Chapitre II. Les pratiques de la coordination de la Résistance parisienne
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Texte intégral
1La tension qui a présidé à la constitution du Comité parisien de la libération laisse la place à un certain flottement. La création du CPL avait quelque peu bénéficié du 11 novembre 1943, date choisie par le CNR pour exprimer publiquement l’unité de la Résistance française. Cependant, cette dynamique se tarit rapidement. Selon les représentants du CFLN, les réunions du CPL représentent une « grande perte de temps1 ». Pourtant, la création d’une coopération solide entre les différentes organisations est jugée un préalable indispensable pour une bonne coordination militaire en vue de la libération. Jacques Bingen rappelle à Georges Boris en avril 1944 que ces contacts suivis entre « des hommes qui n’auraient jamais pu se connaître en raison de leur origine, de leur idéologie et de leur niveau intellectuel différents2 » permettent de forger une certaine confiance réciproque pour « s’unir et faire unir leurs troupes dans des formations de combat aussi disciplinées que possible3 ». Au CPL, cette stratégie se vérifie, avant que les problématiques de la prise du pouvoir ne viennent créer de nouvelles rivalités et de nouveaux rapports de force. Le processus de coordination vaut pour lui-même, même si les contours de cette assemblée restent assez mouvants jusqu’à l’été 1944.
Coordonner l’action des organisations de résistance
Le bureau, au cœur de l’action du CPL
2Le bureau du CPL est composé non par des personnalités mais par des représentants de mouvements de résistance. À partir de la réunion du 23 octobre 1943, celui-ci est toujours composé de CDLR, du FN, de Libération-Nord, de l’OCM, du PC et de l’Union des syndicats, qui en assure la présidence, composition qui n’évolue pas jusqu’à la fin de l’existence légale du comité. Pour autant, les personnes physiques peuvent en théorie changer à chaque séance. Les procès-verbaux ne citent jamais les pseudonymes des participants mais l’organisation à laquelle ils appartiennent. Précaution de sécurité autant que façon de reconnaître que chaque délégué représente l’ensemble de son organisation plutôt que sa propre opinion. Il est donc impossible d’affirmer à coup sûr la composition de telle ou telle réunion en fonction de la lecture du procès-verbal. Malgré ces limites, toutes les personnes ayant assisté au moins une fois aux réunions du bureau du Comité parisien de la libération avant l’insurrection parisienne sont connues et ce sont plutôt les dates de leur présence qui sont parfois incertaines.
3La fluctuation de la composition du bureau du CPL n’est pas due à la répression, à la différence des FFI de la région parisienne ou du CNR au cours de l’été 1943, mais plutôt à des ajustements en fonction de la situation, au sein du CPL comme au dehors. La plupart du temps, le délégué au CPL est également le responsable régional du mouvement qu’il représente. C’est le cas pour l’Union des syndicats, Libération-Nord, Ceux de la Résistance et le FN, sauf pendant une assez longue période d’intérim à la fin de l’année 1943. Plusieurs de ces responsables régionaux font également partie des instances nationales de ceux-ci. André Tollet est membre du bureau confédéral de la CGT depuis la réunification en avril 1943, Roger Deniau fait partie du Comité directeur de Libération-Nord en 1943 également. Jean de Vogüé, Henri Bourdeau de Fontenay et Léo Hamon, les trois délégués successifs de CDLR, sont membres du comité directeur du mouvement.
4André Tollet est le délégué de l’Union des syndicats de la Seine. Inspirateur du CPL, président du bureau, principal organisateur des réunions, de l’administration, responsable de l’ordre du jour des séances, il n’est l’objet d’aucune remise en cause, son action dans la Résistance étant confondue avec l’action du Comité parisien de la libération à partir de l’été 1943. Il est l’« un des secrétaires4 » de l’union départementale des syndicats. De la même manière, Roger Deniau, est le responsable régional de Libération-Nord5, et l’inamovible délégué du mouvement au bureau. Ce sont les deux seuls membres à siéger continuellement depuis la création du CPL. Pour le Front national, c’est la direction du mouvement, voire la direction du parti communiste, qui décide des changements. André Carrel6 est nommé courant janvier par la direction du FN et du parti communiste, après un intérim de « camarades pleins de bonne volonté mais manquant de “métier”7 ». André Carrel, nommé responsable du Front national pour une région parisienne élargie, est désigné pour siéger au CPL. Un rapport du parti communiste du 14 janvier le désigne comme « un de nos meilleurs régionaux8 ». CDLR se situe dans un entre-deux. Jean de Vogüé, le premier délégué, est désigné par le comité directeur du mouvement, compte tenu de son rôle dans la création du comité. Les arrestations qui saignent CDLR à l’automne 1943 l’empêchent de se consacrer pleinement à cette fonction. Il confie son siège à Henri Bourdeau de Fontenay, lui aussi membre du comité directeur. L’organisation du mouvement n’a plus véritablement de responsable de la région parisienne avant que Léo Hamon ne prenne cette place, au début de l’année 1944. C’est tout naturellement lui qui succède à Henri Bourdeau de Fontenay lorsqu’il est nommé commissaire de la République en Normandie9. Léo Hamon est une figure importante du CPL. Avocat proche du parti communiste au moment du Front populaire, il rejoint le mouvement Combat en zone sud où il s’occupe de l’Action ouvrière pour le Languedoc. Recherché par les autorités, il rejoint Paris au cours de l’année 1943 et le mouvement CDLR, dont il prend la direction de la branche parisienne. Il est également un membre directeur du Comité d’action contre la déportation. Le délégué du parti communiste est Albert Rigal, député de Paris. Il est présent dès les premières réunions de négociations. Pourtant, il quitte le CPL juste avant le déclenchement de l’insurrection, étant chargé d’assurer la parution légale de l’Humanité. C’est Georges Marrane, maire d’Ivry-sur-Seine, qui le remplace, lui dont le nom a été avancé par le parti communiste comme préfet de la Seine. Sa présence au CPL est la suite logique de cette démarche. Pour l’OCM, la situation est plus complexe. Le premier délégué fut Aimé Lepercq, qui abandonne très rapidement sa place, après la réunion du bureau du 29 octobre, ce qui se traduit par une vacance du siège de l’OCM pendant plusieurs semaines10, au moins jusqu’à la 7e séance incluse, le 10 décembre 1943. Jacques Rebeyrol, avocat, a ensuite siégé en « intérimaire11 », et c’est ensuite Jacques Piette12 qui est le délégué de l’OCM avant de laisser sa place à Marie-Hélène Lefaucheux13. D’autres sources évoquent la présence de Jacques Piette au CPL mais à partir du débarquement, quand, chargé de toute l’organisation militaire de l’OCM, il fait sans doute partie de la commission militaire14. Il est par ailleurs régulièrement le suppléant de Marie-Hélène Lefaucheux. Le CPL est le seul comité départemental dans lequel siège un représentant de la Délégation générale, et à plusieurs reprises le délégué général lui-même. Émile Bollaert assiste pour la première fois à une réunion du bureau le 3 décembre 1943, la 6e séance, et déclare d’emblée qu’il souhaite assister à toutes les réunions, ou se faire représenter en cas d’absence. De fait, ce dernier devant se rendre à Londres puis étant arrêté, Jacques Bingen ou Francis-Louis Closon assistent aux réunions au cours de l’hiver 1943-1944, avant que Jean Mons, chargé de mission auprès de comités départementaux de libération de la zone nord et président de la commission du CNR pour les CDL, ne représente la Délégation, à partir de mars 1944, parfois suppléé par Roland Pré.
Ill. 1. – Le bureau du CPL après la Libération, avec le colonel Rol-Tanguy (Collection MRN Champigny/Marne). De gauche à droite, Armand Maynial-Obadia, Albert Rigal, Léo Hamon, Henri Rol-Tanguy, André Carrel, Roger Deniau, André Tollet, Marie-Hélène Lefaucheux, Georges Marrane.

5Les séances du bureau suivent un schéma assez classique adopté en séance le 26 novembre 1943, plutôt fidèlement suivi par la suite : compte rendu des démarches confiées aux membres, examens des événements parisiens, nationaux et internationaux et discussion sur chacune des branches d’activité du CPL. De novembre 1943 à la fin du mois de janvier 1944, le bureau se réunit une fois par semaine, puis les séances s’espacent jusqu’au mois de mai où, sous la pression de l’événement, les réunions reprennent leur fréquence hebdomadaire. On peut donc distinguer trois moments. Le premier temps est un moment de mise en place où les partenaires apprennent à se connaître, ce qui explique les nombreuses discussions sur des sujets généraux, jugées inefficaces par les membres du CPL. Pour Roger Deniau, elles empêchent de se pencher efficacement sur des questions telles que l’organisation des comités locaux15. André Carrel pointe également un travail « assez peu productif16 ». De la mi-février à mai (15e à 23e séance), l’espacement des séances n’est pas un moment creux pour autant. Au cours de ces huit séances, la composition des différentes commissions est mise au point et Le Patriote parisien, le journal du CPL, sort son premier numéro. Des discussions importantes sur l’organisation militaire de la région parisienne ont également lieu. À partir du 18 mai 1944 et jusqu’à l’insurrection (24e à 37e séance), le comité se réunit à nouveau très fréquemment pour assumer sa part de la préparation de l’insurrection et du retour à la légalité républicaine dans le département. Cette période correspond également au début d’une période de stabilité de la composition du bureau, avec l’arrivée de Léo Hamon, représentant CDLR. Les séances tenues pendant l’insurrection forment un ensemble qu’il convient d’étudier comme tel.
6Sur le plan financier, le CPL, comme la plupart des organisations, compte quasiment exclusivement sur les subsides du CFLN. Un versement d’un million de francs est effectué au début du mois de décembre 1943, destiné entre autres, à mettre sur pied un système d’impression17. Cette subvention importante doit également permettre de payer le personnel attaché au comité, en particulier le secrétariat. Les organisations membres participent évidemment à ces frais, et comblent quelquefois les déficits, comme le représentant de CDLR qui propose de faire un versement d’urgence au Comité à la 21e séance18. Le travail d’intendance est pris en charge exclusivement par l’Union des syndicats de la Seine. Dans un premier temps, André Tollet est considéré comme « président-secrétaire19 » par Bingen, puis, à partir de la 5e séance, Maynial, est mis à disposition par le syndicat20. Le secrétariat a la charge d’organiser les réunions, de rédiger les comptes rendus et de les diffuser à tous. André Tollet est très attentif aux questions d’organisation, en particulier ce qui concerne la sécurité. Militant syndicaliste très connu de la police, incarcéré d’octobre 1940 à juin 1942, et un des organisateurs de l’évasion collective du camp de Compiègne le 22 juin 1942, la police le recherche activement. Les bavardages sont stigmatisés et les obligations de la vie clandestine rappelées à deux reprises aux 10e et 12e séances, en particulier suite à des arrestations. Au début de l’année 1944, André Tollet rédige un long texte donnant des consignes très précises de sécurité à destination des membres du CPL21.
Le CPL, comité d’action
7Les membres du CPL sont tous des personnalités connues de la Résistance parisienne, et même nationale. De ce fait, ils disposent d’un important réseau de connaissances et de compétences, augmenté par celui qu’ils peuvent mobiliser dans leur champ professionnel et politique. À cela s’ajoute toutes les structures, toutes les initiatives des groupes épars qui forment la Résistance parisienne : ateliers de faux papiers, réseaux d’évasion, service de solidarité en faveur des prisonniers et de leurs familles… La première difficulté est de trouver sa place entre les mouvements et les instances centrales de la Résistance. Ces mouvements ont déjà acquis un niveau d’expertise dans certains domaines, et ont des structures techniques sur lesquelles le CPL est obligé de s’appuyer. Les instances centrales de la Résistance regroupent peu à peu certaines compétences des mouvements, mais sont surtout émettrices de règles et de directives. Le CPL a également pour but de susciter la coordination là où elle n’existe pas. Au début du mois de décembre 1943, il diffuse un texte qui pousse les organisations de résistance de la police et de la gendarmerie à s’unir sur son modèle22.
8Dans un premier temps, les tâches sont réparties entre les membres du bureau, et les questions sont discutées collectivement sur la base des travaux préliminaires de chacun. Cette solution ne donnant pas les résultats escomptés, un système de commissions est mis en place. Cependant, certains sujets sont traités en dehors du CPL, et se trouvent déjà bien avancés au moment où le comité commence ses travaux. Roger Deniau est ainsi à même de présenter un plan très complet d’organisation du ravitaillement pour la libération dès le 3 décembre, à tel point qu’Albert Rigal le croit « établi par quelques fonctionnaires du ravitaillement23 ». D’autres tâches sont organisées très rapidement, sans qu’une commission ne vienne encadrer tout de suite le travail. Pour la prise de contacts pour la création des comités locaux dans les arrondissements et les communes de banlieue, la méthode est d’abord de diviser le département en 10 secteurs répartis entre les membres du CPL24, puis la tâche est confiée entièrement aux délégués PC et Libération-Nord25. Autre cas de figure, l’aide aux réfractaires est placée sous l’égide du mouvement national, le Comité d’action contre la déportation (CAD). L’émanation du CAD en région parisienne, qui centralise toutes les questions relatives aux réfractaires (faux papiers, assistance, éventuellement armement)26, n’est pas le fait de l’organisme directeur (CAD), mais bien du CPL. Cependant, le CPL n’a pas poussé son avantage et n’a pas revendiqué pour lui une partie des appareils techniques et des finances destinés aux réfractaires, et ce schéma d’organisation n’a pas été suivi d’effet, malgré la volonté du délégué PC, le responsable pour le bureau de la question des réfractaires27. Dans d’autres secteurs d’activité, le CPL est plus en retrait, notamment sur le noyautage des administrations publiques. De même, le CPL met rapidement sur pied un appareil technique pour diffuser les appels et mots d’ordre et décide dès le 29 octobre de la création d’un journal28 mais ce dernier ne voit le jour que quatre mois plus tard, sous l’impulsion d’André Carrel. Enfin, le secteur de l’action militaire est placé sous l’égide de l’OCM, le mouvement dont sont issus jusqu’à l’été 1944 les commandants FFI de la Seine (le colonel Touny, Aimé Lepercq et Pierre Lefaucheux), mais le flou qui entoure le statut et la tutelle des éléments militaires de la Résistance contraint le CPL à une posture d’attente. Certaines organisations de Résistance continuent leur travail habituel qu’elles placent ensuite sous la tutelle symbolique du CPL. C’est le cas de l’Union des femmes françaises qui, au printemps 1944, fait parvenir au CPL une note présentant son action dans le but d’organiser les « femmes pour la préparation de l’insurrection nationale29 ». L’UFF se met à la disposition du CPL, tout en souhaitant infléchir le programme de celui-ci, à la fois dans les domaines où elle est efficace et sur une politique d’ensemble, centrée sur l’action immédiate.
9La création des commissions du CPL, qui a lieu en mars 194430, renforce l’impression d’une spécialisation des organisations de résistance et, parfois, des résistants eux-mêmes. La composition des commissions permet de confier des responsabilités aux organisations extérieures au bureau, qui sont presque toutes sollicitées.
10Le débarquement modifie la façon de travailler. Une remise à plat est effectuée au cours des trois séances qui suivent le 6 juin 1944, dans le but de gagner en efficacité31. Leur composition est largement amendée et les organisations dominées par les communistes voient leur position renforcée. De nouvelles commissions sont proposées : une commission de la solidarité semble se substituer à la commission d’aide aux réfractaires32, sous l’impulsion de Marie-Hélène Lefaucheux, vice-présidente du Comité des œuvres sociales des organisations de résistance (COSOR). La commission des comités locaux devient également une commission des municipalités, pour préparer la composition des futurs conseils municipaux conformément aux instructions du CNR, mais la constitution d’une commission « ayant pour tâche de lutter efficacement contre les pouvoirs publics, conseil municipal, conseil général33 », proposée par Albert Rigal, est rejetée, notamment par Léo Hamon qui y voit une manœuvre politique du PC34. La commission des réfractaires semble être toujours d’actualité, et la commission d’information est divisée en deux parties : un secteur presse et radio, confié à l’UD et un secteur propagande confié au PC. Enfin, certaines commissions voient leurs tâches se concentrer sur la préparation de l’insurrection. C’est ainsi que la commission du ravitaillement est invitée à diriger le mécontentement de la population vers les Allemands, par l’organisation de manifestations, notamment35.
Tableau 3. – Composition des commissions du CPL – (est souligné le nom des organisations qui en assument la présidence).

11Mais le changement le plus significatif est opéré dans le domaine militaire. Une commission militaire avait été mise en place à la 20e séance, après que la question ait été plusieurs fois évacuée. Le débarquement de juin 1944 oblige le CPL à se préoccuper de la question de la lutte armée. Pour ce faire, la solution est d’adapter à l’échelon départemental l’institution nationale avec la création d’un COMAC parisien, sous l’impulsion du FN. Parallèle à l’arrivée à la tête des FFI régionaux du FTP Rol-Tanguy, la création du COMAC parisien consacre la fin de la prépondérance de l’OCM dans les instances militaires de la région parisienne, au bénéfice des FTP et de CDLR. Cette évolution se retrouve dans la composition de cette commission. Aux côtés des FTP, CDLR et les Milices patriotiques remplacent l’OCM et l’Assistance française. La teneur des archives ne permet pas de mesurer l’action sur le terrain de ces commissions. Cela s’explique sans doute par le fait que, en dehors de la préparation de la prise du pouvoir au sens large, ces commissions sont plus des lieux de dialogue entre organisations de résistance qui réalisent déjà, en dehors du CPL, l’essentiel du travail, un peu à l’image de ce qu’était le CPL à ses débuts
Parler d’une même voix ?
12Le processus de rencontre des diverses mouvances de la Résistance parisienne invite à se pencher sur les différents niveaux de parole existant au sein du comité. Le CPL, en tant qu’institution, a l’ambition d’être le représentant unique de la Résistance parisienne. Les organisations de résistance ont concédé une partie de leurs prérogatives aux comités de coordination. Ce sont eux qui représentent officiellement l’ensemble de la Résistance face à la population et qui sont appelés à mener à bien les plans prévus pour la libération de leur territoire. Toutefois, l’identité de chaque mouvement de résistance reste forte, et chaque membre du bureau du CPL y ajoute son propre parcours, ce qui façonne largement le discours public du CPL au cours de ces dix mois de vie clandestine.
Somme d’individualités ou bloc monolithique ?
13La capacité du CPL à assumer le rôle d’assemblée politique a pu être déniée, mais le comité est sans conteste une tribune pour les mouvements de résistance, et ses représentants. Tribune à destination de la population de la région parisienne mais également tribune où se confrontent les expériences résistantes de chacun. Les divergences de fonds n’empêchent pas une forme de solidarité, de camaraderie même. Un contraste apparaît entre le ton de l’assemblée et la tension qui a présidé à sa création et à ses premières réunions. Francis-Louis Closon et Jacques Bingen, qui ont connu les premières réunions très conflictuelles, sont même agréablement surpris par l’ambiance apaisée qui règne au CPL à partir du mois de janvier 194436. Le journal de Léo Hamon est également une source intéressante pour essayer d’appréhender l’ambiance des réunions du CPL et les relations entre ses membres. Il y fait une différence nette entre les idées et les personnes. Exemple éclairant, son compte rendu d’une réunion de nuit du bureau, à la fin mai 1944, au cours de laquelle une très longue discussion sur la rédaction d’un texte pour appeler les Parisiens à l’action occupe toute une partie de la nuit :
« Samedi 28 mai, séance de nuit du bureau parisien.
Dans une après-midi de travail, on ne fait que discuter. Dans une séance de nuit, on vit ensemble, c’est tout différent. J’ai vraiment beaucoup admiré Mme Gildas [Marie-Hélène Lefaucheux] – une grande dame dans toute l’acceptation du terme, c’est-à-dire qu’elle met à l’aise ceux-là mêmes qui, socialement, sont aussi loin d’elle que possible, et qui ne pressentent pas combien il faut d’éducation et de culture pour ne pas paraître en avoir plus que son interlocuteur quel qu’il soit.
Nos camarades communistes d’ailleurs parfaits, sympathiques, cordiaux. Baudry [André Tollet] n’est peut-être pas un très grand homme quoi qu’on en ait dit, mais ce qui frappe chez lui c’est une volonté toujours tendue, active et un instinct extraordinaire de la psychologie populaire, de ce qu’il faut dire, de ce qui porte. Il est ici aussi efficace que Dumarion [Roger Deniau] est verbeux, à côté de la question, intransigeant sur toutes les questions d’action, buté, phraseur lorsqu’il s’agit de l’affaire Maurice Thorez. Le voilà qui fait brusquement cause commune avec les communistes et se rapproche d’eux qui ne lui en sauront d’ailleurs aucun gré. Vallat [Jean Mons] discret, apprécié, persuasif, extrêmement adapté au difficile rôle de représentant de la délégation auprès de communistes qui sont d’office dressés contre la délégation – il a tout le doigté nécessaire, souhaitable, peut être pas tout à fait assez d’autorité37. »
14L’établissement de relations plus confiantes entre les représentants de mouvements parfois opposés dans d’autres lieux, et pour d’autres activités, est tenu comme une réalisation majeure, si ce n’est le principal mérite du comité, en particulier du point de vue de la Délégation générale38. Toutefois, à l’approche de la libération, l’ambiance des séances du Comité parisien de la libération pâtit de la tension de la victoire prochaine et de la volonté de se placer au mieux avant le combat final.
15Chacun des mouvements de Résistance présents au CPL peut être défini par une spécificité. Au sein du bureau et des commissions du CPL, ces particularismes conditionnent le champ d’action de chacun. Toutes les organisations présentes au bureau du CPL sont, à des degrés divers, des organisations politiques, sauf l’Organisation civile et militaire, qui est avant tout une organisation militaire et CDLR dans une moindre mesure. Pour autant, Marie-Hélène Lefaucheux, à partir de mars 1944, cherche à infléchir l’action de son mouvement vers des formes plus proches de celles des autres mouvements côtoyés au CPL, notamment en essayant de développer la participation des femmes dans la Résistance39. À l’inverse, les compétences de Marie-Hélène Lefaucheux sont récupérées par le CPL. Responsable à partir de 1942 d’une organisation qui fait parvenir des colis aux détenus politiques des prisons parisiennes, en particulier la prison de Fresnes, l’œuvre Sainte-Foy40 et vice-président du COSOR, qui centralise toutes les actions de solidarité des organisations de Résistance sous l’égide du CNR, elle fait figure d’experte pour ces questions de solidarité. De la même manière, Léo Hamon, qui représente CDLR à partir du mois de mai 1944, y amène sa propre expérience, forgée au sein du mouvement Combat dans la région de Toulouse, où il avait été responsable de l’Action ouvrière, du Comité d’action contre la déportation, du Noyautage des administrations publiques et même de la rédaction d’articles pour le journal41. Devenant un des responsables de CDLR en région parisienne, il ouvre ce mouvement, à l’origine farouchement apolitique à beaucoup de militants beaucoup plus portés sur l’action sociale et politique.
16La stabilité de la représentation des autres membres du bureau, à savoir l’UDS, le FN, Libération et le PC, va de pair avec une stabilité dans leurs méthodes de fonctionnement. Les trois organisations proches du parti communiste font preuve d’une solidarité, voire d’un monolithisme qui s’explique par leur coopération en dehors du CPL. Le comité central du Parti communiste a suscité la création d’un « carré42 » de direction en région parisienne, qui comprend Raymond Bossus pour le PC, André Carrel pour le FN, André Tollet pour l’Union des syndicats et Albert Ouzoulias pour les FTP. Ainsi André Tollet et André Carrel travaillent continuellement ensemble. Il paraît ainsi évident que les grandes lignes des discours et des attitudes de ces trois représentants sont réfléchies en commun et en amont et donnent évidemment une grande force au discours quand vient le temps de se confronter aux autres membres du bureau, qui n’ont pas les mêmes liens organiques entre eux. Léo Hamon, Marie-Hélène Lefaucheux et Roger Deniau se rencontrent quelques fois en dehors des réunions du CPL43, sans qu’on puisse y voir une volonté de coordination. Il peut exister pour eux une tentation de former un bloc non communiste, avec le risque qu’il se transforme en bloc anticommuniste. Sur le terrain des pratiques, il est difficile d’ignorer cette césure. Elle reflète les réflexions et réflexes propres aux sensibilités et à l’expérience résistante de chacun. On retrouve ici la notion de fonctionnalité, mise en avant par François Marcot44, appliquée non pas à la situation professionnelle des acteurs, mais à la situation fonctionnelle dans la Résistance. La répartition des tâches au bureau du CPL est éclairante sur ce point, chacun obtenant une fonction proche de celle qu’il occupe dans son mouvement, ou proche des pratiques en cours dans son mouvement d’origine. Jean De Vogüé, membre du NAP, Roger Deniau45, proche des responsables du plan du ravitaillement, et les premiers délégués de l’OCM, Aimé Lepercq, et Jacques Piette impliqués dans l’organisation militaire, apportent leurs compétences au CPL. Pour l’action politique de masse, en revanche, c’est Albert Rigal, du parti communiste et André Tollet, syndicaliste, ainsi que les différents représentants du FN qui occupent le terrain.
17La pratique du débat démocratique dans la Résistance souffre de certains défauts46. Le CPL, en tant qu’assemblée unique de la Résistance parisienne, devrait être un lieu de compromis, de consensus. Pourtant, si le consensus est sincèrement recherché, il arrive que cette pratique unitaire sans cesse mise en avant se conjugue avec une radicalisation des positions. André Tollet s’est plusieurs fois félicité de ce que le bureau du CPL prenait toutes ses décisions à l’unanimité47. Il s’agit plutôt d’unanimisme, entendu comme la recherche consciente du consensus. Le consensus est le principe même de la réunion de telles assemblées et par conséquent la référence ultime et l’arrière-pensée de toutes les attitudes. Plus fragile, l’unanimisme est une nécessité politique. Le CPL est un de ces lieux où l’unanimisme est fortement mis à l’épreuve, compte tenu des enjeux qui s’y expriment. Cette difficulté majeure des assemblées de la Résistance amoindrit leurs pouvoirs. Une assemblée où l’unanimité est requise prend forcément des décisions moins tranchées, recule l’échéance dès qu’un obstacle apparaît. Il faut attendre les jours, et même les heures qui précèdent l’insurrection pour voir l’assemblée prendre des décisions en gestation depuis plusieurs mois. Bousculée par l’événement, l’acceptation est plus facile, le provisoire étant d’ailleurs souvent convoqué. L’unanimité des votes traduit également un rapport de force : l’intransigeance est souvent l’attitude gagnante, les opposants se rallient à la proposition à contrecœur. De la même manière, être force régulière de proposition est un gage de voir plus régulièrement ses mots d’ordres et résolutions acceptés. Le CPL est producteur de nombreux textes, en réponse à d’autres textes ou à des événements. Le délégué qui propose un texte lance à chaque fois un défi à l’unanimité. Quand un projet de texte arrive sur la table, deux destins lui sont réservés, soit une adoption unanime immédiate, en particulier quand il s’agit de dénoncer les crimes des occupants et de leurs complices48 ou l’aggravation des difficultés matérielles des Parisiens49, soit une négociation laborieuse qui aboutit souvent à son abandon. C’est notamment le cas pour une discussion sur la participation communiste au CFLN, qui dure entre décembre 1943 et janvier 1944 sans que le CPL n’arrive à s’accorder. Parfois, la raison l’emporte sur la conviction. Si Léo Hamon se plaint d’être obligé de donner son accord à une résolution demandant le retour de Maurice Thorez à Alger, vote « qui lui reste sur l’estomac50 », André Tollet se rallie « au nom de l’unité51 » à une proposition de composition du conseil municipal provisoire. C’est quand l’unanimité ne se fait pas à la première lecture que le débat s’engage, la pratique du CPL étant de poursuivre la discussion jusqu’à ce qu’un accord intervienne. La plupart du temps, seule la rédaction en commun d’un texte différent permet de contourner l’obstacle. Sinon, le texte est abandonné ou rendu obsolète par l’évolution de la situation.
Mobiliser la population
18Le Comité parisien de la libération est une voix. C’est pour qu’elle porte au mieux que le bureau s’emploie à trouver des accords et des synthèses. Quand il s’adresse à la Résistance ou à la population parisienne, il tait toutes ces divergences, et montre un visage uni et dynamique, ce qui est par essence le comportement d’un collectif de direction. Ce souci de porter une parole unique est affirmé dans l’éditorial du premier numéro du journal du CPL qui entend refléter « l’atmosphère de parfaite harmonie et d’union qui entoure les travaux des responsables parisiens de la Résistance52 ».
19L’idée de sortir un journal émanant du CPL est lancée fin octobre 1943. Le 14 novembre, le représentant du PC demande à son collègue du FN de mettre en chantier sans tarder ce projet53. Après ces débuts enthousiastes, le projet de journal porté par le FN disparaît complètement de l’agenda du comité parisien pendant quelques mois. C’est seulement quand André Carrel, journaliste de profession, devient le délégué du FN et par conséquent, le responsable du secteur de la presse, que le projet se concrétise enfin54. Le premier Patriote parisien est ainsi publié en mars 1944. Cinq mois ont été nécessaires pour sortir un journal qui reprend, sous une manchette assez joliment illustrée, la proclamation originelle du CPL, retravaillée et réduite, un communiqué des FFI sur le sabotage de l’usine Hotchkiss à Levallois le 20 février55 et un éditorial. L’éditorial du premier numéro, rédigé par André Carrel56, s’adresse à la fois aux « militants de la Résistance » et au « peuple de Paris », et présente Le Patriote Parisien comme le « journal bimensuel du Comité parisien de la libération57 », périodicité ambitieuse qui n’est évidemment pas tenue. Une manchette annonce l’incendie des fiches de recensement de la classe 1944 pour le STO58, l’information est reprise dans l’éditorial qui, après avoir présenté le journal, donne des informations récentes sur l’activité de la Résistance parisienne. Un paragraphe appelant les Parisiens à résister aux fouilles dans le métro fait écho à une discussion au bureau du 28 janvier 1944, où un texte avait été proposé par Albert Rigal59. Un deuxième numéro sort en avril ou en mai, puis un troisième et dernier est réalisé après le débarquement, au mois de juin 1944. Henri Bourdeau de Fontenay propose un éditorial sur l’insurrection qui paraît dans le second numéro60. Pour le troisième numéro de juin 1944, une plus grande place est faite à la relation des actions des FFI et deux textes du CPL sont reproduits : celui annonçant le débarquement et la résolution contestant le refus de visa à Maurice Thorez. Ce journal n’est pas l’objet des plus grands soins du bureau du CPL et de sa commission de la presse et c’est plutôt par le biais du tract, format plus court et percutant, que le CPL fait entendre sa voix.
Ill. 2. – Le Patriote Parisien, Organe officiel du Comité parisien de Libération, s. d. [mars 1944] (Collection MRN Champigny/Marne, 1/33/16).

20Le Comité parisien de la libération est un grand producteur de textes, que ce soit pour mobiliser la population parisienne ou interpeller les autres institutions de la Résistance61. L’effet recherché par de tels textes est de montrer la force de la Résistance et raffermir le moral des Parisiens. Motions, proclamations et adresses sont rédigées par le bureau du CPL en séance ou par les commissions, mais il est parfois difficile de savoir s’il en résulte la diffusion d’un tract ou d’une circulaire. Certains d’entre eux ne sont mentionnés que dans les sources indirectes que sont les procès-verbaux de séance, ou dans les rapports des différents participants aux réunions. D’autres sont effectivement présents dans les archives, mais sans forcément d’indication sur leur diffusion. Les archives des services techniques d’impression de la Résistance sont souvent très lacunaires et, jusqu’au mois d’août 1944, le CPL ne semble pas disposer d’une imprimerie digne de ce nom. Le premier acte public du CPL est l’organisation d’une manifestation le 11 novembre 1943. Le tirage d’un tract pour les Parisiens au nom du comité avait ainsi été un des premiers moyens de se faire connaître. Le procès-verbal de la séance qui suit la manifestation mentionne, chose rare, un chiffre partiel du nombre de tracts imprimés pour cet événement62 : au moins 250000 tracts ont été imprimés par le mouvement Résistance, cependant, dans ce cas, c’est le processus de diffusion qui a dysfonctionné et les tracts n’ont pu être distribués à la population.
21De sa création jusqu’aux jours qui précèdent l’insurrection, le CPL produit 23 textes destinés à être affichés publiquement ou à être reproduits dans les journaux clandestins. Il s’agit tout d’abord de faire connaître le CPL à la population, et de montrer qu’il agit en qualité de représentant du CFLN et du général de Gaulle63. À l’approche de la libération, le CPL rappelle sans cesse le lien qui l’unit aux combattants de l’extérieur et au futur gouvernement légal de la France, se plaçant sous l’égide du CFLN et du gouvernement provisoire, pour se légitimer auprès de la population : « Seule autorité française légale dans la Région Parisienne64 » ou « émanation du peuple résistant de Paris, seule autorité administrative et politique dépendant du Comité français de la libération nationale65 ». Peu de temps avant la libération, le 6 août 1944, une affiche imprimée dans le format des affiches officielles, c’est-à-dire sur papier blanc66, est tirée par le CPL, pour préparer la population parisienne à obéir aux institutions de la Résistance, appelées à remplacer celles de l’État Français. Ce document, dont l’affichage dans les rues de Paris n’est pas attesté, place le CPL « sous l’autorité directe du CNR et du Gouvernement provisoire de la République Française67 ». D’autre part, la parole du général de Gaulle est relayée auprès de la population, et incluse dans les mots d’ordres du CPL. Ces citations sont toujours des appels au combat, en particulier lorsque de Gaulle, le jour du débarquement, proclame que « tout vaut mieux que d’être mis hors de combat sans combattre », formule reprise par le CPL le 8 juin 194468 et encore en août 194469.
22La grande majorité des textes publics du Comité parisien de la libération sont destinés à alerter la population et la pousser à réagir à l’occupation. Souvent construits sur le même modèle, ils décrivent la situation dénoncée, appellent la population à y résister, et développent le type d’actions nécessaires, divisés par catégories de populations : « Femmes et mères », « ouvriers, patrons et techniciens », « policiers patriotes »… Deux grands thèmes sont convoqués : les crimes des occupants et de leurs complices, et les conditions de vie de la population parisienne. Le premier manifeste du Comité parisien de la libération concentre tous les éléments déjà évoqués. Il place le CPL dans l’organigramme de la France combattante et dénonce les déportations, la répression et les pénuries. Aucune catégorie de la population n’a été oubliée (fonctionnaires, jeunes, femmes, travailleurs, ouvriers, etc.), et pour chacun, un mode d’action est prescrit70. Le CPL utilise la forme de la dénonciation et évoque les sujets de la vie quotidienne dans la mesure où ils peuvent être utilisés pour dresser la population contre l’occupant et la pousser à agir suivant les prescriptions de la Résistance. Le comité rebondit sur l’actualité récente, de préférence spécifiquement parisienne, et qui a des conséquences directes sur la population : le ravitaillement, les réquisitions de main-d’œuvre et les bombardements. Un des premiers textes du CPL concerne ainsi le ravitaillement en viande de la capitale. Le CPL y « dresse son programme immédiat pour l’alimentation de Paris71 ». Le ravitaillement, la principale préoccupation de la population, est un bon moyen d’interpeller celle-ci. C’est ainsi qu’à la fin du mois de mars 1944, l’annonce de la fermeture par la préfecture de la Seine de 1340 boulangeries est aussitôt dénoncée par un communiqué. Avec ces dénonciations, le CPL tente d’orienter « l’émotion72 », « l’indignation73 » de la population dans la réalisation d’actions concrètes. À chaque occasion, il est proposé aux Parisiens de faire des pétitions, d’envoyer des délégations dans les mairies… Le CPL utilise également le rejet du Service du travail obligatoire. Un texte précoce du CPL se félicite de la fin des réquisitions de main-d’œuvre pour l’année 1943, annoncée par Sauckel en octobre 1943. Comme pour le ravitaillement, ce texte suggère à la population d’organiser des délégations et des comités pour demander le retour des travailleurs forcés. Quand, au début de l’année 1944, un nouveau contingent de travailleur est exigé, le CPL fait alors un appel à la population pour qu’elle refuse les déportations. Concernant les bombardements, le CPL, comme du reste l’ensemble de la Résistance, fait une œuvre de contre-propagande et de pédagogie. Conscient de « l’importance politique74 » de la question, le CPL essaie, une fois de plus, de détourner la douleur de la population vers les autorités. Plusieurs textes, diffusés au printemps 194475, tentent de donner aux Parisiens un autre point de vue que celui des autorités, qui martèlent dès que possible les accusations contre les « raids terroristes76 ». Ces textes développent une argumentation en trois temps : les bombardements sont une nécessité militaire, l’incurie de l’administration aggrave grandement les dégâts, et l’action résistante hâte la fin de la guerre et donc des bombardements.
23L’actualité de la guerre et de l’occupation, en particulier la férocité de la répression est un autre puissant levier. Faire connaître la réalité de la répression est une nécessité, dès lors que la plupart des exactions aujourd’hui commémorées nationalement sont alors passées sous silence ou très sommairement évoquées dans la presse. Ainsi, les tortures infligées aux résistants arrêtés sont dénoncées à la fin du mois de décembre 1943, avec une campagne de l’Assistance française en direction de la Croix-Rouge, qui vise à recueillir un maximum de témoignages de tortures pour engager une action devant la justice contre les Brigades spéciales de la préfecture de police77. Plus généralement, le CPL dénonce régulièrement la milice et son chef, le « Waffen SS Darnand78 », et la Gestapo. L’attaque contre le plateau des Glières, en janvier 1944 est ainsi largement dénoncée dans les textes du CPL et fait l’objet de plusieurs discussions du bureau. Ces textes sont aussi l’occasion de faire connaître des crimes que la presse légale ne mentionne que sommairement. Difficile par exemple de trouver la mention des massacres d’Ascq ou d’Oradour-sur-Glane dans les journaux légaux, ou encore celle de l’assassinat de Victor Basch et de sa femme en janvier 1944. Les informations circulent tout de même rapidement dans les rangs de la Résistance, si bien que le CPL parvient à publier un texte après la mort du président de la Ligue des droits de l’homme, dans lequel il mentionne aussi les exécutions de Maurice Sarraut79 et de René Gosse80, au mois de décembre 1943. Ces personnalités connues et estimées sont données en exemple, mais c’est l’ensemble des exécutions de résistants qui sont dénoncées.
24La finalité de tous ces textes est de pousser les Parisiens à l’action, en particulier ceux qui sont éloignés de l’action résistante81. Le plus souvent, cette action souhaitée par le CPL prend les formes d’une résistance passive ou désobéissance civile, en dehors des organisations clandestines et sur des objectifs bien définis. L’enjeu pour la Résistance est de donner suffisamment confiance à la population pour que, le moment venu, les institutions clandestines comme le CPL aient l’autorité suffisante pour donner des mots d’ordre plus offensifs. Une fois de plus, une transition se fait au printemps 1944, quand le CPL commence à diffuser des instructions plus précises, tournées vers la perspective de l’insurrection. C’est dans ce cadre que le CPL rend hommage à plusieurs reprises à l’action de résistants, responsables d’actions marquantes. Deux messages de félicitation pour des sabotages sont ainsi adressés aux cheminots du dépôt de Montrouge et aux employés des PTT pour leur action patriotique82. Ces hommages sont autant d’exemples destinés à montrer à la population qu’il est possible d’agir, à l’égal des comptes rendus d’action FFI que le CPL reproduit dans les quelques numéros de son journal.
25La nouvelle de la création du CPL a connu un retentissement important dans les rangs de la Résistance à Paris, et le comité s’est chargé lui-même, avec plus ou moins de réussite, d’en informer la population parisienne, pour s’appuyer sur le soutien populaire. Dans le même temps, les organisations de résistance parisiennes rassemblées doivent aussi se situer dans l’organigramme de la Résistance, et c’est à l’intérieur de cet organigramme que le CPL doit avant tout faire sa place. En ce sens, avoir l’appui de la population est un atout, mais pas une assurance.
Le CPL, un comité à part dans l’organigramme de la Résistance
Entre CFLN et CNR
26Le processus d’organisation de la Résistance parisienne par la Délégation générale du CFLN qui a abouti à la création du comité parisien n’est pas pour autant achevé. Le CPL ne bénéficie pas d’un blanc-seing pour gérer l’ensemble des affaires civiles de la Résistance départementale, les délégués généraux, aussi bien que les comités directeurs des organisations de résistance observent de très près ce qui se dit et se fait au cours des réunions du bureau. Après que plusieurs délégués se soient succédés, Jean Mons, représentant du CFLN et du CNR, assiste à toutes les réunions à partir du printemps 1944. D’après Francis-Louis Closon, cette surveillance est motivée par la volonté d’éviter qu’une tendance de la Résistance ne prenne une place trop grande, car « la ville où siège le gouvernement ne peut être un fief d’aucun parti quel qu’il soit83 ». À Londres et à Alger, l’intérêt pour cette question est pourtant assez mesuré, si on en croit les agents du CFLN en poste à Paris qui déplorent le manque d’instructions spécifiques jusqu’en août 1944. La priorité est donnée à la préparation militaire de la libération et à la mise en place des cadres administratifs de la France libérée. Cela n’empêche pas les délégués généraux de faire part à leurs chefs des réalisations du comité. Jacques Bingen demande ainsi en janvier 1944 à ses interlocuteurs londoniens qu’un appel du Comité Parisien au Peuple de Paris reçoive à Londres toute « la publicité désirée84 ». Ce qui se passe au CPL remonte jusqu’aux responsables du Commissariat à l’intérieur du CFLN. En théorie, la commission du CNR pour les CDL doit recevoir chaque mois un compte rendu de l’action du comité85, mais cette pratique n’est pas attestée. Un retour est aussi fait au CNR, et Georges Bidault assiste à une séance le 1er juillet 1944. D’après Jacques Bingen, le président du CNR a également assisté à une séance du comité parisien, en décembre 1943 ou janvier 1944, le comité souhaitant, d’après lui, « marquer par ce geste son rattachement au Conseil national de la Résistance86 ». On ne retrouve aucune trace de cette rencontre, il s’agit plus sûrement d’une entrevue entre le président du CPL et celui du CNR, mentionnée dans le procès-verbal de la 5e séance du 26 novembre. Enfin, les états-majors et comités directeurs des mouvements reçoivent aussi des rapports, au moins verbaux de la part de leurs délégués. Par le biais du CPL, le contact est ainsi direct et régulier entre les cercles dirigeants de la Résistance, autant voire plus qu’au CNR, où la Délégation générale n’est pas systématiquement représentée. Les rapports de Jean Mons au délégué général sont réguliers et il vient parfois accompagné d’un autre membre de la délégation général. De ce fait, la Délégation du CFLN sait toujours ce qui est en jeu au CPL et, faute de directives précises du gouvernement, se saisit pleinement de l’organisation parisienne87. En avril 194488, Émile Laffon fait part au commissaire à l’Intérieur de la décision de ne pas nommer de commissaire de la République pour la région parisienne, le collège des membres de la Délégation présents à Paris étant appelé à jouer ce rôle.
27Le CPL se réfère pourtant fréquemment à d’autres tutelles, en l’occurrence le CNR. En janvier 1944 – mais les exemples sont plus nombreux –, le bureau annonce vouloir demander au CNR de « lui indiquer rapidement les dispositions à prendre pour le déclenchement et le déroulement de l’Insurrection nationale89 ». Dans ce contexte, le rôle du représentant de la Délégation est régulièrement questionné. Début juin 1944, Jean Mons prend la parole pour préciser son rôle. Il doit « s’assurer de l’application des décisions du CNR » en région parisienne et « recueillir des informations pour l’édification du gouvernement90 ». Cette mise au point est extrêmement importante, car la position adoptée par Jean Mons répond à une situation conflictuelle au CPL, pour savoir qui parmi le CNR et la Délégation générale est la tutelle véritable du CPL. Le CNR apparaît ici en majesté, présenté comme l’instance de direction de la Résistance, mais Jean Mons fait habilement valoir l’harmonie entre le CNR et le gouvernement, d’autant plus qu’il est lui-même mandaté au CPL par les deux institutions. Pour autant, à partir de juin 1944, certains membres du CPL, en particulier le représentant du parti communiste, n’ont eu de cesse de réclamer que le CPL renforce ses liens avec le CNR, au détriment de la Délégation, accusée d’autoritarisme dans ses décisions concernant le CPL. Cette attaque n’est pas propre au CPL, et sourd dans tous les comités de coordination. Elle est avant tout le fait de la Résistance communiste, en tout cas au CPL où Jean Mons note que ce sont les représentants de l’UD, du FN et du PC qui « voudraient ignorer la délégation et ne traiter directement qu’avec le CNR91 ». Avant cette crispation, les relations du CPL et du CNR, si elles sont fortes, n’ont pas forcément ce caractère exclusif qu’une partie des membres du CPL souhaite au mois de juin 1944. Le CPL se place sous l’égide des deux grandes institutions à parts égales. Certes, le CNR est sollicité en ce qui concerne les questions d’actions, mais le CFLN est quant à lui régulièrement mentionné dans les textes produits par le CPL, pour des questions de principe, mais aussi pour lui soumettre un certain nombre de revendications. Le CNR, de son côté, semble craindre la concurrence du CPL. D’après Jacques Bingen, la difficulté initiale du CPL à être efficace « n’est pas pour déplaire au bureau du Conseil de la Résistance92 ». Des documents émanant du CNR parviennent évidemment jusqu’au CPL, mais les réunions du CPL sont rarement centrées autour de l’analyse de l’action ou des discours du CNR, à l’exception notable de la diffusion d’un texte sur l’insurrection, à la fin du mois de mai 1944. Cependant, les mouvements de Résistance relaient les débats qui agitent le CNR à l’échelon inférieur. Par exemple, Auguste Gillot, le représentant du PC au CNR, adresse à Georges Bidault, le 25 juin 1944 un courrier dans lequel il demande que soient choisis au sein de son parti des secrétaires généraux destinés à prendre en charge les ministères à la Libération, et transmet une copie de ce document au bureau du CPL93.
28Soumis à ces puissantes tutelles dont il a du mal à s’affranchir, étant donné leur proximité, le CPL n’est pas l’incontestable organe de direction de la Résistance parisienne, si on considère que la Résistance parisienne correspond à l’ensemble du monde résistant agissant à Paris. Toutes les instances de décision sont ici, prennent leur propre décision et en réfèrent au CNR et à la Délégation générale directement. CAD, NAP, CGE, COMAC n’ont de contacts avec le CPL que pour transmettre leurs directives, qui le plus souvent arrivent au bureau par l’intermédiaire de la délégation ou d’un représentant en contact avec l’un ou l’autre de ces comités94. Toutefois, le fait que le CPL ait un contact direct avec les plus hautes autorités de la Résistance, CNR et Délégation générale est unique pour un CDL et le met sur le même plan que les autres organisations citées plus haut. De plus, si on considère la Résistance parisienne comme un ensemble plus restreint, la conjonction des forces agissant localement, ayant une influence directe sur la base dans les arrondissements et les communes de banlieue, il est évident que le CPL en est le principal inspirateur. Le tiraillement entre son ancrage national de fait et ses responsabilités départementales est bien la principale caractéristique du Comité parisien de la libération. À la croisée de deux mondes, le CPL ne choisit pas l’un ou l’autre et est à la fois un lieu où les problématiques nationales, voire internationales, de la Résistance sont évoquées, et où s’expriment les revendications de la base, dont le CPL se fait l’interprète. Ce mélange déroute, mais définit sans doute au mieux la spécificité de ce comité.
Débat politique permanent
29Conséquence de son statut hybride et de sa proximité avec l’épicentre du pouvoir résistant, le CPL est un lieu d’échange. Les thématiques et mécanismes de cette discussion révèlent la propension du CPL à élargir le cadre de son action, en situant au cœur de celle-ci la question du pouvoir.
30Souvent, la discussion est provoquée par l’exposé inaugural que fait le président en début de séance, sur la situation nationale et internationale. Ce tour d’horizon n’est pas détaillé dans chaque procès-verbal, mais est un passage obligé de la réunion. Pour les questions de politique intérieure, la plupart des discours de De Gaulle ont un écho dans les réunions du CPL. L’avancée de l’armée russe est particulièrement scrutée par André Tollet. D’une façon générale, jusqu’au débarquement, les événements internationaux mentionnés dans le procès-verbal sont le plus souvent des événements intéressants l’URSS, et quasiment à chaque fois introduits par le président. L’intérêt du CPL pour la situation nationale et internationale est lié à ses propres objectifs, car l’évolution du conflit mondial a évidemment des conséquences pour la Résistance, à plus ou moins long terme. De même, l’horizon d’une redéfinition des grands équilibres internationaux est une préoccupation pour certains membres du CPL, attentifs à ce que la France conserve une position forte. L’autre grande thématique internationale évoquée est liée à la question de la reconnaissance par les alliés du CFLN et la place de la France dans l’Europe d’après guerre. Des messages de soutien sans équivoque sont envoyés quand l’indépendance de la France est en jeu95. Pour autant, les discussions du CPL sur le CFLN et le général de Gaulle sont souvent assorties de sous-entendus qui se rapprochent des critiques formulées parallèlement par le PC. L’autorité de De Gaulle n’est jamais discutée sur le principe, mais l’action du gouvernement d’Alger ou la personnalité de ses ministres peut faire l’objet de réserves et de critiques. Si les mouvements de résistance non-communistes ont plus tendance à défendre et à faire confiance au CFLN et à l’Assemblée consultative, quand le gouvernement ne semble pas tenir compte de la Résistance dans ses projets d’après guerre, l’émotion est partagée. C’est notamment le cas suite à l’annonce de l’intention du CFLN de procéder à des élections au second degré, après la libération96. À partir du débarquement, le terrain politique se confond avec le terrain militaire et l’action de la résistance sur le territoire national, et la solidarité avec le CFLN est plus unanime quand il s’agit de s’opposer aux desseins américains, notamment le maintien de la municipalité vichyste à Bayeux, ou l’émission de billets par les Alliés97. Elle l’est beaucoup moins quand le CFLN, qui est désormais le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) entend jouer à plein son rôle gouvernemental, fut-ce en réduisant celui des institutions de la Résistance98.
31Le CPL veut également jouer un rôle d’« interprète qualifié de la population parisienne99 » en étant une courroie de transmission de la base vers la tête, pour des revendications, souvent très concrètes. De très nombreuses adresses au CFLN, rédigées par des organisations ouvrières comme les Comités populaires, des sections de la CGT ou des regroupements d’employés, transitent par le CPL, en particulier par André Tollet et le représentant FN. Jacques Bingen en fait mention en janvier et en envoie « une enveloppe spécimen100 » à Londres. À la fin de l’année 1943, les motions souhaitent « que la BBC fasse une place à la voix de la Russie comme elle a fait une place à la voix de l’Amérique », ou « que le bassin de Briey soit bombardé101 ». Plus tard, après le débarquement, elles demandent la reconnaissance du CFLN par les Alliés, un visa pour Maurice Thorez, s’insurgent contre le maintien des maires nommés vichystes par les Alliés en Normandie ou contre l’émission de monnaie par ces mêmes alliés. Un texte émanant des Comités populaires de Seine-et-Marne, pour regretter qu’ils ne soient pas reconnus comme mouvement de résistance par le CNR102, est un des rares documents portant une demande particulière, du ressort du CPL et du CNR.
32Le rapport de force qui sous-tendait déjà les équilibres au moment de la création du CPL demeure et s’exprime souvent au sein du bureau. Les termes restent les mêmes : quelle doit être la place des mouvements communistes dans la Résistance et dans la France libérée ? On a vu précédemment qu’au bureau du CPL, l’opposition de fait entre les communistes et les non-communistes était renforcée par l’organisation départementale du PC, de la CGT et du FN en un comité de direction commun où siègent deux membres du CPL. Les organisations de masse dominées par les communistes font également preuve d’une activité qui les légitime au sein du comité de coordination, d’autant plus à partir du moment où les commissions sont mises en place. Ainsi, l’ordre du jour des séances est très en phase avec les préoccupations des mouvements proches du PC et du parti lui-même. Le CPL devient de fait une tribune pour porter ces revendications, au même titre que les autres organismes de coordination, à la différence qu’ici trois membres sur six, dont le président, maître de l’ordre du jour, peuvent les appuyer. Cela s’exprime parfaitement dans l’affaire du refus de visa pour Alger à Maurice Thorez, au sujet duquel le groupe communiste réussit à faire voter une motion unanime du bureau. En face, il a été démontré que la même solidarité n’existe pas toujours entre les représentants des autres organisations, même si les attaques dont a été l’objet la Délégation générale au printemps 1944 crée un front commun et, par là même, une opposition encore plus nette entre les deux blocs, « révolutionnaire » contre « classique » comme les a appelés Henri Denis, « nous » et « les autres » comme le dit Rigal dans ses rapports103, « les Cocs » et les « non-Cocs » comme l’abrège Léo Hamon dans son journal104. La césure existe donc, les acteurs eux-mêmes la mettent en avant. Comment peut-elle être surmontée dans les comités censés définir une vision commune ? La pratique démocratique particulière à la Résistance permet dans certains cas de faire taire les oppositions. La commission du CNR pour les CDL se soucie régulièrement de la bonne entente au sein des CDL, au nom de l’efficacité105. La nécessité de donner un seul message, sous peine de le brouiller aux yeux de la population, oblige également à la modération.
33Au travers de l’étude des pratiques du Comité parisien de la libération, on peut mettre en avant trois différents niveaux de relations, et trois façons d’envisager la Résistance dans le territoire parisien. Premièrement, la coordination des pratiques, mais également les oppositions politiques, donnent à voir les relations entre organisations de résistance. La volonté de dépasser les oppositions est manifeste, notamment par la pratique de l’unanimité des décisions, mais ressemble souvent à la recherche d’équilibres, de juste milieu, entre deux camps jouant un jeu de stratégie. Deuxièmement, le CPL, en tant qu’organisme au discours unique, noue une relation d’autorité avec la population parisienne, puis, nous le verrons, avec les comités locaux de libération. Enfin, le CPL est un des rouages de cet État clandestin en construction perpétuelle, dans lequel il cherche une place, dont l’importance ne peut être que proportionnelle à celle qu’il doit acquérir en tant que lieu de coordination et voix de la Résistance parisienne. Le CPL réussit en partie à atténuer la distance qui existe entre les organisations de résistance parisienne, en particulier entre les organisations dominées par les communistes et les autres. Cependant, des oppositions de fonds liées à la prise du pouvoir ne sont jamais dépassées. Léo Hamon, dans son journal, se fait le porte-parole des organisations non-communistes, qui craignent fortement le « rush106 » communiste, non pas tant pour lui-même que pour ses conséquences sur une population qui pourrait ainsi avoir une réaction de rejet contre la Résistance dans son ensemble. La crainte conjointe de chacun de voir l’autre camp s’adjuger la meilleure place dans la victoire façonne en grande partie les attitudes des membres du CPL. Ce n’est certes pas rendre justice au patriotisme sincère dont tous les résistants font preuve, mais c’est le propre des organisations qui développent un programme politique, au moins de principe, de veiller à ce que leurs idées, et donc leurs hommes, ne soient pas exclus des institutions amenées à les appliquer. L’attitude du parti communiste, foncièrement méfiant vis-à-vis du gouvernement d’Alger alors même que ses propres représentants en font partie et vis-à-vis de l’organigramme mis en place est aussi l’attitude logique d’un parti habitué à se situer dans l’opposition. La participation des mouvements communistes à toutes ces institutions aux côtés de « bourgeois » est une première, et ne se fait évidemment pas sans regimber, au moins pendant un temps de découverte. Ces propositions d’explication sont valables pour la France entière. Le contexte particulier de la région parisienne transforme ces incompréhensions et sous-entendus en véritable concurrence. Le pouvoir en région parisienne est un enjeu depuis le début de l’année 1943, et la création du CPL en est une des péripéties. Les membres du CPL sont sans doute tous conscients d’un tel enjeu, et donc du poids de leur charge. Les stratégies de conquête du pouvoir peuvent être divergentes entre ces groupes. Le CPL, dont l’action est liée intrinsèquement à la libération de Paris, événement symbolique attendu par tous, est traversé par ces contradictions.
Notes de bas de page
1 AN, F1a/3728, rapport de Bingen, février 1944.
2 AN, F1a/3728, rapport mensuel de Cléante, avril 1944.
3 Ibid.
4 AN, 72AJ/2304, lettre du Bureau des syndicats ouvriers de la Région parisienne au camarade Madelin, reçue le 12 août 1943.
5 AN, 397AP/10, lettre à la Fédération socialiste de la Seine, 1er août 1944.
6 André Hoschiller, né le 12 août 1917, est un responsable du mouvement étudiant communiste à Paris dans les années 1930, ainsi que journaliste pour les publications du parti communiste, carrière qu’il poursuit après la guerre.
7 MHV, fonds Duclos RP, rapport mensuel, janvier 1944.
8 Ibid.
9 Marie Granet, Ceux de la Résistance (1940-1944), op. cit., p. 145.
10 AN, F1a/3728, Rapport de Cléante, janvier 1944.
11 Ibid.
12 Militant socialiste, il a, dans la Résistance, une action essentiellement tournée vers le renseignement.
13 Arthur Calmette, L’Organisation civile et militaire, histoire d’un mouvement de résistance de 1940 à 1946, op. cit., p. 155. et AN, 72AJ/67, témoignage de Jacques Piette, 13 août 1946.
14 Vladimir Trouplin, Dictionnaire des compagnons de la Libération, Paris, Elytis, 2010, 1230 p.
15 MRN, 14/ATOL/1, procès-verbal de la 19e séance, 31 mars 1944.
16 MHV Fond Duclos, D3, front national région parisienne, rapport général d’activité pour février 1944.
17 AN, F1a/3728, rapport de Cléante de février 1944.
18 Henri Denis, Le Comité parisien de la Libération, op. cit., p. 200.
19 AN, F1a/3728, rapport de Cléante, janvier 1944.
20 MRN, 14/ATOL/1, procès-verbal de la réunion du Bureau, 5e séance, novembre 1943.
21 MRN, 14/ATOL/1, mesures de sécurité, janvier 1944.
22 MRN, 14/ATOL/1, « Union contre les diviseurs » [décembre 1943].
23 MRN, 14/ALEG/4, réunion du bureau du 3 décembre 1943.
24 MRN, 14/ALEG/4, réunion du bureau du 14 novembre 1943.
25 MRN, 14/ALEG/4, réunion du bureau du 3 décembre 1943.
26 AN, F1a/3728, rapport de Fouché, annexe n° 3, note sur le Comité parisien de la libération, s. d.
27 MRN, 14/ALEG/4, réunion du 26 novembre 1943.
28 MRN, 14/ALEG/4, réunion du 29 octobre 1943.
29 MRN, 12/78 UFF, note pour le CPL, s. d.
30 MRN, 14/ATOL/1, procès-verbal de la 18e séance, s. d.
31 MRN, 14/ATOL/1, procès-verbal de la 28e séance [23 juin 1944].
32 MRN, 14/ATOL/1, procès-verbal de la 26e séance, 9 juin 1944.
33 MRN, 14/ATOL/1, procès-verbal de la 28e séance [23 juin 1944].
34 AN, 72AJ/42, journal de Léo Hamon, p. 145.
35 BDIC, FΔ 183221/4, séance du 23 juin 1944.
36 AN, F1a/3728, rapport de Cléante, janvier 1944.
37 AN72AJ/42, journal de Léo Hamon, p. 115-116.
38 AN, F1a/3728, rapport de Cléante, janvier 1944.
39 AN, 72AJ/42, journal de Léo Hamon, p. 104-105.
40 AN, 397AP/10, témoignage de Marie-Hélène Lefaucheux par Marie Granet, s. d.
41 Léo Hamon, Vivre ses choix, op. cit.
42 André Tollet et Claude Lecomte, Ma traversée de siècle, op. cit. André Tollet et Germaine Willard, La classe ouvrière dans la Résistance, Paris, France, Éditions sociales : Messidor, 1983, 292 p. ; André Carrel, Mes humanités, op. cit.
43 AN, 72AJ/42, journal de Léo Hamon p. 102-104 et 203.
44 Antoine Prost, La résistance, une histoire sociale, Paris, les Éditions de l’atelier, coll. « Mouvement social », 1997, p. 21-41.
45 MRN, 14/ATOL/1, procès-verbal de la 8e séance, s. d.
46 Laurent Douzou, « La démocratie sans le vote. La question de la décision dans la Résistance », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 140, décembre 2001, p. 57-67.
47 André Tollet, « Intervention », op. cit.
48 Un texte titré « Des policiers français aux ordres de la Gestapo torturent les patriotes parisiens » est présenté à la 10e séance, le 7 décembre 1943.
49 Par exemple, un texte à propos des coupures de courant est voté à la 18e séance, quelques ajouts et précisions sont faites par divers membres du bureau.
50 AN, 72AJ/42, Journal de Léo Hamon p. 141-142.
51 MRN, 5AJ1/14/ATOL 1, procès-verbal de la 36e séance du CPL [17] août 1944.
52 MRN, 1/33 Le Patriote parisien [mars 1944].
53 MRN, 14/ALEG/4, réunion du bureau du 14 novembre 1943.
54 MHV Fond Duclos, D3, front national région parisienne, rapport général d’activité pour février 1944.
55 Opération d’ampleur réalisée par les groupes de sabotages de Libération-Nord, commandés par Jean Gosset.
56 AN, 72AJ/1902, Vincent à Rabaud, Note A/S de la réunion du CLRP dans la semaine du 26 février au 4 mars.
57 MRN, 1/33, Le Patriote parisien [mars 1944].
58 Le 25 février 1944, un groupe lié au CAD, conduit par Léo Hamon, réussit à détruire, au sein même du ministère du travail, l’ensemble des fiches de recensement de la classe 1944, désorganisant considérablement les réquisitions de main-d’œuvre.
59 MRN, 14/ATOL/1, procès-verbal de la 14e séance, 28 janvier 1944.
60 Henri Denis, Le Comité parisien de la Libération, op. cit., p. 196.
61 Cette volonté originale de produire régulièrement des textes, sans qu’ils soient toujours publiés ensuite est d’ailleurs source de difficulté pour l’historien, qui a parfois du mal à dater les productions, les producteurs, et le destin des nombreux appels. C’est le cas, nous l’avons vu, du premier texte du Comité parisien de la libération, daté à tort de septembre 1943.
62 MRN, 14/ALEG/4, procès-verbal de la 4e séance, 14 novembre 1943.
63 MRN, 14/ATOL/1, « Peuple du grand Paris », s. d.
64 MRN, 14/ATOL/1, tract aux cheminots de Montrouge, 20 juin 1944.
65 MRN, 14/ATOL/1, cheminots, à l’aide des déportés [février-mars 1944].
66 La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse précise que seules les affiches émanant de l’État peuvent être tirées sur papier blanc.
67 MRN, 14/ATOL/1, affiche sans titre, 6 août 1944.
68 MRN, 14/ATOL/1, le débarquement des alliés, tant désiré par la population parisienne s’est réalisé, 8 juin 1944.
69 MRN, 14/ATOL/1, le jour tant attendu est arrivé, août 1944.
70 MRN, 14/ATOL/1, peuple du grand Paris [octobre-novembre 1943].
71 MRN, 14/ATOL/1, le Comité parisien de la libération appelle le peuple de Paris à se dresser contre la famine, s. d.
72 MRN, 14/ATOL/1, texte à propos de la récupération du métal par les Allemands, s. d.
73 MRN, 14/ATOL/1, texte sur la fermeture des boulangeries, mars 1944.
74 MRN, 14/ATOL/1, le CPL aux comités locaux, s. d.
75 MRN, 14/ATOL/1, « Population parisienne, Alerte », adopté à la 21e séance [21 avril 1944], et « Parisiens » [à propos des bombardements], [24e], 26 ou 28 mai 1944.
76 Cette terminologie quasi officielle est employée aussi bien dans Le Journal des débats (par exemple le 20 mars 1944) ou par Le Matin (12 avril 1944, parmi tant d’autres occurrences).
77 MRN, 14/ATOL/1, procès-verbal de la séance du 14 novembre 1943, de la 6e séance [3 décembre 1943], de la 8e séance [17 décembre 1943], 9e séance [24 décembre 1943], 10e séance [31 décembre 1943].
78 MRN, 14/ATOL/1, texte à propos des attaques du « Waffen SS Darnand contre la population parisienne », s. d.
79 Directeur de la Dépêche de Toulouse, qui soutient le régime, il est assassiné par la Milice le 2 décembre 1943.
80 Doyen de la faculté de Grenoble, et membre de réseaux de renseignement, il est arrêté par la Milice et assassiné le 22 décembre 1943.
81 MRN, 14/ATOL/1, « Au peuple de France » [février 1944].
82 MRN, 14/ATOL/1, « Aux cheminots du dépôt de Montrouge » et « Au personnel des postes, télégraphes, téléphones », 20 juin 1944.
83 AN, 72AJ/234, note sur les problèmes politiques de la RP, 21 juillet 1944.
84 AN, F1a/3728, rapport de Cléante, janvier 1944.
85 AN, 397AP/10, questionnaire (en blanc), mensuel à remplir par le président ou par le secrétaire du CDL, s. d.
86 AN, F1a/3728, rapport de Cléante, janvier 1944.
87 AN, F1a/3728, rapport n° 4 de Fouché (Francis-Louis Closon), notes sur le Comité parisien de la libération [mars 1944].
88 AN, 72AJ/234, rapport de Guizot au COMIDAC, 22 avril 1944.
89 MRN, 14/ATOL/1, procès-verbal de la 13e séance, 21 janvier 1944.
90 MRN, 14/ATOL/1, procès-verbal de la 26e séance [8] juin 1944.
91 BDIC, FΔ 183221/4, Vallat à Cérat, 18-6-1944.
92 AN, F1a/3728, rapport de Cléante, janvier 1944.
93 AN, 397AP/10, Monsieur Manin à Monsieur Jean Jacques, 25/6/1944.
94 Ainsi, c’est la commission du CNR pour les CDL qui donne des directives sur les rapports des CDL avec les FFI (31 mars 1944) et avec le NAP (2 mai 1944).
95 C’est notamment le cas à la fin de l’année 1943 en réponse aux propos de Jan Christiaan Smuts, premier ministre sud-africain et chef par intérim du cabinet de guerre britannique, qui estime dans un discours public que « la France s’est effondrée, elle le demeurera de nos jours et peut-être pour bien des jours à venir ». Ces mots sont largement repris par Radio-Paris et la presse légale, tout autant que par la presse clandestine.
96 MRN, 14/ATOL/1, procès-verbal de la 10e séance [31 décembre 1943].
97 MRN, 14/ATOL/1, procès-verbal de la 27e séance, 16 juin 1944.
98 Voir la question de la nomination des préfets de la Seine et de Police.
99 MRN, 14/ATOL/1, tract, 16 juin 1944.
100 F1a/3728, rapport de Cléante, janvier 1944.
101 Ibid.
102 Centre d’Histoire de Sciences Po, Fonds Alexandre Parodi, PA6. Les résolutions demandant un visa pour Thorez sont les plus nombreuses. Elles se ressemblent beaucoup dans la forme et émanent à la fois de regroupements d’employés dans une usine bien déterminée (« la CPDE, section Saint Ambroise »), de regroupements professionnels (« les boulangers de la région parisienne »), ou encore de résidents d’une même commune (« ouvriers, employés, artisans, commerçants, intellectuels de Nanterre »).
103 MRN, 14/ALEG/4, rapport de Poncet, 27 octobre 1943.
104 AN, 72AJ/42, journal de Léo Hamon, p. 188.
105 AN, 397AP/10, commission du CNR pour les CDL, note à tous les membres des CDL et en particulier aux membres des noyaux actifs, 13 mai 1944.
106 AN, 72AJ/42, journal de Léo Hamon, p. 183.
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