« Le bras droit des armées » : le rôle de la cavalerie dans les dernières guerres de Louis XIV
p. 175-190
Texte intégral
1« C’est avec raison que ceux qui sont du service appellent la cavalerie le bras droit des armées ; en effet c’est de la cavalerie que dépend d’ordinaire le bon succès des batailles et des plus importantes entreprises de la guerre », affirme Manesson-Mallet, qui n’est pourtant pas un cavalier1. Nos recherches ayant permis de vérifier la véracité de la première assertion2, il s’agira ici d’interroger la seconde.
2Ce questionnement est d’autant plus légitime que le contexte militaire ne paraît pas de prime abord favorable à la cavalerie. En effet, l’art de la guerre se transforme. Il se caractérise notamment par une augmentation considérable des effectifs des armées. On connaît bien entendu les chiffres théoriques atteints par les armées de Louis XIV durant les deux dernières guerres de son règne, mais les autres principaux États belligérants connaissent des augmentations également considérables. Et il ne s’agit pas que des effectifs mobilisés : les armées en campagne voient leur taille s’accroître très sensiblement. Alors qu’elles dépassaient rarement 30000 hommes à la fin de la guerre de Trente Ans (avec une forte proportion de cavalerie), les armées rassemblant entre 80000 et 100000 hommes ne sont pas rares. De telles armées sont difficiles à mouvoir, à nourrir et à conduire. Face à ces contraintes, la stratégie adoptée par les belligérants est, pour faire simple, une stratégie d’attrition : il s’agit principalement d’épuiser les ressources humaines et économiques de l’adversaire pour l’amener à composition. Il n’est donc pas surprenant de voir parallèlement s’affirmer l’importance de la guerre de siège, plus prévisible et, en France, plus à même de mettre en valeur la gloire du roi de guerre.
3À l’opposé de cette évolution, la cavalerie marque l’imaginaire guerrier du temps en incarnant une certaine forme d’héroïsme, un héritage des valeurs chevaleresques, à travers par exemple des représentations picturales de combats et de charges épiques, comme les met en scène la peinture de bataille tumultueuse3. Cette arme équestre est-elle encore adaptée à la nouvelle façon de concevoir et de mener la guerre ? N’est-elle pas condamnée à ne jouer qu’un second rôle sur le théâtre des opérations, celui d’une arme socialement prestigieuse mais militairement dépassée ?
4Pour répondre à cette question, il paraît pertinent de déterminer d’abord la nature des missions confiées à la cavalerie, en dehors des seules batailles. Nous pourrons ensuite nous demander si la cavalerie, considérée d’un point de vue organique, technique mais aussi culturel, est apte à les remplir, avant, en dernier lieu, de tenter de mesurer en quoi ces missions pouvaient lui permettre de peser réellement sur le cours de la guerre.
Les missions de la cavalerie
5Tout d’abord, la cavalerie doit « prendre langue », c’est-à-dire obtenir le plus d’informations possible sur la position, la marche, la force de l’ennemi. C’est, selon Birac, l’une des plus nécessaires et des plus importantes fonctions d’un capitaine de cavalerie4. On peut « prendre langue » par de simples reconnaissances, des missions d’observation. Mais il est également possible, voire nécessaire, d’organiser pour cela des embuscades et des surprises de postes, qui permettent d’obtenir des prisonniers et des informations. Ces deux types d’opérations sont les plus classiques de la petite guerre. Les embuscades sont des attaques de l’ennemi en marche, par surprise, après l’avoir attendu dissimulé dans les terrains couverts bordant une route. On dresse généralement des guets-apens entre deux quartiers des ennemis ou entre un camp et une place proche, ou enfin entre deux armées campées à proximité l’une de l’autre.
6Bien entendu, les embuscades sont aussi organisées pour capturer un convoi, attaquer des fourrages ou simplement détruire une troupe ennemie. Les cavaliers sont généralement séparés en plusieurs corps. Dans le cas d’une attaque de convoi, « les plus gros chargeront l’escorte ; les petits détachements dételleront promptement, prendront les devants dans la retraite, et tout le reste de la cavalerie se rejoindra, pour assurer le butin et le ramener en sécurité5 ». Les effectifs varient selon l’objectif de la mission. Cela peut aller d’une compagnie à un véritable corps, comme celui confié en septembre 1708 au comte de la Mothe pour intercepter un convoi destiné au siège de Lille (32 bataillons et 64 escadrons, soit 18 ou 20000 hommes6).
7Les surprises de poste ou les prises de quartiers sont des assauts donnés par surprise, souvent à la pointe du jour, à un « poste » ennemi. Birac en parle comme une des choses les plus difficiles et risquées de la guerre7. Là encore les effectifs engagés varient selon l’importance du poste, qui peut aller de la simple redoute à la petite ville. Lorsque Feuquières veut surprendre quatre compagnies de gendarmes du duc de Savoie gardant la place de Savillan, en 1691, il emmène 800 cavaliers emportant 500 fantassins en croupe. Profitant de la nuit, et d’un espion qu’il avait dans la place, il enlève les gendarmes et les amène prisonniers à Pignerol8. Les effectifs mobilisés par Luxembourg en juillet 1693 sont plus importants. Celui-ci apprend que le comte de Tilly s’installe à Tongres, à 19 ou 20 lieues de son camp, avec cinq régiments de cavalerie et trois de dragons en vue de renforcer l’armée de Guillaume d’Orange. Il entreprend alors d’attaquer son quartier en prenant la tête d’une troupe de 10000 hommes, majoritairement composée de cavalerie. Malgré une marche rapide menée en pleine nuit, Tilly, prévenu vers minuit, parvient à s’échapper. Il perd tout de même 120 hommes et presque tous ses bagages9.
8Ces opérations sont généralement très délicates. Birac explique de manière très précise la manière dont un capitaine doit les organiser et les mener à bien. Il s’agit là effectivement de missions difficiles demandant une grande expérience, du fait des nombreux facteurs à prendre en compte. Il s’arrête par exemple longuement sur la nécessité de disposer de guides (parmi ses cavaliers ou des paysans) et la façon de les employer : par exemple les faire marcher huit ou dix pas devant lui, entre deux cavaliers10. Des précautions nécessaires pour trouver son chemin et pouvoir s’en retourner en sûreté !
9Mais le rôle de la cavalerie ne se résume pas à des opérations offensives, elle a également pour mission de protéger l’armée dans différentes circonstances. Lors des marches tout d’abord. Ainsi que le préconise Manesson-Mallet, le général « aura grand soin de faire battre la campagne par divers partis de cavalerie », afin d’éviter que l’armée ne tombe dans des embuscades ou des surprises11. Les partis de cavalerie sont particulièrement utiles en pays de plaine. Ils doivent marcher en avant des colonnes et sur leurs flancs. En plus des marches proprement dites, ils peuvent être employés dans les occasions particulièrement délicates, comme le sont les franchissements de rivières lorsque l’ennemi n’est pas loin. Ainsi, en juin 1690, Waldeck, sachant Luxembourg assez proche de lui, envoie sa cavalerie pour sécuriser le passage du Piéton avant l’arrivée du gros des troupes12.
10Les convois, ensuite, bénéficient toujours d’une escorte de cavalerie. Les escortes importantes sont généralement divisées en trois corps : avant-garde, centre et arrière-garde. En pays de plaine, même s’il y a de l’infanterie, la cavalerie doit, selon Quincy, occuper les postes les plus importants : elle est à la tête de l’avant-garde et ferme l’arrière-garde. Des petites troupes de cavalerie doivent en outre marcher le long de la colonne et s’avancer sur les hauteurs afin de découvrir une éventuelle arrivée de l’ennemi13.
11En juillet 1693, le maréchal de Luxembourg attend l’arrivée d’un convoi conséquent de 700 chariots de blé et deux charrettes d’argent. Étant donné l’importance de l’opération, Luxembourg ordonne la constitution d’une escorte de 13 escadrons (c’est-à-dire un effectif théorique d’un peu moins de 2000 hommes) et d’un corps moindre d’infanterie, sous le commandement du comte de Vertillac. Guillaume d’Orange détache quant à lui 19 escadrons et plusieurs bataillons pour intercepter le convoi. Les deux corps se rencontrent au village de Bossu. Vertillac rassemble toute sa cavalerie et fait face à celle de l’ennemi. C’est donc un combat de cavalerie qui règle le sort du convoi. Celle des Français ayant eu l’avantage, celui-ci peut rejoindre sans encombre le camp de Luxembourg14.
12Les effectifs de cavalerie pouvaient être parfois supérieurs, selon l’importance du convoi ou le danger auquel il était exposé. En juillet 1708, Marlborough fait escorter un convoi de Bruxelles à Menin par plus de 8000 cavaliers15.
13Tout comme les convois, les fourrages nécessitent une protection. Mais ici la cavalerie fait plus que protéger, elle est l’acteur principal de l’opération. On distingue en réalité deux types de fourrages : les fourrages en vert, qui se font directement par la moisson dans les champs, et les fourrages en sec, où l’on va collecter les grains chez les habitants. Le premier cas est le plus souvent développé car il est le plus difficile à mettre en place. On ne fait généralement fourrager qu’une seule aile de cavalerie à la fois (même s’il peut arriver que l’on organise des fourrages généraux). Les cavaliers concernés, auxquels se joint une partie des équipages de l’infanterie, fauchent l’herbe et constituent des bottes qu’ils ramènent sur leurs chevaux. La couverture des fourrageurs est assurée par la cavalerie de l’autre aile.
14Les contributions et les courses occupent une place un peu particulière. Il s’agit de faire contribuer, de manière plus ou moins volontaire, un pays ennemi à l’entretien de l’armée. Il y a deux types de contributions : celles qui se font en commodité (en nature) et celles qui se font en argent. Dans les deux cas l’utilisation de la cavalerie peut être privilégiée. Dans le premier cas, du fait de la capacité de transport autorisée par l’usage des chevaux (il n’est pas toujours possible ni prudent de faire voiturer les contributions). Dans le second cas parce que ce type de contribution doit s’étendre le plus loin possible, jusque derrière les places tenues par l’ennemi. Dans ces circonstances l’on procédera généralement par la terreur : on envoie des petits partis qui s’infiltrent et s’attachent à enlever quelques personnes considérables ou à brûler quelques grosses habitations. La cavalerie est à l’évidence mieux à même de réaliser ces opérations, qui doivent être rapides et courtes.
15Quelquefois les partis sont plus considérables et la contribution s’apparente à une véritable course ou à un raid. La course de Feuquières en Allemagne est évidemment l’une des plus connues. Parti de Heilbronn au début de 1689 avec 1000 cavaliers, il s’enfonça en Allemagne jusqu’aux portes de Nuremberg, puis passa le Danube et fit même contribuer Augsbourg. Une course de 35 jours qui rapporta au roi trois à quatre millions de livres (et 100000 francs pour lui selon ses dires)16.
16Il est enfin un domaine dans lequel on n’attend guère la cavalerie, celui des sièges. Le siège mobilise prioritairement l’infanterie, c’est un fait. Toutefois la cavalerie participe également aux opérations. Elle joue ainsi un rôle très important dans l’investissement de la place. C’est un corps de cavalerie commandé par un lieutenant-général ou un maréchal de camp, avec ou sans soutien d’infanterie, qui intervient dans cette étape initiale du siège. Il s’agit d’empêcher les assiégés de sortir et, surtout, d’éventuels secours de rentrer avant l’arrivée du gros de l’armée. Le siège de Mons, en mars 1691, en donne un exemple. Le 15 mars au matin, un fort détachement de cavalerie commandé par Boufflers se présente devant la ville. Le gouverneur n’a que le temps d’envoyer un message à Bruxelles pour prévenir Guillaume d’Orange. Lorsque celui-ci s’enquiert de la possibilité d’un éventuel secours, la cavalerie française a déjà bloqué toutes les routes17.
17Ensuite commencent les travaux de creusement des tranchées et parallèles. Là encore la cavalerie est utile. « Toute la cavalerie de l’armée, à la réserve de celle qui est en garde, vient apporter la fascine à la queue de la tranchée18. » Elle est employée enfin dans les combats, par les assiégeants comme par les assiégés. Ces derniers l’utilisent lors des sorties. Dans ces circonstances la cavalerie sort la première, profitant par exemple de l’effet de surprise créé par l’explosion d’une mine. Elle poursuit les fuyards, ou fait tête à celle des ennemis, pendant que l’infanterie encloue le canon, brûle les poudres, comble les tranchées, et renverse tout ce qui peut nuire aux assiégés19. Pour les assiégeants, elle représente au contraire une utile force de contre-attaque en cas de sortie de l’ennemi. Son rôle est de « charger l’épée à la main l’ennemi qui, s’étant rendu maître du parapet de la ligne, […] voudrait se former en dedans20 ».
Une cavalerie qui s’adapte pour remplir ses missions
18On attend donc de la cavalerie qu’elle accomplisse des missions très différenciées. Mais dans quelle mesure est-elle apte à les accomplir ? Ou, d’une façon un peu provocatrice : la cavalerie de Louis XIV est-elle capable de faire autre chose que de charger en bataille ?
19Cette cavalerie a évolué depuis la guerre de Trente Ans. Du point de vue de l’armement, la transformation la plus évidente consiste en un allégement de l’armement défensif des cavaliers. La demi-armure qui équipait les cuirassiers, les couvrant de fer depuis la tête jusqu’aux genoux, a complètement disparu. Les éléments défensifs se sont ainsi progressivement effacés, et il n’y a plus, dans la cavalerie française, que le seul régiment des cuirassiers du roi à porter la cuirasse à la fin du siècle.
20Mais l’évolution est également organique. De ce point de vue, on peut souligner l’importance relative prise par les dragons dans l’armée de Louis XIV. Ces soldats sont parfois considérés comme de simples fantassins montés, et les contemporains ne les comptaient pas parmi la cavalerie à proprement parler. Pourtant leurs caractéristiques font d’eux des membres de l’arme équestre, à laquelle ils apportent des atouts non négligeables pour lui permettre d’accomplir ses missions21. Leur équipement les autorise à combattre aussi bien à pied qu’à cheval. Ils disposent pour le premier cas d’un fusil et d’une baïonnette, ainsi que de souliers et de jambières, plus légers que les bottes des cavaliers. Les grosses bottes fortes de ces derniers occasionnent en effet une gêne importante lorsqu’ils mettent pied à terre, ce qui les empêche d’être utiles dans ces circonstances. À cela s’ajoute une forte épée réglementaire, modèle 1679, la même que les cavaliers, pour le combat à cheval. Et quoique leurs chevaux soient plus petits que ceux de la cavalerie, les nécessités de la guerre font qu’ils sont aussi engagés en ligne. Dernier élément à ne pas négliger, la levée d’un régiment de dragons coûte un peu moins cher que celle d’un régiment de cavalerie22.
21Les avantages de cette troupe sont assez évidents pour que le roi leur accorde une place plus importante dans son armée. C’est sous son règne, en 1668, qu’ils commencent à constituer une arme indépendante, avec leur propre colonel général. Comme l’observe Quincy, il n’y avait avant 1672 que deux régiments de dragons, mais après cette année, « Louis XIV, en ayant connu l’utilité, les a beaucoup augmentés23 ». Au moment de la paix de Nimègue, on compte quatorze régiments, presque 10000 hommes, soit plus de 16 % du total des troupes à cheval. Ils sont diminués ensuite, mais les dragons représentent tout de même plus du tiers de l’arme équestre en 1681. Dès la reprise de la guerre, le nombre de régiments remonte à 35, et est porté à 43 à la fin de l’année 1690, aux côtés des 112 de la cavalerie ; ils atteignent alors, comme le souligne Susanne, « le sommet de leur vogue24 ». On peut ajouter à cela les compagnies franches de dragons, c’est-à-dire des compagnies non enrégimentées. Leur capitaine jouit d’une plus grande liberté d’action, avantage non négligeable dans les opérations de petite guerre25.
22Les dragons sont devenus indispensables à l’armée et, aux yeux de certains officiers, une sorte de modèle alternatif pour l’arme équestre. Vauban, adepte de l’économie des moyens dans la guerre, propose ainsi au roi de supprimer la distinction entre dragons et cavaliers, afin de constituer une « cavalerie légère dragonisée26 ». Villars lui-même, officier de cavalerie, s’appuie explicitement sur leur exemple lorsqu’il rédige ses observations pour améliorer le service de la cavalerie en 170127. Que ce soit pour le choix de chevaux de plus petites tailles ou pour l’abandon des bottes fortes, les dragons semblent être pour lui une référence.
23Les dernières guerres du règne voient aussi l’apparition et le développement d’une nouvelle catégorie de troupes montées : les hussards. En 1692 est créé le premier régiment connu sous ce nom. Des déserteurs de l’armée impériale furent regroupés en un régiment commandé par le baron Cornberg. Durant la guerre de Succession d’Espagne, trois nouveaux régiments furent levés dans les mêmes conditions28. Outre un soutien manifeste aux révoltés hongrois, la France a pu voir là l’occasion de renforcer ses troupes équestres en tirant de l’étranger les compétences qui lui manquaient. Les hussards excellent en effet dans les coups de main et la guerre de partisans, pour laquelle ils montrent « une activité inimitable29 ». Ce qui explique qu’ils aient été conservés malgré une indiscipline proverbiale.
24À cette évolution organique de l’arme équestre, l’on pourrait peut-être ajouter une observation sur les caractéristiques des chevaux, principalement leur taille. La question préoccupe les autorités qui légifèrent pour en déterminer les limites. L’ordonnance du 25 septembre 1680 prévoit, pour les cavaliers30, des chevaux de quatre pieds sept pouces environ (1,48 mètre). Ils ne doivent en tous les cas pas dépasser quatre pieds huit pouces (1,51 mètre), et ne pas être inférieurs à quatre pieds six pouces (1,46 mètre)31. Ces mesures sont déjà sensiblement en deçà des tailles requises au xviiie siècle, mais, au début de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, une nouvelle ordonnance vient accentuer la direction prise par la précédente : en 1689, le roi, « informé que les chevaux de la taille de l’ordonnance de 1680 étaient très chers, et considérant que la moindre taille subsistait plus aisément et supportait mieux la fatigue », décide de diminuer la taille des chevaux de cavaliers dans une fourchette comprise entre quatre pieds six (1,46 mètre) et quatre pieds quatre pouces (1,41 mètre). L’ordonnance de 1691 confirme cette orientation en abaissant encore la taille minimum à quatre pieds deux pouces : 1,35 m.
25Ces observations traduisent la difficulté à laquelle se trouve confronté le royaume pour équiper les troupes montées. Mais elles montrent également que les autorités se doivent de prendre en compte les impératifs concrets de la logistique, particulièrement la « subsistance » des chevaux. On se préoccupe aussi de la résistance à la fatigue. Une préoccupation qui n’est pas nouvelle mais souligne la volonté de ne pas cantonner la cavalerie lourde aux actions de choc. Elle doit être capable de prendre sa part aux marches, aux opérations de fourrage ou de reconnaissance.
26Les auteurs du temps ne paraissent pas non plus être particulièrement attachés à des chevaux de grandes tailles. Si Birac les souhaite « plutôt plus grands que plus petits », il veut surtout « de bonnes jambes, propres pour la fatigue32 ». Il n’y a pas ici d’obsession pour la taille, comme cela sera le cas au siècle suivant. Cela est également vrai pour les cavaliers. Pour Manesson-Mallet, le cavalier « doit être d’une taille médiocre, tant pour la facilité de monter à cheval que pour ne pas l’incommoder33 ». L’auteur n’est pas cavalier, mais Birac ne le contredit pas sur ce point.
27Ces différentes tendances paraissent aller dans le même sens, celui de la polyvalence. L’arme équestre doit être capable d’accomplir toutes les missions qu’exige l’évolution de l’art de la guerre. Elle ne peut se limiter à fournir de belles charges lors des batailles. La diminution de la taille des chevaux de la cavalerie de ligne va dans ce sens. Ils doivent supporter les fatigues de campagnes faites avant tout de longues marches et contremarches, de courses, de reconnaissances. Mais l’on a senti en outre la nécessité de troupes plus légères et plus souples, aptes à remplir des missions plus proches de la petite guerre, ce qui explique la part croissante prise par les dragons au sein de l’arme. Tout comme la création des hussards dénote également la volonté de combler un manque dans ce domaine particulier de l’art de la guerre. Nous voyons ainsi poindre une diversification de l’arme équestre en subdivisions spécialisées, propres à accomplir certaines missions spécifiques. Même si ce ne sont là que les prémices de la spécialisation, la cavalerie de ligne étant encore marquée par une réelle polyvalence.
28Mais comment la cavalerie peut-elle accepter cette évolution ? Plus précisément, la culture de la guerre propre à la cavalerie est-elle susceptible de s’opposer aux missions confiées à l’arme équestre ? Car il pourrait sembler au premier abord que celles-ci sont peu compatibles avec les valeurs traditionnellement associées à la cavalerie : le courage jusqu’à la témérité, le primat de la valeur individuelle, une éthique aristocratique héritée de la chevalerie. Des valeurs qui s’expriment préférentiellement les jours de bataille, dans les charges sabre au clair, construisant un imaginaire héroïque souvent privilégié par les représentations picturales et discursives. Or il semble que les qualités requises des officiers de cavalerie pour accomplir les diverses missions constituant le « quotidien » de la guerre soient quelque peu en décalage avec cet imaginaire : audace et détermination, certes, mais aussi préparation minutieuse, patience, prudence, ruse et dissimulation. Les deux systèmes de valeurs sont-ils conciliables ?
29On observe en fait que, loin de les dévaloriser, les officiers qui écrivent sur la guerre s’efforcent d’intégrer ces missions non seulement dans les pratiques de la cavalerie mais aussi dans sa culture. Signe de leur importance, Birac consacre vingt pages à la façon d’aller « prendre langue » avec l’ennemi (c’est le plus long article de son livre) et rien aux batailles. Pour lui, les partis, escortes, gardes et autres tâches doivent être considérés comme naturels à la cavalerie, nécessaires à son honneur et à son intérêt. C’est justement parce que l’arme équestre est la mieux placée pour les accomplir qu’elle demeure indispensable dans la guerre moderne. « Il n’est presque point d’entreprise dans laquelle la cavalerie ne soit employée avec grande utilité34 », écrit-il. Il s’efforce donc de montrer que leur exécution ne contrevient pas à l’ethos nobiliaire. En justifiant moralement les embuscades par exemple, rappelant ainsi « qu’en guerre déclarée […] il est permis et même glorieux de défaire ses ennemis par toutes sortes de voies35 ». Même l’attaque d’un quartier n’est pas indigne d’un gentilhomme, puisqu’il est toujours possible d’y « mourir en gens d’honneur36 ». D’ailleurs, rappelle Rémond des Cours, le vrai gentilhomme ne doit-il pas être prêt « à tout faire et à tout souffrir pour le service de l’État37 » ? De ce point de vue, il est bon de rappeler que la Maison du roi elle-même ne répugne pas à accomplir des missions de petite guerre qui sortent du cadre de son seul emploi en bataille. Ses officiers y trouvent également l’occasion de s’illustrer. Le Pippre mentionne ainsi, parmi d’autres, le fait d’armes de messieurs Philippe et de Saint Phal, gardes du corps. Commandant un parti de cavalerie (dont des dragons) en août 1697, ils tendirent à l’ennemi une embuscade où leur conduite leur valut « un honneur infini38 ». La Maison n’est pas encore ce qu’elle deviendra au xviiie siècle, un corps seulement apte à charger audacieusement un jour d’affaire.
30Enfin, on peut observer que les nouvelles troupes ne sont pas systématiquement méprisées. On reconnaît l’efficacité des hussards, tout en restant extrêmement méfiant à leur égard, ainsi qu’à l’endroit de leurs coutumes, quelque peu « folkloriques » aux yeux des officiers français. Quant aux dragons, Villars, on l’a vu, loin de voir en eux un contre-modèle de la cavalerie, ferait plutôt évoluer cette dernière dans leur sens. Guignard souligne également la « valeur intrépide » de ce corps et « la beauté des hommes » qui le composent39. Les dragons sont peut-être d’autant plus acceptés que, comme l’observe – et le regrette quelque peu – Guignard, « ils ont tourné toute leur attention vers le service à cheval40 », tendant ainsi à se transformer en une forme de cavalerie plus légère.
31Nous pourrions peut-être terminer en mentionnant un dernier élément favorable à l’accomplissement des différentes missions de la cavalerie : la relative ouverture au mérite, qui valorise les compétences d’officiers expérimentés, ayant fait carrière dans l’arme et acquis une longue pratique de la guerre. Ainsi, entre 1705 et 1709, la part des officiers sortis du rang était de 31,4 % dans la cavalerie contre 4,8 % seulement dans l’infanterie41.
Une cavalerie qui compte dans l’art de la guerre louis-quatorzien
32Mais dans quelle mesure ces missions, qui peuvent apparaître parfois d’un intérêt assez secondaire, permettent-elles à la cavalerie d’être autre chose qu’un coûteux auxiliaire et de compter dans les guerres menées à la fin du règne ? Pour répondre à cette question, il nous faut changer d’échelle et réfléchir non plus au niveau tactique, mais au niveau stratégique et surtout opératif.
33Cet art de la guerre du temps est bien connu. Il se caractérise par l’adoption de stratégies d’attrition, stratégies résultant tout autant des données technologiques et tactiques que des contraintes logistiques, économiques et financières, politiques. Sur le théâtre des opérations, ce type de stratégie conduit à privilégier la prise de villes ou le contrôle de territoires. Ces opérations permettent à court terme de soutenir l’effort de guerre à moindre frais tout en affaiblissant l’ennemi ; elles fournissent également des gages qui pourront être négociés lors des conférences de paix. Ainsi se met en place une nouvelle économie de la guerre, qui favorise la guerre de siège, dont le déroulement est plus prévisible. L’importance des sièges est d’ailleurs peut-être plus accentuée que durant la guerre de Trente Ans. Tout au moins la seconde partie de ce conflit, si l’on en croit par exemple David Parrott, qui observe globalement une certaine réticence des généraux à engager des sièges42.
34Une guerre de position donc, dans le sens où le contrôle des meilleurs camps et des espaces les plus favorables à l’entretien de l’armée devient un enjeu essentiel43. C’est par ces moyens, davantage que par les batailles, jugées trop coûteuses et aléatoires, que l’on prend l’avantage sur l’ennemi. Les manœuvres ne sont pas absentes, loin de là, puisqu’il est de première importance de devancer l’ennemi, de lui « dérober une marche », afin de s’emparer des meilleures positions. Mais l’augmentation des effectifs et les pesanteurs logistiques rendent les marches lentes et très formelles, ce qui diminue les possibilités de surprises tactiques et stratégiques. Ces opérations sont bien sûr intimement liées à la guerre de siège puisque c’est de cette manière, en choisissant un poste inexpugnable ou en empêchant l’armée ennemie de subsister, que l’on couvre un siège.
35Bien sûr, quelques rares généraux, au premier rang desquels Marlborough, envisagent un art de la guerre différent, reposant sur des mouvements opératifs audacieux et rapides, sur la recherche de la bataille. Pour autant, durant la guerre de Succession d’Espagne, le duc a conduit pas moins de 30 sièges importants pour seulement quatre batailles majeures. Les contraintes matérielles et logistiques pèsent indubitablement, tout comme les contraintes politiques44.
36C’est donc dans ce cadre stratégique et tactique assez contraint que doit agir la cavalerie. Pour mieux apprécier son rôle, il est possible de distinguer deux axes : l’axe logistique et celui de la manœuvre (ou opératif stricto sensu). Si l’on envisage ce dernier, on pense bien entendu d’abord à l’importance de connaître la position et la force de l’ennemi, d’anticiper ses mouvements, c’est-à-dire, dans le langage du temps, de « prendre langue » de l’ennemi. Or, c’est bien là pour Birac, rappelons-le, la plus importante des missions de la cavalerie. Elle est d’autant plus essentielle sur un théâtre restreint comme celui des Pays Bas espagnols, où les armées ne sont parfois distantes que de 10 ou 20 kilomètres. La supériorité de l’armée française en cavalerie lui donna ainsi à plusieurs reprises un avantage non négligeable durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg. En 1689, la nombreuse cavalerie d’Humières lui permet d’avoir une bonne idée des mouvements de son adversaire, ce qui empêche ce dernier de lui « dérober une marche ». À l’inverse, le Français utilise sa cavalerie pour masquer ses propres déplacements. Ainsi, fin mai, Humières envoie-t-il 1000 cavaliers brûler quelques maisons vers Gaasbeek, au sud-est de Bruxelles, afin de couvrir son mouvement vers le sud-est d’Ath45.
37D’une manière générale, avant le départ d’un mouvement opératif, et lors de la marche elle-même, de nombreux raids et patrouilles de cavalerie sont envoyés loin de la direction réellement envisagée afin de créer de la confusion chez l’ennemi. Les opérations de reconnaissances, ou leur absence, peuvent avoir de lourdes conséquences. Selon John Childs, la négligence de Waldeck et sa faillite dans l’organisation des reconnaissances durant les deux jours précédant la bataille de Fleurus sont une des raisons qui expliquent la défaite. Les 3000 cavaliers dépêchés pour observer les mouvements de Luxembourg ne furent d’aucune utilité46. Le maréchal les contra par une utilisation incisive et efficace de sa cavalerie, notamment des dragons et de la gendarmerie. Il manœuvra Waldeck et parvint finalement à l’enfermer dans une position désavantageuse.
38Pour renforcer la sécurité de l’armée et gagner de la souplesse dans leurs opérations, les généraux du temps font fréquemment usage de camps volants. Ce sont des petits corps d’armée, rarement campés au-delà d’une ou deux marches (10 ou 12 heures de marche) du corps principal47. Ils sont créés pour protéger les flancs de celui-ci, lui prêter main-forte en cas de bataille, saisir des villes ou à l’inverse se jeter dans une place que l’ennemi aurait pour dessein d’assiéger, ou même mener des raids si l’occasion se présente. Ils doivent, selon l’expression de Guignard, « voltiger » sur les ailes de l’ennemi48. Cette mobilité implique qu’ils soient constitués d’une part importante, voire d’une majorité, de cavaliers et de dragons. Ainsi, celui mené par Boufflers en Brabant, début avril 1689, compte 2500 cavaliers et 1500 fantassins. Ils permettent aussi à l’armée de subsister plus aisément que si elle restait en un corps unique. Luxembourg sut particulièrement bien les utiliser. Il savait à la fois les déployer pour couvrir son armée, tromper l’ennemi, et les concentrer rapidement pour obtenir une supériorité tactique ou livrer bataille dans des conditions avantageuses49.
39Enfin, sans constituer tout à fait des camps volant, les généraux peuvent détacher de l’armée principale des corps de cavalerie afin de mener des actions rapides de portée stratégique. En juin 1705, Marlborough marche vers Liège pour secourir la ville assiégée par les Français. Apprenant que la ville avait ouvert ses portes et que la citadelle menaçait de tomber, il prend la tête d’une force constituée de cavaliers et de dragons (portant un parti de grenadiers) et part en avant pour rejoindre le corps d’Overkirk sans attendre le reste de l’armée. Ce rapide mouvement sauve Liège, dont Villeroy abandonne le siège en apprenant son approche. En 1708, c’est Eugène qui laisse infanterie et bagages et part avec sa seule cavalerie pour permettre une rapide jonction avec Marlborough, afin d’empêcher les Français d’occuper Lessine, point de passage stratégique sur la Dendre50.
40Ces considérations nous ramènent finalement au constat simple dressé par Puységur : « La cavalerie fait fort aisément une lieue en une heure dans un bon chemin, ce qui fait un quart en sus de vitesse que l’infanterie ; partant, la cavalerie parcourra en une minute quarante toises, et dans le même temps l’infanterie n’en parcourra que 33 ou 3451. »
41Au niveau tactique comme au niveau opératif, la cavalerie se distingue par sa vitesse et son rayon d’action. Ces atouts en font un élément fondamental pour préparer la prise de décision du général et exécuter rapidement ses desseins. Elle permet au commandant qui saura l’utiliser de prendre l’avantage sur l’ennemi en lui dérobant une marche, en prenant une position stratégique, en investissant une place. Elle est donc l’outil essentiel du mouvement et de la surprise dans un type de guerre qui se distingue par son caractère quelque peu processionnaire, prévisible.
42Le second axe, celui de la logistique, loin d’être négligeable, est également au cœur de l’art de la guerre du temps. Dans ces guerres où les batailles sont rares, tout est bon en effet pour affaiblir l’ennemi. De ce point de vue, l’approvisionnement des armées représente un enjeu considérable, qu’il convient de ne pas négliger.
43Nous avons vu que l’une des missions de la cavalerie consistait à escorter les convois. Rien là de très exaltant ni décisif. Pourtant, dans le cadre d’un système logistique ou les armées ne peuvent s’éloigner de leurs magasins, le lien avec ces derniers représente une nécessité absolue. Ainsi le convoi intercepté à Bossu était essentiel pour Luxembourg. Selon Quincy, le maréchal se trouvait paralysé par une extrême disette de vivre, qui l’empêchait d’exécuter les entreprises qu’il méditait. Ce n’est qu’après avoir reçu le convoi qu’il se trouva « en situation de faire la guerre offensive le reste de la campagne, et de donner la bataille de Steinkerque, qu’il fit suivre du siège de Charleroi52 ».
44Les convois sont bien entendu tout aussi essentiels pour ces très lourdes opérations que sont les sièges. Feuquières se montre sévère pour Berwick et le duc de Bourgogne qui, lors du siège de Lille (1708), n’entreprirent rien contre les convois alliés qui approvisionnaient le camp de ces derniers depuis Bruxelles. Le premier notamment, un convoi des plus considérables, de 7000 à 8000 chariots, n’aurait, selon lui, pas dû atteindre Lille. L’interruption de ces convois leur « aurait rendu impossible la réussite de cette téméraire entreprise53 ». Une impression confirmée par Marlborough lui-même, dont la tension et l’anxiété se lisent dans les lettres qu’il envoie à Cadogan54.
45Tout comme les convois, les contributions impliquent elles aussi un engagement très actif de la cavalerie. Or les contributions en espèces pouvaient représenter, selon Guy Rowlands et John Lynn, entre 13 et 25 % du coût d’entretien total d’une armée55.
46Si la cavalerie joue un rôle considérable pour protéger les convois, ou intercepter ceux de l’ennemi, il est sûr qu’elle pèse d’une manière encore plus directe sur un autre aspect de la logistique : les fourrages, dont elle est la principale consommatrice. Puységur, très au fait de ces questions, accorde au sujet une très longue réflexion. Tout à sa volonté de réduire la guerre en règles et en principes, il nous permet de mesure l’ampleur des besoins d’une armée. Dans le temps du « vert » (mai-juin), un cheval a besoin d’une ration quotidienne de 50 à 60 livres (et il faut fourrager tous les quatre jours), 25 ou 26 livres dans le temps du sec. Les 192 escadrons d’une armée forte de 116000 hommes nécessiteront plus de 46000 rations par jour : 1152000 livres, soit plus de 550 tonnes ! Certes, toutes les armées du temps n’atteignent pas de tels effectifs, mais l’on voit à plusieurs reprises durant la guerre de Succession d’Espagne des armées atteindre les 100000 hommes. Il est de toute façon impensable de faire venir de telles quantités de l’arrière par chariots ; il faut donc les trouver sur place. On peut ajouter que, même dans le cas des fourrages au sec, le poids nécessaire pour nourrir huit chevaux représente l’équivalent de rations pour 180 hommes. On mesure là à quel point la cavalerie pèse sur la logistique du temps. Et à quel point les fourrages sont un enjeu considérable.
47Le général se doit en effet de choisir ses camps en fonction de la capacité de la région concernée à fournir les fourrages, faute de quoi il détruit sa cavalerie. Il lui faut également ménager les ressources à sa disposition, en évitant le gaspillage par exemple ; ce dont semblent coutumiers les cavaliers français56. « Plus les fourrages sont bien ménagés dans un pays et plus l’armée y subsiste longtemps, moins aussi elle fait de mouvements inutiles, qui ruinent la cavalerie et les équipages57 ». Il y a là tout à la fois une contrainte fondamentale, qui pèse sur la décision opérative, mais également une « arme logistique » qui peut être très efficace. Les exemples ne manquent pas d’armées ayant été obligées de quitter un camp ou une position favorable du fait du manque de fourrage, volontairement consommé par l’ennemi lorsqu’il occupait la région. Ainsi Waldeck, début août 1689, abandonne-t-il sa position à Thiméon (et ses plans ambitieux) parce qu’Humières a consommé le fourrage autour de Charleroi58. La question des fourrages peut même faire la décision lorsque les adversaires ne veulent pas se risquer à une bataille. En juillet 1691, Luxembourg et Guillaume d’Orange se paralysent mutuellement, aucun ne pouvant attaquer l’autre. Chaque armée est suffisamment proche de ses magasins pour s’approvisionner en vivre, mais le fourrage pour la cavalerie est beaucoup plus difficile à trouver. Luxembourg envoie donc Boufflers à la tête de 4000 cavaliers détruire le fourrage entre Gerpinnes et Dinant, tandis que la garnison de Mons fait le même travail entre Gerpinnes et la Sambre. Et Guillaume est contraint de lever le camp59.
*
48« On emploie aussi la cavalerie dans toutes les opérations qui peuvent incommoder les ennemis, leur nuire, afin de détruire peu à peu leur force60 ». Cette simple phrase de Birac résume à elle seule l’importance du rôle qui incombe encore à la cavalerie en dehors des seules batailles. Dans des guerres d’attrition, où les batailles sont rares, où la logistique est un enjeu considérable, la capacité à « détruire peu à peu » la force de l’ennemi est essentielle. De ce point de vue, la cavalerie constitue un atout indéniable. Ce rôle ne va pas sans ambivalence bien sûr, puisqu’elle contribue elle-même à rendre le système logistique des armées du temps complexe et contraignant. Nonobstant cette incontestable inertie, elle représente paradoxalement l’un des meilleurs moyens de surmonter ces difficultés. Elle assure ainsi le maintien des flux vitaux circulant entre les magasins et les armées, tout en menaçant ceux de l’ennemi afin de prendre l’avantage sur lui. D’une manière générale, dans un système de guerre contraint et peu flexible, elle représente l’un des seuls éléments capables de donner au général une marge de manœuvre pour introduire de la surprise et de la mobilité au niveau opératif. Les nombreux exemples envisagés nous montrent que la supériorité en cavalerie, ou une plus grande habileté dans l’emploi de celle-ci, est un facteur souvent décisif pour l’emporter sur l’ennemi durant les campagnes. Enfin, nous observerons que, pour accomplir ces missions aussi variées qu’essentielles, l’arme équestre évolue et s’adapte, aussi bien organiquement et techniquement que culturellement. Nous sommes décidément bien loin de l’image d’une arme archaïque, condamnée à la figuration sur un théâtre exclusivement voué à la guerre de siège. Si cette dernière constitue incontestablement l’axe majeur du système de guerre du temps, il serait cependant judicieux de ne pas lire les dernières guerres du règne de Louis XIV à la seule lumière de la poliorcétique.
Notes de bas de page
1 Alain Manesson-Mallet, Les travaux de Mars ou l’art de la guerre, La Haye, Van Bulderen, 1696, t. III, p. 87.
2 Frédéric Chauviré, « La charge de cavalerie de Bayard à Seydlitz », thèse soutenue en 2009 et publiée sous le titre Histoire de la cavalerie, Paris, Perrin, 2013.
3 Jérome Delaplanche, « Peindre le choc. La cavalerie dans la peinture des xviie et xviiie siècles », dans Frédéric Chauviré et Bertrand Fonck (dir.), L’âge d’or de la cavalerie, Paris, Gallimard-ministère de la Défense, 2015.
4 Sieur de Birac, Les fonctions du capitaine de cavalerie, et les principales de ses officiers subalternes, avec un abrégé des ordonnances et réglemens du roi et l’exercice de la cavalerie, La Haye, van Bulderen, 1693, p. 66.
5 Antoine de Pas, marquis de Feuquières, Mémoires de M. le marquis de Feuquières, Lieutenant général des armées du roi, Londres, Pierre Dunoyer, 1736, p. 244.
6 Charles Sevin, marquis de Quincy, Histoire militaire de règne de Louis le Grand, enrichie des plans nécessaires. On y a joint un traité particulier de pratiques et de maximes de l’art militaire, Paris, Coignard, 1726, t. V, p. 558.
7 Birac, op. cit., p. 67.
8 Feuquières, op. cit., p. 227.
9 Quincy, op. cit., t. II, p. 621-623.
10 Birac, op. cit., p. 43-44.
11 Alain Manesson-Mallet, op. cit., t. III, p. 188.
12 John Childs, The Nine Year’s War and the British Army, 1688-1697, Manchester-New York, Manchester University Press, 1991, p. 144.
13 Quincy, Maximes et instructions sur l’art militaire, Paris, Coignard, 1726, p. 117.
14 Quincy, Histoire militaire, op. cit., t. II, p. 617-620.
15 David G. Chandler, Marlborough as military commander, Stapelhurst, Spellmount, 2003, p. 226.
16 Feuquières, op. cit., introduction, p. xxiv et p. 493.
17 John Childs, op. cit., p. 159.
18 Louis de Gaya, L’art de la guerre et la manière dont on la fait jusqu’à présent, Paris, Michallet, 1679, p. 54.
19 Ibid., p. 77.
20 Feuquières, op. cit., p. 397.
21 Quincy note qu’en dehors du colonel (et non pas mestre de camp), tous les autres officiers sont semblables à ceux de la cavalerie. En outre, s’ils ont eu un temps leurs propres inspecteurs, ils sont ensuite passés en revue par ceux de la cavalerie (Maximes, op. cit., p. 259). Et Manesson explique qu’il en parle dans la partie consacrée à la cavalerie « parce que leurs chevaux contribuent extrêmement au succès de leurs expéditions » (op. cit., t. 3, p. 108).
22 Hervé Drévillon, L’impôt du sang, Paris, Tallandier, 2005, p. 122-124.
23 Quincy, Maximes, op. cit, p. 259.
24 Louis Susanne, Histoire de la cavalerie française, Paris, Hetzel, 1874, p. 149.
25 Sandrine Picaud-Monnerat, « La cavalerie légère et la petite guerre », dans Frédéric Chauviré et Bertrand Fonck (dir.), L’âge d’or de la cavalerie, op. cit., p. 155-156.
26 Hervé Drévillon, op. cit., p. 385.
27 SHD, 1 M 1725, fol. 1, Louis Hector de Villars, « Mémoire relatif à l’organisation de la cavalerie », 1701.
28 Raymond Boissau, « La levée de Bercheny-hussards », Revue historique des armées, n° 255, 2009, p. 15.
29 Guignard, L’École de mars, Paris, Simart, 1725, t. II, p. 55-57. L’auteur observe aussi avec étonnement leurs coutumes, très éloignées de la discipline des armées réglées de l’Europe de l’Ouest.
30 Les montures des cavaliers sont plus petites que celles de la Maison du roi mais plus grandes que les chevaux des dragons et hussards.
31 Ordonnance du 25 septembre 1680, in Pierre de Briquet, Code militaire ou compilation des ordonnances des rois de France concernant les gens de guerre, Paris, Prault père, 1761, tome 2, p. 32.
32 Birac, op. cit., p. 33.
33 Alain Manesson-Mallet, op. cit., t. III, p. 94.
34 Birac, op. cit., p. 4.
35 Ibid., p. 54.
36 Ibid., p. 60.
37 Nicolas Rémond des Cours, Les véritables devoirs de l’homme d’épée. Particulièrement d’un gentilhomme qui veut réussir dans les Armées, Amsterdam, Adrian Braakman, 1697, p. 22.
38 Simon Lamoral Le Pippre de Noeufville, Abrégé chronologique et historique de l’origine, du progrès et de l’état actuel de la maison du roi et de toutes les troupes de France, Liège, Kints, 1734, vol. I, p. 402-406.
39 Guignard, op. cit., t. II, p. 49-55.
40 Ibid., p. 49.
41 Hervé Drévillon, op. cit., p. 235.
42 David Parrott, The Business of War. Military Enterprise and Military Revolution in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 187.
43 Bertrand Fonck, Le maréchal de Luxembourg et le commandement des armées au temps de Louis XIV, Seyssel, Champ Vallon, 2014, p. 492.
44 La puissance de la ceinture de fer tout autant que la prudence (voire la pusillanimité) des alliés hollandais contraignirent ainsi Marlborough, après Audenarde (1708), à abandonner ses projets audacieux pour entreprendre des opérations beaucoup plus traditionnelles.
45 John Childs, op. cit., p. 118.
46 Journal des marches, campemens, sièges, batailles et mouvemens des armées du roy en Flandres, depuis l’année 1690 jusqu’en 1694, Paris, Delaune, 1740, p. 9-13.
47 John Childs, op. cit., p. 138. Lire également Gaya, op. cit., p. 182 ; Guignard, op. cit., t. II, p. 414-415. Ce dernier rappelle que le camp volant doit « pouvoir rejoindre la principale armée dans une marche ou deux, afin que si l’occasion se présentait de donner un combat général, ils pussent y arriver à point nommé […] : c’est ce que l’on a vu pratiquer aux généraux que je viens de nommer [Boufflers, Harcourt] ; lesquels ont plusieurs fois considérablement contribué au gain des batailles, par leur arrivée soudaine et imprévue par l’ennemi ».
48 Guignard, op. cit., t. II, p. 414.
49 Bertrand Fonck, op. cit., p. 493. Lire également Quincy, Histoire militaire, op. cit., t. II, p. 624 ; Journal des marches, op. cit., p. 278-284.
50 David Chandler, op. cit., p. 157 et 213.
51 Jacques-François de Chastenet, marquis de Puységur, Art de la guerre par principes et par règles, Paris, Jombert, 1748, p. 171.
52 Quincy, Histoire militaire, op. cit., t. II, p. 617.
53 Feuquières, op. cit., p. 112.
54 « For god’s sake, be sure you do not risk the cannon » : « pour l’amour de Dieu, soyez sûr de ne pas risquer le canon ». Cité par David Chandler, op. cit., p. 226.
55 Jean-Philippe Cénat, « De la guerre de siège à la guerre de mouvement : une révolution logistique à l’époque de la Révolution et de l’Empire ? », Annales historiques de la Révolution française [En ligne], n° 348, avril-juin 2007.
56 Puységur, op. cit., p. 190 ; Feuquières, op. cit., p. 209.
57 Feuquières, op. cit., p. 208.
58 John Childs, op. cit., p. 117.
59 Ibid., p. 168-169.
60 Birac, op. cit., p. 60.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008