Louis XIV aimait-il trop la bataille ?
p. 99-120
Texte intégral
1Le titre de mon article est, je l’espère, un peu provocateur. Il se réfère à deux déclarations du Roi-Soleil1. La plus célèbre est la possible reconnaissance par Louis XIV, sur son lit de mort, qu’il pouvait avoir un peu trop aimé la guerre. L’autre se déduit d’une citation familière aux spécialistes. Dans une de ses lettres, pendant la guerre de Hollande, il écrivait : « les grands sièges me plaisent plus que les autres2 ». Cette citation est fréquemment utilisée pour mettre en évidence la préférence du roi pour le siège par rapport à ce que l’on voit d’habitude comme son contraire, la bataille en rase campagne3. Presque tous les historiens de la période acceptent cette image d’un roi de France évitant la bataille et recherchant le siège.
2Mon but, en fusionnant ces deux citations, est de rouvrir la question de la perspective stratégique militaire de Louis XIV : que pensait-il de la bataille et pourquoi ? Les spécialistes de la période savent qu’il est difficile de répondre à une question apparemment simple comme celle-ci. Louis XIV, par exemple, pourrait avoir eu des vues contradictoires de la bataille, évoluant avec sa santé et son âge, selon la situation stratégique du moment, selon le commandant d’armée avec lequel il traitait et selon celle des trente-quatre campagnes françaises et celui des quatre théâtres d’opérations qui sont pris en compte.
3Bien naturellement, les historiens ont traditionnellement étudié dans la durée le règne de Louis XIV, généralisant sa tendance à éviter la bataille en mettant l’accent sur ses premières guerres victorieuses. Ici, au contraire, nous nous concentrerons sur le théâtre de la Flandre pendant la guerre de Succession d’Espagne. Cette granularité nous permettra de voir pourquoi Louis XIV a eu une vue ambivalente de la bataille. Je commencerai par considérer cette large question en me limitant à trois angles précis : à quel point Louis aurait-il dû aimer la bataille ? À quel point Louis a-t-il aimé la bataille pendant la guerre de Succession d’Espagne ? Le fait que Louis ait aimé ou non la bataille importe-t-il ?
À quel point Louis XIV aurait-il dû aimer la bataille ?
4Cette première question nous demande de considérer l’évitement de la bataille par Louis XIV à la lumière de la théorie militaire de son époque. Selon les traités théoriques du temps, que devait-on penser de la bataille ? Considérons d’abord comment les historiens voient la question. Ils reconnaissent généralement qu’il a évité la bataille la plupart du temps. Le plus généralement, ils citent la rareté des batailles, quoique nous définissions rarement combien de batailles auraient dû avoir lieu. Mais il est beaucoup moins clair de savoir pourquoi il a évité la bataille. Ou, plus précisément, les historiens donnent deux raisons différentes : parce que les batailles étaient trop décisives pour en prendre le risque ; parce que les batailles étaient trop indécises pour en prendre le risque.
5Malheureusement ces deux raisons semblent se contredire, ce qui est rarement un bon signe pour l’état de l’historiographie. Mais c’est, je pense, un reflet précis de l’écart entre les deux principales écoles : l’une anglaise, l’autre française.
6Dans l’histoire militaire de langue anglaise, la bataille (et la recherche de la bataille) a été centrale, fait reconnu il y a des décennies par John Keegan4. Généralement, les historiens anglo-centrés ont soutenu que la guerre de cabinet de Louis XIV a été inspirée par la crainte qu’un de ses chefs d’armée puisse perdre une bataille et donc la guerre5. Les Anglais contemporains ont mis en opposition cette crainte française de la bataille avec leur propre appréciation nationale du combat en rase campagne6. Ce stéréotype est entretenu par ceux qui étudient les ennemis de Louis XIV aujourd’hui, particulièrement les biographes des généraux alliés partisans de la bataille comme le duc de Marlborough7. Les batailles comme Blenheim (1704), Ramillies et Turin (les deux en 1706) illustrent, dans leur esprit, la sagesse de la stratégie d’évitement de la bataille de Louis XIV, mais aussi la frustration qu’elle occasionne. Plus généralement, les historiens modernes, d’Hans Delbrück à Beatrice Heuser, ont étendu cette croyance en l’évitement de la bataille à la grande majorité de tous les acteurs de la première modernité8.
7Les vues des historiens anglophones et francophones de Louis XIV ont été plus nuancées. Les experts de Louis XIV sont d’accord sur le fait qu’il a rarement désiré la bataille et a plutôt conduit de nombreux sièges. Les grandes lignes du bilan mitigé de Louis XIV en matière de recherche de la bataille ont été présentées dans les premiers travaux de John Wolf9. L’ouvrage de Jean-Philippe Cénat sur Le roi stratège a conclu plus récemment que le Roi-Soleil était généralement opposé au risque d’une bataille en rase campagne, préférant la certitude plus grande de la guerre de siège10. La conceptualisation par John Lynn de la stratégie de Louis XIV comme « war as process » plutôt que comme « war as event », suivant le modèle de la bataille napoléonienne, aboutit au même constat11.
8Ces historiens divergent de leurs confrères anglocentrés, cependant, par le rejet de l’opinion suivant laquelle les batailles de la première modernité furent ou pourraient même avoir été décisives. Au lieu de cela, ils expliquent pourquoi il était logique pour Louis XIV d’éviter des batailles. Tandis que les historiens anglais ont décrit le Roi-Soleil comme pathologiquement pétrifié devant la bataille, les chercheurs français ont reconstruit une pensée stratégique qui a opéré dans des conditions très différentes de celles de l’ère napoléonienne, plus familière. Stimulé par ses premiers succès militaires, le fier souverain avait peu de raisons empiriques de craindre une défaite décisive en rase campagne, étant donné la longue série de succès français dans ce domaine, de Rocroi aux engagements de la guerre de Neuf Ans.
9D’autres facteurs limitaient les conséquences décisives de toute bataille victorieuse. Les premiers travaux sur la logistique de Géza Perjés et Jean Milot, par exemple, ont souligné les difficultés auxquelles les armées de la première modernité ont été confrontées en essayant de poursuivre un ennemi battu et de pénétrer au cœur de son pays12. De la même manière, Jean-Pierre Bois a diagnostiqué que cette période souffrait d’un blocage tactique, l’obtention d’une victoire décisive sur le champ de bataille étant entravée par l’indécision tactique13. Les historiens de Louis XIV présentent les sanglantes batailles d’infanterie comme Seneffe (1673), Neerwinden (1693) et Malplaquet (1709) comme des enseignements éloquents sur les inconvénients à provoquer des batailles d’infanterie en rase campagne. Les études de cas de campagnes spécifiques ont renforcé l’idée selon laquelle les batailles réelles étaient loin d’être aussi décisives que les chercheurs anglais le prétendent parfois14. La recherche récente a aussi expliqué comment les stratégies de non-bataille, comme les sièges ou les raids et les contributions, remplissaient des fonctions critiques, préservant et étendant le contrôle sur des ressources économiques15. Enfin, certains chercheurs ont souligné la préférence personnelle de Louis XIV pour les sièges, qu’il s’agisse des simulacres de sièges de sa jeunesse ou les sièges statiques utilisés à des fins de propagande comme un outil nécessaire à la création de l’image d’un monarque absolu menant personnellement ses armées à la victoire16. Les trente dernières années de recherche, autrement dit, ont abouti à un consensus général parmi les historiens français autour de l’idée que Louis a évité les batailles à cause de leur nature coûteuse et indécise.
10La plupart des historiens modernes ont souligné la prudence et l’évitement de la bataille qui prévalent au Moyen Âge et durant la première modernité. Les auteurs antérieurs, cependant, étaient aussi ambivalents vis-à-vis de la bataille que l’ont été les historiens récents. La croyance en la capacité de la bataille à être décisive remonte à l’Antiquité, à l’ancêtre des auteurs de traités militaires modernes, le Romain Végèce17. Son traité du ve siècle, De re militari, a longtemps été reconnu comme un des textes fondamentaux de l’Occident sur la stratégie militaire, et beaucoup de ses idées furent incorporées dans de nombreux autres traités médiévaux et du début des temps modernes. La plus souvent citée par des historiens modernes est le conseil de Végèce d’éviter la bataille : « Tâchez de réduire l’ennemi par la disette, par la terreur de vos armes, par les surprises plutôt que par les combats, parce que la fortune en décide plus souvent que la valeur18. »
11Le lecteur attentif, cependant, note qu’il y a plusieurs conditions importantes dans le texte même de Végèce. D’abord, l’auteur sous-entend que ses lecteurs contemporains, et même les soldats, s’attendent à ce qu’un commandant recherche la bataille19. Deuxièmement, ses avertissements en vue d’éviter la bataille étaient fondés sur la supposition que la défaite pouvait facilement entraîner la perte d’une guerre, voire la disparition d’un royaume : « [La bataille rangée], cette journée incertaine qui décide du sort des nations. C’est dans l’événement d’un combat à force ouverte que consiste la plénitude de la victoire20. » Finalement, Végèce a concilié les risques d’une défaite et les avantages d’une victoire en encourageant ses lecteurs à se battre, comme les modernes le diraient, « avec avantage » (livre III, chapitre 9). Les traités ont illustré la confusion produite par un tel conseil en fournissant une liste entière de facteurs encourageant la recherche de la bataille : si vous avez l’avantage du nombre, du moral, de la configuration du terrain, etc. Encore plus troublant, les lecteurs ont même été encouragés à rechercher la bataille s’il semblait probable que cette décision allait leur être imposée par l’ennemi. En somme, rechercher la bataille pour combattre avec des avantages qui pourraient bientôt disparaître, ou même avec désavantage si la menace d’une dégradation de la situation planait. Il n’est donc pas étonnant que Végèce consacre des pages à décrire la meilleure façon de conduire la bataille, comment y forcer un ennemi et comment se remettre d’une défaite et éviter de perdre la guerre. L’aphorisme vigoureux de De re militari a explicitement découragé la recherche de la bataille et a averti de ses risques, mais cette prudence a été contredite par sa description détaillée de la façon de la chercher et de la conduire en évitant la défaite totale.
12Bien des traités français de la première modernité ont répété la croyance dans le caractère risqué de la bataille, non pas parce qu’elle pouvait être un bain de sang à l’issue indécise, mais parce qu’elle pouvait mener à l’annihilation d’un camp par l’autre. Paul Hay du Chastelet a répété ce refrain familier dans son passage intitulé « Des batailles » :
« Les batailles font la décision de la guerre, et les siècles passez ne nous ont point laissé d’exemples qui nous fassent voir qu’une conqueste se soit autrement achevée. Les sièges consument trop de temps, et font périr trop de monde21. »
13Quelques auteurs de traité ont abandonné l’avertissement et ont simplement décrit les nombreuses raisons pour lesquelles on pourrait rechercher la bataille22. Seul parmi ses pairs, Les Travaux de Mars en trois volumes de Manesson-Mallet consacrent seulement quelques pages à informer superficiellement ses lecteurs sur la bataille23.
14Peu de traités ont été publiés en France pendant la guerre de Succession d’Espagne. Mais le comportement prudent de Louis XIV a échoué à changer la croyance théorique dans les batailles décisives. En effet, dans sa dernière guerre, les batailles ont réaffirmé à la fois leur capacité à déterminer le résultat des campagnes sur un théâtre d’opérations, et les dangers de les risquer et de les perdre. Feuquières a conseillé des stratégies distinctes pour différents types de guerre, et était assez peu partisan des batailles, mais il a aussi affirmé leur capacité à « décid[er] souvent du succès de toute la guerre, au moins et presque toujours de la campagne24 ». Dans l’introduction au chapitre du marquis de Quincy sur la bataille, celui-ci avertit ainsi le lecteur : « Nous allons parler de la plus brillante de toutes les actions de la guerre, dont les suites décident quelquefois de la perte ou de l’agrandissement des États25. » Guignard avait le même argument : « Un combat général est sans contredit l’opération la plus importante qui se fasse à la guerre : souvent il décide du sort d’un État entier26. » Pendant le xviie siècle et une bonne partie du xviiie, les auteurs français de traités militaires ont accepté le potentiel décisif de la bataille et prétendu qu’elle permettait fréquemment de gagner des guerres, même s’ils n’étaient pas d’accord sur les occasions dans lesquelles elle devait être recherchée.
À quel point Louis XIV aima-t-il réellement la bataille durant la guerre de Succession d’Espagne ?
15Cette seconde question met de côté les épineux problèmes de la façon dont les traités théoriques ont été lus et lesquels, le cas échéant, pourraient avoir influencé Louis XIV. Elle examine plutôt les conditions dans lesquelles il a choisi la bataille en Flandre pendant la guerre de Succession d’Espagne. Je commencerai ici par l’observation suivante : pour comprendre si Louis XIV a voulu des batailles, nous ne pouvons pas simplement compter le nombre de celles qui ont effectivement eu lieu, comme les historiens le font souvent. Nous savons que dans la période considérée, il fallait que les deux belligérants acceptent la bataille pour qu’elle ait lieu, le désir d’un seul camp n’étant normalement pas suffisant : les quatre batailles majeures livrées dans les Flandres furent rares en ce qu’elles virent tant les Français que les alliés désirer la bataille en même temps et au même endroit27. Plus fréquemment, cependant, Louis XIV écrivit à ses généraux pour les encourager à combattre, et parfois même pour les supplier de le faire. Ces appels sont les indications du désir de bataille du roi, même si une bataille ne s’est finalement pas concrétisée. Donc la question à poser est : dans quelles conditions Louis XIV voulait-il que ses armées de Flandre combattent ?
16Pour comprendre ses décisions, il faut détailler la logique qui a amené la décision de livrer bataille. Les conseils théoriques d’éviter la bataille sont de peu d’intérêt pour de vrais dirigeants et les chefs militaires confrontés à une situation spécifique, particulièrement quand ces conseils étaient accompagnés de nombreux encouragements à rechercher la bataille lorsque l’on a l’avantage. La décision d’accepter une bataille en rase campagne a finalement reposé sur le calcul des probabilités et des conséquences possibles dans une atmosphère d’incertitude. D’abord sont évalués la probabilité de gagner la bataille et l’impact qu’une victoire aurait sur la campagne ou la guerre ; ensuite, la probabilité d’une défaite et ses conséquences. Comme un pari, la bataille était risquée, mais si elle était gagnée, même Végèce reconnaissait que les gains pouvaient bien en valoir le risque. Les historiens de la France moderne pourraient évoquer un troisième résultat tout aussi probable : qu’une bataille ne désigne pas de vainqueur. Le prix d’une telle égalité devait aussi être pris en compte. En continuant la métaphore sur le jeu, l’empressement à risquer la bataille pouvait aussi dépendre de la somme d’argent qui était en jeu. Ainsi, un avertissement de « n’accepter la bataille qu’avec avantage » peut être interprété très différemment selon l’assurance du décideur, sa capacité de juger avec précision les forces en présence dans une situation donnée et selon qu’une défaite potentielle peut ruiner ses gains ou ceux de l’adversaire. De façon générale, les historiens ont soutenu que la bataille était évitée parce que le gain attendu d’une victoire était inférieur aux pertes encourues en cas de la défaite.
17Pendant la plus grande partie de son règne, Louis XIV a refusé d’engager des paris sur des batailles risquées. Ses premières guerres ont, raisonnablement, encouragé les historiens à souligner sa préférence pour les sièges. Il a aussi préféré le siège à la bataille dans les opérations offensives de la guerre de Succession d’Espagne. Dans les Pays-Bas, celles-ci ont consisté principalement en manœuvres et sièges, comme par exemple le siège infructueux de Hulst par Vauban en 1702. De même, ses opérations de contre-offensive étaient aussi des sièges, qu’il s’agît du siège de Huy en 1703 alors que l’armée des Alliés sous Marlborough était sur la Moselle, ou de l’offensive poursuivie après Denain par Villars en 1712. Il a aussi compté sur plusieurs sièges destinés à faire diversion pour soulager la pression ailleurs, comme celui de Bruxelles pendant le siège allié de Lille en 1708. Jusque-là, Louis XIV ressemble au prototype du stratège porté sur la défensive. Et sa préoccupation défensive d’un point de vue stratégique n’a pu qu’être renforcée par le besoin de défendre les frontières de plus en plus rationnelles que vingt-cinq années de guerre avaient dessinées28.
18Mais Louis XIV fut rarement à l’offensive durant sa dernière guerre. Pour la première fois en quarante ans de gouvernement personnel, il contrôlait tous les territoires espagnols pour lesquels il avait lutté jusque-là avant même que la guerre n’ait commencé. Aussitôt que des troupes françaises eurent occupé les Pays-Bas espagnols au nom de Philippe V en 1701, les troupes de Louis XIV commencèrent à renforcer les forteresses délabrées et s’inquiétèrent de la meilleure manière de défendre tous ces nouveaux territoires avec si peu de troupes. Néanmoins, Louis XIV choisit d’en rester à une stratégie défensive en Italie, en Flandre et en Espagne. Cette posture défensive a rendu le choix entre bataille et siège sans objet, sauf pour quelques cibles évidentes comme la Flandre hollandaise et la forteresse hollandaise isolée de Maastricht. Comment donc cette position défensive a-t-elle affecté sa fameuse préférence pour les sièges ?
19Il est devenu évident, dès la première campagne de Flandre, que la dynamique stratégique des guerres précédentes n’était plus pertinente : les territoires espagnols étaient désormais alliés et non plus ennemis. Comme des garnisons françaises, espagnoles et du duc de Bavière contrôlaient toutes les villes contestées en Flandre espagnole et en Brabant, les Alliés passèrent à l’offensive en 1702, en commençant par le siège de Kaiserswerth, sur le Rhin inférieur. La ville tomba finalement, mais cela fournit l’occasion (manquée) de rattraper une armée alliée en retraite vers Nimègue. Une telle manœuvre offensive en rase campagne deviendrait de moins en moins commune au fur et à mesure de la guerre. Des troupes anglaises, menées par le duc de Marlborough, renforcèrent bientôt l’armée hollandaise et les Alliés commencèrent à dégager les forteresses de la Meuse vers Maastricht. Mais une fois que les Français eurent choisi la défensive, le paradoxe inhérent à une stratégie de défense de position apparut. À chaque fois que Louis XIV ordonna à son armée d’éviter de risquer une bataille majeure, comme il le fit souvent, les Alliés eurent recours à un siège. Si l’objectif pouvait être identifié à l’avance, la première réaction de la France était de faire manœuvrer son armée de manière à empêcher un investissement. Une guerre menée sur un front de 200 kilomètres, cependant, offrait aux Alliés de trop nombreuses cibles. Une fois qu’ils avaient investi leur objectif, d’autres méthodes étaient utilisées pour gêner le siège : harceler les lignes de siège, empêcher le ravitaillement de l’ennemi, détourner son attention en menaçant un objectif éloigné, etc. Pourtant ces contre-mesures furent presque toujours infructueuses, en grande partie en raison de la vitesse avec laquelle les garnisons se rendirent et de la capacité des Alliés à constituer une armée d’observation indépendante de l’armée de siège. L’échec de telles mesures a créé un dilemme pour le roi de France : une bataille de secours devait-elle être risquée ? En raison de l’efficacité des sièges menés par les Alliés, Louis XIV dut prendre cette décision difficile rapidement, vu l’alarmante régularité avec laquelle ses forteresses (et celles de son petit-fils et de son allié bavarois) tombaient aux mains des Alliés29. Cette impuissance face à la guerre de siège menée par ses ennemis a exigé que Louis XIV reconsidère son aversion pour la bataille.
20En août 1702, Louis XIV devint mécontent de l’échec de Boufflers dans sa tentative de sauver la ville assiégée de Venlo, dont la chute pouvait mettre en danger la Gueldre et les communications françaises avec le Rhin inférieur, et par ailleurs détruire son allié Wittelsbach. Le roi envoya donc des ordres de se rapprocher de l’ennemi dans l’espoir que cela créerait une occasion de l’attaquer avec avantage :
« Cette extrémité, dis-je, me donne lieu de croire qu’il n’y a point d’autre parti à prendre que de vous rapprocher des ennemis encore davantage que vous ne l’êtes, s’il est possible de vous tenir sur eux marche sur marche, et d’être toujours à portée de les combattre s’ils se séparent devant vous, ou s’ils font quelque mouvement dont le duc de Bourgogne puisse profiter30. »
21Les manœuvres de Boufflers échouèrent ; Venlo tomba. En conséquence, Boufflers défendit sa conduite et celle de son royal élève en mettant en évidence leurs tentatives de provoquer la bataille et leur impuissance devant le fait qu’une bataille ne pouvait être livrée avec avantage : « Il n’y avait qu’un combat avantageux qui pût rompre les desseins des ennemis ; Monseigneur le duc de Bourgogne en a cherché l’occasion avec toute la vivacité possible pendant toute la campagne31… » Plus tard dans l’année, le roi changea de cap. Ses ordres de sauver Liège, ville d’une importance capitale, n’inclurent pas l’approbation du risque d’une bataille à l’issue douteuse contre un ennemi numériquement supérieur, « car il pouvait y avoir des pertes pires que Liège32 ». Un nouveau maréchal français, le duc de Villeroi, prit le commandement l’année suivante, mais dut faire face au même paradoxe : comment empêcher les conquêtes des Alliés en ne recherchant la bataille que dans des conditions avantageuses ?
22Les campagnes de Villeroi en Flandre de 1703 à 1705 se déroulèrent de la même façon : les Alliés capturant les petites forteresses de la Flandre espagnole (et du Limbourg) et Louis XIV refusant de risquer la bataille pour les sauver. En 1705 l’armée de Marlborough réussit finalement à percer les lignes françaises, rendant les villes du Brabant espagnol vulnérables à une attaque ; les Alliés profiteraient de cette nouvelle situation stratégique l’année suivante. Inquiet de la direction que prenait la guerre, Louis XIV fut encouragé à prendre l’offensive sur tous les théâtres d’opérations, afin de montrer la puissance française et d’entraîner les Alliés à faire des concessions à la table de négociations. En conséquence, les suggestions de Louis XIV au début de la campagne furent parmi les plus risquées qu’il ait faites. Avec son armée de Flandre supérieure en nombre à celle de ses ennemis, il souligna à Villeroi l’importance de réunir ses forces, de se rapprocher de l’ennemi et de prendre Léau : « Le plus grand inconvénient qui pourrait arriver, ce serait d’être exposé à donner ou recevoir la bataille ; mes troupes n’en ont point perdu de mon règne, à nombre à peu près égal… Ce projet me paraît utile et sans aucun risque33. » Maintenant Louis XIV encourageait Villeroi à engager une bataille, juste pour permettre le siège d’une bicoque ! Livrer une bataille pour ouvrir un siège semble complètement contraire à l’aversion du risque ; la pression en faveur d’une fin de la guerre, combinée avec sa foi constante en ses troupes, l’a encouragé à jeter la prudence au vent et à tenter le coup.
23Le résultat, nous le savons, fut un désastre pour les Français ; la sagesse que représentait l’aversion traditionnelle de Louis XIV pour le pari des batailles en rase campagne fut confirmée. Durant la retraite, Villeroi fut relevé de son commandement et le maréchal de Vendôme fut rappelé d’Italie pour étancher l’hémorragie des pertes françaises. Entre-temps toute l’armée en campagne dut être dispersée jusqu’à ce que Vendôme ait pu la reconstituer de nouveau en août. Les Alliés continuèrent à assiéger une série de places espagnoles : Ostende, Menin, Dendermonde et finalement Ath. Plutôt que de tenter de s’opposer frontalement aux projets de siège de l’ennemi victorieux, un mémorandum de Chamlay concluait qu’une bataille pour rompre un siège était hors de question :
« Il ne paraît guère convenir au service du roi, dans l’état où les affaires sont aux Pays-Bas, de s’exposer à une affaire générale avec un ennemi qui peut au besoin réunir presque toutes ses forces pour les opposer à l’armée du roi lorsqu’elle s’approchera de lui pour tenter le secours de Menin34. »
24Louis XIV rappela plus tard à Vendôme le seul risque qu’il ne voulait plus prendre : « Tous ces inconvénients me paraissaient moins à craindre, même la perte d’une place ou deux, que celle d’une bataille, si vous étiez forcé de la donner, et que l’événement n’en fut pas heureux35. » Avec des renforts arrivant des autres théâtres d’opérations, Vendôme suggéra de tenter une autre bataille en rase campagne pour sauver la forteresse d’Ath. Le roi répéta son opinion :
« Dans la situation où sont les affaires, le parti le plus sage est de ne point se commettre : c’est la conduite que je désire que vous teniez jusqu’à la fin de la campagne, et que vous évitiez d’en venir à un combat, en vous servant néanmoins d’ailleurs de toutes sortes de moyens pour fatiguer les ennemis36. »
25Vendôme reçut l’ordre de conjurer l’effondrement français, mais avec l’interdiction de risquer une bataille.
26Après les désastres de 1706, la situation s’améliora pour la France. Les deux camps se focalisèrent plus au sud, aboutissant aux deux victoires des Bourbons à Almanza et Toulon. La campagne française de 1708 commença en Flandre avec la conquête surprise de Bruges et de Gand, bouleversant le plan d’opérations de Marlborough et donnant du cœur aux armées françaises. Vendôme dirigeait une armée commandée en titre par le petit-fils de Louis XIV, le duc de Bourgogne, tandis qu’une autre force plus petite était commandée par le duc de Berwick. L’armée de Marlborough attendait l’arrivée du prince autrichien Eugène de Savoie marchant depuis la Moselle. Vendôme en appela au roi pour profiter de la situation et reçut la permission d’attaquer si la cavalerie pouvait combattre avec avantage37. Entravé pendant tout le mois de juin, l’impatient maréchal prit finalement l’initiative lui-même et se déplaça à la mi-juillet pour assiéger la place délabrée d’Audenarde avant que l’ennemi ne puisse unir ses deux armées. Se précipitant vers la ville, le maréchal français reçut l’information que les forces de Marlborough essayaient de franchir la rivière à Audenarde pour en empêcher la chute. Désireux de les combattre, il se jeta avec une aile de l’armée dans la bataille. Malheureusement pour sa cause, le jeune dauphin ne voulut pas se joindre au combat avec l’autre aile de l’armée – Vendôme fut forcé de se retirer de cette bataille de rencontre, sans pourtant se reconnaître vaincu. Les Français reculèrent vers le nord et se retranchèrent derrière le canal de Gand, forçant les Alliés à changer de direction pour assiéger un des chefs-d’œuvre de Vauban : Lille. Louis XIV considérait cette étoile du nord comme si importante qu’il donna des ordres inhabituellement explicites pour la sauver à tout prix :
« Je suis obligé de vous dire, quoique j’approuve les partis de sagesse et de précaution, qu’il y a certains cas dans lesquels on se trouve dans la nécessité de hasarder ; et j’ai résolu de le faire si les ennemis se déterminent à faire le siège de Lille, comme il y a lieu de le croire… Il n’y a que la seule ville de Lille qui puisse m’obliger à prendre le parti de tenter tous les moyens pour empêcher les ennemis de la prendre38. »
27Pendant le premier mois du siège, les Français essayèrent de délivrer la garnison en coupant les convois de ravitaillement de l’ennemi. Après que ces méthodes ont échoué à sauver Boufflers et les défenseurs de Lille, Vendôme soumit au roi un projet d’attaque de la force d’observation de l’ennemi dans ses retranchements encore incomplets : « Nous les attaquerons, ou la chose sera tout à fait impossible39. » Berwick ne fut pas d’accord avec ce plan et les deux maréchaux envoyèrent des lettres à la Cour plaidant leur cause. Louis XIV fut alors forcé de prendre une décision, car ses deux généraux étaient en désaccord sur la faisabilité du projet. Étant donné l’importance de Lille et la préoccupation des Alliés pour le siège, le roi approuva le plan de Vendôme. Mais comme l’armée française combinée essayait de se mettre en position sur la plaine au sud de Lille, les deux maréchaux opposés et leurs partisans respectifs se querellèrent à nouveau. Bourgogne, l’arbitre suprême sur le terrain, était coincé entre les deux. En se rappelant la confiance extrême de Vendôme à Audenarde, il hésita et écrivit à Versailles pour demander des instructions ; les inquiétudes de Berwick concernant la perte de l’armée de campagne l’avaient convaincu. Louis XIV écrivit sa surprise que ses ordres de sauver la ville à n’importe quel prix n’aient pas été exécutés ; il renouvela son exigence d’aller au combat, mettant la question dans les mains de Dieu40. Toujours aucune bataille n’en résulta, et le 7 septembre Louis XIV alla jusqu’à envoyer le secrétaire d’État de la Guerre, Michel Chamillart en personne, au camp de l’armée pour forcer une attaque. À son arrivée, Chamillart trouva l’armée entière divisée entre Vendômistes et Bourguignons. Le conseil de guerre s’accorda finalement pour marcher vers l’ennemi en formation de bataille, de façon à sauver les apparences, mais plusieurs jours de retard avaient permis aux Alliés de construire de solides positions défensives. Même Vendôme dut alors admettre qu’il était trop tard. Déçu de l’indécision de son petit-fils, le roi lui donna des leçons sur la nature des propositions de la Cour : « Tout ce que je pourrais prévoir d’ici deviendra inutile, si vous n’agissez de jour à autre suivant les connaissances que vous aurez et les différents partis que prendront les ennemis41. » C’était au monarque de déterminer les objectifs majeurs et leur importance, mais la volonté royale ne pouvait pas, par elle-même, dicter les détails de la campagne. Pour réussir, les stratèges de cabinet non seulement voulaient, mais encore avaient besoin sur le terrain d’une prise de décision intelligente et opportuniste.
28Louis remplaça les querelleurs Vendôme et Bourgogne par Villars en 1709 et changea d’attitude, avertissant ce général offensif des risques de la bataille – peut-être trouva-t-il plus facile de retenir un commandant d’armée offensif que de pousser au combat un général passif. Conscient des tendances agressives du maréchal, Louis XIV rappela à Villars les risques de la bataille :
« Vous seriez plus en état d’aller les attaquer et les combattre avant qu’ils y fussent bien établis et retranchés, et je vous en laisse la liberté, au cas que vous croyiez pouvoir le faire avec quelque avantage et succès, observant néanmoins que, dans un combat, dont l’événement est toujours douteux, je risque plus que mes ennemis, parce que, s’ils le perdaient, le gain de la bataille ne me mettrait pas en état de faire de grands progrès sur eux ; et si, au contraire, ils avaient l’avantage, ils pourraient en profiter pour pénétrer dans mon royaume et se rendre maîtres de quelques-unes des places de l’Artois qui sont moins en état de défense que celles de ma première frontière. Vous sentez assez la force et les conséquences de cette réflexion pour ne pas engager légèrement une action42. »
29Le roi laissa à Villars la décision finale de risquer la bataille pour délivrer la place forte de Tournai, mais il replaçait également cette décision dans le contexte stratégique dans son ensemble. Il réaffirma à Villars sa confiance :
« Je vous répète néanmoins que je vous laisse la liberté de profiter des avantages que vous croirez pouvoir prendre sur les ennemis, au cas qu’après le siège de Tournay ils forment de nouvelles entreprises, me remettant entièrement à votre prudence et à votre bonne conduite, ne cherchant point à prendre un parti extrême, mais seulement à profiter des occasions que les différents mouvements des armées font naître et dont vous seul pouvez parfaitement juger43. »
30Louis XIV reconnaissait que seul son chef d’armée sur le terrain pouvait juger efficacement la situation – Villars reçut cette autorité bien que le roi ne fût pas certain qu’il garderait à l’esprit le contexte plus large de la campagne. Pour s’en assurer, le monarque énonça clairement ses buts et de plus renouvela l’expression de son aversion pour les prises de risques inutiles. Après que Tournai fut tombé, Villars profita de son approbation pour se battre « quand vous croiriez pouvoir le faire avec quelque avantage ; j’estime qu’il vaut toujours mieux n’être pas forcé à chercher l’occasion du combat44 ». Les Alliés le recherchèrent aussi et le choc qui en résulta à Malplaquet finit en un bain de sang. Bien que subissant des pertes de 20000 hommes, les Alliés gardèrent possession du champ de bataille et retournèrent assiéger Mons. Considérant Malplaquet comme une victoire pour les Bourbons, Louis XIV fit comprendre qu’il n’accepterait pas le risque d’une autre bataille pour sauver la ville, particulièrement alors que les Alliés allaient passer le reste de la campagne à jeter leurs hommes contre les murs d’une autre forteresse45.
31Les Alliés se mirent tôt en campagne en 1710, investissant Douai fin avril avant que les Français ne puissent eux-mêmes complètement entrer en campagne. Cette fois, Louis XIV ordonna à ses généraux de secourir la ville par la bataille46. Villars, assisté par Berwick et le duc de Montesquiou, nommé maréchal depuis peu, essaya d’attirer les Alliés dans une bataille. Villars attaqua même plusieurs avant-postes le long de leurs lignes de contrevallation, mais l’ennemi ne mordit pas à l’hameçon.
32Face à l’armée alliée, pratiquement entière, retranchée derrière des lignes fortifiées soutenues par 100 canons, Villars, Berwick et Montesquiou conclurent qu’une attaque était hors de question. Pour justifier leur échec dans cette mission d’une si grande importance, Villars décrivit à la Cour les nombreux facteurs qui rendaient une attaque impossible : « je dirai encore qu’il n’est pas impossible de forcer l’ennemi, mais que le désavantage est trop grand pour attaquer ». Montrant le consensus parmi ses subordonnés, il écrivait :
« Après avoir bien examiné tout ce qui pouvait être entrepris sur l’ennemi, M. le maréchal de Berwick, M. le maréchal de Montesquieu, et tout ce qu’il y a d’officiers généraux, auxquels on peut croire plus de fermeté et d’ardeur pour le service de Votre Majesté, sont persuadés que l’on ne peut attaquer l’armée ennemie sans mettre celle de Votre Majesté dans un péril très apparent de recevoir un très grand échec, et je ne désavouerai point que je n’y croye aussi quelque péril47. »
33Face à ces comptes rendus unanimes, Louis XIV laissa la décision à Villars. Comme il lui écrivit : « Vous savez que je me suis toujours remis à ce que vous jugeriez par vous-même sur la possibilité et l’espérance d’y réussir48. »
34À quelques jours seulement de la reddition de Douai et avec de futures opérations ennemies à perturber, Villars soutint que seule une bataille pourrait empêcher la prise de l’objectif suivant des Alliés, très probablement la petite forteresse de Béthune au nord-ouest. Le 10 juin, le roi avait déjà fait savoir à Villars qu’il ne devrait pas hésiter à chercher à livrer bataille si l’ennemi préparait un autre siège49. Villars, sentant peut-être l’indécision du monarque, informa le nouveau secrétaire d’État de la Guerre Daniel Voysin de divisions dans le commandement français, évoquant les souvenirs de 1708 et sans aucun doute espérant forcer Sa Majesté à lui donner carte blanche de façon explicite :
« M. le maréchal de Berwick est persuadé qu’il faut éviter une affaire générale. Je suis persuadé, moi, qu’on ne peut l’éviter sans se résoudre à perdre des places. M. de Turenne le jugeait ainsi dans le temps que les armées étaient tout au plus de trente à quarante mille hommes. Présentement que celle des ennemis est de plus de cent dix mille hommes effectifs, et celle du roi de quatre-vingts, les principes sont encore bien plus certains, puisque l’armée d’observation une fois placée, et ayant deux fois vingt-quatre heures d’avance et même moins, se retranche de manière que vous ne pouvez l’attaquer qu’en hasardant de beaucoup perdre sans être sûr de réussir50. »
35Il soulevait, en d’autres termes, la question de la possibilité même de livrer bataille avec avantage pour sauver une place assiégée : une attaque contre un ennemi retranché était très risquée avec pour autant peu d’espoir de succès – c’était encore plus périlleux qu’une bataille en rase campagne, expliquait-il. Puis il explicita le lien entre l’interdiction générale du roi de risquer une bataille en rase campagne et ses résultats inévitables :
« Je vois pourtant, dans votre lettre, que l’intérêt du roi n’est pas de chercher à risquer une bataille, à moins que ce ne soit pour empêcher les ennemis d’entreprendre un nouveau siège de quelque place importante ; ce sont les mêmes termes. »
36Aucune série de manœuvres ne forcerait les Alliés à abandonner leur siège une fois que leurs lignes auraient été construites, argumenta-t-il, alors qu’attaquer les lignes elles-mêmes était beaucoup trop risqué. Dans cette même lettre, il alla jusqu’à exiger que le roi accepte explicitement les conséquences du refus de la bataille :
« Il faut que vous me fassiez l’honneur de me mander que si le secours de Béthune est estimé trop difficile, il faut en laisser le siège, et, en attendant, songer uniquement à me poster le mieux que je pourrai pour ne pas m’éloigner d’Arras ; car en vérité, Monsieur, tout ceci est si sérieux et si important qu’il serait nécessaire que j’eusse des ordres positifs dans tous les cas que je vous expose. »
37Ici nous voyons un chef offensif insister pour que le roi lui donne des ordres explicites. Pas convaincu que Louis XIV ait accepté la nécessité de livrer bataille, Villars soutenait de nouveau un mois plus tard que c’était la seule option à même d’empêcher de nouvelles avancées de l’ennemi. La réponse de Louis XIV à la mi-juillet indique que Villars s’était fait comprendre, mais le monarque insistait toujours sur la nécessité d’un combat en situation avantageuse :
« Le gain d’une bataille serait le seul moyen d’empêcher la prise de Béthune, et d’arrêter les progrès de mes ennemis ; mais je ne dois pas aussi risquer de la donner avec désavantage, par les suites qu’une bataille perdue pourrait avoir. Je m’en remets entièrement à votre prudence, sachant bien que l’événement d’un combat est toujours incertain, et je ne désire autre chose pour vous déterminer à attaquer les ennemis, sinon que vous jugiez le pouvoir faire avec égalité51. »
38Le roi approuvait maintenant une bataille à chances égales, ce qui voulait toujours dire aucune bataille. Six semaines plus tard, comme les Alliés se préparaient à ouvrir la tranchée contre Aire, Voysin élimina tout espoir persistant que Villars aurait pu avoir conservé, précisant en des termes on ne peut plus clairs les intentions du roi :
« Vous m’avez fait l’honneur de me marquer, il y a déjà du temps, que ce n’était pas trop votre sentiment de chercher à engager une affaire générale, et c’est ce qui a déterminé Sa Majesté à vous donner des ordres contraires. Elle est encore dans la même résolution ; et s’il est question, dans la suite, de combattre les ennemis, ce ne pourrait être que sur la fin du siège d’Aire, lorsque leur armée sera encore plus fatiguée et plus affaiblie qu’elle ne l’est présentement. Il est bien vrai que leur armée d’observation aura le temps de se retrancher, et c’est sur quoi on doit juger qu’on ne trouvera pas plus d’occasion de combattre à la fin de la campagne qu’au commencement52. »
39Il n’y aurait aucune bataille sans l’approbation explicite du roi. Malgré le désaccord entre la Cour et le chef de l’armée sur le fait de rechercher ou pas une bataille en rase campagne, Louis XIV reconnaissait que Villars était toujours le meilleur homme pour résister à la poussée des Alliés dans le Nord. En préparant la campagne de 1711, Voysin prédit des sièges alliés le long de la côte mais avertit de nouveau Villars de ne pas « livrer une bataille pour une place qui, par elle-même, ne paraît pas mériter qu’on hasarde un aussi grand événement, puisqu’on ne veut pas le risquer pour d’autres plus considérables53 ». Une fois la saison commencée, l’inaction alliée sur ce théâtre d’opérations a poussé la Cour à détacher des forces de l’armée de Villars pour renforcer une offensive sur le théâtre allemand, où « on aura moins de peine à se déterminer d’y risquer une action considérable qu’on ne ferait en Flandre, où les armées se trouvent trop proches de nous54 ». Louis XIV fournit de nouveaux conseils à son subordonné, Voysin expliquant qu’une bataille en rase campagne impliquant l’une des deux armées françaises serait acceptable, tandis que « Sa Majesté a cru qu’il était plus prudent de ne pas se commettre à une affaire générale et décisive, parce que, dans le cas d’un mauvais événement, il restait peu de ressources, et la perte d’Arras suivait presque nécessairement55 ». Une semaine après que Voysin a exprimé la conviction de la Cour que les Alliés n’assiégeraient pas de forteresses en Flandre, Marlborough se déplaça rapidement pour investir Bouchain. Les retranchements alliés le long du terrain irrégulier et détrempé entourant la ville déjouèrent les tentatives de secourir la garnison ; Villars rappela encore une fois à la Cour que n’importe quel effort pour faire lever le siège exigerait d’engager le combat sans avantage56. Le consentement d’arrière-saison de Voysin à une bataille au cas où les Alliés assiégeraient Le Quesnoy ou Valenciennes était devenu hors de propos car les Alliés passèrent le reste de la campagne à réparer les fortifications endommagées de Bouchain et à démolir le labyrinthe des tranchées ayant servi au siège57.
40L’année 1712 serait la dernière année de guerre à grande échelle impliquant tous les belligérants, et la nouvelle saison vit les premières victoires importantes des Français dans les Pays-Bas depuis le début de la guerre. À la fin de 1711, le très redouté duc de Marlborough avait été démis de ses fonctions et le gouvernement tory nouvellement élu négociait secrètement un cessez-le-feu avec les Français. Se lassant des demandes pressantes d’ordres précis de la part de Villars, le secrétaire d’État de la Guerre lui fit la leçon une fois de plus sur la manière selon laquelle la guerre de cabinet devait fonctionner :
« Sa Majesté m’a ordonné de vous répéter encore les réflexions qu’elle a cru devoir faire ; après, elle se remet à vous de choisir le parti que vous croirez le meilleur pour son service ; et quand vous y serez bien déterminé, il m’a paru qu’elle serait bien aise que vous me le marquassiez plus décisivement58. »
41L’armée anglaise commandée par le duc d’Ormond suivait des instructions quasi-secrètes de passivité, laissant les Hollandais et Impériaux assiéger Le Quesnoy. Même avec le contingent anglais marchant vers Dunkerque, la Grande Alliance diminuée était maintenant à la limite de percer le fameux pré carré de Vauban, la double ligne de forteresses protégeant Paris. Villars reçut l’ordre de rester inactif pendant que les touches finales étaient apportées au cessez-le-feu anglo-français, tandis que les Alliés prirent la ville en deux semaines de tranchée59. Peu de temps après, sous l’effet d’une situation devenant désespérée, le secrétaire d’État poussa Villars à engager le combat :
« Sa Majesté croit qu’il vaut beaucoup mieux risquer l’événement d’un combat que de souffrir que les ennemis se rendent maîtres de cette place, après laquelle il n’en resterait plus d’autres sur cette frontière que le château de Guise, qui n’empêcherait pas que les ennemis n’eussent une entrée libre dans les provinces de Soissonnais et de Champagne60. »
42Landrecies étant en train d’être investie, la Cour devint de plus en plus mécontente de la façon hésitante dont Villars exécutait ses ordres. Le monarque lui-même répondit à une de ses lettres :
« Vous vous trouverez dans la nécessite d’engager une action générale, que le comte de Coigny vous a dit ne pouvoir être donnée qu’avec désavantage par la nature du lieu ; et vous demandez mes ordres. Je ne crois pas pouvoir mieux m’expliquer que j’ai fait par mes lettres précédentes. Mon intention n’est pas de vous engager à faire ce qui est impossible ; mais, pour tout ce qu’il est possible d’entreprendre pour secourir Landrecies et empêcher que les ennemis ne se rendent maîtres de cette place, vous devez le faire ; votre lettre n’explique point en quoi consiste le désavantage qui peut se trouver en attaquant les ennemis entre la Sambre et le ruisseau de Prisches. Je suis persuadé que les ennemis ne manqueront pas de profiter du temps que vous leur donnez, et la chose demande une détermination plus prompte. Vous pourriez également prendre votre parti sur mes précédentes lettres, que je ne fais que vous confirmer par celle-ci, sans demander de nouveaux ordres. […] Enfin, c’est à vous à déterminer et le temps et le lieu de l’action, et à prendre tous les meilleurs arrangements pour y réussir61. »
43Ici la tension non résolue entre les vœux du roi et son incapacité à s’assurer de leur exécution est plus grande que jamais. Quand la Cour apprit que Villars avait l’intention de mettre à exécution son propre plan d’attaquer un avant-poste allié isolé plutôt qu’attaquer directement la principale armée de siège, le ton de Voysin montra un sentiment de résignation :
« Le principal objet du roi est d’empêcher qu’ils ne se rendent maîtres de Landrecies, et si vous y réussissiez en attaquant le camp de Denain, vous y aurez honneur, et Sa Majesté sera très contente ; mais si, après toutes les réflexions que vous faites, Landrecies se trouvait pris, il semble que vous en prenez sur vous l’événement et toutes les suites. Toutes vos lettres sont pleines de réflexions sur le hasard d’une bataille ; mais peut-être n’en faites-vous pas assez sur les tristes conséquences de n’en point donner et de laisser pénétrer les ennemis jusque dans le royaume, en prenant toutes les places qu’ils veulent attaquer62. »
44Plutôt que la bataille de secours ordonnée par la Cour, Villars mît à exécution son propre plan, plus modeste. L’attaque sur Denain fut un succès, bientôt suivi par la prise du dépôt allié à Marchiennes. Ces défaites combinées forcèrent le prince Eugène à lever le siège de Landrecies début août. La marée refluait. Dans la victoire, les dissensions passées furent mises de côté. Voysin apaisa tous les doutes que Villars pouvait avoir eus, lui assurant que le roi était enchanté qu’il ait sagement choisi et exécuté le choix le « moins hasardeux63 ». Une bataille certes mineure avait finalement aidé à lever un siège allié, victoire de dernière minute dans le processus souvent contesté de la stratégie de négociation.
45Le récit précédent illustre la difficulté de résumer les conceptions de Louis XIV sur la bataille pour un seul théâtre d’opérations pendant l’une de ses cinq guerres. Même pendant la guerre de Succession d’Espagne, il a préféré des sièges quand il menait l’offensive. Pourtant, ironiquement, sa décision de rester sur la défensive l’a ramené au besoin de risquer la bataille. Il l’a recherchée en de multiples occasions, non pas pour réaliser un coup gagnant mettant fin à la guerre, mais pour défendre son territoire, soit en permettant un siège, soit en faisant lever un siège. Cette interaction entre la bataille et le siège a compliqué les calculs déjà complexes soulevés par la décision de risquer une bataille. Dans la situation où une bataille de secours était nécessaire, son risque devait être pesé en considérant la perte de la place si une bataille n’avait pas lieu. Comme la plupart des sièges réussissaient, il y avait une quasi-certitude qu’éviter une bataille de secours mènerait à la perte de la ville. Si l’on compare cette perte certaine d’une place avec le risque moins probable d’une défaite dans une bataille de secours, cette bataille pouvait en général valoir la peine d’être risquée. Non seulement parce que la perte de la ville était ce qui était le plus dangereux, mais aussi parce que le gain (sauver la ville) serait plus grand que n’importe quel avantage opérationnel minimal tiré d’une victoire en rase campagne. Évidemment, l’ampleur de la victoire nécessaire dans une bataille de secours pour forcer un assiégeant à lever un siège pouvait aussi être moindre, et donc plus facile à atteindre, que la victoire plus complète qui était nécessaire pour acquérir un avantage opérationnel significatif après une bataille en rase campagne. Louis XIV a appliqué ce calcul dans son insistance fréquente pour livrer une bataille de secours avec l’avantage.
46C’est dans ce contexte que Louis XIV a activement et systématiquement poussé ses chefs d’armée à livrer une bataille en rase campagne pour délivrer une forteresse assiégée. Mais ceci dérogeait à ses règles. Seules certaines positions stratégiques valaient une bataille de secours : il les considérait comme des points-clés dont la perte aurait un effet domino. Dans de tels cas, la bataille représentait un effort défensif désespéré. Le fait qu’il prenne de tels risques suggère qu’il avait plus de certitude, et de crainte, des dangers de la capitulation d’un verrou défensif que de ceux d’une défaite en rase campagne. Ce calcul est, il faut le noter, compatible avec la description psychologique d’une aversion à la perte. Quelqu’un qui a déjà perdu (ou s’attend à perdre) prendra plus de risques pour éviter cette perte ou de nouvelles pertes. À retracer les négociations de Louis XIV avec ses chefs d’armée sur le degré d’avantage nécessaire pour engager une bataille, il semble presque qu’il croyait qu’une bataille livrée avec avantage éliminait les risques même de la défaite – plus grande était la probabilité de victoire, moins destructrice serait la défaite. Ainsi, quand il s’agissait de sauver ses forteresses clés, Louis XIV, bien que d’esprit défensif, était davantage prêt à prendre des risques que nous le pensons.
Le fait que Louis XIV ait aimé la bataille ou pas a-t-il eu de l’importance ?
47Cependant, même un monarque « absolu » n’avait pas le contrôle complet de son armée. Les exemples précédents illustrent aussi que les considérations personnelles de Louis XIV sur la bataille étaient rarement le facteur déterminant, particulièrement lorsqu’il essayait d’en provoquer une. Même dans le proche théâtre d’opérations des Flandres, le Roi-Soleil n’a jamais forcé ses commandants d’armée à agir, ce qui confirme les récentes recherches sur la guerre de cabinet louisquatorzienne64. C’est à Lille qu’il fut le plus près de le faire, mais même là, il a dû se modérer quand son secrétaire d’État de la Guerre lui annonça que l’ennemi était vraiment trop solidement retranché. Les dissensions dans le commandement, par exemple entre Berwick et Vendôme à Lille et avec Villars à Béthune, ont autant gêné les plans de Louis XIV que les retranchements alliés. Concernant les batailles de secours, comme dans la plupart des opérations, le Roi-Soleil pouvait seulement prier, intimider ou encourager ses généraux. La réticence des chefs d’armée de Louis XIV à livrer bataille fut aussi importante que les décisions personnelles du Roi-Soleil. Ainsi, l’idée de se battre « avec avantage » était discutée entre le roi et son commandant d’armée. À la Cour, elle encourageait Louis XIV à croire qu’une bataille de secours était aussi désirable que possible si elle pouvait être engagée avec l’avantage.
48L’expérience française en Flandre illustre également le risque de la dépendance envers les chefs d’armée. Les généraux du roi mettaient un veto à ses désirs quand ils soulignaient le risque de se battre sans un tel avantage. Plusieurs parmi les maréchaux du roi étaient de mauvais juges de la situation précédant la bataille, ce qui les a en réalité poussés à croire qu’ils se battaient « avec l’avantage ». De façon doublement dommageable, ces mêmes chefs d’armée ont eu tendance à conduire la bataille de façon encore moins habile, gaspillant tout l’avantage initial qu’ils pouvaient avoir eu. L’exemple le plus parlant de la dangereuse dépendance du Roi-Soleil envers ses serviteurs est le triste cas de Villeroi. En 1701, il l’envoya en Italie pour remplacer le trop passif Catinat, le poussant à se battre pour empêcher l’armée du prince Eugène d’hiverner dans la vallée du Pô65. Le fait que Louis XIV ait été enclin à risquer un engagement en rase campagne pour gagner un avantage économique à court terme illustre sa conception de la guerre comme un processus et son absence de crainte qu’une bataille perdue puisse être décisive. Comme l’illustra la bataille de Chiari qui en résulta, Louis XIV avait tort de placer sa confiance en Villeroi, bien que l’attaque bâclée de celui-ci sur les fortifications du prince Eugène n’ait pas causé la perte de la guerre. De façon encore plus étonnante pour des historiens s’attendant à ce que Louis XIV, en conséquence, évite une nouvelle bataille, la lettre qu’il écrivit après le combat réaffirma à Villeroi que la bataille était toujours une option : « Je vous dois dire encore une fois, quoyque je vous l’aye mandé par ma précédente, que les ordres que je vous ay donnés de combattre les ennemis ne vous obligent point à les attaquer avec désavantage ; il faut éviter de le faire si vous n’aurez pas lieu d’espérer un heureux succès66. » Dans ce contexte du harcèlement continu de Louis XIV pour livrer bataille en situation avantageuse, la plainte de Villeroi après Ramillies – « mais devais-je éviter la bataille avec l’avantage ? » – illustre les risques de ce rappel constant du Roi-Soleil à l’adresse d’un chef à peine compétent. Louis XIV donna à Villeroi – le vaincu de Chiari, le captif de Crémone, le perdant des lignes du Brabant et le fonceur de Ramillies – assez de corde pour se pendre plusieurs fois. C’était un des risques encourus pour qui recherchait la bataille en menant une guerre de cabinet.
49D’autres historiens ont noté que Louis XIV s’écartait occasionnellement de sa ligne de conduite prudente consistant à éviter la bataille. Mais ce qui frappe dans les ordres qu’il a donnés pendant la guerre de Succession d’Espagne est le fait qu’il s’est accroché constamment à l’idée que, aux moments critiques, la bataille était la meilleure option. En de très rares occasions, il a jeté toute prudence aux vents et a directement ordonné de livrer une bataille pour faciliter un siège. Plus souvent, il a exprimé une volonté théorique de permettre une bataille de secours, mais a ensuite reculé quand les chances n’étaient pas favorables, ou quand les encouragements donnés à son chef d’armée pour engager le combat n’étaient pas suivis d’effet. Ce débat sur la bataille « avec l’avantage » est la clé de la compréhension de la recherche française de la bataille.
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50Ainsi revient-on à la question posée en ouverture : Louis XIV a-t-il vraiment trop aimé les batailles ? D’une certaine façon, la réponse est oui. S’il n’avait pas encouragé ses commandants d’armée à livrer des batailles comme Blenheim et Ramillies, qui sait comment les théâtres d’opérations d’Allemagne et des Flandres, et plus généralement la guerre, auraient évolué ? Il est probablement juste de dire que Louis XIV a aimé la bataille si elle était engagée avec l’avantage. Mais la conception qu’il avait de « l’avantage » était d’une nature particulière. Il soulignait constamment l’importance d’éviter un combat désavantageux, et pourtant il ne semblait pas apprécier le danger de demander à des chefs d’armée peu compétents de décider s’ils avaient l’avantage ou pas, ni envisager la possibilité qu’un avantage initial pouvait être gaspillé par un commandement incompétent.
51Louis XIV n’aimait peut-être pas la bataille, mais sa crainte de perdre des forteresses clés l’a mené à un engouement persistant pour l’idée de la bataille de secours, quand toutes les autres options de dégagement étaient épuisées. La quasi-certitude qu’une forteresse clé pouvait tomber l’a poussé à accepter les risques d’une bataille, non seulement avec l’avantage, mais même à chances égales. Notez que ceci s’applique non seulement à ses propres places fortes, mais aussi à celles de son petit-fils et même à celles de son allié. Il a craint la perte de Venlo, de Lille, Maubeuge, Douai, Béthune ou Landrecies plus qu’il n’a craint la possibilité qu’une bataille de secours se métamorphosât en une défaite décisive. En fait, une seule de ces batailles de secours (Malplaquet) a réellement eu lieu. Peut-être, alors, la réticence de Roi-Soleil à forcer ses chefs d’armée à engager une bataille risquée lui a-t-elle permis d’aimer les batailles de secours plus qu’il ne l’aurait dû.
Notes de bas de page
1 Cet article a été traduit par le capitaine Jean-Pascal Esparceil, du département histoire et symbolique du Service historique de la Défense. Qu’il en soit remercié.
2 Joël Cornette, Le roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Paris, Payot, 2000, p. 255-261.
3 En plus de Joël Cornette, voir aussi Martha Pollak, Cities at War in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, p. 142-153.
4 John Keegan, The Face of Battle, New York, Viking Press, 1976. Pour une discussion sur les tendances récentes de la nouvelle histoire-bataille française, voir Clément Oury, Les défaites françaises de la guerre de Succession d’Espagne, 1704-1708, thèse de doctorat, université de Paris-Sorbonne, Centre d’histoire de l’Europe centrale, 2011, p. 8-9.
5 Voir les sources et la discussion dans Jamel Ostwald, « The “Decisive” Battle of Ramillies, 1706 : Prerequisites for Decisiveness in Early Modern Warfare », Journal of Military History 64 (2000), p. 650-656.
6 Jamel Ostwald, « Popular English Perceptions of Louis XIV’s Way of War », dans Tony Claydon et Charles-Édouard Levillain (dir.), Louis XIV Outside in : Images of the Sun King Beyond France, 1661-1715, Surrey, Ashgate Publishing, 2015, p. 93-110.
7 Winston Churchill, Marlborough : His Life and Times, 2 vol., Chicago, University of Chicago Press, 2002 ; David Chandler, Marlborough as Military Commander, New York, Penguin, 2000 ; et Richard Holmes, Marlborough : Britain’s Greatest General, Londres, Harper Perennial, 2008.
8 Hans Delbrück, The Dawn of Modern Warfare : History of the Art of War, University of Nebraska Press, 1990, p. 306-315 ; Beatrice Heuser, The Evolution of Strategy : Thinking War from Antiquity to the Present, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, p. 89-97.
9 John B. Wolf, Louis XIV, New York, W. W. Norton & Company, 1974, et « Louis XIV, Soldier-King », dans John C. Rule (dir.), Louis XIV and the Craft of Kingship, Columbus, Ohio State University Press, 1969, p. 196-223.
10 Jean-Philippe Cénat, Le roi stratège. Louis XIV et la direction de la guerre 1661-1715, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 301-304 (« priorité à la guerre de siège face à l’incertitude des batailles »), p. 299 (« une science rationnelle et moins sujette aux hasards des combats ») ; Jean-Philippe Cénat, Chamlay. Le stratège secret de Louis XIV, Paris, Belin, 2011, p. 136-137 : « On considère généralement que le roi, et surtout Louvois, étaient par principe hostiles à toute idée de bataille. Pour ces derniers, celle-ci était trop risquée et pouvait en cas d’échec entraîner des conséquences désastreuses. »
11 John Lynn, Wars of Louis XIV, p. 369 : des fruits coûteux et limités, ainsi que l’imprévisibilité « décourageaient les grandes rencontres en rase campagne » ; John Lynn, Giant of the Grand Siècle : The French Army, 1610-1715, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 530-532 : Louis avait « un dégoût évident pour la bataille ».
12 Géza Perjés, « Army Provisioning, Logistics and Strategy in the Second Half of the 17th Century », Acta Historica Academiae Scientiarum Hungaricae, 1970, n° 16, p. 7-51 ; Jean Milot, « Un problème opérationnel du xviie siècle illustré par un cas régional », Revue du Nord, 1971, n° 53, p. 269-285.
13 Jean-Pierre Bois, « Approche historiographique de la tactique à l’époque moderne », Revue historique des armées, 1997, p. 23-30.
14 Jamel Ostwald, « The “Decisive” Battle of Ramillies, 1706 », art. cit., p. 649-677 ; Clément Oury, Les défaites françaises de la guerre de Succession d’Espagne, op. cit. ; Bertrand Fonck, Le maréchal de Luxembourg et le commandement des armées sous Louis XIV, Seyssel, Champ Vallon, 2014.
15 John A. Lynn, « Food, Funds, and Fortresses : Resource Mobilization and Positional Warfare in the Campaigns of Louis XIV », dans John A. Lynn (dir.), Feeding Mars : Logistics in Western Warfare from the Middle Ages to the Present, Boulder, Westview Press, 1993, p. 137-160 ; George Satterfield, Princes, Posts and Partisans : The Army of Louis XIV and Partisan Warfare in the Netherlands (1673- 1678), Leyde, Brill Academic Publishers, 2003, et Bertrand Fonck et George Satterfield, « The Essence of War : French Armies and Small War in the Low Countries (1672-1697) », Small Wars & Insurgencies, 2014, 25, n° 4, p. 767-783.
16 Peter Burke, The Fabrication of Louis XIV, New Haven, Yale University Press, 1994 ; Joël Cornette, Le roi de guerre, op. cit., p. 255-261 ; Martha Pollak, Cities at War in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, p. 143-153.
17 L’influence de Végèce est plus particulièrement soulignée par les historiens anglophones, à l’exception de plusieurs travaux de Philippe Richardot : « La tradition moderne du De re militari de Végèce », dans Pol Defosse (dir.), Hommages à Carl Deroux, t. V, Christianisme et Moyen Âge, Néo-latin et survivance de la latinité, Bruxelles, Peeters Publishers, 2003, p. 537-544.
18 Flavius Végèce, De re militari, livre III, chapitre 26 (citations extraites de la traduction publiée dans Ammien Marcellin, Jornandès, Frontin (Les Stratagèmes), Végèce, Modestus avec la traduction en français publiés sous la direction de M. Nisard, Paris, Firmin-Didot, 1885).
19 Réclamant au lecteur de la patience lorsqu’il discute des raids et des embuscades (livre III, chap. 9) ; prévenant de ne pas laisser ses propres soldats savoir qu’on refuse la bataille (livre III, chap. 22) ; se référant à une discussion préalable sur les techniques de non-bataille comme à une matière « mineure » (livre III, chap. 11).
20 Ibid., livre III, chap. 11.
21 Paul Hay du Chastelet, Traité de la guerre ou politique militaire, Amsterdam, 1668, p. 82-83.
22 D’Aigremont, Pratique et maximes de la guerre, Paris, 1652, p. 61. Louis de Gaya, L’Art de la guerre et la manière dont on la fait aujourd’huy en France, Paris, 1689, p. 83, notait simplement que les batailles étaient moins fréquentes que dans le passé et dressait la liste de ce que devait faire un général qui souhaitait hazarder une bataille. Les Instructions politiques pour un gentilhomme (Paris, 1695, p. 147) répétaient les recommandations de Turenne d’envahir et de livrer une bataille, qui donne le pays.
23 Alain Manesson-Mallet, Les Travaux de mars ou L’art de la guerre, 1684, vol. 3, p. 200-202.
24 Antoine de Pas de Feuquières, Mémoires sur la guerre, t. I, p. 249.
25 Charles Sevin, marquis de Quincy, L’Art de la guerre, La Haye, 1728, t. I, p. 96.
26 Pierre Claude de Guignard, L’École de mars, Paris, 1725, t. II, p. 401.
27 Jamel Ostwald, « The “Decisive” Battle of Ramillies », art. cit., p. 657-665.
28 Une évocation récente de l’obsession de Louis XIV pour la défense de tout son territoire se trouve dans Phil Mccluskey, Absolute Monarchy on the Frontiers, Manchester, Manchester University Press, 2013, p. 33.
29 Sur la prépondérance des sièges durant la guerre de Succession d’Espagne, voir Jamel Ostwald, Vauban under Siege : Engineering Efficiency and Martial Vigor in the War of the Spanish Succession, Leyde, Brill, 2007.
30 Louis Pelet et François-Eugène de Vault, Mémoires militaires relatifs à la succession d’Espagne sous Louis XIV : extraits de la correspondance de la cour et des généraux, Paris, Imprimerie royale, 1835-1862, t. II, p. 91, Louis XIV à Boufflers, Versailles, 22 août 1702.
31 Ibid., t. II, p. 573.
32 John Wolf, Louis XIV, New York, Norton, 1974, p. 522.
33 Mémoires militaires relatifs à la succession d’Espagne, op. cit., t. VI, p. 17, Louis XIV à Villeroi, 6 mai 1706.
34 Ibid., t. VI, p. 513, Mémoire de M. de Chamlay, 25 juillet 1706.
35 Ibid., t. VI, p. 107, Louis XIV à Vendôme, 24 août 1706.
36 Ibid., t. VI, p. 119, Louis XIV à Vendôme, 7 septembre 1706.
37 Ibid., t. IX, p. 74.
38 Ibid., t. VIII, p. 53-53, Louis XIV au duc de Bourgogne, 27 juillet 1708.
39 Cité dans Maurice Sautai, Le siège de la ville et de la citadelle de Lille en 1708, Lille, Lefebvre-Ducrocq, 1899, p. 101.
40 Ibid., p. 136-140.
41 Mémoires militaires relatifs à la succession d’Espagne, op. cit., t. VIII, p. 463, Louis XIV au duc de Bourgogne, Versailles, 3 octobre 1708.
42 SHD, GR A1 2146, n° 62, Louis XIV à Villars, Versailles, 20 juillet 1709.
43 Ibid.
44 Mémoires militaires relatifs à la succession d’Espagne, op. cit., t. IX, p. 74, Louis XIV à Villars, Marly, 6 août 1709.
45 SHD, GR A1 2153, n° 8. Cependant, il affirma son soutien hypothétique à une bataille en rase campagne si la ville de Maubeuge était en danger (GR A1 2153, n° 71). La saison finit avant que la résolution de Louis XIV puisse être mise à l’épreuve.
46 SHD, GR A1 2215, n° 126, Voysin à Villars, 29 mai 1710.
47 SHD, GR A1 2215, n° 131, Villars à Louis XIV, Arleux, 31 mai 1710. Le chevalier de Quincy rapporte des rumeurs selon lesquelles Villars avait en fait plaidé pendant le conseil de guerre en faveur d’une attaque, mais tous les autres généraux s’y opposèrent (Mémoires du maréchal de Villars, Paris, Renouard, 1889, t. 3, p. 85).
48 SHD, GR A1 2297, n° 8, Louis XIV à Villars, Marly, 1er juin 1710.
49 SHD, GR A1 2215, n° 169, Louis XIV à Villars, 10 juin 1710.
50 SHD, GR A1 2215, n° 207, Villars à Voysin, Haucourt, 19 juin 1710.
51 Mémoires militaires relatifs à la succession d’Espagne, op. cit., t. X, p. 63, Louis XIV à Villars, Marly, 22 juillet 1710.
52 Ibid., p. 85, Voysin à Villars, 11 septembre 1710.
53 Ibid., p. 606, Voysin à Villars, Marly, 22 mai 1711 (voir aussi p. 592, lettre du 26 avril 1711).
54 Ibid., p. 618, Voysin à Villars, Marly, 25 juin 1711.
55 Ibid., p. 634, Voysin à Villars, Fontainebleau, 2 août 1711.
56 Ibid., p. 646, Villars à Voysin, 21 août 1711.
57 Ibid., p. 664 and 667, Voysin à Villars, 11 septembre 1711.
58 Mémoires militaires relatifs à la succession d’Espagne, op. cit., t. XI, p. 459, Voysin à Villars, Versailles, 24 mai 1712.
59 Ibid., p. 464, 13 juin 1712.
60 Ibid., p. 486, Voysin à Villars, Marly, 6 juillet 1712.
61 Ibid., p. 71, Louis XIV à Villars, Fontainebleau, 21 juillet 1712.
62 SHD, GR A1 2422, 2e partie, n° 115, Voysin à Villars, Fontainebleau, 23 juillet 1712.
63 Mémoires militaires relatifs à la succession d’Espagne, op. cit., t. XI, p. 504, Voysin à Villars, 27 juillet 1712.
64 Pour de récentes analyses sur la guerre de Succession d’Espagne, voir Jean-Philippe Cénat, Le roi stratège, op. cit., p. 217-220, et Clément Oury, Les défaites françaises, op. cit.
65 Mémoires militaires relatifs à la succession d’Espagne, op. cit., t. I, p. 599.
66 SHD, GR A1 1507, fol. 31, au fol. 45-45 v°.
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