Le président du Comité d’étude pour la réforme de l’entreprise
p. 185-200
Texte intégral
1En 2013, le président Valéry Giscard d’Estaing, lors d’un entretien accordé au journal L’Opinion se souvient en ces termes du Comité d’études pour la réforme de l’entreprise : « C’est un grand regret, une occasion manquée par le patronat » et d’ajouter : « Ils rédigent un rapport. Ce rapport était très bon. Ils le publient. Tollé d’indignation. Alors, on l’a oublié ou presque. Voilà l’affaire, en deux mots1. »
2Cet épisode de la carrière de Pierre Sudreau commence en mai 1974 lorsque Valéry Giscard d’Estaing vient d’être élu à une très faible majorité (50,3 % des suffrages exprimés), et se termine à la fin de l’année 1979, avec sa rupture avec le président, à la suite de l’échec de la réforme de l’entreprise.
3L’entreprise se trouve sans doute davantage au centre des préoccupations sociales après les ruptures économiques, sociales et politiques intervenues depuis la grève générale de 1968 ». Il est dans « l’air du temps », d’après Jean-Claude Guibal, de réfléchir à une réforme de l’entreprise : celle-ci fonctionne encore souvent à travers un management fondé sur l’autoritarisme, au mieux paternaliste, et la taylorisation du travail dans l’industrie2. Giscard décide de créer un comité d’étude pour la réforme de l’entreprise, qui correspond à sa volonté de mise en mouvement de la société française, afin, selon lui, de faire front à la tentation de mettre en place une économie administrée par l’État et à une nationalisation des moyens de production, telle que les proposent les partis de gauche dans le programme commun de gouvernement publié en juin 1972.
4Le choix du président de ce comité est essentiel, car celui-ci doit être un médiateur, politiquement compatible avec les gaullistes, les centristes et accepté par certaines personnalités de gauche. Pierre Sudreau est cet homme, sur lequel Giscard porte son choix, compte tenu de son caractère indépendant et de la diversité de ses contacts. Ce comité que Pierre Sudreau va mener de manière déterminée, doit donner un état des lieux très complet de la vie de l’entreprise sous tous ses aspects (pouvoir, actionnariat, social et participation) et remettre des propositions : le rapport en comportera soixante-dix.
5Le président et le Premier ministre lui donnent carte blanche pour former ce comité. Il le constitue en toute indépendance en utilisant son réseau de relations et les recommandations amicales et professionnelles qui lui sont faites. Cependant, les rapporteurs, les secrétaires sont désignés par le Premier ministre et le Conseil d’État. Le rapport devra rester très ouvert, mais l’autogestion ou la cogestion ne sont pas retenues. Les mesures proposées seront sujettes, après négociations, à l’acceptation des partenaires sociaux car Pierre Sudreau veut « obtenir le consensus le plus large possible » sur les propositions du comité3.
6L’engagement de Pierre Sudreau a été privilégié dans l’analyse du rapport, sous réserve de développements plus précis sur des passages essentiels relatifs aux questions du pouvoir dans l’entreprise, de la co-surveillance et du vote de premier tour aux élections représentatives du personnel. Outre le contexte, on abordera les conditions de la création et la mise en place du comité, puis l’élaboration du rapport, ainsi que sa réception et sa postérité.
Une triple rupture conjoncturelle
7Outre la rupture économique et monétaire du choc pétrolier et de la fin du système monétaire international, la deuxième rupture est sociale. Elle apparaît en 1968 et se prolonge jusqu’en 1974, avec l’arrivée des baby boomers sur le marché du travail, davantage hostiles à la structure hiérarchisée, pesante, quasi militaire de l’entreprise, et notamment au travail posté. Ces jeunes, mieux éduqués, aspirent à davantage d’autonomie, de responsabilité, ce qui n’apparaît pas dans les objectifs du patronat, ni toujours des syndicats, si ce n’est l’autogestion, mise en avant surtout par la confédération syndicale CFDT et le PSU. Cette volonté de rupture avec le passé se manifeste dans les actions revendicatives menées par les syndicats avec des grèves dans les secteurs public et privé et par l’« insubordination ouvrière » (Xavier Vignat), révélatrice d’une crise de consentement qui s’exprime dans des modes d’actions offensifs, tels qu’à Lip ou au Larzac4.
8La troisième rupture est politique. Giscard veut se démarquer de la politique gaullienne menée par ses prédécesseurs, et rompre avec l’image conservatrice de celle-ci, bien qu’il y ait participé comme ministre des finances. Rupture de style, de génération et ouverture plus large à la société civile. Il s’est opposé à de Gaulle lors du référendum de 1969 sur la réforme du Sénat et sur la régionalisation, comme Pierre Sudreau l’avait fait en 1962, au sujet de l’élection présidentielle au suffrage universel. L’élection de Giscard s’est déroulée dans un climat de luttes sociales, après l’échec de l’union de la Gauche aux élections législatives de 1973. Le PC et la CGT maintiennent l’idée que toute négociation avec le patronat participe de la « collaboration de classe ». S’appuyant sur les travaux réalisés par les Clubs Perspectives et Réalités qu’il a créés, Giscard annonce lutter contre les inégalités, réformer l’entreprise, mettre en place son idée de « libéralisme avancé » et aboutir en France à « une démocratie paisible et réfléchie5 ». Selon lui, si une tentative de dialogue social peut avoir lieu, c’est de manière concrète dans l’entreprise, placée au centre de la vie quotidienne de tous les citoyens mais alors peu connue des hommes politiques.
Le choix de Pierre Sudreau et la formation du comité
9Valéry Giscard d’Estaing décide de créer un Comité d’étude pour la réforme de l’entreprise. Il le confie à un homme qu’il apprécie pour sa droiture, son indépendance à l’égard des partis et son soutien lors de sa campagne, Pierre Sudreau6. Jean Serisé garde le souvenir d’un homme sympathique, passionné, sincère et courageux. En ce qui concerne le choix de Sudreau, voici son témoignage :
« Il ne fallait pas un patron, un syndicaliste, un politique, un économiste, ni une personne de l’entourage personnel du Président. Il fallait quelqu’un de neutre… par déduction sans doute Pierre Sudreau. Il avait, du fait de ses différents centres d’intérêts, de nombreux contacts dans des milieux très différents7. »
10Parmi les postulants : François Bloch-Lainé, écarté par Giscard et Raymond Barre qui, en qualité d’universitaire, n’avait pas l’expérience de l’entreprise. Pierre Sudreau était probablement le seul homme public à pouvoir se lancer dans une opération aussi risquée, compte tenu des positions alors guère conciliables des partenaires sociaux. De surcroît, elle pouvait être interprétée comme une manœuvre de diversion sociale. Sudreau est conscient de la difficulté, mais il s’engage et veut constituer « une communauté humaine » associée à « une communauté de capitaux et de dirigeants pour aller vers une démocratie économique8 » sans porter atteinte à l’efficacité des instruments économiques ; il est pour « une pédagogie du changement9 ». La proximité de Sudreau avec Edgar Faure, Jean Lecanuet et Jean-Jacques Servan-Schreiber a certainement eu une influence sur cette nomination, ainsi que ses liens avec le club Jean Moulin et les anciens résistants et déportés.
11Il présentait un autre avantage : il ne se voulait pas ministrable et avait refusé le poste de ministre de l’Éducation nationale proposé début mai par Giscard. Il adoptera la même attitude d’ailleurs en 1988 avec Michel Rocard10. En outre, il pouvait s’appuyer sur une connaissance pratique de l’entreprise grâce à son activité à la présidence de la fiF11. Esprit sans frontières, selon Jean-Claude Guibal, l’ancien résistant, déporté à Buchenwald, avait gardé de cette expérience extrême, une distance, une indépendance d’esprit qui lui permettait de n’accepter fonctions, actions, participations, que selon sa propre ligne de conduite. Il reçut sa nomination à la tête du comité avec enthousiasme. Il entendait montrer que la confrontation, la lutte des classes n’est pas la meilleure solution ; qu’il est préférable de négocier entre partenaires sociaux responsables pour essayer d’avancer au plus près d’une cogestion, en conservant toutefois la décision finale aux dirigeants et aux actionnaires pour ce qui concerne la gestion du capital12.
12Le Comité d’étude pour la réforme de l’entreprise est créé officiellement lors du Conseil des ministres du 17 juillet 1974. Pierre Sudreau considère que c’est une « mission essentielle », un engagement à mener « sans grade13 » qui bénéficie de l’aura présidentielle et de l’aide du Premier ministre, Jacques Chirac. Ce dernier considère « qu’il s’agit d’une très grande idée, qu’il sent depuis longtemps sans pouvoir en définir les contours14 » et dans laquelle il est prêt à se donner à fond. Le postulat de la page blanche est retenu par Sudreau, afin de profiter des nouvelles idées qui ont émergé depuis 1968. Il n’ignore pas les précédents rapports sur le sujet de l’entreprise15, particulièrement celui de François Bloch-Lainé. Il veut réaliser « un projet de civilisation fondée sur la liberté, la solidarité, la responsabilité et l’épanouissement des personnels », selon les termes de Jean Lecanuet, s’inspirant des idées de Marc Sangnier16.
13Pierre Sudreau organise le comité selon les principes mis en place par Jean Monnet et par le commissariat au Plan : il s’appuie sur des commissions constituées par thème à traiter, ouvertes à la société civile et aux représentants de la haute administration publique. François Bloch-Lainé avait procédé de la même façon pour préparer son rapport de 1963. Le choix des membres du comité s’effectue en dehors des institutions, syndicats patronaux ou de salariés, universités, administrations… Chacun adhère librement à ce groupe « commando ». La pensée est libre afin d’éviter le « catéchisme » des organisations. L’innovation sociale, juridique, financière, managériale doit être au rendez-vous. Il demande à tous les membres de ce comité de « sortir de leurs tranchées idéologiques », tous propos confirmés par Jean-Claude Guibal. Il peut exister des affinités, mais pas de représentation directe d’un syndicat, d’un parti politique ou d’un groupe de pression quelconque.
14Les archives d’Olivier Fouquet, alors conseiller technique chargé des Affaires sociales au secrétariat général de la présidence de la République, nous informent de la composition de ce comité17. Il est présidé par Sudreau entouré de quinze membres qui supervisent douze groupes de travail. Ces groupes peuvent auditionner les personnes de leur choix suivant le thème de travail qui leur est alloué. Les membres du comité ont été choisis de manière à représenter le monde de l’entreprise : trois chefs d’entreprises, Pierre Jouven (Péchiney-Ugine-Kuhlman), Georges Chavannes (Leroy Somer), Edith Cros (Promecam) ; trois personnes indépendantes : Claude Lasry, Michel Vasseur et Jean-Maurice Verdier ; trois représentants du monde du travail : Albert Detraz (CFDT), Roger Lerda (FO) et Jean Mouzin (CGC), auxquels viennent s’ajouter les trois rapporteurs désignés par le Conseil d’État et trois autres experts des relations sociales. Les représentants des principaux syndicats de salariés et patronaux seront reçus, afin qu’ils puissent exposer leur point de vue, le plus souvent sur la base de leur programme déjà établi, ce qui permet au comité de montrer qu’il écoute tous les points de vue. Les travaux de ce comité devront se dérouler dans la recherche de « l’équilibre des opinions, l’indépendance, l’ouverture, y compris vers des expériences étrangères (Yougoslavie, Suède, Hollande) ». La mission doit se comporter « comme un moissonneur » de toutes les idées sur l’entreprise18.
Le travail du comité et sa promotion par Sudreau
15Les orientations de ce comité sont définies par Sudreau en fonction de ses idées et de celles qui lui sont soumises par ses relais dans la société civile et le ministère du Travail. On peut les résumer ainsi : le pouvoir dans l’entreprise, point cardinal, et ses conséquences sur l’organisation de celle-ci ; les conditions de travail, d’information et de dialogue avec les salariés ; la création d’un droit de l’entreprise ; la cogestion qui devra être évoquée et « introduite sans le dire » ; les droits des consommateurs et les problèmes d’environnement19. M. Chazal, chef du service interministériel de l’intéressement et de la participation, propose des pistes complémentaires à celles déjà citées afin de lancer les travaux par groupe20 tels que la simplification des différents statuts de société, en tenant compte du statut européen à l’étude (5e directive) ; l’autogestion ; la représentation syndicale mise en question par l’existence de la CFT (Confédération française des travailleurs) ; l’influence de la participation aux résultats de l’entreprise sur l’augmentation de la productivité ; l’assouplissement de la loi Vallon (1966-1967) pour la suppression du délai d’attente de cinq ans et la pondération des droits de vote attachés aux actions, en les plafonnant à un pourcentage maximum.
16Sudreau se charge de la promotion de ce comité car il connaît personnellement de nombreux journalistes. Son premier interview destiné au Monde le 15 juillet 1974, est effectué avec Jacqueline Grapin ; il y insiste sur le renforcement des attributions du Comité d’entreprise pour les rendre plus effectives et sur l’unicité du pouvoir de décision. Trois jours plus tard, il complète cette démarche dans La Nouvelle République du Centre Ouest en déclarant que son objectif est une « démocratie économique sans porter atteinte à l’efficacité de nos instruments économiques » avec « le souci de l’homme comme clef de voûte de nos propositions ». Il reste réaliste et sait « que seulement six mois de travaux ne peuvent pas conduire à résoudre les principaux problèmes posés dans la société française », mais il s’est tracé un chemin : « Nos propositions pour janvier 1975, puis le Parlement et enfin les lois21… » L’accueil dans les milieux politiques et administratifs est teinté de scepticisme et franchement hostile dans les milieux syndicaux (du patronat comme des salariés)22.
17Toutefois il est soutenu par Michel Debargue du CJD (Centre des jeunes dirigeants) et par les confédérations syndicales CFTC et FO intéressées par cette démarche. Le sentiment domine que ce comité n’est pas utile, voire néfaste dans cette période de tensions sociales. Jean Serisé pense même que « cette commission a pu nuire à VGE dans ses rapports avec les grands patrons, qui le lui feront payer en 1981 ».
18Sudreau, qui n’ignore pas toutes les difficultés de sa tâche, est loin de se décourager, comme il le rappelle le 13 février 1975 lors de la présentation du rapport : « Je suis toujours mes enfants. Je suis d’un naturel obstiné, matricule 52301 à Buchenwald23. »
19Il reçoit personnellement toutes les contributions destinées à l’élaboration du rapport. Cas singulier, Olivier Giscard d’Estaing apporte la sienne directement au président de la République, son frère ; elle reflète l’état d’esprit des patrons et montre l’ampleur de la tâche à réaliser par le comité Sudreau pour changer les mentalités. Il y rappelle la primauté aux élections du premier tour des syndicats (ordonnances de 1945 et loi sur la participation de 1967) :
« “La CFDT et la CGT sont pour une société socialiste, et autogestionnaire pour la CFDT” ; dès lors, accorder un pouvoir supplémentaire avec un représentant au conseil “est inutile voire illusoire. Ils ne joueront pas le jeu”. »
20Olivier Giscard d’Estaing propose des avancées quantitatives (sur les salaires, les retraites et sur la réduction du temps de travail) et qualitatives (information, formation, confiance, développement personnel)24.
21Pierre Sudreau se lance dans cette nouvelle aventure humaine. Il invite, questionne, anime les groupes et les réunions plénières du comité. Ses membres vont auditionner, se documenter, interroger près de quatre cents personnes de tous les milieux concernés par la vie d’une entreprise25.
Le rapport Sudreau et sa présentation
22Le comité fait une série de soixante-dix propositions regroupées en dix chapitres, dont les principales portent sur la transformation de la vie quotidienne (chapitre I), l’amélioration de l’exercice du pouvoir (chapitre II.3) et la prévention de la mauvaise gestion et de ses conséquences dans les entreprises (chapitre VIII). Ces trois points donnent lieu à une première approche du futur contenu du rapport par Sudreau à Giscard le 3 décembre 1974. La vie quotidienne des employés, ouvriers et cadres est essentielle. Il est nécessaire d’établir des règles de vie dans l’entreprise qui leur permettent de s’exprimer sur les conditions de travail et surtout sur l’organisation de celui-ci. Les « travaux pénibles ou parcellaires, le travail en miettes », sont remis en cause par une génération qui dispose d’une formation professionnelle et générale plus complète que celle de ses aînés26. Un désir de participation s’affirme jusqu’à vouloir remettre en cause le pouvoir dans l’entreprise, ou tout au moins vouloir y participer directement.
23Cette problématique du pouvoir dans l’entreprise est traitée par le groupe de Jean-Louis Descours (Chaussures André), sous l’intitulé « le pouvoir dans l’entreprise, son fondement, son exercice, son contrôle27 ». Il s’agit d’une contribution très complète de soixante-douze pages sur ce sujet cardinal. Les principaux points de réflexion sont les suivants : l’entreprise n’a pas de statut juridique qui définisse ses responsabilités, celui-ci reste à élaborer. L’homme refuse d’être traité comme une machine. Il veut communiquer à propos de son travail et être associé à la résolution des problèmes qui le concernent. De son côté, l’actionnaire est peu intéressé par son rôle de contrôle au travers du conseil d’administration, qui est en faveur des managers. Le PDG, fonction créée en 1940, ne partage ni le pouvoir, ni la responsabilité, sa fonction concerne la direction, la discipline et le respect des réglementations. Il est préconisé des mesures : une formation pour la maîtrise et les cadres ; une communication-information du salarié afin d’obtenir son adhésion ; la création d’unités de production de taille limitée, avec des objectifs ; la suppression des travaux répétitifs, à la chaîne ; la mise en place d’un directoire et d’un conseil de surveillance selon l’orientation de la commission européenne dans le cadre de la 5e directive28. Le groupe de travail exprime une grande confiance dans l’évolution négociée, mais il n’est pas favorable à la cogestion. Ce compte rendu inclut une proposition originale de M. René Lucien, juriste, remise à Olivier Fouquet le 20 septembre 197429, sur la participation et sur le vote syndical du premier tour au comité d’entreprise. Elle s’inspire des paroles du général de Gaulle :
« Le travailleur doit participer aux fruits de l’entreprise, au capital et enfin à la gestion30. »
24Il en inverse l’ordre pour un plus grand respect de la logique économique. Pour ce qui concerne la participation, il doit s’agir pour le salarié d’un acte volontaire qui ne peut se concrétiser que grâce à un mot qui peut tout changer : la concertation. Il propose que les syndicats assument la responsabilité civile, correctionnelle et pénale, au même titre que le chef d’entreprise, ce qui rendrait obligatoire de se syndiquer, de cotiser et ainsi de s’intéresser à la gestion de l’entreprise. Il s’agit là, d’un point d’achoppement relevé dans une note d’O. Fouquet à Giscard du 10 janvier 1975 sur une réforme institutionnelle31. Il y a une opposition très nette entre syndicats et patrons sur le principe de la participation des salariés avec voix délibérative au conseil de surveillance ou au conseil d’administration. En effet, l’un des points brûlants évoqué par le patronat pour bloquer toute évolution est celui de la suppression du monopole des syndicats au premier tour des élections des représentants du personnel dans l’entreprise. Il y a un accord tacite entre les partenaires sociaux pour ne pas participer ensemble à la gestion de l’entreprise. Les patrons, pour bloquer toute réforme, invoquent le premier tour des élections et les syndicats de salariés, eux, veulent garder leur droit de s’opposer aux décisions patronales. Cette institution du vote de premier tour s’oppose à la recherche d’une autonomie des salariés, par rapport aux syndicats, qui transparaît dans une note de l’AFP du 30 janvier 1975, où 59 % des Français estiment qu’il faut laisser à chaque salarié la possibilité d’être candidat au premier tour des élections professionnelles (CE, délégué du personnel). 23 % se prononcent pour les syndicats et 18 % ne se prononcent pas. Jacques Chirac a proposé cette suppression du monopole le 2 avril 1973 et le secrétaire général de la CFT le propose aussi le 7 avril 1976.
25Sudreau fait une présentation en deux temps de son rapport. Il effectue la première à Giscard le 3 décembre 1974. Il lui présente les enjeux et l’extrême difficulté à mener à bien une réforme de l’entreprise compte tenu du blocage de la société française à tous les niveaux, politique, doctrinal et surtout économique et social. Il confirme à Giscard qu’il refuse de supprimer le monopole syndical du premier tour. Il veut instaurer sa pédagogie du changement avec une formation permanente et insiste sur le fait « qu’il faut engager un processus de compréhension des problèmes exposés, et dépasser les clivages idéologiques : c’est une œuvre de septennat32 ! ».
26Il effectue une seconde présentation à Giscard et à Chirac le 7 février 1975. Le rapport final est rendu public le 13 février 197533. Le rapport se présente comme la synthèse d’un homme, Pierre Sudreau. Il incarne sa vision humaniste d’une société dont l’objectif principal est celui du mieux vivre ensemble. Il a mis en œuvre, en toute humilité, ses connaissances, expériences et contacts personnels. La négociation doit être l’instrument privilégié du rapport social, en passant de la négociation à la contractualisation, la loi n’ayant qu’un caractère supplétif.
27Le 12 février 1975, Giscard accorde un accueil très favorable au travail du comité :
« Ce rapport est inspiré par une volonté de changement, par le désir de créer plus de justice et d’efficacité, en même temps que par le souci de tenir compte des caractères propres à la société française. »
28Toutefois, il reste prudent sur les suites à donner à ce rapport et écrit à Sudreau :
« Il ne convient pas de se prononcer prématurément sur le fond de vos propositions et je souhaite que s’engage dans l’opinion un vaste débat, car la réforme de l’entreprise concerne la vie de tous les Français ; viendront ensuite les dispositions législatives nécessaires34. »
29À titre exceptionnel, il autorise la publication de ce rapport et Pierre Sudreau propose de prolonger ce travail par une campagne d’explication et de confrontation d’idées, auprès de toutes les organisations concernées (chambres de commerce et d’industrie, Grandes Écoles, universités, syndicats…) à l’occasion de colloques, séminaires35… Le rapport va bénéficier d’une autorisation d’édition par la Documentation française et par Christian Bourgois dans la collection de poche 10/18, qui obtiendra un grand succès de librairie, avec plus de 200000 exemplaires vendus.
30Sudreau précise au Premier ministre que les membres du comité ont su dépasser leurs propres certitudes. Ils ont réalisé une œuvre collective, qu’ils ont tous approuvée. Il évoque avec lui la gouvernance des entreprises et propose « une présence minoritaire des salariés avec voix délibérative dans les conseils. Cette nouvelle formule devrait revêtir le caractère d’une co-surveillance et non pas d’une participation à la gestion », co-surveillance qui rendrait nécessaire la création d’une délégation économique au sein du Comité d’entreprise, celle-ci étant dotée dans ses statuts d’un regard sur la gestion. Cette idée de co-surveillance apparaît comme le point extrême sur lequel les partenaires sociaux pourraient s’entendre, la cogestion étant exclue par eux. La représentation des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance porterait sur un tiers des sièges. Les entreprises aux effectifs inférieurs à 1000 ou 2000 employés ne seraient pas concernées. Une période d’expérimentation de cinq ans serait nécessaire pour valider cette participation au sommet de l’entreprise : « C’est l’élément ultime36. »
31Une fois explicité ce projet de nouvelle gouvernance, le rapport est présenté par Sudreau le 13 février 1975 devant la presse à l’Assemblée nationale. Il y expose les principaux points, ainsi que l’état d’esprit du comité :
« Nous avons été guidés dans notre recherche par une constatation que l’entreprise partout fait problème, lieu de vie des hommes, où il y a une intensité particulière, caractéristique des sociétés modernes37. »
32Son discours se veut direct :
« Nous sommes par tradition un peuple de paysans et de fonctionnaires. Nous avons trop longtemps ignoré nos entreprises. Il s’agit aujourd’hui de les redécouvrir. »
33Car elles sont un instrument économique essentiel pour le pays. Il confirme sa position « qu’un pays sans syndicat est un pays sans liberté ». Certains pourront juger cette étude trop timide, mais pour lui :
« Ce que nous proposons, c’est ce qui est possible aujourd’hui, tout ce qui est possible : on ne peut aller plus loin sans rupture. »
34Il considère que « comme dans celle des nations, l’essentiel dans la vie des entreprises est de dépasser les affrontements : il est inutile de tuer pour convaincre38 ».
35Pierre Sudreau manifeste sa capacité à communiquer, en vrai lobbyiste. Il utilise tous les média (journaux, radio, télévision, etc.), pour populariser ses idées, davantage peut-être que son réseau de relations. Il veut s’adresser directement à l’opinion publique, connaissant les réticences des partenaires sociaux et des responsables politiques devant toute réforme. Il pense que la société est bloquée. Il en appelle au peuple afin que celui-ci fasse pression sur ses représentants. Dès le 26 juin 1974 il remercie J. Van Den Esch, journaliste à L’Aurore, suite à son article favorable de la veille : « Je sais que mon meilleur atout est l’appui de la presse39. »
Une réception controversée
36La conférence de presse a été confiée à Gilbert Carreyrou, qui a convié l’ensemble de la presse économique et sociale française et étrangère, soit 200 journalistes présents, ainsi que les radios, les trois nouvelles chaînes de télévision françaises et une chaîne allemande.
37Le rapport du Comité d’étude est apprécié de différentes manières quant à l’intérêt de son contenu. Il en ressort un grand scepticisme. Il reçoit quelques encouragements de la part notamment de Gilbert Mathieu qui, dans Le Monde du 14 février 1975, reconnaît « qu’il y a là matière à une bonne dizaine de lois cadres et à quatre ou cinq fois plus de textes d’applications » et conclut qu’il faut « s’adapter à son temps ».
38La presse étrangère porte un regard positif sur ces propositions qualifiées de libérales. Le Times du 17 mars 1975 titre : « Te man who is planning a french Revolution in industry » (par Charles Hardgrove), ou encore « Pierre Sudreau is that rare animal, a true liberal40 ». Le commissaire européen finn Olav Gundelach, le 3 février 1975, salue ce travail qui s’intègre bien au projet de Livre vert sur la 5e directive et qui a pour objectif la représentation des travailleurs au sein du Conseil de surveillance41. François Bloch-Lainé, son prédécesseur dans ce genre d’exercice, se contente d’un commentaire en termes généraux, renvoyant à son propre rapport de 1963 : « L’entreprise, la conjonction de l’avoir, du savoir et du labeur. »
39Les réactions sont beaucoup plus négatives de la part des partenaires sociaux envers un travail que Sudreau qualifie d’approfondi, et qui, selon lui, a été effectué de bonne foi, par un comité dont la volonté d’éclairer le sujet, l’entreprise, ne peut être remis en cause. La réaction du patronat est violente, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) en tête, qui parle de : « La toute-puissance de la démagogie, la confusion des pouvoirs et l’irresponsabilité introduite au cœur de l’entreprise, qui pourraient conduire à détruire l’économie française. » Et l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) de renchérir : « Il s’agit d’un cheval de Troie », tout comme le CNPF, dont le vice-président Yvon Chotard, se prononce contre la cogestion, contre la co-surveillance, mais en faveur de l’élection des membres du CE par les salariés, sans l’intermédiaire des syndicats. Cette position représente la ligne de défense du grand patronat, confirmée par Serge Dassault dans Le Nouveau Journal du 12 juillet 1975, où il présente son projet de « gestion participative » avec un « vote libre au premier tour de candidats présentés ou non par les syndicats42 » ! Ce chiffon rouge est agité devant les syndicats, qui ne peuvent pas accepter une telle régression du droit social remettant en cause leur monopole. Le CNPF, de son côté, envoie un questionnaire à ses adhérents pour connaître leur avis sur l’organisation des entreprises. Cette initiative n’aura aucune suite.
40Les syndicats de salariés ne sont pas plus favorables au travail du comité. Ils sont hostiles à la co-surveillance : ils ne veulent pas participer à la gestion. Ils préfèrent contrôler les patrons et leur gestion afin de s’opposer à eux dans les luttes qui leur permettent d’obtenir de nouveaux droits ou des augmentations de salaires. Le statu quo, front syndical contre front patronal, satisfait chacun des partenaires sociaux qui conservent ainsi leur clientèle au détriment d’une modernisation des rapports sociaux dans l’entreprise. Georges Séguy, le 12 février 1975, lance une campagne nationale de la CGT afin de transformer le mécontentement en actions revendicatives. Il considère dans L’Humanité du 17 février 1975 que
« seule la lutte des classes peut changer les rapports sociaux, il y a abandon de cette position en cas de conciliation, il n’y a qu’une solution, une lutte sans merci face à l’offensive de collaboration de classe du rapport Sudreau ».
41André Bergeron, au nom de FO, écrit à Sudreau le 31 mars 1976 : « La CGT et la CFDT sont dans une stratégie de rupture », mais ajoute que l’idée de co-surveillance mérite réflexion.
42Du côté des hommes politiques, le soutien n’est pas évident, même parmi les membres du gouvernement. Michel d’Ornano, ministre de l’Industrie, devant François Ceyrac, président du CNPF, déclare à Lyon le 24 avril 1975 : « Si le changement nous conduisait, ce serait désastreux. » Michel Rocard, en revanche, approuve l’orientation de ce rapport pour « l’accent mis sur l’importance des relations contractuelles dans l’entreprise, qui va tout à fait dans le sens de ce que nous pensons43 ». Cet avis positif est immédiatement contredit par Jean-Pierre Chevènement et surtout par Pierre Bérégovoy qui précise : « Le Parti socialiste n’a pas attendu Sudreau, notre Programme commun ayant été élaboré en 1972. »
43Le débat voulu par Giscard grâce à l’édition du rapport et la volonté de Sudreau d’aller au-devant des acteurs économiques, se manifestent dès le lendemain de sa présentation. Le 18 février 1975, une conférence-débat du Club d’Aujourd’hui obtient un franc succès auprès des PDG et directeurs généraux des entreprises françaises. Elle est suivie par celle de l’Association nationale des directeurs de personnels. Sudreau s’y montre pragmatique : « Maintenir sinon accroître son efficacité économique tout en développant ses attributions sociales, voilà le sens et la justification de notre travail » et de réaffirmer la place de l’homme dans l’entreprise : « Nous avons cherché à assurer la place des entreprises françaises dans l’économie mondiale. »
44Il conclut la première étape de sa « tournée de promotion » en présentant le 11 juin 1975 son rapport au Conseil économique et social, qui le valide par son vote, les représentants de la CGT, de la CFDT et de FO votant « contre ». Devant cette assemblée, il réitère son credo : « Il n’y a pas d’efficacité économique sans un meilleur équilibre social44. »
45Ses collaborateurs, les rapporteurs et lui-même vont continuer en 1976 et 1977 à présenter ce rapport en France, aux États-Unis, en Espagne, Italie, Belgique, Chine et au Japon. Il présente ce rapport en Angleterre le 23 juin 1977 afin de le confronter aux idées du Rapport Bullock sur le même sujet. Il est à Barcelone le 25 mars 1977, à Pékin et Tokyo en mai 1978 et à New York à la NYC Aspen Industry45.
Des lendemains décevants
46Sudreau a prévu en accord avec le Premier ministre, que les premières dispositions législatives auraient lieu à partir de septembre 1975. À cet effet, le 28 avril 1975, le rapporteur François Lagrange écrit à Raymond Soubie « qu’il serait opportun que le gouvernement, sans préjuger du fond, annonce son calendrier [et la] saisine du Parlement à la prochaine session de certains textes46 ».
47Il faut attendre le conseil restreint à l’Élysée du 2 mars 1976 pour qu’un cadre de réformes soit décidé47. Faute de volonté politique forte, la réforme se retrouve en panne. Sudreau se montre très déçu du comportement du gouvernement, qui annonce des mesures en faveur des PME sans aucune référence au travail du comité, puis le ministre du Travail, Michel Durafour publie quinze projets pour la réforme de l’entreprise, sans la consultation prévue des partenaires sociaux lors du conseil restreint. Le gouvernement semble vouloir réformer, mais sans mettre en avant Sudreau et son rapport. Celui-ci condamne cette attitude le 2 décembre 1976 : « C’est une erreur politique de lancer avec grand fracas une réforme puis de la laisser tomber ensuite », puis il garde le silence : il refuse de faire la campagne électorale des législatives de 1978 pour le CDS, demeure ulcéré de cet échec du comité et ne souhaite plus revenir au premier plan en politique48. Les seuls résultats tangibles ont été obtenus sur la sécurité du travail, les dispositions en faveur du travail manuel et surtout la loi du 12 juillet 1977 qui préconise un Bilan social dans l’entreprise chaque année49. En 1981, il reste des chapitres entiers qui n’ont pas été traités, même s’il y a encore des projets et études en cours. La pression du patronat a bloqué toutes les idées de réforme. Ambroise Roux, « le patron des patrons » (Les Échos) considérait qu’« avec la co-surveillance, l’entreprise serait syndicalisée, provoquant la paralysie de la direction des entreprises ».
48Le rapport du Comité Sudreau est ouvert, contenant des idées nouvelles de gestion, de conditions de travail, d’actionnariat, de statut juridique. Il est trop audacieux face au manque de volonté politique, et face aux rapports sociaux très politisés de cette période. Les positions sont clivées, elles ne permettent pas le dialogue nécessaire au bon fonctionnement de l’entreprise. Les archaïsmes l’emportent sur la nécessité de la concertation et de son corollaire le compromis50. Sudreau pourra trouver une amère satisfaction de voir une partie du travail effectué par le comité, repris par les lois Auroux en 1982-1983, qui n’intègrent que partiellement les idées avancées en 1974-197551. D’autres rapports suivront (Attali, Gallois), mais le rapport Sudreau reste l’un des seuls à s’être intéressé aussi à l’aspect humain, essentiel à la gestion d’une entreprise et à la prise en compte de tous ses aspects (capital, social, économique, juridique) et ses avancées vers une co-surveillance peuvent encore faire sens et être utilisées aujourd’hui. Cette réforme de l’entreprise, toujours actuelle mais toujours reportée depuis quarante ans, est-elle possible ou s’agit-il d’une impossibilité structurelle, inhérente à la société française ?
Notes de bas de page
1 L’Opinion, 19 août 2013.
2 Entretien du 29 avril 2014 avec Jean-Claude Guibal, ancien rapporteur du Comité d’étude pour la réforme de l’entreprise.
3 Alain Chatriot, « La réforme de l’entreprise », Vingtième Siècle, n° 114, avril-juin 2012 ; Archives nationales, papiers Sudreau, AN 91AJ/27.
4 En 1973, il y a dans le secteur privé 3,9 millions de journées de grèves, et, passée l’année électorale de 1974, on retrouve les mêmes chiffres en 1975 (source INSEE). À noter que les grèves du secteur bancaire, de l’usine Rateau et de la Poste sont encadrées et conclues par la CGT. Dans les années 1973-1975 la résistance ouvrière se heurte à la montée du chômage, aux stratégies syndicales et les espérances ouvrières se calent sur des objectifs électoraux. Cf. Xavier Vignat, L’insubordination ouvrière dans les années 1968, Essai d’histoire politique des usines, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.
5 Valéry Giscard d’Estaing, La Démocratie Française, Paris, Fayard, 1976.
6 Valéry Giscard d’Estaing a été secrétaire d’État lorsque Pierre Sudreau était ministre de la Construction et du Logement, puis en 1962 ministre des finances lorsque Pierre Sudreau est devenu ministre de l’Éducation nationale. Ils se sont connus dans le cadre de leurs fonctions respectives dans ces différents gouvernements pendant quatre ans.
7 Témoignage de Jean Serisé (Paris, 16 octobre 2013) ; celui-ci était alors chargé de mission auprès du président de la République.
8 Conférence de presse du 13 février 1975 (AN 91AJ/27).
9 AN 91AJ/27.
10 « Il ne tenait pas à se retrouver dans ce climat si particulier des postes ministériels », in Christiane Rimbaud, Pierre Sudreau, Paris, Le Cherche Midi, 2004, p. 202.
11 Cf. le texte de Danièle Fraboulet dans le présent ouvrage.
12 Le réseau relationnel de Pierre Sudreau est constitué d’une part, des anciens résistants et déportés de Buchenwald, toutes tendances politiques confondues, et d’autre part de sa famille politique et des milieux avec lesquels le mettent en contact ses diverses présidences. Il est lié à Edgar Faure, président de l’Assemblée nationale (udr) de 1973 à 1978, et a été son directeur adjoint en mai-juin 1955. Edgar Faure et lui ont voté « non » à de Gaulle en 1962, « par scrupule démocratique » au référendum sur l’élection au suffrage universel du président de la République. Il participe au Mouvement des réformateurs qui préconise « la lutte contre le pouvoir héréditaire du capital », par la réforme de l’entreprise et rêve de la « réforme comme Révolution ». Il est proche du centre Démocratie et Progrès de Jacques Duhamel, qui voulait créer une société « prospère, généreuse et pleinement sociale loin de l’archaïsme et du conservatisme d’une société bloquée » (Michel Crozier, La Société Bloquée, Paris, Le Seuil, 1970). Il est président du comité permanent des Foires et Manifestations économiques à l’étranger (1973-1995), président du groupement pour la promotion de la coopération industrielle entre la France et le Japon, président de l’Organisation française du mouvement européen en 1968, puis président d’honneur après 1972, et enfin président de la Fédération de l’industrie ferroviaire de 1963 à 1996.
13 AN 91AJ/27, préparation à son interview au Monde du 15 juillet 1974.
14 Ibid., correspondance avec Jacques Chirac.
15 Dès 1950, un premier rapport sur La réforme de l’Entreprise est élaboré au Conseil économique et social par Georges Lasserre (1902-1985). Il veut que la réforme de l’entreprise soit très approfondie, « qu’elle porte sur la souveraineté même de l’entreprise ». La CGT, elle, dénonce l’association du Capital-Travail comme ayant un caractère fasciste ». En 1963, François Bloch-Lainé, dans son ouvrage Pour une Réforme de l’Entreprise (Paris, Le Seuil, 1963), fait la synthèse des réflexions issues du club Jean Moulin. Il est favorable à un gouvernement de l’entreprise et effectue un parallèle entre la gouvernance d’un État qu’il connaît bien en qualité de haut fonctionnaire et celle d’une entreprise. Toujours en 1963, Michèle Aumont décrit le monde de l’entreprise en commençant par la base dans Construire l’Entreprise (Paris, Fayard, 1963), livre qu’elle termine par un appel au consensus, facteur dynamique et nécessité vitale pour l’entreprise. Une autre approche est celle du « Livre blanc » au sujet de l’autorité dans l’entreprise, écrit par Michel Debargue, du CJD (Centre des jeunes dirigeants d’entreprises), qui paraît en juillet 1974. Pierre Sudreau va utiliser les travaux du CJD dans la préface de son rapport.
16 Nadine-Josette Chaline, Jean Lecanuet, Paris, Beauchesne, coll. « Politiques et Chrétiens », 2000.
17 AN 5 AG 3/2101, papiers de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, note d’Olivier Fouquet à V. Giscard d’Estaing, 11 juillet 1974.
18 AN 91AJ/28, note sur le travail du comité.
19 AN 91AJ/27, note relative à l’entretien du 9 juillet 1974 avec Jacques Chirac, Premier ministre.
20 AN 91AJ/28, note du 12 juillet 1974.
21 AN 91AJ/27.
22 D’après les articles de presse conservés dans les papiers Sudreau, AN 91AJ/27. Cf. François Ceyrac (président du CNPF) le 15 juillet 1974 : « Il s’agit d’une réforme de gauche qui donne un pouvoir renforcé au Comité d’Entreprise. » François Bloch-Lainé le 21 août 1974 : « Pierre Sudreau propose une “magistrature économique”, rattachée au Conseil économique et social », et le 21 septembre 1974, il lui demande de ne pas « confondre citoyenneté politique et citoyenneté économique ». Michel Durafour, ministre du Travail, surenchérit lors d’un entretien en juillet 1974 avec Philippe Bauchard et Émile Favard du magazine L’Expansion : « Les représentants du capital, les grands directeurs, les manageurs et le CE pourraient constituer un parlement de l’entreprise qui pourrait élire le patron. » Serge Dassault, le 23 juillet 1974, préconise le lien direct avec le personnel, un enrichissement des tâches, la responsabilité donnée à de petits groupes, et un intéressement du personnel afin d’améliorer la productivité et les résultats financiers. Ambroise Roux, de la CGE (Compagnie générale d’électricité) et qui dirige la commission économique du CNPF, est d’accord sur la démarche du comité Sudreau, mais estime que la formule de cogestion à l’allemande n’est qu’une « cote mal taillée qui ne règle aucun problème avec deux représentants de salariés ». Il propose un « conseil du personnel » qui évoquerait tous les sujets, sauf le capital. François Dalle, PDG de l’Oréal, utilise le 13 septembre 1974 une métaphore biologique : « L’entreprise est un micro-organisme. » José Bidegain dans Entreprise et Progrès du 17 septembre 1974 est pour une « politique nataliste ». Quant à Henri Krasucki de la CGT le 2 octobre 1974, il est hostile…
23 AN 91AJ/27.
24 AN 5 AG 3/2101, archives d’Olivier Fouquet, lettre du 17 juin 1974.
25 AN 5 AG 3/2101. Les membres du comité liés aux syndicats participent, mais sans mandat de représentation. Ils sont au nombre de cinq : Albert Detraz, secrétaire confédéral CFDT, responsable du secteur politique confédéral en 1974 et qui vient de prendre sa retraite. C’est une personnalité jugée brillante par Olivier Fouquet – Pierre Jouven, président de Pechiney-Ugine-Kuhlmann, premier groupe industriel français (Chimie) dirigeant du CNPF – Roger Lerda, secrétaire confédéral FO de 1969 à 1989. En fait, Antoine Laval, considéré par Yves Cannac comme le meilleur au sein de FO sur ce sujet, a été proposé par André Bergeron, mais Pierre Sudreau a estimé que FO s’engageait trop en désignant le numéro 2 de l’organisation. Le choix de Roger Lerda est confirmé par une note au Premier ministre le 16 juillet 1974, En effet, André Bergeron ne veut pas « griller » Antoine Laval dans une mission à laquelle il ne croit guère – Jean Mouzin, membre de la CGC. Il a été proposé par André Malterre, mais Olivier Fouquet aurait préféré Jean-Jacques Descamps, de Dolfus Mieg. Le commentaire d’Yves Cannac, alors secrétaire général-adjoint à la présidence de la République, confirme qu’il s’agit d’une erreur de manœuvre de Pierre Sudreau, qui n’aurait pas dû demander son avis au président de la CGC, André Malterre… La CGT, qui a refusé de participer au comité, a accepté de faire connaître sa position et répondre aux questions. Pour la CGT, toute réforme de l’entreprise est suspecte d’être entachée de « collaboration de classe ». – Jean-Claude Guibal (directeur de Cetramar) rapporteur du comité Sudreau en 1974-1975, puis délégué général de la Fédération des industries ferroviaires de 1975 à 1991 (en 2015, il est député-maire de Menton).
26 La réforme de l’entreprise, Paris, La Documentation française, 1975, p. 16.
27 AN 91AJ/31.
28 Le 3 février 1975, M. finn Olav Gundelach de la Commission européenne salue le travail de Pierre Sudreau. Il prépare un rapport dénommé « Livre vert » sur les différentes tendances chez les états membres au sujet de la création d’une société de droit européen (SA européenne). En sus du directoire et du conseil de surveillance, pourraient s’ajouter la délégation économique du comité d’entreprise et la co-surveillance proposés par le rapport Sudreau.
29 AN 5 AG 3/2101.
30 Conférence de presse du 16 mai 1967.
31 AN 5 AG 3/2101.
32 AN 91AJ/32.
33 Le rapport contient les préconisations suivantes : changer les conditions et les relations de travail ; reconnaître le syndicat comme partenaire ; ouvrir une nouvelle voie de participation : la co-surveillance ; accroître les moyens d’expression des actionnaires ; créer des procédures d’alerte.
34 AN 91AJ/32.
35 Ibid.
36 Ibid.
37 Ibid.
38 Ibid.
39 AN 91AJ/28.
40 AN 91AJ/33.
41 AN 91AJ/28.
42 AN 91AJ/33-34.
43 Le Monde, 18 février 1975.
44 AN 91AJ/33-34, intervention au Conseil économique et social du 11 juin 1975.
45 AN 91AJ/35.
46 AN 91AJ/28.
47 Claude Pierre-Brossolette, secrétaire général de l’Élysée, fait parvenir à Pierre Sudreau le relevé des décisions du Conseil restreint du 2 mars 1976 sur la réforme de l’entreprise : présentation éventuelle d’un Livre blanc par le gouvernement – Projet de loi sur la sécurité du travail – Création du Bilan social avec établissement d’une liste des indicateurs sociaux qui le constitueront – Création d’un droit d’expression des travailleurs sur les conditions et le contenu de leur travail – Les cadres et agents de maîtrise devront être formés aux responsabilités nouvelles – Limitation à quatre ans de la durée des mandats des Conseils d’administration et de surveillance et limitation du cumul des mandats – Établissement de documents prévisionnels de gestion – Les commissaires aux comptes seront désignés par le président du Tribunal de commerce – Le Comité d’entreprise pourra saisir le chef d’entreprise d’une demande d’explication sur une évolution préoccupante de l’entreprise.
48 AN 91AJ/36.
49 Le 6 décembre 1976, une première loi est votée sur la « Sécurité du travail », ainsi que la loi du 12 juillet 1977 sur le « Bilan Social ». Liaisons Sociales (8 décembre 1978) fait le bilan des mesures prises en relation avec les 70 propositions du rapport : 48 mesures législatives – 25 mesures réglementaires – quelques recommandations.
50 Jean-Pierre Rioux constate « que la réforme fiscale ou celle de l’entreprise n’ait pas été réalisée montre qu’après les chocs pétroliers et la crise et le chômage, le libéralisme avancé s’est fait plus défensif » (Les Centristes de Mirabeau à Bayrou, Paris, Fayard, 2010, p. 160). Le président Giscard d’Estaing, joint par l’intermédiaire de son directeur de cabinet, M. Olivier Revol, n’a pas désiré nous faire part ni des raisons qui ont déterminé le choix de Pierre Sudreau, ni des difficultés rencontrées pour la mise en œuvre des recommandations du Comité.
51 Les lois Auroux : Droit d’expression des salariés dans l’entreprise : le 4 août 1982 – Les institutions représentatives du personnel : le 28 octobre 1982 – Obligation annuelle de négocier les salaires dans les entreprises : le 13 novembre 1982 – Naissance des CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) : le 23 décembre 1982.
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