La construction sociale de la noblesse d’épée dans le royaume de France à l’époque moderne
p. 27-46
Texte intégral
« S’il y a une vérité, c’est que la vérité du monde social est un enjeu de luttes : parce que le monde social est, pour une part, représentation et volonté ; parce que la représentation que les groupes se font d’eux-mêmes et des autres groupes contribue pour une part importante à faire ce que sont les groupes et ce qu’ils font1. »
1La réflexion sur les catégories sociales, après avoir été au cœur des débats dans les années 1950-1960 qui virent s’affronter, notamment, les tenants d’une caractérisation de la France d’Ancien Régime comme société d’ordres et ceux d’une caractérisation comme société de classes, a largement décliné à partir des années 1980 devant les critiques de la microstoria2. L’essentialisation de concepts qui seraient capables par eux-mêmes de dire la nature d’une société n’est plus de mise3. Les analyses en termes de réseaux – certaines se fondant sur les différentes théories sociologiques des réseaux pour les éprouver – ont contribué à remettre fondamentalement en cause la pertinence même de toute opération de catégorisation, en opposition avec la tradition durkheimienne. Jean-Pierre Dedieu et Zacarias Moutoukias écrivent ainsi que « les relations interpersonnelles ne doivent pas être considérées isolément, comme des liens rattachés à des normes qui définissent un ensemble stable de pratiques et d’attentes réciproques […]. [N]ous ne saisissons que des segments d’un tissu de relations dont la forme et les propriétés organisent un éventail de comportements possibles, le choix desquels, à son tour, a des effets sur ces formes et ces propriétés4 ». L’analyse relationnelle, dans son optique configurationnelle, ne range pas les individus dans des classes, mais place la relation au cœur du travail, non les catégories ou les objets5.
2Reste qu’une société produit un vocabulaire pour dire ses divisions ou ses catégories, ce qui n’est pas sans effets sur la vie sociale6. C’est ce que je voudrais montrer en analysant l’emploi du terme d’« épée » pour désigner une certaine partie de la noblesse, réputée ancienne et à l’origine du second ordre. Le syntagme « noblesse d’épée » est lié à l’apparition d’une noblesse spécifique, dite « de robe », fondée sur l’appropriation au cours du xvie siècle des hautes charges de justice rendues vénales et anoblissantes par la législation royale, apparition qui contribua à redéfinir profondément le second ordre7. Émergea alors l’idée d’un double service possible du roi, service guerrier et courtisan d’une part, service judiciaire et financier de l’autre – le second ayant longtemps été assuré par des clercs qui ne concurrençaient pas les familles revendiquant une noblesse d’origine féodale.
3Ce processus cristallisa l’idée d’une noblesse comme groupe politique au service du souverain et entraîna progressivement l’apparition, au xviie siècle, des deux catégories de « robe » et d’« épée » pour rendre compte de la structure nouvelle du second ordre. Les contours de ce dernier dépendirent donc de la monarchie et de son travail sur elle-même et sur la société, au moins sur les élites8. La sociogenèse de la noblesse, entendue comme processus de longue durée d’élaboration d’une catégorie sociale constituée et pensée comme telle9, a partie liée avec la construction d’un appareil administratif et avec le développement de l’idée de souveraineté royale, donc avec ce qu’on appelle la construction de l’État, qui vinrent s’ajouter aux structures féodales de la monarchie sans jamais les remplacer10.
4On sait combien cette noblesse bicéphale imposée par le pouvoir monarchique put être parfois rejetée par les nobles seigneurs ou les grands féodaux traditionnels, tournés avec plus ou moins de réalité vers le service du roi par les armes, mais qui revendiquaient aussi les charges royales au nom du devoir féodal d’aide et de conseil. Nombre d’entre eux virent d’un mauvais œil le développement de ces lignages concurrents, dont les membres purent être qualifiés de « bourgeois » par rapport à une « noblesse réelle » qui fit de l’ancienneté le critère de distinction fondamental. On sait aussi le succès de ces représentations dans l’historiographie et leur reprise, plus ou moins consciente, dans les travaux sur la noblesse qui privilégient les valeurs constitutives de l’épée par rapport à la robe, entachée d’un défaut de légitimité. Une telle perspective repose sur l’essentialisation par les historiens d’un discours de domination, et plus généralement sur la naturalisation de la catégorie « noblesse » pensée dans les termes de l’épée, ce qui constitue une entorse au principe de neutralité axiologique, pourtant essentiel à la scientificité critique de la discipline historique. Elle repose aussi sur une projection des catégories nées au xviie siècle sur les périodes antérieures, qui fut d’abord le fait des hommes de ce temps. En les reprenant, les historiens contemporains sont restés prisonniers d’une reconstruction téléologique et biaisée de l’histoire nobiliaire. L’idéologie de l’épée a ainsi largement triomphé.
5Faut-il alors dénier toute pertinence à cette notion pour ne pas entériner une catégorie floue qui brouillerait l’analyse au lieu de l’éclairer ? Ce serait ne tenir aucun compte des discours des acteurs alors que la représentation que les groupes se font d’eux-mêmes et des autres groupes contribue fortement à leur construction11. Une formalisation dont les termes seraient complètement étrangers à l’expérience des acteurs sociaux et à la façon dont ils la disent se priverait des significations indispensables pour rendre compte des divisions du monde social12. L’essentiel est alors de ne pas prendre ces catégories comme des acquis, mais de manière critique, en les mettant en relation avec les enjeux de pouvoir et de domination au sein de la société, ainsi qu’avec les comportements empiriques des acteurs.
6Cela suppose de considérer les groupes sociaux « robe » et « épée » non comme des réalités substantielles délimitées, mais comme des ensembles de relations dont les pratiques et les discours doivent être déconstruits et interprétés dans leur historicité, c’est-à-dire en analysant leurs changements, alors même que les termes les désignant restent les mêmes13. Ce travail critique est d’autant plus nécessaire que ces termes ne couvrent pas l’ensemble des élites de la monarchie d’Ancien Régime ni ne rendent compte de la complexité empirique des parcours sociaux. Leur analyse doit donc s’accompagner d’un travail d’archives, en relation avec le travail conceptuel et critique d’analyse des groupes sociaux, afin de mettre en évidence l’histoire des formes de différenciation, de distinction et de domination au sein de la noblesse et des élites à l’époque moderne.
L’émergence de la notion d’« épée » (fin xvie-milieu xviie siècle)
7Pour étudier l’emploi du terme d’« épée » comme qualificatif nobiliaire à l’époque moderne, je me suis fondé sur un relevé systématique effectué au fil de mes lectures de sources manuscrites et imprimées, sur des sondages dans les différentes sources imprimées numérisées accessibles en ligne et sur la consultation de la base Frantext, de laquelle j’ai extrait les occurrences des termes « épée » et « robe14 » sur une période allant du xvie au milieu du xixe siècle. La dominante littéraire des textes qui composent cette base est en partie compensée par la diversité des autres ouvrages sur lesquels je me suis appuyé. Si le corpus constitué ne permet pas de faire une étude sémantique réelle et n’est évidemment pas à l’abri d’omissions et de manques, il donne néanmoins des tendances sérieuses qui devront être précisées par des explorations futures.
8On pourrait dire que l’idée de noblesse de robe précède celle de noblesse d’épée. L’une des premières utilisations de l’expression « noblesse de robe » se trouve en effet dans la réédition des Recherches de la France d’Étienne Pasquier en 160715, encore que son emploi contentieux pourrait remonter à l’édit sur les tailles de Dauphiné cinq ans plus tôt16. D’emblée, l’usage de la notion de robe en contexte nobiliaire se fait en opposition à la noblesse guerrière, ou du moins en pointant la conflictualité entre les nobles magistrats et les gens d’armes dont la noblesse tient à la fois à la fonction militaire, mais aussi, chez nombre d’auteurs, à l’ancienneté ou à l’immémorialité, ces dernières contrastant avec l’anoblissement supposé récent des magistrats de robe longue. Cependant, l’emploi du syntagme « noblesse de robe » est rare. Les expressions « gens de robe » et « gens de robe longue » sont plus fréquentes, la seconde apparaissant par exemple chez François Béroalde de Verville ou chez Guez de Balzac ; mais le plus souvent on trouve simplement « la robe17 ».
9En revanche, l’expression « noblesse d’épée » n’apparaît ni au xvie, ni pendant une grande partie du xviie siècle. Dans un sens qualifiant la fonction militaire liée implicitement à la qualité nobiliaire, la première occurrence du terme « épée » dans la base Frantext date de 1644. Elle se trouve dans la comédie Le Menteur, de Corneille, dont le premier vers, énoncé par Dorante, est : « À la fin j’ai quitté la robe pour l’épée18. » Plus loin, acte III scène 3, Isabelle dit de Dorante : « Il aura cru sans doute, ou je suis fort trompée, /Que les filles de cœur aiment les gens d’épée. » L’expression « hommes d’épée » apparaît cependant, toujours chez Corneille, dès 1637 dans La Galerie du Palais, mais sans renvoyer à la qualité nobiliaire. Même si des recherches plus poussées montreront peut-être des emplois antérieurs, l’usage du terme « épée » pour qualifier un noble est plus tardif que celui de « robe ».
10Bien sûr, l’idée d’une noblesse définie par la fonction guerrière n’était, elle, pas nouvelle. Ellery Schalk a insisté sur l’importance de cette fonction comme marqueur nobiliaire dans la première moitié du xvie siècle19, même si on sait aussi à quel point, dans certaines provinces, ce marqueur n’était qu’une représentation bien éloignée de la vie quotidienne des nobles20. Dans de nombreuses régions, la noblesse se confondait largement avec la seigneurie, et nombre de petits officiers, de laboureurs, de personnes aisées des villes, purent ainsi se faire reconnaître progressivement comme nobles21, le plus connu étant sans doute Gouberville22. L’assimilation noble/seigneur put avoir localement une longue durée, comme en Auvergne, encore dans la première moitié du xviie siècle23. L’anoblissement taisible supposait de se comporter en noble, de vivre noblement, notamment en partant servir dans les armées du roi. Jean Bacquet écrivait ainsi en 1582 :
« Nous tenons en France que pour vérifier que un homme est noble, il suffit que les tesmoins deposent qu’ils ont cogneu son ayeul et son père, les ont veu vivre noblement, suivre les armes, aller aux guerres, mesme avoir eu charge de compaignees, avoir esté Capitaines, Lieutenans, Enseignes, Guidons, hommes d’armes, hanter les Gentils-hommes, porter habits de Gentils-hommes, leurs femmes porter habits de Damoiselles, et faire autres actes de nobles, sans avoir esté assis à la taille comme nobles, et que au païs ils ont esté censez, estimez et reputez nobles, par tous les habitans, ensemble celuy qui se pretend noble24. »
11La noblesse était encore pleinement un fait de reconnaissance sociale ancré localement et fondé sur l’exercice des armes. Parler de nobles d’épée n’a donc guère de sens pour le xvie siècle : les nobles sont désignés par des expressions comme « gentilz hommes », « nobles chevaliers », « nobles seigneurs25 » ou encore « capitaines26 ». Dans la première moitié du xviie siècle, « gens d’armes » est fréquemment utilisé en opposition aux robins et renvoie alors expressément à des nobles militaires.
12L’apparition de l’usage du mot « épée » et sa rapide extension pour désigner tous les nobles qui n’étaient pas de robe s’expliquent sans doute par l’importance que revêtait cet objet comme signe et manifestation de la domination du second ordre. La distinction et la supériorité sociale ne passaient pas seulement par le vocabulaire, mais par tout un ensemble de pratiques, qui n’étaient d’ailleurs pas l’apanage des groupes dominants mais traversaient l’ensemble du corps social et étaient mobilisés par les acteurs pour se penser les uns par rapport aux autres. L’épée faisait partie de ces marqueurs visibles de la distinction27, fondamentaux dans la perception des statuts à l’époque28. Comme la robe, elle exprimait un mode de vie et une fonction, elle imposait un maintien et une démarche particulière à ceux qui la portaient. L’habileté au maniement de l’épée et la capacité à affronter le danger de mort étaient des éléments de distinction individuelle revendiqués collectivement par le groupe comme preuves essentielles de son honneur et légitimation de sa domination, le duel devenant même une pratique identitaire parmi les nobles d’armes29.
13Pourtant, l’emploi du qualificatif « d’épée » ne signifie pas toujours la noblesse dans les textes de la première moitié du xviie siècle : longtemps, il renvoie d’abord au métier des armes, que les évolutions militaires avaient de longue date déconnecté de l’appartenance au second ordre (y compris pour les capitaines30), et, depuis l’édit de janvier 1634, de l’anoblissement31. Ainsi, en 1641, lors de son interrogatoire au parlement de Paris, un nommé Prunier, ancien tailleur d’habit devenu valet de chambre du marquis de Bonnivet, mis en cause avec ce dernier dans une affaire de meurtre, est arrêté après s’être enfui et être devenu soldat dans une compagnie de « gens d’épée » à Brouage, où il a demeuré deux mois et demi32. De même l’épée ne s’oppose-t-elle pas nécessairement à la robe. En 1656, Georges de Brébeuf emploie « homme d’épée » en contraste avec « homme de plume » pour louer quelqu’un qui maîtrise les deux arts33. On trouve également des associations ou des oppositions entre hommes de lettres et d’épée, ou de science et d’épée dans les années 167034.
« Noblesse d’épée » et catégorisation de la noblesse, du règne de Louis XIV à la fin du siècle des Lumières
14Même si les jurisconsultes italiens avaient depuis longtemps déjà théorisé l’idée d’une noblesse politique, dont l’existence n’était pas concevable en dehors du service du prince, la nature de ce service n’étant pas nécessairement guerrière35, et même si les gens de parlement produisirent un discours sur leur propre noblesse36, il fallut attendre le règne de Louis XIV, en France, pour que l’idée d’une noblesse divisée en deux fonctions de service différentes s’imposât dans le vocabulaire. L’Armorial général distingue entre les familles de robe et d’épée, desquelles il sépare parfois celles issues du patriciat37. Cette division est à ce moment déjà structurante dans la perception que les hommes du temps ont du second ordre. Un factum concernant la succession des comtes de Belin indique en 1668 : « On ne dira pas que Messieurs les parens de la premiere Dignité, tant de la Robbe que de l’Epée, ayent donné leur avis inconsiderement38. » Madame de Sévigné écrit dans une lettre de 1672 : « Il n’y a pas un homme de qualité, d’épée s’entend, à Paris39. » Et en 1677 : « On nous a déjà répondu en deux occasions qu’on ne voulait point de nous, parce que nous étions dans l’épée. Il faudra suivre votre conseil, et au lieu de quitter la robe pour l’épée, il faudra quitter l’épée pour la robe40. » Philippe de Danjeau note dans son journal en 1686 : « J’appris que l’abbé de Coligny se faisoit homme d’épée41. » Les exemples sont très nombreux.
15Surtout, c’est en cette fin du xviie siècle qu’apparaît l’expression de « noblesse d’épée », d’abord sous la plume d’un des théoriciens qui tentent de proposer une nouvelle définition et de nouvelles catégories de la noblesse compatibles avec les réformes colbertiennes. Le père Ménestrier, qui d’un côté affirme que la vraie noblesse est celle de race et d’épée, ne cesse cependant de présenter les différentes espèces de noblesses, en France comme ailleurs, pour mieux mettre en avant la grande distinction qui se retrouve dans tous les pays européens, entre nobles immémoriaux et anoblis42, ces derniers se divisant en deux ordres :
« Disons donc que la premiere Noblesse a esté celle qui faisoit la condition des libres, distinguez des serfs ou esclaves et qu’enfin il s’est fait depuis deux autres Ordres de Noblesse, l’une Militaire, et l’autre Patritienne, que nous appelons encore aujourd’huy Noblesse d’Epée, et de Robe43. »
16Quatre ans plus tard, l’expression se retrouve dans les pages d’un pamphlet contre Louis XIV, au moment où l’auteur retrace l’histoire de la vénalité des offices de justice depuis le règne de Philippe Le Bel, faisant rétrospectivement apparaître une noblesse d’épée dès le xive siècle :
« Les Charges devenuës à vie devinrent ensuite venales, et la Noblesse d’épée regarda ces emplois comme indignes d’elle. De là vient qu’encore aujourd’huy on met une si grande difference entre la Noblesse d’épée et celle de Robe. Au lieu qu’autrefois les Nobles d’épée composoient le Parlement et y estoient presque les seuls, ou du moins les principaux44. »
17Le syntagme « noblesse d’épée » se trouve chez Furetière en 1690 à l’article « Robe » : « En général la robbe se prend pour la profession opposée à celle des armes » et « La Noblesse d’épée se met au-dessus de celle de robbe45. » Elle était absente du Dictionnaire françois de Pierre Richelet dix ans plus tôt. Si l’expression « noblesse de robe » était apparue tôt, sans doute parce qu’elle désignait un type d’anoblissement spécifique à un groupe bien déterminé – les possesseurs d’offices de judicature anoblissants –, celle de « noblesse d’épée », forgée en opposition à la première, vint beaucoup plus tard et traduisit une modification dans la perception sociale des réalités ainsi nommées. En effet, elle ne s’appuyait pas en dernière instance sur un type d’anoblissement, mais renvoyait à une opération de catégorisation à l’intérieur du second ordre distinguant non pas seulement deux types de noblesse, mais deux groupes nobiliaires spécifiques.
18Il est frappant de constater que l’apparition de l’expression « noblesse d’épée » s’inscrit dans une période de véritable crise de la représentation militaire du second ordre46. Dans les faits, le service du roi par les nobles dans les armées était toujours inégalement réparti sur le territoire et ne leur était pas réservé, même dans la cavalerie et dans les charges de commandement. Cette dissociation juridique et sociale entre commandement et noblesse, entérinée par l’édit de 1634, s’accompagna d’une mutation profonde de la notion de mérite par l’instauration du tableau à partir de 1668 : la durée de service devenait un critère essentiel pour nombre d’officiers dans l’évolution de leur carrière, au détriment de la naissance ou de la gloire acquise sur les champs de bataille. Le tableau allongea, pour beaucoup, le temps d’attente pour être promu au grade supérieur, et par là même le temps passé dans les armées au service du roi47.
19Si l’usage de l’expression « noblesse d’épée » s’étend au xviiie siècle, elle reste cependant peu employée. Le père Gabriel Daniel l’utilise à propos du règne de Philippe Le Bel, considéré là encore comme un tournant dans l’histoire des charges de justice48. Chez Saint-Simon, l’opposition entre la robe et l’épée, entre bourgeoisie et véritable noblesse, selon ses termes, est constante et structure sa vision politique49. Lui aussi considère que les robins sont venus concurrencer les nobles dans l’obtention de charges qui leur étaient réservées. Sous Charles VI, affirme-t-il, le désordre du royaume aurait obligé à la reconduction du dernier parlement convoqué pour vider les affaires. La fonction devenant viagère, les nobles auraient alors dû opter « entre l’épée et l’écritoire », ce qui fit que presque tous les offices vacants furent remplis par des légistes, « peu de nobles voulant renoncer aux armes50 ». La condamnation radicale des prétentions du Parlement, que le duc juge « nouvelles », renvoie à une critique de l’ensemble de la politique de Louis XIV : « Le Roi ne se démentit jamais en la moindre chose de sa préférence distinguée et marquée en tout de la robe sur l’épée, et du bourgeois sur le noble51. » Cette idée d’une alliance entre la monarchie et la bourgeoisie contre la noblesse aura une longue et solide postérité parmi les nostalgiques de l’ordre nobiliaire, qui y verront la cause de la décadence monarchique et de la Révolution. La construction de deux catégories englobant des familles relevant de l’une ou l’autre de ces fonctions est devenue constitutive de la perception du second ordre : elle restera par la suite dans les études nobiliaires en étant projetée sur les périodes plus anciennes.
20Cependant, d’autres inférences de la notion d’« épée » que celle de « robe » apparaissent progressivement sous le règne de Louis XIV, et de plus en plus au xviiie siècle : s’y ajoutent « Église », mais aussi les termes de « cabinet » ou de « Cour ». Épée, Église et judicature viennent sous la plume de Marie-Catherine d’Aulnoy : « C’est une chose surprenante que le nombre d’emplois dans l’épée, de dignités dans l’église et de charges de judicature que sa majesté donne tous les jours52. » Quant à La Bruyère, il écrit : « Il semble que le héros est d’un seul métier, qui est celui de la guerre, et que le grand homme est de tous les métiers, ou de la robe, ou de l’épée, ou du cabinet, ou de la cour53. » En 1717, Chevigny, dans un ouvrage constamment réédité par la suite, distingue lui aussi l’épée, la robe et la Cour54. Chez Lesage, en 1740, les gens de robe sont mis en regard des militaires et d’un abbé : « Un abbé, qui avoit l’air d’un honnête homme, étoit sur le théâtre pêle-mêle avec des militaires et des gens de robe55. »
21Surtout, à partir du xviiie siècle, une troisième catégorie émerge dans les sources, en relation avec la robe et l’épée : celle de la finance56. Le xviiie siècle ne cesse de mettre en scène le mépris entre les différents états, robe, épée, église57, ou bien robe, épée, finance, mais aussi de mettre la robe et l’épée sur le même plan58. Certains vont plus loin comme Eustache Le Noble qui, dans L’École du monde, distingue entre les professions d’Église, d’épée, de cour, de robe, de finance et de négoce, l’épée étant « le partage naturel de la noblesse », même si l’Église est la plus illustre des professions et si « la Robe a de certains privileges sur l’épée, qui en de certains cas la met au-dessus d’elle59 ». L’ouvrage est d’ailleurs fort intéressant en ce que, à travers son ambition prescriptive, il met en lumière les comportements et l’ethos attendus des différents membres de ces « professions » et l’importance de l’apparence dans l’appartenance à une catégorie. Ainsi les hommes d’épée ont cet avantage qu’ils n’ont pas à se conformer à la fausse modestie indispensable aux hommes d’Église même lorsque leur ambition les pousse à s’élever dans la hiérarchie ; au contraire, ils peuvent dire et publier leur fortune, ou se chagriner avec éclat que celle-ci tarde à venir, proclamer bien haut leurs mérites. Surtout, la catégorisation d’Eustache Le Noble met sur le même plan des états alors jugés contradictoires, en les présentant comme donnant tous la possibilité de parvenir à la fortune, entendue dans son sens matériel. L’abbé de Condillac énumère lui aussi, en les mettant à équivalence, des catégories traditionnellement hétérogènes : « L’Épée, la Robe, le Commerce, la finance, les Gens de Lettres, et les Artisans de toute espèce : voilà les ordres des Citoyens60. » L’abbé Coyer, on le sait, oppose à la noblesse d’épée la noblesse commerçante et demande à la première de respecter et de reconnaître les prérogatives et les privilèges de la seconde61. Le pouvoir royal avait montré l’exemple de classifications tout à fait nouvelles qui, pour des raisons fiscales, tordaient les représentations ordonnées de la société62.
22Tous ces termes, qui signifiaient au début du xviie siècle des états, c’est-à-dire des fonctions et des qualités tout ensemble, ont progressivement été repris pour désigner des groupes nobiliaires ou sociaux antagonistes constitués à partir de ces états63. Ce processus de catégorisation et la diversité des tentatives de classements marquent un nouveau rapport à la société, un besoin de description et de compréhension, tout autant que les luttes politiques qui les sous-tendent64. Il manifeste aussi le délitement d’une pensée hiérarchique, fondée sur l’idée d’ordonnancement et non sur des classifications65.
23Cette transformation a modifié la conception même de ce qui était désigné par les termes épée, robe et autres, qui ont été pensés en effet comme des catégories sociales durant la seconde moitié du xviie, et plus encore au xviiie siècle. L’antagonisme robe/épée participe de cette construction intellectuelle, même chez ceux qui le regrettent ou le moquent, comme le font pour des raisons différentes La Bruyère qui, ridiculisant les vanités de chacun, écrit : « Je ne sais d’où la robe et l’épée ont puisé de quoi se mépriser réciproquement66 » ; Voltaire, qui fait remonter leur distinction aux états de Pontoise67, et Rousseau, pour qui « [l]es deux états d’homme d’épée et d’homme de robe étoient inconnus des anciens. Les citoyens n’étoient par métier ni soldats, ni juges, ni prêtres ; ils étoient tout par devoir68 ». Dans cette critique même, il y a la reprise d’une lecture qui cloisonne les appartenances sociales, ce que les parcours familiaux tels que l’on peut les reconstituer viennent fortement nuancer.
Parcours sociaux et représentations
24L’étude des parcours sociaux à l’échelle des familles sur une longue durée permet de confronter les pratiques aux représentations, non que les premières diraient la réalité de ce que les secondes occulteraient, mais en ce que cette confrontation permet de replacer le vocabulaire social employé par les uns et par les autres à une époque donnée dans la complexité des réalités sociales, et de se pencher sur l’histoire des rapports entre ces réalités et les termes qui délimitent leur cadre de pensée, sachant que ces termes sont eux-mêmes des enjeux de pouvoir. Si la vérité du monde social est un terrain de luttes, pour reprendre la formule de Pierre Bourdieu citée en exergue, alors l’attention aux mots employés par les groupes ou par la monarchie pour définir le monde social est fondamentale, mais ne porte ses fruits que si l’observation des parcours sociaux permet d’en faire une lecture critique.
25L’utilisation des sources notariales pour reconstituer les trajectoires des familles nobles ou intégrées à la noblesse durant les trois siècles de l’époque moderne jette le trouble dans les catégories : malgré l’opposition structurante sans cesse rappelée, les familles dans lesquelles on trouve aussi bien des gens de robe que des gens d’épée sont nombreuses. L’exemple des Mesgrigny est éclairant. Issus de la marchandise de Troyes qui rendait des services au roi dès le xve siècle, participait du patriciat de la ville en accaparant les charges locales et royales, et dont les membres se faisaient régulièrement exempter de tailles en prenant la qualité d’écuyer, cette famille passa par l’intermédiaire de Jean V de Mesgrigny à la présidence du présidial de Troyes. Le lignage se divisa alors en deux branches. Le fils aîné, Jean VI, acheta une charge de conseiller à la cour des Aides et fit une belle carrière à Paris en entrant à la chambre des Comptes. Sa descendance investit la haute robe en donnant deux générations plus tard un président au parlement d’Aix et un président au parlement de Rouen, tandis que d’autres membres de la branche entraient dans la carrière militaire. Les alliances renforcent encore le brouillage des catégories : les fils et les filles se marièrent aussi bien dans la robe que dans l’épée et dans la finance, jusqu’à l’extinction de la branche en 1741. Du fils cadet de Jean V est issu une autre lignée qui investit l’épée au début du xviie siècle, donnant un maréchal de camp sous Louis XIV. Là encore, des alliances se firent aussi bien avec des familles de la haute magistrature qu’avec des familles détenant des charges militaires.
26En outre, malgré cette segmentation sociale, les Mesgrigny formaient un véritable patrilignage, les diverses patrilignées entretenant des relations entre elles par la parenté spirituelle comme par la transmission de leurs seigneuries et de leurs charges principales, de sorte que les Mesgrigny issus de la branche cadette poursuivirent la maison dans la seconde moitié du xviiie siècle, après la disparition de la ligne aînée69.
27Un autre cas éclairant est celui des Potier, issus d’un conseiller au parlement au milieu du xvie siècle, qui se divisèrent en deux branches, l’une investissant la robe et accédant à la présidence au parlement de Paris, l’autre se tournant vers les armes et intégrant la cour en obtenant la duché-pairie70. Ces deux branches, restées en contact tout au long du xviie siècle, purent se disputer lors de la querelle du bonnet de 1664 alors même qu’elles faisaient preuve d’une grande solidarité par ailleurs et qu’elles trouvaient à marier leurs membres avec des familles appartenant à toutes les élites fonctionnelles du royaume.
28On pourrait multiplier les exemples qui montrent à quel point les patrilignages avaient pu et pouvaient encore investir les différents lieux de pouvoir et transcender les clivages de la robe et de l’épée pourtant affirmés avec tant de force par ailleurs. Une différence apparaît cependant : les passages de la magistrature à l’armée semblent aisés, alors que l’inverse n’est pas vrai, contrairement à ce que laisse entendre Madame de Sévigné citée plus haut. Il y a là une dissymétrie qui fait question. Le temps et le type d’études ne peuvent être invoqués comme explications : le métier des armes se faisait plus technique et, comme la magistrature, il s’agissait d’un projet qui nécessitait un choix précoce dans la formation d’un enfant. En revanche, le passage à une carrière de justice pour le rejeton d’une famille militaire aurait nécessité un investissement onéreux en raison de l’achat d’une charge qui ne pouvait être inférieure à celle de conseiller au parlement, sauf à déchoir. Le différentiel de dignité entre la robe et l’épée trouvait là une traduction dans les choix sociaux. Il était en revanche tout à fait possible à des robins de placer un enfant dans l’armée à moindres frais.
29Les perspectives de carrière n’étaient pas toujours aussi brillantes que dans l’exemple des Potier. Dans les familles robines, l’armée était souvent, au même titre que l’Église, un lieu pour placer les cadets tandis que l’aîné poursuivait la lignée dans la magistrature. Les militaires se mariant plus tard et mourant plus tôt à la guerre, les risques d’éteindre la lignée cadette étaient considérables et connus, tandis que les chances d’une gloire acquise sur les champs de bataille rejaillissant sur l’ensemble du patrilignage étaient beaucoup plus faibles71. Certaines familles marchandes anoblies, pour ne pas déchoir, se retrouvaient elles aussi contraintes à placer des enfants dans l’infanterie qui se retrouvaient sur une voie de garage, bloqués socialement72.
30Ces parcours sociaux très contrastés vont dans le sens de l’appréciation portée par Laurent Bourquin qui, à partir de l’exemple champenois, relève que le rapport entre les catégories de robe et d’épée et la vie réelle des familles était pour le moins flou au xviie siècle73. À l’échelle des patrilignages, la segmentation sociale était assez fréquente. La caractérisation des Mesgrigny ou des Potier comme étant des familles de robe ou d’épée, de façon globale, était donc largement une prise de position quant à leur origine sociale. Ces assignations identitaires relevaient de considérations idéologiques sur la définition de la noblesse, inscrites dans des enjeux qui découlaient à la fois de la mutation du second ordre, désormais organisé fonctionnellement par les différents services du roi et défini juridiquement selon des critères élaborés par la monarchie, ainsi que des conflits internes entre les dominants pour la légitimation et la définition de leurs pouvoirs74.
31Les familles des élites nobiliaires, de robe ou d’épée, venaient parfois des mêmes milieux du patriciat urbain, mais se retrouvaient pour certaines dans la haute robe, entachées d’un soupçon quant à leur légitimité, pour d’autres sur leurs terres, sans grandes perspectives d’avenir mais fortes de leur ancienneté supposée75. Elles avaient souvent, au sein de ce patriciat, eu des fonctions qui étaient désormais incompatibles chez un même individu, ainsi les Mesgrigny, à la fois marchands, hommes d’armes et seigneurs à la fin du xve siècle, à l’instar de nombre des familles des élites troyennes76. C’est que la définition de la noblesse avait changé. Longtemps elle avait eu un caractère coutumier, le pouvoir royal ne s’immisçant pratiquement pas dans ces questions, sauf d’un point de vue fiscal. Lorsqu’il le fit, ce fut en reprenant l’idéologie de l’ancienneté revendiquée par la noblesse seigneuriale et guerrière, mais sur des critères de définition beaucoup plus stricts qui ne prirent pas en considération la coexistence possible de multiples qualités chez un même individu, coexistence qui avait été le mode ordinaire de la vie sociale au xve et au début du xvie siècle77.
Robe, épée, ancienneté : les termes de la distinction
32La volonté de fermeture des voies de l’anoblissement par des nobles se fit jour vers le milieu du xvie siècle, devant l’accès des familles officières en ascension sociale à la seigneurie, et peu à peu à la noblesse. Ce fut parfois l’occasion de procès : c’est ainsi que dans les années 1550, Antoine et François de La Rochefoucauld récusèrent la vente faite par leur mère, Henriette d’Amboise, des seigneuries de la Villeneuve-au-Chêne et de la Loge-aux-Chèvres, en Champagne, à Jean de Mesgrigny, président au présidial de Troyes. Ils le firent en remettant en cause la noblesse des Mesgrigny, jouant du fait que la coutume de Troyes interdisait l’achat d’un fief noble par un roturier. Ils furent déboutés par un arrêt du parlement de Paris en 1556, mais ces contestations de la noblesse des familles dont les origines étaient supposées roturières allèrent croissant78. La question des contours du second ordre devint alors un enjeu central, et des textes prirent position en plaçant l’ancienneté et l’immémorialité de la noblesse au cœur de sa définition, s’opposant ainsi à la montée de l’anoblissement par charges de judicatures79.
33On ne s’étonnera donc pas de voir l’idée d’ancienne noblesse apparaître régulièrement à la fin du xvie et au début du xviie siècle, et croître en importance sous le règne de Louis XIV. Dès les années 1570, le terme de « maison », désignant une famille noble, est le plus souvent accompagné des qualificatifs « noble et ancienne80 ». Les ouvrages traitant de la noblesse commencent à insister sur cette idée d’ancienneté81, que l’on retrouve dans des ouvrages historiques, par exemple chez Claude Fauchet en 1601, à propos du règne de Charlemagne, bel exemple d’anachronisme et de reconstruction du passé faisant clairement écho à des questions contemporaines : « Car ceux qui avoyent esté cassez de leurs estats, se plaignirent aux enfans de l’empereur, disant que leur pere vouloit affoiblir l’ancienne noblesse, pour en eslever de nouvelle82. » L’ancienneté qualifie toujours positivement la noblesse, même si les rejetons de ces familles peuvent se dévoyer, comme y insiste Valentin-Esprit fléchier à propos des Grands jours d’Auvergne :
« Ce gentilhomme [le comte de Beaune], des principaux de la province et pour la qualité et pour les richesses, étant d’une noblesse ancienne, et ayant près de 50000 livres de rente, fut arrêté en vertu du décret pour venir se présenter à la chambre83. »
34La notion est souvent convoquée dans les évocations des alliances, lesquelles montrent combien elle est enracinée comme critère de distinction, même si l’on sait que les mésalliances en ce domaine ne sont pas rares84. « Il ne s’abaissera point en unissant sa destinée à la vôtre ; vous êtes d’une ancienne noblesse, et votre alliance ne saurait le faire rougir », écrit par exemple Lesage85. Boulainvilliers se pose en défenseur de l’ancienne noblesse dont il fait, avec d’autres, un critère majeur de distinction au sein du second ordre86. Au point qu’elle permet aussi de classer les nobles d’épée, qui ne s’équivalent pas dans cette perspective :
« En effet, l’Ordonnance des Francs Archers, en leur attribuant l’exemption de la Taille, les a tellement confondus avec l’ancienne Noblesse, qu’elle n’a presque plus aucuns moyens de distinguer leur origine, sans une application et une étude qui sont à la portée de peu de Gens87. »
35L’Encyclopédie elle-même reprend l’idée d’une plus grande ancienneté de l’épée, même si c’est pour la nuancer :
« L’origine de la noblesse d’épée est à la vérité plus ancienne que celle de la noblesse de robe : mais tous les nobles d’épée ne sont pas pour cela plus anciens que les nobles de la robe. S’il y a quelques maisons d’épée plus anciennes que certaines maisons de robe, il y a aussi des maisons de robe plus anciennes que beaucoup de maisons d’épée88. »
36Le triomphe de la logique de l’ancienneté dans la définition imposée par le pouvoir royal eut des conséquences délégitimantes sur la noblesse de robe, dont l’ascension sociale avait été interrompue par la fixation du prix des offices imposée par Colbert en 166589, et assura la victoire idéologique, à défaut d’une réelle victoire sociale et politique, de la noblesse d’épée, assimilée à la noblesse de sang, naturelle90. Ce qui n’empêcha pas nombre de ces mêmes nobles d’être confrontés aux enquêtes de noblesse sans parvenir à prouver leurs origines, créant chez eux de l’amertume et du ressentiment91. Les gens de robe récemment anoblis ne pouvaient se voir contester leur noblesse mais non plus faire oublier leur macule roturière. Quant à tous ceux qui, comme les Mesgrigny, étaient issus de familles aux parcours complexes, faits de mobilités et de multiples activités, de la marchandise aux armes, ils se retrouvaient en position de fragilité face à des enquêtes qui risquaient de nuire à leurs carrières alors que leurs ancêtres avaient été de longue date intégrés au second ordre92. La nouvelle conception de la noblesse, essentialisée, fut plaquée sur les temps anciens entièrement réinterprétés à cette aune. Les mobilités sociales passées venaient alors compromettre les mobilités sociales présentes au sein du second ordre, dans une société qui affichait son mépris et son refus des mutations d’états. C’est de cette histoire recomposée dont ont hérité les historiens au xixe siècle et dont ils sont restés largement prisonniers.
37Ainsi, l’épée, définie en réaction à la concurrence nouvelle des gens de haute justice au début du xviie siècle, put être revendiquée par la suite en opposition à la robe pour affirmer des valeurs et une conception de la noblesse fondées sur le sang et les armes. Cette construction semble pourtant émaner principalement des milieux curiaux93, même si l’on trouve dans les cahiers de doléances de 1614 et à l’époque de la Fronde des oppositions aux officiers anoblis de la part des nobles seigneurs94. Et l’on pourrait montrer toutes les divisions qui travaillaient les nobles se réclamant de l’épée, par exemple entre les ducs et pairs et le reste de la noblesse, les premiers tentant à la fin du xviie siècle de s’extraire et de s’affranchir du commun du second ordre afin de mieux lutter pour conserver la prééminence sur l’aristocratie de robe dans les querelles de préséances95. Sans compter bien sûr la grande disparité de fortune entre les nobles en fonction des lieux et des carrières, ainsi que la diversité des devenirs individuels et familiaux96. Là encore, c’est par les analyses empiriques issues du travail d’archives qu’il est possible de mieux baliser le terrain de ces diversités, afin de mieux comprendre ce qui pouvait rassembler et diviser des personnes revendiquant une même appartenance, sans pour autant que le chercheur d’aujourd’hui puisse aisément transformer cette revendication en catégorie sociale97. D’autant que, dans la seconde moitié du xviiie siècle, la critique sociale des Lumières remit en cause les injustices propres aux fondements de la noblesse dans son ensemble, toutes catégories confondues, et des privilèges qui en découlaient98.
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38« [D]’une manière ou d’une autre, toutes les branches du pouvoir exécutif sont tombées aussi dans la caste qui fournit l’Église, la Robe et l’Épée. Une sorte d’esprit de confraternité fait que les Nobles se préfèrent entre eux, et pour tout, au reste de la Nation99. »
39La Révolution française, par la dénonciation de la solidarité objective de la noblesse derrière ses divisions, proclamée ici par Sieyès, unifia sous le terme d’aristocratie toutes ces distinctions qui faisaient pourtant de la noblesse un ordre bien peu uni, au point d’étendre progressivement le champ d’application de cette nouvelle catégorie à tous les ennemis de la Révolution100. La reconstruction d’une noblesse impériale et les réorganisations sous la Restauration se firent sur des bases différentes101, obscurcissant encore davantage le processus continué d’élaboration sociale de ce que les auteurs de l’époque, évoquant l’Ancien Régime dans son ensemble, appelèrent « noblesse d’épée » et « noblesse de robe », en reprenant des expressions forgées à la fin du xviie siècle, expressions qui correspondaient pleinement à la nouvelle conception de la société comme réalité spécifique et objet de savoir, divisée en groupes bientôt appelés classes102. La première, au terme de cette analyse, semble une catégorie encore plus incertaine que la seconde. Mais apparaît aussi la force du « mot d’ordre » qu’elle constitua, et de l’idéologie qu’elle recouvrit, dans lesquels beaucoup purent, pour des raisons différentes, se reconnaître et trouver une raison de se définir, si ce n’est dans une perspective d’action commune, du moins dans l’affirmation de refus partagés.
Notes de bas de page
1 P. Bourdieu, « Une classe objet », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 17-18, 1977, p. 2, repris in Le Bal des célibataires. Crise de la société paysanne en Béarn, Paris, Le Seuil, 2002, p. 249. Le texte qui suit a bénéficié de la lecture attentive et critique de F. Cosandey et R. Descimon. Je les en remercie chaleureusement.
2 R. Mousnier, Les Hiérarchies sociales de 1450 à nos jours, Paris, PUF, 1969 ; D. Roche et E. Labrousse (dir.), Ordres et classes, colloque d’histoire sociale Saint-Cloud 24-25 mai 1967, Paris-La Haye, Mouton, 1973. Des prolongements, in M. L. Bush (dir.), Social Orders and Social Classes in Europe since 1500 : Studies in Social Stratification, Londres-New York, Longman, 1992. Pour une synthèse des critiques formulées contre un certain usage des catégories sociales, S. Cerutti, « La construction des catégories sociales », in J. Boutier et D. Julia (dir.), Passés recomposés. Champs et chantiers de l’Histoire, Paris, Autrement, 1995, p. 224-234. Pour les critiques de la microhistoire contre l’histoire sociale des années 1960-1970 : J. Revel, « Micro-analyse et construction du social », in id. (dir.), Jeux d’échelle. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Le Seuil-Gallimard, 1996, p. 15-36.
3 Comme le rappelle l’introduction à F. Cosandey (dir.), Dire et vivre l’ordre social en France sous l’Ancien Régime, Paris, EHESS, 2005, p. 9-43.
4 J.-P. Dedieu et Z. Moutoukias, « Introduction. Approche de la théorie des réseaux sociaux », in J. L. Castellano et J.-P. Dedieu (dir.), Réseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l’Ancien Régime, Paris, CNRS éd., 1998, p. 9-10. Voir également J. F. Padgett et C. K. Ansell, « Robust Action and the Rise of the Medici, 1400-1434 », American Journal of Sociology, vol. 98, n° 6, 1993, p. 1259-1319. Pour un point sur les apports de l’analyse de réseaux en histoire : C. Lemercier, « Analyse de réseaux et histoire », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. LII, n° 2, 2005, p. 88-112.
5 M. Gribaudi, « Les discontinuités du social. Un modèle configurationnel », in B. Lepetit (dir.), Les Formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, p. 187-225.
6 R. Descimon, « Le travail du langage sur la société d’Ancien Régime », in G. Hanne et C. Judde de La Rivière (dir.), Noms de métiers et catégories professionnelles. Acteurs, pratiques, discours (xve siècle à nos jours), Toulouse, Méridiennes, 2010, p. 113-128. Plusieurs ouvrages récents s’attachent ainsi à réinvestir la question des classements sociaux : F. Cosandey, Dire et vivre l’ordre social, op. cit. ; G. Chabaud (dir.), Classement, déclassement, reclassement de l’Antiquité à nos jours, Limoges, Pulim, 2011 ; L. Jean-Marie et C. Maneuvrier (dir.), Distinction et supériorité sociale (Moyen Âge et époque moderne), Caen, Publications du CRAHM, 2010.
7 Pour des perspectives récentes sur cette question, R. Descimon et É. Haddad (dir.), Épreuves de noblesse. Les expériences nobiliaires de la haute robe parisienne (xvie-xviiie siècle), Paris, Les Belles Lettres, 2010, notamment la conclusion de R. Descimon : « Nobles de lignage et noblesse de service. Sociogenèses comparées de l’épée et de la robe (xve-xviiie siècle) », p. 276-302. Le présent article se situe dans le sillage de ce texte essentiel.
8 F. Cosandey et R. Descimon, L’Absolutisme en France. Histoire et historiographie, Paris, Le Seuil, 2002.
9 J. Morsel, « L’invention de la noblesse en Haute-Allemagne à la fin du Moyen Âge. Contribution à la sociogenèse de la noblesse médiévale », in J. Paviot et J. Verger (dir.), Guerre, pouvoir et noblesse au Moyen Âge. Mélanges en l’honneur de Philippe Contamine, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2000, p. 534-545. La notion de sociogenèse est empruntée à N. Elias qui l’emploie pour analyser le processus social de monopolisation des pouvoirs permettant la formation de l’État : La Dynamique de l’Occident [1969], trad. fr., Paris, Pocket, 1990.
10 Pour une approche critique de la notion d’État à l’époque moderne, R. Descimon et A. Guery, « Un État des temps modernes ? », in A. Burguière et J. Revel (dir.), Histoire de la France. La longue durée de l’État, Paris, Le Seuil, 2000 [1989], p. 209-513. Voir aussi R. Descimon, « La royauté française entre féodalité et sacerdoce. Roi seigneur ou roi magistrat ? », Revue de synthèse, t. CXII, n° 3-4, 1991, p. 455-473.
11 Ainsi que l’exprime la citation de P. Bourdieu mise en exergue.
12 S. Cerutti, La Ville et ses métiers. Naissance d’un langage corporatif (Turin, xviie-xviiie siècle), Paris, EHESS, 1990.
13 Pour le jeu et les déplacements entre tout concept et ce à quoi il renvoie, J. Benoist, Concepts. Introduction à l’analyse, Paris, Le Cerf, 2010.
14 Recherche effectuée en septembre 2011 dans la base Frantext mise en ligne par le laboratoire de Nancy ATLIF [http://www.frantext.fr/].
15 « Noblesse de robbe longue ne plaist aux Gens-d’armes », index des Recherches de la France, Paris, 1607. Voir A. Cremer, « La genèse de la notion de noblesse de robe », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. XLVI, n° 1, 1999, p. 22-38.
16 R. Descimon, « Nobles de lignage… », art. cit., p. 409 n. 63.
17 F. Béroalde de Verville, Le Moyen de parvenir, s. l., s. n. [c. 1610], p. 291 ; J.-L. Guez de Balzac, Le Prince, Paris, T. Du Bray, P.-R. Rocolet et C. Sonnius, 1631, p. 278.
18 La citation sera utilisée plus tard par Furetière.
19 E. Schalk, L’Épée et le Sang. Une histoire du concept de noblesse [1986], trad. fr., Seyssel, Champ Vallon, 1996. Le titre français, qui traduit From Valor to Pedigree, est trompeur.
20 Par exemple en Beauce, ainsi que l’a montré J.-M. Constant, Nobles et paysans en Beauce aux xvie et xviie siècles, Lille, Atelier de reproduction des thèses, 1981. Il est ainsi difficile d’étendre les analyses récentes de B. Sandberg (Warrior Pursuits : Noble Culture and Civil Conflict in Early Modern France, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2010) centrées sur les nobles militaires du Sud-Ouest dans la première moitié du xviie siècle, à l’ensemble de la noblesse, ni de faire d’une « culture de la révolte » une clé de compréhension des comportements nobiliaires. L’interprétation d’A. Jouanna (Le Devoir de révolte. La noblesse française et la gestation de l’État moderne, 1559-1661, Paris, Fayard, 1989) reste plus pertinente pour expliquer les prises d’armes dans la noblesse durant la première modernité.
21 J.-M. Constant, « La mobilité sociale dans une province de gentilshommes et de paysans : la Beauce », xviie siècle, n° 122, 1979, p. 7-20.
22 M. Foisil, Le Sire de Gouberville. Un gentilhomme normand au xvie siècle, Paris, flammarion, 1986 [1981].
23 A.-V. Solignat, Les Noblesses auvergnates et bourbonnaises. Pouvoir local, stratégies familiales et administration royale (vers 1450-vers 1650), thèse de doctorat, université Paris-I, 2010, 3 vol.
24 J. Bacquet, Quatriesme traicté des droits du domaine, de la Couronne de France, concernant les francs fiefs, nouveaux acquests, anoblissemens et amortissemens, Paris, S. Nivelle, 1582, fol. 72 r°-v° .
25 Voir par exemple S. Champier, Les Gestes ensemble la vie du preulx Chevalier Bayard [1525], éd. D. Crouzet, Paris, Imprimerie nationale, 1992.
26 C’est le cas de Blaise de Monluc, qui s’adresse au début de ses Commentaires aux « capitaines », dont il va de soi pour lui qu’ils sont nobles (B. de Monluc, Commentaires 1521-1576 [1592], éd. P. Courteault, Paris, Gallimard, 1964, p. 21 sq.).
27 François L’Alouëte fait du port de l’épée une des six « marques des Nobles » : Traité des Nobles et des Vertus dont ils sont formés, Paris, R. Le Manier, 1577 (I, 8).
28 J.-M. Constant insistait déjà sur cet aspect : La Vie quotidienne de la noblesse française aux xvie et xviie siècles, Paris, Hachette, 1985.
29 F. Billacois, Le Duel dans la société française des xvie-xviie siècles. Essai de psychosociologie historique, Paris, EHESS, 1986 ; P. Brioist, H. Drévillon et P. Serna, Croiser le fer. Violence et culture dans la France moderne (xvie-xviiie siècle), Seyssel, Champ Vallon, 2002, dont les analyses sont plus convaincantes que celles de S. Carroll, Blood and Violence in Early Modern France, Oxford-New York, Oxford University Press, 2006 ; H. Drévillon, « L’âme est à Dieu et l’honneur à nous. Honneur et distinction de soi dans la société d’Ancien Régime », Revue historique, n° 654, 2010, p. 361-395 ; M. Nassiet, La Violence, une histoire sociale. France, xvie-xviiie siècles, Seyssel, Champ Vallon, 2011, notamment p. 118-120.
30 L. Tuetey, Les Officiers sous l’Ancien Régime. Nobles et roturiers, Paris, Plon, 1908. Par l’article 56, l’édit du 24 juillet 1534 reconnaissait aux roturiers le droit d’accéder au grade d’officier. La perte d’efficacité de la gendarmerie (cavalerie lourde) puis de la cavalerie en général au xvie siècle renforcèrent encore ce processus de déconnection entre charges de commandement et noblesse. Voir T. J. Tucker, « Eminence over Efficacity : Social Status and Cavalry Service in Sixteenth-Century France », Sixteenth Century Journal, vol. 32, n° 4, 2001, p. 1057-1095.
31 Cet édit sur les tailles ne reconnaissait plus le caractère anoblissant des charges d’officiers de gens de pieds et des places d’hommes d’armes et d’archers dans les compagnies d’ordonnances. L. Tuetey, Les Officiers sous l’Ancien Régime, op. cit., chap. VII ; F. Bluche et P. Durye, L’Anoblissement par charges avant 1789, Paris, L’intermédiaire des chercheurs et des curieux, 1998 [1962], p. 83-91. Voir aussi A. Texier, Qu’est-ce que la noblesse ? Droit et histoire, Paris, Tallandier, 1988, p. 27-42.
32 Archives Nationales, X2B 12 414 (interrogatoire de Prunier, 17 mars 1641).
33 G. de Brébeuf, Lucain travesty, ou les Guerres civiles de César et de Pompée en vers enjoués, Paris, A. de Sommaville, 1656, p. 2.
34 « Au reste nôtre bel esprit n’est pas borné aux hommes de lettres ; il s’étend aux gens d’épée, et aux personnes de la première qualité, dont il sembloit que l’ignorance fût le partage dans les derniers regnes. » D. Bouhours, Les Entretiens d’Ariste et d’Eugène, Paris, S. Mabre-Cramoisy, 1671, p. 231. « Or soyez sûr qu’en amours, /Entre l’homme d’épée et l’homme de science, /Les dames au premier inclineront toujours, /et toujours le plumet aura la préférence », Jean de La Fontaine, « Le Songe de Vaux » [1671], in Œuvres complètes de La Fontaine, éd. C. Marty-Laveaux, Paris, Pagnerre, 1859, t. III, p. 231.
35 Notamment Bartole. Voir A. Arriaza, « Noblesse politique et anoblissement : conception émergente au xiiie siècle en France », Revue historique de droit français et étranger, t. LXXXIV, n° 3, 2006, p. 333-351 ; P. Gilli, La Noblesse du droit. Débats et controverses sur la culture juridique et le rôle des juristes dans l’Italie médiévale (xiie-xve siècles), Paris, H. Champion, 2003.
36 Sur les fondements sociaux et idéologiques de la noblesse de robe : R. Descimon, « La haute noblesse parlementaire parisienne : la production d’une aristocratie d’État aux xvie et xviie siècles », in P. Contamine (dir.), L’État et les Aristocraties (France, Angleterre, Écosse), xiie-xviie siècle, Paris, Presses de l’ENS, 1989, p. 357-386 ; id., « L’invention de la noblesse de robe. La jurisprudence du Parlement de Paris aux xvie et xviie siècles », in J. Poumarède et J. Thomas (dir.), Les Parlements de Province. Pouvoir, justice et société du xve au xviiie siècle, Toulouse, FRAMESPA, 1996, p. 677-690.
37 M. de La Roche-Lambert-Mions (dir.), Armorial Général de France. Recueil officiel. Dressé en vertu de l’Édit royal du 20 novembre 1696 par Charles d’Hozier, Paris, Archives de la noblesse, 1903, 5 vol.
38 BnF, Z Thoisy 222 : Dernieres reponses du Sieur Comte de Tavanes à toutes les Ecritures et Factums, tant de la part de la Dame Comtesse de Belin, demanderesse en Lettres de rescission, que des Creanciers de sa maison, qui sont pareillement demandeurs en Lettres en forme de Requeste civile, p. 7.
39 Madame de Sévigné, Correspondance, éd. R. Duchêne, Paris, Gallimard, 1973-1978, 3 vol., t. I, p. 500.
40 Ibid., t. II, p. 503.
41 P. de Courcillon, marquis de Danjeau, Journal du marquis de Dangeau, éd. E. Soulié et al., Paris, F. Didot, 1854-1860, 19 vol., t. I, p. 421.
42 R. Descimon et D. Ribard, « La production locale de la noblesse la constitue-t-elle en catégorie transnationale ? », in J.-P. Zúñiga (dir.), Pratiques du transnational. Terrains, preuves, limites, Paris, La Bibliothèque du CRH, 2011, p. 147-149.
43 F. Ménestrier, Les Diverses especes de Noblesse, et les manieres d’en dresser les Preuves, Paris, R. J. B. de La Caille, 1685, p. 6.
44 [M. Le Vassor], Les Soupirs de la France esclave, qui aspire après la liberté, s. l., s. n., 1689, p. 107.
45 A. de Furetière, Dictionnaire universel, La Haye, A. et R. Leers, 1690, 3 vol.
46 J. Dewald, Aristocratic Experience and the Origins of Modern Culture. France, 1570-1715, Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 1993, chap. II ; R. Descimon, « Nobles de lignage », art. cit., p. 297-298.
47 H. Drévillon, L’Impôt du sang. Le métier des armes sous Louis XIV, Paris, Tallandier, 2005 ; L. Tuetey, Les Officiers sous l’Ancien Régime, op. cit.
48 G. Daniel, Histoire de France, depuis l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Paris, D. Mariette, 1713, 3 vol., t. II, p. 390.
49 J.-P. Brancourt, Le duc de Saint-Simon et la monarchie, Paris, Éd. Cujas, 1971.
50 L. de Rouvroy, duc de Saint-Simon, « Mémoire succinct sur les formalités desquelles nécessairement la renonciation du roi d’Espagne tant pour lui que pour sa postérité doit être revêtue en France pour y être justement et stablement validée. Août 1712 », in Traités politiques et autres écrits, éd. Y. Coirault, Paris, Gallimard, 1996, p. 158.
51 Saint-Simon, Mémoires, éd. Y. Coirault, Paris, Gallimard, 1983-1988, t. V, p. 141.
52 M.-C. d’Aulnoy, Relation du voyage d’Espagne, Paris, C. Barbin, 1691, 3 vol., t. II, p. 98.
53 J. de La Bruyère, Les Caractères [1696], Paris, Librairie Générale Française, 1995, p. 167.
54 Chevigny, La Science des personnes de Cour, d’Épée et de Robe, Amsterdam, L’Honoré et Chatelain, 1717, t. I, partie 1, par exemple p. 26.
55 A.-R. Lesage, Œuvres choisies de Le Sage, t. XI, La Valise trouvée [1740], Paris, Leblanc, 1810, p. 102.
56 Par exemple florent Carton Dancourt, La Foire de Saint-Germain, Paris, T. Guillain, 1696, p. 161 (scène XVIII).
57 Montesquieu, Lettres persanes [1721], Paris, Booking International, 1993, p. 79 (lettre XLIV).
58 Nombreuses occurrences par exemple, in Marivaux, La Vie de Marianne [1745], Paris, Gallimard, 1997, J. de Varenne, Mémoires du chevalier de Ravanne, Liège, s. n., 1740, et A.-R. Lesage, Turcaret [1709], Paris, Départements étrangers, 1878.
59 E. Le Noble, Les Œuvres de M. Le Noble contenant L’École du monde, Paris, P. Ribou, 1718, t. III, p. 1-2.
60 É. de Condillac, Traité des Sistêmes. Où l’on en démêle les inconvéniens et les avantages, La Haye, Neaulme, 1749, p. 411.
61 G.-F. Coyer, La Noblesse commerçante, Londres, Duchesne, 1756, p. 161.
62 Voir l’analyse de tarif de la capitation par A. Guéry, « État, classification sociale et compromis sous Louis XIV : la capitation de 1695 », Annales ESC, t. XLI, n° 5, 1986, p. 1041-1060. La politique fiscale de la monarchie eut une importance considérable dans la construction des groupes sociaux, notamment de la noblesse et du Tiers-État, R. Blaufarb, The Politics of fiscal Privilege in Provence, 1530-1830, Washington (DC), The Catholic University of America Press, 2012.
63 Il y a là une réitération du processus analysé par J. Morsel à propos de la noblesse allemande, qui a conduit de l’existence de « nobles » à la reconnaissance d’une catégorie appelée « noblesse ». Ce processus se fait cette fois par la subdivision d’une catégorie existante. Voir J. Morsel, « L’invention de la noblesse », art. cit. Pour une perspective française, R. Descimon, « Sites coutumiers et mots incertains : la formation de la noblesse française à la charnière du Moyen Âge et des Temps modernes », in T. Dutour (dir.), Les Nobles et la ville dans l’espace francophone (xiie-xvie siècles), Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2010, p. 341-357.
64 D. Roche, La France des Lumières, Paris, Fayard, 1993, p. 355-360.
65 F. Cosandey, « Classement ou ordonnancement ? Les querelles de préséances en France sous l’Ancien Régime », in G. Chabaud, Classement, déclassement, reclassement, op. cit., p. 95-103, et dans le même ouvrage R. Descimon, « La société française avant les Lumières : une société hiérarchique ? », p. 51-69.
66 La Bruyère, Les Caractères, op. cit., p. 359.
67 Voltaire, Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, et sur les principaux faits de l’Histoire depuis Charlemagne jusqu’à Louis XIII, Genève, s.n., 1769 [1756], t. III, p. 138.
68 J.-J. Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne, et sur sa réformation projettée, Londres, s. n., 1782 [1771], p. 102.
69 Sur le parcours des Mesgrigny, É. Haddad, « Les Mesgrigny ou le coût social et moral des prétentions à l’épée », in R. Descimon et É. Haddad, Épreuves de noblesse, op. cit., p. 211-231.
70 La famille Potier a fait l’objet d’une étude détaillée de R. Descimon et moi-même, présentée dans notre séminaire à l’EHESS en 2008.
71 H. Drévillon, L’Impôt du sang, op. cit., p. 311.
72 M. Marraud, De la Ville à l’État. La bourgeoisie parisienne xviie-xviiie siècle, Paris, Albin Michel, 2009, p. 331-343.
73 L. Bourquin, « Les carrières militaires de la noblesse au xviie siècle : représentations et engagements », in J. Pontet, M. Figeac et M. Boisson (dir.), La Noblesse de la fin du xvie au début du xxe siècle, un modèle social ?, Anglet, Atlantica, 2002, 2 vol., t. I, p. 271-287.
74 J. Meyer, La Noblesse bretonne au xviiie siècle, Paris, EHESS, 1985 [1966] ; V. Piétri, « Bonne renommée ou actes authentiques : la noblesse doit faire ses preuves (Provence, xviie siècle) », Genèses, n° 74, 2009, p. 5-24.
75 R. Descimon, « Élites parisiennes entre xve et xviie siècle. Du bon usage du Cabinet des Titres », Bibliothèque de l’École des chartes, t. CLV, 1997, p. 607-644.
76 F. Bibolet, Les Institutions municipales de Troyes aux xive et xve siècles (1354-1494), thèse de l’École nationale des chartes, 1941 ; Ead., « Les Assemblées générales des habitants de Troyes aux xive et xve siècles : la Saint-Barnabé », Mémoires de la Société académique d’agriculture, des sciences, arts et belles-lettres du département de l’Aube, t. CI, 1946-1953, p. 15-25 et 31-51 ; Ead., « Les Fonctionnaires royaux à Troyes aux xive et xve siècles », Mémoires de la Société académique d’agriculture, des sciences, arts et belles-lettres du département de l’Aube, t. CIII, 1961-1963, p. 5-17.
77 R. Descimon, « Chercher de nouvelles voies pour interpréter les phénomènes nobiliaires dans la France moderne. La noblesse, “essence” ou rapport social ? », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. XLVI, n° 1, 1999, p. 5-21 ; id., « Sites coutumiers », art. cit. V. Piétri montre qu’il y eut cependant des négociations entre les élites provinciales et le pouvoir royal, les premières cherchant à faire reconnaître leurs spécificités coutumières au second : « Vraie et fausse noblesse : l’identité nobiliaire provençale à l’épreuve des réformations (1665-1718) », Cahiers de la Méditerranée, n° 66, 2005, p. 79-91.
78 BnF, Ms Carré d’Hozier 431, fol. 237-242, 20 mars 1556.
79 « Non seulement le Gentil-homme est preferable au Noble Politique : mais à tout autre Gentilhomme dont la Noblesse n’est si ancienne, où est moins illustrée » écrit florentin de Thierriat, Trois Traictez. Sçavoir, 1. De la noblesse de Race, 2. De la noblesse Civille, 3. Des Immunitez des Ignobles, Paris, L. Bruneau, 1606, p. 4-5.
80 F. Cosandey et É. Haddad, « Temps de la noblesse, temps de la monarchie (xvie-xviie siècles) », in P. Bonin, F. Cosandey, É. Haddad et A. Rousselet-Pimont (dir.), À la croisée des temps. Approches d’histoire juridique, sociale et politique, Rennes, PUR, 2016, p. 73-100.
81 Par exemple F. L’Alouëte, Traité des Nobles, op. cit.
82 C. Fauchet, fleur de la maison de Charlemaigne, qui est la continuation des Antiquitez françoises contenant les faits de Pepin et ses successeurs, depuis l’an 751 jusques à l’an 840 de Jesus-Christ, recueillie par M. le president F., Paris, J. Perier, 1601, p. 218.
83 V.-E. Fléchier, Mémoires de fléchier sur les Grands-Jours d’Auvergne en 1665, éd. M. Chéruel, Paris, Hachette, 1856, p. 122.
84 F.-J. Ruggiu, « Ancienneté familiale et construction de l’identité nobiliaire dans la France de la fin de l’Ancien Régime », in J. Pontet, La Noblesse, op. cit., t. I, p. 309-325.
85 A.-R. Lesage, Œuvres de Lesage. Le Diable boiteux [1707], Paris, F. Didot, 1868, p. 12.
86 Voir le Mémoire présenté à S. A. R. Monseigneur le duc d’Orléans dans le commencement de sa Régence pour la construction d’un nobiliaire général. Par M.L.C.D.C.D.B. (1716), éd. D. Venturino, in C. Grell et A. Ramière de Fortanier (dir.), Le Second ordre : l’idéal nobiliaire. Hommage à Ellery Schalk, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 1999, p. 227-247.
87 H. de Boulainvilliers, Lettres historiques sur les Parlements de France que l’on nomme États généraux, Londres, T. Wood et S. Palmer, 1753, t. III, p. 112 (lettre XII, 1727).
88 D. Diderot et J. Le Rond D’Alembert, L’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts, et des métiers, Genève-Neuchâtel, J.-L. Pellet, 1778, t. XIII, p. 166 (art. « États »).
89 R. Descimon, « La vénalité des offices comme dette publique sous l’Ancien Régime français. Le bien commun au pays des intérêts privés », in J. Andreau, G. Béaur et J.-Y. Grenier (dir.), La Dette publique dans l’histoire, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière française, 2006, p. 177-242.
90 D. Bien a montré que les décisions de fermeture de l’accès au commandement dans la seconde moitié du xviiie siècle, notamment le célèbre édit de Ségur en 1781, visaient d’abord les anoblis et manifestaient la rivalité au sein des élites. D. Bien, « La réaction aristocratique avant 1789 : l’exemple de l’armée », Annales ESC, t. XXIX, n° 1, 1974, p. 23-48, et t. XXIX, n° 2, 1974, p. 505-534.
91 É. Haddad, « The Question of the Imprescriptibility of Nobility in Early Modern France », in C. Lipp et M. Romaniello (dir.), Contested Spaces of Nobility in Early Modern Europe, Farnham, Ashgate, 2011, p. 147-166.
92 Pour le détail de l’exemple des Mesgrigny, É. Haddad, « Classement, ancienneté, hiérarchie : la question de la définition de la noblesse à travers la querelle entre les Chérin et les Mesgrigny à la fin du xviiie siècle », in G. Chabaud, Classement, déclassement, reclassement, op. cit., p. 259-281.
93 Nombre de conflits se jouent en effet dans l’ordre des préséances à la Cour, expression de l’ordre social et politique et à ce titre enjeu considérable pour les individus et les familles. Voir F. Cosandey, « L’insoutenable légèreté du rang », art. cit. ; Ead., « Entrer dans le rang », in M.-F. Wagner, L. Frappier et C. Latraverse (dir.), Les Jeux de l’échange. Entrées solennelles et divertissements du xve au xviie siècle, Paris, H. Champion, 2007, p. 17-46.
94 R. Chartier, « La noblesse et les États de 1614 : une réaction aristocratique ? », in R. Chartier et D. Richet (dir.), Représentation et vouloir politiques. Autour des États-Généraux de 1614, Paris, EHESS, 1982, p. 113-126 ; J.-M. Constant, « La troisième Fronde : les gentilshommes et les libertés nobiliaires », xviie siècle, n° 145, 1984, p. 341-354.
95 F. Cosandey, « L’envers du décor. La contestation des ducs et pairs lors de l’entrée solennelle de 1660 », in Mélanges en l’honneur de Gérard Sabatier, à paraître.
96 L’idée d’un relatif appauvrissement de la noblesse provinciale au profit du monde de la cour est avancée par J. Dewald, « Régime nobiliaire en région avancée : essai d’un bilan », in A. Boltanski et A. Hugon (dir.), Les Noblesses normandes (xvie-xixe siècle), Rennes, PUR, 2011, p. 289-299. Sur la disparité des fortunes dans le second ordre, J. Meyer, La Noblesse bretonne, op. cit. ; M. Nassiet, Noblesse et pauvreté. La petite noblesse en Bretagne. xve-xviiie siècles, Rennes, Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 1993 ; G. Chaussinand-Nogaret, La Noblesse au xviiie siècle. De la Féodalité aux Lumières, Bruxelles, Complexe, 1984 [1977], chap. III.
97 Sur la diversité sociale et culturelle du second ordre mais aussi à l’intérieur même des catégories qui le divisent, y compris de l’épée, voir M. Marraud, La Noblesse de Paris au xviiie siècle, Paris, Le Seuil, 2000, notamment la conclusion générale.
98 Pour une réflexion sur la diversité du second ordre au temps des Lumières, sur la perception globale de celui-ci et sur le rapport à la pensée des Lumières, P. Serna, « Le noble », in M. Vovelle (dir.), L’Homme des Lumières, Paris, Le Seuil, 1996, p. 39-92.
99 E. Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers état ?, s. l., s. n., 1789, p. 16.
100 D. Bien, « Aristocratie », in F. Furet et M. Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française. Idées, Paris, flammarion, 1992 [1988], p. 45-66 ; J.-C. Martin, Contre-Révolution, Révolution et Nation en France, 1789-1799, Paris, Le Seuil, 1998.
101 C.-I. Brelot, La Noblesse réinventée. Nobles de Franche-Comté de 1814 à 1870, Paris, Les Belles Lettres, 1992 [1972], 2 vol. ; D. Higgs, Nobles, titrés, aristocrates en France après la Révolution, 1800-1870, Paris, L. Levi, 1990 [1987] ; É. Paisnel, « Au xixe siècle, une noblesse régénérée ? », in A. Boltanski et A. Hugon, Les Noblesses normandes, op. cit., p. 333-354.
102 M. de Certeau, L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 2002 [1975], p. 178-241 [chap. IV : « La formalité des pratiques. Du système religieux à l’éthique des Lumières (xviie-xviiie) »] ; M. Gauchet, Philosophie des sciences historiques. Le moment romantique, Paris, Le Seuil, 2002 [1988] ; L. Kaufmann et J. Guilhaumou (dir.), L’Invention de la société. Nominalisme politique et science sociale au xviiie siècle, Paris, EHESS, 2003.
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