La première inscription de la Grande Guerre dans un discours lexicographique : le Larousse universel de 1922
p. 159-174
Texte intégral
1Cette étude, située dans la perspective linguistique de l’analyse du discours, se propose d’analyser l’image de la Grande Guerre dans un texte lexicographique, le Larousse universel de 1922, sous la direction de Claude Augé. Quatre ans après la fin de la guerre, les éditions Larousse font paraître une encyclopédie de 3000 pages en deux tomes destinée à remplacer le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle (1866-1877) de Pierre Larousse. La finalité de cette publication, revendiquée dans la préface, est de rendre compte des changements engendrés par la Grande Guerre dans le champ des savoirs et des connaissances, conformément à sa vocation encyclopédique, mais également de retracer l’histoire des événements marquants du conflit : il s’agit donc de la première inscription à chaud de l’événement dans un discours lexicographique de type encyclopédique. L’intérêt que portent les lexicographes de la maison Larousse à la Grande Guerre s’était exprimé auparavant dans plusieurs ouvrages, comme par exemple le Larousse médical illustré de guerre de Galtier-Boissière 1917, ou encore le Dictionnaire des termes militaires et de l’argot poilu de 1916, qui paraissent donc avant la fin du conflit et qui ne concernent toutefois que des domaines de spécialité très spécifiques, à savoir la médecine et la langue française, et donc sans portée encyclopédique1.
2La richesse du Larousse universel, texte peu connu et oublié par les métalexicographes, est double : richesse de nature linguistique d’abord, puisqu’il enregistre les néologismes et l’argot dans sa macrostructure. Mais surtout on y observe l’élaboration d’un discours historique, omniprésent tout au long du texte, qui constitue un événement de langage remarquable. D’un point de vue quantitatif, il est marqué par l’abondance de données encyclopédiques de toute nature (scientifique, technique, médical) et par la multitude d’articles illustrés par une iconographie minutieuse sous forme de cartes et de planches illustratives. D’un point de vue qualitatif et discursif, ce discours présente la particularité d’une abondante modalisation2 où apparaissent la subjectivité du lexicographe et ses positions idéologiques fortement marquées. En effet, le discours encyclopédique possède une spécificité qui favorise le déploiement de la modalisation : à l’instar du dictionnaire de langue, il est de nature métalinguistique puisqu’il renseigne sur les mots, mais contrairement à ce dernier, il renseigne aussi sur les choses à travers des microdiscours où se côtoient des informations référentielles, des prises de position et des jugements de valeur de nature axiologique. Il est le produit culturel d’une époque donnée et, en l’occurrence, il reflète une véritable culture de guerre soit « un corpus de représentations du conflit cristallisé en un véritable système donnant à la guerre sa signification profonde. Une “culture” indissociable d’une spectaculaire prégnance de la haine à l’égard de l’adversaire3 ».
3Le Larousse universel se fait porteur de la nouveauté que constitue l’événement de la Grande Guerre, comme en témoigne le discours de la préface, polyvalent, de nature programmatique, mais également auto-promotionnelle puisqu’il installe sa légitimité et son ethos de garant du savoir et de la connaissance :
« La Grande Guerre, en ajoutant à l’histoire un chapitre douloureux et grandiose, en bouleversant la géographie politique de l’Europe, en amenant sur la scène du monde nombre de personnages hier peu connus et aujourd’hui illustres, en lançant dans l’usage une foule de mots nouveaux pour désigner des choses nouvelles, nous faisait un devoir de présenter un dictionnaire au courant de cet univers changé. […]. Le principal de ses avantages c’est de donner, en 2 volumes extrêmement substantiels, la quintessence d’une encyclopédie complète, de permettre à ceux-là mêmes qui ne peuvent acheter un dictionnaire d’un prix relativement élevé d’avoir eux aussi leur Larousse, c’est-à-dire le livre par excellence où l’on trouve tout, bref le livre indispensable entre tous, celui qui vous donne dans la vie une véritable supériorité intellectuelle et pratique. Le Larousse universel met à la portée du grand public, pour un prix modique, les avantages considérables que donne la possession d’un dictionnaire encyclopédique digne de ce nom. […]. En ce qui concerne particulièrement la Grande Guerre, on trouvera la notice biographique des personnalités militaires et civiles qui y ont joué un rôle important, la mention des lieux géographiques qui ont été le théâtre d’un engagement, avec un résumé des principales batailles, l’indication des localités dévastées, enfin les dernières précisions sur les remaniements territoriaux qui ont suivi la paix. »
4Il s’agit donc d’attester la créativité lexicale à laquelle la Grande guerre a donné lieu, avec les néologismes, la diffusion de l’argot et notamment celui des tranchées, et d’entériner son usage à travers l’acte de légitimation que constitue l’inscription dans le dictionnaire. Mais il s’agit également de créer un discours fondateur relatant la globalité de ces nouveautés portées par le conflit tout récent, en particulier à travers l’élaboration d’un discours historiographique. On peut donc parler de création en langue et en discours, ce qui constituera l’articulation de cette analyse.
Créativité et création en langue : néologismes, emprunts et argot
5Les néologismes répertoriés sont exclusivement de nature sémantique4 : néologismes d’emprunt, néologismes absolus, dont l’apparition correspond sans aucun doute possible à la Grande Guerre, acceptions techniques à statut néologique, et resémantisation de mots déjà existants.
6Les néologismes d’emprunt attestés sont les suivants :
« Barda : Arg. milit. Ensemble des effets d’habillement, d’équipement et d’armement d’un soldat. »
« Bled : Au Maroc, pays, région. Arg. milit. Terrain inculte ; terrain entre les lignes opposées. »
« Cagna : Arg. milit. Abri du soldat sous terre ou sur terre, foyer intérieur. » « Guitoune : (de l’arabe kitoun, tente) Arg. milit. Tente. »
« No man’s land : Expression anglaise signifiant : terre d’aucun homme, territoire contesté, sans possesseur ; appliquée pendant la Grande Guerre aux terrains qui, rendus intenables par la mitraille, restaient inoccupés entre les tranchées de première ligne des deux adversaires. »
« Nouba : Musique des tirailleurs algériens où entrent des instruments indigènes et qui donne presque exclusivement des airs arabes. Arg. milit. Faire la nouba, faire la fête, la noce. »
« Sammy : Diminutif de Sam : l’oncle Sam étant la personnification du peuple américain. Sobriquet amical donné aux soldats américains venus pendant la Grande Guerre pour combattre sur le front français. »
« Tommy : Diminutif de Tomas, abréviation de Tomas Atkins, personnification du simple soldat anglais. »
« Turco : Nom familier des tirailleurs algériens. »
7Remarquons que l’indication de leur étymologie et de leur provenance n’est pas systématique : par exemple l’entrée barda ne mentionne pas son origine arabe, ni l’entrée cagna son origine annamite, ni l’entrée turco sa double provenance du sabir algérien et de l’italien5. Il faut également remarquer les emprunts issus de régionalismes (par exemple zigouiller (Sud-Est) ou toto (Argonne) ne sont pas indiqués comme tels.
8Les néologismes absolus correspondent bien évidemment à des réalités inédites, formés par siglaison (Anzacs), par métaphore (crapouillot et ses dérivés crapouilloter, crapouilloteur), par morphologie dérivationnelle (Ypérite, obusite), ou par métonymie (grosse Bertha, du nom de Bertha Krupp) :
« Anzac : Mot formé des initiales de Australian New Zealand Army Corps et désignant les Australiens et les Néo-zélandais qui servaient dans l’armée britannique pendant la Grande Guerre. »
« Bertha (grosse) : Surnom familier des canons allemands à longue portée qui bombardèrent Paris en 1918. »
« Gazer : Milit. Soumettre à l’action des gaz asphyxiants. »
« Obusite : Ensemble de troubles déterminés chez certains sujets par l’éclatement voisin d’un obus, sans qu’ils soient proprement atteints. »
« Yperite : De Ypres, ville où tombèrent, pendant la Grande Guerre, les premiers obus allemands chargés de cette substance nocive. Sulfure d’éthyle dichloré utilisé comme “gaz de combat”. L’ypérite, d’abord employée par les Allemands (juil. 17) puis par les Alliés (mai 18), est fusible à 14 ° et bout à 217 °. Les Alliés réussirent à la préparer simplement par barbotage du gaz éthylène dans le bichlorure de soufre. C’est une substance suffocante, lacrymogène, et surtout vésicante : elle empoisonne longtemps les lieux où elle a été répandue et elle a une terrible action de corrosion sur les muqueuses internes. »
« Ypérité : Qui a été soumis à l’action de l’ypérite : zone ypéritée. Syn. Gazé. »
9Voici une sélection de cas de néologismes correspondant à de nouvelles acceptions techniques de termes existants. En cas de polysémie, c’est généralement l’acception à statut néologique liée à la Grande Guerre qui est citée en première position, indice de sa profonde imprégnation dans la langue, où, le cas échéant, le marquage contextualise le sens du mot, par exemple la marque aéronautique pour l’entrée saucisse et la marque artillerie pour l’entrée téton :
« Abattis : Milit. Barricade ou retranchement accessoire, consistant en un amas d’arbres dont les branches entrelacées sont tournées vers l’ennemi. Pop. Bras, jambes, mains, pieds. »
« Boyau : Fig. Tranchée en zig zag. »
« Pastille : 1. Petite rondelle de drap cousue sur le col de la capote, à côté du numéro du régiment, ou sur le calot, et indiquant par sa couleur le bataillon ou l’escadron auquel le soldat appartient (bleu pour le 1er, rouge pour le 2e, jaune pour le 3e). 2. Pastille incendiaire, pastille à base de phosphore et de thermite, employée par les Allemands pendant la Grande Guerre pour allumer des incendies. »
« Perdu : Enfants perdus, soldats que l’on envoyait en éclaireurs, ou qui commençaient l’attaque. »
« Saucisse : Aéron. Ballon captif de forme allongée servant d’observatoire militaire. »
« Téton : Artill. Petite masse conique de métal venue avec la pièce de fonte, et qui, servant à la fixation sur le tour, est supprimée après le tournage du projectile, qui est alors dététonné. »
10On trouve aussi des cas de ce que l’on peut rattacher à un phénomène de resémantisation car il s’agit de termes déjà existants à sémantisme relativement neutre qui, dans le contexte de la Grande Guerre, acquièrent durablement une charge connotative extrêmement forte, positive pour poilu et négative pour Boche, Huns et Teuton6 :
« Boche : Synonyme populaire d’Allemand. Appellation familière et méprisante de tout ce qui est allemand, individu ou objet : un boche, duplicité boche.
Bocherie : Arg. Vilenie de Boche, d’Allemand. (on dit aussi bochonnerie).
Bochie : Arg. Pays des Boches ou Allemands.
Bochiser : Pop. Germaniser, espionner ; être au service des Boches ou Allemands.
Bochisme : Pop. Idée ou coutume boche ou allemande. »
« Huns : Surnom donné par les Anglais aux Allemands pendant la Grande Guerre pour exprimer le caractère barbare de l’invasion germanique en Belgique et en France. »
« Poilu : Partic. Soldat français de la Grande Guerre. »
« Teuton : En mauvaise part, Allemand. »
11Dans le Larousse universel, le traitement lexicographique de l’argot pose problème. À l’entrée argot, nous trouvons l’information suivante : « la Grande Guerre a créé de nouveaux mots d’argot et surtout développé et répandu l’argot déjà existant7. » Cependant, une analyse attentive des termes d’argot révèle une certaine instabilité dans leur marquage diastratique8. En effet, la multiplicité des marques (populaire, familier, argot, argot militaire, trivial, etc.) crée un brouillage quant à leur classification possible. Par exemple, Boche et sa série lexicale n’ont pas le même marquage (argot et populaire), de même que crapouillot et ses dérivés, ainsi que le terme gniole marqué comme argot militaire et sans définition mais avec un renvoi à niole marqué comme argot tout court :
« Crapouillot : Petit canon ou mortier employé dans la « guerre des tranchées ». Par ext. projectile lancé par cet engin.
Crapouilloter : Arg. milit. Bombarder avec un crapouillot.
Crapouilloteur : Arg. milit. Servant d’un crapouillot. Adject. Fantassin crapouilloteur.
« Filon : Pop. Bonne aubaine ; emploi agréable ; poste sans danger : avoir le filon, ce n’est pas le filon. »
« Gnôle, gniôle, gniaule : Arg. milit. Voir Niôle
Niôle : Arg. Eau de vie. »
« Zigouiller : Arg. Couper la gorge, tuer à coup de couteau, tuer. »
12En outre, il faut constater qu’il existe au moment de la parution de l’encyclopédie un intertexte très dense de dictionnaires d’argot9, dont les plus célèbres sont les suivants : Lazare Sainéan, L’argot des tranchées d’après les lettres des poilus et les journaux du front de 1915 ; le Dictionnaire des termes militaires et de l’argot poilu de la maison Larousse de 1916 ; Albert Dauzat, L’argot de la guerre d’après une enquête auprès des officiers et des soldats de 1918 ; François Déchelette, L’argot des poilus. Dictionnaire humoristique et philologique de 1918 ; et enfin Gaston Esnault, Le Poilu tel qu’il se parle. Dictionnaire des termes populaires récents et neufs employés aux armées en 1914-1918 étudiés dans leur étymologie, leur développement et leur usage de 1919. Or, il n’existe aucune mention de sources, malgré cet intertexte incluant la maison Larousse même, et, de plus, les macrostructures de ces différents ouvrages ne coïncident pas nécessairement. Nous sommes ici au cœur de la problématique de la désignation et de la délimitation de la langue poilue qui révèle la porosité de ce langage aux multiples dénominations (langue poilue, argot des tranchées, argot de la guerre, langue des tranchées, etc.), ainsi qu’en témoigne la querelle des linguistes pendant le conflit10. Le parti pris linguistique du Larousse est l’adoption d’une désignation hyperonymique, à savoir argot militaire, sans autre précision.
13Voici la totalité des entrées répertoriées sous cette désignation, qui sont quantitativement peu importantes par rapport aux ouvrages précédemment cités, et ceci en raison du fait que certains termes attestés ailleurs comme appartenant à l’argot des poilus sont ici classés sous les marques génériques argot et populaire, comme par exemple zigouiller argot, filon populaire : « Barda, Bled, Bonhomme, Cagna, Crapouillot, Crapouilloter, Crapouilloteur, Gniôle, Marmite, Nouba, Parapluie, Peau de lapin, Pépère, Perco, Pinard, Poulet, Rabiot, Scribouillard, Singe, Tampon, Toto, Troufion. »
14Ainsi, les informations métalinguistiques ne font pas l’objet d’une démarche systématique et rigoureuse : nous avons en effet constaté une certaine disparité de traitement entre les entrées, notamment par rapport à l’étymologie et au marquage diastratique. Cette instabilité et cette variabilité de la glose métalinguistique, loin d’être un acte normalisateur, nous amène à formuler l’hypothèse que la langue en soi n’est plus, en 1922, porteuse d’enjeux identitaires et fédérateurs11, mais que c’est plutôt le discours qui en constitue un. En effet, c’est dans les entrées encyclopédiques et historiques que se révèle la volonté de normalisation de l’événement Grande Guerre de la part des rédacteurs.
À la charnière entre langue et discours : les entrées encyclopédiques
15Conformément au discours programmatique de sa préface, l’encyclopédie rend compte des progrès techniques et médicaux dus à la Grande Guerre. Les articles des entrées encyclopédiques, au nombre de 55, se distinguent par leur longueur et par la minutie des descriptions, enrichis par la présence d’une iconographie assurant une fonction dénotative12. Il s’agit soit de simples illustrations, comme dans l’entrée jambe où figurent différents types de prothèses destinées aux soldats amputés, soit de planches illustratives extrêmement détaillées, comme par exemple dans l’entrée tranchée qui en présente tous les types (en zigzag, en crémaillère, organisation défensive des boyaux, etc.)13. En outre, il faut constater dans ces articles encyclopédiques des caractéristiques dépassant leur simple vocation descriptive.
16Ainsi, dans les exemples suivants, leurs constantes discursives, à savoir la modalisation et la prépondérance de l’axiologie14, apparaissent clairement. Par exemple, les entrées aérostation et gaz sont marquées axiologiquement par la dichotomie germanophobie/ethnocentrisme, alors que l’entrée tranchée se conclut par l’introduction du pathos dans le discours15 :
« Aérostation : A l’étranger, les Anglais, les Américains, les Italiens construisaient aussi des dirigeables, dont aucun cependant ne détrône le modèle français. Quant aux Allemands, ils imitent servilement leurs devanciers ; lorsqu’ils veulent innover, c’est pour fournir un modèle qui flatte leur goût du « kolossal », le Zeppelin, dont la carrière militaire, en dépit des espoirs fondés outre-Rhin, s’achevait en fiasco. »
« Gaz : Ce fut le 22 avril 1915 que les Allemands, au mépris absolu des lois de guerre, et en opposition flagrante avec les accords de la Haye contresignés par eux (1899), commencèrent à utiliser des produits suffocants, en nappe d’abord, puis par projectiles. Prise au dépourvu par cet acte déloyal, la France, afin de pouvoir lutter à armes égales, dut instituer au plus vite un service chimique de guerre, et, malgré la pénurie de ressources industrielles, elle fut vite en mesure de répondre à ses adversaires. »
« Sous-marin : C’est en France qu’on a construit les premiers sous-marins vraiment pratiques. »
« Tranchée : Au cours de la Grande Guerre, la longue stabilisation obligea à aménager les tranchées de façon spéciale ; construites en chicane, elles se complétèrent pas des abris profonds, des sapes, des boyaux de communication, d’évacuation, des places d’armes, etc. : on tint, l’on résista, l’on combattit « dans la tranchée ».
Production d’un discours historique
17Ce sont ces mêmes spécificités discursives que nous retrouverons dans l’ensemble du texte qui construit un discours historique dans trois lieux précis de la microstructure, à savoir dans l’exemplification, dans l’entrée Grande Guerre et enfin dans le récit des grandes batailles et des opérations militaires.
18En matière d’exemplification, il est nécessaire d’opérer une première distinction entre les syntagmes neutralisés, qui sont des fragments de discours tronqués (par exemple de valeureux soldats), et les exemples entiers c’est-à-dire des phrases syntaxiquement complètes, qui forment des énoncés discursifs s’apparentant à des microdiscours, où la subjectivité du lexicographe possède un potentiel d’actualisation majeur par rapport à un simple syntagme neutralisé (par exemple Le troupier français est débrouillard). Ensuite, une seconde distinction concerne la nature sémantique de l’exemple : il y a des exemples attendus, c’est-à-dire des exemples qui partagent le même sémantisme que l’entrée et « qui viennent donc naturellement à l’esprit », pour reprendre l’expression de la linguiste et lexicographe Josette Rey-Debove16, comme les collocations. Voici un échantillon d’exemples attendus qui révèlent la prépondérance de la Grande Guerre dans le texte :
« Agression : La France a été victime en 1914 de l’agression allemande. »
« Armistice : La signature de l’armistice, le 11 novembre 1918, consacra la défaite de l’Allemagne dans la grande Guerre. »
« Barbarie : Les Allemands ont multiplié pendant la Grande Guerre les actes de barbarie. »
« Défilé : Le défilé de la victoire, le 14 juillet 1919, fut grandiose. »
« Démoraliser : La retraite démoralise les meilleures troupes. »
« Désannexion : Le retour de l’Alsace-Lorraine à la France fut une désannexion, non pas une annexion. »
« Dévaster : Les Allemands dévastèrent le Nord de la France. »
« Dévouer : Dévouer ses enfants à la patrie. »
« Médailler : Médailler un soldat courageux. »
« Mener : Mener son régiment au feu. »
« Neutralité : Les Allemands ont violé la neutralité de la Belgique. »
« Obéir : Le soldat obéit à ses chefs. »
« Patriote : Les soldats patriotes. »
« Poste : Mourir à son poste. »
« Rejaillir : La gloire des grands hommes rejaillit sur leur pays. »
« Repousser : Repousser l’ennemi. »
« Sacrifier : Se sacrifier pour sa patrie. »
« Taxi : Les taxis parisiens ont participé à la bataille de la Marne. »
« Ultimatum : La Grande Guerre fut déclenchée par l’ultimatum qu’adressa l’Autriche à la Serbie le 23 juillet 1914. »
« Vaillant : De vaillants soldats. »
« Vaincre : Vaincre l’ennemi en bataille rangée. »
« Valeureux : De valeureux soldats. »
19En revanche, les exemples que nous nommerons inattendus ne partagent pas le même sémantisme que l’entrée et sont donc des indices de la subjectivité du rédacteur ; ainsi marcher gaiement à la mort pour l’entrée gaiement17 ou encore « On les aura ! » citation de Pétain pour l’entrée avoir. Ils révèlent la subjectivité du lexicographe, ou, pour le moins, son ancrage dans des paradigmes culturels historiquement déterminés18 :
« Avoir : « On les aura ! » Ordre du jour de Pétain le 10 avril 1916. »
« Cri : Au cri de « Vive la France » !
« Debout : « Debout les morts ! » Cri lancé au Bois Brûlé par le lieutenant Péricard le 8 avril 1915. »
« Gaiement : Marcher gaiement à la mort. »
« Génie : L’ambition fut le mauvais génie de Guillaume II. »
« Méprisable : La méprisable petite armée de French
« Notre : Notre armée, notre gloire. »
« Ouolofs : Ils fournissent à la France d’excellents soldats. »
« Pleuvoir : Les obus pleuvent sur les champs de bataille. »
« Pluie : Pluie de balles, de feu, de sang. »
« Recueillir : Recueillir les restes d’une armée. »
« Refuser : Refuser toute qualité à un ennemi. »
« Soupe : La soupe fait le soldat. »
« Souvenir : Sa blessure est un glorieux souvenir. »
« Taire : Faire taire le canon, la fusillade de l’ennemi. »
« Veuf : Une armée veuve de son chef. »
« Viande : On a eu recours à l’importation de viandes exotiques pendant la Grande Guerre. »
« Vomir : Les canons vomissent le fer et la mort. »
« Vue : A la vue de l’ennemi. »
citation de Guillaume II. »
20La particularité de la démarche du Larousse universel est la dissémination des informations historiques dans la macrostructure : à l’entrée Grande Guerre bien sûr, puis dans les entrées concernant les grandes batailles et enfin dans celles consacrées aux localités et lieux-dits, théâtres d’opérations militaires ponctuelles.
21L’histoire ainsi mise en récit est une histoire événementielle, tactique et stratégique, basée sur la valorisation de la figure héroïque du général ou autre commandant et marquée par l’absence des combattants. Il n’est jamais fait mention de pertes humaines sauf pour le camp adverse, où toutes les grandes batailles et tous les généraux bénéficient d’une iconographie, et où la responsabilité de l’Allemagne est constamment réitérée. En cela, ce discours s’inscrit parfaitement dans ce que les historiens Antoine Prost et Jay Winter nomment la « première configuration historiographique » de l’après-guerre19, militaire et diplomatique, où domine le primat des questions diplomatiques20, où les poilus font figure de grands absents, et où « la guerre est traitée comme un conflit politique de grande échelle qu’on comprend mieux en le regardant d’en haut21 ».
22Ainsi, on trouve dans l’entrée Grande Guerre un discours de la responsabilité fortement modalisé (la place au soleil), une focalisation sur le rôle de la France et en particulier sur celui de Foch (qui prenait l’initiative des opérations), l’occultation des forces alliées et notamment de l’intervention américaine (lui et ses collaborateurs), et surtout une présence déterminante de l’ellipse, qui en fait un récit condensé en contraste avec les descriptions détaillées des grandes batailles et des opérations militaires :
« La cause de cette guerre a été l’ambition de l’Allemagne qui, en réclamant “sa place au soleil” entendait assoir sa domination sur tout le globe terrestre. […] C’est contre la France que se tourna d’abord l’Allemagne : elle voulait l’écraser avant de lutter contre la Russie. […] La lutte la plus acharnée a été toutefois menée sur le front occidental, en France, dans ce pays que l’Allemagne voulait abattre avant tout autre. […] Les offensives heureuses de Ludendorff (en Picardie et en Flandre, puis au chemin des Dames), marquent la fin de la guerre des tranchées au printemps de 1918 : mais ces offensives furent arrêtées par Foch, qui, tôt après, renversant la situation, prenait l’initiative des opérations. En moins de quatre mois, lui et ses collaborateurs (Pétain entre autres) délogeaient l’ennemi de toutes ses positions, et, dans un grande offensive, le ramenaient jusqu’aux frontières de la France et des Flandres belges. Alors, l’Allemagne s’avoua vaincue22. »
23Dans le récit minutieux des grandes batailles, on constate au contraire une abondante présence de polyphonie, suggérée sous forme de guillemets, ou bien déclarée explicitement par la mention des sources, à savoir les états-majors français, anglais, allemand, ou encore la voix populaire qui renvoie à la circulation des discours médiatiques, comme dans l’entrée course à la mer :
« Course à la mer : Nom attribué par la voix populaire et donné par la section historique de l’état-major de l’armée à l’ensemble des opérations militaires qui, au cours de la Grande Guerre, ont eu lieu en Belgique et dans la France du nord, depuis la fin de septembre jusqu’en novembre 1914. […] Malgré ses efforts, l’Allemand ne parvint pas à atteindre la mer du nord, ni à Dunkerque ni à Calais23. »
24C’est la section historique de l’état-major français qui est le plus fréquemment citée, principalement dans le contexte de la désignation des batailles. Or, le recours systématique aux sources de l’armée révèle que la mise en récit du conflit est un discours normalisateur, calqué sur celui du discours officiel, et comportant un enjeu de taille : en effet, derrière l’insistance du texte sur la désignation des batailles et leur périodisation, se cache le découpage et l’appropriation des victoires. Dans les entrées Sambre et Scarpe la victoire anglaise se retrouve englobée dans une victoire française par déplacement de ses limites chronologiques et géographiques :
« Sambre : Les Anglais donnent le nom de “bataille de la Sambre” à la série de combats que les armées Horne, Byng et Rawlinson livrèrent du 1er au 11 novembre 1918 aux Allemands. La bataille de la Sambre s’encadre dans la bataille plus générale que l’état-major français appelle “de la Lys et de l’Escaut” et fait partie de la bataille d’ensemble dite “deuxième bataille de Belgique”24. »
« Scarpe : Les Anglais donnent officiellement le nom de “bataille de la Scarpe” à un des épisodes de la bataille d’ensemble appelée par l’état-major français “Poussée vers la position Hindenburg”25. »
25En outre, le texte lexicographique déploie une véritable rhétorique de la victoire dans la description des opérations militaires ponctuelles. La narration de faits d’armes extrêmement délimités aussi bien géographiquement que temporellement, opère une valorisation de micro-victoires isolées, ou, en cas d’échec, une valorisation qui emphatise la défaite héroïque.
26Cette exaltation de la victoire et le déni de la défaite sont repérables dans l’échantillon suivant : les entrées sont marquées par l’usage répété des expressions oppositives et concessives (mais, malgré, cependant, etc.) comme dans Kemmel (victoire allemande), Delme (où l’avancée allemande sur Nancy est stoppée mais au sein de l’offensive victorieuse des Allemands en aout 1914), et Ourcq (qui fait partie de l’opération dite « Bataille de la Marne » du 6 au 13 septembre 1914), qui introduisent un balancement phrastique c’est-à-dire un rééquilibre compensatoire entre éléments dysphoriques et euphoriques :
« Kemmel : Le Kemmel a vu de nombreux et sanglants combats. Les Allemands s’en emparèrent malgré la belle défense du 30e régiment français d’infanterie et s’y maintinrent, malgré toutes les attaques faites les jours suivants pour le reprendre. »
« Ourcq : Du 6 au 10 septembre, la 6e armée française fut tenue en échec par les Allemands ; mais elle résista de façon si opiniâtre qu’il fallut successivement envoyer contre elle différents corps d’armée. Ainsi Von Kluck rompit l’équilibre de ses forces et fut mis en état d’infériorité vis-à-vis des armées qui l’attaquaient sur les deux Morins. »
« Delme : Au début de la Grande Guerre, les Allemands l’avaient fortifiée de tranchées, d’abris bétonnés, de réseaux de fil de fer, etc., contre lesquels se brisa, le 20 aout 1914, l’effort de la 2e armée française. Du moins, la 6e armée allemande ne put-elle, à la suite de cet échec français, enlever les hauteurs du Grand-Couronné et s’avancer jusqu’à Nancy. »
27Ce balancement phrastique caractérise également les entrées Guise et Somme où des défaites sont transformées en demi-victoires, même morales dans le cas de Somme26. Outre les cas de déni de défaite, on constate des dénis de victoires pour l’ennemi, comme dans l’entrée Maubeuge :
« Guise : Au cours de la retraite stratégique franco-britannique du 24 aout au 5 septembre 1914, l’armée Lanzerac livra à Guise une bataille qui fut une demi-victoire : la garde et le 10e corps prussien y subirent de fortes pertes. »
« Somme : “Le cyclone, l’enfer” de la Somme a fait mieux encore que d’infliger au kronprinz de Bavière une grave défaite en soulageant puissamment l’effort de la défense de Verdun, fixant sur le front d’occident des effectifs et des réserves de l’ennemi, usant les forces allemandes, et révélant à ses adversaires la “puissance française”. Fayolle a infligé aux Allemands un très sérieux échec. S’il n’a pas réalisé la percée des lignes ennemies et fait cesser la guerre des tranchées, il a prouvé aux Allemands que l’armée française était “régénérée” et non point déprimée comme ils se plaisaient à le croire. »
« Maubeuge : Sa reddition a eu de graves conséquences car elle a permis à l’ennemi de dissimuler sa défaite de la Marne derrière ce succès exagéré à plaisir. »
28L’exaltation de la victoire se situe en outre dans la modalisation et l’usage de termes axiologiques, dans la récurrence de l’hyperbole et de la redondance, s’apparentant à un discours épique et épidictique, et enfin dans la présence prépondérante du pathos :
« Côte de Meuse : Depuis 1871, ce “front de Meuse” a été garni par l’état-major de nombreux forts, qui en font vraiment le “rideau défensif de la Meuse” : s’ils ont cédé en un point de la fin de 1915 jusqu’aux derniers jours de 1918, les ouvrages militaires ont victorieusement résisté partout ailleurs aux attaques des Allemands. L’héroïque défense du fort de Troyon et des forts de Verdun en septembre 1914 a contribué aux victoires de la Marne et de l’Ourcq ; la longue et admirable résistance des forts de hauts de Meuse (Douaumont, Vaux, etc.) a aussi contribué à faire de la grande bataille de Verdun en 1916 une merveilleuse épopée. »
« Cumières27 : Ce village, ardemment disputé les jours suivants, finit par rester aux agresseurs, mais les Français, demeurés sur ses lisières, l’enlevèrent le 20 aout 1917, au chant de la “Madelon” ».
« Escaut : L’Escaut partage avec la Lys l’honneur d’avoir donné son nom à la dernière bataille de la Grande Guerre. »
« Marne : Par deux fois au cours de la Grande Guerre, les bords de la Marne ont été le théâtre de batailles considérables, où s’est joué le sort de la France et même (il n’est pas exagéré de le dire) le sort de l’humanité… »
« Verdun : La bataille de Verdun, qui absorba tout l’effort offensif de l’armée allemande sur le front de France en 1916, est pleine d’épisodes héroïques et émouvants. Elle causa aux Allemands des pertes énormes, elle détermina en France un grand élan d’enthousiasme et de fierté, en même temps que l’espérance en l’heureuse issue de la lutte, elle émerveilla le monde entier. »
29Cependant, le texte lexicographique ne présente pas uniquement un discours euphorique sur le conflit. En effet, les deux entités dysphoriques qui parcourent l’ensemble du texte sont incarnées par le discours germanophobe et celui de la dévastation du territoire français.
30La germanophobie du texte se manifeste dans la réitération de la responsabilité et de la vilénie des Allemands, comme dans l’entrée Reims où l’on remarquera l’emphase de la description et l’usage méprisant du singulier pour leur désignation, mépris que l’on retrouve dans l’entrée Allemand, où c’est la langue allemande qui est stigmatisée, et l’entrée Hansi, se référant au célèbre caricaturiste alsacien :
« Reims : Ils ne cessèrent de bombarder la ville et sa magnifique cathédrale. Reims demeura sous le canon allemand. Pour se venger de n’y être pas entré, en quel état l’Allemand a-t-il mis cette malheureuse ville ! Il en a fait un monceau de ruines se vengeant sur cette ville martyre de tous ses échecs et de toutes ses déconvenues. Il s’est acharné surtout sur ce joyau qu’est la cathédrale, prétendant à faux que les Français y avaient établi un poste d’observation. Reims a reçu la croix de guerre et en 1919 la croix de la Légion d’honneur. »
« Allemand : C’est une langue synthétique, qui possède une déclinaison, une aptitude spéciale à former des mots composés, et une construction laborieuse où le verbe et les particules sont rejetés à la fin. De là, un certain manque de rapidité et de précision dans l’expression de la pensée. Querelle d’Allemand : querelle suscitée sans sujet. Fam. C’est de l’allemand, on n’y comprend absolument rien. »
« Hansi : Il a ridiculisé les allures lourdement tyranniques des occupants allemands. »
31À travers la mention systématique des villes, localités et lieux-dits défigurés par la guerre, le texte dresse le panorama de la dévastation qui concerne uniquement le sol de la patrie : les meurtrissures de la guerre sont imprimées sur les paysages, jamais sur les combattants, et la seule mention des blessures et des pertes humaines renvoie dans de rares entrées aux populations civiles, mais pour mieux appuyer la barbarie de l’ennemi :
« Craonne : Téâtre de luttes sanglantes, le village a été complètement détruit. »
« Eparges : Reconquis par les Français pied à pied, le village des Eparges est complètement détruit. »
« Curlu : Un pan de mur de l’église est tout ce qui reste de Curlu. »
« Guillemont : Il n’en reste plus rien. »
« Hardecourt aux bois : Ce village n’existe plus. »
« Leuze bois de : Etat squelettique. »
« Longueval : Ardents combats, n’existe plus. »
« Mondemont-Mongiroux : Résistance opiniâtre, n’existe plus. »
« Neuve-Eglise : Entièrement détruite au cours de la Grande Guerre. »
« Ovilliers : Ardents combats, il n’en reste plus une maison. »
« Passchendaele : Téâtre de luttes ardentes, le village est complètement rasé. »
« Perthes les Hurlus : Ce village est complètement détruit. »
« Pinon : Héroïque résistance, le village n’existe plus et la forêt a été saccagée par les obus. »
« Ploegstrert : Le bois n’existe plus. »
« Roisel : Ce chef de canton est complètement détruit. »
« Sailly-Saillisel : Il ne subsiste plus rien de ce village. »
« Tahure : Il ne reste rien du village. »
« Vauclerc : N’existe plus. »
*
32Ainsi, à travers l’acte de nommer les batailles, les victoires, les vainqueurs, l’ennemi et la dévastation, le texte lexicographique possède à tous les effets les caractéristiques d’un discours normalisateur sur la Grande Guerre. Il s’agit là d’un discours profondément idéologique empreint de pathos, patriotique et foncièrement républicain, reflet du sentiment national de l’immédiat après-guerre et donc fédérateur et consensuel, qui transmet une véritable culture de guerre. Au regard de l’importance de la diffusion des ouvrages Larousse (petits et grands) et de leur rôle pédagogique incontesté au sein de l’institution scolaire républicaine, à l’instar des manuels scolaires28, ce texte pose moins le problème de la dissémination des savoirs liés à la Grande Guerre que celui de la transmission d’une culture identitaire patriotique auprès des jeunes générations de l’entre-deux-guerres car, pour reprendre l’expression de M. Pignot, « les enfants de 1914 sont aussi les adultes de 194029 ».
Notes de bas de page
1 Voir Mollier Jean-Yves et Dubot Bruno, Histoire de la librairie Larousse 1852-2010, Paris, Fayard, 2012, chapitre « Dans la tourmente de la guerre et de l’immédiat après-guerre » et Roynette Odile, Les mots des tranchées. L’invention d’une langue de guerre 1914-1919, Paris, A. Colin, 2010, p. 31-34 et p. 235-236.
2 « La modalisation s’inscrit dans la problématique de l’énonciation. Elle désigne l’attitude du sujet à l’égard de son propre énoncé […]. La modalisation peut être explicitée par des marques particulières ou demeurer dans l’implicite du discours, mais elle est toujours présente, indiquant l’attitude du sujet parlant à l’égard de son interlocuteur, de lui-même et de son propre énoncé », Charaudeau Patrick et Maingueneau Dominique (dir.), Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Le Seuil, 2002, p. 383.
3 Audoin-Rouzeau Stéphane et Becker Annette, 14-18, retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000, p. 145. Voir également Audoin-Rouzeau Stéphane et Becker Jean-Jacques (dir.), Encyclopédie de la Grande Guerre, Paris, Bayard, 2004.
4 Pour la classification des néologismes, voir Pruvost Jean et Sablayrolles Jean-François, Les néologismes, Paris, Presses universitaires de France, 2003.
5 Pour une analyse détaillée du lexique, voir l’ouvrage fondamental d’Odile Roynette, op. cit., en particulier le chapitre 4 Formes et genèse d’une langue de guerre pour ce qui concerne ces étymologies.
6 Sur l’étymologie de poilu et boche voir Dauzat Albert, L’argot de la guerre d’après une enquête auprès des officiers et soldats, Paris, Armand Colin, 1918, p. 47-59 et Roynette Odile, op. cit., p. 22-31.
7 Larousse universel, t. 1, p. 122.
8 « La variation diastratique est liée aux groupes sociaux (représentés comme des strates) : certaines façons de parler sont considérées comme “populaires”, d’autres au contraire comme marquant l’appartenance à un milieu social favorisé et cultivé. Certains groupes ont des argots spécifiques. » Voir Lehmann Alise et Martin-Berthet Françoise, Introduction à la lexicologie : sémantique et morphologie, Paris, Armand Colin, 2013, 4e éd., p. 22.
9 Sainéan Lazare, L’argot des tranchées d’après les lettres des poilus et les journaux du front, Paris, Boccard, 1915 ; Dictionnaire des termes militaires et de l’argot poilu, Larousse, 1916 ; Dauzat Albert, op. cit. ; Déchelette François, L’argot des poilus. Dictionnaire humoristique et philologique du langage des soldats de la grande guerre de 1914, Paris, Jouve et Cie, 1918 ; Esnault Gaston, Le Poilu tel qu’il se parle. Dictionnaire des termes populaires récents et neufs employés aux armées en 1914-1918 étudiés dans leur étymologie, leur développement et leur usage, Genève, Slatkine Reprints, 2e éd., 1971 [1919].
10 À propos de la polémique des linguistes, voir Prochasson Christophe, « La langue du feu. Science et expérience linguistiques pendant la Première Guerre mondiale », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 53-3, juillet-septembre 2006, p. 122-141 et Roynette Odile, Les mots des tranchées…, op. cit., chap. 2, « La contre-offensive savante », p. 43-70.
11 « Gît naturellement aussi derrière une telle démarche une ambition politique tendant à instituer un monde homogène – celui des tranchées – au sein duquel s’effacerait, comme l’annonçait, depuis le tout début de la guerre, le discours des autorités, toute espèce de clivage culturel, politique ou social, en faveur de l’épiphanie nationale. […] Aussitôt les hostilités terminées, la prétendue langue des poilus s’éteint presque aussi vite qu’elle avait surgi. Le langage fut démobilisé avec autant de vélocité qu’on avait déposé les armes. » Prochasson, Christophe, « La langue du feu. Science et expérience linguistiques pendant la Première Guerre mondiale », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 53-3, juillet-septembre 2006, p. 123-125.
12 Aérostation, ambulance (planche illustrative), artillerie (planche illustrative), asphyxie, avion, capote (iconographie), cavalerie (planche illustrative), chirurgie, crapouillot (iconographie), électro-aimant (extraction des projectiles iconographie), exécution militaire, fortifications (planche illustrative), fourragère (iconographie), fusée (iconographie), fusil, gamelle (iconographie), gargousse (iconographie), gaz (iconographie), grenade (iconographie), gouttière (iconog.), Grande Guerre (6 planches illustratives), hélium, hémostase, infanterie (2 planches illustratives), infirmier (iconographie), interprète (acception militaire), invention (acception militaire), jambe (iconographie prothèses), justice (acception militaire), lance-flammes (iconographie), Maxim fusil (iconographie), microphone (iconographie), mine (planche illustrative), mitrailleuse (iconographie), mortier (iconographie), obus (iconographie), perforateur (iconographie), périscope (iconographie), pieds gelés, platine, prothèse (iconographie), santé service de – (planche illustrative), service (administration militaire), sous-marin (planche illustrative), tank (iconographie), subsistance service des -, télémètre (iconographie), téton (artillerie), tir, torpille (iconographie), trahison, théorie (acception militaire), tranchée (planche illustrative), trépanation, Zeppelin.
13 Par ailleurs, certaines iconographies ne sont pas exemptes de fonction connotative, où l’on voit bien que l’image possède elle aussi, de barthésienne mémoire, sa propre rhétorique : ainsi une des planches illustratives de l’entrée Grande Guerre présente l’iconographie des différents types d’armements, des corps d’armées, etc., et, tout en bas de l’image, pour illustrer l’issue heureuse du conflit, le Défilé de la victoire du 14 juillet 1919, comme une apothéose triomphante et patriotique qui synthétise et fige l’image de la Grande Guerre.
14 L’axiologie exprime un système évaluatif de valeurs à travers « des termes péjoratifs (dévalorisants) et mélioratifs (laudatifs, valorisants) ». Voir sur ce point Kerbrat-Orecchioni Catherine, L’énonciation, de la subjectivité dans le langage, Paris, Armand Colin, 1980, p. 73.
15 « Cette notion est parfois utilisée pour signaler les mises en discours qui jouent sur des effets émotionnels à des fins stratégiques. » Voir à ce propos, Charaudeau Patrick et Maingueneau Dominique (dir.), Dictionnaire d’analyse du discours…, op. cit., p. 425. Pour la fonction argumentative des émotions et du pathos voir Amossy Ruth, L’argumentation dans le discours, Paris, Armand Colin, 2013.
16 « Les exemples ne viennent pas directement d’un corpus, mais de la réflexion d’un rédacteur pour produire une phrase attendue avec le mot en question. Une phrase attendue est une phrase qui vient naturellement à l’esprit dans une situation courante. » Voir Rey-Debove Josette, « Préface », Le Petit Robert des enfants, Paris, Le Robert, 1988, p. xi.
17 Il s’agit d’un exemple célèbre en métalexicographie de par son caractère idéologique remarquable, cité entres autres par Dubois Jean et Claude, Introduction à la lexicographie : le dictionnaire, Paris, Larousse, 1971 ; par Lehmann Alise, « Les représentations idéologiques dans le discours du dictionnaire. Diversité des lieux et des procédures », Le français dans le monde, numéro spécial Lexiques, 1989 et par Lehmann Alise et Martin-Berthet Françoise, Introduction à la lexicologie, op. cit.
18 La conviction que les dictionnaires constituent des textes culturels (voir Dubois Jean et Claude, op. cit., p. 99), dépositaires d’indices idéologiques, est désormais partagée par la majorité des métalexicographes, dont certains se sont orientés, à partir des années 1970, vers le repérage des traits d’une idéologie dominante et de ses représentations doxiques conséquentes dans la production dictionnairique. Voir Rey-Debove Josette, Étude linguistique et sémiotique des dictionnaires contemporains, Te Hague, Paris, Mouton, 1971 ; Dubois Jean et Claude, op. cit. ; Girardin Chantal, « Contenu, usage social et interdits dans le dictionnaire », Langue française, n° 43, 1979 ; Beaujot J.-P. « Dictionnaires et idéologies », in Haussmann Fr.-J. (dir.), Encyclopédie internationale de Lexicographie, Berlin, De Gruyter, 1989 ; Lehmann Alise, « Les représentations idéologiques dans le discours du dictionnaire. Diversité des lieux et des procédures », art. cit. ; Mazière F., « Une analyse de la définition : formes, historicité et idéologie », Le français dans le monde, n.s. Lexiques, 1989 ; Collinot André et Mazière Francine, Un prêt à parler : le dictionnaire, Paris, PUF, 1997.
19 Prost Antoine et Winter Jay, Penser la Grande Guerre. Un essai d’historiographie, Paris, Le Seuil, 2004, chap. 1, « Trois configurations historiographiques », p. 15-50. Les auteurs distinguent trois périodes dans l’élaboration du discours historiographique : une première configuration correspondant à l’après-guerre, une deuxième configuration de type social à partir des années 60 avec l’introduction du contexte social et du paradigme marxiste, ainsi qu’une réorientation de l’histoire militaire et diplomatique, et enfin une troisième configuration, culturelle et sociale, apparaissant au tournant des années 90 et marquée par l’histoire culturelle.
20 « Les contemporains sont hantés par une question qui commande leur historiographie : celle des responsabilités de la guerre. […] L’épreuve avait été si longue, si dure, si meurtrière, le coût en était tellement élevé que l’on voulait savoir pourquoi elle avait éclaté et pourquoi elle avait duré si longtemps. » Prost Antoine et Winter Jay, Penser la Grande Guerre… op. cit., p. 18-19.
21 Ibid., p. 29.
22 Larousse universel, t. 1, p. 1058.
23 Ibid., t. 1, p. 552.
24 Ibid., t. 2, p. 875.
25 Ibid., t. 2, p. 901.
26 L’historiographie récente permet de mettre au jour des cas éclatants d’occultation de défaites françaises comme par exemple Steg Jean-Michel, Le jour le plus meurtrier de l’histoire de France : 22 août 1914, Paris, Fayard, 2013 ou encore Baldin Damien et Saint-Fuscien Emmanuel, Charleroi 21-23 août 1914, Paris, Tallandier, 2012.
27 « Commune du département de la Meuse à 13 km de Verdun, attaquée par les Allemands dès le 14 mars 1916, au cours de l’offensive générale menée contre Verdun sur les deux rives de la Meuse », Larousse universel, t. 1, p. 580.
28 Sur le rôle des manuels scolaires dans la transmission d’une mémoire de la guerre voir Prost Antoine et Winter Jay, op. cit., p. 241 et plus généralement sur le rapport entre les enfants et les cultures de guerre voir Audoin-Rouzeau Stéphane, La guerre des enfants, Paris, Armand Colin, 1993 et Pignot Manon, « Les enfants », in Audoin-Rouzeau Stéphane et Becker Jean-Jacques (dir.), Encyclopédie de la Grande Guerre, op. cit.
29 Pignot Manon, art. cit., p. 639 ; voir aussi du même auteur, Allons enfants de la patrie. Génération Grande Guerre, Paris, Le Seuil, 2012.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008