Saint Nicaise évêque de Reims et les barbares (ixe-xe siècles)
p. 53-68
Texte intégral
1Le face-à-face dramatique du saint défenseur de sa cité et des sauvages barbares païens est un classique de la littérature hagiographique mérovingienne. Le thème est traité d’une façon de plus en plus invraisemblable quand l’expérience vécue des raids barbares s’estompe1. L’affrontement surréaliste de la tardive Vita Memorii par exemple n’a pas sa place dans la Vie de saint Aignan2 : pour assurer la défense d’Orléans, Aignan recourt à des moyens concrets, dont une ambassade auprès d’Aetius3. Surtout, il redouble de prières et intercède efficacement en faveur de sa cité : Orléans est sauvée de la violence d’Attila4. Selon la logique de cette Vie, le peuple d’Orléans est un peuple innocent confronté à une violence qui n’a ni raison ni sens. La présence menaçante des Huns est un fait que l’évêque ne cherche, ni à comprendre, ni à expliquer ; l’essentiel est de protéger le peuple de la cité, comme l’évêque l’explique à Aegidius : « Nous avons vu l’armée considérable des Huns dépeupler depuis l’Orient tout le territoire à force de massacres cruels, et leur volonté anéantir tant de villes puissantes… Ce que je redoute, c’est que mon peuple succombe dans cette tempête violente5 ». Que ce soit dans ce texte à fond historique ou dans les traditions plus tardives, les rôles sont donc répartis d’une façon claire : le saint oppose sa foi inébranlable aux attaques des barbares ; la miséricorde de Dieu ne peut manquer de se manifester par une libération du peuple opprimé, pourvu que ce peuple partage avec l’évêque son absolue confiance6. Le saint évêque est par définition capable de résister à l’avancée des barbares.
2Ces observations liminaires sur l’existence d’une thématique hagiographique – le saint rempart efficace contre la barbarie – veulent faire mieux saisir par contraste l’originalité du dossier de saint Nicaise, évêque de Reims7. Comme Aignan, Nicaise est confronté à l’irruption des barbares et comme Aignan, il incite les fidèles à la prière et à la confiance. La comparaison avec Aignan est explicite :
« Or voici qu’au beau milieu de cette époque prospère, la fureur de nations diverses se lève soudain pour que s’exerce la colère vengeresse d’un Dieu offensé : elles marchent sans mollir sur plusieurs régions. Abattant les remparts de cités nombreuses, tuant de leur glaive hommes et femmes, parents et enfants, on ne les voyait souhaiter la gloire d’aucune dignité, ni quelque richesse désirable de ce monde, mais seulement verser et faire couler du sang humain. Dans le tourbillon de cette tempête, deux hommes de Dieu très glorieux, très célèbres alors dans les Gaules, le très saint évêque de Reims Nicaise, déjà cité, et le bienheureux évêque d’Orléans Aignan, resplendissaient par leurs grands prodiges, signes et miracles8… »
3Le parallèle revendiqué entre Aignan et Nicaise est certes valorisant, mais ne peut pas être poussé plus loin : l’histoire de Nicaise est celle d’une faillite politique et militaire ; l’évêque échoue à protéger son Église, il meurt sous les coups des Vandales, expiant ainsi les fautes des Rémois. À la place du portrait de l’évêque en bon intercesseur, c’est donc la victoire paradoxale du martyr qui est présentée dès la première Passion carolingienne du saint. Le fait a d’importantes conséquences sur la présentation des barbares : simples circonstances extérieures malheureuses pour la Vie de saint Aignan, les attaques barbares deviennent dans le dossier de saint Nicaise, l’expression même d’une pédagogie divine qui use de la menace et de la punition. De ce fait, les barbares trouvent une place dans le plan de Dieu dont ils sont les instruments. Le contexte rémois des ixe et xe siècles apporte quelques explications à cette innovation : Hincmar de Reims le premier a dû réfléchir dans la Vie de saint Remi à ce que signifient la conversion des barbares et la transformation providentielle du peuple païen mené par Clovis en Francs catholiques exemplaires. Il conclut à l’intégration manifeste des barbares dans le dessein divin, fût-ce comme persécuteurs ; les invasions normandes ensuite imposent aux clercs de réfléchir à nouveaux frais à l’interprétation spirituelle des apparents succès des barbares qu’ils peuvent proposer, mais aussi aux comportements concrets qu’ils ont à recommander aux chrétiens qui leur demandent « ce qui est le plus utile, de se livrer comme esclaves aux païens, ou de lutter jusqu’à la mort en usant de toutes leurs forces pour le salut de la ville9 ». Ces questions, posées par les Rémois à saint Nicaise, sont encore pertinentes quand Flodoard les répète dans son Histoire10. De la Vie de saint Remi (av. 882) à l’Historia Remensis Ecclesiae (av. 952), en passant par la lettre d’Hincmar « Qu’il convient de conserver notre fidélité au roi Charles » (875), l’hagiographie est constamment utilisée à Reims comme la modalité par excellence d’une réflexion sur le sens du passé, l’écriture de l’histoire et l’intelligence des temps contemporains. La plasticité constitutive du genre hagiographique lui permet d’enregistrer les moindres inflexions d’une réflexion d’une poignante actualité.
Première Passion de saint Nicaise : les barbares, le diable et le plan de Dieu
4La première Passion de saint Nicaise est destinée à des fidèles qui commémorent son martyre et celui de sa sœur sainte Eutropie pour recevoir les bénéfices de leur secours, comme l’explique un prologue à la rhétorique parfaitement maîtrisée. Dans une prose rimée très ample, il joue de balancements classiques, opposant les souffrances passées des saints avec le réconfort actuel qu’ils peuvent apporter11, les dangers révolus auxquels ils ont été exposés et les dangers présents qu’ils peuvent éviter à leurs fidèles, ou mettant en parallèle les bienfaits qu’apportent tantôt leur imitation, tantôt leurs suffrages. De ce fait, l’introduction démontre habilement aux lecteurs ou aux auditeurs de la Passion que l’histoire passée des martyrs les concerne encore. Certes, c’est d’abord « l’exceptionnel triomphe du très bienheureux Nicaise, évêque de Reims et martyr insigne du Christ » qui leur est rappelé, mais le prologue unit l’éloge de à celui de sa sœur Eutropie, dont l’auteur vante aussitôt « la constance inébranlable » et « l’observance de la chasteté12 ». La Passion ne place donc pas Nicaise et Eutropie sur un pied d’égalité, mais fait d’Eutropie le modèle de tout disciple de saint : « Car d’un pas infatigable, la très sainte vierge Eutropie, défendue par le rempart de la chasteté, suivait toujours son très saint frère, en l’imitant et l’assistant13. » Rien d’étonnant à ce qu’elle finisse par réclamer d’être tuée par les Vandales puisque son frère l’a été : « et son sang aussitôt répandu, elle obtint avec son très saint frère la palme du martyre14 ». Le prologue signale donc, avec cette subtile mise en abîme, la dimension pédagogique et spirituelle de la Passion qui va suivre. Omettant de retracer la biographie de Nicaise, la Passion – qui ne dit rien ni de ses origines, ni de sa formation, ni de son élection au siège de Reims, en rupture complète avec la structure attendue d’une Vie épiscopale – réfléchit à la place longuement à l’action du diable dans le monde depuis la chute.
« L’antique ennemi, avec une obstination féroce, n’a jamais cessé de vouloir nuire : au contraire, de plus en plus désireux de damner pour toujours, se créant à lui-même des compagnons inséparables, aiguisant toujours les armes de l’injustice, jaloux de toute bonté, aujourd’hui encore, il exerce continûment ses fureurs en expert des différents moyens de perdre, de la même façon qu’il a exercé les vrais disciples du Christ depuis les origines, dans son irritation contre eux15… »
5La fresque sur l’action du démon occupe plus d’un cinquième du texte. Elle révèle un goût de l’auteur pour la spéculation et les termes recherchés (comme prothoplastus pour désigner Adam), mais joint au désir de montrer d’une façon accessible que tout chrétien doit choisir son camp :
« Quel rapport entre la lumière et les ténèbres ? Et quel lien entre le Christ et Bélial ? [II Cor. 6,5] Depuis la passion et la résurrection de notre Seigneur Jésus Christ, le sauveur du monde, cette différence a été rendue plus évidente et visible, tant il a instruit par des exemples manifestes les disciples de la vérité, dont il voulait qu’ils renoncent à ce monde transitoire et le méprisent16. »
6Le même combat est toujours à l’œuvre dans le temps entre Dieu et Satan :
« Disciples du Christ, les très saints apôtres combattirent sur toute la surface du monde les ruses de l’antique ennemi et les embûches fallacieuses de la mort, subirent des persécutions de la part des sbires de Satan, c’est-à-dire des adorateurs de ce monde fugace, et méritèrent la gloire et le triomphe du martyre : réconfortant par leurs exemples invincibles les fils de la sainte Église de Dieu et héritiers du royaume des cieux, ils échangèrent l’honneur de ce monde qui passe contre la gloire et le culte divins, et le profit de l’Église17. »
7L’éternel antagonisme en effet a pris une dimension historique très concrète : les temps apostoliques dont il vient d’être question ont été suivis par les persécutions impériales et, quand le baptême de Constantin a fait disparaître ce danger, ce sont les hérésies qui ont menacé l’Église. Derrière la variété des circonstances, c’est toujours le même diable qui est à l’œuvre, y compris dans la trompeuse « paix de l’Église » :
« L’Église, possédant la tranquillité à laquelle elle avait aspiré, commença à croître et se multiplier, à s’enrichir même… Mais elle fut déçue pour son malheur à la mesure de cette sûreté reçue avec bonheur, ces artifices étant l’œuvre du diable, parce qu’on ne doit pas douter que la sûreté est pernicieuse, comme de jouir et de banqueter, et de trouver dans ses propres plaisirs tout son agrément18. »
8Le tableau de toute l’histoire de l’Église est ainsi construit en respectant la chronologie mais en fonction d’un but atemporel, susciter l’introspection : le fidèle doit prendre parti ; il doit renoncer à la sécurité matérielle trompeuse qui a perdu les Rémois.
9Engoncés dans leur prospérité, les Rémois en effet n’ont pas craint de « négliger la vraie religion, de remettre à demain les commandements de Dieu, de s’adonner à des vanités, de créer des divisions et des schismes et dans tous ces travers, hélas, d’offenser Dieu19 ». Les barbares interviennent donc explicitement comme le diable lui-même, truculenta intentione, « avec une obstination féroce ». La position de l’auteur est ici ambiguë : les barbares, qui semblent ne rien désirer d’autre « que de verser et faire couler du sang humain20 » pourraient-ils être des démons au service du diable ? La question est évitée, au profit d’un portrait des barbares en agents d’un châtiment nécessaire, en instruments de la colère de Dieu. Nicaise peut à nouveau entrer en scène. Contrairement à Aignan, il ne tente aucune ambassade vers les Vandales, mais enseigne aux Rémois qu’il leur appartient, par leur attitude spirituelle, de transformer le danger présent en occasion de rédemption :
« Nous n’ignorons pas que ce sont à coup sûr nos crimes qui ont suscité, selon le juste jugement de Dieu, son indignation ; pour cette raison, ne doutons pas non plus qu’il s’agisse d’une véritable leçon de salut, si, au moment où nous sommes frappés, nous nous tournons en esprit vers les traits divins, non sous la contrainte comme des fils d’iniquité mais plutôt en les supportant comme des fils de piété, pour recevoir en même temps religieusement le danger de mort, et offrons-nous nous-mêmes au pardon qui est offert, de peur d’encourir pour nos péchés une damnation éternelle et pour que la mort qui nous est offerte ne nous soit pas un châtiment mais un remède21. »
10On ne peut pas citer tous les déploiements d’un propos extrêmement habile, qui ressurgit à de nombreuses occasions dans la bouche de l’évêque. L’argumentation doit en effet naviguer entre plusieurs écueils ; d’une part, l’auteur doit éviter de dire que le déferlement des Vandales échappe au contrôle de Dieu, qui laisserait les chrétiens être confrontés à un mal absurde. Donc la persécution est légitime et profitable. Mais d’autre part, la fin ne justifiant pas les moyens, les violences des Vandales doivent rester inadmissibles. S’ils sont bien les instruments d’une juste correction pour les chrétiens, ils restent par eux-mêmes des instruments aveugles dont les excès sont condamnés. Nicaise, réfugié avec son peuple dans la cathédrale où les Vandales viennent de faire irruption, les met donc en garde contre l’ambiguïté de la situation : « repentez-vous… de peur que cette indignation qui valut aux fils une condamnation salutaire, ne vous vaille à vous une damnation infernale22 ».
11Au total, il apparaît que les barbares jouent dans la première Passion de saint Nicaise le rôle d’utilités : peu ou pas identifiés par des mœurs ou des rois repérables, ils traversent la Passion dans le cadre d’un discours savant et pastoral adressé à des chrétiens un peu trop tièdes et un peu trop riches. Agents inconscients du plan de Dieu et révélateurs des péchés des chrétiens, ils n’ont pas à être combattus par le saint évêque, qui n’est jamais leur ennemi. Nicaise ne meurt pas explicitement victime des barbares, mais parce qu’il offre volontairement sa vie pour ses brebis, assumant les fautes du peuple qui lui a été confié23. Le martyre face aux barbares a perdu ici toute sa dimension originelle de témoignage de foi : l’évêque ne prêche jamais la foi chrétienne à ces païens. La dimension oblative de son martyre l’emporte, dans une double logique de rachat et d’exemplarité, qui fait de son Église la seule bénéficiaire de toute son action. Le résultat direct de cette position est que les barbares ne sont pas irrémédiablement des ennemis ou des étrangers : Nicaise prie et fait prier les Rémois pour qu’eux aussi se convertissent « et que ceux qu’on voyait tantôt être les agents de l’impiété puissent devenir un jour les sectateurs et disciples de la vérité24 ».
Saint Nicaise chez Flodoard : l’évêque, les barbares et le martyre volontaire
12Lecteur de la première Passion de saint Nicaise, Flodoard réserve à l’évêque martyr une place importante dans le premier livre de son Histoire de l’Église de Reims25. Comme à son habitude, le chanoine réunit différentes sources écrites (dont une lettre de Jérôme), des observations in situ (dont le texte de plusieurs inscriptions26) et des traditions locales récentes (dont un récit de miracle ajouté au chapitre 7) en les intégrant dans une chronologie rigoureuse : « Après les évêques susnommés, saint Nicaise… gouverna très courageusement l’Église qui lui avait été confiée au moment de la persécution vandale des Gaules27. » Flodoard suit aussi une logique topographique : il bouleverse donc l’ordre de sa source principale pour rappeler que Nicaise est le fondateur de la cathédrale Sainte-Marie « qu’il a consacrée de son propre sang28 ». Il n’applique pas une méthode différente dans le reste de l’Histoire ; et il réécrit avec élégance, comme partout ailleurs, les sources récentes qu’il utilise. Mais tout en suivant le plan et la logique de la Passion de saint Nicaise, il la modifie sur quelques points importants. La suppression du prologue, que Flodoard connaît bien29, n’est pas étonnante : c’est un morceau de rhétorique hagiographique très amovible, et finalement sans conséquences pour l’histoire de Reims. Mais Flodoard supprime encore toute la méditation sur l’action du diable dans l’histoire, dont on a dit qu’elle tendait à présenter les barbares en agents sataniques. Il la remplace par une glose assez développée : « saint Nicaise […] choisit et forma le projet obstiné de ne quitter en aucune manière le peuple qui lui avait été confié30 », etc. Le problème de Flodoard semble être de justifier cette « obstination » : Nicaise s’est-il exposé imprudemment au martyre ? Aurait-il mieux fait de fuir ? La Passion ne s’est jamais posé la question. Flodoard y consacre pourtant un long développement, original à première vue, bien qu’il l’appuie sur la citation explicite d’une lettre écrite par Augustin à son collègue Honoratus, confronté au même dilemme à l’occasion des invasions vandales31 ; à y regarder de plus près, Flodoard ne se borne pas à citer cette lettre, mais en propose une paraphrase sous la forme d’un patchwork très habile de ses paragraphes 3 et 4, 7 à 12 et 14 :
Hinc maxime probatur illa caritas, quam Iohannes apostolus commendat dicens: sicut Christus pro nobis animam suam posuit, sic et nos debemus animas pro fratribus ponere… Nam qui clades hostiles ideo non fugit, cum posset effugere, ne deserat ministerium Christi, sine quo non possunt homines uel fieri uel uiuere christiani, maiorem caritatis inuenit fructum, quam qui non propter fratres sed propter se ipsum fugiens atque comprehensus non negat Christum suscipitque martyrium. Aug., Epist. 228, § 3 et 4, éd. cit. p. 486-487.
Beatus itaque Nicasius animam suam pro fratribus Christi sequens exemplum ponere paratus elegit obnixeque proposuit sibi commissum nullatenus omittere gregem; prorsus instituit aut cum eis pariter vivere aut pariter, quod eos paterfamilias perpeti vellet, sufferre, ne fugiendo Christi videretur, sine quo non possunt homines vel vivere vel fieri, christiani deserere ministerium. Unde et iuxta beati Augustini sentenciam maiorem caritatis repperit fructum, quam qui non propter fratres, sed propter se ipsum fugiens atque comprehensus non negavit Christum suscepitque martyrium.
HRE I, 6, éd. cit. p. 74, l. 1-7.
[…] magis timeamus, ne lapides uiui extinguantur deserentibus nobis, quam ne lapides et ligna terrenorum aedificiorum incendantur praesentibus nobis; magis timeamus, ne membra corporis christi destituta spiritali uictu necentur, quam ne membra corporis nostri oppressa hostili impetu torqueantur […]. Aug., Epist. 228, éd. cit. § 7, p. 489-490.
Metuebat enim potius antistes sanctissimus, ne se deserente lapides vivi extinguerentur quam ne lapides et ligna terrenorum edificiorum se presente incenderentur; magis timens, ne destituta Christi corporis menbra spiritali victu necarentur quam ne menbra corporis sui hostili oppressa impetu torquerentur.
HRE I, 6, éd. cit. p. 74, l. 7-11.
Si autem ministri adsint… parati ad utrumque, ut, si non potest ab eis calix iste transire, fiat uoluntas eius, qui mali aliquid non potest uelle. […] quorum uides etiam quantum obsit absentia, dum sua quaerunt, non quae iesu christi, nec habent illam, de qua dictum est: non quaerit, quae sua sunt, nec imitantur eum, qui dixit: non quaerens, quod mihi utile est, sed quod multis, ut salui fiant. […] sed quando est commune periculum magis que timendum est, ne quisquam id facere credatur non consulendi uoluntate sed timore moriendi magisque fugiendi obsit exemplo, quam uiuendi prosit officio, nulla ratione faciendum est. […] quibus enim metuimus, ne nostra desertione pereant, non temporalem mortem, quae quandoque uentura est, sed aeternam, quae potest, si non caueatur, uenire et potest, si caueatur, etiam non uenire, metuimus. […] quod si non placet facere, cuius facti non occurrit exemplum, nullius fuga faciat, ut ecclesiae ministerium maxime in tantis periculis necessarium ac debitum desit. Nemo accipiat personam suam, ut, si aliqua gratia uidetur excellere, ideo se dicat uita et ob hoc fuga esse digniorem. […] qui autem sic fugit, ut gregi christi ea, quibus spiritaliter uiuit, alimenta subtrahantur, mercennarius ille est, qui uidet lupum uenientem et fugit, quoniam non est ei cura de ouibus.
Aug., Epist. 228, éd. cit. § 8, p. 491, puis § 9, p. 491, puis § 10, p. 492, puis § 11, p. 493, puis § 12, p. 495, puis § 14, p. 496.
paratus ad utrumque ut, si non posset hic calix transire, fieret voluntas [Matt. 26, 42] eius, qui mali aliquid non potest velle, nec requirebat, que sua sunt, sed imitans eum, qui dixit: Non quero, quod mihi utile est, sed quod multis, ut salvi fiant [I Cor. 10, 33]; et ne magis fugiendo obesset exemplo quam vivendo prodesset officio, nulla racione consensit esse fugiendum neque temporalem mortem, que quandoque ventura est, etiam si caveatur, sed eternam, que potest, si non caveatur, venire, et potest, si caveatur, etiam non venire, formidans; non sibi placens nec personam suam in tantis periculis fuga digniorem, utpote gratia excellentem, iudicans; ne ministerium in his maxime periculis necessarium ac debitum subtraheretur ecclesie; non ut mercennarius videns lupum venientem dimissis ovibus fugit, sed ut pastor bonus pro grege sibi credito animam paratissimus [Ioh. 10, 11-12] obtulit.
HRE I, 6, éd. cit. p. 74, l. 11-20.
13La réflexion d’Augustin est nourrie de réflexions exégétiques et d’exemples historiques, dont celui d’Athanase fuyant Alexandrie ; elle instaure une différence de responsabilités entre laïcs et clercs, agencée autour de la notion de ministerium ; elle minimise ainsi l’importance du martyre, ramenée au statut de dommage collatéral ou de conséquences circonstancielles, devant la seule mission épiscopale authentique, qui est l’édification du peuple chrétien : le vrai pasteur n’a pas à choisir entre la mort volontaire ou la fuite devant la persécution, mais entre les meilleurs moyens d’être utile à son Église. Au bénéfice de Nicaise, une subtile excerption de la lettre augustinienne permet ainsi de justifier son choix de tenir bon à Reims, au risque de mourir : l’évêque n’a pas voulu mourir, il a choisi l’attitude la plus féconde pour le peuple dont il est responsable. L’esprit de la Passion est respecté puisque c’est le sacrifice de l’évêque qui est mis en valeur loin devant la sauvagerie des barbares.
14Faut-il s’étonner que Flodoard paraphrase Augustin ? Plutôt se demander s’il est l’auteur ou seulement l’héritier de cette paraphrase : car cette lettre 228 a précisément été travaillée par l’archevêque Hincmar. Dans la dernière partie de son épiscopat à Reims en effet, Hincmar puise avec ferveur dans la correspondance d’Augustin32. Il utilise précisément la lettre 228 dans sa circulaire aux évêques de 875, connue comme le traité De fide Carolo regi seruanda33. Confronté à la menace que Louis le Germanique fait peser sur le royaume de Francie occidentale, Hincmar analyse pour les évêques de sa province la situation géopolitique : dans une situation de véritables persécutions – c’est le diagnostic du chapitre 12 –, ils doivent rester fidèles, non seulement au roi Charles le Chauve, mais bien à leur ministère car, quelles que soient les circonstances, les évêques ne peuvent abandonner le troupeau qui leur a été confié. Hincmar reprend alors explicitement, dans le cœur même de sa démonstration, les trois premiers paragraphes de la lettre 228 d’Augustin :
« C’est ainsi qu’est… éprouvée cette charité, dont l’apôtre Jean fait un commandement quand il dit : “De même que le Christ a donné sa vie pour nous, de même nous avons le devoir de donner nos vies pour nos frères [I Ioh. 3, 15]”. Car ceux qui fuient, aussi bien que ceux qui ne peuvent pas fuir parce qu’ils sont retenus par leurs affaires, s’ils sont pris et souffrent, c’est pour eux-mêmes qu’ils souffrent, et non assurément pour leurs frères. Mais ceux qui souffrent pour cette raison qu’ils ont refusé d’abandonner leurs frères, qui avaient besoin d’eux pour atteindre le salut du Christ, c’est sans aucun doute pour leurs frères qu’ils donnent leurs vies34. »
15On reconnaît là le début du passage repris par Flodoard. Le rapprochement serait fortuit si, immédiatement après, le traité d’Hincmar ne donnait pas précisément Nicaise comme exemple de ces évêques qui incarnent l’idéal augustinien : « C’est ainsi que se comporta l’évêque Nicaise de Reims, qui, au temps des Vandales et au milieu d’une persécution générale n’a pas abandonné sa cité et a mérité, entre les murs de l’église, la couronne du martyre35. » Enfin, en conclusion de ce même chapitre 17, Hincmar reprend deux citations successives de la lettre 22836 :
« De là vient que saint Augustin, dans la lettre à l’évêque Honorat dont on a parlé, dit à un moment : “Pourquoi donc pensent-ils qu’il leur faut sans tarder obéir au précepte où l’on lit qu’il faut fuir de ville en ville, et n’abhorrent-ils pas le mercenaire, qui voit venir le loup et s’enfuit, parce qu’il n’a pas souci des brebis ?” et peu après : “L’apôtre fuit, quand c’est sa propre personne qui est recherchée par un persécuteur, tandis que les autres n’ont pas du tout la même obligation : ceux-là sont dispensés d’abandonner le ministère de l’Église.” C’est ainsi qu’Athanase, évêque d’Alexandrie, a fui, quand Constance souhaitait mettre la main sur lui, et lui seul37. »
16Hincmar est donc l’auteur d’un rapprochement démonstratif entre Nicaise et la lettre 228 d’Augustin ; grâce à Augustin, Hincmar fonde l’éloge de Nicaise sur son attachement et de son dévouement au peuple qui lui a été confié, plutôt que d’exalter sa mort héroïque ou sa résistance aux barbares. Donc Flodoard n’invente pas cette interprétation, mais en donne une version bien plus développée en tirant profit de l’ensemble de la lettre 228 qu’Hincmar n’a citée en 875 qu’en ses débuts. Soit Flodoard a approfondi un problème qui lui tenait à cœur, soit il profite ici d’un florilège (hincmarien ?) que nous ne possédons plus ; l’hypothèse d’une prédication d’Hincmar sur Nicaise, qui aurait glosé la lettre d’Augustin, doit être proposée, tant elle serait conforme aux techniques de l’archevêque, puis du chanoine. Hincmar est le champion du recyclage de ses propres œuvres ; et on surprend rarement Flodoard à écrire dans l’HRE des passages originaux. Reste que la version que Flodoard donne de la Passion de saint Nicaise apparaît sous un jour assez neuf : l’action, resserrée sur les motivations intérieures de l’évêque qui consent au martyre, fait du chapitre un vrai Miroir épiscopal à la place d’une Passion destinée à l’édification du peuple. La mise en retrait d’Eutropie est la conséquence de cette focalisation sur les évêques qui caractérise l’Histoire.
Huns, Vandales ou Normands ? Les barbares et les saints évêques de Reims
17Ces dernières observations obligent alors à revenir sur le possible contexte de rédaction de la première Passion de saint Nicaise. Au chapitre 17 de sa lettre de 875, Hincmar renvoie à une série d’évêques connus d’après des textes hagiographiques, Nicaise, Aignan, Loup de Troyes et Remi de Reims. Ils ont tous en commun d’avoir été confrontés aux barbares. Flodoard s’est souvenu de ces parallèles, puisqu’il cite, avec Aignan d’Orléans, Loup de Troyes et Servais de Tongres parmi les doubles contemporains de Nicaise. S’il omet Remi (m. ca. 533/535), c’est, croyons-nous, parce qu’il est farouchement attaché à la logique chronologique de son histoire. Hincmar ne s’est pas embarrassé de telles précautions : pour lui, Nicaise et Remi agissent d’une façon comparable :
« C’est ainsi que fit saint Nicaise […] et saint Aignan fit de même […] et saint Loup de même […] et saint Remi évêque de Reims aussi : comme les Francs païens envahissaient sa province métropolitaine de Belgique, il n’abandonna pas son Église, mais, par des prières et de saints exemples, il dompta entièrement la sauvagerie de ce peuple, apaisa ces monstres par ses paroles ; et non seulement il arracha sa province au glaive des gentils, mais convertit encore ce peuple païen à la foi chrétienne avec le secours de la grâce et conduisit jusqu’à grâce baptismale trois mille païens unanimes avec leur roi, la veille de Pâques38. »
18Ce parallèle construit comme une évidence entre Nicaise et Remi, pose question : qu’y a-t-il de réellement comparable entre le saint martyr des Vandales et le baptiste des Francs ?
19Hincmar ose le rapprochement parce qu’il s’est formé une opinion assez audacieuse sur les invasions franques, dont témoigne sa Vie de saint Remi. Ce monument commence d’une façon abrupte et spectaculaire par une allusion à la persécution subie par les Gaules de la part des Vandales, mais sans mention de saint Nicaise :
« Après la punition des crimes que Dieu a vengés par le massacre des Gaules, suivi par la cruauté des Vandales, les cieux épanchèrent la miséricorde quand ils firent paraître au monde, pour adoucir le châtiment qui menaçait d’arriver par la sauvagerie barbare du peuple des Francs selon le jugement de Dieu contre ceux qui persévéraient dans leurs iniquités, un prêtre que Dieu avait prédestiné, l’évêque Remi39. »
20Avec une emphase qui défie la traduction, Hincmar met donc en exergue de son chef-d’œuvre l’idée principale de la Passion de saint Nicaise : la violence insensée des barbares est tolérée par Dieu, qui punit ainsi les péchés des chrétiens. L’élection de saint Remi ne le destine donc pas d’abord à la conversion des Francs, mais à la conversion des Gaulois40. Les Francs, comme les Vandales avant eux, sont des barbares parce que leur sauvagerie en fait les instruments privilégiés du jugement. Le rôle du saint évêque dans cette perspective est d’être un rempart entre la colère de Dieu et son peuple : « [Remi] qui tempère la fureur de Dieu, naquit pour être réconciliation au temps de la colère : […] par ses paroles, il apaisa les monstres, c’est-à-dire les païens sauvages41. » Hincmar réutilise textuellement, comme dans le De fide de 875, un office de saint des années 850. Il n’en profite à aucun moment pour citer la Passion de saint Nicaise, ni dans cette introduction, ni dans le chapitre 8 de la Vita s. Remigii qui montre Remi priant dans la basilique Saint-Nicaise. Est-ce à dire que la Passion n’existait pas encore ? L’argument a silentio ne suffit pas pour le prouver, Hincmar s’appliquant à faire de Remi une sorte de point de départ absolu de l’histoire rémoise ; un autre rapprochement pourrait être plus éloquent. Au cours de l’épiscopat d’Hincmar en effet, une cinquième version de la Vie de sainte Geneviève était composée à Reims42. Son auteur explique qu’il lui semble indispensable de donner un cadre chronologique rigoureux à son récit et situe la naissance de Geneviève sous le règne d’Honorius en Occident, de Théodose en Orient :
« Elle [Geneviève] vécut chez ses parents, grandissant en taille et en rectitude morale, depuis l’époque dont on a parlé jusqu’à celle de Valentinien, quand l’empire romain disparut des régions de la Gaule, les Francs y prenant le gouvernement par tyrannie et nommant la patrie d’après leur propre nom. Ensuite, déjà adolescente et consacrée par l’évêque de Chartres Villicus, elle brilla de ses signes et miracles innombrables du vivant de Nicaise, qui reçut la couronne du martyre sous la tyrannie des Huns, puis du vivant de Remi43… »
21Un auteur très vraisemblablement rémois ne sait donc pas situer correctement le martyre de saint Nicaise sous les Vandales (au tout début du ve siècle) mais le place sous les Huns, au milieu du ve siècle, omettant ainsi quatre évêques de Reims méconnus pour passer directement du dixième au quinzième, de saint Nicaise à saint Remi. Cette vision hagiographique de l’histoire rémoise, qui contraste si fortement avec la chronologie scientifique postérieure de Flodoard, se comprend bien dans le contexte de ces années 870, qui est aussi le contexte de rédaction de la Vie de saint Remi : les seuls jalons historiques qui comptent sont les saints évêques, parce qu’à chaque moment critique de l’histoire de l’Église, ils viennent replacer le peuple déviant sous la conduite de Dieu. La parenté entre la Vie rémoise de Geneviève et celle de Remi se lit aussi dans ce même regard de condamnation jeté sur les Francs : ce sont des usurpateurs, des violents ; le même mot de « tyrannie », un pouvoir illégitime qui ne peut être exercé que par la force, est employé à la fois pour parler de la domination franque en Gaule, et de la persécution des Huns ! Une même conviction anime, on l’a vu, l’introduction d’Hincmar.
22D’une façon provisoire, la rédaction de la Passion de saint Nicaise pourrait ainsi être située au cours des années 870, après la Vie rémoise de sainte Geneviève (années 860-870 ?) mais au moment où Hincmar cite Nicaise comme exemple de saint évêque face aux barbares (875) et élabore son portrait de Remi (av. 882). Sa tonalité pénitentielle et morale s’accorde ainsi aisément à l’interprétation que les clercs rémois donnent, dans les mêmes années, aux invasions normandes : comme tous les païens qui les ont précédés, les Normands sont des signes que Dieu envoie aux chrétiens pour qu’ils se convertissent. Parlant en 883 de l’invasion normande de 882, un moine de Saint-Remi reprend donc littéralement les mots d’Hincmar à propos des invasions vandales et franques44 :
« Des châtiments s’imposaient au vu du caractère monstrueux des crimes et de la cruauté – et de l’ampleur, croyait-on – des dangers encourus par le peuple des Francs… Car c’était la nuit. Elle désignait de mille manières le gouffre de nos péchés. Du reste, si nous ne nous étions pas trouvés empêtrés dans des péchés nombreux, accablés par l’énormité de nos fautes, atteints par le poids de nos crimes et abrutis par la ruine mortelle de la culpabilité, Remi aurait été capable de nous arracher au danger d’une mort imminente45… »
23La construction de Rotgar est subtile : le lecteur ne peut pas décider au début s’il parle des Normands comme des auteurs de ces « crimes monstrueux » ou bien des Francs eux-mêmes, qui subissent avec les Normands un « châtiment mérité ». La conclusion est plus claire : les barbares – et peu importe qu’il s’agisse ici de Huns, de Vandales ou, comme le dit Rotgar avec un snobisme certain, de « Nordalbingues » – sont tous des révélateurs de l’état de décrépitude morale des chrétiens et des agents d’une pédagogie divine par le châtiment.
*
24La Passion carolingienne de saint Nicaise, avec ses réécritures, n’est pas réductible aux considérations culpabilisantes, voire eschatologiques, qui fleurissent dans le monde franc à la faveur des invasions normandes, même si c’est ce contexte qui en garantit le succès. Son originalité réside d’abord dans sa faible dimension biographique : texte savant, la Passion se désintéresse de la vie de Nicaise pour s’élever à une intelligence globale de la condition humaine, décrite comme le lieu d’un affrontement réitéré entre le diable et Dieu. Surtout, elle s’attache à un évêque qui, à la différence des saints Aignan, Loup ou Geneviève qui sont ses contemporains, n’a pas réussi à protéger son Église de l’anéantissement par les barbares : Nicaise meurt martyr, victime expiatoire des péchés de son troupeau. Ce trait est celui que retient et magnifie Flodoard, peut-être parce qu’il voit en Nicaise la quintessence du comportement épiscopal. Le rapprochement qu’il construit dans son Histoire entre Nicaise et l’archevêque Foulques, assassiné en 900, est suggestif : en quelques lignes valant éloge funèbre, Flodoard célèbre en Foulques celui qui a donné à Reims un double rempart contre les Normands, parce qu’il a relevé les murs de la cité et y a groupé des reliques nombreuses, dont celles de saint Nicaise et de sa sœur Eutropie46. De la première version de la Passion (deuxième moitié du ixe siècle ?) à sa réécriture BHL 6078 (xe siècle), en passant par Flodoard (948-952), les barbares sont autant modifiés en définitive que saint Nicaise lui-même : anges exterminateurs surgis du néant pour y retourner bientôt, les Vandales de la Passion initiale ne sont calqués sur aucune réalité historique sous-jacente ; ils pourraient aussi bien être des Huns… Replacés par l’HRE dans un cadre chronologique plus contraignant, ils deviennent un accident historique moins fantasmatique, ce qui donne à Nicaise une stature d’autant plus exceptionnelle qu’elle en devient plus véridique.
Notes de bas de page
1 Voir le tardif face-à-face de saint Memorius et d’Attila, selon la Vita Memorii : « Entendant le silence [sic] que gardaient les saints, le roi [Attila] prit peur et se mit à trembler comme ses proches. Il tomba à terre et dit au chef de ses troupes : “Mais qui sont ces gens pour avoir prémédité une telle insulte ?” Alors saint Memorius dit au roi : “Nous sommes envoyés par le saint évêque Loup. Sache qu’il ne t’est pas permis de prendre la cité d’où nous sommes sortis à ta rencontre, ni de la détruire par le feu.” Le chef dit à son roi : “Tu vois maintenant qu’ils ont prévu de te nuire gravement, avec leurs sortilèges ! Ordonne de les tuer.” “C’est un avis excellent”, lui répondit le roi et, tirant leurs épées, ils coupèrent la tête de ces diacres et de ces innocents », Vita s. Memorii, BHL 5915, chap. 3 et 4, MGH, SRM 3, B. Krusch (éd.), Hanovre, 1896, p. 102-104, ici p. 102.
2 Vita s. Aniani episcopi Aurelianensis, BHL 473, MGH, SRM 3, B. Krusch (éd.), Hanovre, 1896, p. 107-118. Un face-à-face entre Aignan et Attila est bien rapporté au chap. 9, éd. cit. p. 114, mais donne lieu à un échange rapide et sans violence : Attila respecte la vieillesse d’Aignan et lui offre un commandement sur la région ; l’évêque répond qu’il ne tient sa responsabilité de pasteur que de Dieu seul, qui peut défendre son peuple même contre les Huns.
3 Vita s. Aniani, chap. 4, éd. cit. p. 110.
4 « rempli d’Esprit saint […] et par l’inspiration du Paraclet tout-puissant, il savait à l’avance ce qui devait se produire, il craignait la perte de son peuple, et, selon la volonté divine, il priait : il demanda de l’aide pour son troupeau… », Vita s. Aniani, chap. 1, éd. cit., p. 108.
5 Ibid., chap. 7, p. 113.
6 « Sitôt qu’il fut revenu [du camp d’Attila], il [Aignan] avertit le peuple de ne pas s’effrayer, mais de prier Dieu avec confiance : c’est Lui qui les libérerait du pouvoir d’Attila. C’est pourquoi le très saint évêque se retira dans une cellule : prosterné au sol, il veillait dans la prière nuit et jour, implorant la divine miséricorde de bien vouloir conserver son troupeau intact… », ibid., chap. 9, p. 115.
7 Le dossier hagiographique de Nicaise est complexe. Pour son édition de l’Historia Remensis Ecclesiae, G. Waitz ne connaissait pas de Passion de Nicaise antérieure à Flodoard, celle qu’avait éditée Surius étant désignée comme un abrégé postérieur. Voir Flodoard de Reims, Historia Remensis Ecclesiae, MGH, SS 13, Hanovre, G. Waitz (éd.), 1881, p. 417-420 pour Nicaise, et ici note 9 p. 417. Cette Passio [brevis] Nicasii, BHL 6079, est éditée par L. Surius dans ses De probatis sanctorum vitis, December, Coloniae Agrippinae, Sumptibus Ioannis Kreps et Hermanni Mylii, 1618, p. 264-265. Elle n’a pas de rapport avec Flodoard en vérité, mais avec la Passion BHL 6076. C’est seulement au début du xxe siècle que cette plus ancienne Passion a reçu une édition par C. Narbey, Supplément aux Acta sanctorum des Bollandistes, 2 vol., 1899 et 1900, ici vol. 2, p. 498-500. Incapable de trouver cette édition ancienne, je lis et cite la Passion d’après deux manuscrits indépendants, Douai, BM 838, fol. 177-178 v°, que je confirme avec Rouen, BM 1389, fol. 62bis v°-64bis v°. Avant la fin du xe siècle circulait une autre Passio (BHL 6078), qu’on croyait très tardive car elle a été éditée d’après un manuscrit du xive siècle en annexe du Catalogue des manuscrits hagiographiques de Namur publié dans le premier numéro des Analecta Bollandiana (1882, p. 609-613), d’après un légendier de Saint-Hubert en Ardennes (Namur°2), fol. 25 r°-28 v° ; or elle est bien présente dans les fragments d’un manuscrit hagiographique plus ancien, de Saint-Vaast d’Arras, Arras, BP 199 (189), de la fin du xe siècle, aux fol. 45 r°-47 r° ; voir J. Van der Straeten, Les manuscrits hagiographiques d’Arras et de Boulogne-sur-Mer, avec quelques textes inédits, Bruxelles, Société des Bollandistes, 1971 (Subsidia Hagiographica, 50). Sans surprise, ce manuscrit s’intéressait à des saints de la province ecclésiastique de Reims et commençait par la grande Vie de saint Remi de l’archevêque Hincmar (fol. 1 r°-38 v°). Tenant à la fois de BHL 6076 (av. 948) et de BHL 6078 (av. 1000), une version intermédiaire BHL 6077 a été éditée en Analecta Bollandiana, ibid. p. 341-342. L’instabilité du texte ne bouleverse pas notre interprétation : elle signale plutôt l’extrême intérêt que suscite la figure de Nicaise entre le ixe et le xe siècle. Si on s’en tient aux seuls relevés des catalogues bollandistes, synthétisés sur la base de données BHLms, la Passio BHL 6076, présente dans 17 manuscrits, est un grand succès. Cette base est par nature incomplète : pour Nicaise, il faudrait ajouter par exemple le légendier per circulum anni aujourd’hui Coblence, Landeshauptarchiv, Best. 701, n° 115, fol. 149 v°-153 v°, mais surtout les textes rémois qu’on lit dans le manuscrit de Saint-Nicaise, Reims, BM 1411, fol. 1-10.
8 Et ecce subito eisdem prosperantibus temporibus, animositas diuersarum gentium commota, iram offensionis Dei uindicatura, ad diuersas prouincias properando accelerat. Subversis munitionibus multarum urbium, gladio interemptis utriusque sexu progenitoribus cum filiis, non aliam dignitatis gloriam aut aliud aliquid in temporalibus lucris concupuscibile desiderare cernebantur quam humanum sanguinem haurire ac fundere. Sub hoc tempestatis turbine gloriosissimi uiri Dei et in Gallis tunc praeclarissimi, sanctissimus iam dictus Nichasius Remorum praesul, et beatus Anianus, Aurelianensium pontifex, magnis prodigiis, signis atque virtutibus insignes… Passio s. Nicasii, BHL 6076, éd. d’après Douai, BM 838, fol. 178 r°, col. B. Avec de légères variantes, ce passage se trouve aussi dans BHL 6077 et BHL 6078.
9 ab eo [= Nichasio] petebant quid utilius faciendum decerneret, aut seruituti gentium se traderent, aut certe pro salute urbis uiribus dimicando ad mortem usque decertarent. Passio s. Nicasii, BHL 6076, dans Douai, BM 838, fol. 178 r°, col. A. Idem dans BHL 6077 et BHL 6078.
10 Voir infra n. 25.
11 Passio BHL 6076, Douai 838, fol. 177 r°, col. B : insignia triumphorum recensentes, […] Eutropiae constantiam […] admirantes, hodierna nobis prosperantur bellica agonia, cum ex eorum meritis et precibus ubique felicissima gaudentes prestolamur solatia. Le prologue est repris dans la Passio BHL 6077-6078, éd. cit. § 1, avec des variantes qui respectent la structure de la prose rimée : insignem triumphum recensentibus, […] Eutropiae inuiolabilem constantiam […] admirantibus, […] hodie nobis celebria prosperantur agona / cum ex eorum meritis ac precibus ubique fidelissima gaudentes praestolamur solatia.
12 C’est l’incipit de la Passio BHL 6076.
13 Passio BHL 6076, ibid.
14 Passio BHL 6076, Douai 838, fol. 178 v°, col. A.
15 Passio BHL 6076, Douai 838, fol. 177 v°, col. A : antiquus ille inimicus truculenta semper intentione seuire non desistit, sed magis magisque perpetuae damnationis auidus, sibi socios inseparabiles creans, arma semper iniquitatis acuens, inuidus uniuersae bonitatis, furores suos diuersis perditionum studiis peritus adhuc incessanter exercet, sicut semper ab inicio ueris a christicolis exercuit prouocatus…
16 Passio BHL 6076, Douai 838, fol. 177 v°, col. B.
17 Ibid.
18 Passio BHL 6076, Douai 838, fol. 177 v, ° col. B : sancta Dei Ecclesia, ut prefatum est, optata quiete potita, crescere et multiplicari, ditari etiam et gloriari pacificis in Dei cultibus cepit. Qua securitate non tantum feliciter adepta, quantum infeliciter decepta, instigantibus uerum uersutis diaboli, quia… non dubium est noxiam esse securitatem, iocundari et epulari, propriisque delectationibus frui.
19 Ibid. : Haec Gallica coepit ecclesia ex quibus uiciis concupiscentiae ueram religionem negligere, precepta diuina postponere, uanitatibus inherere, scismatica scandala suscitare, et in omnibus his, proh dolor, Deum offendere non horruit. Et ecce subito eisdem prosperitatis temporibus, animositas diuersarum gentium commota, iram offensionis Dei uindicatura, ad diuersas prouincias truculenta intentione Wandalorum multitudo properando accelerat.
20 Supra n. 6.
21 Passio BHL 6076, Douai 838, fol. 178 r°, col. B.
22 Passio BHL 6076, Douai 838, fol. 178 v°, col. A.
23 Nicaise aux Rémois : Ecce ego paratus sum quasi pro ouibus pastor animam ponere uitamque presentem contempnere, ut uos mereamini ex remissione peccatorum uitam aeternam percipere (Passio BHL 6076, Douai 838, fol. 178 r°, col. B) ; Nicaise aux Vandales : Quod si uerbum ueritatis respuitis, et trucidare oues meas perseuerante impietate quaeritis, me primum pro ipsis uictimam in holocaustum sumentes, maiestati diuinae libate, ut pariter digni promissionum caelestium beatitudine quantocius mereamur inueniri (Passio BHL 6076, Douai 838, fol. 178 v°, col. A).
24 Passio BHL 6076, Douai 838, fol. 178 r°, col. B.
25 Flodoard de Reims, Historia Remensis Ecclesiae [désormais HRE], I, 6, De sancto Nicasio, BHL 6075, MGH, SS 38, M. Stratmann (éd.), Hanovre, 1998, p. 72-77. Le sujet des invasions vandales court jusqu’au début du chapitre HRE I, 9. L’éditeur a signalé par des italiques les rencontres de Flodoard avec la Passion BHL 6076 : il faudrait cependant en ajouter encore. L’utilisation de la Passion est commentée en introduction générale, p. 9.
26 Je ne vois pas d’autre explication à la mention des saints Jocundus et Florentius comme compagnons de martyre de Nicaise. Une inscription commémorative expliquerait par ailleurs assez bien l’incipit, très déclamatoire et à nouveau rimé, du chapitre de Flodoard : beatus Nicasius cultu sequitur pontificatus, magne uir caritatis magneque constantie, sub Wandalica in Galliis persecutione sancte sibi commisse ualidissimus rector ecclesie, in pace quidem nobilitator ac decorator in periculis uero moderator et tutor, piis populum doctrinis et exemplis instituens decoremque celibis sponse Christi ecclesie fabricis et ornatibus attollens. HRE I, 6, éd. cit., p. 72, l. 13-17.
27 HRE I, 6, éd. cit., p. 72, l. 13-15.
28 quam proprio quoque consecrauit sanguine. HRE I, 6, éd. cit. p. 72, l. 19. Sur les méthodes de Flodoard, et ces chapitres en particulier, voir M. Sot, Flodoard, Paris, Fayard, 1993, p. 372-375.
29 Puisqu’il le cite à propos d’Eutropie, dont il reproduit l’éloge mais en le plaçant vers la fin du chapitre, en HRE, I, 6, éd. cit. p. 75, l. 10-13. Le collage est un peu laborieux.
30 HRE I, 6, p. 74, l. 1-2.
31 Augustin d’Hippone, Epist. 228, A. Goldbacher (éd.), Corpus epistolarum, CSEL 58, 1898, p. 484-496. Martina Stratmann, en note 13, p. 74 a seulement repéré la citation explicite des l. 5-7. Honoratus est évêque de Thiabena, voir Prosopographie de l’Afrique chrétienne (305-533), A. Mandouze (dir.), Paris, CNRS, 1982, Honoratus 16, p. 570. Sur le contexte d’écriture de cette lettre, voir P. Courcelle, Histoire littéraire des grandes invasions germaniques, 2e éd., Paris, 1964, p. 118-125, puis Y. Modéran, « Une guerre de religion. Les deux églises d’Afrique à l’époque vandale », Antiquité Tardive, 11 (2004), p. 21-44.
32 Selon les décomptes de J. Devisse, Hincmar, archevêque de Reims, 845-882, Genève, Droz, 1976, p. 1364 et 1481, qui souligne que nous n’avons pas identifié le manuscrit de la correspondance d’Augustin qui a pu inspirer Hincmar, ou que nous l’avons perdu.
33 Hincmar de Reims, De fide Carolo regi seruanda, PL 125, col. 961-983.
34 Hincmar de Reims, De fide, PL 125, col. 970D.
35 Ibid., col. 970D-971A.
36 Augustin d’Hippone, Epist. 228, éd. cit., § 6, p. 488.
37 Hincmar de Reims, De fide, PL 125, col. 971B et C.
38 Hincmar de Reims, De fide Carolo regi seruanda, PL 125, col. 971 ; j’ai commenté ce passage et ses sources dans M.-C. Isaïa, Remi de Reims. Mémoire d’un saint, histoire d’une Église, Paris, Cerf, 2010, p. 455-456.
39 Hincmar de Reims, Vita s. Remigii, BHL 7152-7164, chap. 1, MGH, SRM 3, B. Krusch (éd.), 1986, p. 259, l. 8-12.
40 Quelques remarques en ce sens dans M.-C. Isaïa, Remi de Reims, op. cit., p. 477-478.
41 Quod, qui merita et acta illius attendit, congrue hoc eum nomine appellatum fuisse intellegit qui mitigator furoris Domini in tempore iracundiae factus est reconciliatio, et magnificatus a Domino in conspectu regum, in uerbis suis, sicut in sequentibus ostendemus, monstra, uidelicet paganos feroces, placauit. Vita s. Remigii, chap. 2, éd. cit, p. 262, l. 15.
42 M. Heinzelmann, J.-C. Poulin, Les Vies anciennes de sainte Geneviève de Paris. Études critiques, Paris, Champion, 1986. Le texte rémois, BHL 3338, est celui édité par Ch. Kohler, Étude critique sur le texte de la Vie latine de sainte Geneviève de Paris, Paris, F. Vieweg, 1881, p. 49-72.
43 Vita s. Genovefae, éd. cit., p. 49.
44 M.-C. Isaïa, Remi de Reims, op. cit., p. 560, note 1.
45 Rotgarsancti Remigii Remensis, Historia relationis (BHL 7166), dans M.-C. Isaïa (éd.), « Retour à Reims », Parva pro magnis munera. Mélanges Dolbeau, Instrumenta patristica et mediaevalia, 51 (2009), p. 445-491, aux p. 461-491, et ici l. 103-111.
46 HRE, IV, 8, éd. cit. p. 574.
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