Johann Beckmann et les sciences camérales du xviiie siècle
p. 123-138
Texte intégral
Introduction
1Les recherches sur Johann Beckmann (qui ont connu un essor important depuis les années 1970) présentent de ce dernier une image qui oscille entre deux pôles. D’une part, il est présenté comme le fondateur de disciplines qui se sont affirmées et autonomisées au cours du xixe siècle : il s’agit d’abord de l’agronomie et de la « connaissance des marchandises » (Warenkunde), mais aussi et surtout de la technologie1. Ce statut de père fondateur vient à la fois de ses écrits et des enseignements qu’il a dispensés durant sa carrière à l’université de Göttingen. La perspective retenue dans ces travaux est celle de disciplines modernes dont il s’agit de retracer rétrospectivement les origines et l’évolution. D’autre part, de nombreux travaux ont souligné que les écrits de J. Beckmann s’insèrent étroitement dans les sciences camérales telles que celles-ci se développent pendant la seconde moitié du xviiie siècle dans les universités allemandes, et notamment à l’université de Göttingen2. Ce lien étroit de Beckmann aux sciences camérales est notamment illustré par les rééditions qu’il a publiées de deux traités de Johann Heinrich Gottlob von Justi, à savoir les Grundsätze der Policeywissenschaft (1782) et la Vollständige Abhandlung der Manufakturen und Fabriken (rééditée en 1780, puis en 1789). Comme le remarque Andre Wakefield, la qualification de Beckmann comme « caméraliste » n’est cependant pas unanimement acceptée3 : les historiens du caméralisme l’excluent souvent du groupe canonique des caméralistes (qui comprend notamment Georg Heinrich Zincke, Justi, Joseph von Sonnenfels, Johann Friedrich von Pfeiffer ou Johann Heinrich Jung-Stilling) et il est vrai que Beckmann n’a pas publié de traité sur des disciplines relevant des sciences camérales telles que la police ou les finances.
2Afin d’évaluer leurs liens avec les sciences camérales, il convient de replacer les écrits de Beckmann non seulement dans le contexte des débats théoriques et intellectuels de la seconde moitié du xviiie siècle sur la création des richesses, mais également par rapport à un certain nombre d’enjeux politiques et sociaux qui apparaissent notamment dans ses deux écrits majeurs consacrés à la technologie : l’Anleitung zur Technologie (publié pour la première fois en 1777) et l’Entwurf der algemeinen Technologie de 1806.
3Après avoir dans un premier temps présenté la manière dont Beckmann envisage la production des richesses, on analysera l’inscription de ses écrits (notamment la technologie) dans le complexe des sciences camérales. On abordera enfin les enjeux sociaux liés à la technologie qui ne concernent pas seulement le champ intellectuel ou universitaire mais qui engagent une vision des rapports entre savants, administrateurs et travailleurs.
La réflexion sur le processus de production des richesses
La place centrale de la « technologie »
4Comme Beckmann l’a fait lui-même, plusieurs historiens ont souligné la cohérence du projet qui unit trois de ses publications majeures, à savoir son manuel sur l’agriculture (Grundsätze der teutschen Landwirthschaft, dont la première édition date de 1769), l’Anleitung zur Technologie et son manuel de science du commerce, publié en 17894 : ces traités étudient le processus par lequel des ressources naturelles (« naturalia ») et des matières premières sont transformées en produits ou en marchandises qui seront ensuite commercialisés5. Si la chronologie de ces trois publications correspond à la succession des différentes étapes du processus de production des richesses (production des matières premières, transformation de celles-ci en marchandises et commercialisation des marchandises ainsi produites), il faut cependant se garder d’en surestimer la cohérence intellectuelle car cette chronologie s’explique en partie par les contingences liées à la carrière de Beckmann au sein de l’université de Göttingen6.
5Dans la préface des Grundsätze der teutschen Landwirthschaft, Beckmann affirme que cet ouvrage a pour but de rassembler les connaissances nécessaires au paysan pour la production à la fois des ressources alimentaires et des matières premières en vue de leur transformation7. Il souligne l’importance du secteur agricole pour l’approvisionnement de l’artisanat, des manufactures et des fabriques et reprend ainsi un thème qui est récurrent chez les caméralistes allemands au xviiie siècle. Cette valorisation de la production de matières premières est l’une des manifestations de la formation d’un regard « économique » sur la nature8, lié à la conscience de la rareté des ressources naturelles, ce qui impose aux gouvernements la nécessité de maximiser l’exploitation de ces ressources disponibles au sein d’un territoire. Ce souci se traduit chez Beckmann par son appel à approfondir l’étude des matières premières brutes ou semi-brutes qui sont soumises à la transformation par l’élaboration d’une « connaissance des matières premières » (« Materialkunde »)9.
6Dans ses écrits technologiques, Beckmann se concentre surtout sur l’étape intermédiaire entre la production des matières premières et la commercialisation de la marchandise : celle de la transformation de ces matières premières en marchandises, ce qu’il appelle le secteur des métiers10, auquel il adjoint les fabriques et les manufactures qui relèvent pour lui d’une pratique « en grand » de l’activité artisanale, avec pour les fabriques l’utilisation d’une force adjuvante (le « feu » et le « marteau »)11. La finalité de la technologie est ainsi de mettre à disposition les connaissances nécessaires à cette exploitation complète des matières premières et des ressources naturelles12.
7En définissant la production de marchandises artisanales ou manufacturées comme l’étape cruciale du processus de production des richesses, Beckmann s’inscrit pleinement dans le discours des sciences camérales du xviiie siècle. En effet, les traités de sciences camérales ne répondent pas uniquement au souci d’augmenter les recettes (fiscales ou douanières) des États de l’Empire, mais également à la nécessité de faire des propositions de « politique économique » afin de favoriser l’essor économique de ces territoires. Le discours caméraliste est en particulier très sensible à la problématique du retard économique des États « allemands » par rapport à l’Angleterre, la France ou les Provinces-Unies. Cette question est apparue dans l’Empire dans la seconde moitié du xviie siècle, avec l’émergence d’un « mercantilisme d’Empire » et elle retrouve toute son actualité aux lendemains de la guerre de Sept Ans. L’avance prise par l’Angleterre dans le domaine de la production manufacturière est un élément de cette question qui est de plus en plus souvent évoqué dans le dernier tiers du xviiie siècle et au début du xixe siècle. Ainsi, dans la préface de son Entwurf der algemeinen Technologie (1806), Beckmann évoque l’avance prise par l’Angleterre dans le secteur textile grâce au développement de la filature mécanique et au recours au travail des enfants, alors que les fabricants allemands n’auraient ni les moyens financiers, ni les sources d’énergie nécessaires à l’acquisition et à l’utilisation de ces machines13.
8De même, par son plaidoyer en faveur d’une étude scientifique de cette phase de transformation des matières premières en marchandises, Beckmann s’inscrit dans la lignée des propositions de caméralistes tels que Julius Bernhard von Rohr, Joachim Georg Darjes ou Justi qui ont accordé à cette question une place importante dans leurs écrits14. Dans son traité sur les manufactures et les fabriques, publié en 1758 et réédité par Beckmann en 1780 puis en 1789, Justi avait tenté de systématiser la production des marchandises de deux manières. La première distinguait d’une part les métiers artisanaux, qui sont intégrés dans une organisation corporative, et d’autre part les manufactures et les fabriques qui sont extérieures au cadre corporatif. La seconde partait des matières premières utilisées (par exemple les fibres textiles : laine, lin, coton, soie…) ; ce classement à partir des matières premières travaillées se retrouve également chez Darjes et, au moment où Beckmann publie la première édition de son manuel de technologie, chez Johann Friedrich Pfeiffer, en particulier dans son traité sur les manufactures et les fabriques en Allemagne (1780). Cependant, Darjes et Pfeiffer prennent également en compte dans leur typologie des manufactures et des fabriques la nature du produit final (draps, papier, faïences, porcelaine, etc.)15. Dans la préface de l’Anleitung, Beckmann rejette explicitement ces trois critères (insertion dans le cadre corporatif, matières premières utilisées, nature de la marchandise produite) et en privilégie un autre :
« Après beaucoup d’essais, il m’a semblé que la solution la plus avantageuse était de rassembler dans une même section les métiers dont les principales tâches reposent sur l’égalité ou la similitude dans le procédé, de telle sorte que seront mentionnés d’abord les plus simples et ensuite les plus artificiels16. »
9Cette démarche lui permet ainsi de prendre congé de l’approche descriptive qui prévaut dans l’histoire des arts, qui ne permet pas selon lui de systématiser le processus de production des marchandises.
10Ce qui prévaut dans le manuel de technologie publié en 1777 est en effet une approche centrée sur le processus concret de transformation (par le travail manuel et le recours à des outils) des matières premières en marchandises, processus qui est à l’œuvre au sein de l’atelier artisanal, de la manufacture ou de la fabrique. Ceci est cohérent avec une définition des unités de production et des agents économiques par rapport à leur activité (agriculture, artisanat, commerce) et non par rapport à leur ancrage institutionnel puisque, comme on l’a vu, Beckmann ne fait pas du cadre corporatif un critère permettant de distinguer l’artisanat des manufactures et des fabriques17. De même, en fondant sa typologie des activités productives sur le procédé, Beckmann fait abstraction d’un autre critère, celui de la considération ou de l’estime sociale dont bénéficie telle ou telle activité ; en procédant ainsi, il relativise la distinction entre arts libéraux et arts mécaniques, dont il dénonce à la suite de Diderot les effets nocifs et l’inadaptation à une « présentation scientifique18 ».
11Les fondements théoriques de cette approche de la technologie ont été discutés dans l’historiographie. Selon Torsten Meyer, les sciences camérales de la seconde moitié du xviiie siècle sont traversées par une tension entre l’affirmation selon laquelle la nature seule produit des richesses et l’idée d’une émancipation du travail humain par rapport à la nature, émancipation dont l’insistance sur le thème de l’application industrieuse (« Fleiss »), serait une manifestation. Cette tension reflèterait une incertitude métaphysique au sujet des rapports nature/travail humain dans la création de la valeur19. De fait, les caméralistes défendent une théorie dualiste dans laquelle les richesses sont le résultat d’une combinaison, variable selon les activités et les biens, des ressources naturelles et du travail humain. Le terme de « produit » (« Produkt ») est polysémique puisqu’il désigne aussi bien les productions de la nature que les artefacts créés par les hommes20. En outre, la notion de richesse est rapportée à la catégorie de « besoins », la satisfaction des besoins étant la condition de réalisation de la « félicité terrestre ». La transmutation d’une matière première ou d’un produit naturel (les « naturalia ») en marchandise résulte ainsi non seulement de la transformation « technologique » de cette ressource, mais aussi de la capacité du produit ainsi obtenu à satisfaire des besoins. C’est donc la possibilité d’être commercialisé qui fait du produit une marchandise, la vente de cette dernière étant l’étape ultime du processus de création des richesses.
12De ce point de vue, Beckmann reprend les analyses des caméralistes (dont Justi) selon lesquelles le secteur de l’artisanat, des manufactures et des fabriques est le fondement principal de la prospérité économique d’un État. D’une part, les marchandises produites par ce secteur ont une valeur supérieure à celle des productions agricoles ou des matières premières, notamment car elles incluent une plus grande quantité de travail21. D’autre part, le développement préalable des productions artisanales et manufacturières est présenté comme le fondement de la prospérité du commerce, et notamment du commerce extérieur à travers une balance commerciale positive.
L’organisation de l’espace économique du territoire
13La manière dont Beckmann envisage la production des richesses s’inscrit, comme chez les caméralistes du xviiie siècle, dans une vision précise de l’organisation économique de l’espace : d’une part, l’espace rural est celui de la production agricole, de la production (et d’une première transformation) des ressources naturelles en « Materialien » ; d’autre part, la ville est le lieu à la fois de la transformation de ces matières premières en marchandises et de la commercialisation de ces marchandises22. Beckmann reprend ainsi un modèle d’organisation dualiste de l’espace, fondé sur la distinction « Landwirtschaft » (économie rurale)/ « Stadtwirtschaft » (économie urbaine), qui est formalisée dans les années 1750 par Darjes.
14Ces deux catégories renvoient à des espaces économiques puisque les caméralistes préconisent une division spatiale du travail, réservant à la campagne l’agriculture et la production de matières premières et aux villes les activités de transformation (artisanat, manufactures) ainsi que le commerce. Ils soulignent en effet que la prospérité économique d’un pays repose sur l’établissement d’une complémentarité optimale entre ces deux secteurs et ces deux espaces d’activité, ceci à l’échelle du territoire étatique23. C’est ce souci qui pousse Beckmann à donner la priorité au développement de productions agricoles destinées non pas à la vente aux consommateurs, mais aux activités industrielles24.
15Il est par conséquent logique que Beckmann formule, sur l’organisation de l’espace économique du territoire, des propositions très proches des analyses des caméralistes. Dans les quelques annotations qu’il a insérées sur ce sujet dans le traité de Justi sur les manufactures et fabriques, Beckmann reprend souvent les prescriptions de ce dernier. Ceci vaut par exemple pour la nécessité d’éviter une localisation des fabriques et des manufactures dans les très grandes villes, dans lesquelles les coûts de production (vivres, salaires, loyers) sont très élevés25. La localisation des manufactures et des fabriques doit en effet obéir aux critères suivants : proximité et (donc) faible coût des matières premières, modicité des loyers, bas prix des vivres et donc du coût de la main-d’œuvre26. Tous ces critères sont liés à la prise en compte de la sphère de la production (la proximité des grands centres urbains de consommation n’est ainsi pas prise en considération) et ils poussent à préconiser une localisation des fabriques et des manufactures dans des petites et moyennes villes.
16De manière plus générale, il convient de souligner que ce programme d’exploitation optimale des ressources du territoire par la complémentarité entre espaces ruraux et villes s’inscrit dans un discours plus général, celui de l’économie politique des sciences camérales.
Technologie et économie politique des sciences camérales
17Beckmann rappelle dans tous ses ouvrages que ceux-ci sont principalement destinés aux futurs caméralistes, c’est-à-dire aux commis ou administrateurs (« Beamten ») chargés d’exercer les compétences de police dévolues aux États territoriaux de l’Empire. Les savants sont un autre ensemble de lecteurs visé, dans la mesure où le savoir qu’ils auront acquis leur permettra de se rendre utiles aux « activités » (« Gewerbe ») et par conséquent à l’État27. En revanche, son ouvrage d’agronomie28 s’adresse explicitement à la fois aux commis, aux propriétaires et aux exploitants agricoles.
18Dans son Anleitung zur Technologie comme dans son manuel de science du commerce, Beckmann ne s’adresse donc pas aux praticiens (artisans ou marchands), comme il le précise dans la préface de ce dernier ouvrage : « Comme le commerce et la police du commerce ont des finalités différentes, celle-ci le profit des marchands, celle-là l’intérêt de l’État, je n’ai pas voulu les mélanger29. » On retrouve ici une distinction entre « science marchande » et « science politique » du commerce, qui est également présente chez Pfeiffer ou Sonnenfels, et l’idée que la première doit être subordonnée à la seconde, conformément à l’idée selon laquelle la notion de « félicité générale » constitue le principe directeur des sciences camérales ou des sciences de l’État.
19Beckmann intègre explicitement les disciplines sur lesquelles il écrit dans l’ensemble des sciences camérales. La préface de l’Anleitung zur Technologie rappelle ainsi qu’il existe un ordre des sciences qui relie l’agriculture, la technologie, la science du commerce, la science de la police (dont les traités de Justi fournissent le modèle) et la science camérale stricto sensu (c’est-à-dire l’étude de la gestion des finances de l’État). Dans cette architecture des sciences camérales, une place stratégique revient à la science de la police car c’est à elle qu’il revient, comme le souligne Justi, de définir les mesures permettant de réaliser la « félicité terrestre » de l’État30 : tandis que les agriculteurs, les artisans, les entrepreneurs de manufactures ou les fabricants et les marchands recherchent leur intérêt privé, la police les guide vers le bien de l’État, elle commande et interdit, quand l’intérêt des individus ne coïncide pas avec celui de l’État.
20Selon Wolfhard Weber, on trouve là une différence fondamentale entre le projet de Beckmann et celui de Diderot qui, dans l’Encyclopédie, voulait promouvoir une amélioration de l’artisanat et des manufactures et s’adressait principalement aux acteurs (ouvriers, maîtres-artisans, entrepreneurs) du processus de production des marchandises31. Pour Beckmann en revanche, la technologie est une science destinée à donner des fondements scientifiques sûrs à la police des arts et des manufactures telle qu’elle est exposée par Justi ou par Pfeiffer.
21La conformité au discours caméraliste de la technologie de Beckmann est renforcée par le fait que celui-ci reprend une figure cruciale dans les sciences camérales de la seconde moitié du xviiie siècle : la métaphore de l’État-machine32. Beckmann y recourt, dans l’Anleitung zur Technologie, notamment pour traiter de l’articulation de l’intérêt particulier et du bien commun :
« Que le Bürger recherche son intérêt privé ! […] Qu’il obéisse seulement quand l’autorité donne des ordres ; et que celle-ci comprenne et observe ses devoirs. Alors l’État est la machine la plus artificielle que les hommes aient jamais produite, dans laquelle une quantité innombrable de petits et de grands roues et engrenages interviennent les uns dans les autres33. »
22Dans une telle conception de l’organisation économique et sociale d’un État, les commis sont les dépositaires du bien commun, mais la possibilité pour les individus d’agir selon leur intérêt est préservée, comme chez Justi ou Pfeiffer. Le recours à la métaphore de l’État-machine permet ainsi de redéfinir les modalités de l’intervention de l’État : l’activité économique des individus poursuivant leur intérêt peut être économiquement efficace, mais elle s’insère dans un mécanisme qui est à la fois établi, institué, et qui peut être à tout moment modifié ou corrigé par l’action de la police. Une telle approche ne définit pas une sphère économique pleinement autonome ; si les individus peuvent prendre selon leur intérêt particulier des décisions quant à l’allocation des biens et des ressources, il n’en demeure pas moins que la police est à tout moment susceptible de peser sur ces décisions ou de les corriger en vue de l’établissement du « bien commun ». C’est pourquoi l’interprétation, qui voit dans les plaidoyers en faveur de la liberté des individus (des « Bürger ») ou dans les appels à la réduction du champ d’intervention de l’État, une conversion « proto-libérale » des caméralistes34 demande à être nuancée.
Enjeux politiques et sociaux de la technologie
23C’est au nom de ces objectifs et de ces principes que le futur caméraliste doit acquérir des connaissances en technologie, afin de donner des fondements sûrs à la police de l’artisanat, des manufactures et des fabriques, qui sont définis comme le pilier majeur de la prospérité de l’État.
24La réalisation de cet objectif n’implique cependant pas de rapprocher les commis et les praticiens, c’est-à-dire les artisans et les travailleurs. Dès l’introduction de l’Anleitung zur Technologie, Beckmann reprend, comme on l’a vu, les propos de Diderot et d’Alembert sur les effets nocifs du mépris dans lequel les arts mécaniques sont tenus et il incite les savants – notamment ceux qui sont chargés d’enseigner aux futurs administrateurs la technologie dans les cours de sciences camérales – à s’intéresser à cette activité pour se rendre utiles aux métiers, aux manufactures et à l’État :
« Alors les savants aideront les activités sans lesquelles l’État ne peut pas exister, mais qui, parce que, par ignorance et par préjugé, on les a toujours tenues en Allemagne, pour des activités simples et malséantes, ont chuté jusqu’à la classe de la populace la plus commune, la plus ignorante et pauvre, où, telles des graines sur les roches, elles peuvent certes éclore, mais ne peuvent jamais mûrir pleinement par manque de nourriture et de soin35. »
25La distinction entre savants, administrateurs d’une part et praticiens artisans d’autre part est donc nettement tracée : la technologie ne doit pas former des artisans, « lesquels dans l’ensemble ont besoin, pour l’exercice de leurs arts, de beaucoup de dextérité et de gestes qui doivent tous être acquis par un exercice fastidieux, mais qui sont inutiles à ceux à qui je tente de rendre service36 ». Pour illustrer comment hiérarchie sociale et hiérarchie des savoirs se recoupent, Beckmann ajoute que les artisans sont aux caméralistes ce que les pharmaciens sont aux médecins ou les valets de ferme aux cultivateurs37.
26Il souligne en effet que les administrateurs et les artisans (travailleurs) mobilisent des savoirs très différents. D’un côté, les artisans possèdent un savoir-faire décrit comme tacite qui comprend des gestes, qui est acquis par l’expérience, par la pratique, ainsi que par les voyages accomplis par les compagnons. D’un autre côté, les commis doivent acquérir le savoir technologique que Beckmann se propose d’élaborer : il ne s’agit pas de reproduire l’enseignement dispensé dans les ateliers suivant les prescriptions et les habitudes du maître, mais de présenter, dans un ordre systématique, une « instruction approfondie », « de la manière dont […] à partir de vrais principes et d’expériences fiables, on doit trouver les moyens, dont on doit expliquer et utiliser les phénomènes apparaissant lors de la transformation38 ».
27C’est l’importance de ces « vrais principes », dans lesquels on peut lire les éléments d’une réception du rationalisme méthodologique de Christian Wolff39, qui motive le choix de Beckmann d’ordonner la masse de connaissances de la technologie à partir des procédés de fabrication. Il ne vise donc pas une description exhaustive des activités de production, mais une présentation systématique des connaissances utiles :
« Je n’ai souvent fait qu’indiquer les travaux difficiles qui exigent beaucoup de gestes, sans les traiter. En revanche, je me suis efforcé de déterminer les matières premières brutes et les matières premières accessoires, d’indiquer les instruments et les outils ; d’expliquer la terminologie, de décrire les différentes tâches dans l’ordre où elles se déroulent, ou dans lequel elles peuvent le plus facilement être comprises ; d’en indiquer les raisons ; de traiter les différences dans les ustensiles et les travaux qui ne sont pas connues en général, etc.40. »
28La technologie fournit ainsi une propédeutique, un ensemble de connaissances que le commis doit préalablement posséder avant de procéder à des visites d’ateliers et de fabriques comme Beckmann en a régulièrement organisées pour ses étudiants dans le cadre de son enseignement à Göttingen41. La portée de ces visites d’ateliers, de manufactures ou de fabriques est liée à l’importance que Beckmann accorde à la vision, au regard, si bien qu’on a pu parler à son propos d’une « épistémè de la vision42 » car armé de ce savoir technologique, le futur commis pourra décoder les différentes étapes du processus de transformation des matières premières en marchandises.
29Ces visites d’ateliers ont également permis à Beckmann de constater la difficulté à établir un dialogue entre savants ou administrateurs et travailleurs. Celle-ci est explicitement évoquée dès la préface de l’Anleitung zur Technologie : selon lui, on sait en effet
« à quel point il est difficile de consigner par la vision et d’interroger sur l’essentiel et la succession des travaux et sur l’agencement des outils les travailleurs qui pour la plupart ne sont pas habitués à réfléchir sur leurs activités, qui ont encore moins l’envie et la capacité de les expliquer, qui deviennent impatients envers l’étranger ignorant qui les retient avec des questions et des objections, et qui, par niaiserie, cachent, comme un art rare et un secret impossible à étudier, précisément ce sur quoi le savant ou le voyageur se renseigne de manière approfondie43 ».
30Beckmann reprend ici un thème omniprésent dans l’Aufklärung allemande et dans le mouvement encyclopédique européen44 : celui du secret qui est un obstacle à l’élaboration du savoir technologique et au progrès économique. Au cours du xviiie siècle, cet obstacle est régulièrement dénoncé par les caméralistes et les auteurs d’ouvrages ou d’encyclopédies technologiques, notamment par Johann Samuel Halle, auteur d’une vaste description des arts et métiers, dont la publication s’est étalée sur presque trois décennies (1761-1789)45.
31Outre le secret, une seconde difficulté réside dans la langue utilisée par les artisans, question à laquelle Beckmann consacre plusieurs paragraphes dans l’introduction de son manuel de technologie de 1777. La très grande diversité de la terminologie servant à désigner les activités et les outils – diversité qui dépend à la fois des régions et des secteurs d’activité – est présentée comme un obstacle qu’il s’agit de surmonter. C’est pourquoi il en appelle à l’élaboration d’une « terminologie technologique » philosophique ou systématique qui devrait supprimer des synonymes inutiles plutôt que créer de nouveaux termes, ce qui suppose un apprentissage préalable de la langue des artisans46.
32Alors que certains – Daniel Gottfried Schreber, Johann Samuel Halle, Peter Nathanael Sprengel – entendent s’adresser à la fois aux commis en charge de la police, au public éclairé des « Bildungsbürger » et des savants et aux artisans47, Beckmann exclut en 1777 ces derniers du cercle des destinataires visés par son ouvrage. L’enjeu est pour lui de formaliser et de rationaliser le savoir des travailleurs. Quand Beckmann évoque le travail de production dans ce qu’il a de plus concret, il décrit des tâches, des travaux (manuels) qui se succèdent, des gestes, c’est-à-dire des opérations et des pratiques difficiles a priori à formaliser par écrit et qui se transmettent dans le cadre de l’atelier. Son objectif est précisément de doter les caméralistes et les administrateurs d’un savoir permettant de briser le monopole que les artisans, les travailleurs possédaient sur ce savoir qu’il présente comme tacite et informel. Il se situe, comme Diderot, sur le terrain de la confrontation entre « connaissance formelle » et « aptitudes pratiques48 ». Mais sa « technologie » s’inscrit dans un contexte politique et économique différent : l’administration et la police des États territoriaux de l’Empire sont dans les années 1770 confrontés à la nécessité de développer leur potentiel productif pour surmonter les dégâts économiques dus à la guerre de Sept Ans, alors qu’ils sont exposés à des crises de subsistances, dont la plus grave est celle de 1770-1772. Beckmann est d’ailleurs conscient de la spécificité de ce contexte puisqu’il avoue ouvertement s’être référé au Hanovre et à la région de Göttingen dans le choix des secteurs de production traités dans l’Anleitung zur Technologie.
33Cette conception du savoir technologique traduit sans nul doute une « valorisation encyclopédique de la science par rapport au travail humain49 ». Cependant Beckmann et les caméralistes ont tout à fait conscience des savoir-faire et des qualifications que possède la main-d’œuvre des métiers artisanaux. Il suffit pour en avoir confirmation de faire un détour par la manière dont les sciences camérales envisagent la question des corporations50. D’un côté, la critique est sans appel et mentionne les abus des maîtres, la pratique du secret, les rituels désuets et ridicules, la contrainte injustifiée du chef-d’œuvre, les entraves à la concurrence et l’esprit de monopole, le misonéisme des corporations. D’un autre côté, leur abolition pure et simple est rarement proposée. En 1777, Beckmann se réfère à l’expérience de Turgot pour constater que même dans un pays soumis à un gouvernement despotique comme la France, cette abolition n’est pas possible. Et surtout les corporations ont un effet bénéfique majeur car elles assurent la transmission de connaissances et contribuent à la formation de la main-d’œuvre51. De même, malgré son hostilité aux corporations, Pfeiffer précise en 1783 que leur abolition dans les secteurs uniquement voués à la production est d’autant moins recommandée que « les marchandises de ces gens [les artisans] sont destinées au commerce extérieur, où on doit par conséquent être persuadé de l’habileté et de l’honnêteté des travailleurs pour maintenir la bonne réputation des marchandises à exporter52 ».
34À travers l’élaboration de la nouvelle discipline technologique, il s’agit ainsi de définir un savoir formalisé permettant à ses possesseurs (les administrateurs en charge de la police des métiers et des manufactures) de mettre fin au monopole des travailleurs sur le savoir de la production dans ce qu’il a de plus concret. C’est bien pour cette raison que, comme on l’a vu, Beckmann a choisi un critère de classification des activités tourné vers l’étape – centrale – de la production, de la transformation de la matière première en marchandise, à savoir le procédé, et non des critères situés en amont (les matières premières utilisées) ou en aval (les marchandises destinées à la consommation). En possession de ce savoir technologique, les administrateurs pourront œuvrer à l’amélioration des procédés de production et à la maximisation de l’exploitation des ressources du territoire. La volonté de normer le langage technologique relève du même projet : il s’agit, en élaborant une langue technologique légitime, de transférer le pouvoir de nommer (les travaux, les outils) des praticiens (les ouvriers, artisans) aux savants et aux administrateurs, afin de donner à ces derniers les moyens de mettre le savoir technologique au service des objectifs définis par les sciences camérales, c’est-à-dire de l’intérêt de l’État53.
Conclusion : une remise en cause du programme initial au début du xixe siècle ?
35Élaboré dans le dernier quart du xviiie siècle, ce programme de savoir technologique semble au début du xixe siècle en partie remis en cause dans ses dimensions politique et sociale, au moins de deux points de vue.
36En premier lieu, la relation État-individu est redéfinie. Dans la préface de la sixième édition de l’Anleitung zur Technologie (1809), Beckmann ajoute une note en bas de page au passage précédemment cité dans lequel il mobilisait la métaphore de l’État-machine : alors qu’en 1777 l’individu était assimilé à une roue ou à un engrenage, Beckmann précise en 1809 qu’il s’agit de « roues et engrenages sensibles et pensants, ce qui ne doit jamais être oublié par ceux qui doivent veiller au fonctionnement de la grande machine54 ». Cet oxymore exprime bien les tensions qui découlent de l’utilisation d’une métaphore de plus en plus inadaptée et de la contestation de la conception caméraliste de la nature et de l’action de l’État. Il est cependant difficile d’en tirer des conclusions sur une évolution éventuelle des conceptions de Beckmann en matière d’économie et sur une prise de distance vis-à-vis du caméralisme : en 1806, dans le même volume du Vorrat… qui contient l’Entwurf, Beckmann publie une biographie de Justi qui est en partie un hommage et une réhabilitation. Le discrédit dont il est alors l’objet est attribué au fait que ses écrits n’ont pas l’« enjolivement philosophique » alors en vogue55, ce qui est sans doute une allusion à l’empreinte que laisse le kantisme dans l’émergence d’une économie politique inspirée par Adam Smith56.
37En second lieu, l’introduction à l’Entwurf de 1806 fait apparaître un autre déplacement, qui concerne les destinataires du savoir technologique. Beckmann est dans cet ouvrage beaucoup moins disert que dans le manuel de 1777 sur le lectorat auquel il s’adresse. Le commis, l’administrateur n’y sont pas évoqués : Beckmann entend s’adresser aux « savants » et aux praticiens57 qui deviennent, pourvu qu’ils soient éclairés par la science technologique, capables d’être des acteurs de l’innovation en implémentant des procédés dans d’autres contextes que ceux dans lesquels ils avaient été observés initialement :
« Ceci aiderait les artistes et les artisans à acquérir des notions générales et solides sur les objets qu’ils travaillent et sur les procédés usuels qu’il faut suivre, et à leur garantir au moins une orientation qui pourrait guider les esprits inventifs vers de nouveaux perfectionnements utiles58. »
38Ce passage suit un éloge de l’Angleterre où la pratique de l’artisanat est plus « honorée » qu’en Allemagne, ce qui attire des familles riches d’argent et de connaissances.
39Ces éléments semblent témoigner à la fois d’une prise en compte de la capacité des artisans à être des acteurs à part entière du progrès de technique et de l’amélioration des procédés de production59 et d’une remise en cause, au début du xixe siècle, de l’insertion de la technologie dans les sciences camérales. Cette insertion semble fragilisée pour plusieurs raisons : il s’agit d’abord des bouleversements qui affectent à cette époque les sciences de l’État, et notamment de l’émergence de l’économie politique d’inspiration smithiennne qui remet en cause les fondements épistémologiques, l’unité et la logique discursive des sciences camérales, dont les différentes disciplines s’affirment progressivement en savoirs autonomes60. Or l’un des foyers majeurs de cette reconfiguration des savoirs politiques et économiques est précisément l’université de Göttingen, dans laquelle exerce Beckmann61. De manière concomitante, la pratique gouvernementale de la police, héritée du xviiie siècle, est également redéfinie, ce qui se traduit par une réduction tendancielle des compétences et du champ d’intervention de l’État en matière de police des métiers artisanaux, des fabriques et des manufactures. Dans certains États, ceci signifie l’abandon du projet de former des conseillers techniques dépendants de l’administration, conseillers qui auraient reçu une formation à la technologie62.
40L’évolution du statut de la technologie de Beckmann, telle qu’on a tenté de l’esquisser, est cependant graduelle, comme le montre le fait que l’Anleitung est encore rééditée en 1809, soit deux ans après la publication de l’Entwurf. Mais elle indique que le statut de la discipline technologique dépend non seulement de facteurs intellectuels ou cognitifs, mais des défis économiques, sociaux et politiques auxquels les promoteurs de ce savoir entendent répondre63.
Notes de bas de page
1 Banser Gerhard et Reher Ernst-Otto, « Zum 200. Jahrestag des„ Entwurfs der Algemeinen Technologie“von Johann Beckmann », Sitzungsberichte der Leibniz-Sozietät der Wissenschaften zu Berlin, vol. 92, 2007, p. 153-166, ici p. 154-156, qui rappellent que cette définition de Beckmann comme fondateur de la technologie apparaît à la fin du xixe siècle.
2 Weber Wolfhard, « Technik zwischen Wissenschaft und Handwerk. Die Technologie des 18. Jahrhunderts als Lenkungswissenschaft des spätabsolutistischen Staates », in Volker Schmidtchen, Eckhard Jäger (dir.), Wirtschaft, Technik und Geschichte. Beiträge zur Erforschung der Kulturbeziehungen in Deutschland und Osteuropa. Festschrift für Albrecht Timm zum 65. Geburtstag, Berlin, Ulrich Camen, 1980, p. 137-154. Sur l’essor des sciences camérales au xviiie siècle, voir Tribe Keith, Governing Economy. Te Reformation of German Economic Discourse 1750-1840, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
3 Wakefield Andre, « Books, Bureaus, and the Historiography of Cameralism », European Journal of Law and Economics, vol. 19, 2005, p. 311-320, ici p. 315.
4 Beckmann Johann, Anleitung zur Technologie, oder zur Kenntniß der Handwerke, Fabriken und Manufakturen, vornemhlich derer, die mit der Landwirthschaft, Polizey und Cameralwissenschaft in nächster Verbindung stehn. Nebst Beyträgen zur Kunstgeschichte, Göttingen, Vandenhoeck, 1777, préface (non paginée) ; Troitzsch Ulrich, « Landwirtschaftslehre, Technologie, Warenkunde und Technikgeschichte als neue Wissenschaften im späten 18. Jahrhundert : Neuere Forschungen zu Johann Beckmann (1739-1811) », in Uwe Bestmann, Franz Irsigler, Jürgen Schneider (dir.), Hochfinanz, Wirtschaftsräume, Innovationen. Festschrift für Wolfgang von Stromer, 3 vol., Trèves, Auenthal, 1987, vol. 3, p. 1149-1175, ici p. 1152 ; Meyer Torsten, « Die„ Anleitung zur Technologie“(1777) von Johann Beckmann und ihr historischer Kontext. Technologische Bildung in modernisierender Absicht », Zeitsprünge. Forschungen zur Frühen Neuzeit 8, 2004, p. 442-465, ici p. 452-454 ; Bayerl Günter, « Der Zugriff auf das Naturreich : Vorindustrielles Gewerbe und Umwelt », in Günter Bayerl, Jürgen Beckmann (dir.), Johann Beckmann (1739-1811). Beiträge zu Leben, Werk und Wirkung des Begründers der allgemeinen Technologie, Münster, New York, Munich, Berlin, Waxmann, 1999, p. 69-86, ici p. 77-79.
5 Beckmann Johann, Anleitung zur Handlungswissenschaft. Vornehmlich zum Gebrauche derer, welche sich mit Polizey, Cameralwissenschaft, Geschichte und Statistik beschäftigen wollen. Nebst Entwurf zur Handlungsbibliothek, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1789, p. 1.
6 Wakefield Andre, Te Disordered Police State. German Cameralism as Science and Practice, Chicago, University of Chicago Press, 2009, p. 77-79.
7 Beckmann Johann, Grundsätze der teutschen Landwirthschaft (1re édit., 1769) 5e édit., Göttingen, Johann Christian Dieterich, 1802, notamment p. iv, 4.
8 Sur ce thème, voir l’article de Bayerl Günter, « Prolegomenon der„ großen Industrie“. Der technisch-ökonomische Blick auf die Natur im 18. Jahrhundert », in Werner Abelshauser (dir.), Umweltgeschichte. Umweltverträgliches Wirtschaften in historischer Perspektive. Acht Beiträge, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1994, p. 29-56 ; voir, pour un aperçu des débats suscités par cette thèse, Meyer Torsten et Popplow Marcus, « “To employ each of Nature’s products in the most favorable way possible” – Nature as Commodity in Eighteenth-Century German Economic Discourse », Historical Social Research, vol. 29, 2004, n° 4, p. 4-40, notamment p. 5-9.
9 Beckmann J., Anleitung zur Technologie, op. cit., p. xvi.
10 Weber W., « Technik zwischen Wissenschaft und Handwerk », art. cit., p. 146.
11 Beckmann reprend là aussi des définitions récurrentes chez les caméralistes, même si la distinction entre « manufactures » et « fabriques » est souvent floue : voir Troitzsch Ulrich, « Manufakturen in Deutschland und ihre theoretische Behandlung in der kameralistischen Literatur. Ansätze zu einem Vergleich », in Jürgen Schneider (dir.), Wirtschaftskräfte und Wirtschaftswege. Festschrift für Hermann Kellenbenz, Stuttgart, Klett-Cotta, 1978, vol. 4, p. 611-624 (ici p. 611).
12 Meyer Torsten, « Wirtschaftstheorie in praktischer Absicht. Kameralismus und Staatswirtschaft im 18. Jahrhundert », in Tomas Müller-Bahlke (dir.), Wirtschaft und Technik am Vorabend der Industrialisierung, Halle, Mitteldeutscher Verlag, 2005, p. 33-47, ici p. 39-41.
13 Beckmann Johann, Entwurf der algemeinen Technologie, Johann Beckmann, Vorrath kleiner Anmerkungen über mancherley gelehrte Gegenstände, vol. 3, Göttingen, Johann Friedrich Röwer, 1806, p. 463-533, préface, p. 473.
14 Troitzsch Ulrich, Ansätze technologischen Denkens bei den Kameralisten des 17. und 18. Jahrhunderts, Berlin, Duncker & Humblot, 1966.
15 Darjes Joachim Georg, Erste Gründe der Cameral-Wissenschaften, darinnen die Haupt-Teile so wohl der Oeconomie als auch der Polizei und besondern Cameralwissenschaft in ihrer natürlicher Verknüpfung (1756), 2e éd., Leipzig, Breitkopf, 1768 ; Pfeiffer Johann Friedrich von, Die Manufacturen und Fabriken Deutschlands nach ihrer heutigen Lage betrachtet und mit allgemeinen Vorschlägen zu ihren vorzüglichsten Verbesserungsmitteln begleitet, Francfort-sur-le-Main, Varrentrapp und Wenner, 1780, 2 vol.
16 Beckmann J., Anleitung zur Technologie, op. cit., p. xvii. Ce faisant, il s’inscrit dans des débats qui ne concernent pas seulement l’Allemagne : voir Hilaire-Pérez Liliane et Lanoë Catherine, « Les savoirs des artisans en France au xviiie siècle. Pour une relecture de l’histoire des métiers », in Vincent Milliot, Philippe Minard, Michel Porret (dir.), La grande chevauchée. Faire de l’histoire avec Daniel Roche, Genève, Droz, 2011, p. 357-370, ici p. 357-358.
17 Beckmann J., Anleitung zur Technologie, op. cit., p. xvii.
18 Beckmann J., Anleitung zur Technologie, op. cit., préface (non paginée).
19 Meyer Torsten, Natur, Technik und Wirtschaftswachstum im 18. Jahrhundert. Risikoperzeptionen und Sicherheitsversprechen, Münster/New York/Munich/Berlin, Waxmann, 1999, p. 66 et suiv.
20 Pfeiffer Johann Friedrich von, Grundsätze der Universal-Cameral-Wissenschaft oder deren wichtigsten Säulen nämlich der Staats-Regierungs-Kunst, der Policey-Wissenschaft, der allgemeinen Staats-Oekonomie, und der Finanz-Wissenschaft zu akademischen Vorlesungen und zum Unterricht angehender Staatsbedienten, vol. 1, Francfort-sur-le-Main, Eßlingerische Buchhandlung, 1783, p. 541-542.
21 Voir par exemple Sonnenfels Joseph von, Grundsätze der Polizey, Handlung und Finanz (1765- 1771), 5e éd., Vienne, Kurzbek, 1787, vol. 2, p. 154 et suiv.
22 Beckmann J., Grundsätze, op. cit., p. 4.
23 Garner Guillaume, État, économie, territoire en Allemagne. L’espace dans le caméralisme et l’économie politique, Paris, EHESS, 2005, p. 77-79, 148-149.
24 Beckmann J., note 44 in Justi Johann Heinrich Gottlob von, Grundsätze der Policeywissenschaft in einem vernünftigen, auf den Endzweck der Policey gegründeten, Zusammenhange und zum Gebrauch academischer Vorlesungen abgefasset (1756), 3e édit., Göttingen, Wittwe Vandehoeck, 1782, p. 119. Beckmann préconise des incitations financières mais précise (comme beaucoup de caméralistes) qu’un préalable est l’abolition des corvées (ou leur monétarisation), des communaux et de la jachère qui permet de consolider la liberté de l’exploitant agricole (note 41, ibid., p. 115-116).
25 Beckmann J., note in Justi Johann Heinrich Gottlob von, Vollständige Abhandlung von den Manufakturen und Fabriken (1758), 3e édit. (par J. Beckmann), Berlin, Pauli, 1789, vol. 1, p. 98.
26 Beckmann J., Anleitung zu Technologie, op. cit., p. xiii-xiv.
27 Beckmann J., Anleitung zur Technologie, op. cit., préface ; id., Anleitung zur Handlungswissenschaft, op. cit., préface (non paginée).
28 Beckmann J., Grundsätze, op. cit., 6e éd. (1809), préf., p. xviii-xix. L’auteur entend s’adresser au « futur praticien » et au « caméraliste ».
29 Beckmann J., Anleitung zur Handlungswissenschaft, op. cit., préface.
30 Justi J. H. G. von, Grundsätze der Policeywissenschaft, op. cit., p. 6.
31 Weber W., « Technik zwischen Wissenschaft und Handwerk », art. cit., p. 146, 148.
32 Stollberg-Rilinger Barbara, Der Staat als Maschine. Zur politischen Metaphorik des absoluten Fürstenstaats, Berlin, Duncker & Humblot, 1986 (notamment p. 75 et suiv.) ; Rüdiger Axel, « Der Staat als Maschine. Zur politischen Systemtheorie von Johann Heinrich Gottlob von Justi (1717- 1771) », G. Bayerl et J. Beckmann (dir.), Johann Beckmann (1739-1811), op. cit., p. 137-168 ; Garner G., État, op. cit., p. 45-47.
33 Beckmann J., Anleitung zur Technologie, op. cit., préface (non paginée).
34 C’est dans ce sens que Birger Priddat interprète la réédition par Beckmann du traité de police de Justi : Priddat Birger P., « Die unbekanntere Seite : Joh. Beckmann als Herausgeber und Kommentator der von Justi’schen„ Policeywissenschaft“ », Johann Beckmann-Journal. Mitteilungen der Johann Beckmann-Gesellschaft e.V., vol. 4, n° 2, 1990, p. 23-44.
35 Beckmann J., Anleitung zur Technologie, op. cit., préface.
36 Ibid.
37 Ibid.
38 Beckmann J., Anleitung zur Technologie, op. cit., p. xv.
39 La portée des écrits de Christian Wolff sur la technologie de Beckmann a été soulignée par l’historiographie : voir entre autres Eulen Focko, « Die Technologie als ökonomische und technische Wissenschaft an deutschen Universitäten des 18. Jahrhunderts », Technikgeschichte, vol. 36, 1969, p. 245-256, ici p. 246 ; Guillerme Jacques et Sebestik Jan, « Les commencements de la technologie » (1966), rééd. Documents pour l’histoire des techniques, vol. 14, 2007, p. 50-121 ; Weber Wolfhard, « Die„ Anleitung zur Technologie“von Johann Beckmann », in Hans-Peter Müller, Ulrich Troitzsch (dir.), Technologie zwischen Fortschritt und Tradition : Beiträge zum Internationalen Johann-Beckmann-Symposium, Göttingen 1989, Francfort-sur-le-Main, etc., Peter Lang, 1992, p. 3-16, ici p. 9.
40 Beckmann J., Anleitung zur Technologie, op. cit., préface.
41 Eulen F., « Technologie », art. cit., p. 249, qui mentionne le témoignage de Johann Stephan Pütter.
42 Meyer T., « Die„ Anleitung zur Technologie“(1777) », art. cit., p. 458-459.
43 Beckmann J., Anleitung zur Technologie, op. cit., préface (non paginée).
44 Hilaire-Pérez L. et Lanoë C., « Les savoirs des artisans », art. cit., p. 360.
45 Troitzsch U., Ansätze, op. cit., p. 119-120 ; voir aussi Elkar Rainer S., « Altes Handwerk und ökonomische Enzyklopädie : Zum Spannungsverhältnis zwischen handwerklicher Arbeit und „ nützlicher“Aufklärung », in Franz M. Eybl, Wolfgang Harms, Hans-Henrik Krummacher et Werner Welzig (dir.), Enzyklopädien der Frühen Neuzeit. Beiträge zu ihrer Erforschung, Tübingen, Niemeyer, 1995, p. 215-231, ici p. 222-224.
46 Beckmann J., Anleitung zur Technologie, op. cit., p. xii-xiii (citation p. xii). Sur cette question, voir Seibicke Wilfried, « Von Christian Wolff zu Johann Beckmann. Fachsprache im 18. Jahrhundert », in Dieter Kimpel (dir.), Mehrsprachigkeit in der deutschen Aufklärung, Hambourg, Meiner, 1985, p. 42-51.
47 Elkar R. S., « Altes Handwerk », art. cit., p. 221-226. Daniel Gottfried Schreber fut le premier titulaire de la chaire de sciences camérales (créée en 1764) de l’université de Leipzig.
48 Pour reprendre le titre d’un article de Carlo Poni : Poni Carlo, « Te World of Works : Formal Knowledge and Practical Abilities in Diderot’s Encyclopédie », Jahrbuch für Wirtschaftsgeschichte, 2009, n° 1, p. 135-150.
49 Cohen Deborah, La nature du peuple. Les formes de l’imaginaire social (XVIIIe-XXIe siècles), Seyssel, Champ Vallon, 2010, p. 168-171, citation p. 171.
50 Voir par exemple Beckmann J., Anleitung zur Technologie, op. cit., p. v-viii.
51 Beckmann J., Anleitung zur Technologie, op. cit., p. vii.
52 Pfeiffer J. F. von, Grundsätze der Universal-Cameral-Wissenschaft, op. cit., vol. 1, p. 445.
53 Voir Bourdieu Pierre, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Le Seuil, 2001, notamment p. 307 et suiv.
54 Beckmann Johann, Anleitung zur Technologie oder zur Kenntniß der Handwerke, Fabriken und Manufacturen, vornemhlich derer, die mit der Landwirthschaft, Polizey und Cameralwissenschaft in nächster Verbindung stehn. Nebst Beyträgen zur Kunstgeschichte, 6e édit., Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1809, préface, p. xix, note* (souligné par nous).
55 Beckmann Johann, « Lebensbeschreibung des Joh. Heinr. Got. von Justi », J. Beckmann, Vorrath kleiner Anmerkungen über mancherley gelehrte Gegenstände, vol. 3, Göttingen, Johann Friedrich Röwer, 1806, p. 542-568, citation p. 545. Voulant réhabiliter Justi, Beckmann rappelle que son premier ouvrage sur les monades avait été primé (ibid., p. 545-546).
56 Lindenfeld David F., Te Practical Imagination : the German Sciences of State in the Nineteenth Century, Chicago, Londres, University of Chicago Press, 1997, p. 55-67 ; Sandl Marcus, Ökonomie des Raumes. Der kameralwissenschaftliche Entwurf der Staatswirtschaft im 18. Jahrhundert, Cologne, Weimar, Vienne, Böhlau, 1999, p. 445-452.
57 Guillerme J. et Sebestik J., « Les commencements de la technologie », art. cit., p. 93.
58 Beckmann J., Entwurf, op. cit., p. 480 (traduction Joost Mertens).
59 Epstein Stephen R. et Prak Maarten, « Introduction : Guilds, Innovation, and the European Economy, 1400-1800 », id. (dir.), Guilds, Innovation, and the European Economy, 1400-1800, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 1-24, ici p. 5-7, 14-19.
60 Sandl M., Ökonomie, op. cit., p. 406 et suiv.
61 Krahnke Holger, Reformtheorien zwischen Revolution und Restauration. Die„ gesammte“Politik an der Universität Göttingen im ersten Drittel des 19. Jahrhunderts, Francfort-sur-le-Main, etc., Peter Lang, 1999.
62 C’est le cas en Prusse où un projet de ce type, élaboré par Peter Christian Beuth, se heurte au refus de Wilhelm von Humboldt et de Johann Gottfried Hoffmann. L’idée de créer une chaire de technologie à l’université de Berlin (fondée en 1810) est par conséquent abandonnée, cette discipline relevant dès lors de l’enseignement secondaire : Lindenfeld D. F., Te Practical Imagination, op. cit., p. 80.
63 « La technologie, en tant que discipline scientifique […], ne naît pas seulement d’une réflexion inspirée par des problèmes purement techniques. Elle procède encore de la volonté de légiférer sur la technique, compte tenu des moyens de production et des besoins sociaux » : Guillerme J. et Sebestik J., « Les commencements de la technologie », art. cit., p. 75.
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