Les problèmes de communication aux congrès internationaux. De Westphalie à Ryswick (1643-1697)
p. 191-218
Texte intégral
1Le 28 octobre 1645, les trois ambassadeurs de France envoyés par Louis XIV au congrès de Westphalie, Henri II d’Orléans, duc de Longueville, Claude de Mesme, comte d’Avaux et Abel Servien, comte de La Roche-des-Aubiers, envoyèrent à Henri Auguste de Loménie, comte de Brienne, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, le rapport de leur première conférence avec les Impériaux :
« Nous remismes il y a huict jours à vous mander par cet ordinaire ce qui s’est passé en la visite que les plénipotentiaires de l’Empereur nous ont faicte. […] La première chose qu’ils firent fut d’envoier demander l’audience par deux gentilshommes avec le titre d’Altesse au premier de nous, et estans venus le lendemain après que le comte de Nassau eut faict son compliment en françois sans user d’aucun titre, son collègue [Volmar] prit la parole ainsy qu’il a accoustumé et dans une longue harangue latine, suivie d’un discours italien donna tousjours le titre d’Altesse et d’Excellence selon qu’il adressa sa parole. Il est à remarquer qu’il parla par ordre de l’Empereur au nom du comte de Nassau et au sien, et qu’outre qu’il est en pareille autorité que ledict comte tous les ministres de l’assemblée luy donnent la main [droite] et le titre d’Excellence et luy font les mesmes honneurs qu’à son collègue. Nous rendismes la visite aux Impériaux quatre jours après où les mesmes choses furent observées1. »
2Leurs conférences avec les Impériaux étaient donc marquées par un mélange de plusieurs langues. D’ailleurs, nous verrons qu’outre le latin, l’italien et le français qui sont évoqués dans ce premier rapport, en Westphalie les négociateurs eurent recours à d’autres langues vernaculaires, en particulier l’espagnol, l’allemand et le néerlandais. Or, si plusieurs langues furent utilisées au cours du congrès, leur usage n’était pas toujours facultatif2.
3Parmi les interrogations nouvelles de l’historiographie moderne des relations internationales, qui a beaucoup profité d’un regard inspiré d’une vision plus vaste de l’histoire des sociétés englobant les institutions, l’économie, les mentalités3, et surtout d’une approche culturaliste, il faut très certainement citer les conditions du travail quotidien des négociateurs4. Si l’on veut porter son regard sur les diplomates au travail, l’instrument même de toutes leurs négociations et des lettres et mémoires qu’ils ont rédigés, c’est-à-dire leur langue, ne se situe certainement pas parmi les problèmes mineurs5. À cet égard, les congrès de paix – l’exemple du congrès de Münster que nous venons de citer le prouve bien – jouèrent un rôle majeur, puisque ce fut à ces moments cruciaux pour la diplomatie que des changements purent s’imposer ou qu’ils éclatèrent au grand jour, tandis qu’ils restaient moins perceptibles dans les relations bilatérales et dans les négociations quotidiennes6. À juste titre, le congrès de Westphalie a été qualifié d’« archétype » des congrès internationaux des Temps modernes7. Par la suite, les étapes successives qui permettent de mesurer l’ascension du français qui s’annonce au siècle de Louis XIV, au détriment du latin, seront le congrès de Nimègue, les conférences de Francfort et enfin le congrès de Ryswick, en 1697. Après quelques remarques générales sur les langues de la négociation à l’époque moderne, nous examinerons successivement les problèmes linguistiques aux grands congrès de paix du xviie siècle, ainsi que plus brièvement, à l’occasion des conférences franco-allemandes de Francfort, au lendemain du congrès de Nimègue.
L’histoire des langues de la diplomatie : « une approche culturelle de la pratique politique »
4On peut dire que l’étude « des langues utilisées [par les diplomates] pendant les discussions est un pas décisif pour une approche culturelle, au sens le plus large, de la pratique politique8 ». Pourtant, ce sujet n’a jamais été traité d’une manière exhaustive ni cohérente, même si des ouvrages historiques sur les congrès de diplomates aux xviie et xviiie siècles examinent la question9.
5Au xvie siècle, on peut s’apercevoir d’un essor des langues vernaculaires qui ne cesse de s’accentuer, bien que l’usage du latin ne disparaisse point10. Ce dernier reste en effet la langue commune à toute la chrétienté11. Il n’est donc pas l’apanage du Saint-Empire, qui se nomme « romain12 ». Cependant, la diplomatie se révèle un monde polyglotte13. Par conséquent, elle doit faire face à un problème particulier qui découle de ce caractère polyglotte, c’est-à-dire la traduction. Au xviie siècle, la traduction devient un problème important puisque se développent les relations « internationales », se multiplient les résidents et les ambassadeurs ordinaires en Europe ainsi que les actes diplomatiques ; dans cette optique, les congrès de paix, surtout celui de Westphalie, mais aussi ceux de Nimègue, de Ryswick et d’Utrecht, apparaissent comme des objets de recherche très fructueux. Or, les historiens n’ont pas encore vraiment découvert la traduction en tant que source qui peut nous renseigner sur les réalités et l’imaginaire du passé14.
6Dans le Saint-Empire comme en France, des règlements nouveaux régissent l’emploi des langues au cours du premier xvie siècle : tandis que la capitulation de Charles Quint accorde, en 1519, aux langues latine et allemande le statut de langues officielles15, non pas pour évincer l’une ou l’autre mais pour éviter le français et l’espagnol de Charles Quint et de son entourage, l’ordonnance de Villers-Cotterêts de François Ier16, impose, en 1539, l’emploi du français dans le royaume, au détriment du latin17. C’est-à-dire qu’à l’époque même où la France commence à renoncer au latin, le Saint-Empire pérennise son usage. Par ailleurs, la stipulation que la capitulation de Charles Quint contenait au sujet des langues, fut confirmée par les empereurs suivants18 ; dans la capitulation de Ferdinand II, cette clause n’a pas échappé à Théodore Godefroy19, conseiller juridique de l’ambassade française en Westphalie. Mais ni en France ni en Allemagne (au moins jusqu’au xviie siècle), il n’y a de politique linguistique systématique et réfléchie.
7En ce qui concerne les relations internationales de 1618 à 1714, Claire Gantet note : « L’argument linguistique n’est guère employé à des fins politiques », même si on avait bien saisi l’importance des langues pour la culture et le politique. Les milieux auliques étaient cosmopolites et polyglottes : au Louvre, on parlait, outre le français, l’italien et l’espagnol20. C’est un aspect important qui éclaira nos propos sur les congrès de paix et les missions diplomatiques depuis 1643 ; en effet, les négociateurs y retrouvaient les mêmes réalités (cosmopolitisme et multilinguisme) qui correspondaient à leurs expériences en France. Il en va de même pour la plupart des Allemands envoyés aux congrès internationaux ou en France et qui connaissaient ces phénomènes à travers leurs séjours à la cour impériale de Vienne ou aux différentes cours princières allemandes21.
8Nous n’entrerons pas ici dans une discussion minutieuse sur les conditions structurelles de l’apprentissage des langues et la perception ou non-perception de sa nécessité dans les manuels de diplomates. Retenons cependant certains principes et certaines réalités fondamentales : les manuels du parfait ambassadeur des xvie et xviie siècles, exigent en général que tout ambassadeur sache parler le latin22. Au xvie siècle, le Vénitien Ottaviano Maggi avait revendiqué que l’ambassadeur ne dût « pas seulement savoir écrire et parler le latin avec un raffinement tout classique, mais il doit aussi être un maître en grec, en espagnol, en français, en allemand et en turc23 ». Très certainement, les négociateurs qui satisfaisaient à cette exigence étaient très rares. Mais ces exigences étaient tout à fait exceptionnelles. Alberico Gentili souhaitait que l’ambassadeur parlât, outre le latin, trois langues étrangères, dont la langue du pays où il devait être envoyé. Même si les auteurs considéraient donc que tout diplomate devait parler plusieurs langues, Juan António De Vera recommandait que l’ambassadeur se servît de la langue de son souverain pour lui rendre honneur24 ; selon Garrett Mattingly, cette position correspondait parfaitement à l’esprit du xviie siècle25, où l’on pensait que l’usage de la propre langue rendait gloire au souverain que l’ambassadeur représentait. De même que les autres auteurs, Rousseau de Chamoy insista, en 1697, sur le caractère indispensable du latin, tout en admettant que sa connaissance ne suffisait pas26.
9Par ailleurs, Rousseau de Chamoy estimait qu’il était très important de connaître la langue du pays où l’on était accrédité, soit pour obtenir des renseignements des couches de la population ne parlant pas le latin, soit pour se passer d’interprète dans les négociations avec les princes27.
10Au début du xviiie siècle, François de Callières (1645-1717) insistera encore sur la maîtrise du latin, exigeant aussi celle de trois autres langues étrangères, dont l’allemand :
« Chaque sujet qui se destine à être employé dans les négociations pour le service du Roy, doit sçavoir les langues Allemande, Italienne et Espagnolle, avec la latine, qu’il seroit honteux d’ignorer à un homme engagé dans les employs publics, cette langue étant la langue commune de toutes les Nations Chrétiennes28. »
11Outre les connaissances linguistiques proprement dites, n’oublions d’ailleurs pas que le diplomate en tant qu’orator, devait aussi être théoriquement capable d’accompagner ses propos de gestes propres à convaincre ou à persuader ses interlocuteurs.
12Qu’en fut-il des connaissances linguistiques réelles des diplomates eux-mêmes, au xviie siècle ? Pour les maigres connaissances d’allemand des Français, nous disposons de l’excellente étude de Paul Lévy29. Cependant, les diplomates, en particulier ceux ayant effectué plusieurs missions dans l’Empire, connaissent parfois très bien l’allemand, comme Gravel, l’envoyé français à la diète permanente de Ratisbonne de 1663 à 167430. D’ailleurs, au congrès de Westphalie, la France envoya des représentants faisant preuve d’une parfaite maîtrise de la langue allemande, comme par exemple le comte d’Avaux, second plénipotentiaire du roi, et Théodore Godefroy31.
13Même si cette bonne maîtrise des langues étrangères ne va pas encore de soi dans la diplomatie française au milieu du xviie siècle, Françoise Waquet remarque à juste titre que certains diplomates « furent d’excellents latinistes », citant entre autres le comte d’Avaux à Münster32. D’autres diplomates, cependant, le furent dans une moindre mesure. C’est que la connaissance des langues ne détermine pas vraiment le choix des négociateurs ; celui-ci se fonde sur des critères (micro-) politiques ou sociaux33. Le cardinal de Richelieu, autorité s’il en est, conseille de considérer avant tout la naissance d’un candidat, sinon, avertit-il, on « rempliroit les charges d’officiers de basse extraction, souvent plus chargés de latin que de biens34 ». Et si Ottaviano Maggi exigeait qu’un legatus fût polyglotte, connût l’histoire, le droit et la philosophie, il considérait comme une conditio sine qua non qu’il fût riche et issu d’une bonne famille35.
14D’ailleurs, les négociateurs ne se confondent pas avec les diplomates de formation de ce début du xxie siècle. Au siècle de Louis XIV, pour les négociations diplomatiques, on a recours, entre autres, à des militaires, qui utilisent peu le latin à des fins professionnelles. C’est ainsi que, au début du xviiie siècle, à Rastatt, le maréchal de Villars dut faire venir auprès de lui le recteur des jésuites de Strasbourg pour qu’il « puisse entendre parfaitement » tous les termes latins de la négociation, comme il s’exprimait lui-même36. Le diplomate français Simon Arnauld de Pomponne, qui parlait latin en Suède, déclarait que ce latin n’avait pas grand-chose à voir avec le latin qui avait été parlé au temps d’Auguste37 ; question difficile à trancher, puisque nous ne connaissons vraiment ni le latin parlé au xviie siècle ni celui parlé au temps d’Auguste. Toutefois, certaines particularités du latin des Temps modernes nous sont bien connues par les recherches des spécialistes du latin moderne et des philologues en général38. Il est très certain, par exemple, que les différences énormes de prononciation rendaient parfois difficile la communication entre les différentes régions de l’Europe, les Français prononçant le latin à leur manière, les Allemands comme si c’était de l’allemand39. Néanmoins, l’institutionnalisation grandissante de la diplomatie au siècle suivant insista, au moins théoriquement, à travers les manuels du « parfait ambassadeur » et les académies qu’on créa en France comme ailleurs en Europe, sur la part à faire au latin. Les statuts de l’Académie politique, instaurée en 1712 à l’instigation de Torcy40, et le projet de rétablissement de celle-ci, en 1722, prévoyaient évidemment l’enseignement du latin pour que les futurs diplomates connaissent « à fond » cette langue de la diplomatie41.
15S’il n’y avait pas de politique systématique en matière de langue diplomatique, tous les pays d’Europe observaient certains principes fondamentaux très précis quant à l’emploi des langues dans leurs relations avec les autres États. Le résultat de leurs prétentions fut le plurilinguisme de la diplomatie du xviie siècle qui se perpétua au xviiie, avec deux langues prépondérantes (d’abord le latin, puis le français), et une demi-douzaine de langues mineures : italien, espagnol, allemand, néerlandais, etc. Les négociations quasiment quotidiennes entre les puissances souveraines et ce caractère polyglotte de la diplomatie rendirent inéluctable la traduction qui devint ainsi l’un des défis majeurs des relations internationales42. Nous disposons de très bonnes sources pour restituer ce quotidien linguistique de la diplomatie moderne43 ; cela est particulièrement vrai pour le congrès de la paix de Westphalie où la documentation à travers les sources imprimées est sinon exhaustive, du moins la plus riche de tous les congrès de paix qui se sont tenus aux Temps modernes.
Le congrès de la paix de Westphalie comme modèle de négociation
16Le congrès de Westphalie représentait, sur le plan institutionnel, une véritable nouveauté dans la diplomatie européenne, puisqu’il fut le premier congrès multilatéral d’une telle ampleur44 : cent neuf délégations y participèrent, représentant seize États européens et cent quarante principautés et villes d’Allemagne45.
17Dans une lettre du 9 avril 1644 adressée à Loménie de Brienne, Abel Servien décrit ainsi le grand congrès :
« Voycy […] une espèce de concile politicque où presque toutes les nations de l’Europe auront des députéz et où pour ne rien faire de préjudiciable de part ny d’aultre nous ne sçaurions prendre une meilleure règle pour nostre conduicte en matière de complimens que ce qui s’observe en la Cour de Rome46. »
18En l’absence de précédent politique, le Saint-Siège devint ainsi, non seulement pour les Français, mais aussi pour les autres délégations, une référence essentielle pour régler les relations entre les différents ambassadeurs, du moins à Münster où siégeaient les puissances catholiques ; il n’est donc pas étonnant d’y retrouver aussi les langues de Rome, le latin et l’italien, comme principales langues de la négociation47.
19L’importance des traités de Westphalie pour le développement du droit international a fait, parmi les historiens, l’objet d’évaluations diverses, parfois contradictoires. L’un des problèmes majeurs que les négociateurs devaient résoudre fut de s’accorder sur les langues de la négociation entre les représentants de tant de souverains et peuples différents, allant de la péninsule Ibérique à la Scandinavie, et d’élaborer, ensuite, une terminologie « internationale », propre à traduire les particularités du droit public des différents États représentés à Münster et à Osnabrück, et reconnue par tous. C’était devenu une nécessité absolue dans la mesure où les relations entre les États européens ne pouvaient plus se régler par le seul langage de la féodalité. Aux problèmes linguistiques proprement dits s’ajoutèrent donc ceux de la traduction.
20Il est à noter qu’en Westphalie, certains diplomates parlaient très bien plusieurs langues étrangères et que presque tous maîtrisaient plus ou moins bien le latin. L’italien était toujours une langue de prédilection pour les gens cultivés, le français par contre moins bien connu qu’un siècle plus tard, l’allemand parlé par les ressortissants du Saint-Empire et des puissances nordiques. Les envoyés au congrès étaient naturellement aidés par le personnel de leurs chancelleries et disposaient d’interprètes et de secrétaires étrangers qui nous sont parfois bien connus. Ainsi les deux ambassadeurs suédois, Johan Adler Salvius et Johan Oxenstierna, avaient chacun un secrétaire allemand48. Longueville avait comme secrétaire et interprète, Jeremias Jacques Stenglin49. La délégation catalane comportait un interprète sur un total de vingt personnes50. Quand Henri de La Court fut nommé résident français à Osnabrück, Servien lui donna des conseils pour choisir son personnel, et lui écrivit qu’il lui faudrait, entre autres, « un bon secrettaire et quelqu’un encores qui puisse escrire en latin51 ». Les documents que les archives des puissances présentes en Westphalie conservent de nos jours, attestent d’un inlassable effort de traduction dans les chancelleries des différentes délégations52.
21Pour les négociations mêmes, il faut d’abord constater qu’il n’y avait pas de langue unique pour tous les fils des pourparlers, ni même de règle générale pour toutes les parties. Cette diversité tient en partie au mode de travail du congrès qui ne se réunit jamais en séance plénière ; les États, répartis entre les deux villes de Münster, où siégeaient grosso modo les États catholiques ainsi que les ambassadeurs des Provinces-Unies, et d’Osnabrück, ville des puissances protestantes et d’une partie de la délégation impériale, négociaient soit directement avec leur adversaire, ce qui était le cas à Osnabrück et pour les pourparlers entre les Provinces-Unies et l’Espagne à Münster, soit indirectement par l’interposition d’un médiateur. La France choisit ce dernier procédé pour ses négociations avec l’empereur et le roi d’Espagne53, en se servant de la médiation du nonce apostolique Fabio Chigi et de l’ambassadeur de la république de Venise Alvise Contarini, ainsi que de celle des plénipotentiaires néerlandais à partir du mois de septembre 164654. Les états de l’Empire se réunissaient dans les trois collèges traditionnels des Électeurs, des princes et des villes, répartis eux aussi entre Münster et Osnabrück, et formaient de plus deux corps en fonction de leur appartenance religieuse, le Corpus catholicorum et le Corpus evangelicorum55.
22Si le latin était la principale langue des diplomates au congrès, il était loin d’être la seule. Comme langue commune de l’Occident chrétien, il était utilisé en particulier dans les documents solennels en tant que langue d’un registre haut. C’est à ce titre qu’il fut employé dans les traités de paix entre l’empereur, les états de l’Empire et respectivement la France et la Suède, signés le 24 octobre 1648 à Münster. Par contre, le troisième traité, la paix particulière entre l’Espagne et les Provinces-Unies conclue le 30 janvier 1648 à Münster, est un acte bilingue, dressé en néerlandais et en français.
23Réfléchissant à la question de la langue du traité de paix, les Français étaient en effet arrivés à la même conclusion que les Impériaux et les Suédois et, dans une note rédigée probablement par Théodore Godefroy, s’étaient résignés à sa rédaction en latin56. La principale objection soulignée par l’auteur est « qu’il y va de l’honneur de la France que le traicté se fasse en langue françoise plustost qu’en une autre langue ».
24« Mais à cela il se peut respondre, poursuit-il, qu’il n’y aura pas un grand adventage d’honneur si le traicté se faict d’une part en langue françoise et d’autre en langue alemande, selon que vraysemblablement l’Empereur le demandera au réciproque. » Ses principaux arguments en faveur du latin sont que les traités de paix, de trêve et de confédération entre les principales puissances de l’Europe se faisaient généralement en latin (il s’agit donc d’une coutume bien établie depuis longtemps), qu’il en était de même pour les traités passés par la France avec les Habsbourg, excepté ceux qui concernaient uniquement la Flandre, l’Artois ou la Bourgogne, qu’il fallait que les alliés de la France, en particulier les princes d’Allemagne comprennent bien ce traité, et surtout :
« Il est à propos que ce traicté se fasse en langue latine, ainsi qu’il s’est observé au traicté de Ratisbone, en l’an mille six-cent trente, entre l’Empereur Ferdinand II et le feu Roy [Louis XIII], pour ce qu’il est nécessaire que les princes qui traictent entre eux, soit de paix, de trefve, ou de confédération et alliance, s’entendent l’un l’autre en ce dont ils conviennent, et qu’il faut éviter, tant que faire se peut, les doubtes qui peuvent naistre sur le sens des mots, si le Roy faict le traicté en françois, et l’Empereur en aleman[d], qui sont langues du tout différentes, et n’ont rien de commun l’une avec l’autre. »
25Derrière le latin, on voit pourtant s’établir le français comme langue des diplomates, mais il doit encore se partager le palmarès avec d’autres langues vernaculaires, surtout l’italien, langue des médiateurs Chigi et Contarini et l’une de celles de la cour impériale de Vienne57, mais aussi l’allemand, souvent parlé par les Allemands eux-mêmes, bien sûr, mais aussi plus généralement par les puissances du Nord, et, dans une moindre mesure, l’espagnol et le néerlandais.
26Seules l’Espagne et les Provinces-Unies suivaient une règle précise dans leurs négociations, établie par l’accord, politiquement très important, du 5 mai 164658. En vertu de cette convention, les plénipotentiaires espagnols accordèrent à leurs homologues néerlandais, le rang d’ambassadeurs d’une puissance souveraine. Ce fut pour les Néerlandais un premier pas vers leur indépendance et leur souveraineté nationale. On convint de négocier en latin, en français ou en « néerlandais59 » ; les résultats des négociations devaient être consignés par écrit, et ceci exclusivement en français et en néerlandais. Ces langues étaient en quelque sorte aussi celles des Espagnols (l’un de leurs plénipotentiaires, Antoine Brun, était Franc-Comtois, un autre, Joseph de Bergaigne, Anversois), et le français était en même temps la langue administrative des Pays-Bas espagnols60. Renoncer à l’emploi de l’espagnol dans la négociation apparaît donc comme un sacrifice modeste de la part des Espagnols, du moins si on le compare aux autres concessions faites en faveur des Néerlandais. Il n’est pourtant pas sans intérêt de noter cette concession linguistique et de les voir renoncer à l’emploi de l’espagnol puisque Peñaranda, premier plénipotentiaire du Roi Catholique, ne parlait pas bien le français (du moins si l’on en croit ses propres aveux61), de sorte qu’il eût certainement été plus pratique pour lui de pouvoir s’exprimer en espagnol. Le compromis linguistique traduisit en effet la ferme volonté politique des Espagnols de parvenir à une trêve ou à un traité de paix avec leur adversaire néerlandais.
27Pour les autres puissances souveraines et les états de l’Empire, les choses sont bien plus compliquées ; afin d’analyser leurs usages linguistiques, il faut opérer une distinction fondamentale entre différents registres, surtout entre les négociations orales et les documents que les délégations échangeaient entre eux ou déposaient auprès des médiateurs. L’usage oral était flexible et éphémère, l’usage écrit pouvait être péremptoire et définitif ; pour celui-ci, des compromis étaient donc plus difficiles à obtenir. La situation à Osnabrück, où se regroupaient les seuls États septentrionaux, est plus facile à comprendre que celle qui existait à Münster, où se côtoyaient les langues méridionales et germaniques.
28Les Suédois étaient tenus à un usage certain par leurs instructions. L’article 27 de leur instruction principale du 15 octobre 164162 permit aux ambassadeurs de traiter en allemand, en latin, en français ou dans une autre langue, tout en donnant la préférence au latin et en précisant que tous les documents devaient se rédiger exclusivement en latin. L’article 5363 stipula l’usage de la même langue dans le traité qui serait signé à la fin des négociations. Les Suédois cultivés sont normalement des gens trilingues ; outre leur langue maternelle et l’allemand, ils maîtrisent le latin. Cette langue est aussi admise dans leur correspondance interne ; outre dans les documents solennels, on la retrouve aussi – parfois, semble-t-il, par maniérisme – dans la correspondance administrative ordinaire64. L’emploi du latin va d’ailleurs de quelques mots insérés dans un texte suédois, ce qui est fréquent, aux lettres intégrales rédigées dans la langue de Cicéron.
29Par leur caractère polyglotte, certains personnages comme la reine Christine de Suède, son plénipotentiaire Salvius, le comte d’Avaux et Trauttmansdorff, chef de la délégation impériale, incarnent ainsi le microcosme du monde diplomatique moderne, lui aussi polyglotte ; les langues de la diplomatie sont le reflet de la culture de leur époque : l’humanisme est leur apanage.
30Pourtant, il y a bien eu des problèmes de communication. Si La Court rapporte, le 1er décembre 164665, qu’il a essayé de parler allemand à un secrétaire à Osnabrück, ce qui semble attester quelques connaissances, il doit avouer, le 1766, ses problèmes de compréhension lors d’un dîner chez Salvius où l’un des personnages présents ne parlait ni le latin ni le français. On peut même soutenir que le manque de connaissances en allemand de La Court nuisait à la France ; du moins fournit-il un argument aux alliés suédois pour l’exclure de leurs pourparlers avec les Impériaux et les états de l’Empire, qui se déroulaient en général en allemand67. Même si l’on suppose que ce ne fut qu’un prétexte des Suédois pour masquer leur volonté de ne pas laisser l’allié français voir de trop près l’état de leurs négociations, qui avançaient à l’époque assez vite, il en résulta un tort indéniable pour la délégation française.
31Les Allemands, quant à eux, tenaient au latin, deuxième langue officielle du Saint-Empire au moins depuis 1519. Le latin s’employait notamment dans les relations de l’Empire et de ses princes et villes avec l’étranger. C’est pourquoi les plénipotentiaires de l’empereur protestèrent lorsque les Français leur soumirent leur première proposition en français68. Or, non seulement les Impériaux, mais aussi les états de l’Empire exigeaient l’emploi du latin. En conséquence d’Avaux et Servien leur adressèrent leurs lettres circulaires du 6 avril et du 4 septembre 1644 en latin69. Servien savait donc bien qu’on ne pouvait se dispenser de l’usage du latin et qu’il fallait le maîtriser pour les négociations ; de sorte qu’il écrivit à Henri de La Court lorsque celui-ci s’apprêtait à prendre ses fonctions de résident à Osnabrück : « Il fauldra que vous vous exerciez un peu en venant dans la langue latine, parce que vous en aurez souvent besoin dans les conférences que vous aurez avec les députez qui sont [à Osnabrück], et pour les affaires vous en sçaurez aultant que moy dans huit jours70. »
32Les textes qui devaient servir de base à la négociation, c’est-à-dire les documents dans lesquels les délégations résumaient leurs prétentions, répondaient à celles de leurs parties ou convenaient des articles à insérer dans le traité de paix, étaient normalement (mais pas toujours) rédigés en latin par les Impériaux et les Suédois, et dans leur langue maternelle par les Français. Les Espagnols usaient de l’espagnol envers ces derniers71.
33Or, souvent les documents n’étaient pas préparés par les délégations ni remis aux médiateurs ou à leurs parties, mais il s’agissait de notes prises au cours des conférences, en général par les médiateurs. Dans les papiers de Chigi, de Contarini et des grandes puissances, l’on trouve par conséquent un grand nombre de documents qui fixent le résultat d’une négociation ; les notes que les médiateurs ont prises sont en règle générale en italien, langue qui devient ainsi, par les médiateurs, l’une des principales du congrès, car c’est dans celle-ci qu’ils résumaient les propositions, soumises, le cas échéant, en français ou en espagnol72, et souvent le texte italien était ensuite traduit en latin73.
34Pour ce qui est des langues utilisées dans les conférences, il faut noter que contrairement à ce qui concerne l’usage écrit, il est assez difficile de saisir leur emploi dans les négociations orales. En prenant certaines précautions méthodiques, on peut dresser le constat suivant : à Osnabrück, on parlait en général un allemand parsemé de latin tandis qu’à Münster, nous trouvons, à côté du latin, surtout l’italien et le français – pourtant moins répandu qu’au milieu du siècle suivant. Nous y retrouvons d’ailleurs le latin non seulement dans les conférences, mais aussi dans les rues74. Dans les conférences, il semble fréquent que les interlocuteurs s’expriment dans des langues différentes. Ainsi, le comte de Nassau, ambassadeur de l’empereur, s’adresse en français à Wartenberg, envoyé de l’archevêque de Cologne, qui répond, ainsi que nous le rapporte le Suédois Rosenhane75, en italien. Le Vénitien Contarini s’exprime en italien quand il reçoit Rosenhane tandis que celui-ci lui répond en latin, ainsi qu’il le mande, le 24 mai 1644, aux ambassadeurs Johan Oxenstierna et Salvius76.
35D’ailleurs, tous les négociateurs ne comprenaient pas le français. C’est la raison pour laquelle, le 9 juillet 1648, en discutant d’un mémoire sur la Lorraine, les états de l’Empire firent part de leur désir « de faire dicter ce mémoire et [de présenter] outre l’original français une version dans une langue connue de tous les députés, c’est-à-dire en allemand ou en latin77 ».
36Or, la langue ne fut pas seulement l’instrument, mais aussi l’un des objets des négociations en Westphalie. Si l’emploi de plusieurs langues était courant lors du congrès, nos observations montrent que, souvent, leur choix n’était pas facultatif. En effet, l’analyse structurelle révèle le rôle politique majeur de l’emploi des langues dans la diplomatie et leurs implications à la fois politiques et juridiques78. Cela sert à comprendre pourquoi au congrès de la paix de Westphalie, la volonté d’arriver à un accord politique se manifestait souvent en des concessions linguistiques tandis que l’intransigeance dans ce domaine pouvait se révéler le symptôme d’une crise générale ou même de l’échec imminent des négociations (comme dans le cas des pourparlers franco-espagnols).
37Les négociations quasiment quotidiennes entre puissances souveraines faisaient que la traduction devenait un problème aigu au congrès de Westphalie. Les recherches sur ce sujet servent à approfondir nos connaissances non seulement sur les relations internationales, mais aussi sur l’histoire culturelle de l’Europe. Au congrès et dans les traductions des traités finalement signés en Westphalie, les problèmes terminologiques devenaient particulièrement délicats dans les cas où une langue ne disposait que d’un seul terme pour traduire plusieurs mots d’une autre. C’est ainsi que le mot « évêché » recouvre en français à la fois le champ sémantique des concepts allemands Bistum (c’est-à-dire son district spirituel) et Stift (son district temporel). Il était en même temps difficile de traduire des termes fondamentaux du droit public du Saint-Empire dont le français n’avait pas d’équivalent exact, tels que Landeshoheit, c’est-à-dire la souveraineté limitée des princes et villes de l’Empire pour laquelle on utilisait parfois, en français, les termes de « supériorité » ou « supériorité territoriale », pourtant pas unanimement acceptés ; souvent on traduisait aussi par « souveraineté » tout court, ce qui pouvait entraîner une confusion avec la « vraie » souveraineté, c’est-à-dire la souveraineté absolue des rois et des princes indépendants79.
38Or, pourquoi utilisait-on tant de langues différentes ? Il faut noter que le recours à leur propre langue par les diplomates était une caractéristique de la souveraineté étatique80 et était censé servir à l’honneur et à la gloire du prince souverain. Le latin était considéré comme une langue neutre.
39D’ailleurs, après 1648, le latin, tout en perdant incontestablement de son importance, restera bien vivant dans la diplomatie du siècle suivant. De ce fait, le congrès de Münster et d’Osnabrück ne marque point un changement brutal, il n’est pas le « portique qui mène d’un monde à un autre81 », mais sert dans une certaine mesure à perpétuer la tradition antérieure en fournissant un exemple aux générations futures de diplomates. L’analyse des aspects linguistiques du congrès de la paix de Westphalie nous révèle un monde en transition82, mais non en perte de tradition. Servien83 soulignait lui aussi la valeur de la tradition dans le domaine du cérémonial et croyait que : « il valloit mieux prendre des expédiens qui laissassent un chacun dans la pocession du droict que chacun prétend luy appartenir que de s’esloigner des anciennes coustumes ny rien céder positivement dans une occasion sy célèbre », et qui (pourrions-nous ajouter aujourd’hui) devait effectivement servir, à son tour, de règle de conduite à la postérité.
40En effet, il est à retenir que le français ne remplaça pas le latin en tant que langue diplomatique « officielle » au moment précis où il s’imposa comme langue parlée dans de nombreuses cours princières allemandes et chez de nombreux savants. Le traditionalisme des chancelleries, décrit par le juriste Frédéric-Charles Moser en 175084, explique que l’essor du français comme langue de la diplomatie soit plus lent et ne suive pas immédiatement l’engouement culturel des princes de l’Europe en général et de l’Allemagne en particulier pour la langue de Molière. Même au milieu du xviiie siècle, le français n’a pas complètement évincé le latin. Si le traité d’Aix-la-Chapelle (1748) est rédigé en français, une clause particulière précisait que cela ne devait pas tirer à conséquence ; des restrictions similaires furent mises aux traités de Paris (1763) et même à l’acte final du congrès de Vienne (1815)85. Toujours est-il qu’au milieu du xviiie siècle, la langue française s’était imposée presque partout comme langue diplomatique, aussi pour les documents les plus solennels comme les traités de paix franco-allemands, bien que la consécration officielle lui fît parfois défaut86.
41Au lendemain de la paix de Westphalie, le latin demeurait donc de rigueur, non seulement dans les traités de paix, mais aussi dans la correspondance diplomatique adressée à l’Empire en général, à la diète ou bien, collectivement, aux états de l’Empire. Il en va de même pour les audiences et les visites. Nous en avons un très beau témoignage de Vautorte87, qui écrit à Mazarin, le 31 juillet 1653, qu’il envoie « les compliments que j’ai fait à l’empereur et au roi des Romains dans sa première audience. Ils ne sont pas en François, parce qu’ils n’aiment point les interprètes, et qu’ils répondent toujours en Allemand si on ne leur parle Latin ou Italien88 ». Nous apprenons ainsi que l’italien était bien admis en tant que langue au moins officieuse à la cour de l’empereur, mais surtout qu’un diplomate français n’y était pas censé se servir de sa propre langue. Au début des années 1650, l’emploi des langues ressemblait donc toujours à ce qui avait été pratiqué avant le congrès de Münster.
Le congrès de Nimègue entre tradition westphalienne et remise en cause de la neutralité du latin
42Au congrès de Nimègue, le français fit des progrès notables en tant que langue véhiculaire non-officielle89. Par contre, Ferdinand Brunot a déjà pu montrer que la tradition selon laquelle le français aurait alors obtenu toutes ses prérogatives de langue diplomatique, n’est en fait qu’une légende ; une légende qui, pourtant, naquit déjà au xviiie siècle, peut-être fondée sur le récit de Limojon de Saint-Didier90. En effet, celui-ci rapporte, dans son Histoire des negotiations de Nimegue, publiée en 1680, que pratiquement toutes les délégations se servaient régulièrement du français dans les conférences et certaines même dans leurs dépêches91 ; de plus, quasiment toutes les écritures concernant ce congrès auraient été publiées en français92. Or, même si l’on admet la véracité de son exposé, Brunot a déjà mis en garde contre l’interprétation qui en a été faite, car l’auteur « ne dit en aucune façon que la langue française fut la langue officielle du Congrès et celle du traité93 ».
43Autant que nous puissions en juger à partir de ses documents, le congrès de Nimègue eut plutôt tendance à confirmer les traditions anciennes qu’à les abroger. Sans chercher à imposer leur langue aux autres délégations, les Français insistaient sur le respect de ces traditions. C’est pour cette raison qu’ils exigeaient que les Danois donnassent leurs pleins pouvoirs en latin (non en danois, comme ces derniers le revendiquaient en vertu du principe de l’égalité), tandis que les mêmes traditions leur permettaient de rédiger les leurs en français.
44C’est cette défense de la tradition que les plénipotentiaires français se fixaient comme objectif, comme nous le montre leur dépêche adressée à Pomponne de Nimègue, le 5 février 1677 : « Il n’y a nulle raison de changer ce qu’un long usage qui est la seule regle sur laquelle on puisse régler de pareilles contestations, a suffisamment estably94. »
45En général, le latin demeurait une langue importante de la diplomatie, et on l’employait même dans les conférences ; l’ascension du français s’accentuait par rapport au congrès de Münster dans les occasions informelles et aussi comme langue de travail dans les conférences et certains documents, mais les autres langues vernaculaires, comme l’italien, l’espagnol et le flamand, ne disparaissaient pas pour autant et restaient toujours employées dans certains cas.
46Les Impériaux continuaient à user du latin dans leurs négociations avec les ambassadeurs du roi de France et à ne pas vouloir admettre le français. Cela résulte clairement du procès-verbal qu’ils dressèrent en 1679 d’une réunion avec leurs homologues français. Ce document est d’autant plus intéressant qu’on le ressortit au congrès de Ryswick ; il tira donc à conséquence95.
47De ce document, on peut tirer deux conclusions : le principe de la latinité des négociations fut confirmé à la demande des Impériaux qui s’exprimaient en latin ; ce principe commença, pourtant, à se heurter à la réalité de la connaissance de plus en plus modeste du latin chez les diplomates, sinon impériaux, du moins français (en l’occurrence, le maréchal d’Estrades, un militaire de formation, et Colbert de Croissy) et anglais (en effet, l’ambassadeur britannique et médiateur William Temple préférait également s’exprimer en français)96. Il est naturel que par la suite, le choix de la langue se soit successivement conformé aux préférences personnelles des négociateurs. Cependant, à Nimègue, la primauté du latin, du moins pour les documents solennels, dans les relations franco-allemandes fut maintenue ; pour cette raison, le traité de paix passé par la France avec le Saint-Empire, en date du 5 février 1679, ne fut pas rédigé en français mais toujours en latin97.
48Cependant, à certains égards, le congrès de Nimègue s’écarta du modèle westphalien. D’abord, il faut noter que pour une partie des pourparlers (en l’occurrence, les négociations hispano-suédoises), il n’y avait pas d’usage établi. Ces deux puissances devaient donc discuter du protocole et des langues de négociation. De plus, le plénipotentiaire danois, qui (selon la tradition) présentait son plein-pouvoir en latin, ne voulait plus accepter les pleins-pouvoirs en langue française que le roi du Danemark avait pourtant coutume de recevoir de la part des ambassadeurs de France98. Si ce plénipotentiaire renonça finalement à sa demande, cette prétention montre clairement l’influence du concept de souveraineté sur le choix des langues.
49Mais le changement le plus important venait de la part des plénipotentiaires français. En effet, même si la France se résignait à signer son traité avec l’empereur en latin, ils ne considéraient plus cette langue comme un idiome neutre, mais comme l’apanage du Saint Empire romain germanique. C’est la raison pour laquelle, le 8 novembre 1678, ils rapportaient à Louis XIV d’avoir accepté la rédaction du traité en latin « quoiqu’on puisse soutenir que la langue latine devant être censée comme naturelle au Roi des Romains [en l’occurrence, l’empereur Léopold Ier], nous soyons en droit de faire notre exemplaire en langue française99 ». Peut-on voir dans cette prise de position une doctrine française en matière de langues diplomatiques ? Cette hypothèse nous paraîtrait hasardeuse100, car nous avons vu que, à la fin du règne de Louis XIV, Callières soutient la neutralité du latin. Toujours est-il que peu de temps après la signature du traité de Nimègue, lors d’une conférence franco-allemande à Francfort, les négociateurs français remirent également en cause la qualité du latin comme langue neutre.
Vers une politique linguistique ? Les conférences de Francfort
50Cependant, à Francfort, en 1682, on pourrait même parler d’un certain recul du français par rapport au latin. Mais il faut bien prendre en considération la situation particulière, qui résulta du fait qu’une assemblée impériale (plus précisément, une députation de la diète) traitait avec la France101. Moser considère même que le différend qui surgit à Francfort au sujet des langues est resté le plus important en la matière jusqu’au milieu du xviiie siècle, et qu’il a été très discuté après 1682102. Si, dans cet article, nous ne parlerons que brièvement de ces conférences, c’est parce que ces négociations très complexes nécessitent un exposé particulier103. Cependant, il faut dire que la véritable nouveauté qui surgit à l’occasion des conférences de 1682, fut la remise en cause du rôle du latin comme langue neutre par les Français. À ce moment-là, ils le considérèrent plutôt comme une langue propre au Saint-Empire, et à son emploi, opposèrent le principe de l’usage des langues dites « naturelles ». C’est bien un indice qui révèle le fait que le latin était en train de perdre son caractère universel même si les Impériaux et les ordres, tout en soutenant la tradition romaine du Saint-Empire, ne considéraient point le latin comme leur apanage ; bien au contraire, selon eux, cette langue passait pour l’héritage commun à tout l’Occident chrétien, comme la langue universelle par excellence. On verra que par la suite, non seulement Callières, mais aussi d’autres diplomates français le retiendront bien comme langue commune ; il n’y a donc pas encore de doctrine fixe en la matière104. Mais à Francfort, en 1682, le statut du latin comme langue neutre semble bien être remis en cause dans les milieux diplomatiques français (plus sérieusement qu’en 1678), au profit de l’usage des langues « naturelles », c’est-à-dire du français pour les représentants de Louis XIV et de l’allemand pour les députés de l’Empire. Contrairement à Nimègue, il y a eu, en 1682, un vrai refus français d’accepter la neutralité du latin et, par la suite, une véritable dispute acharnée au sujet des langues. En effet, le principe des langues naturelles ne fut pas agréé par les Allemands bien qu’ils n’aient pas voulu fermer la porte à tout compromis.
51Les Allemands soutenaient qu’on ne devait employer, à Francfort, que les langues admises à Ratisbonne, selon la tradition impériale, ce qui eût aussi obligé les Français à se servir, de leur côté, du latin. Sans remettre en cause le modèle de Nimègue, ils relevaient des différences majeures entre ce congrès et les conférences de Francfort : dans ce dernier cas, les négociations se déroulaient en Allemagne, sans médiateurs105, et concernaient des affaires intérieures du Saint-Empire. Ils soutenaient qu’envers les médiateurs, les Français avaient été libres de s’exprimer dans leur langue maternelle, mais qu’à l’égard du Saint-Empire, ils devaient user du latin. Il est à rappeler que même en Westphalie, les Impériaux et les états de l’Empire avaient tout particulièrement insisté sur l’emploi du latin quand on traitait de politique intérieure, c’est-à-dire des problèmes constitutionnels.
52Au fond, le problème était que cette conférence ressemblait, d’un côté, à une assemblée de l’Empire, et de l’autre, comme on négociait avec des représentants français, à une réunion de diplomates comparable aux congrès de Münster et de Nimègue. Si le différend ne portait pas véritablement sur le modèle à suivre, assemblée de l’Empire ou congrès bilatéral, puisque la deuxième option avait été acceptée par les deux parties, les Allemands se montraient encore plus prudents qu’aux congrès de Münster et de Nimègue car on soupçonnait que les conférences de Francfort pourraient tirer à conséquence à Ratisbonne. Si aucune des deux parties ne voulait déroger à la tradition, cette tradition n’était pas toujours claire : déjà au congrès de Münster, les Français s’étaient à plusieurs reprises servis de leur langue sans que les Allemands y eussent donné leur aval. À Francfort, on reprenait donc un problème qui n’avait pas été discuté à fond. C’est pourquoi chaque partie pouvait fonder ses prétentions sur la tradition : les Français pouvaient légitimement invoquer l’exemple de l’emploi du français en plusieurs occasions, les Allemands pouvaient répliquer qu’ils ne l’avaient jamais accepté, et qu’ils s’y étaient même opposés par des protestations formelles. Au-delà de la nature particulière des conférences de Francfort, il s’agissait de décider, d’une manière générale, la question de savoir si l’on devait se limiter au seul usage du latin dans les affaires concernant le Saint-Empire.
53En conclusion, l’on peut dire que les conférences de Francfort – rompues, en décembre 1682, sans conclusion d’aucun accommodement106 et donc stricto sensu sans valeur juridique – ne marquèrent pas, de iure, une étape linguistique décisive dans les rapports entre la France et le Saint-Empire puisque, d’un côté, les Allemands n’accordèrent pas aux Français une dérogation à la tradition latine des relations diplomatiques franco-allemandes et que, de l’autre, les Français s’opposèrent, de leur part, à la confirmer positivement. L’usage du français, avant les conférences de Francfort, était bien attesté de facto, mais il n’avait pas été reconnu de iure. À part cela, le latin était toujours, même pour les Impériaux, une langue tierce107. Par ailleurs, en l’absence d’accord entre la France et le Saint-Empire, il paraît difficile de parler de « changement », comme le fait Ferdinand Brunot108 ; malgré l’excellente qualité de son Histoire de la langue française et la pertinence de son récit de Nimègue et de Ryswick, son exposé sur les conférences de Francfort comporte malheureusement des erreurs sur plusieurs points fondamentaux des négociations109. S’il y eut une nouveauté, à Francfort, c’est que finalement les deux parties prirent acte de leurs visions divergentes au sujet de la tradition en matière de langues diplomatiques.
Le congrès de Ryswick et le caractère normatif des congrès précédents
54Si Ferdinand Brunot remarque qu’au congrès de Ryswick, en 1697, « il ne se produisit rien de bien nouveau ni qui mérite d’être signalé110 », c’est une conclusion qui mérite bien d’être retenue, puisqu’elle confirme que la consécration du français comme langue diplomatique officielle fut plus tardive qu’on n’a tendance à le croire. En particulier, on sait que le congrès de Ryswick s’en tint au protocole du congrès de Nimègue, par rapport aux langues de la négociation111 ; que les Français firent leurs propositions en français, malgré la demande des états de l’Empire d’user du latin dans les affaires concernant le Saint-Empire ; et que les Allemands produisirent leurs documents en latin. Le traité franco-impérial fut dressé et signé exclusivement en latin. Comme c’était désormais l’habitude dans les rapports franco-allemands, les Impériaux protestèrent, dans leur réponse au projet de paix français, contre l’usage qui y avait été fait de la langue française112 ; cette protestation se fit sur la recommandation expresse des ministres des états de l’Empire113. À la fin du xviie siècle, le français n’a donc pas encore complètement remplacé le latin comme langue formellement employée dans les relations entre la France et le Saint-Empire. En principe, la situation n’a pas changé fondamentalement par rapport à 1648 ; on suit le modèle instauré à Münster : la France fait ses propositions en français, l’Empire proteste, et l’on passe à la conclusion du traité en latin. Mais, en dehors de ce cadre des négociations formelles et aussi comme langue de travail dans les conférences, l’avancée de la langue française paraît incontestable. Par ailleurs, il faut aussi souligner le déclin de l’italien – or, alors que, en 1648, les médiateurs Chigi et Contarini étaient italiens, en 1697, nous avons à faire à un médiateur suédois, Niels Lillierot, dont le journal confirme justement l’essor du français, du moins comme langue d’un registre plutôt informel114.
Conclusion
55Si, en 1714, le traité de Rastatt fut le premier traité de paix conclu en français entre le Saint-Empire et la France, il faut bien voir qu’il s’agissait bien d’un traité conclu « à la soldate115 », car ce furent bien des généraux (le maréchal de Villars du côté français et le prince Eugène de Savoie représentant l’empereur) qui eurent à négocier et à rédiger ce traité, non des diplomates. D’ailleurs, à commencer par le traité de Bade, conclu seulement peu de mois après celui de Rastatt, l’usage qu’on fit alors du latin prouve que la langue de Rome n’était pas encore vaincue par le français. La primauté du latin était sérieusement ébranlée, mais les jeux n’étaient pas encore faits. On entra dans une période marquée d’incohérence où l’on conclut tantôt en français, tantôt (et dans un premier temps surtout) en latin. À la succession du français au latin, il faut donc substituer l’idée d’une contemporanéité des deux langues, surtout dans les rapports franco-allemands, qui caractérisa les premières décennies du xviiie siècle116. Il est aussi vrai que si l’on faisait des exceptions à la règle qui voulait que l’Empire négociât en latin avec les étrangers, c’était en général le français que l’on admettait en tant qu’idiome étranger, telle la diète circulaire de Franconie, en 1701117, dans un monde germanique culturellement de plus en plus imprégné de « gallomanie118 ».
56C’est ainsi que le traité d’Aix-la-Chapelle fut le deuxième véritable traité de paix passé en français, en 1748. Tout en n’évinçant pas complètement le latin, le français prit, à ce moment-là, incontestablement le relais comme première langue diplomatique dans les rapports entre l’Empire et la France.
57Mais comment se fit-il que le français ait pu prendre le relais du latin ? Même si le Saint-Empire n’abandonna pas tout à fait la langue de Rome jusqu’à sa dissolution, en 1806, l’évidence s’impose que durant la période qui va de la paix de Westphalie au renversement des alliances, la primauté passa du latin au français. Ce passage s’insère dans une évolution culturelle fondamentale qui regarde l’Europe entière, et dont l’explication ne nous revient pas. À travers notre étude particulière, nous avons cependant pu montrer qu’à l’origine de l’essor du français comme langue diplomatique, il n’y a pas eu de volonté politique ferme de la part de la France pour imposer systématiquement sa propre langue aux autres pays. Rappelons que ce ne fut pas à l’apogée de la gloire du Roi-Soleil mais à la fin de la guerre de la Succession d’Espagne que le français fut employé pour la première fois dans un traité de paix passé par le Saint-Empire.
58Nous pensons que l’essor du français s’explique par la suprématie culturelle et aussi par une certaine suprématie politique de la France en Europe, mais surtout par le rayonnement de sa civilisation. Langue des cours, de l’aristocratie, des savants, le français était, depuis la seconde moitié du xviie siècle, entré dans la culture des diplomates, et il était naturel qu’il finît par s’imposer dans leurs documents professionnels. De plus, sans mener de politique agressive qui eût pu choquer les autres nations, les Français défendirent, depuis le congrès de Münster, leur liberté de s’exprimer eux-mêmes dans leur langue maternelle. Sans être hégémonique, cette politique pourtant tenace fit entrer le français dans les milieux diplomatiques.
59Contrairement à Brunot, nous ne pensons cependant pas que la politique française fût en principe « hostile à l’emploi du latin impérial » depuis Louis XIV, exprimant sa préférence pour les « langues nationales119 ». Certes, nous avons un témoignage qui atteste cette tendance-là dès 1682, voire depuis le congrès de Nimègue, en 1678, mais il serait prématuré d’en déduire une doctrine.
60En revanche, peut-on admettre l’explication proposée par Brunot, selon laquelle le latin aurait disparu du monde diplomatique justement parce que les Impériaux auraient cherché à obliger les autres nations à s’en servir120 ? Force est de constater que – contrairement à ce que suggère Brunot – aux conférences de Francfort, les Impériaux, de même que les états de l’Empire, étaient prêts à accepter des compromis. Certes, finalement, les Impériaux s’opposèrent à l’accord conclu par les Français et la diète. Mais on voit que de pareilles disputes ne survinrent point entre le Saint-Empire et d’autres nations que la France, même si les Espagnols préféraient aussi le français à l’usage du latin. Or, on ne peut expliquer l’essor du français qui fut un phénomène européen par un paradigme qui n’est valable que pour les relations franco-allemandes. D’ailleurs, à Cambrai, en 1724, les Anglais prirent également le parti de défendre le latin en répondant aux Français que le latin était « la langue commune, et le langage ordinaire des congrèz121 ». Je dirais donc que la défense du latin par le Saint-Empire n’a pas fait tort à la langue de Rome, mais que ce combat a été perdu puisque la France remplaça la Rome antique comme modèle culturel de l’Europe. Le latin devint ainsi l’idiome du temps passé, le français celui du temps présent.
Notes de bas de page
1 Cf. Acta Paciswestphalicae (APW), publiés sous les auspices de la Nordrhein-Westfälische Akademie der Wissenschaften und der Künste en collaboration avec la Vereinigung zur Erforschung der Neueren Geschichte e.V. par M. Braubach (†), K. Repgen et M. Lanzinner, série I : Instruktionen ; série II : Korrespondenzen ; série III : Protokolle, Verhandlungsakten, Diarien, Varia, 49 t., Münster, Aschendorff, 1962-2015 (collection en cours de publication), ici série II, section B : Die französischen Korrespondenzen, vol. 2 : 1645, édité par F. Bosbach, Münster, Aschendorff, 1986 (APW II B 2), document n° 247, citation p. 794. Version électronique des 40 t. publiés avant 2009 : [http://apw.digitale-sammlungen.de/] (mise en ligne en juillet 2014, dernière consultation : 15-12-2015).
2 Pour une première approche de ce problème, voir Jankrift K. P., « Diplomaten, Dolmetscher und Übersetzer. Sprachwahl in Friedensprozessen des 15. bis 18. Jahrhunderts », H. Duchhardt, M. Espenhorst (dir.), Utrecht – Rastatt – Baden 1712-1714. Ein europäisches Friedenswerk am Ende des Zeitalters Ludwigs XIV., Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, « Veröffentlichungen des Instituts für Europäische Geschichte Mainz, Abteilung für Universalgeschichte », cahier suppl. 98, 2013, p. 261-273.
3 Cf. Bély L., « L’invention de la diplomatie », id. (dir.), L’invention de la diplomatie. Moyen Âge – Temps modernes, avec le concours d’I. Richefort, Paris, Presses universitaires de France, 1998, p. 11-23, ici p. 11-12.
4 Cf., par exemple, Babel R. (dir.), Le diplomate au travail. Entscheidungsprozesse, Information und Kommunikation im Umkreis des Westfälischen Friedenskongresses, Munich, Oldenbourg, « Pariser Historische Studien » 65, 2005 ; Rohrschneider M., Strohmeyer A. (dir.), Wahrnehmung des Fremden. Differenzerfahrungen von Diplomaten im 16. und 17. Jahrhundert, Münster, Aschendorff, « Schriftenreihe der Vereinigung zur Erforschung der Neueren Geschichte e.V. » 31, 2007 ; Kampmann C., Lanzinner M., Braun G., Rohrschneider M. (dir.), L’art de la paix. Kongresswesen und Friedensstiftung im Zeitalter des Westfälischen Friedens, Münster, Aschendorff, « Schriftenreihe der Vereinigung zur Erforschung der Neueren Geschichte e.V. » 34, 2011.
5 Cf. Andretta S., Péquignot S., Schaub M.-K., Waquet J.-C., Windler C. (dir.), Paroles de négociateurs. L’entretien dans la pratique diplomatique de la fin du Moyen Âge à la fin du xixe siècle, Rome, École française de Rome, « Collection de l’École française de Rome » 433, 2010. Pour les langues dans les rapports diplomatiques et culturels franco-allemands des pourparlers de Westphalie au renversement des alliances, voir Braun G., La connaissance du Saint-Empire en France du baroque aux Lumières (1643-1756), Munich, Oldenbourg, « Pariser Historische Studien » 91, 2010, p. 185-375 (cet ouvrage a été rédigé en même temps que la première version du présent article ; les deux travaux doivent beaucoup aux suggestions de mon directeur de recherche, Jean Bérenger).
6 Pour les congrès de paix aux xviie-xviiie siècles, voir, parmi les publications récentes, Köhler M., Strategie und Symbolik. Verhandeln auf dem Kongress von Nimwegen, Cologne, Weimar, Vienne, Böhlau, « Externa » 3, 2011 ; Duchhardt H., Espenhorst M. (dir.), Utrecht – Rastatt – Baden 1712-1714, op. cit. ; Windler C. (dir.), Kongressorte der Frühen Neuzeit im europäischen Vergleich. Der Friede von Baden (1714), Cologne, Weimar, Vienne, Böhlau, 2016.
7 Cf. Ulbert J., article « Kongresspolitik », F. Jaeger (dir.), Enzyklopädie der Neuzeit, vol. VI, Stuttgart et al., Metzler, 2007, col. 1086-1088, ici col. 1087 : « Archetypus ».
8 Bély L., L’Art de la paix en Europe. Naissance de la diplomatie moderne, xvie-xviiie siècle, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Le Nœud gordien », 2007, p. 244, n. 1.
9 Voir, par exemple, les ouvrages récents cités à la n. 6 et pour le congrès d’Utrecht, l’ouvrage fondateur de Bély L., Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, Paris, Fayard, 1990.
10 Cf. Russell J. G., Diplomats at Work. Three Renaissance Studies, Stroud et al., Sutton, 1992, en particulier l’introduction, p. xv-xvii, ici p. xvi, et le premier essai, intitulé : « Language : A Barrier or a Gateway ? », p. 1-50, ici p. 3 ; cf. aussi (quoique moins précis sur certains points) : Hale J., La civilisation de l’Europe à la Renaissance, Paris, Perrin, 1998, ici p. 149-170.
11 Cf. Russell J. G., Diplomats at Work, op. cit., p. 3 : « In the Renaissance period Latin was the common linguistic currency of Christendom » ; pour le latin de la Renaissance, voir également Kessler E., « Zur Bedeutung der lateinischen Sprache in der Renaissance », R. J. Schoeck (dir.), Acta Conventus Neo-Latini Bononiensis. Proceedings of the Fourth International Congress of Neo-Latin Studies, Bologna 1979, Binghampton, New York, Center for Medieval and Renaissance Studies, « Medieval & Renaissance Texts & Studies » 37, 1985, p. 337-355.
12 Comme nous le rapporte Françoise Waquet, en 1653, Axel Oxenstierna, chancelier du royaume de Suède, « pensait que le latin était plus riche, plus valable et plus approprié, parce que les Romains avaient dominé une très grande partie du monde et que le latin n’était désormais plus l’exclusive d’aucune nation » ; Waquet F., Le latin ou l’empire d’un signe, xvie-xxe siècle, Paris, A. Michel, 1998, p. 306.
13 Tout comme la société de l’Ancien Régime ; cf. Meyer J., L’éducation des princes du xve au xixe siècle, Paris, Perrin, 2004, p. 129 : « Il existe une véritable Europe linguistique multilingue fondée sur un tri-, ou quadri-linguisme à base fondamentale de latin-français. L’exemple princier se répercute dans une partie de la profondeur sociale, englobant dans l’Europe des princes celles des élites nobiliaires et princières, en opposition avec le maintien des langues vernaculaires populaires. »
14 Pour la connaissance des langues étrangères, la traduction et la perception du Saint-Empire par la curie romaine au xvie siècle, voir Braun G., Imagines imperii. Die Wahrnehmung des Reiches und der Deutschen durch die römische Kurie im Reformationsjahrhundert (1523-1585), Münster, Aschendorff, « Schriftenreihe der Vereinigung zur Erforschung der Neueren Geschichte e.V. » 37, 2014.
15 La capitulation de Charles Quint a été publiée dans : Burgdorf W. (dir.), Die Wahlkapitulationen der römisch-deutschen Könige und Kaiser 1519-1792, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, « Quellen zur Geschichte des Heiligen Römischen Reiches » 1, 2015, p. 21-32, ici p. 26. La Bulle d’or n’avait par contre pas fixé les langues officielles de l’Empire bien qu’elle eût obligé les princes électeurs à apprendre à leurs fils ou successeurs outre l’allemand, le latin, l’italien et le tchèque.
16 Ordonnance sur le fait de la justice, Villers-Cotterêts, août 1539 ; enregistrée au parlement de Paris le 6 septembre, dans : Jourdan [A.-J.-L.], Decrusy, Isambert [F.-A.] (éd.), Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789…, 29 vol., Paris, Belin-le-Prieur, 1821-1833, ici vol. XII : 1514-1546, n° 188, p. 600-640 (sur l’usage des langues : §§ [110] et [111], p. 622-623).
17 En principe, le latin fut banni des actes administratifs et judiciaires. Nous n’entrerons pas ici dans une discussion sur la signification de cette ordonnance dont l’interprétation reste difficile.
18 Cf. l’édition critique des capitulations impériales des Temps modernes de Charles Quint, en 1519, à François II, en 1792, Burgdorf W. (dir.), Die Wahlkapitulationen, op. cit.
19 Dans son résumé de cette capitulation, Godefroy relève que l’empereur y a promis de : « N’user en ses Lettres et Ordonnances d’autre Langue que de l’Alemande, ou de la Latine, excepté es lieux où autre Langue que l’Alemande est en usage » ; Malettke K., Hanke U. (éd.), Zur Perzeption des Deutschen Reiches im Frankreich des 17. Jahrhunderts. Théodore Godefroy. Description d’Alemagne, Münster et al., Lit, « Forschungen zur Geschichte der Neuzeit » 4, 2002, p. 97-99, ici p. 97.
20 Cf. Gantet C., Guerre, paix et construction des États, 1618-1714, Paris, Le Seuil, « Nouvelle histoire des relations internationales » 2, 2003, p. 314 (citation) et 315.
21 Pour la culture des envoyés diplomatiques aux Temps modernes et leur « apprentissage » du « métier », cf. Braun G., « La formation des diplomates à l’époque moderne », Revue d’histoire diplomatique, 128, 2014, p. 231-249.
22 Sur les manuels du parfait ambassadeur, Andretta S., Péquignot S., Waquet J.-C. (dir.), De l’ambassadeur. Les écrits relatifs à l’ambassadeur et à l’art de négocier du Moyen Âge au début du xixe siècle, Rome, École française de Rome, « Collection de l’École française de Rome » 504, 2015. Pour les langues diplomatiques dans les manuels du parfait ambassadeur publiés après la paix de Westphalie, Schmidt-Rösler A., « Von “Viel-Zünglern” und vom “fremden Reden-Kwäckern”. Die Sicht auf die diplomatischen Verständigungssprachen in nachwestfälischen Diplomatenspiegeln », H. Duchhardt, M. Espenhorst (dir.), Frieden übersetzen in der Vormoderne. Translationsleistungen in Diplomatie, Medien und Wissenschaft, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, coll. « Veröffentlichungen des Instituts für Europäische Geschichte Mainz, Abteilung für Universalgeschichte », cahier suppl. 92, 2013, p. 207-244.
23 Ottaviano Maggi, dans son ouvrage « De Legato », imprimé à Hanau, en 1596 ; cf. Gaselee S., The Language of Diplomacy. Being the Gregynog lectures, delivered at University College, Abertyswyth, on October 31st, November 1st and November 2nd, 1938, Cambridge, Bowes and Bowes, 1939, p. 60. Sur l’ouvrage de Maggi en général, Andretta S., « Ottaviano Maggi e il De Legato (1566) », id., S. Péquignot, J.-C. Waquet (dir.), De l’ambassadeur, op. cit., p. 291-311.
24 Juan António de Vera publia son traité « El Embajador » à Séville, en 1620. Pour cet ouvrage, voir López-Cordón Cortezo M. V., « Juan Antonio de Vera y Zúñiga (1583-1658) : modello di ambasciatori o specchio di trattatisti ? », S. Andretta, S. Péquignot, J.-C. Waquet (dir.), De l’ambassadeur, op. cit., p. 337-361.
25 Cf. Mattingly G., Renaissance Diplomacy, Londres, Cape, « The Bedford historical series » 18, 1970, p. 186-187 ; sur les langues recommandées dans les manuels pour diplomates, voir aussi Picavet C.-G., « Le français et les langues étrangères dans la diplomatie au temps de Louis XIV », Revue des sciences politiques, 51, 1928, p. 578-592, en particulier p. 582-583 ; Ostrower A., Language, Law, and Diplomacy. A Study of Linguistic Diversity in Official Relations and International Law, 2 vol., Philadelphie, Univ. of Pennsylvania Press, 1965, t. II, p. 732.
26 [Rousseau de Chamoy L.], L’idée du parfait ambassadeur, par […] gentilhomme de la chambre du roi et son ministre auprès de la diète germanique, Paris, A. Pedone, 1912, ici le chapitre : « De la connaissance des langues étrangères », p. 27.
27 Ibid., p. 23. Genet écrit à propos de ce passage de Rousseau de Chamoy : « Il n’y a presque rien à ajouter à son parfait exposé » ; cf. Genet R., Traité de diplomatie et de droit diplomatique, 2 vol., Paris, A. Pedone, « Publications de la Revue générale de Droit international public » 3 et 5, 1931, ici t. I, p. 121.
28 Cf. Callières F. de, De la maniere de negocier avec les souverains. De l’utilité des negociations, du choix des ambassadeurs & des envoyez, & des qualitez necessaires pour réüssir dans ces emplois…, Amsterdam, La Compagnie, 1716 ; id., The Art of Diplomacy, éd. par H. M. A. Keens-Soper, K. W. Schweizer, New York, Holmes & Meier Publishers, 1983, p. 98 ; dernière édition française : Callières F. de, L’Art de négocier en France sous Louis XIV, éd. par J.-C. Waquet, Paris, Éd. Rue d’Ulm, 2005.
29 Lévy P., La langue allemande en France. Pénétration et diffusion des origines à nos jours, 2 vol., Lyon, Paris, JAC, « Bibliothèque de la société des études germaniques » IV et VIII, 1950-1952. Cf. également Braun G., Du Roi-Soleil aux Lumières. L’Allemagne face à l’« Europe française », 1648-1789, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, « Histoire franco-allemande » 4, 2012, p. 185-205 et p. 276-279 (bibliographie).
30 Pour les missons de Robert de Gravel comme plénipotentiaire français à Francfort et à Ratisbonne, voir Auerbach B., La France et le Saint Empire romain germanique depuis la paix de Westphalie jusqu’à la Révolution française, Paris, Champion, « Bibliothèque de l’École des hautes études, publiée sous les auspices du ministère de l’Instruction publique. Sciences historiques et philologiques » 196, 1912 [réimpression Genève 1976] ; Malettke K., Les relations entre la France et le Saint-Empire au xviie siècle, Paris, Champion, « Bibliothèque d’histoire moderne et contemporaine » 5, 2001.
31 D’après Ursula Irsigler d’Avaux parlait couramment le latin et l’allemand ; cf. ead., « Einleitung », APW, série II, section B : Die französischen Korrespondenzen, vol. 1 : 1644, édité par U. Irsigler, Münster, Aschendorff, 1979 (APW II B 1), p. xxv-xc, ici p. lxvi ; voir aussi Waddington A., Le Grand Électeur Frédéric Guillaume de Brandebourg. Sa politique extérieure 1640-1688, vol. I (1640-1660), Paris, Plon-Nourrit, 1905, p. 185 ; pour Godefroy, cf. Malettke K., Hanke U. (éd.), Description, op. cit.
32 Waquet F., Le latin, op. cit., p. 122.
33 Reinhard W., « Amici e creature. Politische Mikrogeschichte der römischen Kurie im 17. Jahrhundert », Quellen und Forschungen aus italienischen Archiven und Bibliotheken, 76, 1996, p. 308-334, en particulier p. 312.
34 [Richelieu A. J. du Plessis, cardinal, duc de], Testament politique. Édition critique, publiée avec une introduction et des notes par L. André, Paris, R. Laffont, 1947, p. 237.
35 Cf. Nicolson H., Diplomatie, Berne, Francke, coll. « Dalp » 34, 1947, p. 81-82.
36 Sur cette mission de Villars, voir Waquet F., Le latin, op. cit., p. 122, qui cite sa dépêche adressée à Torcy, le 25 février 1714 ; cf. aussi Brunot F., Histoire de la langue française des origines à nos jours, nouvelle édition, 13 vol. en 20 t., Paris, Colin, 1966-1968 [première édition : Paris, Colin, 1906-1948], t. V, p. 419 (qui rapporte la même citation).
37 Malgré la formation solide qu’il avait reçue, Pomponne écrivit de Suède, le 17 avril 1666 : « De toutes les langues je ne parle qu’un latin de négociations et d’affaires qui n’est pas tout à fait aussi poli que celui de la cour d’Auguste. » La citation de Pomponne d’après Picavet C. G., « Le français », art. cit., p. 579.
38 Voir, entre autres, Haye T., Lateinische Oralität. Gelehrte Sprache in der mündlichen Kommunikation des hohen und späten Mittelalters, Berlin, New York, De Gruyter, 2005.
39 C’est pourquoi Brunot conclut : « la vieille cité latine internationale était devenue une Babel » ; Brunot F., Histoire, op. cit., t. V, p. 389-390. Cependant, ces prononciations particulières sont déjà attestées depuis le Moyen Âge. Elles ne suffisent donc pas à expliquer le déclin du latin. Mais nous ne pouvons pas ici approfondir ce problème de spécialistes. À propos de ce problème, voir Jankrift K.-P., « Die Zunge und das Ohr. Sprache, Stimme und Hörverstehen in frühneuzeitlichen Gesandtentraktaten und diplomatischer Praxis », J. Burkhardt, K.-P. Jankrift, W. E. J. Weber (dir.), Sprache. Macht. Frieden. Augsburger Beiträge zur Historischen Friedens- und Konfliktforschung, Augsbourg, Wißner, « Documenta Augustana Pacis » 1, 2014, p. 17-33.
40 Cf. Thuillier G., La première école d’administration : l’Académie politique de Louis XIV, Genève, Paris, Droz, « École pratique des hautes études. IVe section, Sciences historiques et philologiques, V. Hautes études médiévales et modernes » 75, 1996. Voir également : Keens-Soper H. M. A., « The French Political Academy, 1712. A School for Ambassadors », European Studies Review, 2, 1972, p. 329-355.
41 Les statuts de l’Académie politique ont été publiés par Thuillier G., La première école, op. cit.
42 Cela vaut aussi pour la traduction des traités, Durst B., « Friedensübersetzungen in frühneuzeitlichen Vertragssammlungen : Aspekte ihrer Produktion, Beschaffenheit, zeitgenössischen Einschätzung und Rezeption bis heute », H. Duchhardt, M. Espenhorst (dir.), Frieden übersetzen in der Vormoderne, op. cit., p. 129-156.
43 Par exemple, pour les négociations de la paix de Münster, le journal de Volmar, farouche opposant à l’emploi du français, lequel, si son collègue Nassau se laissait entraîner, dans les négociations entre Impériaux et Français, dans une conversation en langue française, se mettait aussitôt à pratiquer le latin ou l’italien ; ce journal, révélateur de nombreux aspects du congrès, est édité dans la collection APW, série III, section C : Diarien, vol. 2 : Diarium Volmar 1643-1649, par R. Philippe et J. Foerster, 2 parties, Münster, Aschendorff, 1984, et troisième partie (index), Münster, Aschendorff, 1993 (APW III C 2).
44 Si d’autres conférences, comme à Mantoue, en 1459, à Cambrai, en 1529, ou à Cateau-Cambrésis, en 1559, avaient déjà fourni des occasions aux diplomates de différents pays de se rencontrer et de devoir négocier en langue étrangère, ces réunions avaient été de moindre ampleur ; cf. sur l’importance de ces conférences pour l’histoire des langues diplomatiques, Russell J. G., Diplomats at Work, op. cit., p. 17.
45 Soixante-six envoyés, qui représentaient parfois plusieurs états de l’Empire (ainsi, cent quarante princes et villes étaient représentés en Westphalie) ; vingt-sept envoyés chargés de soutenir des intérêts particuliers vinrent compléter ce « concile politique » de l’Europe où l’on constatait seulement l’absence de l’Angleterre, du tsar et de l’Empire ottoman ; sur la structure et le mode de travail du congrès cf. Repgen K., « Die westfälischen Friedensverhandlungen. Überblick und Hauptprobleme », K. Bussmann, H. Schilling (dir.), 1648-Krieg und Frieden in Europa. Münster/Osnabrück 24.10.1998-17.1.1999. Katalog der 26. Europarats-Ausstellung, 3 vol. (catalogue de l’exposition, textes I et textes II), Münster, Westfälisches Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte, Munich, Bruckmann, 1998, textes I, p. 355-372.
46 Irsigler U. (éd.), APW II B 1, op. cit., document n° 37, citation p. 68-69.
47 Certains aspects linguistiques des négociations de Westphalie (par exemple, la traduction comme source de la perception d’autrui) sont analysés d’une manière plus approfondie par Braun G., « Une tour de Babel ? Les langues de la négociation et les problèmes de traduction au congrès de la paix de Westphalie (1643-1649) », R. Babel (dir.), Le diplomate au travail, op. cit., p. 139-172 ; id., « Fremdsprachen als Fremderfahrung. Das Beispiel des Westfälischen Friedenskongresses », M. Rohrschneider, A. Strohmeyer (dir.), Wahrnehmung des Fremden, op. cit., p. 203-244.
48 Cf. Kohl W. (éd.), APW, série II, section C : Die schwedischen Korrespondenzen, vol. 4/1-4/2 : 1648-1649, Münster, Aschendorff, 1994 (APW II C 4), documents n° 201, 235, 238 (cf. aussi l’index, p. 1185-1186) ; voir également Wermter E. M. (éd.), APW, série II, section C, vol. 1 : 1643-1645, Münster, Aschendorff, 1965 (APW II C 1), p. 937 ; Lorenz G. (éd.), APW, série II, section C, vol. 3 : 1646-1647, Münster, Aschendorff, 1975 (APW II C 3), p. 14, n. 2.
49 Bosbach F., « Einleitung », APW, série II, section B : Die französischen Korrespondenzen, vol. 3/1-3/2 : 1645-1646, édité par E. Jarnut (†) et R. Bohlen, Münster, Aschendorff, 1999 (APW II B 3), t. 1, p. xxxiii-lxxxii, ici p. xliv ; Gauss J. (éd.), Johann Rudolf Wettsteins Diarium 1646/47, Berne, Allgemeine Geschichtsforschende Gesellschaft der Schweiz, « Quellen zur Schweizer Geschichte », nouv. sér. III, 8, 1962, p. 302-303. Pourtant, l’« Estat du logement » du duc de Longueville (Stockholm, Riksarkivet, Diplomatica Germanica 4, f° 964 r°), peut-être incomplet, ne fait état d’aucun interprète dans sa suite. L’absence d’interprète dans cette liste pourrait aussi s’expliquer par le fait que Stenglin (comme d’autres interprètes) servait aussi de secrétaire ; en général, leur absence dans les listes des délégations ne permet donc pas de conclure que celles-ci ne disposaient pas d’interprètes. En effet, les chancelleries des délégations et des cours européennes étaient moins spécialisées que les administrations modernes ; cf. Roosen W. J., The Age of Louis XIV. The Rise of Modern Diplomacy, Cambridge (Mass.), Schenkmann, 1976, p. 44-50.
50 Staatsarchiv Osnabrück, répertoire 100, section 1, n° 116, f° 297 v°.
51 Lettre du [7] juillet 1646 ; cf. APW, série II, section B : Die französischen Korrespondenzen, vol. 4 : 1646, édité par C. Kelch-Rade et A. Tischer, Münster, Aschendorff, 1999 (APW II B 4), document n° 58, p. 176-177, ici p. 176. La Court avait aussi un secrétaire allemand ; cf. sa lettre à Lionne (secrétaire de Mazarin et d’Anne d’Autriche) du 22 octobre 1647, copie : Paris, ministère des Affaires étrangères et européennes (AE), Correspondance politique (CP), Allemagne or. – 1870 (All.) 97, f° 449 r°-451 r°, ici f° 450 r°. Pour la France en général, cf. aussi la liste des pensions payées en 1644, entre autres aux interprètes : AE, Mémoires et documents (MD), France 289, f° 157 r°-162 v°.
52 Par exemple, dans Archivo General de Simancas, Secretaría de Estado, fasc. 2429, on trouve de nombreuses versions espagnoles de lettres en langues étrangères, dont celles envoyées par les ambassadeurs de l’empereur, et de propositions, etc., qui datent de 1647, et qui, d’après des notes ajoutées à leur début, ont été traduites du latin, de l’allemand ou bien de l’italien ; on peut d’ailleurs noter que les propositions en langue française y sont conservées dans leur teneur originale.
53 Braun G., « Les formes de la négociation franco-espagnole à Münster. Médiation, interposition, projets d’arbitrage », L. Bély, B. Haan, S. Jettot (dir.), La paix des Pyrénées (1659) ou le triomphe de la raison politique, Paris, Classiques Garnier, « Histoire des Temps modernes » 3, 2015, p. 219-237 ; id., « Päpstliche Friedensvermittlung am Beispiel von Piombino und Porto Longone », Quellen und Forschungen aus italienischen Archiven und Bibliotheken, 83, 2003, p. 141-206.
54 Pour la médiation au congrès de Westphalie en général, cf. Repgen K., « Friedensvermittlung und Friedensvermittler beim Westfälischen Frieden », id., Dreißigjähriger Krieg und Westfälischer Friede. Studien und Quellen, publié sous la direction de F. Bosbach et de C. Kampmann, Paderborn et al., Schöningh, « Rechts- und Staatswissenschaftliche Veröffentlichungen der Görres-Gesellschaft », nouv. sér. 81,21999 [11998,32015], p. 695-719 ; sur la médiation néerlandaise, cf. aussi Tischer A., Französische Diplomatie und Diplomaten auf dem Westfälischen Friedenskongress. Außenpolitik unter Richelieu und Mazarin, Münster, Aschendorff, « Schriftenreihe der Vereinigung zur Erforschung der Neueren Geschichte e. V. » 29, 1999, passim (voir l’index, p. 475).
55 Cf. Wolff F., Corpus Evangelicorum und Corpus Catholicorum auf dem Westfälischen Friedenskongreß. Die Einfügung der konfessionellen Ständeverbindungen in die Reichsverfassung, Münster, Aschendorff, « Schriftenreihe der Vereinigung zur Erforschung der Neueren Geschichte e.V. » 2, 1966.
56 Intitulée « Que le traicté de paix entre l’Empereur et le Roy se doibt plustost faire en langue latine que en [sic] langue françoise » ; copie de Nicolas Doulceur, secrétaire de Godefroy : Paris, Institut de France, Collection Godefroy (IF, CG) 22, f° 90 r°-91 v°.
57 Les correspondances du nonce Chigi relatives aux langues des pourparlers sont étudiées par Braun G., « Französisch und Italienisch als Sprachen der Diplomatie auf dem Westfälischen Friedenskongress », A. Gerstenberg (dir.), Verständigung und Diplomatie auf dem Westfälischen Friedenskongress. Historische und sprachwissenschaftliche Zugänge, Cologne, Weimar, Vienne, Böhlau, 2014, p. 23-65.
58 Copies : AE, CP Munster 1, f° 21 r°-21 v° ; IF, CG 87, f° 396 r°-397 r° ; le document a été imprimé dans : Aitzema L. van, Historia Pacis, Foederatis Belgis ab Anno 1621 ad hoc usque tempus tractatae, Leyde, Elsevier, 1654, p. 376.
59 C’est ainsi qu’on traduit généralement l’accord du 5 mai 1646 ; cf. Dickmann F., Der Westfälische Frieden, Münster, Aschendorff,71998 [11959], p. 215 ; Bosbach F., « Einleitung » (APW II B 3), art. cit., p. lxxx. En revanche, A. Tischer traduit par « Flämisch » ; ead., Französische Diplomatie, op. cit., p. 311, n. 73. Les sources disent « flamand » au lieu de « néerlandais ».
60 La renonciation à l’emploi de l’espagnol fut-elle donc un signe politique que les Espagnols donnèrent aux Néerlandais pour montrer leur disposition à conclure la paix ? Michael Rohrschneider le pense bien ; cf. son compte rendu de Babel R. (dir.), Le diplomate au travail, op. cit., dans : Sehepunkte 5, 2005, 4 [http://www.sehepunkte.de/2005/04/5535.html] (15/12/2015) : « Le fait que, par exemple, les Espagnols aient accepté le néerlandais et le français comme langues de leurs négociations menées par écrit avec les Néerlandais, fut sans aucun doute une concession politique, car l’Espagne avait tout intérêt à conclure rapidement un accord séparé avec les États-Généraux » (« Dass beispielsweise die Spanier das Niederländische und das Französische als schriftliche Verhandlungssprachen in ihren Verhandlungen mit den Niederländern zuließen, war zweifellos eine politische Konzession, denn Spanien war an einer baldigen Seperatverständigung mit den Generalstaaten gelegen »). Pour la situation linguistique dans les Pays-Bas espagnols, cf. en général Nicklas T., « Praxis und Pragmatismus. Zum offiziellen Sprachengebrauch in den Spanischen und Österreichischen Niederlanden », id., M. Schnettger (dir.), Politik und Sprache im frühneuzeitlichen Europa, Mayence, Zabern, « Veröffentlichungen des Instituts für Europäische Geschichte Mainz, Abteilung für Universalgeschichte », cahier suppl. 71, 2007, p. 113-125.
61 Nous remercions Konrad Repgen d’avoir bien voulu nous signaler ce fait. Michael Rohrschneider a cependant précisé que ce chef d’ambassade comprenait un peu le français.
62 Cf. APW, série I : Instruktionen, vol. 1 : Frankreich, Schweden, Kaiser, édité par F. Dickmann, K. Goronzy, E. Schieche et al., Münster, Aschendorff, 1962 (APW I 1), document n° 17.
63 Article non numéroté dans l’original.
64 Cf., par exemple, Kohl W. (éd.), APW, série II, section C : Die schwedischen Korrespondenzen, vol. 2 : 1645-1646, Münster, Aschendorff, 1971 (APW II C 2), n° 98 ; id. (éd.), APW II C 4, op. cit., n° 162, 163, 166, 186, 206.
65 Lettre adressée à Servien ; original : AE, CP All. 67, f° 394 r°.
66 Lettre adressée au même ; original autographe, non signé : AE, CP All. 68, f° 136 r°-136 v°.
67 Cf. Tischer A., Französische Diplomatie, op. cit., p. 163-167.
68 Dickmann F., Der Westfälische Frieden, op. cit., p. 214 ; cf. aussi Philippe R., Foerster J. (éd.), APW III C 2/1, op. cit., p. 452-453.
69 Lettre du 6 avril en latin et en français dans : Negociations Secretes touchant la paix de Munster et d’Osnabrug ; ou recueil general des preliminaires, instructions, lettres, mémoires & c. concernant ces négociations, depuis leur commencement en 1642. jusqu’à leur conclusion en 1648. Avec les depêches de Mr. de Vautorte, & autres piéces au sujet du même traité jusqu’en 1654. inclusivement…, 4 vol., La Haye, J. Neaulme, 1725-1726, t. I, p. 247-250 ; lettre du 4 septembre, également en latin et en français : ibid., p. 289-293.
70 Lettre du [7] juillet 1646, Kelch-Rade C., Tischer A. (éd.), APW II B 4, op. cit., n° 58, ici p. 176.
71 Néanmoins, ce ne fut qu’en 1647 que la France et l’Espagne convinrent du principe bilingue de leurs pourparlers. Dans les négociations entre l’Espagne et les Provinces-Unies, comme nous l’avons vu, on utilisa le français et le néerlandais ; c’est pour cette raison que les articles provisionnels signés par les Espagnols et par sept des huit ambassadeurs hollandais le 8 janvier 1647 furent rédigés dans l’une et l’autre langue.
72 Chigi avouait qu’il écoutait ses interlocuteurs en français ou en espagnol, tout en leur répondant en italien ; cf. son résumé de sa propre lettre adressée au nonce de Paris, Bagni, où il lui disait : « l’ho istrutto, che io ascolto il francese, e lo spag.lo nelle loro lingue, ma che non parlo senon italiano con essi [c’est-à-dire avec Servien et avec les plénipotentiaires d’Espagne] » ; rapport chiffré envoyé par Chigi [à la secrétairerie d’État], Münster, 1er mai 1648 (déchiffré le 20 mai), Archivio Segreto Vaticano (ASV), Nunziatura per le Paci (NP) 22, f° 115r° – 116r° (citation f° 116 r°).
73 À titre d’exemple, on pourrait citer les articles provisoirement adoptés, le 13 septembre 1646, par les Impériaux et les Français au sujet du dédommagement de la France ; cf. Repgen K., « Die kaiserlich-französischen Satisfaktionsartikel vom 13. September 1646 – ein befristetes Agreement », H. Duchhardt (dir.), Der Westfälische Friede. Diplomatie – politische Zäsur – kulturelles Umfeld – Rezeptionsgeschichte, Munich, Oldenbourg, 1998, p. 175-216, avec l’édition du texte latin conservé par Chigi, p. 204-213.
74 Johan Oxenstierna, par exemple, rapporta le 27 avril 1648 à sa reine, l’assaut que les Espagnols avaient donné au domicile des Portugais, non reconnus par eux comme ambassadeurs ; Kohl W. (éd.), APW II C 4, op. cit., document n° 223. Il nota en latin les injures qui avaient précédé cet acte de violence et que les Espagnols avaient criées en passant devant l’ambassade portugaise, ainsi que la réponse des Portugais.
75 Le 2 décembre 1644 ; Wermter E. M. (éd.), APW II C 1, op. cit., n° 253.
76 Ibid., n° 159.
77 Selon les procès-verbaux du collège des princes d’Osnabrück : « daßelbe [Memorandum] ad dictaturam zu bringen und nebens dem Französischen original auch eine version in einer sprache, so allen gesandten bekant, also in der Teutschen oder Lateinischen [zu verlesen] » ; séance plénière du collège des princes, re- et correlation, Osnabrück, 29 juin/9 juillet 1648 ; APW, série III, vol. 3/1-3/7 : Die Beratungen des Fürstenrates in Osnabrück 1645-1648, édité par M.-E. Brunert, Münster, Aschendorff, 1998-2013 (APW III A 3), t. 6, n° 190, p. 239-255, ici le Directoire de Salzbourg dans la re- et correlation, p. 251-253, citation p. 253. De la même manière, en s’adressant, en 1682, à ses homologues à Francfort, Saint-Romain et Harlay, l’envoyé français à la diète de l’Empire à Ratisbonne, Verjus, soulignait le peu de connaissance qu’on avait du français à Ratisbonne, leur demandant de lui envoyer leur réplique traduite en latin car, à Ratisbonne, « elle seroit longue à traduire, que la diférence de traduction ne seroit pas à propos », et que le français était mal connu à la Reichsdiktatur, « où il y a cinquante secrétaires qui ne l’entendent pas » ; cf. la « Copie de [la] lettre aux ambassadeurs du Roy à Francfort. Du 4e May 1682 », reçue (à la cour) avec une autre dépêche de Verjus du mois de mai 1682, AE, CP All. 297, f° 150 r°-155 r°, citation f° 153 v°.
78 Voir, entre autres, Dauser R., « Sprach-Verhandlungen. Sprachwahl und Mächtehierarchie in der Kommunikation europäischer Herrscher des 17. und 18. Jahrhunderts », J. Burkhardt, K.-P. Jankrift, W. E. J. Weber (dir.), Sprache, op. cit., p. 241-263.
79 Cf. Braun G., « Les traductions françaises des traités de Westphalie (de 1648 à la fin de l’Ancien Régime) », xviie siècle, 190, 1996, p. 131-155 ; id., La connaissance du Saint-Empire, op. cit., p. 231-232, 293-340 et 697-709.
80 Selon Frédéric-Charles Moser, en 1750, la diversité des langues employées dans la diplomatie découle de la souveraineté des États ; en effet, il dit que les têtes couronnées et les États souverains, qui ne dépendent que de Dieu Tout-Puissant, ne veulent déférer à personne d’autre. D’où la confusion (apparente) des langues dans la diplomatie moderne, puisque chacun veut employer sa propre langue ou du moins une langue neutre ; cf. Moser F.-C., Abhandlung von den Europäischen Hof = und Staats = Sprachen, nach deren Gebrauch im Reden und Schreiben. Mit authentischen Nachrichten belegt, Francfort/M., Andreä, 1750, p. 5. Ce même principe régira encore les relations diplomatiques au xixe siècle : « Le principe qui domine tout, c’est que le droit d’égalité des États s’étend aussi sur la langue qu’emploient leurs gouvernements dans leurs relations diplomatiques. Chaque État souverain est, par conséquent, en droit de se servir exclusivement, et de demander qu’on se serve avec lui d’une langue quelconque par lui déterminée, soit de celle de son pays, soit d’une langue étrangère, et les autres États ont également le droit de ne point obtempérer à ce désir » ; Pradier-Fodéré P., Cours de droit diplomatique à l’usage des agents politiques du ministère des Affaires étrangères des États européens et américains, 2 vol., Paris, A. Pedone,21899, t. II, p. 459-460, n. 1 (texte initialement publié dans le Courrier diplomatique du 31 janvier 1872). Et d’ajouter : « C’est pour cela que le latin – langue morte – était admirablement propre, par sa neutralité, à jouer le rôle d’idiome commun, sans compter sa précision qui en fait la langue scientifique par excellence » (ibid.).
81 Selon Robert Redslob, cf. Rouvier J., « Naissance du droit international au xviie siècle », xviie siècle, 58/59, 1963, p. 40-56.
82 À propos du cérémonial entre hiérarchie traditionnelle et système d’États souverains et égaux, Stollberg-Rilinger B., « Völkerrechtlicher Status und zeremonielle Praxis auf dem Westfälischen Friedenskongreß », M. Jucker, M. Kintzinger, R. C. Schwinges (dir.), Rechtsformen internationaler Politik. Theorie, Norm und Praxis vom 12. bis 18. Jahrhundert, Berlin, Duncker & Humblot, « Zeitschrift für Historische Forschung », cahier suppl. 45, 2011, p. 147-164.
83 Dans sa lettre à Brienne du 9 avril 1644 ; Irsigler U. (éd.), APW II B 1, op. cit., document n° 37.
84 Cf. Braun G., « Frédéric-Charles Moser et les langues de la diplomatie européenne (1648-1750) », Revue d’histoire diplomatique, 113, 1999, p. 261-278 ; Schmidt-Rösler A., « Friedrich Carl von Mosers Abhandlung von den Europäischen Hof- und Staatssprachen (1750) », J. Burkhardt, K.-P. Jankrift, W. E. J. Weber (dir.), Sprache, op. cit., p. 109-153.
85 Cf. Pradier-Fodéré P., Cours de droit diplomatique, op. cit., t. II, p. 457 ; pour une analyse détaillée des négociations de 1748, voir Dauser R., « Sprach-Verhandlungen », art. cit.
86 C’est la conclusion que tire Nicolson : « Trotz dieser Einschränkungen hatte sich die französische Sprache in der Mitte des 18. Jahrhunderts in allem, nur nicht dem Namen nach als offizielle Diplomatensprache eingeführt » ; Nicolson H., Diplomatie, op. cit., p. 175.
87 François Cazet de Vautorte (1607-1654), envoyé français à la diète d’exécution de Nuremberg, en 1649 et 1650, et chargé de diverses missions diplomatiques par Mazarin ; cf. Prevost M., article « Cazet », id., J. Balteau, A. Rastoul (dir.), Dictionnaire de biographie française, t. VIII, Paris, Librairie Letouzey et Ané, 1959, p. 22-23, en particulier p. 23.
88 Cité d’aprés Brunot F., Histoire, op. cit., t. V, p. 393.
89 Pour la bibliographie et les sources relatives aux langues des négociations de Nimègue et de Ryswick, voir Braun G., « La doctrine classique de la diplomatie française ? Zur rechtlichen Legitimation der Verhandlungssprachen durch die französischen Delegationen in Münster, Nimwegen, Frankfurt und Rijswijk (1644-1697) », C. Kampmann, M. Lanzinner, G. Braun, M. Rohrschneider, L’art de la paix, op. cit., p. 197-259, en particulier p. 216-235 et 243-247 ; id., « Verhandlungs- und Vertragssprachen in der “niederländischen Epoche” des europäischen Kongresswesens (1678/79- 1713/14) », Jahrbuch für Europäische Geschichte, 12, 2011, p. 104-130.
90 Cf. Brunot F., Histoire, op. cit., t. V, p. 402.
91 [Limojon de Saint-Didier A. T. de], Histoire des negotiations de Nimegue, 2 t., Paris, Barbin, 1680, t. I, p. 125-126.
92 Cela est vrai si l’on entend par « écritures », les brochures et les pamphlets publiés pour faire appel à l’opinion publique ; il n’en va pas de même pour les documents officiels échangés entre les délégations au cours des négociations.
93 Brunot F., Histoire, op. cit., t. V, p. 402.
94 Cette dépêche est citée ibid., p. 403-404, n. 2, ici p. 404, avec une date erronée.
95 Cf. la traduction française de ce document intitulée « Du Protocole de Nimégue touchant les entrevües, & la Langue en laquelle l’on devoit traiter », qui a été publiée dans : Actes et mémoires des négociations de la paix de Ryswick, vol. I-III/IV, Graz, Akademische Druck- und Verlags-Anstalt, 1974 (réimpression de l’édition de 1725 parue chez Jaen Van Duren à La Haye), ici t. II, p. 20-22 ; le texte original latin du procès-verbal est publié ibid., p. 19-20 ; également reproduit par Moser F.-C., Staatssprachen, op. cit., p. 53.
96 Certes, on pourrait penser que les Français se sont servis d’un prétexte pour pouvoir parler leur langue ; toujours est-il qu’apparemment, les Impériaux l’ont considéré comme plausible. De plus, on doit prendre en considération la composition respective des délégations : entre un ecclésiastique du côté impérial et un militaire du côté français, les armes (ici le latin) n’étaient pas égales.
97 Saint-Didier, gentilhomme de Jean Antoine de Mesmes, comte d’Avaux, plénipotentiaire français au congrès de Nimègue, rapporte d’ailleurs que les délégations française et impériale avaient chacune dressé un exemplaire du traité en latin, et que Stratmann et Colbert en firent ensemble la lecture à haute voix afin de collationner ces deux exemplaires du traité, avant qu’il ne fût signé par les plénipotentiaires des deux ambassades ; cf. Saint-Didier A., Histoire, op. cit., t. II, p. 136.
98 Cet ambassadeur déclara « qu’il ne vouloit s’obliger qu’à rapporter un Pouvoir en Dannois, si le nôtre étoit en François, que ce ne seroit pas la prémiére nouveauté qui s’est introduite depuis vingt ans, que le Gouvernement de Dannemark avoit bien changé de forme, qu’enfin il prétendoit une égalité en toutes choses avec la France, & qu’il avoit ordre du Roi son Maître de ne s’en pas desister » ; cf. la lettre envoyée par les ambassadeurs de France à Nimègue à Louis XIV, [Nimègue], 9 février 1677 ; Lettres et negociations de Messieurs le Marechal d’Estrades, Colbert, Marquis de Croissy, et Comte d’Avaux, Ambassadeurs Plenipotentiaires du Roi de France, à la paix de Nimegue, et les reponses & instructions du Roi, & de Monsieur de Pomponne, 3 vol., La Haye, Moetjens, 1710, t. II, p. 92-96, ici p. 94.
99 Cf. la lettre envoyée par les ambassadeurs de France à Nimègue à Louis XIV, [Nimègue], 8 novembre 1678 ; citée d’après Höynck P. O., Frankreich und seine Gegner auf dem Nymwegener Friedenskongreß, Bonn, Roehrscheid, « Bonner Historische Abhandlungen » 16, 1960, p. 193, n. 138. Louis XIV approuva leur décision : « Je veux que l’Empereur jouisse de cette vaine prééminence qui a été attribuée à l’empire par les Rois mes prédécesseurs dont toute la grandeur et la puissance sont demeurées attachées à ma couronne lorsqu’ils en ont laissé ces seules apparences en Allemagne » ; lettre du roi à ses plénipotentiaires à Nimègue, 28 janvier 1679 ; citée ibid.
100 Cette question est étudiée d’une manière approfondie par Braun G., « La doctrine classique », art. cit.
101 Sur l’histoire politique de ces négociations, voir Malettke K., Les relations entre la France et le Saint-Empire, op. cit., p. 402-418.
102 Cf. Moser, qui l’a écrit littéralement dans son ouvrage sur les Staatssprachen, op. cit., p. 335-336 : « dieser Streit der wichtigste ist, welcher ueber dem Gebrauch der Sprachen entstanden und mit nicht weniger Weitlaeuffigkeit fortgefuehret worden ». C’est pourquoi cet auteur a consacré presque une trentaine de pages à ce seul différend, reproduisant de nombreux documents originaux ; cf. ibid., p. 329-356.
103 Pour une analyse plus détaillée de ces négociations, cf. Braun G., La connaissance du Saint-Empire, op. cit., p. 255-278.
104 D’après le témoignage de Moser, même en 1738, Louis XV répondit encore en latin au prince de Liechtenstein ambassadeur de l’empereur ; cf. Moser F.-C., Staatssprachen, op. cit., p. 121.
105 C’est Samuel Pufendorf qui rapporte ces arguments ; voir la longue citation ibid., p. 334-338, n. *, ici p. 337.
106 Cf. Malettke K., Les relations entre la France et le Saint-Empire, op. cit., p. 417-418 ; la conclusion de Malettke est révélatrice des positions politiques générales des parties traitant à Francfort : « Le congrès de Francfort finit mal, comme il avait commencé. Ni les Français ni les Impériaux n’y avaient traité avec le ferme dessein de régler les litiges à l’amiable et de se faire des concessions réciproques. Néanmoins, les pourparlers de Francfort avaient certainement clarifié les positions des antagonistes » (ibid., p. 418).
107 Au congrès de Westphalie, les couronnes française et suédoise avaient même explicitement demandé la rédaction du traité de paix en latin « en tant que langue tierce, puisqu’ils considéraient l’emploi de la langue allemande comme une sorte de soumission », comme nous le rapporte le député de Saxe-Weimar, Heher, en 1647 (cité par Moser F.-C., Staatssprachen, op. cit., p. 389 : ce député relate « daß beyde auswaertige Cronen, den Lateinischen Auffsatz, als linguam tertiam urgirt, dann sie der Teutschen Sprach Gebrauch ihrer Seits pro specie submissionis achten wollen »).
108 Cf. Brunot F., Histoire, op. cit., t. V, p. 416-417.
109 En particulier, il faut reprocher à Brunot non seulement d’avoir mal compris les sources allemandes, mais aussi de s’être trompé sur l’explication d’un mémoire français du 20 juin 1682 : contrairement aux assertions de Brunot, il n’est nullement certain que ce mémoire ait été rédigé par Saint-Romain et Harlay, les deux négociateurs français à Francfort ; de plus, il est tout à fait improbable que ce mémoire ait été présenté au Directoire de Mayence, comme le prétend notre auteur ; enfin, il n’y a point eu, en 1682, d’accord sur les langues de la négociation ! Par ailleurs, Brunot n’a pas vu que tout l’argumentaire de ce mémoire dont il loue la clarté de la doctrine est fondé sur une erreur caricaturale : pour montrer que l’usage du latin n’est pas bien établi dans le Saint-Empire, en expliquant la Bulle d’or de l’empereur Charles IV de 1356, le ou bien les rédacteurs du mémoire n’ont pas compris le terme « grammatica », qui désignait en général le latin, au Moyen Âge et même souvent à l’époque moderne, et l’ont traduit par « langue germanique », prétendant que le latin n’était pas mentionné comme langue administrative dans cette loi fondamentale du Saint-Empire. Cf. notre analyse des négociations sur les langues à Francfort, Braun G., La connaissance du Saint-Empire, op. cit., p. 255-278.
110 Brunot F., Histoire, op. cit., t. V, p. 417.
111 Le fait que Nimègue servit de modèle à Ryswick est aussi confirmé par Moser F.-C., Staatssprachen, op. cit., p. 54.
112 Voir la réponse des Impériaux au projet français du 20 juillet, datée 5 août 1697, et publiée en latin dans les Actes et mémoires des négociations de la paix de Ryswick, op. cit., t. II, p. 299-318 et en version française, ibid., p. 319-342. Voici le passage en français : « Sur le Préambule. L’usage établi veut, que dans les négociations des Traitez, entre l’Empereur et l’Empire d’un côté, & la France de l’autre, on se serve de la Langue Latine, & surtout, que les Ecrits qu’on délivre de part & d’autre soient en cette Langue. C’est pourquoi on demande avec raison, que cèt usage soit observé à l’égard de ce Projet, & dans la suite de la négociation » (ibid., p. 319). Ce passage est aussi cité en latin, à deux reprises, par Moser F.-C., Staatssprachen, op. cit., p. 55 et p. 390.
113 Voir l’« Avis » des états en date du 2 août 1697 qui est publié en version française dans les Actes et mémoires des négociations de la paix de Ryswick, op. cit., t. II, p. 290-298 et en allemand, ibid., p. 281-289. Voici le passage en français : « Avis sur le Préambule. Que l’Ambassade de France devroit fournir un Projet en Latin, & en user ainsi à l’égard de toutes les piéces, qu’elle peut avoir à communiquer dans les affaires de l’Empire pendant cette Négociation, puisque c’est la coutume de traiter en Latin entre l’Empereur, l’Empire, & la France » (ibid., p. 290). Ce passage est aussi cité en allemand par Moser F.-C., Staatssprachen, op. cit., p. 152.
114 Cf. Buchholz W., « Zwischen Glanz und Ohnmacht. Schweden als Vermittler des Friedens von Rijswijk », H. Duchhardt (dir.), avec le concours de M. Schnettger, M. Vogt, Der Friede von Rijswijk 1697, Mayence, Zabern, « Veröffentlichungen des Instituts für Europäische Geschichte Mainz, Abteilung für Universalgeschichte », cahier suppl. 47, 1998, p. 219-255, en particulier p. 219 et 225 (citation n. 19). À Utrecht et à Bade, l’envoyé pontifical, Domenico Passionei, ne jouissait pas du statut de médiateur ; il correspondait avec les autres plénipotentiaires tantôt en italien, tantôt en français, voir Braun G., « Stadt und Kongress als Erfahrungs- und Handlungsräume eines kurialen diplomatischen Akteurs : Domenico Passionei in Baden 1714 », C. Windler (dir.), Kongressorte der Frühen Neuzeit im europäischen Vergleich. Der Friede von Baden (1714), Cologne, Weimar, Vienne, Böhlau, 2016, p. 135-152.
115 Brunot F., Histoire, op. cit., t. V, p. 418.
116 Est-il donc prudent de proposer une date précise alternative à celle de 1714, en l’occurrence 1748 ? Nous pensons que cela est possible avec les réserves que nous venons de signaler. Il nous paraît surtout indispensable de proposer une alternative concrète puisque des raisonnements trop complexes ne pourront jamais évincer la légende simple et solidement ancrée de Rastatt. À noter que d’après Tabory, c’est aussi vers le milieu du xviiie siècle que la suprématie du français dans les relations entre États souverains cessa d’être disputée (« by the middle of that [xviiith] century French linguistic supremacy in relations between sovereign States was undisputed ») ; Tabory M., Multilingualism in International Law and Institutions, Alphen an den Rijn, Rockville (Maryland), Sijthoff & Noordhoff, 1980, p. 4.
117 Pourtant, si Chamoy fut autorisé à remettre une lettre de Louis XIV en français, il ne put pas s’expliquer en français en recevant une députation des états puisque le député de l’évêque de Bamberg ne le comprenait pas. Cf. Brunot F., Histoire, op. cit., t. V, p. 421.
118 Cf. Braun G., Du Roi-Soleil aux Lumières., op. cit., p. 151-183.
119 Cf. Brunot F., Histoire, op. cit., t. V, p. 420-421, n. 3, citations p. 421.
120 Explication esquissée à plusieurs reprises, par exemple ibid., p. 423 et t. VIII/2, p. 830 et 832.
121 Cf. le mémoire des plénipotentiaires français Barberie de Saint-Contest et Rottembourg [envoyé à Morville], Cambrai, 12 avril 1724 (reçu le 13), original : AE, MD France 486, f° 55 r°-58 r°, ici f° 55 r°-55 v°.
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