Notes pour servir à la vie du cardinal Pie, évêque de Poitiers, par Monseigneur Gay1
p. 179-207
Texte intégral
1Ce texte, écrit dans les mois qui suivent le décès du cardinal Pie, livre pêlemêle les souvenirs marquants des années poitevines de Charles Gay, comme vicaire général puis comme évêque auxiliaire. Le récit commence à l’hiver 1856, lorsque Mgr Pie vient trouver l’abbé Gay à Paris pour le convaincre de le rejoindre à Poitiers. Il se termine dans la voiture qui ramène le cardinal de son dernier voyage à Rome, en mai 1880, quelques jours avant qu’il ne succombe à l’âge de soixante-cinq ans à une rupture d’anévrisme. Vingt-quatre années de vie commune défilent sous la plume de Mgr Gay qui livre des détails inédits et touchants sur sa relation avec l’intimidant évêque de Poitiers, où se mêlent affection, admiration et crainte respectueuse, sur leur complémentarité, leurs différences, sur les efforts déployés par le cardinal Pie pour lui permettre d’accéder au plus haut degré du sacerdoce tout en lui ménageant un siège à sa mesure, sur ses réticences et les raisons pour lesquelles il finit par accepter comme une grâce d’être revêtu du caractère épiscopal.
2Ces lignes font revivre les lieux privilégiés d’un engagement pastoral au service d’une Église qui dépasse largement les frontières diocésaines : la dimension provinciale est mise en valeur avec les trois conciles de la province métropolitaine de Bordeaux 2 auxquels l’abbé Gay participe aux côtés de Mgr Pie en 1856, 1859 et 1868 ; la dimension nationale apparaît sous un jour plus sombre, à l’heure des premières luttes anticléricales et de la défense pour la liberté religieuse ; l’échelle universelle, enfin, se dessine autour des grandes manifestations romaines du pontificat de Pie IX, de la canonisation des martyrs japonais en juin 1862 au concile du Vatican en 1869-1870, et plus modestement des visites ad limina de Mgr Pie et de son confrère Mgr Berteaud3. Le récit de Mgr Gay témoigne de sa connaissance des milieux curiaux et de son insertion dans le réseau ecclésiastique français et universitaire de la Ville Éternelle, avec lesquels sa brève expérience romaine de 1839-1840 l’avait sans doute familiarisé.
3On a souvent dit de Mgr Gay qu’il était la plume du cardinal Pie. Chargé dès 1856 par ce dernier de rédiger pour le concile de Périgueux un mémoire sur le rationalisme et une réfutation de l’ouvrage de Jean Reynaud, puis en 1868 un chapitre sur la morale indépendante qui fut inséré dans les actes du concile de Poitiers, l’abbé Gay s’est acquis de bonne heure une réputation de théologien chevronné qui le conduisit à siéger en 1867 dans les commissions préparatoires du concile œcuménique. Il joua un rôle important comme théologien à Vatican I au sein de la commission dogmatique ou députation de la foi, et la constitution Dei Filius lui doit beaucoup4. Mais c’est comme auteur spirituel que Charles Gay s’impose à partir de 1874 avec la publication de De la vie et des vertus chrétiennes qui lui permet d’occuper une place peu revendiquée au sein de l’épiscopat5.
J.M.J.
4L’évêque de Poitiers passe à Rome l’hiver entier de l’année 1856. C’était la première fois qu’il visitait la capitale du monde chrétien et qu’il portait lui-même la relation de son diocèse au Saint-Siège. Elle eut un grand succès et fit le plus grand plaisir au Pape. Il fit à Rome de nombreuses connaissances, vit tous les cardinaux, apprit beaucoup de choses, obtint beaucoup de grâces soit pour lui, soit pour son Église, et il y fut grandement apprécié. Il y gagna le cœur de Pie IX qu’il vit souvent et qui lui témoigna de mille manières l’affection toute spéciale dont il payait son tendre respect et son admiration manifeste. Souvent le Pape envoyait par un serviteur de sa maison des présents, des fruits et toutes sortes de bonnes grâce à la petite famille épiscopale qu’il appelait en souriant l’évêché de la via Frattina.
5Dom Guéranger se trouvait à Rome à cette époque et rendit à Monseigneur le service de le mener dans les musées, aux catacombes, lui donnant mille explications, auxquelles le bon évêque prenait plus d’intérêt qu’au spectacle même des choses et surtout des œuvres d’art qu’il ne regardait jamais que du coin de l’œil. Avant de rentrer en France, il fit une retraite sérieuse chez les Dominicains de Sainte-Sabine avec le saint Père Besson, mort depuis6.
6Plusieurs ecclésiastiques vivaient avec l’évêque, nommément l’un des prêtres qu’il a toujours le plus distingués et aimés, l’abbé Bernaud, qui prit alors le grade de docteur à la Sapience et qui, après avoir été aumônier de la Visitation de Poitiers et curé de Sainte-Radegonde est encore curé de Notre-Dame7. Malgré les efforts du cardinal, ce digne prêtre a en 1879 refusé la coadjutorerie de Meaux, acceptée depuis par Mgr Emmanuel de Briey8. L’abbé Bernaud pourrait donner sur le séjour de Monseigneur à Rome des renseignements intéressants et qui peut-être auraient de l’importance. Des choses graves et heureuses pour le diocèse doivent dater de cette époque. Monseigneur vit beaucoup Mgr de Mérode9. L’abbé Bernaud m’assure que tout Rome passa via Frattina et l’évêque y exerça constamment une hospitalité charmante.
7Ce fut au retour d’Italie que Monseigneur, passant quelques jours à Paris, vint chez moi qu’il connaissait depuis le jubilé de 1851 à Niort, et qu’il avait fait revenir passagèrement à Poitiers pour y prêcher, en 1854, le panégyrique de sainte Radegonde. Dès notre première rencontre, il avait eu, m’a-t-il dit, la pensée et le désir de m’attirer à Poitiers et le pressentiment qu’en ceci il était l’instrument de la sainte Providence. Mais sagace comme on sait, il ne m’en avait ni parlé, ni même laissé concevoir le soupçon. Il me voyait trop pris là où j’étais par toutes sortes de liens, de ministère ou d’affection ; il avait bien prévu que très délicat de santé, je m’épuiserais vite aux travaux des stations ; et comme en réalité quand il me trouva cette fois, j’étais à bout de forces par suite d’un carême donné à Niort, que d’ailleurs notre chère petite société de la rue Cassette s’était dissoute d’elle-même par la force des circonstances, et qu’enfin j’étais seul, il employa pour me persuader de venir avec lui toutes les raisons et pressions imaginables. « Il vous faut une épouse, cher ami, me disait-il, vous menez une vie errante, multiple, impossible. Un diocèse est bien vaste, mais enfin au-delà de telle montagne ou de telle rivière, l’évêque n’a plus rien à regarder. Vous, vous êtes de partout et de plus en plus chargé de devoirs qui dépassent vos forces. Venez à Poitiers ; votre vie y sera tout ensemble plus douce, plus stable et plus remplie. Je crois d’ailleurs que c’est la volonté de Dieu. J’ai cela dans l’âme depuis longtemps. » Et il m’offrait tous les postes qu’il pensait pouvoir me séduire. Je ne pus lui céder si vite, et promettant de prendre en considérations ses offres plus qu’obligeantes, je lui demandai du temps pour réfléchir, prier et consulter. Je fis, avec l’intention de m’éclairer, plusieurs pèlerinages ; j’allai voir le saint curé d’Ars à qui j’exposai tout et qui me dit sans hésitation et en versant des larmes (je ne sais pourquoi) : « Allez avec cet évêque ; vous ferez du bien avec cet évêque » ; et enfin je me renfermai pour huit jours à la solitude d’Issy, après quoi mon digne père en Dieu, M. Icard10, ayant prononcé pour Poitiers, je lui répondis : « J’irai » ; de quoi j’avisai l’évêque qui daigna m’en témoigner de la joie.
8Entre-temps se tint à Périgueux le troisième concile de la Province11. Je ne crois pas qu’évêque ait, à cette époque, attaché plus d’importance à ces saintes assemblées et mis plus de zèle, dépensé plus d’activité et d’intelligence pour procurer qu’elles attinssent leur but et relevassent le niveau de l’Église de France. Usant avec grande habileté du métropolitain, à qui il n’a cessé de témoigner beaucoup de déférence, encore qu’il le jugeât en toute connaissance et vérité, Monseigneur disposait de loin toutes les choses, en laissant l’honneur à qui de droit. Il correspondait avec les évêques, étudiait et faisait étudier les questions, formulait les erreurs qu’il croyait opportun de signaler et condamner, et demandait à des prêtres ayant sa confiance des travaux écrits qui pourraient être ensuite discutés en séance et soumis aux évêques. C’était le temps des quatre propositions sur les rapports de la foi et de la raison qu’on fit signer à Messieurs Bautain12 et Bonnetty13. Interprétant abusivement celle où il était dit que « l’usage de la raison précède la foi », le Journal des Débats y avait vu une concession notable faite au rationalisme et s’en targuait comme d’un commencement de triomphe. L’évêque tout entier à ces questions (c’était à peu près l’époque de la première synodale) fut ému de ce méchant article et en m’écrivant pour me dire, à ma grande surprise, qu’il m’appelait à Périgueux pour y être son théologien, il me pria de préparer un chapitre latin sur la matière. Il en fut content et grâce à lui la pièce passa dans les actes14. Je lui avais signalé, l’occasion y étant, le détestable ouvrage de Jean Reynaud intitulé Terre et ciel15. Il me pria également d’en préparer la condamnation qui fut sans difficulté acceptée par toute l’assemblée et portée par les Pères. Quelques mois après, Jean Reynaud réclamait par écrit, et non sans quelque éclat, il se disait mal compris, calomnié et condamné à tort. Son factum16 envoyé à tous les évêques arriva à Poitiers et me fut remis par Monseigneur. On ne pouvait laisser l’écrit sans réponse ; et encore que le très docte recteur de Rennes, M. Martin17, eût pris les devants pour justifier le concile, il fut convenu avec l’évêque que je devais, sans me nommer, faire une réponse directe et plus topique. Elle parut bientôt chez Oudin, et je ne sache pas que Jean Reynaud ait réclamé. L’affaire en resta là.
9Ce fut aussi à la demande de l’évêque que l’on rédigea le chapitre De Miraculis ; la question ayant été alors, je ne sais plus pourquoi, agitée à nouveau dans la presse. Je ne sais point si Monseigneur a écrit lui-même quelques pages des Actes du concile. Peut-être que non ; mais il était à peu près l’âme de tout, surveillait tout, dirigeait tout sans en avoir l’air.
10Ce fut à Périgueux qu’il rencontra pour la première fois Mgr Landriot, récemment élevé au siège de La Rochelle, à raison m’a assuré l’évêque, de la part bruyante qu’il avait prise dans l’affaire des classiques18. Dès l’abord et malgré une disposition très bienveillante de la part de Mgr Pie, ces deux prélats se flairèrent et il fut manifeste qu’ils marcheraient dans des voies plus que différentes. Déjà, et par sa première lettre pastorale, Mgr Landriot avait pris position, donnant la note de son esprit et de son caractère. L’esprit n’était pas juste et c’est ce qu’on en peut dire de plus bénin. Dom Guéranger se trouvant à l’évêché de Poitiers quand arriva cette lettre qu’il lut incontinent, la remit à notre évêque en lui disant : « Monseigneur, voilà un homme contre lequel un jour on sera obligé d’écrire. » Quant au caractère, il était difficile et grincheux. Après des lettres nombreuses échangées, et dans lesquelles l’évêque de Poitiers excédait de parti pris en égards et en politesse, l’évêque de La Rochelle ne répondit qu’une seule fois en exprimant même, en manière de conclusion, son respect pour son illustre correspondant. L’évêque de Poitiers retournait plaisamment ce vers connu des Femmes savantes :
« Et jusqu’à je vous hais il dit tout tendrement. Quant à lui c’est juste le contraire : Et jusqu’à je vous aime, il dit tout aigrement19. »
11Les relations finirent par cesser, hormis les indispensables. Plus tard, elles se renouèrent comme il était possible entre deux âmes si peu semblables, et j’ai vu plusieurs fois Mgr Landriot, devenu archevêque de Reims, venir pendant le concile du Vatican visiter l’évêque de Poitiers pour tâcher d’accommoder avec lui quelque difficulté de rédaction ou de conduite, de rédaction surtout20.
12On se retrouva trois ans après en 1859, au concile d’Agen21. Je me souviens (ce n’est qu’une anecdote que des notes comme celles-ci peuvent souffrir, mais qui reste indigne de l’histoire), que un jour Mgr Landriot vint là dans une animation extrême contre le P. Ventura22 qui lui-même, il est vrai, s’était animé plus que de raison dans la question encore agitée des classiques. Il avait cru pouvoir imprimer que leurs défenseurs étaient les cuisiniers de Satan. Mgr de La Rochelle cita le mot dans une assemblée plénière du concile et demanda formellement avec une grande vivacité que le P. Ventura fût officiellement condamné. On n’en fit rien. Mais obtenir que l’évêque s’y résignât ne fut pas une petite affaire. Ce qu’il écrivit plus tard sur l’optimisme chrétien et sur la folie de la Croix23 affligea l’évêque de Poitiers d’autant que le premier surtout de ces discours était visiblement dirigé contre lui. La déplorable oraison funèbre de Mgr Baudry, évêque de Périgueux24, l’indigna. Telle fut l’impression à Périgueux qu’un chanoine en acheta de ses deniers deux cents exemplaires pour les faire brûler.
13En cette année, on s’occupait beaucoup des livres de Taine, de Renan et de Vacherot (La science et la métaphysique)25. L’évêque de Poitiers avait à cœur que toutes les monstrueuses erreurs amassées dans ces tristes ouvrages fussent déférées à l’assemblée et mulotées par elle. Ce fut par son ordre qu’on entreprit le long travail où ces énormités sont exposées, réfutées, jugées et condamnées.
14Mgr Pie présidait la congrégation De doctrina ou de fide. Il y était admirable de sagesse, de science, de bonté, de délicatesse. Je n’oublierai jamais avec quelle profondeur et quelle piété il commenta, en manière d’ouverture des travaux, l’admirable prière du Pontifical : Adsumus Domine adsumus. On sentait d’ailleurs partout qu’au concile, il était dans la vraie patrie de son âme. Sa supériorité, quoique toujours voilée par lui, frappait tout le monde et il exerçait sur tous une influence extraordinaire, d’autant plus décisive qu’il y ajoutait une bonne grâce, une gaieté sereine et digne, enfin un charme irrésistible. Ce fut à l’occasion et à l’issue de cette grande assemblée qu’il prononça ce ravissant discours sur Notre-Dame de Bon-Encontre qu’on a inséré dans ses œuvres26.
15Je n’ai rien de particulier ni d’ignoré à dire sur la grande lutte entreprise contre la politique de Napoléon III, et dont l’acte principal fut le célèbre mandement que termine l’apostrophe à Pilate27. Je noterai pourtant deux choses. La première est qu’à plusieurs mois de distance, c’est-à-dire après l’effet produit et la guerre déclarée par le Pouvoir à l’évêque28, comme je lui parlais de ce grand coup porté, il me dit : « Je ferais encore ce mandement s’il était à faire. Jamais de ma vie, je crois, je n’ai plus consulté Dieu que cette fois, ni suivi de plus près ma conscience. » Ce que je veux dire aussi à propos de cette lutte avec l’Empereur, c’est qu’on a très injustement accusé Monseigneur de s’y être acharné en revenant plus que de raison sur cette politique envers le Saint-Siège. On lui a reproché son homélie à la cathédrale le jour de Saint-Pierre-ès-Liens, homélie à laquelle le préfet Levert29 assista d’une fenêtre abusivement ouverte et donnant de la préfecture d’alors (l’ancien évêché rendu maintenant aux évêques30) : Monseigneur, expliquant la persécution subie par l’apôtre, dit en suivant le commentaire de Corneille le Vieux31 (qu’il avait même je crois sous les yeux), que cet Hérode qui emprisonna Pierre, n’était ni le premier Hérode qui avait fait massacrer les saint Innocents, ni le second qui se réconcilia avec Pilate à la Passion, mais un troisième Hérode, Hérode III. On prit cela pour une allusion et l’on dénonça l’évêque. La vérité est qu’il n’y avait seulement pas pensé et cependant le soir il me raconta que, revenu à son trône et pendant qu’on chantait le Credo, il s’était avisé qu’on y prendrait sujet pour le rendre plus odieux encore au Pouvoir.
16J’étais à Nantes prêchant le carême lorsque la pièce fut déférée au Conseil d’État, et c’est à l’évêché de cette ville où Mgr Jaquemet32 m’avait donné l’hospitalité, que je reçus la réponse de Monseigneur à la citation. J’avoue qu’elle me surprit et me causa beaucoup de peine ainsi qu’à l’évêque de Nantes, qui s’en exprima même avec moi en termes sévères. J’en écrivis au cher prélat qui, dans sa réponse, me marqua le regret d’être entré dans cette voie, me confessant qu’il avait suivi en ceci des conseillers mal inspirés, mais la pièce étant publiée, il ne pouvait guère plus la retirer. Il s’est borné à la modifier en expliquant, d’une manière à la fois plus digne et plus habile, cette acceptation même indirecte d’une discussion publique avec un tribunal plus qu’incompétent. Telle qu’elle est dans les Œuvres, la pièce me semble inattaquable.
17En 1862, j’ai oublié à quelle occasion Monseigneur se rendit avec moi à Tulle pour y faire politesse et amitié à Mgr Berteaud pour qui il professait une très particulière et affectueuse estime. On peut malaisément imaginer deux êtres plus dissemblables. Mais le grand cœur du prélat limousin joint à la spontanéité de son génie et à l’ampleur de sa doctrine, séduisaient l’évêque de Poitiers qui plusieurs fois s’était plu à le faire venir pour le faire entendre à son peuple – alors l’évêque de Tulle le payait de retour. Il n’en fut point ainsi plus tard (cf. ci-dessous). Ce fut durant l’un de ces séjours à Poitiers qu’un jour, dans le salon de l’évêque, Mgr Berteaud développant l’une de ses thèses aimées sur l’immobilité de la terre qu’il appelait la chaire du Christ et prétendant à ce titre ne pas pouvoir « girer comme une gourgandine à la suite de l’armée des astres », le bon vieux M. Samoyault, vicaire général33, vendéen plein de bon sens et souvent d’esprit, branlait la tête en signe d’une disposition d’âme qui signifiait plus que le doute. Mgr Berteaud le voyant, lui dit avec cette familiarité qu’il avait fait entrer dans ses coutumes : « Ce bon Samoyault ! Que de choses il apprendra en paradis auxquelles il n’a jamais pensé ! » Le bon homme ne se troublant point répondit à l’évêque : « Eh bien, m’est avis moi, Monseigneur, que vous aurez là à en désapprendre plusieurs. » Un autre jour, l’évêque de Tulle se plaignait très fort de la rubrique du pontifical qui prescrit que, pour l’ordinaire, le saint Sacrement ne soit point réservé à l’autel majeur : « Quand j’entre là, disait-il, je veux voir mon Maître, tout de suite, devant moi et à la place d’honneur. Que signifie qu’on me le rencogne et qu’on me le cache ? » Et comme l’évêque de Poitiers lui donnait bonnement la raison de cette prescription, à savoir que dans plusieurs pontificaux, l’évêque s’asseyant au milieu de l’autel se trouverait tourner le dos au saint Sacrement s’il était dans le tabernacle, l’évêque de Tulle s’écria avec sa vivacité ordinaire : « Est-ce que mon âme a un dos ? Et que m’importe à moi, qu’importe à Dieu cette périphérie qui est mon corps ? » Ces saillies amusaient et charmaient Monseigneur. Il n’en fut point ainsi plus tard, et spécialement au concile du Vatican où Mgr Pie trouvait à bon droit Mgr Berteaud étrange, et où celui-ci ne se faisait pas faute de déclarer l’évêque de Poitiers trop habile. Pour le fond cependant, ils se rendirent toujours réciproquement justice. Monseigneur me disait : « J’aime tant ce bon évêque, que si je le savais malade à l’extrémité, je ne pourrais point m’empêcher d’accourir. »
18Tout fut charmant dans ce petit séjour où, grâce à notre évêque, Mgr Berteaud décida enfin d’aller à Rome34, ce qu’il n’avait jamais fait, lui, le grand ultramontain, encore que depuis vingt ans il occupât le siège de Tulle. Il disait ce qu’il a tant répété depuis à Pie IX et à d’autres jusqu’en chaire : « Il me sera beaucoup pardonné, parce que j’ai beaucoup aimé. »
19La seconde décision qui fut prise, ce fut que j’accompagnerais en Italie le docte pèlerin. Monseigneur qui savait son monde et les choses, et qui d’ordinaire pensait à tout, me dit un matin : « Vous connaissez Rome ; il ne sera point inutile que vous y expliquiez plusieurs choses à Mgr Berteaud qui est si impressionnable, et que vous l’expliquiez lui-même aux Romains. Il vous aime, vous ne l’ombragerez pas et vous rendrez là un double service. Au reste, j’entends me charger des frais de votre voyage parce que je vous commets comme membre de mon chapitre pour porter officiellement ma seconde relation au Pape. » Il y avait au dernier fond de ceci, et toute part laissée à son intérêt pour l’évêque de Tulle, une délicatesse et une bonté envers moi telle qu’il en sortait souvent de ce cœur vraiment exquis35.
20J’avais été l’année précédente demandé par Mgr Level, alors supérieur de Saint-Louis-des-Français36, pour prêcher le carême de Rome, et sur le conseil de mon évêque, j’avais accepté. Le temps venu, je quittai Poitiers pour passer quelques jours à Paris, dans ma famille, avant le grand départ. Là je reçus un télégramme m’avisant de ne partir point. M. de La Valette, alors ambassadeur37, n’acceptait pas qu’un vicaire général de l’évêque de Poitiers, qui avait osé insulter l’empereur, disait-il, montât dans la chaire de Saint-Louis. Les observations ne manquèrent point dans le but de faire comprendre à l’ambassadeur le ridicule de son interdiction, sinon son injustice. J’étais l’homme, disait-on, le plus inoffensif du monde, le moins politique et le plus étranger à l’affaire du mandement. Rien n’y fit ; j’étais le grand vicaire de Monseigneur, c’était assez ; il fallut se soumettre. L’évêque en fut bien plus blessé et contristé que moi, et le pauvre ambassadeur n’y gagna rien car le cardinal Villecourt38 accepta de prêcher à ma place, au moins chaque dimanche, et usant de sa haute et indépendante position, il parla de la France et de son gouvernement avec une liberté qu’à aucun titre assurément je n’aurais pu me permettre. Dans la proposition que le bon cher évêque me faisait de ce voyage, il y avait l’intention visible de me dédommager du sacrifice dont il avait été pour moi la très involontaire et innocente occasion. À ce séjour à Rome se rapporte l’homélie que Mgr Pie prononça à la cathédrale le jour de la Pentecôte de cette année 1862.
21Quand ce fut le tour de Poitiers d’y tenir le concile provincial39, on devine aisément le soin intelligent et zélé avec lequel l’évêque le prépara. On en peut voir quelque chose dans le mandement qu’il publia en vue de cette sainte assemblée et dans lequel, résumant avec une grande érudition l’histoire de tous les conciles tenus à Poitiers même ou dans le diocèse, il instruit les fidèles sur l’importance de ces réunions et sur la part qu’ils y doivent prendre. Le sens des choses ecclésiastiques et l’amour éclairé et filial de l’Église apparaissent là comme partout dans les discours et dans les actes de cet admirable prélat. Entre autres questions qui le préoccupaient se trouvait celle de la morale indépendante dont on parlait alors beaucoup et dont les rationalistes et les révolutionnaires parleront toujours désormais. Monseigneur me chargea d’étudier la question et de rédiger un travail pour la proposer au concile. Il y attachait la plus grande importance et fit pour me procurer les matières et renseignements nécessaires des dépenses assez sérieuses. « Rien ne coûte, me disait-il, quand il s’agit de poursuivre et de condamner l’erreur. » D’autres théologiens, un père jésuite entre autres, avaient étudié cette prétendue morale, mais à leur point de vue et sans avoir pris la peine de lire les adversaires. Il y eut à ce sujet quelques débats entre eux et moi en présence des évêques. Sans y intervenir directement, Monseigneur usa de toute son influence, et persuadé que j’étais dans la vérité, il fit accepter et passer tout entier ce travail qui fut inséré dans les actes et loué par le cardinal préfet de la sainte congrégation du concile. Monseigneur me pria de le résumer et inséra ces pages dans la lettre synodale portant promulgation des décrets du concile40. Il procura aussi pour cette importante assemblée la venue à Poitiers de notre commun et excellent ami l’abbé Henry Sauvé41, maintenant recteur de l’université catholique d’Angers. Ce fut lui qui rédigea le docte chapitre De studiis ecclesiasticis. Monseigneur rédigea lui-même le beau décret sur saint Hilaire qui est le premier des actes conciliaires.
22Peu de temps après la clôture, vers février je crois, m’arriva, à ma grande stupéfaction, l’invitation équivalant à un ordre de me rendre à Rome avec le titre de consulteur pour y travailler à la préparation du concile du Vatican. Ce qui m’émut, je puis dire jusqu’à la terreur, n’étonna point mon cher évêque. Il avait eu, je ne sais quand ni comment, la connaissance de la pensée de Pie IX à ce sujet, et je me rappelle que près d’un mois avant l’arrivée à Poitiers de la lettre du nonce, le bon prélat m’avait dit : « Cher ami, il ne faudrait pas être surpris si d’ici à quelques temps nous étions obligés de faire un voyage à Rome, y étant demandés par le pape. » J’étais si loin de deviner ce qui me menaçait que je ne parvins point à prendre la parole de Monseigneur au sérieux. Il me connaissait bien et j’avais des liens chers et nombreux qui m’attachaient alors à la vie poitevine : liens de ministère et de travaux commencés, car j’étais à peu près au quart de mon premier ouvrage De la Vie et des Vertus chrétiennes. Aussi quand le coup vint me frapper, Monseigneur voulut me l’adoucir par un mot plein de foi et de bonté dont il accompagna la lettre du nonce ; et comme après avoir fait devant Dieu le sacrifice de mon obéissance, un des plus rudes assurément que j’aie fait de ma vie, je courus à l’évêché pour porter ma réponse, Monseigneur commentant mon billet m’encouragea et me rendit la paix, et même une mesure de confiance. Il me bénit pour cette mission dont je me sentais si incapable, et quand je partis, quoique je fusse comme Abraham nesciens quo irem42, j’avais l’âme tranquille et toute livrée à Dieu.
23J’ai remis tout ce que j’avais gardé de ma correspondance avec Monseigneur durant ces deux années presque entièrement passées à Rome ; on y retrouvera la suite des pensées de l’évêque et des avis qu’il me donnait au courant des circonstances que je lui racontais dans mes lettres. À peine entré dans la commission théologique-dogmatique que présidait le cardinal Bilio43, je fus prié instamment par le cardinal Pitra44 d’abord, puis par le cardinal De Luca45, alors préfet de l’Index, d’entreprendre la défense du livre publié à Rome il y avait plus de deux ans par le vénérable M. Faillon de Saint-Sulpice, et extrait (avec toutes sortes d’accessoires) des œuvres de M. Olier sous le titre de Vie intérieure de la très sainte Vierge. Cet ouvrage, déféré à l’Index par le vindicatif et passionné Mgr Chaillot46, avait été l’objet d’appréciations très sévères. La très grande majorité des consulteurs qui avaient écrit pour la congrégation leur rapport sur le livre concluaient à la condamnation. Elle était imminente. Cependant la chose étant grave à cause de l’approbation de trois personnages considérables (le cardinal de Villecourt, Mgr Baillès, ancien évêque de Luçon47, et le P. Semenenko, des prêtres de la Résurrection48, théologien fort estimé à Rome, sans parler de l’approbation connue de plus de quarante évêques, archevêques et cardinaux français), Pie IX, fatigué de l’affaire, avait ordonné qu’on procurât, s’il se pouvait, un nouvelle défense de l’ouvrage, après quoi l’on procèderait au jugement définitif. J’étais à peine au courant de la question, encore que, sur la prière de Monseigneur, j’eusse lu à Poitiers quelques passages du premier volume. Je commençai donc par refuser le travail qu’on me demandait, mais comme malgré tant de bonnes raisons alléguées par moi, on faisait de grandes insistances, je soumis la chose à l’évêque de Poitiers qui n’hésita pas à me dire de mettre la main à l’œuvre pour l’amour de Marie et l’honneur de Saint-Sulpice qu’il avait fort à cœur. Il prit cette affaire en très grand intérêt, me soutint puissamment. C’est lui qui, dans sa dernière lettre, me fournit le trait final de mon votum. « Je ne puis penser sans indignation, m’écrivait-il, que par la sollicitation [de] Sibour49 et de quelques autres, l’Index a épargné M. Cousin et qu’il va condamner M. Olier, le vénérable fondateur de Saint-Sulpice. Va-t-il falloir retourner le vers de Virgile et dire de la Roma pontificalis que sa coutume est de Parcere superbis et debellare subjectus50 ? » Quoique ma défense fût bien pauvre, quoique même j’y eusse laissé échapper une assez grosse erreur théologique touchant les opérations de Dieu ad extra, Dieu et la Sainte Vierge aidant, le mouvement qui poussait si fort à la condamnation s’arrêta presque tout d’un coup. Je crois que les raisons extrinsèques que j’alléguais contre la condamnation projetée firent une assez grande impression. Pie IX en fut soulagé et sachant que plusieurs des consulteurs hostiles avaient finalement changé d’avis, il dit en souriant au prélat de service : « La Madonna ha fatto un miracolo di primo ordine ; ha convertito un teologo. » Bref, M. Olier ne fut point condamné. On nomma seulement une commission particulière sous la présidence du cardinal de Monaco La Valetta51 – actuellement cardinal vicaire – pour formuler quelques corrections qui éloigneraient toute apparence d’erreur. L’abbé Sauvé fut l’un des membres de cette commission, et M. Faillon étant mort, ce fut M. Icard qui fut mis en demeure de modifier l’ouvrage ad mentem Sancta Sedis. Je crois qu’il a dépassé la mesure et l’humble volume qu’il a publié n’est, me semble-t-il, qu’une esquisse fort terne du tableau qu’avait montré M. Faillon, ayant mis de-ci de-là certaines couleurs qui devaient disparaître. Une très grande part de ce triomphe tel quel, revient certainement à l’évêque de Poitiers.
24Pour le reste de ces deux années, force est que je renvoie à la correspondance. J’ai dit dans mes premières notes tout ce dont je me souviens présentement touchant le concile.
25Quoique ce soit toujours une peine de parler de soi, il me semble devoir à la mémoire du cher cardinal, de consigner ici ce qui concerne mon élévation à l’épiscopat, car ce fut son œuvre personnelle et le fruit d’une volonté longtemps réfléchie, souvent manifestée, et qui à la fin devint assez active pour faire aboutir son dessein.
26J’ai raconté l’origine de nos rapports (1851, jubilé de Niort) ; puis les instances qu’il me fit en 1856 pour m’attacher à son diocèse, et enfin ma venue à Poitiers en 1857. Monseigneur a toujours eu pour moi une très grande affection ; je lui en ai beaucoup rendu et j’ai tâché de lui en donner des preuves en me dévouant à lui très cordialement et en l’aidant de tout mon pouvoir chaque fois qu’il daignait réclamer mon concours. Il le fit bien souvent, m’associant à ses travaux écrits, que même quand je n’y avais pris aucune part, il avait d’ordinaire l’humilité de me soumettre. Rarement il livrait à l’impression une pièce de quelque importance sans me l’avoir lue en manuscrit ou m’avoir demandé de la lire en épreuve. Quoique son esprit fût si sûr et qu’il eût du courage jusqu’à paraître hardi, il sentait habituellement le besoin d’un contrôle ; il écoutait très sérieusement toutes les observations qu’on lui faisait, et presque toujours il en tenait compte. Quand il n’y avait qu’à louer dans sa composition, ce qui était le plus ordinaire, l’approbation reçue lui donnait un contentement visible et un surcroît d’assurance auquel il attachait du prix. Il travaillait beaucoup ce qu’il faisait, quoique ayant pour concevoir, composer et écrire une facilité merveilleuse. Jamais il ne commençait rien sans prier, et ces recours à Dieu et à Marie, à Joseph et à d’autres saints selon l’occurrence, étaient l’une des plus familières habitudes de sa piété. Je ne sais pas s’il passait un long temps chaque jour à la prière mentale proprement dite ; peut-être que non, au moins dans les années les plus occupées de sa vie, qui furent celles du milieu de son épiscopat. Il s’en plaignait parfois à moi, me disant : « Je vais bien devant le saint Sacrement, mais après fort peu de temps, les idées végètent dans ma tête et alors je reviens écrire. » Dans les dernières années, que de fois il m’a dit qu’il enviait et mon loisir et mes études !
27Malgré ce que je viens de dire, à savoir notre affection et notre confiance mutuelles auxquelles il se mêlait, je dois le dire, un mutuel respect, très profond et très naturel de ma part, mais très réel aussi chez lui et que bien d’autres ont remarqué plus que moi, il n’y avait pas entre nous de vraie intimité : c’est très probablement ma faute, encore qu’il me semble avoir mis pour en arriver là une vraie et grande bonne volonté, et que j’en aie toujours eu le désir au fond du cœur ; mais quand j’y travaillais, j’avais le sentiment de me heurter à l’impossible. Était-ce prudence de la part de Monseigneur et pour n’exciter point la jalousie d’autrui ? Était-ce pour ne pas même subir une influence ? Était-ce que son cœur tout rempli par l’amour de l’Église et sa tendresse touchante envers sa mère, n’avait nul besoin d’une relation de cœur intime ? Était-ce simplement une suite de son caractère ? Le fait est que je ne me sentais point à l’aise avec lui (ce qui était le fait de presque tout le monde). Je voyais parfois à Rome la princesse Karolyne W52. Elle me pria de lui procurer un moment d’entretien avec l’évêque de Poitiers dont elle savait la grande réputation, et ainsi fis-je. Au sortir de l’audience qui dura, je crois, moins de cinq minutes, la princesse entrant dans ma chambre s’écria en souriant : « Oh ! È un huomo sommo ! » Le mot était fort juste dans tous les sens. Il m’interdisait souvent par sa manière d’être, et pour ainsi parler m’annulait, qu’enfin je me sentais habituellement obligé de refouler mon cœur avec lui ; d’où vient que, malgré des bontés exquises et je puis dire constantes, il a été souvent pour moi la cause de bien des souffrances. Il peut voir là-haut si je lui pardonne tout cela et si ces ombres de la pauvre terre ne se sont pas toutes évanouies dans la splendeur de son cher et grand souvenir.
28Certes, cependant, je le répète, il m’aimait et très assurément m’estimait bien au-delà de mes mérites. Quelle preuve plus éclatante de ceci que cette pensée qu’il eut de me promouvoir à l’épiscopat ? Il m’en avait parlé plusieurs fois en tête à tête, surtout après le concile du Vatican. Il savait ma santé incommode et mes goûts, aussi pensait-il d’abord à un petit diocèse, Blois par exemple, dont il fut question un instant. Il me trouva dès la première parole absolument rebelle. J’avais trop l’évidence de ma complète insuffisance ; je lui fis vingt objections qui ne parurent point le persuader ; mais Dieu se mit de mon côté et me donna raison. Il fut question de Tours quand Mgr Guibert fut transféré à Paris53. Le bon évêque du Mans, Mgr Fillion54, s’en occupa avec Mgr de Poitiers et en parla même à l’archevêque. Celui-ci me connaissait peu et fit surtout cette objection qu’il était contre l’usage, au moins en France, qu’un simple prêtre fût nommé d’emblée à un archevêché. Cette affaire, grâce à Dieu, échoua comme la première. Cependant, le dessein persistait dans l’esprit de Mgr Pie et je sus plus tard qu’en ceci il était plus qu’encouragé et comme poussé par d’autres évêques de France. Cela dut être surtout après la publication de mon premier ouvrage55.
29Mon bon évêque s’intéressait beaucoup à ce travail dont, dans les bons moments, je lui parlais un peu. Il y avait plusieurs années déjà je lui avais communiqué le « Traité de la charité envers l’Église » qui, quoique placé à la fin56, est l’un des premiers que j’eusse faits. Il en avait témoigné un grand contentement. Quand le manuscrit fut complet et prêt pour l’impression, j’osai demander à l’amitié du cher prélat de vouloir lire toutes les épreuves, ce qu’il accepta avec un empressement et un dévouement dont je restais fort touché. Il lut tout en effet sauf deux traités : manifestement l’ouvrage lui plaisait et il en attendait du bien ; il ne se fit pas faute de me le dire au courant de la lecture. Cependant, pour parler en toute simplicité, je ne crois pas qu’il se soit d’abord rendu compte de la portée, de l’à-propos de cette doctrine, et il n’a pas prévu du tout le succès qui attendait le livre. Il me disait un jour à ce sujet : « Cher ami, c’est très bien et c’est trop bien ; mais quand on écrit de pareilles pages, il ne faut pas s’attendre à avoir beaucoup de lecteurs. » J’avoue qu’intérieurement je répondis : « Bien cher seigneur, vous connaissez bien mieux que moi le monde des hommes et des affaires ; mais peut-être que le monde des âmes m’est un peu plus connu qu’à vous, et je ne crois pas que l’élite dont vous me parlez là soit si petite. » Je ne me trompais pas et quoique mes espérances allassent plus loin que celles de Monseigneur, la réalité les dépassa de beaucoup. Le bon évêque en fut franchement et extrêmement heureux, d’autant qu’il ne put s’empêcher d’y voir un signe favorable touchant l’état, dans notre cher pays, des esprits et des âmes, et il n’y avait pas chose au monde à laquelle il fut plus sensible qu’au progrès du royaume de Dieu. Il tint, je crois, à être plus que discret dans son approbation : un peu, si je ne me trompe, parce que n’ayant point absolument tout lu, et ayant une très juste et par là même très haute idée de ce qu’est aux yeux de l’Église l’approbation motivée d’un évêque, il ne voulut point courir même une chance de se compromettre ; puis par un sentiment de délicatesse et de réserve que lui inspiraient nos relations si particulières et connues de tout le monde. Plusieurs, et même des évêques trouvèrent qu’il avait excédé en ceci. Je pense qu’une année après il n’eût pas écrit dans les mêmes termes. Il ne put pas lire les épreuves des Conférences non plus que celles des Élévations ; mais sur le rapport du chanoine Maynard57, mon ami et le sien, il daigna louer les Conférences, et je sais qu’il en a parlé souvent, en ayant pris quelque connaissance, d’une manière très avantageuse. Quand je publiai les Élévations, j’étais déjà évêque et je crus plus à propos de ne pas même lui demander d’approbation écrite. Il goûta fort ce dernier ouvrage qu’il parcourut tout entier et il y fit souvent sa méditation, m’a-t-il dit, ce à quoi, dans les derniers temps de sa vie, il était très fidèle.
30La bénédiction visible que, dans sa toute gratuite bonté, Dieu daigna répandre sur mes humbles travaux, ne fit qu’aviver dans le cœur de mon cher évêque le désir de procurer que je devinsse son frère. Je crois qu’avant de s’en ouvrir définitivement à moi, il en avait parlé avec plusieurs prélats, nommément avec l’archevêque de Reims58. Il renonçait à me présenter pour un siège, assuré que je ne l’accepterais jamais et se rendant compte tardivement que, pour plusieurs raisons, ce n’était point la volonté de Dieu sur ma vie ; mais il crut possible d’obtenir pour moi un titre in partibus, et préjugea que je ne pourrais plus refuser en ces conditions.
31Nous étions au mois de juillet 1877, époque accoutumée de notre retraite ecclésiastique. Le pauvre cher évêque avait été atteint quelques jours auparavant d’une phlébite assez forte qui, en l’entravant dans son ministère, nous causa de sérieuses alarmes. Je suis persuadé que c’est des suites de ce mal qu’il est mort. Courageux toutefois et esclave de son devoir, il se fit transporter au grand séminaire où il passa la plus grande partie des journées, se faisant traîner aux exercices dans un petit chariot où il se tenait couché, les deux jambes emmaillotées de flanelles. « Voyez, écrivait-il ce jour-là à une religieuse qu’il aimait comme un père et dirigeait avec sollicitude, voyez à quel état d’humiliation le bon Dieu me réduit : me voici traîné comme un enfant infirme à la face de tout mon clergé. »
32Le jour même de la clôture de ces saints exercices, qui était la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, il me fit venir à l’évêché où il était rentré. Je le trouvai assis près de la grande fenêtre de son cabinet de travail, les jambes étendues et couvertes. J’étais à mille lieues de soupçonner la raison pour laquelle il m’avait mandé et le sujet dont il allait m’entretenir.
33Il l’aborda tout droit avec une simplicité et une bonté touchantes, auxquelles se joignait une très suave mais très forte autorité. On ne peut ménager quelqu’un avec plus d’habileté et d’affection qu’il ne le fit pour moi dans cet entretien. Il avait jusqu’ici, disait-il, respecté et compris mes scrupules ; il voyait même clairement pourquoi Dieu n’avait pas permis plus tôt que je fusse promu à l’épiscopat. Encore qu’il eût cru possible autrefois d’accommoder mes goûts de prière et de travail avec l’administration d’un petit diocèse où je me serais fait aider par de bons vicaires généraux, il se rendait bien compte à présent que jamais je n’aurais pu, sur un siège quelconque, réussir à finir les deux ouvrages déjà publiés et qui étaient le fruit d’une grâce toute personnelle. Mais maintenant ces livres étaient terminés, et justement à cause des bénédictions singulières que Dieu leur avait accordées, à cause aussi, par suite de la position qu’ils me donnaient dans l’Église, sans parler des autres titres que me créaient la confiance de Pie IX et ma coopération aux travaux du concile, l’heure était arrivée et je n’avais plus l’ombre d’un motif valable pour refuser l’insigne grâce de l’épiscopat. Il ne pensait donc plus à un siège et me promettait même de ne point travailler à ce que j’en eusse un ; mais je devais être revêtu du caractère épiscopal. Sa conscience ne serait pas tranquille s’il ne faisait pas tout pour me l’obtenir et m’y contraindre. Il était en ceci plutôt en retard qu’en avance et bien des évêques le lui avaient plus d’une fois reproché, affirmant que cela devait dépendre de lui seul, que le pape ferait ce qu’il voudrait ; que lui-même était mon ami, mon supérieur, mon père et qu’à ce titre, il aurait facilement raison de mes difficultés. Il était assuré de faire la volonté de Dieu et d’en être pour moi l’organe régulier dans cette circonstance. Que pouvais-je craindre ? Je n’avais, en acceptant, aucune responsabilité ; il s’agissait seulement de recevoir une grâce et de m’asseoir à un rang qu’on était unanime à déclarer le mien ; on n’avait point sur terre un témoignage plus infaillible d’un dessein de la Providence que cet appel de tous manifesté par les évêques ; je ne le quitterais point ; encore bien qu’il connût ma santé et que son intention formelle fût de ne point me demander un concours extérieur, officiel et habituel, je l’aiderais beaucoup : d’abord par la prière, puis même ici et là pour des œuvres qu’un évêque peut seul faire, et prenant de l’âge et souvent fatigué comme il l’était, entravé même parfois comme je le voyais, cette assistance serait pour lui d’un grand prix ; c’était donc le satisfaire, l’assister utilement, consoler son cœur, réjouir son âme d’évêque et il considérait cette œuvre comme l’une des dernières et des meilleures de son épiscopat.
34J’étais humilié et ému au dernier point, tenant les yeux de mon âme élevés vers Dieu autant que mes oreilles ouvertes pour entendre ces étonnantes paroles ; je ne sentais pas pouvoir faire d’objection sérieuse. Il m’était impossible de ne pas voir dans l’épiscopat considéré en lui-même, c’est-à-dire dans la conformité éminente qu’il donne avec Jésus et les splendides vertus qu’il met dans l’âme, une grâce dont nul homme n’est digne, mais qui est plus désirable que tous les biens du monde. À ce titre, N. S. faisait plus que m’incliner, tout en me laissant dans une sorte de stupeur intérieure. La pensée aussi d’être plus apte à servir l’Église et le diocèse, de faire une joie à Monseigneur que je me sentais aimer plus que jamais, d’être mis en état de me dévouer à lui davantage et de lui témoigner ma gratitude en lui étant plus serviable, tout cela me persuadait aussi très suavement. Je lui répondis donc : « Cher seigneur, je me sens désarmé et ne puis que baisser la tête. Vous savez les raisons qui m’ont fait refuser un siège ; je les sens toujours là et elles sont invincibles ; mais vous m’ouvrez une perspective que jamais je n’ai eu même la pensée de regarder ; l’épiscopat tel que vous l’avez conçu pour moi et me le présentez n’est plus le fardeau qui me fait peur. J’aimerais mieux encore, il est vrai, même après votre proposition et par un sentiment facile à concevoir, demeurer dans la condition première où j’ai vécu depuis tout à l’heure trente-trois ans ; je n’ai pas de goût pour les hauteurs et plutôt je les redoute ; mais enfin j’aime mieux avoir foi en vous qu’en moi et si vous persistez dans ce dessein étrange, et si malgré tant de difficultés qui m’apparaissent devoir surgir et l’entraver, Dieu permet qu’il réussisse, je ne pourrai pas dire autre chose que Fiat. » Il me remercia, m’encouragea, me parla avec une sainte tendresse, me témoigna une très vive joie, en me disant, si je me souviens bien, que c’était là un des meilleurs jours de sa vie, et nous nous séparâmes.
35Je ne sais si c’est avant ou après cette ouverture qu’il écrivit une touchante prière à Marie, où il lui confiait son entreprise. On a retrouvé le papier sous la statue de la Sainte Vierge qu’il avait toujours devant lui en écrivant. Il aimait à charger de toutes ses commissions celle à qui il faisait profession d’appartenir et ces billets écrits forment une collection précieuse.
36Il n’était point homme à retarder d’un jour l’exécution d’un plan qu’il avait tant à cœur. Je crois que dès le lendemain il écrivit à Rome et se mit en rapport avec le ministère, sans doute aussi avec le Maréchal59, sachant d’ailleurs que bien des fois la Maréchale, qui goûtait mes ouvrages, avait presque fatigué son mari en le pressant de me nommer évêque. Dès qu’il fut guéri de sa phlébite, il se rendit à Paris, vit tout le monde, arrangea aisément toutes choses et revint à Poitiers sûr du succès.
37Avec sa permission, j’avais déjà quitté le diocèse et étais venu comme de coutume, et avec de plus sérieux motifs cette fois, prendre mes vacances chez ma sœur, en Limousin. Toute l’affaire se traita pendant cette absence. En septembre, le jour de Notre-Dame des Sept Douleurs, je recevais de lui une lettre dans laquelle il m’annonçait que Notre Saint Père le Pape avait agréé ma nomination et que j’eusse en conséquence à me rendre à Paris pour mon information canonique. J’ai un très vif regret de n’avoir plus cette lettre, ni les deux ou trois qu’il m’écrivit alors. Sa belle âme s’y montrait sous un jour admirable, et je puis dire plus que nouveau pour moi. Il y était si sincèrement humble et si simplement pieux et affectueux ! Il me disait que cette nomination soulageait sa conscience et qu’il se présenterait avec moins de crainte au tribunal de Dieu ; que sa vie lui apparaissait toute pauvre et toute tiède à l’intérieur, que je serai son supplément, son titre à l’indulgence divine et comme l’hostie intime de son épiscopat.
38C’était pour me confondre et me faire fondre, et je fondis en effet, heureux toutefois de pouvoir l’admirer plus que je ne l’avais jamais fait.
39Je tins à passer par Poitiers pour me rendre à Paris, j’avais un très pressant besoin de le voir. Je courus à l’évêché dès l’arrivée, il m’attendait et, me voyant très pâle : « Eh ! Mon pauvre ami, s’écria-t-il en m’embrassant, vous avez l’air d’un mort. Il faut vivre. »
40Nous nous entretînmes une bonne heure. Je lui dis quelque chose des sentiments dont mon cœur était plein ; il me donna ses instructions avec toutes sortes de bonnes et douces paroles, me fit présent d’une croix pectorale qu’il avait portée bien longtemps, et je le quittai pour partir sans délai.
41Ma nomination officielle par Pie IX fut faite le samedi, veille de la fête du saint Rosaire, anniversaire de ma naissance et du baptême du cher évêque. Le bref fut envoyé le 23 octobre, fête du saint Rédempteur et daté de ce jour. Tout alla vite et droit au Conseil d’État, grâce au crédit de l’évêque et à la très grande obligeance du ministre Brunet60, qui me connaissait pour m’avoir entendu prêcher à Tulle, où il était président du tribunal ; et ayant calculé que le jour de Sainte Catherine, anniversaire du sacre de l’évêque de Poitiers, tombait cette année-là un dimanche, je lui demandai en grâce de me sacrer ce même jour, ce qu’il accepta de tout cœur.
42Je lui avais aussi exprimé le désir d’avoir un titre de Palestine, s’il se pouvait. C’était ma dévotion. Il s’y employa avec zèle et diligence, et c’est aussi à lui que je dois le titre d’Anthédon qui m’est fort cher. Il voulut donner à ce sacre toute la solennité possible. Il fit de grandes et nombreuses invitations, veilla lui-même à tous les préparatifs. Chacun remarquait son entrain et sa joie. Enfin l’admirable discours qu’il composa et prononça, à cette occasion, dit plus que tout le reste à quel point il avait engagé son âme en cette affaire.
43Plusieurs années auparavant, il s’était occupé avec une activité, une intelligence et une persévérance admirables, des questions relatives à l’érection des universités catholiques en France et spécialement des facultés de théologie, surtout de celle de Poitiers. C’est une phase intéressante et importante à étudier dans la vie de Mgr Pie et l’une de celles où il s’est montré le plus, à mon sens, le dévoué, courageux et habile serviteur de l’Église. Il suivit avec la plus grande attention tous les débats relatifs à la loi sur la liberté d’enseignement, principalement en ce qui concerne les universités et facultés. Il était fort loin d’approuver ou pour mieux dire il improuvait tout haut et fortement bon nombre des arguments dont les nôtres se servaient pour appuyer leur thèse et gagner leur cause. Que de fois je lui ai entendu dire qu’on compromettait l’Église en la servant ainsi, que c’était bâtir sur le sable, donner d’avance des armes aux ennemis qui ne manqueraient point de les employer pour tout détruire, etc., etc. Toutefois, la loi votée61, il s’efforça d’en tirer tout le parti possible, tenant grand compte pour cela, au point de vue des facultés, de plusieurs aveux, concessions ou affirmations qui se trouvaient dans le rapport de M. Laboulaye62. Il ne cessa de l’alléguer, et de vive voix avec les ministres, et dans les lettres qu’il écrivit à je ne sais combien de personnes. Ces lettres et les mémoires qu’il composa sur cette grave affaire, formeraient, j’imagine, un volume considérable. Il avait pris à tâche d’éclairer le Saint-Siège sur la situation, et pendant plusieurs mois il s’y employa avec ardeur.
44Il en fut de même de la loi qui modifia si déplorablement les Commissions des hôpitaux et dans laquelle on vit nos libéraux, leur chef en tête, donner les deux mains à y faire entrer les ministres protestants et au même titre que les curés. Je ne sais si c’est à cette occasion ou à une autre que plusieurs députés s’étant plaints vivement des réclamations des évêques, Mgr d’Orléans63 osa plaider devant la Chambre les circonstances atténuantes en alléguant ce vers d’Horace : Genus irritabile vatum64. « J’ai relu trois fois le passage, me disait l’évêque avec indignation, je n’en pouvais pas croire mes yeux. »
45Il correspondait très souvent avec Mgr Cz[acki], maintenant nonce en France65, alors secrétaire de la congrégation des Études. Ce prélat doit avoir la plupart de ces belles ou autres pièces s’y référant ; s’il les voulait communiquer, elles jetteraient un grand jour sur tout ceci et donneraient un nouveau lustre à la figure déjà si belle et si brillante du grand évêque. Il écrivit aussi, souvent, au cardinal secrétaire d’État66 et si je ne me trompe à Pie IX lui-même. Il travailla beaucoup à l’encontre de Mgr Maret, évêque de Sura67, qui visait à faire rendre canoniques les facultés de l’État. Quelques-uns, à Rome, mal renseignés ou mal placés pour voir, seraient peut-être tombés dans le piège. En ceci et en plusieurs points analogues, je suis sûr que Monseigneur a rendu, dans cette circonstance, les plus éminents services au Saint-Siège et à toute l’Église de France.
46Quant à la faculté théologique de Poitiers, il y avait bien des années déjà qu’il portait ce dessein dans son cœur. On sait quel était son sens doctrinal. Il était persuadé que le relèvement des études théologiques servirait puissamment au relèvement du clergé. Il trouvait trop bas, à bon droit, le niveau des études en France. Longtemps avant le concile du Vatican, il avait toute une organisation dans la tête. Possédant dans le diocèse plusieurs ordres religieux, notamment des jésuites, des dominicains et des bénédictins (ce qu’il estimait une grâce insigne), il aurait voulu distribuer entre ces trois ordres les diverses chaires de sa faculté, qu’avant tout, bien entendu, il voulait canonique et érigée par le Saint-Siège. Cette combinaison lui souriait extrêmement. Au concile et depuis, la question devenant plus pressante à ses yeux et l’occasion lui semblant favorable, il en parla à Rome à plusieurs personnages, spécialement au P. général de la Compagnie de Jésus. Il vit tout de suite qu’on n’accepterait jamais de contribuer seulement pour une part et avec d’autres ordres à l’enseignement philosophique ou théologique d’une faculté. On voulait que ce fût tout ou rien, laissant voir clairement que malgré toutes sortes de difficultés faciles à prévoir, et prévues, difficultés venant ou de la Compagnie, ou de l’état des choses en France, ou même du diocèse, cependant par égard pour l’évêque qu’on tenait en si haute estime, on ne refuserait point d’accepter le tout, c’est-à-dire de tenter un essai.
47L’évêque revenu chez lui ne cessa pas un instant de suivre cette affaire. Les Piémontais s’étant emparés de Rome et ayant commencé de persécuter les religieux, il fit valoir comme raison la dispersion forcée des pères et la plus grande facilité qui en résultait de lui en envoyer plusieurs. On lui en accorda plusieurs, en effet, nommément le docte et saint P. Clément Schrader68, longtemps professeur de dogmatique au Collège romain, en compagnie et collaboration du triste P. Passaglia69 dont il était, je crois, un des premiers et des plus chers élèves. Le P. Schrader fut plus tard consulteur pour le concile dans la commission du cardinal Bilio70 dont je faisais partie, et il travailla au concile même, spécialement à la constitution du Pastor aeternus. C’était un religieux accompli dont la piété égalait la science, et c’est beaucoup dire, humble, doux, affable à tous, et d’un zèle admirable, pour sa classe d’abord, puis pour les œuvres de charité. Il est mort peu d’années après, martyr de sa vertu, et a laissé dans le monde ecclésiastique et religieux de Poitiers la mémoire embaumée d’un saint. On l’avait surnommé « le Père Deo gratias » parce qu’il disait toujours ces mots et tout d’abord en tout événement heureux ou malheureux. Il fut remplacé par le très docte P. Wilmers71, moins brillant que lui comme talent, mais meilleur professeur encore.
48Quand la faculté s’établit, tout était à créer, et d’abord on manquait de livres. Les R. P. professeurs ayant exposé à Monseigneur leur besoin et leur désir touchant la constitution d’une vraie bibliothèque, l’évêque tira tout de suite de son secrétaire vingt mille francs que son éditeur venait de lui apporter comme dernier produit de ses ouvrages, et les remit aux mains des pères étonnés et touchés. Mais tel était-il en toute occasion, et j’ai toujours constaté en lui cette magnanimité généreuse. On ne saurait allier, je crois, plus de sagesse pratique et de saine économie dans l’administration de l’argent, avec un désintéressement plus vrai et plus libéral.
49La faculté fut souvent pour lui une source d’embarras et de peines ; mais il y attachait tant d’importance, que jamais il ne s’est repenti de l’avoir établie.
50Il dut, à cette occasion, déplaire à l’évêque d’Angers qui le lui fit payer en disant de lui plus d’une parole piquante et malséante qu’il a depuis, je le sais, regrettée, retranchée et réparée. En principe, l’évêque de Poitiers ne croyait pas qu’il fût opportun de multiplier les universités catholiques en France, comme on tendait alors à le faire. Pour celle d’Angers, je crois qu’il en comprenait mieux la raison que pour d’autres, et tout en faisant ses réserves et exprimant parfois des craintes touchant les entreprises si vastes et si nombreuses de Mgr Freppel, il admirait son activité et louait son courage. Ce prélat lui écrivit pour le prier de lui envoyer, autant qu’il le pourrait, des étudiants en droit. Notre évêque, qui ne savait que trop les périls que courrait la jeunesse étudiante à Angers sous le rapport des mœurs, et qui connaissait bien plus la condition favorable où se trouvaient sur ce point ses étudiants de Poitiers (qui, du reste, à cette époque avaient plusieurs excellents professeurs et bons chrétiens), notre évêque, dis-je, répondit qu’à son grand regret il ne pourrait, comme on le souhaitait, prêter secours à la faculté de droit d’Angers. On lui en garda quelques rancunes et l’on devint sévère à son endroit. Cela dura jusqu’à la mort, mais devant cette grande tombe, Mgr Freppel redevint calme et équitable. Je sais positivement qu’il a dit alors sur le grand évêque disparu des paroles qui marquaient beaucoup plus que l’estime, et en particulier celle-ci : « Nous perdons notre maître et notre chef à tous. Même quand il se taisait, il était là, on le savait là et c’était beaucoup. »
51Je viens au temps qui précéda et suivit le cardinalat. Je dirai ce que je sais, mais au fond, je sais peu de chose. Monseigneur n’a rien fait pour obtenir cette dignité, je crois devoir l’affirmer et j’en ai plus d’une preuve. Ne la désirait-il pas, dans un certain fond de son âme, comme un moyen qui lui serait donné d’être plus utile au Saint-Siège et de mieux servir l’Église (ce qui était toujours sa grande passion) ? Je l’ignore, mais je serais assez incliné à le croire.
52Tout le monde a su que Pie IX désirait cela depuis longtemps et avait plus d’une fois fait pressentir à ce sujet, soit l’évêque, soit le Pouvoir. Le Pouvoir parut y consentir y étant presque obligé par l’éclat qui entourait ce nom et l’éminence incontestée du personnage ; mais on faisait de l’élévation de Mgr Dupanloup à la pourpre, la condition sine qua non du laissez-passer accordé à l’évêque de Poitiers : celui-ci y répugnait profondément et Pie ix n’y voulut point entendre. Le pape se figurant que si l’évêque de Poitiers acceptait le siège de Lyon qui venait de vaquer, la promotion suprême trouverait moins d’obstacles, la lui fit directement proposer. Monseigneur la refusa nette et non sans quelque vivacité. Un soir qu’il s’en ouvrit à moi, dans son salon, il me dit, en me parlant du fond de ses entrailles : « Quitter Poitiers, j’aimerais mieux mourir. » Il le répéta même deux fois. J’en fus touché et édifié.
53Je crois néanmoins qu’avec le temps, à raison sans doute des instances que fit faire Pie IX, des représentations de plusieurs et des réflexions qu’elles firent naître, Monseigneur arriva à croire que, pour ne point s’opposer plus que de raison au désir du Saint Père et d’un grand nombre de cardinaux, Dieu lui demandait peut-être le sacrifice de cette translation, et je me trompe si, à la fin, il n’eût point consenti. Heureusement, ce ne fut point nécessaire. La nomination de Mgr Caverot72 et la mort inopinée de l’évêque d’Orléans vinrent trancher la première question et ouvrir une voie plus facile à la solution de l’autre.
54Les opérations plus ou moins secrètes, mais toujours longues de ce cardinalat correspondirent, comme temps, à cette année de silence à peu près complet de l’évêque qui parut à plusieurs le signe d’une faiblesse et une prudence humaine mise au service d’une ambition qu’on savait, de science à peu près certaine, devoir être bientôt satisfaite. J’ai souffert de cette attitude, et beaucoup plus que d’autres, j’en conviens. Il m’est arrivé d’en parler à l’évêque, discrètement et avec respect comme il convenait, mais assez pour qu’il comprît ce qu’il y avait de questions et d’angoisses dans mon âme : c’était d’ailleurs la situation intime d’un grand nombre et parmi ceux qui lui étaient le plus dévoués.
55Plus tard, en rapprochant l’une de l’autre les paroles qu’il m’a dites et les faits que j’ai vus, je me suis senti l’âme infiniment plus légère, et je crois avoir compris et la conduite du cher prélat et les motifs qui l’ont fait agir.
56Quand s’ouvrit la campagne Ferry73, un mot vint de Rome exprimant le désir qu’avait le Pape que si les évêques protestaient ce fût d’une manière régulière et par provinces ecclésiastiques. Le mot était-il arrivé à Bordeaux, ou le cardinal archevêque avait-il cru n’en pas devoir tenir compte, ou même suffire personnellement à exprimer le sentiment de tous ses suffragants, toujours est-il que sans les avertir, il lança dans les journaux et trouva bon d’envoyer au ministère une pièce comme il y en a trop dans ses œuvres, et où se mettant exclusivement en scène, il parle à tort et à travers ; de telle sorte qu’il devenait comme impossible à un homme sensé de souscrire de telles pages. Nul évêque de la province ne le fit, mais plusieurs protestèrent à part, à commencer par l’évêque de Périgueux74, ce dont le cardinal Donnet fut très irrité. L’évêque de Poitiers, toujours déférent envers son métropolitain et désireux de ne lui causer aucune peine, ne l’eût point voulu faire et en effet ne le fit point. Un jour que je lui en parlais : « La question a été fort mal engagée par l’archevêque de Bordeaux, me dit-il ; il n’y a point pour moi à y revenir présentement, mais la lutte ne fait que commencer et dans une bataille, il est bon que derrière les premiers combattants se tiennent les troupes de réserve. Ce sont elles souvent qui décident la victoire. Le temps viendra de donner, ne fût-ce que dans la discussion de cette funeste loi. » Je n’avais qu’à me taire devant une raison si plausible et qui m’était donnée par un homme dont j’étais si sûr.
57Cependant les mois s’écoulèrent, la discussion vint et l’évêque continua à ne point élever la voix. Si in extremis il a envoyé quelques lignes d’adhésion explicite aux protestations de ses collègues de France, je crois savoir que la raison en a été la nouvelle qu’on lui a charitablement donnée de Paris, de la prochaine publication d’un recueil complet des lettres épiscopales, recueil où il ne manquerait que trois noms, dont le sien. Il se décida alors et le grand nombre jugea que c’était bien tard et bien peu.
58Ma conviction est que, durant ces débats publics, notre saint Père le pape poursuivant plus que jamais l’affaire du cardinalat dont il désirait ardemment le succès, et qu’il avait l’espoir fondé de voir heureusement aboutir, fit à notre cher évêque une défense formelle de parler ou du moins de rien faire qui pût entraver les négociations entamées. Cette obéissance a certainement coûté beaucoup à Monseigneur, trop sagace pour ne pas prévoir l’ombre qu’elle allait jeter sur sa réputation d’évêque vaillant et militant ; je ne serais pas du tout surpris qu’il eût même fait là l’un des actes les plus héroïques de sa vie ; mais il en était parfaitement capable, tant il était, à cette époque surtout, au-dessus de l’opinion des hommes et spirituellement indépendant. Je dis que telle est ma conviction. Je ne pourrais pas fournir de preuve juridique ou péremptoire de l’ordre donné à ce sujet par le Saint-Siège. Mais je suis sûr que l’évêque l’a une fois laissé deviner à quelqu’un qui l’interrogeait, et tout un ensemble de paroles dites et de faits dont j’ai été témoin, comme aussi la connaissance profonde que j’ai de cette belle âme, me rendent certain que je dis là la vérité. Elle fait plus qu’innocenter l’évêque ; elle lui est une admirable gloire et un titre de plus à la vénération de tous.
59Au reste, dès que la nomination étant signée, la liberté fut rendue au prélat, on peut voir comme il en usa : gardant sans doute ces égards envers le Pouvoir établi dont il ne se départit jamais, mais se montrant évêque et grand évêque en toute rencontre. On en eut une belle preuve dans la harangue qu’il fit au Président Grévy à l’occasion de la barrette reçue à l’Élysée : je désire vivement que ce discours soit recherché et publié dans la Vie. Je ne crois pas qu’on trouve dans la Tradition ecclésiastique une déclaration plus belle et plus haute des droits sacrés de Jésus-Christ à régner sur le monde. Je me souviens qu’en le lisant, j’en fus ému aux larmes, baisai la page et me sentis absolument fier d’être l’âme d’un si noble et courageux confesseur et docteur de la foi.
60Depuis lors, non seulement il ne s’est point démenti une seule heure, mais il n’a pas cessé de se montrer grand, courageux, évêque enfin. Il restait indulgent pour les égarés qu’il voyait, doux même et surtout poli envers les personnes. Par principe, il était de ceux qui ne rompent qu’à l’extrémité et qui cherchent à tirer le meilleur parti des situations. Je l’ai même vu habituellement beaucoup plus indulgent envers les républicains qu’il pouvait supposer honnêtes qu’envers les libéraux et spécialement les libéraux catholiques. Mais comme, à l’occasion, il savait dire aux gens leur fait et les écraser même sous la tranquille supériorité de sa foi, de son intelligence et de son caractère ! Ainsi fit-il, une fois entre autre, pour notre malheureux préfet d’alors, un jeune impie et ambitieux du nom de Granet qui est maintenant secrétaire général au ministère de l’Intérieur75. Il s’agissait d’une recomposition de la Commission des hôpitaux de Poitiers, dont ledit préfet avait odieusement et scandaleusement repoussé les administrateurs les plus anciens, les plus expérimentés, les plus méritants, les plus honorables et cela de l’aveu de tous les partis. L’évêque ayant mandé le préfet, lui fit une telle honte et l’accabla de raisons si fortes et de reproches si mérités que le pauvre homme sortit de l’évêché penaud et comme tremblant. Au reste tous ceux de la secte à Poitiers avaient peur de lui comme du feu et vous ne sauriez croire la délivrance et la joie où ils se sont sentis après sa mort.
61Il y avait, en ces derniers temps, dans toute la conduite, dans tous les discours et dans la manière d’être générale du cardinal, une humilité, une suavité, une sérénité, une possession de soi-même vraiment admirables. C’était l’évêque toujours et le prince de l’Église, mais sanctifié et mûrissant chaque jour pour le ciel.
62Le discours qu’il fit à la cathédrale pour le sacre de Mgr Emmanuel de Briey76 fut l’éclatante, hélas, et dernière expression de ce qui en face des circonstances et des tristes persécutions ouvertes, s’était amassé et concentré depuis trois ou quatre ans dans cette grande âme ; ce fut le chant qui nous réjouit tous ; nous étions à cent lieues de penser que c’était le chant du cygne.
63Je crois devoir ajouter ici quelques notes qui ont leur intérêt sur les rapports de l’évêque de Poitiers avec M. Thiers. Bien des fois, et sous plusieurs formes, il a eu l’occasion de combattre, et même publiquement, les idées et la personne même de ce personnage au demeurant funeste. Mais dans les derniers temps, et surtout depuis que Thiers fut élevé au pouvoir, il eut pour lui un sentiment de commisération et porta un intérêt spécial à son âme. Il lui attribuait pourtant et non sans l’en accuser vivement, l’avortement final de l’entreprise royaliste en 1871. C’était lui, selon l’évêque, qui avait étouffé le cri de la France et faussé la direction d’une Chambre qu’on n’a plus retrouvée et qu’on ne retrouvera plus de longtemps. Il le jugeait aussi, avec ce coup d’œil pénétrant, sûr et juste qui était l’un des plus beaux dons de son esprit ; mais tandis que je l’ai toujours vu désespérer de la conversion de Guizot en qui il trouvait, à bon droit, et un grand orgueil de l’esprit, et un caractère de sectaire, il se flattait qu’une goutte du sang de Jésus-Christ, comme il disait, pourrait à la fin pénétrer dans l’âme de Thiers qui avait, à ses yeux, l’avantage considérable de n’être point hérétique et qui semblait plus vain encore qu’orgueilleux. Je lui ai parfois entendu dire, exprimant des craintes qui malgré tout se mêlaient souvent à ses espoirs : « Je ne puis pas consacrer une église sans penser à ce pauvre Thiers. L’évangile de Zachée qu’on lit pour cette fonction est juste son histoire et le fait exister devant moi77. Zachée voulut voir Jésus-Christ. C’était à tout le moins un homme considérable ; tout le monde parlait et s’occupait de lui ; il préoccupait l’opinion publique ; enfin, pour tout esprit curieux de s’instruire et de juger les choses et les hommes de son temps, ce Jésus était une question, et à tout le moins un sujet d’étude intéressant. Il voulait donc le voir, mais ne voit pas Jésus qui veut. Zachée se heurtait à deux obstacles ; il était trop petit, statura pusillus erat, et puis entre lui et le Maître il y avait la foule : non poterat prae turba. Voilà tout ce pauvre Thiers. Zachée se tira d’affaire en montant sur un sycomore ; hélas, les commentateurs disent que le sycomore est le symbole soit de l’humilité, soit du détachement des richesses. Le pauvre Thiers en viendra-t-il jamais là ? Jusqu’ici rien n’en paraît, et quel passé pour espérer un meilleur avenir ! Cependant Dieu est bien bon et il y a une grande vertu dans le sang rédempteur. »
64Les rapports extérieurs du prélat et de l’homme politique datent, je crois, d’un discours resté célèbre que celui-ci fit à la Chambre (je ne sais plus en quelle année) en faveur du Saint-Siège. Sans doute cette grande cause n’était point plaidée à l’aide des arguments de fond qui nous sont propres et sont seuls décisifs. Mais les raisonnements humains fondés sur les lois de l’histoire et les intérêts politiques et sociaux avaient ici leur valeur propre ; d’autant plus grande qu’ils étaient allégués par un homme qui n’ayant jamais cru à la divinité de Jésus-Christ pouvait moins encore croire à celle de l’Église. Pour Thiers, le christianisme était le plus grand fait de l’histoire, et je me souviens que plus tard, au temps où il était président de la République, l’évêque ayant été lui rendre visite avant l’un de ses départs pour Rome, Thiers lui dit d’offrir ses plus humbles respects à Pie IX en qui, sans parler de ses profondes sympathies pour la personne, il aimait à saluer le chef de la plus grande institution qui fût au monde. À l’époque du discours l’évêque se trouvait à Paris. Il ne l’entendit pas, n’ayant jamais, que je sache, et de parti pris, je le crois, assisté à une seule séance à la Chambre. Mais l’ayant lu dans les journaux, il l’estima tout ensemble comme un pas fait par Thiers vers la vérité et un important service rendu au Saint-Siège. Il avait coutume de dire que « l’Église est reconnaissante » ; et comme l’Église était son grand amour, ce sentiment de gratitude très profond dans son âme se manifestait toujours aux occasions. Il voulut donc le témoigner à l’orateur et se fit conduire chez lui pour y déposer une carte. Il n’eût pas jugé bon de faire plus sage et mesuré qu’il était ; mais cela, il tint à le faire, pensant bonnement qu’on se bornerait à lui rendre la pareille.
65Il n’en fut point ainsi : j’imagine que Thiers avait assez entendu parler de Mgr Pie pour être extrêmement sensible à la prévenance inattendue d’un homme si distingué. Le fait est que le lendemain et dès la matinée une voiture s’arrêtait devant l’humble porte de la maison des Filles de la Croix-Saint-André (rue de Sèvres) où l’évêque avait coutume de descendre ayant un très grand goût de ce gîte plus que modeste, où pendant son long épiscopat il reçut tous les personnages qui le vinrent visiter à Paris. De cette voiture descendit M. Thiers qui, sans se nommer au valet de chambre, demanda si l’évêque de Poitiers était visible, à quoi le domestique ayant affirmativement répondu, [conduisit] le grand homme d’État dans le très petit, très étroit et très raide escalier qui menait à l’entresol où Monseigneur avait sa cellule. Là se passa d’abord une scène comique. Le pauvre évêque avait déjà ressenti cette infirmité aux jambes qui eut plus tard de si tristes suites. Ce n’étaient encore que des varices, mais sur le conseil du médecin, il s’était commandé une paire de bas élastiques dont on use en ces occurrences. On sait que M. Thiers était de chétive apparence. Or comme il ne s’était point nommé, le brave Joseph le prit tout droit pour le marchand de bas et l’annonça comme tel, mais à voix basse, à Monseigneur qui achevait alors son bréviaire en faisant les cinq ou six pas que permettait le corridor où donnait la chambre. L’évêque sans y prendre autrement garde, pria l’arrivant d’entrer et d’attendre le temps d’achever une petite heure. Puis tout à la pensée suggérée par Joseph, il entra sans plus de façon et fit même un premier mouvement de jambe comme pour se déchausser. « M. Thiers », dit aussitôt le visiteur au prélat, qui s’aperçut à temps de la méprise : « J’ai été, Monseigneur, on ne peut plus touché de votre démarche et j’ai tenu à venir vous en remercier moi-même et sans retard. » La conversation dut être on ne peut plus intéressante, mais Monseigneur n’a pas eu l’occasion de me la raconter. Après trois quarts d’heure, M. Thiers se leva, fort content de l’entretien et de son illustre interlocuteur. « Vous ne me dénoncerez point à Rome pour le luxe de mon habitation », lui dit l’évêque en souriant. « Au contraire, repartit M. Thiers, j’aurai soin d’écrire au pape que vous habitez un palais vraiment apostolique. » On disait cela debout et comme il fallait nécessairement redescendre cet unique escalier qui ressemblait à une échelle : « Prenez garde, M. Thiers, dit Monseigneur avec une pointe de malice, il faut marcher droit ici, ne penchant ni à droite, ni à gauche. »
66Ils se virent plusieurs fois, et ce qui m’est revenu de ces visites, c’est que M. Thiers était de plus en plus enchanté de l’évêque. Une circonstance surtout conquit à celui-ci les meilleures grâces du Président, car alors Thiers remplissait cette charge. Monseigneur était selon sa coutume, allé lui rendre visite avant je ne sais lequel de ses voyages à Rome. La conversation vint à tomber sur Cicéron. « Il est incroyable, dit M. Thiers, qu’on ne sache point au juste quel est le vrai portrait de Cicéron, un si grand homme ! J’ai étudié la question des bustes qu’on a de lui et je n’ai pu la résoudre ; ces bustes ne se ressemblent point. Où est la vraie image ? » Il parlait de cela avec beaucoup de feu. Monseigneur lui promit d’interroger à Rome M. de Rossi, l’homme, disait-il, le plus compétent en ces matières, et de lui rapporter la réponse, ce que Thiers accepta avec une joie très vive. L’évêque n’eut garde d’oublier sa promesse. M. de Rossi affirma, avec preuves, que le vrai portrait de l’orateur romain n’est aucun de ceux qui sont à Rome, mais bien celui qui est à Madrid (est-ce une médaille ou une sculpture, je l’ignore). Au retour, la réponse fut rendue et le Président en garda pour l’évêque une immense gratitude.
67Hélas ! Chacun sait comme l’espérance du cher prélat fut finalement déçue et la triste mort que fit, selon toutes les apparences, le trop habile et trop célèbre révolutionnaire. Je me souviens que dans l’un des derniers entretiens un fait se passa qui amusa beaucoup Monseigneur. Thiers était franchement déiste. À ce titre et comme homme politique, il détestait tout ce qui ressemblait à la négation de Dieu. Il estimait avoir rendu tant de services à son pays et même à l’Église, que la pensée de se rendre utile aussi à Dieu lui semblait assez naturelle. Comme on parlait donc des choses du temps et de tant d’erreurs corruptrices qui rendent ce temps si sombre et si orageux : « J’ai la main à l’œuvre, dit Thiers, et je veux leur prouver qu’ils n’ont pas le sens commun. J’écris un livre sur la divinité. Mais, Monseigneur, il y a un argument puissant, triomphant auquel on n’a jamais pensé, qu’on ne fait pas du moins valoir assez dans la polémique théologique. Cet argument, c’est que le monde dure. Cette persistance des choses est un fait lumineux. J’en veux faire le grand appui de ma thèse. » Monseigneur ne put s’empêcher de rire intérieurement, soit de la naïveté du prétendu inventeur, soit de l’impression que devaient naturellement faire les choses qui durent à un homme qui en avait tant renversé dans sa vie.
68Un trait de caractère encore. Je n’ai jamais vu notre cher prélat très sensible aux beautés naturelles, ni même aux chefs-d’œuvre de l’art. Ce qu’il admirait surtout dans la nature, c’étaient ses fruits. Je n’oublierai jamais la joie qu’exprimait son visage quand, se promenant dans le jardin de ses chers moines de Ligugé, il y voyait de beaux légumes et des arbres chargés. Il se mêlait sûrement à cette joie une très grande charité pour les Pères que tous ces produits nourrissaient. Mais j’ai vu le même contentement paraître en lui dans tous les vergers ou jardins.
69À Rome, il ne visitait quasi rien ou visitait en passant, sans paraître prendre intérêt aux choses. Son besoin principal était de voir les hommes et de converser avec eux. Les produits de l’industrie attiraient plus son attention. Il visita en compagnie de l’abbé Perdrau78, actuellement curé de Saint-Étienne-du-Mont, alors aumônier des carmélites de l’avenue de Saxe et notre ami commun, l’exposition de l’Industrie au Champ-de-Mars. Il y passa plusieurs heures et l’abbé m’a raconté avec quel soin il visitait ces vains objets, sa sagacité pour juger, l’à-propos de ses interrogations aux fabricants et la délicatesse de ses louanges. Il laissait ces braves gens sous le charme. En fait d’art, il n’avait l’esprit ouvert que du côté de l’architecture. Il aima toujours beaucoup l’archéologie dont ses travaux à Chartres prouvaient qu’il se fût occupé avec grand succès, si Dieu lui en avait laissé la liberté ; il n’avait point le sens musical, ni celui de la peinture, mais d’ailleurs il était si richement doué qu’à peine pouvait-on faire attention à ces petites lacunes. Nul homme d’ailleurs n’a tout et celui-ci fut bien, en somme l’une des créatures les mieux faites que j’aie jamais rencontrées. Sa note saillante et peut-être le grand secret de sa supériorité, c’était la pondération et l’harmonie de ses facultés naturelles.
70Peut-être y a-t-il à dire aussi un mot du goût très marqué que cet esprit si fin eut toute sa vie pour les fables de La Fontaine ; on peut dire qu’il les savait à peu près par cœur ; il les relisait souvent et en tournée, il avait presque toujours le volume dans la poche de la voiture. Dans le trajet, quand surtout il était long et quand la conversation languissait : « Allons, disait-il, lisons deux ou trois fables. » Et il les lisait avec une justesse de ton, une délicatesse d’expression, un charme inexprimables ; on voyait que pour lui c’était une vraie dégustation ; rien ne lui échappait et chaque mot ingénieux du fabuliste sortait des lèvres de l’évêque comme une vraie perle précieuse qu’un soleil aurait éclairée. Il se plaisait aussi, dans les voyages, à chanter des cantiques et surtout des Noëls ; quoiqu’il ne fût pas musicien, il avait la voix très juste et fort agréable. Hélas, je me souviens que dans le dernier voyage que je fis avec lui quand, après Rome il revint de Paris à Poitiers79, quoique fatigué, souffrant et oppressé, il chanta encore avec beaucoup de joie et de grâce un de ces vieux Noëls qu’il aimait. Jamais je n’aurais cru alors que cette voix dût si tôt s’éteindre.
Notes de bas de page
1 Manuscrit conservé aux Archives diocésaines de Poitiers sous la cote Z 3-8 18 (4e chemise). Il n’est pas daté, mais a été composé par Mgr Gay dans la seconde moitié de l’année 1880 et remis par lui à Mgr Baunard pour servir à la biographie de l’évêque de Poitiers que l’auxiliaire lui avait commandée et qui parut six ans plus tard : Baunard Louis (Mgr), Histoire du cardinal Pie, évêque de Poitiers, Poitiers-Paris, Oudin-Poussielgue, 1886, 2 t., xv-682 et 729 p.
2 Les conciles provinciaux renaissent en France sous la IIe République, lorsque les évêques, conduits par l’archevêque de Paris Mgr Sibour, décident de se réunir en provinces ecclésiastiques au nom de la liberté de réunion récemment proclamée. Le premier concile se tient à Paris en septembre 1849. La province métropolitaine de Bordeaux, dirigée par le cardinal Donnet, est la seule province française à avoir tenu l’alternance des trois années entre deux conciles provinciaux jusqu’en 1859. Elle se réunit une dernière et cinquième fois en 1868.
3 Jean-Baptiste Berteaud (1798-1879) occupa le siège de Tulle de 1842 à 1878.
4 Voir Du Boisrouvray Bernard (dom), Monseigneur Gay, op. cit., t. I, p. 330-331 ; Aubert Roger, Le pontificat de Pie IX (1846-1878), op. cit., p. 336 ; Histoire des conciles œcuméniques. Vatican I, Paris, Éditions de l’Orante, 1964, p. 182 : Charles Gay rédigea le prologue du schéma doctrinal qui devait notamment établir le lien avec l’œuvre du concile de Trente. Les archives diocésaines de Poitiers en conservent des notes et brouillons sous la cote Z 3-8 18.
5 Au sein de la tendance intellectuelle de l’épiscopat, Jacques Gadille classe Mgr Gay avec Mgr de Ségur et Mgr Landriot parmi les auteurs spirituels (La pensée et l’action politiques des évêques français au début de la IIIe République (1870-1883), Paris, Hachette, 1967, t. I, p. 38).
6 Élève de Buchez et artiste, ami de Lacordaire, Jean-Baptiste Besson (1816-1861) décida d’embrasser la vie religieuse au cours d’un séjour à Rome et prit l’habit dominicain à Sainte-Sabine en 1840 sous le nom de Frère Hyacinthe. Après avoir servi dans plusieurs couvents français, il fut nommé prieur du couvent romain, qu’il s’attacha à réformer spirituellement et à restaurer matériellement entre 1850 et 1856.
7 Figure reconnue du clergé poitevin, Benjamin Bernaud (1825-1907) dirigea la cure de Notre-Dame-la-Grande de 1879 à 1907.
8 Emmanuel-Marie-Ange de Briey (1828-1909) fut nommé évêque coadjuteur de Meaux le 12 février 1880. Au décès de l’évêque titulaire, Mgr Allou, le 30 août 1884, il lui succéda et remplit sa charge jusqu’à sa mort.
9 Ancien officier militaire belge entré dans les ordres en 1847, xavier de Mérode (1820-1874) passe toute sa carrière ecclésiastique à Rome au service de Pie IX dont il devint le camérier secret en 1850.
10 Henri-Joseph Icard (1805-1893), futur directeur du séminaire Saint-Sulpice (1862).
11 Le troisième concile de la province de Bordeaux se tint du 2 au 10 août 1856.
12 Prêtre du diocèse de Strasbourg, puis vicaire général de Mgr Affre à Paris, Louis Bautain (1796-1867) enseigna jusqu’en 1849 la philosophie à la faculté des lettres de Strasbourg, avant de devenir professeur de théologie morale à la Sorbonne en 1853. Son fidéisme, qui disqualifiait le rôle de la raison dans la connaissance, avait été censuré par la congrégation de l’Index en 1838.
13 Ancien séminariste et philosophe, Augustin Bonnetty (1798-1878) fonda puis dirigea la revue Les Annales de philosophie chrétienne. Il fut accusé de traditionalisme et dut, en 1855, souscrire quatre propositions formulées par le Saint-Siège.
14 Voir les actes du concile de Périgueux publiés dans Mansi Gian-Domenico, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, Paris-Leipzig, H. Welter, 1907-1923, 54 t., t. 47 : Synodi occidentales 1854-1859, 465-468, Titre I, Chap. IV : Quonam sensu intelligenda ait propositio : Usus rationis praecedit fidem.
15 Reynaud Jean, Philosophie religieuse : terre et ciel, Paris, Furne, 1854, xiv-441 p.
16 Réponse au concile de Périgueux, par M. Jean Reynaud, Paris, Furne, 1858, 27 p.
17 Thomas-Henri Martin (1813-1880), professeur de littérature ancienne et doyen de la Faculté des lettres de Rennes de 1845 à 1880.
18 Mgr Landriot (1816-1874) défendait l’enseignement des auteurs païens dans les études classiques. Débattue lors du concile d’Amiens (1853), la question divisait l’épiscopat dont une partie pensait que l’élément profane, qui entrait dans les études classiques, était source de subversion s’il n’était pas rattaché étroitement à l’élément chrétien. Voir Ladoue Casimir de, Vie de Monseigneur de Salinis, évêque d’Amiens, archevêque d’Auch, Paris, Tolra et Haton, 1864, p. 293.
19 Il s’agirait plutôt d’une référence à la Satire III de Nicolas Boileau (1666), qui énonce : « Les héros, chez Quinault, parlent bien autrement ; et jusqu’à Je vous hais tout s’y dit tendrement. »
20 Aligné sur le groupe de la minorité anti-infaillibiliste au début du concile Vatican I, Mgr Landriot fait partie des quatre évêques qui votèrent placet juxt modum le 13 juillet 1870.
21 Le quatrième concile de la province de Bordeaux se tint du 8 au 18 septembre 1859 sous la présidence du cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux.
22 Religieux italien engagé au service des papes Léon xii, Pie VIII et Pie IX, Gioacchino Ventura (1792-1861) avait soutenu les mouvements révolutionnaires de 1848 et l’établissement d’une république romaine. Après le rétablissement du pouvoir pontifical, il s’établit en 1851 à Paris et y entreprit une seconde carrière d’orateur.
23 Landriot Jean-Baptiste, Instruction pastorale sur le vrai sens de la folie de la croix, La Rochelle, impr. de J. Deslandes, 1858, 75 p.
24 Landriot Jean-Baptiste, Éloge funèbre de Mgr Charles-Théodore Baudry, évêque de Périgueux, prononcé à Périgueux le 16 juin 1863 par Mgr Landriot, Paris, V. Palmé, 1863, 58 p.
25 Vacherot Étienne, La Métaphysique et la science, ou Principes de métaphysique positive, Paris, F. Chamerot, 1858, 2 vol.
26 « Discours prononcé à la solennité de la consécration de l’église de Notre-Dame de Bon-Encontre pendant la session du concile d’Agen, le 11 septembre 1859 », in Œuvres de Monseigneur l’évêque de Poitiers, Paris, H. Oudin, 1886 (3e édition), t. III, p. 458-476.
27 Il s’agit du mandement du 22 février 1861, dans lequel Mgr Pie répondait aux accusations portées contre le Pape par le conseiller d’État La Guéronnière dans un pamphlet intitulé La France, Rome et l’Italie. Le mandement s’en prenait à Cavour et comparait Napoléon III à Ponce Pilate. Voir Œuvres de Monseigneur l’évêque de Poitiers, Paris, H. Oudin, 1887 (9e édition), t. IV, p. 145-165.
28 Ce mandement valut à l’évêque d’être déféré devant le Conseil d’État et condamné comme d’abus. Voir Basdevant-Gaudemet Brigitte, Le jeu concordataire dans la France du xixe siècle, Paris, PUF, 1988, p. 56-57.
29 Charles-Alphonse Levert (1825-1899), préfet de la Vienne de décembre 1860 à mars 1864.
30 Lors du rétablissement du culte en 1802, le palais épiscopal de Poitiers était occupé par la préfecture. Les évêques furent logés dans un ancien bâtiment de l’abbaye Sainte-Croix en attendant la construction d’une nouvelle préfecture. Ce n’est qu’en 1868 que Mgr Pie reprit possession du palais de ses prédécesseurs.
31 Pierre Corneille (1606-1684), appelé aussi Corneille l’aîné, avait publié en 1670 une traduction des Hymnes du bréviaire romain qui contenait notamment un hymne « Pour le jour de Saint-Pierre-aux-liens ». Il se peut que Mgr Gay fasse ici allusion à ce texte.
32 Antoine-Mathias-Alexandre Jaquemet (1803-1869), évêque de Nantes de 1848 à 1869.
33 Pierre Samoyault (1788-1877).
34 Mgr Pie encouragea Mgr Berteaud à entreprendre le pèlerinage de Rome à l’occasion de la canonisation des martyrs japonais qui devait être célébrée en grande pompe par Pie IX en juin 1862.
35 Condamné comme d’abus pour le mandement de février 1861, Mgr Pie avait préféré ne pas demander au gouvernement l’autorisation de se rendre à Rome et « s’imposer librement cette privation ». Voir Œuvres de Monseigneur l’évêque de Poitiers, op. cit., t. IV, p. 458 et Baunard Louis (Mgr), Histoire du cardinal Pie…, op. cit., t. II, p. 177.
36 Jules Level (1802-1871), chanoine d’honneur du diocèse de Nancy, protonotaire apostolique et prélat domestique de Pie IX, succéda à Mgr de Bonnechose comme supérieur de Saint-Louis-des-Français (1848-1871).
37 Diplomate et homme politique, le marquis de La Valette (1806-1881) fut envoyé à Rome comme ambassadeur en 1861. Il démissionna l’année suivante.
38 Clément Villecourt (1787-1867), évêque de La Rochelle de 1836 à 1855. Étant venu faire à Rome sa visite ad limina, il se présenta à l’audience du pape qui, charmé de sa piété et de ses manières modestes, le créa cardinal le 17 décembre 1855. Promu au cardinalat sans l’assentiment du gouvernement français, il dut renoncer à son siège épiscopal et s’installa à Rome.
39 Le dernier concile de la province de Bordeaux se tint à Poitiers en janvier 1868.
40 Œuvres de Monseigneur l’évêque de Poitiers, op. cit., t. VI, p. 379.
41 Théologal du chapitre de Laval et orateur apprécié de Mgr Pie et de son auxiliaire, Mgr Henry Sauvé (1817-1896) prêcha à plusieurs reprises dans la cathédrale de Poitiers. En 1868, Mgr Cousseau le choisit comme théologien au concile provincial de Poitiers.
42 Gen., xii, 1-3.
43 Membre de l’ordre des barnabites, le P. Luigi Maria Bilio (1826-1884) avait accédé au cardinalat en 1866.
44 Bénédictin spécialisé dans les rites et les canons de l’Église orientale, Jean-Baptiste Pitra (1812-1889) fut appelé à Rome en 1861 par Pie IX qui l’attacha comme consulteur de la Propagande en le plaçant dans la congrégation spéciale pour le rite oriental, avant de le désigner pour la pourpre le 16 mars 1863.
45 Antonio Saverio De Luca (1805-1883) avait été nommé préfet de la congrégation de l’Index en 1863, année de son accession au cardinalat.
46 Prêtre canoniste, Mgr Ludovic Chaillot († 1891) faisait partie de la cour romaine et dirigeait les Analecta juris pontificii.
47 Nommé sur le siège de Luçon en 1845, Mgr Baillès (1798-1873) avait été contraint sous la pression du gouvernement de démissionner en 1856. Il s’était alors retiré à Rome.
48 Pierre Semenenko (1814-1886), théologien et philosophe d’origine polonaise, s’était formé au Collège romain et avait fondé à Rome en 1842 la congrégation cléricale des résurrectionnistes.
49 Marie-Dominique-Auguste Sibour (1792-1857), ancien évêque de Digne (1839), était devenu archevêque de Paris en 1848.
50 Le vers de Virgile est « parcere subjectis et debellare superbos » (Énéide, livre VI, v. 853), qui peut se traduire par « épargner les soumis et dompter les superbes ».
51 Rafaelle Monaco La Valetta (1827-1896), élevé au cardinalat en 1868, fut nommé secrétaire de la congrégation de l’Index en 1884 et l’année suivante vicaire de la basilique de Saint-Jean-de-Latran.
52 Probablement la princesse de Sayn-Wittgenstein, qui était la maîtresse de Franz Liszt.
53 Mgr Guibert (1802-1886) succéda à Mgr Darboy, assassiné en mai 1871 pendant la Commune de Paris.
54 Charles-Jean Fillion (1817-1874) fut évêque du Mans de 1862 à 1874.
55 De la vie et des vertus chrétiennes considérées dans l’état religieux, Poitiers, Oudin, 1874, 2 vol., précédé d’une lettre de Mgr Pie.
56 Ibid., chapitre xvii, t. II, p. 529-597.
57 L’abbé Ulysse Maynard (1814-1893), chanoine de la cathédrale de Poitiers (1872), était l’auteur de plusieurs ouvrages de piété.
58 Benoît-Marie Langénieux (1824-1905), qui avait succédé à Mgr Landriot sur le siège de Reims en 1874.
59 Le maréchal de Mac Mahon (1808-1893), alors président de la République, avait plus d’une fois apporté son soutien à l’épiscopat.
60 Joseph Brunet (1829-1891) fut ministre de l’Instruction publique, des cultes et des beaux-arts du 17 mai au 23 novembre 1877 dans le gouvernement d’Albert de Broglie.
61 La loi du 12 juillet 1875 sur la liberté de l’enseignement supérieur accordait des garanties aux catholiques, tout en garantissant la prééminence de l’État.
62 Député de Paris, Édouard Lefebvre de Laboulaye (1811-1883) fut nommé en 1873 président de la commission chargée de réorganiser l’enseignement supérieur. Il remit un rapport à l’Assemblée le 25 juillet 1873 et fut rapporteur de la loi du 12 juillet 1875, également appelée « loi Laboulaye ». Voir Guislin Jean-Marc, « La liberté de l’enseignement supérieur en débat au début de la IIIe République », dans Revue du Nord, 2012-1, p. 57-70.
63 Félix-Antoine Dupanloup (1802-1878) avait été nommé en 1849 sur le siège d’Orléans qu’il dirigea jusqu’à sa mort. Élu député du Loiret en février 1871, il devint sénateur inamovible en décembre 1875.
64 « La race irritable des poètes », Horace, Épîtres, 2, 2, 102.
65 Wlodzimierz Czacki (1834-1888) fut nonce à Paris de 1879 à 1881, avant d’accéder au cardinalat en 1883.
66 Le cardinal Giacomo Antonelli (1806-1876) fut le secrétaire d’État de Pie IX de 1852 à sa mort.
67 Prédicateur réputé, Henri Maret (1805-1884) avait été nommé par Mgr Affre à la chaire de dogme de la faculté de théologie de Paris, dont il devint le doyen en 1853. Le gouvernement l’ayant nommé évêque de Vannes en 1860, Pie IX, qui redoutait son gallicanisme, refusa de lui donner l’investiture canonique. L’abbé Maret dut se contenter d’un siège in partibus.
68 Clemens Schrader (1820-1875), exégète et théologien allemand.
69 Carlo Passaglia (1812-1887), théologien jésuite spécialiste de la tradition orientale.
70 Luigi Maria Bilio (1826-1884) joua un rôle important au sein des congrégations de l’Index et de l’Inquisition, en participant notamment à la préparation du Syllabus et de l’encyclique Quanta Cura. En 1867, le pape lui confia la commission théologico-dogmatique chargée de préparer les travaux du concile (voir plus haut, note 42).
71 Wilhelm Wilmers (1817-1899), philosophe et théologien jésuite d’origine allemande, connu pour son manuel de religion publié à partir de 1851 sous le titre abrégé de Lehrbuch der Religion.
72 Évêque de Saint-Dié depuis 1849, Louis-Marie Caverot (1806-1887) fut nommé sur le siège de Lyon en 1876.
73 C’est au cours de son premier passage au ministère de l’Instruction publique, de février 1879 à novembre 1881, que Jules Ferry prépara les premières lois scolaires et les décrets qui devaient conduire à l’expulsion des congrégations religieuses non autorisées (29 mars 1880).
74 Nicolas-Joseph Dabert (1811-1901) fut évêque de Périgueux de 1863 à sa mort.
75 Il s’agit d’Étienne Granet (1849-1936), qui dirigea la préfecture de la Vienne de septembre 1879 à juin 1880, date à laquelle il devint directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur, Ernest Constans.
76 Originaire du Poitou, Emmanuel de Briey avait été ordonné à Poitiers en 1853 et fut nommé en 1864 chanoine du diocèse par Mgr Pie qui le recommanda pour l’épiscopat. Il lui revint de le sacrer dans sa cathédrale le 9 mai 1880. Dans le discours qu’il prononça à cette occasion, le cardinal laissa s’exprimer son indignation face à la politique anticléricale du gouvernement de Charles de Freycinet.
77 Lc, xix, 1-10.
78 Curé de Saint-Étienne-du-Mont de 1872 à 1889, Joseph Perdrau (1820-1906) fut nommé chanoine honoraire de Paris et de Versailles en 1889. Sa sœur, Pauline Perdrau, avait réalisé en 1844, alors qu’elle était postulante chez les Dames du Sacré-Cœur à Rome, la fresque miraculeuse Mater admirabilis, qui orne l’une des chapelles de l’église de la Trinité-des-Monts et devant laquelle Pie IX aimait se recueillir. Tous deux étaient des amis intimes de Mgr Gay.
79 Le cardinal Pie effectua son dernier voyage à Rome du 23 mars au 26 avril 1880. C’est là qu’il apprit la publication des décrets du 29 mars 1880 qui expulsaient de France les jésuites et les congrégations religieuses non autorisées. Il aida Léon xiii à préparer l’énergique réponse que le pape adressa au gouvernement français. Voir Baunard L., Histoire du cardinal Pie…, op. cit., t. 2, p. 696-701.
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