »
58Les consultations épistolaires masculines témoignent d’une liberté de ton similaire. Plus du tiers de ceux qui écrivent à Samuel-Auguste Tissot évoquent des pathologies liées au sexe97. Les maladies vénériennes, « chaudes-pisses » et autres « gonorrhées » viennent en tête, suivies de peu par les « pollutions nocturnes » et les troubles de l’activité sexuelle comme les problèmes d’érection, d’éjaculation précoce et d’impuissance98. Le discours sur les maladies vénériennes révèle bien une distinction de taille : si les hommes oscillent entre honte et exposé presque victorieux de leur tableau de chasse vénérien, les femmes ne font pas de liens entre les pathologies gynécologiques qu’elles subissent et une quelconque activité ou débauche sexuelle. Le médecin ne semble pas devenir le complice, ou ne serait-ce que le confident, de leur sexualité. Leur aversion à la relater, dans les écrits personnels comme dans les consultations épistolaires, renvoie à l’obligation de préserver la réputation que toute dame de la bonne société ne saurait négliger.
59Dans les consultations envoyées à Samuel-Auguste Tissot, les femmes ne sont que 4 % à oser mentionner leur sexualité, contre 36 % des hommes. De manière générale, la sexualité et le désir féminin sont absents des narrations maladives99. Même lorsqu’elles pratiquent l’abstinence, les femmes préfèrent rester muettes ou évoquer leurs dispositions avec retenue100. Or, les théories médicales du Siècle des Lumières considèrent que l’activité sexuelle – en termes d’absence ou d’excès de relations – peut être génératrice de troubles physiques. Les femmes, en gardant le silence, privent donc les médecins d’une partie des informations nécessaires à l’établissement de leur diagnostic. Leur mutisme est d’autant plus lourd quand leurs pratiques sont décriées par la médecine. Ainsi la masturbation est-elle certainement à l’origine de la pudeur la plus révélatrice des différences entre hommes et femmes face à l’exposé de leur sexualité.
Le drame masturbatoire
60Au Siècle des Lumières, la masturbation constitue un péché contre nature au même titre que la bestialité, le coït interrompu et la sodomie101. En se contentant seuls, les individus ébranlent le mariage et sa finalité : la reproduction. Les médecins s’y intéressent aussi et démontrent de manière « rationnelle » les dangers de l’onanisme pour la santé. Quelques-uns plaident que la sexualité solitaire se justifie en cas d’abstinence prolongée, car ils jugent indispensable que les fluides sexuels s’écoulent régulièrement. La masturbation des plus jeunes ne bénéficie pas de la même indulgence, parce qu’elle les prive de leurs ressources vitales102. Avec Samuel-Auguste Tissot, la masturbation passe du péché au véritable fléau103. Son très célèbre ouvrage, L’onanisme : dissertation sur les maladies produites par la masturbation, publié en 1760, connaît un succès exceptionnel jusqu’au xixe siècle. Il a été réédité près de soixante fois de 1760 à 1842, inspirant de nombreux autres traités104. Le médecin Bienville s’inscrit dans cet élan en publiant en 1771, La nymphomanie ou Traité de la fureur utérine. Il y décrit la déchéance de la jeune noble Julie, promise à un mariage brillant, à la suite d’une pratique incontrôlable de la masturbation105.
61Les femmes aisées ont connaissance de ces débats éventés dans les salons ou par leurs lectures106. Toutes savent que le prêtre, le pasteur et le médecin condamnent les plaisirs solitaires avec plus ou moins de rigueur. Leur point de vue sur la masturbation et ses conséquences sur la santé demeurent toutefois dans l’ombre, car les écrits du for privé n’investissent que rarement ces questions intimes. Tout au plus dispose-t-on à ce sujet de la correspondance passive de Mme Polastron La Hillière avec son directeur spirituel. Entre les lignes, l’expérience de cette femme transparaît, tout comme l’implication religieuse dans la gestion de la sexualité solitaire. Leurs échanges débutent dans les années 1740 ; à cette époque, la masturbation n’est pas encore devenue le cheval de bataille des médecins et c’est donc vers son directeur spirituel qu’elle se tourne en priorité.
62Catherine Polastron La Hillière est une femme dont on sait peu de choses. Elle est la fille de M. Duclos, conseiller au parlement de Toulouse. En 1743, Catherine épouse Jean Polastron La Hillière avec qui elle entretient une relation conjugale complexe en ce qui concerne leur sexualité. Quelque temps après son mariage, elle se plaint de l’appétit sexuel de son époux auquel elle souhaiterait se dérober. Son directeur spirituel est formel : « Quand les empressements sont d’un certain genre et dans certaines circonstances, il n’est pas permis de s’y refuser. Hors de là, il faut les éviter avec soin s’ils sont trop significatifs107. » Plutôt que de la rassurer et de tenter de comprendre ses angoisses, l’homme d’Église préfère lui rappeler ses devoirs conjugaux. À cet égard, les médecins ont pu se montrer plus conciliants et aider les femmes à se soustraire aux assauts de leurs maris, du moins certaines malades en ont-elles fait la demande108. Le confesseur reste ferme et attend de la jeune femme un rapport de son état et de ses fautes tous les deux mois109.
63Très vite apparaît la question de la masturbation, que le directeur spirituel n’ose nommer de la sorte et qui semble poser problème à Catherine Polastron La Hillière :
« Il y a bien de l’apparence, Madame, que la pression et le mouvement que vous fites et que vous ne discontinuates pas, lorsque vous éprouviez certaines sensations, furent volontaires. Il ne faut céder en rien à la volupté ni la favoriser par aucun mouvement extérieur qui dépende de la volonté. La passion, la tristesse et la mélancolie induisent assez souvent à la sensualité et elles ôtent la force de combattre cette passion honteuse. Prenez garde de vous familiariser avec elle le moins du monde110. »
64Le religieux fait montre d’une grande intransigeance et met en garde la jeune femme contre le péché qu’elle commet sciemment. Il tente alors de prévenir ces attouchements dangereux en proposant à Catherine une mise en ordre de son mode de vie, qui lui semble trop lascif et propice à la luxure. Le confesseur fustige son habitude de « demeurer au lit au-delà de l’heure du lever et quoiqu’on soit réveillé », cause de sa mollesse et de sa sensualité. Par ailleurs, elle chauffe bien trop sa maison à son goût, ce qui la rend à la fois « lâche et molle » : « Ce n’est pas ainsi qu’on se sanctifie, ce n’est pas ainsi qu’on se sauve111 », assène-t-il.
65La chambre à coucher constitue le lieu du péché et le confesseur veille à corriger tous les gestes susceptibles d’éveiller le désir. Il se lance alors dans une lutte effrénée contre les errements de la main :
« Je m’imagine que cette situation où vous vous trouvez quelquefois au lit raport aux mains qui se trouvent mal placées. Vous devez être très attentive à les bien situer en vous couchant, et à les retirer aussitôt que vous vous appercevez qu’elles se sont portées ailleurs, sans attendre pour le faire qu’elles aient réveillé la chair ou occasionné de mauvaises images112. »
66Le directeur spirituel entend bien procéder à un règlement du corps et de ses postures, mais Catherine demeure tourmentée par ses attouchements solitaires, qu’elle semble confondre avec quelques démangeaisons. Il entreprend une fois de plus de guider sa main et sa vertu :
« Je suis bien persuadé que les démangeaisons dont vous parlez sont une incommodité purement naturelle qu’il vous est permis de soulager.
Mais 1º Si vous pouvez le faire sans porter la main à nud soit sur le sein soit ailleurs, il convient d’user de cette précaution.
2º Vous devez éviter de vous soulager, autant qu’il sera possible, devant des personnes qui pourroient en être choquées ou remuées.
3º Il faut du moins alors le faire fort légèrement, fort vite et avec toute la modestie possible.
4º Si par le mot ailleurs vous entendez le siège de la cupidité ; les précautions dont je viens de parler sont encore plus importantes, et il faut bien prendre garde de confondre la démangeaison naturelle avec un certain sentiment de concupiscence qu’il seroit très dangereux de satisfaire. Aussitôt que vous éprouvez les moindres atteintes de ce dernier sentiment (que vous sçavez sans doute démêler d’avec le reste) il faut cesser et retirer la main. Il convient même de ne pas soulager d’abord au premier besoin. Quelquefois en souffrant un instant, la démangeaison naturelle se dissipe d’elle-même, à moins que ce ne fut quelque ébullition qui se montrat au dehors ou quelque humeur désastreuse113. »
67Le confesseur multiplie ses conseils méthodiques, et pour la première fois, mêle au discours religieux des considérations médicales. Il souhaite ainsi aider Catherine à distinguer, parmi ses démangeaisons, le désagrément corporel du désir à combattre.
68Pour l’éloigner de ses pratiques solitaires, et face à l’échec de ses diverses exhortations, le religieux cherche également à la réorienter du côté d’une sexualité légitime et autorisée par l’Église en la poussant à rejoindre le lit de son mari :
« Votre disposition à l’égard d’un certain devoir est vraiment opiniâtre et certainement mortelle. Il ne faut pas conter votre péché du moment seulement où vous avez fait un refus ou l’équivalent ; mais depuis le temps que cette disposition subsiste sans avoir été sincèrement révoquée. Vous n’avez pas sufisament réparé votre faute par le compliment que vous avez fait en dernier lieu. […] Un mari ne peut que se tenir offensé et rebutté qu’on lui dise qu’on sacrifiera son inclination à son devoir. Il est en droit d’exiger une certaine inclination parce qu’elle est de devoir lorsqu’elle est honnête et retenue dans certaines bornes. […] Qu’il me soit permis de vous dire Madame ; vous abusez de la bonté de M. votre époux ; vous sortez de votre état, vous renversez l’ordre. […]
Nous voici au carême, temps où l’Église exhorte l’époux et l’épouse à vivre séparément ; ainsi je ne veux point vous conseiller de faire aucune avance jusqu’à Pâques, mais tout saint que soit ce temps-ci, si M. votre époux vous requiert, vous ne devez pas refuser. Il connoit les règles et votre répugnance, d’où l’on peut conclure qu’il ne fera certainement de demande que dans une vraie nécessité qui l’excuseroit presqu’entièrement et qui rendoit certainement votre acquiescement exempt de toute faute, du moins du côté de la sainteté du temps114. »
69Les pratiques masturbatoires et les refus répétés de Mme Polastron La Hillière opèrent bien un « renversement de l’ordre ». Cette lettre rappelle la position de l’Église catholique sur les devoirs conjugaux et la subordination des femmes aux désirs de leurs époux. En dépit de la posture du pater familias, un pasteur se serait peut-être montré plus compréhensif, car le mariage n’est pas un sacrement dans la religion protestante et laisse théoriquement plus de facilité aux conjoints pour exprimer leurs volontés115.
70Au cours des quelques années que dure leur échange, le confesseur de Catherine n’a de cesse de lutter en parallèle pour sa soumission au devoir conjugal et son abandon des pratiques solitaires ; les deux étant intimement liés dans son esprit. À deux reprises au moins, dans les années 1740, Mme Polastron La Hillière s’est pliée aux désirs de son époux, donnant lieu à deux naissances, en 1745 et en 1746. Cependant, elle n’a pas réussi à mettre un terme à son penchant pour la masturbation et s’est certainement sentie gênée par cette pratique, qu’elle juge nécessaire de confesser. Peut-être était-elle préoccupée, au-delà de son salut, par les répercussions possibles sur sa santé, mais le ton directif de cet homme et son manque de compréhension quant à l’aversion qu’elle éprouve pour son mari la poussent à rompre leur échange épistolaire à la fin de l’année 1747. Le religieux se fait alors plus humble et doux, mais ne parvient pas à pérenniser leurs échanges116.
71Quelle qu’en ait été l’issue, l’espace de quelques années, sa correspondance avec Mme Polastron La Hillière a constitué un espace d’expression de la sexualité. Dans le secret de la confession, les catholiques peuvent ainsi avouer leurs pratiques et se soumettre aux reproches des religieux. Avec les pasteurs, les protestantes ont aussi l’opportunité d’échanger quelques confidences, mais point de pardon ni de confession pour ces dernières. Qu’en est-il des échanges avec les médecins, et avec Samuel-Auguste Tissot en particulier, connu pour être un fervent calviniste et surtout pour son rôle dans la médicalisation de l’onanisme à partir de la publication de son traité en 1760 ?
72Une différence frappante ressort des consultations épistolaires envoyées au médecin lausannois au sujet de la masturbation : 95 % des 58 personnes qui la mentionnent sont des hommes. À moins d’admettre une dissymétrie équivalente dans les pratiques, peu soutenable dans ces proportions, les femmes peinent clairement à évoquer l’onanisme. Une honte indicible les saisit au moment d’aborder cet acte sexuel. Leurs réticences sont d’autant plus fortes que le discours médical culpabilise les pratiques non « canoniques » : il existe une continuité claire entre discours religieux et médicaux117, car la sécularisation du contrôle de la masturbation n’entraîne pas pour autant un recul de sa dépréciation morale. En outre, Samuel-Auguste Tissot ne se montre pas plus tolérant qu’un confesseur quand il fustige dans l’Onanisme « l’indifférence que cette infamie laisse pour les plaisirs légitimes de l’hymen » et les risques qu’elle fait peser sur le respect du devoir conjugal118. Le désarroi et le trouble de Catherine Polastron La Hillière sont donc communs aux trois femmes qui osent avouer au médecin lausannois leur pratique de la masturbation. Avec les hommes, elles partagent un sentiment de honte et de pudeur ; nul n’est fier d’évoquer l’onanisme. L’arrogance masculine qui caractérise leur narration victorieuse des maladies vénériennes et des frasques sexuelles s’efface en effet pour laisser place à un discours gêné119.
73En 1784, Mme de Chastenay écrit une longue lettre au médecin vaudois qu’elle lui demande de réexpédier, par peur de laisser trace de ses confidences. Cette femme souffre de multiples angoisses et craint de sombrer dans la folie ; elle mentionne finalement sa sexualité :
« J’ai un tempérament froid pour ce qui s’appelle vivre intimement avec son mary, mais j’ai une imagination très vive ; et dès l’âge de douze ans, j’ai abusé souvant et beaucoup de moi même sans sçavoir ce que je fesais. Depuis quelques années c’est devenu fort rare parce que j’en ai craint le danger et que j’en ai perdu l’habitude. Vous voyés, mon ami, que je fais une confession général120. »
74Le vocabulaire religieux s’impose dans son récit ; la révélation masturbatoire entraîne bien souvent l’utilisation de ce registre lexical121. Mme de Chastenay surmonte sa répugnance pour relater ses pratiques, pourtant révolues, parce qu’elle souhaite délivrer l’ensemble des informations nécessaires à l’établissement du diagnostic. Elle considère alors que la masturbation peut avoir des conséquences sur la santé. Comme elle, nombreux sont les hommes qui évoquent leurs pratiques juvéniles dans l’espoir qu’une révélation exhaustive permette au médecin de trouver le moyen de les soigner.
75La même année, Mme Contrisson de Villie prend la plume pour détailler ses « rêves involontaires suivis d’une évacuation » et ses étouffements nocturnes122. Là aussi, le souci de n’omettre aucun élément important pour sa guérison la pousse à avouer ses pratiques masturbatoires : « Je dois encore, Monsieur, vous faire un dernier aveu, le plus difficile sans doute, mais peut-être le plus nécessaire pour vous mettre à même de bien juger mon mal. J’ai contracté, dans mon enfance, instruite par le hasard ou la nature, une malheureuse habitude commune parmis les jeunes gens de l’un et de l’autre sexe123. » Ces « habitudes » s’imposent à Mme Contrisson de Villie. Les initiations ont souvent lieu dans les couvents avec les aînées, tandis que les hommes mentionnent leur apprentissage dans les chambrées des collèges124. La malade donne ensuite la fréquence de ses plaisirs solitaires et déplore ses tentatives infructueuses pour les refréner, « ne trouvant pas dans d’autres plaisirs plus naturels […] de quoi me dédommager d’une sensation que rien autre chose ne pouvait me faire éprouver125 ». Rares sont les évocations du plaisir féminin, d’autant plus quand il est le fruit de pratiques décriées ; Mme Contrisson de Villie s’en sert ici pour justifier timidement ses égarements, y cherchant une compensation à la sexualité conjugale.
76La troisième femme qui avoue à Samuel-Auguste Tissot ses plaisirs solitaires est une patiente anonyme résidant en Allemagne. À la différence des autres, elle implore le secours du médecin en estimant que ses pratiques sexuelles sont entièrement responsables de ses maux :
« Née avec tout ce qui peut rendre heureuse, mais avec une sensibilité de corp et d’esprit extrême, je tombois à l’âge de treize ans dans un malheur sur lequel vous avés premièrement eclairé le monde. Hélas, j’ignorois absolument de quoi il s’agissoit, et personne ne connut mon danger ; je fus entrainée. Toujours dans une profonde ignorance, mariée à l’âge de vingt-deux ans au plus digne des hommes, je fus heureuse en le rendant heureus ; mon coeur animé du désir le plus vif à remplir chaque devoir, je tâchais de m’instruire pour bien élever mes enfans, et ce fut par des lectures pareilles que le bandeau fatal tomba tout à coup de mes yeux, que je m’apperçu de mon malheur, que j’en frémissois, et, ce que vous pensés facilement, que je fus à jamais guérie. Jouissant jusqu’alors d’une santé parfaite, je crus n’avoir qu’à remercier Dieu de m’avoir préservée de toute mauvaise suite, mais bientôt après, malgré un accouchement très heureux, je tombois dangereusement malade d’une fièvre miliaire126. »
77Ce récit conforte la thèse de Vincent Barras indiquant que la lecture de l’Onanisme constitue un déclencheur de la prise de conscience de la pathologie et de ses terribles conséquences127. La souffrante attribue alors à la masturbation – « la malheureuse erreur » – les longues insomnies qui l’assaillent et la troublent véritablement. La crainte que lui a insufflé l’ouvrage de Samuel-Auguste Tissot la mène à le consulter pour solliciter son aide.
78Le discours des hommes, plus riche parce que fourni, n’en est pas pour autant différent. Comme les femmes, ils avouent leurs pratiques avec gêne, les dénoncent et les regrettent. Ils usent de justifications diverses pour atténuer l’impression négative que leurs confidences pourraient susciter : l’ignorance, la jeunesse et le fourvoiement. Néanmoins, ils surmontent plus facilement leur pudeur, car nombre de femmes n’osent ajouter quelques lignes sur leurs pratiques masturbatoires dans les lettres qu’elles adressent au médecin lausannois. Elles ont à franchir une double barrière : évoquer leur sexualité et, de surcroît, une sexualité condamnée porteuse de maux.
79De la mention des urines à celle des menstruations, des fleurs blanches à la masturbation, transparaît une réelle pudeur des mots, relative soit à des parties que l’on ne peut nommer, soit à des actes répréhensibles qu’il faudrait mettre en récit. Des variations de la pudeur sont lisibles, du cadre intime à la relation thérapeutique, et des dépassements de ce sentiment : les langues se délient dans l’espérance de guérir. La nécessité des soins pousse certaines femmes aisées à révéler des facettes de la maladie qu’elles préfèreraient masquer, alors que d’autres les taisent, n’osant dire l’indicible aux médecins, figures d’autorité morale. Les hommes laissent quant à eux entrevoir une parole plus libre, parfois même grivoise, sans s’affranchir totalement des considérations morales. Les malades du Siècle des Lumières oscillent donc entre confession religieuse et médicale, toutes deux fortement marquées par le genre. La pudeur narrative est corrélée aux attentes et aux convenances sociales relatives aux femmes et aux hommes et pèse ainsi différemment sur leurs relations de soin.
Pudeurs corporelles : dévoiler le corps, le toucher
80Une autre pudeur, plus évidente, est celle de l’exposé du corps. Au quotidien, les femmes aisées peuvent offrir leur nudité au regard d’autrui lors de la toilette, du vêtement ou du bain. Dans les années 1740, Catherine Polastron La Hillière confesse à son directeur spirituel qu’elle aime s’habiller devant un miroir et observer son corps nu qu’elle donne aussi à voir aux femmes de sa domesticité, tout en rougissant de ce penchant128. Des décennies plus tard, certaines, depuis leur bain ou leur demi-bain, conversent librement, telle Félicité de Genlis qui se plaît à recevoir la visite du cardinal de Bernis dans sa baignoire129. L’eau est rendue opaque par un peu de lait ou des essences130. Ces voiles sur la nudité sont fondamentaux : ce qui choque le valet Longchamp découvrant Émilie du Châtelet dans son bain, c’est avant tout que l’eau ne soit pas troublée : « En m’approchant, je vis qu’elle était nue, et qu’on n’avait point mis d’essence dans le bain, car l’eau était parfaitement claire et limpide131. » La nudité se masque, devient invisible et acceptable. À ces activités particulières correspondent aussi des lieux où le corps se dévoile, comme la chambre à coucher, formant une « géographie de la nudité132 ».
81En dehors de leur maison, les femmes aisées se déshabillent dans les lieux de cure, mais elles ne s’y rendent pas toujours de bon cœur. Mme de Sévigné en témoigne lorsqu’en 1676, elle va à Plombières : « On est toute nue dans un petit lieu sous terre, où l’on trouve un tuyau de cette eau chaude, qu’une femme vous fait aller où vous voulez. Cet état où l’on conserve à peine une feuille de figuier pour tout habillement est une chose assez humiliante133. » La peur de l’exhibition justifie le refus d’Anne de Cadillac d’aller aux eaux de Barbotan en 1749 pour, « comme un cochon, se vautrer dans la fange à la belle estoille134 ».
82Dans ces lieux où la nudité est autorisée, le statut des spectateurs structure généralement le sentiment de pudeur. Nombreux sont les témoignages sur l’impudicité des femmes face à leurs inférieurs, car « l’intimité, la nudité, dans la haute société des Lumières, loin d’être humiliantes pour celui qui les dévoile, le sont pour celui qui en est témoin135 », rappelle Jean-Claude Bologne. Lorsqu’elles se résolvent à se dénuder devant un médecin ou un chirurgien, les femmes aisées suivent-elles ce principe ? Ont-ils un statut à part, légitimant l’exposé de la nudité féminine ? Sans être assimilés à des domestiques, les médecins sont rémunérés pour leurs services et sont généralement issus de la petite ou moyenne bourgeoisie, de plus basse extraction donc que leur patientèle nobiliaire. Au-delà de ce rapport contractuel et du jeu des hiérarchies sociales, certaines souffrantes se dévoilent parce qu’elles adhèrent à leurs méthodes et apprécient le tact et l’éthique dont ils se prévalent pour se démarquer des thérapeutes parallèles.
83Si les médecins et les chirurgiens disposent d’un droit de regard sur le corps des élites féminines, justifié par leur ambition qui n’est autre que guérir, se dénuder devant eux reste une épreuve que les patientes évoquent rarement. La littérature médicale de l’époque, et surtout celle du xixe siècle, rappelle quant à elle la difficulté des médecins à les examiner parce qu’elles le refusent ou ne consultent pas136. Les médecins dépeignent des femmes réticentes à dire leurs maux ou à les montrer s’ils sont placés à quelque endroit où ce sentiment doit avoir son siège. L’article « Coccyx » de l’Encyclopédie stipule qu’elles « négligent par pudeur de montrer le mal aux maîtres de l’art », ce qui est une « répugnance qui peut coûter la vie137 ». Tous dénoncent cette entrave au bon déroulement de l’auscultation et des soins138.
84Une grande part des souffrantes tait certainement ses symptômes jusqu’à l’apparition de douleurs ou d’incommodités importantes. Le mal s’aggrave donc bien souvent. Accéder au corps féminin constitue en cela un enjeu pour les médecins, un territoire à conquérir. Ils valorisent l’examen médical en soulignant son utilité, voire son impérieuse nécessité. Anne Carol rapporte que selon Mauquest de la Motte, seul le toucher, corrélé aux mouvements de l’enfant, peut établir clairement une grossesse ; Levret lui attribue la possibilité de dépister des maladies génitales, alors que Baudelocque fait du toucher l’un des pivots de l’examen ; il devient un instrument de diagnostic139.
85Sur ce territoire à conquérir se joue la reconnaissance de la légitimité des pratiques des médecins, de la spécificité et du professionnalisme de leur regard. Au cours de l’acte, les deux protagonistes doivent en être convaincus et partager une sorte de contrat moral sans quoi la pudeur, la honte, et pourquoi pas le désir, pourraient s’immiscer. La difficulté est de taille : il s’agit de donner un sens médical à un geste, le toucher vaginal par exemple, qui pourrait ressortir du domaine de la sexualité. Pour cela, il faut suivre un protocole et l’inscrire dans une scénographie qui ne sera formalisée clairement qu’au siècle suivant, à mesure que la pudeur deviendra un attribut intrinsèquement féminin.
86Là encore, les lieux ont leur importance : les examens médicaux sont généralement réalisés dans la chambre à coucher, ce qui peut rassurer les souffrantes aisées, comme les indisposer s’il prend place dans le lit conjugal. Des proches sont souvent présents ; dans le cas de l’examen des vierges, cela est même indispensable140. Aux thérapeutes revient la tâche de convaincre les malades de l’innocuité de leurs touchers, en expliquant notamment ce qu’ils vont faire. Certains d’entre eux se refusent cependant à demander l’autorisation de faire ces examens, sûrs de ne pas obtenir satisfaction. Ils observent les seins ou les parties génitales à la suite des autres, en gardant beaucoup de sérieux et sans paraître y porter plus d’attentions141. Les praticiens tentent d’aller assez vite, de limiter les contacts avec ces parties et surtout de ne pas dévoiler les femmes. Lors de l’examen des parties génitales, les cuisses et le ventre restent couverts, on pratique la palpation à l’aveuglette : « La technique du toucher pourrait ainsi se résumer à un éloge de la ligne droite : car ce qu’on craint par-dessus tout, c’est le tâtonnement, les errements, le tripotage en un mot142. » Il faut à tout prix contourner le clitoris et naviguer avec habileté sous les draps ou la couette. En cas de besoin, les organes ou les seins doivent toutefois être livrés au regard. Les médecins et les chirurgiens œuvrent alors au mieux pour masquer la nudité des malades et rendre anodin leur contact avec le corps. Leurs gestes et leurs attitudes répondent bien à des codes leur ouvrant l’accès aux anatomies féminines. Les soignants doivent absolument éviter le regard des patientes – ce serait une marque d’inconvenance –, alors qu’à la fin du xixe siècle, on leur recommande de lire sur leurs visages les douleurs qu’ils provoquent143.
87Certains touchers paraissent plus acceptés que d’autres : le toucher rectal, aux dires des thérapeutes, inspire la plus grande crainte, tandis que les femmes enceintes feraient peu de cas du palper abdominal simple144. L’auscultation des seins pose aussi problème, certaines s’y refusent, à l’instar d’une patiente du Dr Tissot : « Soit timidité, soit encore plus la pudeur et la modestie l’ont empêchée jusqu’ici de consulter un médecin, par la crainte de se laisser voir, car elle a toujours été extrêmement sage, et un modèle de vertu145. » Seules les nourrices sont susceptibles de montrer fièrement leurs seins aux médecins qui les auscultent pour attester de leur opulence. Et c’est finalement peu de choses face au toucher vaginal, aux pérégrinations du « doigt explorateur146 », selon la formule d’un médecin correspondant avec Samuel-Auguste Tissot.
88L’examen de la vulve et l’examen avec speculum uteri nécessitent que ces parties soient directement visibles pour le médecin. La plupart des femmes aisées répugnent totalement à se faire « palper », une expression récurrente sous leur plume. L’examen gynécologique peut être long et insistant. Ce rapport le suggère : « On a observé qu’il n’y a aucun écoulement et qu’elle est dans cette partie saine comme une fille de huit ans ; qu’il n’y a rien à l’extérieur, ny rougeur, ny thumeur de sensible ; qu’il n’y a point d’augmentation de douleur au tacq, quelque for que l’on presse les parties malades147. » La matrice cristallise l’appréhension des souffrantes, telle cette patiente du Dr Batigue : « On ne sauroit soubçonner la vertu de mademoiselle la consultante ; sa pudeur, et sa modestie vont si loin, qu’on n’a jamais peu la faire consentir à se laisser visiter par quelque bon chirurgien148. » Combien de femmes ont, comme elle, préféré cacher leurs maux, au risque de mourir, plutôt que de les exposer au regard des hommes de science ?
89Au vu des critiques des médecins à leur encontre et de la banalité avec laquelle leur résistance est soulignée, tout dénonce ici un comportement répandu. Cependant, la pudeur n’explique pas tout : la crainte de la douleur, d’un diagnostic grave, d’un traitement difficile ou encore de questions dérangeantes sur la sexualité sont aussi à prendre en compte149. Les examens gynécologiques sont alors certainement prescrits, soit en dernier recours, soit après avoir tenté différentes techniques de diagnostic ou thérapeutiques. C’est le cas de Mme D… qui consulte Samuel-Auguste Tissot après cinq fausses couches150. À la suite de plusieurs mois de traitement infructueux, elle se fait « tâter » la matrice par un praticien qui y trouve « une grosseur comme un œuf151 ». Bien d’autres consultations épistolaires rapportent cette propension féminine à repousser l’auscultation en trouvant des moyens de contournement, car elles ne se soumettent pas sans réflexion ni hésitation aux examens gynécologiques et mammaires152.
90La plupart recherchent les meilleurs soignants, telle Mme Depoirresson-Dureville qui fait un voyage à Paris pour se faire « tâter [la matrice] par tout ce qu’il y a de plus abile153 ». À cette épreuve peut succéder celle du traitement des maladies. Les inquiétudes de la Genevoise Charlotte de Bégon en témoignent. En 1773, le médecin Cabanis pense qu’elle souffre d’un polype à la matrice et l’ausculte, mais elle s’exclame : « Enfin je n’ay point de polype ! On ne me fera pas du moins cette cruelle opération ! Mais ce que Cabanis a trouvé, il ne me l’a pas dit. Il me fait faire une seringue d’argent recourbée pour des injections, je l’attends d’un moment en moment, non sans trouble154 ». Le médecin diagnostique finalement un caillot de sang. Il tente de le délayer avec des injections plutôt qu’avec une opération qu’elle redoute beaucoup : « Ce que j’ay été obligée de faire déjà est bien assés », écrit-elle155.
91Face à ces incursions masculines, l’autoauscultation prime. Très fréquemment, les femmes palpent leurs seins, telle Mme de Chanonier qui perçoit une « petite glande desous du mamelon156 ». Une patiente de trente-trois ans remarque quant à elle « une dureté à peu près de la grosseur et de la forme d’une fève157 » dans son sein. Cette technique présuppose toutefois une connaissance du corps et des moyens de comparaison dont les malades ne disposent pas forcément. Un mémoire de consultation relate le cas d’une femme souffrant visiblement d’un squirre de l’utérus158 ; « Depuis son âge de raison », elle a constaté, en faisant « sa toilette de propreté », une « protubérance molle et charnue » à l’entrée du vagin. Comme la malade ne ressentait aucune douleur, elle ne s’est pas inquiétée, et a pensé que cette « conformation était propre et générale à tout son sexe159 ». L’autoauscultation se heurte bien aux savoirs anatomiques des élites féminines et celles qui la pratiquent doivent de toute façon faire le récit de leurs maux.
92À n’en pas douter, la pudeur est un élément déterminant dans la spécificité des relations entretenues par les femmes aisées avec leurs soignants masculins. Les hommes n’ont pas à subir les mêmes examens, et ne sont pas sommés de respecter à la lettre les convenances sociales comme les impératifs de l’honneur du groupe qui masquent le corps des souffrantes au regard des médecins160. Toutefois, ce sentiment ne saurait être décrit de manière univoque, car les femmes disposent de marges de manœuvre variables ; certaines refusent catégoriquement l’examen médical et privilégient des stratégies de contournement, comme l’autoauscultation pour échapper à l’examen, ou la consultation épistolaire pour éviter un dialogue direct. D’autres s’y soumettent après avoir longtemps réfléchi et choisissent les soignants en qui elles ont confiance pour préserver leur réputation et surmonter leurs appréhensions. En outre, les pudeurs féminines dépendent pour beaucoup des pudeurs médicales : les thérapeutes sont-ils vraiment à leur aise lors de ces actes de soin ou de diagnostic encore peu répandus ?
93Le signe d’un dépassement de la pudeur par une frange des élites féminines et de la relative banalisation de ces gestes se manifeste aussi dans une autre situation de soin : l’accouchement. Expérience féminine, il se professionnalise pour devenir un champ d’expertise des chirurgiens. On a vu que les femmes aisées les sollicitent largement, qu’en est-il alors de leur pudeur ? Solliciter une soignante plutôt qu’un chirurgien-accoucheur ne serait-il pas plus convenable ? La sage-femme britannique Elizabeth Nihell, dans La cause de l’humanité ou Traité sur les accouchements par les femmes (1771) dénonce « l’indécente inquisition » des chirurgiens161. Le débat fait rage, mais la plupart des positions qui nous sont parvenues proviennent des membres des corporations médicales. La parole des femmes, concernées au plus haut point, est ténue. Il faut la traquer dans leurs écrits personnels ou au sein des espaces d’expression qui leur sont ouverts, comme les journaux locaux.
94En 1791, Cécile « Pudorine » masque son identité sous un pseudonyme pour adresser un courrier au Journal de Lausanne qu’elle commence en ces termes : « Permettez-moi, messieurs, de dire mon mot sur la question suivante : Les hommes sont-ils plus propres que les femmes à exercer la partie chirurgicale des accouchements162 ? » Elle poursuit de la sorte :
« Pendant longtemps, j’ai douté de la vertu de la femme qui, la première, avait osé prendre sans nécessité un homme pour accoucheur, et j’ai été très injuste peut-être. De nos jours, cet usage est devenu souvent une fatale nécessité et je conviens qu’il doit entrer dans les devoirs de la femme la plus honnête d’écouter dans de pareils cas la tendre sollicitude d’un mari, les vives allarmes de ses proches.
Mais, messieurs, il faut convenir que si l’égoïsme, la basse jalousie des hommes ne nous condamnait pas à l’ignorance, les femmes seraient infiniment plus propres que les hommes à pratiquer une opération qui exige moins de courage que de sensibilité, moins de force que d’adresse et la sensibilité et l’adresse sont des qualités que vous ne nous refuserez point, que la nature ne semble nous avoir accordées que pour faciliter l’accomplissement d’un devoir réciproque et que les loix de l’austère pudeur devraient nous rendre à toutes, et si doux et si précieux.
Notre sensibilité naturelle nous rend d’ailleurs plus attentives, plus soigneuses et moins téméraires. Une femme en travail aime à s’environner d’êtres qui s’intéressent à sa situation, qui agissent lors même qu’il n’y a rien à faire, qui partagent sincèrement ses douleurs. La présence d’un homme la gêne, l’importune, parce qu’elle sait qu’on peut compatir de bonne foi, qu’aux maux qu’on a éprouvés, ou qu’on a lieu de craindre pour soi-même. Les douleurs de l’enfantement sont les seules que l’homme le plus sensible ne saurait partager. Leur vivacité peut bien exciter en lui de la pitié, sentiment froid qui produit bientôt l’ennui, mais l’ennui conduit à l’impatience, et de l’impatience à la violence, je ne vois plus qu’un pas à l’abus cruel que trop souvent ils font et de leurs forces et des instrumens meurtriers dont ils arment leurs mains.
Je suis loin d’avoir ici en vue le petit nombre de chirurgiens sensibles et experts qui doivent inspirer la plus grande confiance. Mais il est rare, on n’en doit pas douter, que leur secours soit indispensable, et l’on peut mieux s’en passer encore dans le Pays de Vaud que partout ailleurs depuis que notre auguste souverain s’est occupé avec la plus vive sollicitude et le plus grand succès des moyens de nous donner des sages-femmes éclairées, qui ont fait de bonnes études sur l’art dangereux, mais si utile, qu’elles exercent. Femmes honnêtes ! Femmes sensibles au cri de la pudeur ! Ne mettez donc plus en question si les hommes sont plus propres que les femmes à exercer la partie chirurgicale des accouchemens ! »
95Cécile Pudorine livre ici une des rares prises de position publique féminine sur l’encadrement de l’accouchement. Son anonymat ne permet malheureusement pas de savoir si elle est une sage-femme. Tout en critiquant les rapports de pouvoir qui condamnent les femmes à l’ignorance et les empêchent de venir au secours des parturientes, elle reprend un discours naturaliste opposant deux manières d’être et de faire. Aux hommes revient l’expertise, la technicité, la brutalité des instruments et la violence du geste, aux femmes la douceur, l’empathie et la sensibilité nourries de l’expérience commune de la maternité. Renversant son discours, elle célèbre la création de l’école de sages-femmes du Pays de Vaud garantissant aux parturientes un personnel féminin qualifié les dispensant de s’en remettre aux chirurgiens163. Elle débute et clôt son courrier sur la pudeur qui est bien au cœur de son argumentation aux côtés de la vertu et de l’honnêteté, des qualités dont les femmes aisées aiment à se parer.
96Pourtant, ces dernières prennent le contre-pied des discours pudiques. L’indécence du dévoilement devant les accoucheurs leur paraît finalement moins importante que le sentiment de bénéficier de leur expertise. En cela, les chirurgiens sont parvenus à les convaincre de leur savoir-faire, mais aussi de leur professionnalisme. Les parturientes aisées ébranlent ainsi l’encadrement féminin de l’accouchement, dont on aurait peut-être tort de penser qu’il garantissait de la pudeur. Ce sentiment, trop souvent appréhendé à partir d’une lecture sexuelle et de considérations hétéronormées, pouvait aussi naître de l’exposé du corps devant des femmes de la parenté, des sages-femmes ou des gardes-femmes en couches. Quoi qu’il en soit, les élites féminines font de leur corps un lieu d’exercice des savoirs et des pouvoirs scientifiques masculins et de construction de la pratique professionnelle des médecins et accoucheurs.
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97Le soin de soi, dans toute la variété des manières de faire, renvoie inévitablement à la question des autorités qui s’exercent sur les corps. Au-delà des conceptions religieuses qui les placent entre les mains de Dieu, les corps féminins des Lumières demeurent encore clairement inscrits dans les logiques de solidarités et de contraintes régies par la parenté, et dépendent ainsi plus d’une gestion collective qu’individuelle. Pour autant, la maladie peut être l’occasion d’exprimer un corps intime et une volonté toute personnelle d’agir sur lui. Les femmes, comme les hommes, font alors valoir leur capacité à se soigner, quand bien même elle est parfois compromise par des situations particulières et/ou par des membres de leur entourage. Il arrive qu’elles se retrouvent dépossédées de leur autorité à décrire leurs maux ou à les éconduire. Davantage aux prises avec les hiérarchies familiales, elles disposent cependant d’arguments pour peser de tout leur poids dans la relation de soin, confortées en cela par les principes de l’idiosyncrasie corporelle.
98La plupart des femmes aisées se considèrent bien comme pleinement légitimes et compétentes pour décider de leurs soins. Face aux professionnels de santé, elles ne sont pas non plus des exécutrices dociles de leurs préconisations. Leurs relations de soin s’apparentent à d’âpres négociations nourries de concurrences et de points de vue possiblement divergents. Par moments, le soin de soi au féminin est altéré par une parole confisquée ou par un corps dérobé au regard médical, suivant les exigences morales touchant prioritairement les femmes. La pudeur gêne en effet souvent la relation thérapeutique et les empêche d’agir pleinement, comme le feraient les hommes, contre la maladie.
99Tout comme eux, les femmes aisées ont généralement la liberté de choisir leurs thérapeutes, selon des critères personnels. Massivement, elles se tournent vers le médecin pour leurs maux, et vers l’accoucheur au terme de la grossesse. Cela ne les empêche pas pour autant de solliciter un panel large d’autres soignants modelant de la sorte, grâce à leur pouvoir économique et leur prestige social, le marché thérapeutique local et national. Véritables consommatrices de soins, elles exigent certaines qualités de leurs soignants, qu’elles savent récompenser par le biais des réputations qu’elles font et défont et des faveurs qu’elles concèdent ou refusent. Les élites féminines participent ainsi à la construction des vertus et domaines de compétence des membres des corporations médicales dont les professions subissent de profondes mutations au cours des Lumières.
100Conscientes des enjeux de la médicalisation, de l’accouchement notamment, elles l’accompagnent plutôt qu’elles ne la subissent ou s’y opposent, cherchant dans les soignants qu’elles consultent un moyen de lutter contre les dangers du quotidien et ceux de l’enfantement. Sans se conformer totalement aux souhaits des corporations médicales, elles participent indubitablement à la valorisation et au développement de leurs pratiques.
Notes de bas de page
1 Sur cette figure littéraire, voir Delamotte Isabelle, Médecin des dames, Paris, La Différence, 2003.
2 Arch. nat., fonds Des Franches de Bossey, T161/22, lettre d’Adélaïde Augé de Luzarche à son amant.
3 Ibid. Elle se réfère peut-être à l’habitude qu’ont certains médecins d’annoncer le pire pour se protéger en cas d’échec de leur traitement, voir Rieder Philip, La figure du patient au xviiie siècle, Genève, Droz, 2010, p. 266, note 52.
4 Séverine Pilloud a souligné la récurrence de la notion de confiance dans les consultations épistolaires envoyées à Samuel-Auguste Tissot : Pilloud Séverine, Les mots du corps : l’expérience de la maladie dans les consultations épistolaires adressées au Dr Samuel-Auguste Tissot (1728-1797), thèse de doctorat en lettres, Lausanne, université de Lausanne, 2008, p. 192-193.
5 Arch. mun. Toulouse, fonds Du Bourg, 5S456, lettre de Mme de Livry à Mme Du Bourg, 5 octobre.
6 Arch. nat., fonds Jaucourt, 86AP6, lettre de Mme de Jaucourt à Isabelle de Jaucourt, sa belle-sœur, 6 mars 1729.
7 Arch. cant. vaudoises, fonds Charrière de Sévery, B104, lettre d’Élisabeth Charrière à son fils, 5 octobre 1751.
8 Porter Dorothy et Porter Roy, Patient’s Progress : Doctors and Doctoring in 18th-Century England, Cambridge, Polity Press, 1989, p. 142.
9 Canguilhem Georges, Écrits sur la médecine, Paris, Seuil, 1989, p. 70.
10 Voir Lachmund Jens et Stollberg Gunnar (dir.), The Social Construction of Illness : lllness and Medical Knowledge in Past and Present, Stuttgart, F. Steiner, 1992, introduction.
11 Arch. dép. Haute-Garonne, fonds Bertier de Pinsaguel, 6J6 (26), lettre de Mme Bertier à son mari, 23 septembre 1783.
12 Arch. nat., fonds Des Franches de Bossey, T161/25, lettre de Charlotte de Bégon à son époux, 16 mai 1775.
13 Arch. dép. Haute-Garonne, fonds Riquet de Bonrepos, 4J21 (146), lettre de Mme de Cadillac à sa mère Mme de Riquet.
14 Arch. nat., fonds Des Franches de Bossey, T161/25, lettre de Charlotte de Bégon à son époux, 18 février 1772.
15 Laurence Brockliss et Colin Jones ont proposé une nouvelle lecture des œuvres du dramaturge en invitant à nuancer son portrait très noir des médecins de ce siècle, voir Brockliss Laurence et Jones Colin, The Medical World of Early Modern France, Oxford, Clarendon Press, 1997, p. 336-344.
16 Arch. nat., fonds Jaucourt, 86AP6, lettre de Mme de Jaucourt à son fils, 19 octobre 1750.
17 Bombelles Marc de et Bombelles Angélique de, « Que je suis heureuse d’être ta femme » : lettres intimes (1778-1782), Paris, Tallandier, coll. « La bibliothèque d’Évelyne Lever », 2009, p. 411, lettre du marquis à son épouse, 30 octobre 1781. Soulignons ici la capacité des malades à retourner l’accusation de charlatanisme contre les médecins.
18 Ibid., p. 420, lettre de la marquise à son époux, 10 novembre 1781.
19 Arch. cant. vaudoises, fonds Charrière de Sévery, Ci 14, journal intime de Catherine Charrière.
20 Bombelles Marc de et Bombelles Angélique de, « Que je suis heureuse d’être ta femme », op. cit., p. 420, lettre de la marquise à son époux, 10 novembre 1781.
21 Arch. nat., fonds Mirabeau, 119AP1, lettre de la marquise enfermée au couvent à M. Des Valois, 1er mars 1778.
22 Arch. nat., fonds Jaucourt, 86AP6, lettre de Mme de Jaucourt à Isabelle de Jaucourt, 17 juillet 1747.
23 Arch. dép. Haute-Garonne, fonds Bertier de Pinsaguel, 6J3 (7), lettre de Mme de Bertier à son époux.
24 De manière générale, leur moralité se doit d’être irréprochable. Voir Pilloud Séverine, Les mots du corps, op. cit., p. 146. Elle cite l’exemple d’un malade qui ne sollicite plus un médecin parce que la rumeur gronde sur son peu d’honneur.
25 Bombelles Marc de et Bombelles Angélique de, « Que je suis heureuse d’être ta femme », op. cit., p. 362, lettre de la marquise à son époux, 20 septembre 1781.
26 Baum Angelica et Christensen Birgit (dir.), Julie Bondeli : Briefe, Zurich, Chronos, 2012, lettre de Julie Bondeli à Johann Zimmermann, 12 juillet 1763.
27 Ibid.
28 Cité par Rieder Philip, La figure du patient, op. cit., p. 276 ; bibl. de Genève, archives Saussure 239/160, lettre à Judith de Saussure, 13 juillet 1807.
29 Il est bien sûr possible que des relations amoureuses se tissent au cœur de la relation thérapeutique. En témoigne ce poème publié par un médecin toulousain dans les Affiches, annonces et avis divers de Toulouse, à moins qu’il s’agisse là aussi d’une image contrefaite du médecin des dames : « À madame de Sc… / Qui donnait son pouls à tâter à M. B…, médecin. / Votre pouls, séduisante Eglé / Me paraît vif et peu réglé / Mais cela vient d’un mal à guérir fort facile / Quoique pour moi peut-être un peu contagieux / Car quand de l’aimable S… / De trop près je vois les beaux yeux / Mon cœur, comme son pouls, s’agite, se tracasse / Que n’est-elle pour moi, médecin à son tour / Il est naturel qu’une grâce / Guérisse les maux de l’amour. » (Affiches, annonces et avis divers de Toulouse, 1785, no 15.)
30 Rieder Philip, La figure du patient, op. cit., p. 267-269. Voir aussi Roche Daniel, « Talents, raison et sacrifice : l’image du médecin des Lumières d’après les éloges de la Société royale de médecine (1776-1789) », Annales : économies, sociétés, civilisations, vol. 32, no 5, 1977, p. 866-886 ; Brockliss Laurence et Jones Colin, The Medical World, op. cit., p. 473-478.
31 Micheline Louis-Courvoisier a donné l’exemple de malades abandonnés par leur médecin, signe d’une certaine indépendance et d’un réel confort financier des praticiens, Louis-Courvoisier Micheline, « Le malade et son médecin : le cadre de la relation thérapeutique dans la deuxième moitié du xviiie siècle », Bulletin canadien d’histoire de la médecine, vol. 18, no 2, 2001, p. 277-296. Voir aussi Brockliss Laurence et Jones Colin, The Medical World, op. cit., p. 238-244.
32 Jewson Nicolas, « Medical Knowledge and the Patronage System in Eighteenth-Century England », Sociology, vol. 8, no 3, p. 369-385 ; Pilloud Séverine, Les mots du corps, op. cit., p. 177-181.
33 Smith Lisa, Women’s Health Care in England and France (1650-1775), PhD thesis, University of Essex, 2001, p. 170-197.
34 Kettering Sharon, « The Patronage Power of Early Modern French Noblewomen », The Historical Journal, vol. 32, no 4, 1989, p. 817-841. Les femmes peuvent également recommander des malades aux médecins, voir Pilloud Séverine, « Mettre les maux en mots, médiations dans la consultation épistolaire au xviiie siècle : les malades du Dr Tissot (1728-1797) », Bulletin canadien d’histoire de la médecine, no 16, 1999, p. 215-245.
35 Nombre de médecins sont aussi pensionnés par les pouvoirs publics, à l’image de Samuel-Auguste Tissot à Lausanne, voir Pilloud Séverine, Les mots du corps, op. cit., p. 186-190.
36 Lachmund Jens et Stollberg Gunnar, « The Doctor, his Audience, and the Meaning of Illness : the Drama of Medical Practice in the Late 18th and Early 19th Centuries », in Jens Lachmund et Gunnar Stollberg (dir.), The Social Construction of Illness, op. cit., p. 53 ; Rieder Philip, La figure du patient, op. cit., p. 273 et suiv.
37 Baum Angelica et Christensen Birgit (dir.), Julie Bondeli : Briefe, op. cit., lettre de Julie Bondeli à Johann Zimmermann, 13 avril 1762.
38 Pour un exemple concernant un charlatan, voir arch. mun. Toulouse, fonds Du Bourg, 5S457, lettre de Mme de Livry à Mme Du Bourg, 18 février.
39 Arch. nat., fonds Des Franches de Bossey, T161/25, lettre de Charlotte de Bégon à son fils ; Arch. nat., fonds Jaucourt, 86AP6, lettre de Mme de Jaucourt à son fils, 28 octobre 1767.
40 Dans le cas de la chirurgie, des plaintes sont parfois déposées, car les conséquences des opérations sont visibles, voir Cartier Bernard, « Plaintes de patients à l’encontre des soignants : un phénomène moderne ? », Histoire des sciences médicales, t. 39, no 4, 2005, p. 359-371.
41 Arch. mun. Toulouse, fonds Du Bourg, 5S456, lettre de Mme de Livry à Mme Du Bourg, 27 mars 1773.
42 Arch. dép. Haute-Garonne, fonds d’Albis de Belbèze, 1E6 (141), lettre de la marquise à son époux, 17 janvier 1784.
43 Arch. mun. Toulouse, fonds Du Bourg, 5S456, lettre de Mme de Livry à Mme Du Bourg, 1er février 1766.
44 Ibid., 5S457, lettre de Mme de Livry à Mme Du Bourg, 17 mai 1786.
45 Ibid., 5S456, lettre de Mme de Livry à Mme Du Bourg, 13 février 1768.
46 Ibid., 2 août 1769.
47 Ibid., 8 janvier 1766 ; ibid., 5S449, lettre de Mme de Livry à Mme Du Bourg, 7 avril 1764.
48 Ibid., 5S456, lettre de Mme de Livry à Mme Du Bourg, 28 juin.
49 Baum Angelica et Christensen Birgit (dir.), Julie Bondeli : Briefe, op. cit., lettre de Julie Bondeli à Johann Zimmermann, 7 juillet 1767.
50 Ibid., 24 juillet 1761.
51 Ibid.
52 Ibid., 3 mars 1762 et 23 décembre 1763.
53 Baum Angelica et Christensen Birgit (dir.), Julie Bondeli : Briefe, op. cit., 8 décembre 1783 ; Zimmermann Johann, Traité de l’expérience en général et en particulier dans l’art de guérir, Paris, Crochard, 1817, vol. 2, chapitre VII, p. 187.
54 Baum Angelica et Christensen Birgit (dir.), Julie Bondeli : Briefe, op. cit., lettre de Julie Bondeli à Johann Zimmermann, 20 janvier 1764. Il s’agit des médecins Daniel Rudolf Ith et Daniel Langhans.
55 Ibid., 23 mars 1765.
56 Elle sait ceci par Michel-Georges Mniszech. Les frères Mniszech ont déjà joué les intermédiaires en relayant la proposition de Stanislas II de Pologne qui souhaitait que Johann Zimmermann devienne son bibliothécaire. Le médecin avait refusé cette charge, craignant de ne plus pouvoir exercer la médecine.
57 Baum Angelica et Christensen Birgit (dir.), Julie Bondeli : Briefe, op. cit., lettre de Julie Bondeli à Johann Zimmermann, 3 juillet 1765.
58 Ibid., 30 août 1765.
59 Ibid., p. 381, note 7.
60 Article « Pudeur », in Dictionnaire de l’Académie française, 1694.
61 Jaucourt Louis de, article « Sens internes », in Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers par une société de gens de lettres, site de l’American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL).
62 Article « Pudeur », in Dictionnaire de l’Académie française, 1798 ; Féraud Jean-François, Dictionnaire critique de la langue française, 1787-1788.
63 Littré Émile, Dictionnaire de la langue française, 1872-1877.
64 Jean-Claude Bologne oppose une pudeur des sentiments masculine à une pudeur corporelle féminine, une dichotomie sur laquelle il faudrait revenir : Bologne Jean-Claude, Histoire de la pudeur, Paris, Hachette, 1986, introduction.
65 Jaucourt Louis de, article « Pudeur », in Encyclopédie, op. cit.
66 Rousseau Jean-Jacques, Émile, in Œuvres complètes, t. IV, Bernard Gagnebin et Marcel Raymond (éd.), Paris, Gallimard, 1969, p. 695.
67 Sur la pudeur, Norbert Elias et ses contradicteurs, voir Hanafi Nahema, « Pudeurs médicales et pudeurs féminines (xvie-xxe siècles) », Histoire, médecine et santé, no 1, printemps 2012, p. 9-18 ; Detrez Christine, La construction sociale du corps, Paris, Seuil, 2002, p. 111. Norbert Elias a rédigé, dans son ouvrage sur le processus de civilisation, un chapitre sur la genèse des formes de conduite courtoises au sein duquel il aborde quelque peu la question des différences entre hommes et femmes, mais celui-ci n’est pas reproduit dans l’édition française de La dynamique de l’Occident. Par la suite, le sociologue allemand confirme son intérêt pour ces questions dans l’essai « Les transformations de la balance des pouvoirs entre les sexes » centré sur la Rome antique, mais la pudeur n’y est pas abordée. Voir Elias Norbert, « Les transformations de la balance des pouvoirs entre les sexes : étude sociologique d’un processus à travers l’exemple de l’État romain antique », Politix, vol. 13, no 51, 2000, p. 15-53. Pour une revue critique de l’approche configurationnelle éliasienne et de son rapport au genre, voir Hargreaves Jennifer, « Norbert Elias : le sexe, le genre et le corps dans le processus de civilisation », in Danielle Chabaud-Rychert et al. (dir.), Sous les sciences sociales, le genre : relectures critiques de Max Weber à Bruno Latour, Paris, La Découverte, 2012, p. 390-406.
68 Jaucourt Louis de, article « Conformation », in Encyclopédie, op. cit.
69 Carol Anne, « L’examen gynécologique en France (xviiie-xxe siècle) : techniques et usages », in Patrice Bourdelais et Olivier Faure (dir.), Les nouvelles pratiques de santé (XVIIIe-XXe siècle), Paris, Belin, 2005, p. 51-66. Sur les pudeurs médicales, on lira aussi Arnaud-Lesot Sylvie, Pudeur et pratique médicale : aspects relationnels de l’examen gynécologique et obstétrical au xixe siècle en France, thèse de doctorat en histoire de la médecine, Paris, École pratique des hautes études, 2007.
70 Bibl. cant. univ. Dorigny, fonds Tissot, IS/3784/II/144.02.06.37, anonyme.
71 Article « Excrément », in Dictionnaire de l’Académie française, 1762.
72 Article « Urine », in Dictionnaire de l’Académie française, 1762.
73 Arch. cant. vaudoises, fonds Charrière de Sévery, B104/2901, lettre de Françoise Chandieu à sa fille.
74 Voir notamment Arch. nat., fonds Jaucourt, 86AP6 (221), lettre de Mme de Jaucourt à son fils, 18 septembre 1758.
75 Arch. dép. Haute-Garonne, fonds d’Albis de Belbèze, 1E5 (120), lettre de Mme d’Albis à son époux, 12 octobre 1783.
76 Arch. dép. Haute-Garonne, fonds Riquet de Bonrepos, 4J19 (12), lettre du fils de Mme de Riquet, 7 décembre 1749.
77 Arch. cant. vaudoises, fonds Charrière de Sévery, B104/89, lettre d’Élisabeth Charrière à son fils, 23 mars 1751, lettre rédigée par sa tante.
78 Arch. nat., fonds Jaucourt, 86AP6, lettre de Théodore Tronchin à Mme la comtesse de Jaucourt, 27 septembre 1765.
79 Les excréments sont mentionnés dans 29 % des consultations masculines, contre 12 % pour les femmes. Ces dernières n’atteignent pas non plus le degré de précision de certaines consultations masculines à ce sujet, voir notamment bibl. cant. univ., fonds Tissot, IS/3784/II/144.05.05.10, pasteur Jean Colomb, 17 janvier 1792. Les urines sont mentionnées dans 17 % des consultations masculines, contre 8 % pour les femmes. Voir Hanafi Nahema, « Des plumes singulières : les écritures féminines du corps souffrant au xviiie siècle », Clio : Écrire au quotidien, nº 35, 2012, p. 45-66.
80 Voir chapitre IV, p. 114, note 22.
81 Bibl. cant. univ. Dorigny, fonds Tissot, IS/3784/II/144.02.06.09, Mme de Bourchenu, juin 1775.
82 Arch. nat., fonds Jaucourt, 86AP6 (124), lettre de Mme de Jaucourt à son fils, 7 juin 1748. Pour d’autres exemples, voir chapitre IV, p. 110, note 3.
83 Bibl. cant. univ. Dorigny, fonds Tissot, IS/3784/II/144.03.02.03, Mme Goubert.
84 Ibid., 144.03.05.17, Mme de Civrac.
85 Sonnet Martine, « Une fille à éduquer », in Georges Duby et Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Plon, 1991 ; Sonnet Martine, L’éducation des filles au temps des Lumières, Paris, Éd. du Cerf, 2011 ; Renevey-Fry Chantal (dir.), En attendant le prince charmant : l’éducation des jeunes filles à Genève (1740-1970), Genève, Service de la recherche en éducation, 1997.
86 Foucault Didier, Histoire du libertinage : des goliards au marquis de Sade, Paris, Perrin, 2007, p. 485-186.
87 Cécile Coquebert de Montbret (1782-1862) est la fille de Charles-Étienne Coquebert de Montbret (1755-1831) et de Charlotte Hazon, sa cousine (1760-1832). Elle rédige son journal de 1799 à 1801 et épouse Alexandre Brongniart le 9 février 1800. Voir Lejeune Philippe, « Et le cahier ? », Lalies, no 28, 2008, p. 189-203 ; Coquebert de Montbret Cécile, Journal (1799-1801), Bernard Poujeaux et Pauline Poujeaux (éd.), Paris, Textes et Prétextes, 2007 ; Lejeune Philippe, « Le journal retrouvé d’Alexandre Brongniart (1790-1802) », article inédit publié sur Autopacte (www.autopacte.org).
88 Lejeune Philippe, « Et le cahier ? », art. cit., journal de Cécile, 11 février 1800, p. 199.
89 Lejeune Philippe, « Le journal retrouvé d’Alexandre Brongniart », art. cit., 11 février 1800.
90 Ibid., 13 février 1800.
91 Ibid.
92 21 % exactement. Voir Goubert Jean-Pierre, « Position et statut des malades en France à la veille de la Révolution de 1789 », in Arlette Lafay (dir.), Le statut du malade (XVIe-XXe siècle), Paris, L’Harmattan, 1991, p. 57.
93 Arch. mun. Toulouse, fonds Du Bourg, 5S446 (17), lettre de Mathias Du Bourg à sa mère, 29 juillet 1769.
94 Hanafi Nahema, « “Je décharge quelquefois sans bander parfaitement…” : évocations masculines de la sexualité avec le médecin Samuel-Auguste Tissot », Dix-huitième siècle, no 47, 2015, p. 103-118.
95 Favier René, « Sexualité et histoire de soi : le journal intime de Pierre-Philippe Candy, notaire dauphinois à la fin du xviiie siècle », in Jean-Pierre Bardet et François-Joseph Ruggiu (dir.), Au plus près du secret des cœurs ? Nouvelles lectures historiques des écrits du for privé, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2005, p. 209-226 ; Lejeune Philippe, « Pierre-Philippe Candy, diariste sexuel », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 55-1, janvier-mars 2008, p. 164-178.
96 Lejeune Philippe, « Le journal retrouvé d’Alexandre Brongniart », art. cit.
97 37 % des hommes qui écrivent pour leurs maux à Samuel-Auguste Tissot évoquent une maladie en lien avec la sexualité.
98 Maladies vénériennes : 13 % ; pollutions nocturnes : 12 % ; troubles de l’activité sexuelle : 12 %.
Ces chiffres concernent les profanes masculins écrivant pour leurs maux à Samuel-Auguste Tissot.
99 Pilloud Séverine, Les mots du corps, op. cit., p. 293.
100 Bibl. cant. univ. Dorigny, fonds Tissot, IS/3784/II/149.01.01.23, Mme la baronne de Vrintz, 8 avril 1771.
101 Pour une histoire de la masturbation, voir Stengers Jean et Van Neck Anne, Histoire d’une grande peur : la masturbation, Le Plessis-Robinson, Institut Synthélabo pour le progrès de la connaissance, 1998 ; Tarczylo Théodore, Sexe et liberté au Siècle des lumières, Paris, Presses de la Renaissance, 1983 ; Carol Anne, « Les médecins et la stigmatisation du vice solitaire (fin xviiie-xixe siècle) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 49-1, 2002, p. 156-172 ; Laqueur Thomas, Le sexe en solitaire : contribution à l’histoire culturelle de la sexualité, Paris, Gallimard, 2005.
102 Matthews Grieco Sara, « Corps et sexualité dans l’Europe d’Ancien Régime », in Georges Vigarello, Alain Corbin et Jean-Jacques Courtine (dir.), Histoire du corps : de la Renaissance aux Lumières, Paris, Seuil, 2005, p. 167 – 234.
103 Avant lui, John Marten a publié en anglais Onania en 1712, voir Laqueur Thomas, Le sexe en solitaire, op. cit., p. 30.
104 Voir Tarczylo Théodore, « Prêtons la main à la nature : l’Onanisme de Tissot », Dix-huitième siècle, no 12, 1980, p. 79-96 ; Wenger Alexandre, « Lire l’onanisme : le discours médical sur la masturbation et sur la lecture féminines au xviiie siècle », Clio : Utopies sexuelles, no 22, 2005, p. 209-225 ; Emch-Deriaz Antoinette, Tissot : Physician of the Enlightenment, New York/Berne, P. Lang, 1992.
105 Bienville D.-T., La nymphomanie ou Traité de la fureur utérine, 1771, extrait de Pauvert Jean-Jacques (éd.), Anthologie historique des lectures érotiques, Paris, Stock/Spengler, 1995, p. 957 ; voir chapitre III, « Fureurs utérines ou les démésures du désir », p. 104.
106 La veuve Marie de Livry se procure l’ouvrage de Samuel-Auguste Tissot, par curiosité ou pour se prémunir de cette pratique (Arch. nat., ET/L/872, livres de la bibliothèque de Mme de Livry, 23 brumaire an XIII).
107 Arch. dép. Haute-Garonne, fonds Polastron La Hillière, 1E264 (45), lettre du directeur spirituel à Mme Polastron La Hillière, 23 juillet 1743.
108 Voir chapitre VI, p. 191-192.
109 Arch. dép. Haute-Garonne, fonds Polastron La Hillière, 1E264 (34), lettre du directeur spirituel à Mme Polastron La Hillière, 24 décembre 1744.
110 Ibid., (113), lettre du directeur spirituel à Mme Polastron La Hillière.
111 Ibid., (22), lettre du directeur spirituel à Mme Polastron La Hillière, 1er mars 1745.
112 Ibid., (23), lettre du directeur spirituel à Mme Polastron La Hillière, 29 juin 1745.
113 Arch. dép. Haute-Garonne, fonds Polastron La Hillière, 1E264 (19), lettre du directeur spirituel à Mme Polastron La Hillière, 12 mars 1746. Souligné par lui. Notons la proximité de certaines formulations avec celles de La Salle Jean-Baptiste de, Les règles de la bienséance et de la civilité chrétienne, Rouen, 1729, p. 45 et suiv.
114 Ibid., (22), lettre du directeur spirituel à Mme Polastron La Hillière, 1er mars 1746.
115 Garrisson Janine, L’homme protestant, Bruxelles, Complexe, 1986, p. 120-125.
116 Arch. dép. Haute-Garonne, fonds Polastron La Hillière, 1E264, (32), lettre du directeur spirituel à Mme Polastron La Hillière, 10 novembre 1747.
117 Voir à ce sujet Singy Patrick, « Le pouvoir de la science dans l’Onanisme de Tissot », Gesnerus, vol. 57, 2000, p. 27-41 ; Stolberg Michael, « Un Unmanly Vice : Self-Pollution, Anxiety and the Body in the Eighteenth Century », Social History of Medicine, vol. 13, no 1, 2002, p. 1-21 ; Carol Anne, « Les médecins et la stigmatisation du vice solitaire », art. cit.
118 Voir Pilloud Séverine, Les mots du corps. Expérience de la maladie dans les lettres de patients à un médecin du xviiie siècle : Samuel-Auguste Tissot, Lausanne, Éd. de la Bibliothèque d’histoire de la médecine et de la santé, 2013, p. 244.
119 Sur les évocations masculines de la masturbation avec le médecin Samuel-Auguste Tissot, voir Hanafi Nahema, « “Je décharge quelquefois sans bander parfaitement…” », art. cit.
120 Bibl. cant. univ. Dorigny, fonds Tissot, IS/3784/II/144.03.05.04, Mme de Chastenay, 8 novembre 1784.
121 Voir, sur le thème de la confession, Pilloud Séverine, Les mots du corps, op. cit., 2013, p. 243.
122 Ibid., 146.01.01.02, Mme Contrisson de Villie, 25 octobre 1773.
123 Ibid.
124 Steinberg Sylvie, « Quand le silence se fait : bribes de paroles de femmes sur la sexualité au xviie siècle », Clio : Érotiques, no 31, 2010, p. 79-109.
125 Bibl. cant. univ. Dorigny, fonds Tissot, IS/3784/II/146.01.01.02, Mme Contrisson de Villie, 25 octobre 1773.
126 Ibid., 131.01, p. 65-66, une Allemande anonyme.
127 Barras Vincent, « La réception des innovations sanitaires dans l’espace domestique au xviiie siècle : l’exemple paradoxal de l’onanisme », in Patrice Bourdelais et Olivier Faure, Les nouvelles pratiques de santé (XVIIIe-XXe siècle), Paris, Belin, 2005, p. 127-141. Sur la force des tableaux dont usent les médecins pour dépeindre les maladies relatives à la masturbation en particulier, voir Wenger Alexandre, La fibre littéraire : le discours médical sur la lecture au xviiie siècle, Genève, Droz, coll. « Bibliothèque des Lumières », 2007, p. 123.
128 Arch. dép. Haute-Garonne, fonds Polastron La Hillière, 1E264 (23), lettre de son confesseur à Mme Polastron La Hillière, 29 juin 1745.
129 Les hommes pratiquent aussi ce type de rencontres, à l’image de l’abbé Vermond qui donne audience dans son bain, voir Bologne Jean-Claude, Histoire de la pudeur, op. cit., p. 50.
130 Ibid.
131 Ibid., p. 51.
132 Voir Barthe-Deloizy Francine, Géographie de la nudité : être nu quelque part, Paris, Bréal, 2003.
133 Sévigné Marie de, Correspondances, Paris, La Pléiade, 1974, t. II, p. 302-303, lettre 514, 1676. Voir le récit de Don Calmet sur les bains de Plombières dans Authier André, Patrimoine et traditions du thermalisme, Toulouse, Privat, 2005, p. 119.
134 Arch. dép. Haute-Garonne, fonds Riquet de Bonrepos, 4J21 (176), lettre de Mme de Cadillac à sa mère, 3 septembre 1749 ; ibid., (177), lettre de Mme de Cadillac à sa mère, 17 septembre 1749.
135 Bologne Jean-Claude, Histoire de la pudeur, op. cit., p. 204.
136 Arnaud-Lesot Sylvie, « La pudeur en médecine aux xviiie et xixe siècles : une entrave à la parole du médecin et de sa patiente », Medicina nei Secoli, vol. 16-1, 2004, p. 95-107.
137 Jaucourt Louis de, article « Coccyx », in Encyclopédie, op. cit. ; voir Ménuret de Chambaud Nicolas, article « Pouls », in Encyclopédie, op. cit.
138 Arnaud-Lesot Sylvie, « Pratique médicale et pudeur féminine au xixe siècle », Histoire des sciences médicales, vol. 38, no 2, 2004, p. 207-218.
139 Carol Anne, « L’examen gynécologique en France », art. cit., p. 54.
140 Ibid., p. 63.
141 Bologne Jean-Claude, Histoire de la pudeur, op. cit., p. 210.
142 Carol Anne, « L’examen gynécologique en France », art. cit., p. 61.
143 Ibid., p. 65.
144 Arnaud-Lesot Sylvie, « Pratique médicale et pudeur féminine », art. cit., p. 208.
145 Bibl. cant. univ. Dorigny, fonds Tissot, IS/3784/II/144.05.02.08, M. Monnin pour une femme âgée d’environ trente-sept ans.
146 Ibid., 144.02.06.37, anonyme.
147 Ibid., 149.01.03.07, anonyme.
148 Ibid., 144.02.05.11, une patiente de M. Batigue.
149 Bologne Jean-Claude, Histoire de la pudeur, op. cit., p. 207-218.
150 Bibl. cant. univ. Dorigny, fonds Tissot, IS/3784/II/144.05.01.39, Mme D.
151 Ibid.
152 Ibid., 144.04.05.14, Mme Turmeau : « Ennuyée de souffrir et de voir le progrès du mal, je me suis décidée à me faire palper » ; Arch. nat., fonds Bonnard, 352AP34, lettre d’une amante inconnue au chevalier de Bonnard, 14 juillet.
153 Bibl. cant. univ. Dorigny, fonds Tissot, IS/3784/II/149.01.07.18, Mme Depoirresson-Dureville.
154 Arch. nat., fonds Des Franches de Bossey, T161/25, lettre de Mme de Bégon à son époux, 7 août 1773.
155 Ibid., 13 août 1773.
156 Bibl. cant. univ. Dorigny, fonds Tissot, IS/3784/II/144.04.03.10, Mme de Chanonier.
157 Ibid., 144.04.03.07, anonyme.
158 Ibid., 144.02.06.37, anonyme.
159 Ibid.
160 Ceci ne veut pas dire pour autant que tous les hommes se dévoilent sans gêne devant les thérapeutes. Un patient de Samuel-Auguste Tissot, M. Corbeil, laisse passer beaucoup de temps avant de se résoudre à consulter pour ses rougeurs sur le sexe : « J’ai conservé cette incomodité sans oser en parler assés longtemps ; de petits bouton imperceptible, une matière blanche que je découvrois chaque fois que je me lavais, me décidèrent à voir un chirurgien » (ibid., 144.05.07.11, M. Corbeil, 26 mars 1793).
161 Nihell Elizabeth, La cause de l’humanité ou Traité sur les accouchements par les femmes, Paris, 1771, p. 393.
162 Bibl. cant. univ. Dorigny, Journal de Lausanne, Lausanne, Hignou, 19 octobre 1791. Sur la place des femmes dans ce journal, voir Nicoli Miriam, Apporter les Lumières au plus grand nombre : médecine et physique dans le Journal de Lausanne (1786-1792), Lausanne, Antipodes, 2006, p. 105.
163 Emch-Dériaz Antoinette, Olivier Eugène et Biaudet Jean-Charles, L’éveil médical vaudois (1750-1850) : Tissot, Venel, Mayor, Lausanne, université de Lausanne, 1987 ; Tanner Martine, Début d’une profession : obstétrique et formation des sages-femmes dans le Pays de Vaud au xviiie siècle, thèse de de doctorat en médecine, Lausanne, Institut romand d’histoire de la médecine et de la santé, 2001.
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