La résistance (1940-1943)
p. 23-42
Texte intégral
1Responsable pour la zone nord du réseau de renseignement Brutus, déporté en 1944 au camp de concentration de Buchenwald, Pierre Sudreau appartient à une génération de résistants ayant accédé très jeunes, dès la Libération, à des responsabilités politiques ou administratives importantes.
2Cerner ce que son parcours d’après-guerre doit à son itinéraire dans la Résistance est une question d’autant plus légitime, dans son cas, que Brutus est atypique parmi les réseaux de la France libre. Il appartient à une nébuleuse résistante qui s’est développée autour du Comité d’action socialiste (CAS). Marginalisée par les autres grandes « familles » de la Résistance, autant par les communistes que par les grands mouvements de zone sud qui fusionnèrent dans les Mouvements unis de Résistance, cette mouvance socialiste est très riche, tant par les diverses actions déployées que par la réflexion menée sur les projets de l’après-guerre, mais est demeurée très composite. Il suffit pour s’en rendre compte de mentionner ses principaux éléments : un parti reconstitué clandestinement, un mouvement de résistance (Libération-Nord), un réseau de la France libre (Brutus) qui fut aussi la première organisation à formaliser un projet d’une représentation unifiée de la Résistance, une formation de lutte armée (les groupes Véni)1.
3Incontestablement, au retour de déportation de Pierre Sudreau, sa carrière est étroitement liée aux opportunités que lui offrent les résistants socialistes au pouvoir. Étudiant avant la guerre, Sudreau a suivi un cursus le destinant à l’inspection des Finances, poursuivi sous l’Occupation ; en 1943, il a occupé un emploi au ministère de l’Intérieur, sollicité parce qu’utile à ses activités clandestines2. En 1945, son avenir professionnel fait l’objet, selon ses propres dires, d’un entretien entre deux socialistes3 : Gaston Defferre, un des anciens chefs de Brutus, et Adrien Tixier, ex-Français libre alors ministre de l’Intérieur, qui le réclame pour son administration. Sudreau est nommé en juin 1945, à vingt-six ans, sous-directeur du personnel de la Sûreté nationale, avec le statut d’un sous-préfet hors classe4. Le départ du général de Gaulle en janvier 1946 et la formation du gouvernement Félix Gouin changent l’affectation de Pierre Sudreau, mais non ses « patrons » : il devient directeur de cabinet de Gaston Defferre, secrétaire d’État à la présidence du Conseil chargé de l’information, tout en étant nommé directeur général adjoint du SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, ex-DGER : Direction générale de la sécurité extérieure), organisme rattaché à la présidence du Conseil et dirigé par le député socialiste Henri Ribière5. Puis, en 1947, il rejoint définitivement l’Intérieur, toujours « fief » socialiste6, d’abord au poste de directeur de l’administration et des affaires générales de la Sûreté nationale, et à partir de 1949 comme directeur des services financiers et du contentieux du ministère.
4Que les débuts fulgurants de Pierre Sudreau dans la haute fonction publique soient liés à ses liens avec la mouvance « socialiste résistante » est donc incontestable. Or, on ne trouve aucune trace d’un militantisme, ni même d’une conviction partisane affirmée chez le jeune Sudreau avant la guerre : dans une vision rétrospective peu complaisante, il se traitera lui-même d’« affreux petit bourgeois » gâté par sa mère et dont la guerre a rompu la chrysalide7 – certes pas indifférent à la montée des périls extérieurs mais « ne se sent[ant] pas encore directement concerné par les péripéties de la vie politique intérieure française8 ». C’est donc bien dans la spécificité de son engagement résistant qu’il faut chercher la clé de son destin d’après-guerre.
5Les sources concernant ses activités précises dans la Résistance sont relativement maigres ; en cela il ne se distingue pas de l’immense majorité des résistants, y compris des « cadres » des réseaux et des mouvements. En dehors des archives générales du réseau Brutus explorées par Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, qui éclairent le contexte de son action, elles se divisent en deux blocs : d’une part les formulaires remplis dans les années 1945-1950 pour l’homologation de ses services dans la Résistance9, et d’autre part quelques témoignages – pour l’essentiel assez tardifs (à partir des années 1980), à commencer par le sien10. Ses souvenirs, dans leurs différentes versions, ont en commun de mettre surtout l’accent sur l’action collective de Brutus et de rendre hommage à ses camarades morts, avec un passage fréquent du « je » au « nous » ; la description de son propre itinéraire est articulée autour de quelques faits marquants et de ses rencontres avec de grandes figures de la Résistance.
L’École de l’Air, l’armistice et les tâtonnements (1940-1941)
6Pierre Sudreau est né à Paris en 1919 au sein d’une famille d’industriels. Son père meurt alors qu’il n’a que quatre ans. Sa mère reprenant les activités paternelles comme chef d’entreprise – fait plutôt rare à l’époque –, Sudreau passe son enfance et son adolescence au pensionnat du lycée Hoche de Versailles. Après son bac, obtenu en 1936, il mène des études brillantes : histoire (certificats d’histoire moderne à la faculté de Lettres de Toulouse), licence en droit à Paris, le tout cumulé en 1938-1939 avec les cours de l’École libre des sciences politiques dans la perspective d’une préparation à l’Inspection des Finances11. La seule influence qu’il met en exergue durant ces années d’avant-guerre est celle de Saint-Exupéry, relation épistolaire puis directe, d’adolescent à adulte ; l’écrivain semble avoir joué pendant un temps le rôle d’un père de substitution pour le jeune pensionnaire isolé, mais s’il lui attribue un rôle décisif dans son éducation morale, il ne cite rien qui aille dans le sens de l’éveil à un intérêt pour la chose publique12.
7En octobre 1939, alors qu’il vient de se marier, il est appelé dans l’infanterie. Élève-officier de réserve, il demande sa mutation dans l’armée de l’Air et est affecté en avril 1940 à l’École de l’Air, alors à Versailles. En juin, il suit le repli de l’École de l’Air, sa nouvelle affectation étant l’École d’observation 151, sur le terrain des Landes de Bussac, annexe de Bordeaux-Mérignac. C’est là qu’après l’armistice, les circonstances lui offrent un premier choix : une vingtaine de ses camarades, qui ont décidé de fuir par avion vers Londres ou l’Afrique du Nord, l’invitent à partir aussi. Sans nouvelles de sa jeune femme enceinte, il renonce. Dans tous ses témoignages, Pierre Sudreau insistera sur cet épisode traumatisant, comme déclencheur de ses tentatives ultérieures pour « faire quelque chose » en métropole13.
8Dans l’été 1940, Sudreau est mobilisé dans l’armée d’armistice et nommé aspirant de réserve. Il est muté à la base aérienne d’Agen, base de stockage d’une partie du matériel de l’armée de l’Air. Il y restera rattaché jusqu’à sa démobilisation en avril 1942. Sur cette période, les traces les plus précises de ses premières activités résistantes se trouvent dans le formulaire qu’il remplit à son retour de déportation pour la DGER :
« Avec quelques camarades de l’École de l’Air, à laquelle nous appartenions encore à cette époque, j’ai posé en juillet 1940 le principe de la Résistance à l’ennemi ; et nous avons formé un petit groupe qui comprenait notamment
Aspirant Théophile Turrier – Tué par la Gestapo en 1942.
Aspirant Buttin – J’ignore ce qu’il est devenu – disparu depuis 1942
Aspirant Leroy – Déporté à Buchenwald en janvier 1944, disparu.
Aspirant Pierre F. Bernard, déporté, mort en Allemagne le 9 avril 1945
Aspirant André Clavé, déporté ;
Et moi-même.
Notre petit groupe fut très vite séparé, dès octobre 1940, par suite des mesures de démobilisation. J’ai ainsi perdu complètement de vue André Clavé jusqu’en juin 1943.
Mobilisé moi-même jusqu’en avril 1942, nous étions parvenus, avec Théophile Turrier et Pierre F. Bernard à constituer un petit groupe de sabotage, qui systématiquement, d’octobre 1940 à avril 1942, s’efforça et souvent arriva à saboter le matériel aérien stocké à la Base Aérienne d’Agen, et livré aux Allemands. Nous avions réussi pareillement à constituer quelques petits dépôts d’armes et d’essence, détournés des stocks destinés aux Allemands. Pierre F. Bernard et moi-même en 1941, nous faillîmes deux fois être arrêtés par les services spéciaux de Vichy. L’affaire fut classée grâce à l’heureuse intervention du capitaine Delermont, actuellement Colonel. À partir de juin 1941, j’eus un peu plus d’activité, dans le cadre de la région du Sud-Ouest, grâce au groupe “Victoire”, et en liaison avec le commandant Tabouis, ami personnel du général de Lattre de Tassigny.
Cependant, je n’ai commencé à avoir une activité intéressante qu’à partir du moment où je fus contacté par le réseau Froment en septembre 1942 : en effet, malgré tous nos efforts, tout ce que nous avions fait, de 1940 à 1942, n’avait jamais dépassé le cadre local du Sud-Ouest (Bordeaux, Agen, Toulouse)14. »
9Dans les années 1980, Pierre Sudreau reviendra sur toute cette période d’avant son entrée dans le réseau Brutus (Froment) pour réaffirmer la précocité de son engagement, mais sans détailler la forme qu’il a prise, sauf à propos d’une action précise : le camouflage d’armes, fin 1940, avec l’aide d’un autre aspirant et chez des paysans de Laplume, bourg proche d’Agen qui était son premier lieu de cantonnement15. En fait, cette action sera alors surtout mentionnée pour faire comprendre son état d’esprit à l’époque : « À quoi serviront ces armes ? Il n’en a pas la moindre idée. […] C’est en tâtonnant, pas à pas, qu’il cherche des pistes, pour s’engager davantage16. »
10Le laconisme de Sudreau, devenu mémorialiste, à propos de cette période s’explique sans doute à la lumière de l’appréciation modeste qu’il porte sur elle en 1945 : ses activités « intéressantes » n’auraient commencé qu’avec Brutus. Une telle remarque, dans un rapport destiné aux services de renseignement français à la Libération, peut simplement signifier que son action antérieure à Brutus n’était pas directement liée à un réseau Français libre ou allié. Cette explication paraît vraisemblable au vu de l’histoire du groupe Victoire, auquel il déclare avoir appartenu, dans ce formulaire comme dans ses dossiers d’homologation d’après-guerre17, mais sans plus y faire allusion ensuite. Des recherches récentes attestent une mémoire régionale de ce groupe, qui a été créé en 1941 à Agen autour d’un noyau de militaires de l’armée d’armistice. Il semble avoir eu une action autonome avant de naviguer entre diverses allégeances de 1942 à 1944, de Brutus aux groupes Véni18. Cependant, il n’a pas été homologué, cas qui correspond généralement soit à des groupes qui n’ont pu prouver que leurs actions ont rendu effectivement service à la cause alliée, soit à des groupes rattachables à d’autres organisations ; par son histoire, le groupe Victoire paraît bien correspondre successivement au premier puis au second cas de figure19.
11Une hypothèse peut être émise sur cette première période de l’engagement de Pierre Sudreau, compte tenu des spécificités du milieu de l’armée d’armistice. Bien des actions (camouflage de matériels et d’effectifs, plan de mobilisation) y ont été menées dans une perspective de revanche future, avec la conviction qu’elles correspondaient aux intentions réelles du Maréchal. Au sein de l’armée de l’Air, cette conviction a été d’autant plus constamment entretenue par la hiérarchie qu’elle dut faire face à une vague de désertions chez ses pilotes après l’armistice20. Ces présupposés partagés par de nombreux militaires se sont effondrés en novembre 1942, avec l’acceptation de l’invasion de la zone sud par Pétain et son gouvernement. Les actions qui avaient été effectuées dans un tel cadre pouvaient donc devenir difficiles à revendiquer après la guerre, surtout si elles n’étaient pas rattachables à un des grands services clandestins de l’ex-armée d’armistice homologués21.
12Dans un de ses témoignages, portant sur l’année 1941, Pierre Sudreau paraît faire indirectement allusion à ce poids du milieu de l’armée d’armistice. Ce qu’il dit de l’atmosphère générale en métropole s’applique assurément au premier chef à ce contexte bien particulier :
« Quand on vous parlait du Maréchal, quand nous étions un certain nombre à dire : “Mais peut-être que ça pourrait se passer autrement”, qu’est-ce qu’on répondait, je fais appel à vos souvenirs ? On répondait : “Mais un Maréchal de France ne peut pas trahir.” La stature historique de Pétain a fait un mal terrible à l’éveil de la France et de la Résistance. C’est ça la réalité de Vichy en dehors de tout le reste. En 41, Pétain était là22. »
13Ces limites rencontrées par bien des militaires souhaitant résister à l’intérieur de l’armée d’armistice pourraient expliquer que Pierre Sudreau ne fasse plus allusion à son groupe d’aspirants ni au groupe Victoire dans ses témoignages des années 1980. Et cela expliquerait aussi que les seuls autres témoignages qu’on ait sur la base aérienne d’Agen, ceux des aspirants Beuvelet et Chrétien, soient tout aussi affirmatifs que Sudreau sur la précocité de la constitution d’un groupe (dès 1940) tout en étant embarrassés pour qualifier son action avant 1942 (« un petit groupe anti-allemand prêt à toute éventualité », « un groupement […] prêt à toute action éventuelle23 »).
14Un autre élément vient à l’appui de cette hypothèse d’une gêne devant l’évocation d’actions internes à l’armée d’armistice : le fait que Sudreau et Beuvelet mettent tous deux en avant dans leurs témoignages des années 1980 une affiliation précoce à Brutus (1941), comme pour rallonger la période de leur rattachement à la France libre, et cela en contradiction avec les indications qu’eux-mêmes ont donné en 1945. Ces contradictions doivent néanmoins être examinées de près, car la question de la date d’entrée « dans » un réseau de résistance n’est pas si simple.
15Le rattachement des aspirants de la base d’Agen à Brutus date de l’automne 1942 et se fait par l’intermédiaire de Jean Hausseguy, membre du réseau alors enseignant au lycée d’Agen, selon la déclaration de Sudreau en 194524, que confirme un rapport un peu postérieur du commandant Raoul Prat, officier sur la base25. Cependant, dans ses témoignages tardifs, Pierre Sudreau lui-même fera remonter son engagement dans Brutus à une première rencontre avec André Boyer dès mai 1941, au cours d’une permission à Marseille ; Boyer lui aurait été recommandé parce qu’il avait accepté, en tant qu’avocat, de défendre un pilote ayant tenté de rejoindre l’Angleterre en s’emparant d’un avion26. Or, à première vue, les souvenirs de Pierre Beuvelet pourraient venir à l’appui de cette nouvelle version puisque celui-ci y affirme que son propre recrutement officiel dans Brutus, en octobre 1942, a été précédé d’un an de mise à l’épreuve par le réseau27.
16Les historiens de Brutus, Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, relèvent que Beuvelet n’est pas le seul membre du réseau à faire état de ces périodes de mise à l’épreuve, non prises en compte dans leurs services reconnus28. Elles correspondent sans doute à des missions ponctuelles non encore suivies de recrutement formel tant que l’intéressé n’a pas fourni d’éléments convaincants sur son utilité future pour l’organisation. Il est normal, en tout état de cause, que les réseaux de renseignement aient été plus exigeants, et donc plus lents, que les mouvements quand ceux-ci recrutaient des diffuseurs pour leur presse.
17Mais si la première rencontre Sudreau-Boyer a bien eu lieu en mai 1941, on ne peut tenter d’apprécier sa portée – en l’absence du témoignage d’André Boyer, décédé en déportation – qu’en référence aux éléments connus sur l’histoire de Brutus. Ceux-ci tendraient plutôt à indiquer que cette rencontre n’a pas eu d’effet immédiat en terme de travail pour le réseau et n’a été, au mieux, qu’exploratoire.
18Car à cette date, Brutus en est alors à ses balbutiements : Pierre Fourcaud, envoyé de la France libre, a rencontré, en mars ou avril 1941, deux avocats marseillais liés par l’amitié : un militant socialiste, Gaston Defferre, qui s’occupe dès lors de recruter dans sa famille politique et chez les syndicalistes, et André Boyer, homme de gauche non encarté, Croix de Guerre 1940, qui paraît se charger, entre autres milieux, des informateurs potentiels au sein de l’armée d’armistice29. Or, dans un premier temps, les résultats concernant celle-ci semblent maigres. Boyer n’en fait pas mention lorsqu’il rencontre un agent de Londres, Pierre Julitte, après l’arrestation de Fourcaud à l’été 1941 : il présente l’organisation, alors dénommée « Fleurs » (par référence à Léon Blum) comme un service de renseignement recrutant au sein de la SFIO30. Et en décembre 1941, c’est parmi des militants socialistes que semble exister sa seule antenne à Agen31. Si la filière « armée d’armistice » paraît avoir été plus longue à se mettre en place, c’est sans doute d’abord parce que les conditions n’étaient pas encore remplies pour qu’à Agen ce groupe d’aspirants de la base aérienne devienne des agents de la France libre. Il n’est même pas besoin de postuler qu’ils étaient encore « maréchalistes » eux-mêmes. La pression de l’encadrement local pour exclure toute action en dehors du cadre strict de l’armée d’armistice pouvait suffire32.
19Dès lors, cette rencontre Sudreau-Boyer de mai 1941 appartient, selon toute probabilité, à une réalité historique qu’on ne fait souvent qu’entrevoir : celles des contacts « sans suite » entre résistants, qui ne débouchent pas sur une action commune parce que la situation ne s’y prête pas encore, alors que les mêmes individus se retrouveront ensuite et, dans un nouveau contexte, travailleront ensemble. Dans les souvenirs des résistants, ces premiers contacts infructueux sont souvent passés sous silence, parce que jugés rétrospectivement insignifiants. Parfois – et cela pourrait être le cas ici – ils sont évoqués et survalorisés, notamment lorsqu’un des deux protagonistes est engagé dans une forme de résistance informelle ou plus ou moins liée aux services de l’armée d’armistice et que l’autre est un agent Français libre ou allié33.
Sillans, agent puis responsable en zone nord de Brutus (1942-1943)
20Avant d’en venir aux activités de Pierre Sudreau au sein de Brutus, il convient de rappeler le caractère très particulier de ce réseau de renseignement, par un bref survol de son développement. La plupart des réseaux ont une marge d’initiative réduite à l’exécution des missions assignées par le service extérieur qui les chapeaute – en l’occurrence, pour Brutus, le SR (puis BCRA, Bureau central de renseignements et d’action) de la France libre. Brutus s’en distingue parce que son recrutement politiquement très ciblé va en faire un enjeu pour la résistance socialiste. À la suite de l’arrestation de Pierre Fourcaud en août 1941, son frère Boris se voit confier la direction du réseau en décembre, avec Boyer comme bras droit. En fait, ce dernier devient vite le responsable « renseignement », Boris Fourcaud se consacrant au développement d’une branche « action » dont les éléments les plus durables seront les groupes Véni, nés dans le Lot34. Les milieux socialistes sont une source essentielle de recrutement, en particulier dans les grandes villes de la zone Sud (Marseille et Toulouse). Or, c’est un vivier dans lequel puise au même moment Daniel Mayer pour constituer, à partir du printemps 1941, un Comité d’action socialiste (CAS) clandestin.
21L’influence du CAS ne tarde pas à se faire sentir au sein de Brutus, d’autant que les socialistes résistants se sentent menacés de marginalisation par l’effet indirect des directives de Léon Blum qui les incitent à ne pas créer d’organisation concurrente des mouvements de résistance, mais à laisser les militants de la SFIO s’engager au sein des mouvements. En mai-juin 1942, c’est par Brutus que s’exprime la réaction des socialistes aux contacts établis entre les envoyés politiques de la France libre et les grands mouvements de résistance en zone sud : le réseau transmet à Londres un premier projet d’un « comité national » de la Résistance rééquilibrant les forces, en faisant leur place aux partis et syndicats traditionnels aux côtés des mouvements. Rejeté par Jean Moulin, alors hostile à la présence des anciens partis politiques, il préfigure le futur Conseil national de la Résistance, formule qui s’imposera en 194335. André Boyer continue à défendre ce projet lors d’un séjour à Londres en janvier 1943, séjour très « politique » à l’occasion duquel le colonel Passy lui fait comprendre qu’en tant que chef de réseau il peut se faire l’interprète des inquiétudes des socialistes de zone sud mais non le porte-parole du CAS36. Cela n’empêchera pas les socialistes d’utiliser Brutus à l’automne 1943 pour tenter de peser d’un poids équivalent à la mouvance communiste, représentée au CNR par un parti (le PCF), et un mouvement-relais (le Front national). Ils tenteront en particulier de faire admettre comme mouvement (sous l’étiquette « La France au Combat ») l’ensemble constitué par Brutus et les groupes Véni afin que cette organisation devienne le quatrième pilier des Mouvements unis de Résistance de zone sud37.
22Ce contexte très politique n’empêche pas que la crédibilité de Brutus, comme pour tous les réseaux de renseignement de la France libre, dépendait avant tout de sa capacité à fournir des informations militaires. Ceci explique que dès sa création en 1941, ses responsables aient cherché à étendre ses activités de renseignement à la zone occupée38. À l’automne 1942, moment où Pierre Sudreau est à coup sûr recruté par Brutus, André Boyer y dispose déjà de trois antennes. La plus ancienne a été créée par un jeune officier, Jean Bouchez et reprise après l’arrestation de celui-ci par le docteur Poupault ; elle couvre le triangle Paris-Lille-Normandie39. La seconde est l’antenne parisienne du sous-réseau constitué dans le sud-ouest par Gaston Vedel, lequel, ancien pilote, vient de trouver à Paris des contacts dans l’industrie aéronautique40. La troisième est en développement dans le Nord grâce à Eugène Thomas (Tulle), déjà responsable du réseau pour la région de Toulouse et député socialiste du Nord41.
23André Boyer gardera pendant longtemps encore plusieurs organisations travaillant parallèlement en zone occupée, sans doute à la fois pour recouper les renseignements obtenus et par souci de sécurité : le recrutement socialiste entraînait des interactions fréquentes avec d’autres organisations clandestines (Libération-Nord, le CAS de zone nord), accroissant les risques de « contamination »» en cas d’arrestations. La nomination d’un chef unique pour la zone nord interviendra seulement après les arrestations quasi-simultanées du docteur Poupault et d’Eugène Thomas en mai 1943. C’est justement Pierre Sudreau qui assumera cette fonction42.
24Mais pour expliquer cette nomination qui fait alors de Sudreau un des principaux cadres de Brutus, nous disposons de peu d’éléments sur ses attributions antérieures, à partir de l’automne 1942. L’intéressé en est partie responsable, car ce n’est que dans sa déclaration à la DGER de 1945 qu’il en fait état de façon précise :
« De septembre 1942 à avril 1943, j’ai effectué des liaisons pour le réseau Froment-Brutus et j’ai surtout fait fonction d’agent de renseignement pour la région du Sud-Ouest43. »
25Dans ses témoignages tardifs, Pierre Sudreau restera silencieux sur ces missions effectuées dans le sud-ouest et laissera entendre qu’il a été envoyé dès l’automne 1942 en zone occupée pour créer une nouvelle antenne de Brutus44. Cette contradiction peut n’être que partielle, dès lors qu’on suppose que parmi les liaisons confiées dès l’origine à Sudreau45, il y avait sans doute déjà des voyages en zone nord, qui ont préparé le terrain à sa prise de fonction en mai-juin 194346. Cependant, on a aussi l’impression que la nouvelle version donnée par le mémorialiste Sudreau, qui anticipe clairement de plusieurs mois le recrutement de son principal adjoint André Clavé dans le réseau47, s’explique par la volonté d’amplifier les mérites de la petite équipe de trois hommes dont il s’entoura alors : leurs services homologués – qui peuvent, rappelons-le, ne pas refléter la totalité de leur engagement dans la résistance – ne durent que de juin à novembre 1943, date de leur arrestation48. La reconnaissance, le sentiment de la dette et la fidélité à ces disparus animent sans doute aussi cette reconstitution tardive développée dans ses souvenirs.
26Toujours est-il que cela laisse entière la question des tâches précises de Pierre Sudreau jusqu’en avril 1943, qu’aucune autre source ne vient éclairer. En tout état de cause, les premières missions qui lui ont été attribuées dans Brutus ont dû être suffisamment concluantes pour qu’André Boyer lui confie en mai 1943 la réorganisation de la zone nord autour d’un centre unique. Quelles sont les autres raisons qui ont pu le pousser à choisir ce jeune « fort en thème », âgé de vingt-trois ans ? Pierre Sudreau dispose à coup sûr de plusieurs atouts importants : père de famille (son épouse a donné naissance à un fils en juillet 1940), il ne fait guère de doute qu’il est à l’abri de tout souci financier grâce sa mère ; le jeune couple dispose en particulier dans la capitale de l’appartement qu’elle a acheté avant-guerre à son fils rue Galilée, non loin des Champs-Élysées49. D’autre part, il a déjà accepté de se mettre à la totale disposition du réseau, puisqu’il a le statut d’agent « P2 » dès l’automne 194250. Enfin, il est politiquement vierge, ce qui est un double avantage, en termes de sécurité (par rapport à un militant politique qui risquerait d’être déjà fiché) mais aussi de possibilité d’infiltration : de fait, à l’été 1943 il parvient se faire embaucher à la délégation du ministère de l’Intérieur en zone occupée, à un poste qui lui permettra notamment d’accéder aux rapports des préfets51.
27Les rapports d’André Boyer à Londres indiquent que la réorganisation de la zone nord a d’abord été partagée entre Sudreau et Marc Dubruel, un autre agent de Brutus venu comme lui de zone sud52. Sudreau – désormais Sillans, Saillans, ou Silence – est néanmoins rapidement présenté comme le chef unique, avec comme adjoints Henri Mulvidson et André Clavé53. Du rôle exact de Mulvidson, avocat au barreau de Grenoble, nous ne savons rien54, y compris dans les témoignages de Sudreau. En revanche, celui-ci est bien plus disert sur Clavé et deux autres recrues, Michel Bauer et Pierre-François Bernard, trio qu’il présente comme son « état-major55 ».
28André Clavé, son ancien camarade à l’École de l’Air qu’il rencontre par hasard dans le métro, est un catholique de gauche, licencié en droit comme lui, mais aussi un homme de théâtre à la tête de la troupe parisienne « La Roulotte », et qui a participé au début de l’Occupation à l’aventure de Jeune France, association culturelle favorisée à l’origine par Vichy avant d’être dissoute. Pierre-François Bernard, que Sudreau a aussi rencontré à l’École de l’Air, est licencié en lettres et prépare l’agrégation ; originaire de Roubaix, il va prendre en charge la région Nord-Pas-de-Calais. Michel Bauer, le plus âgé, est bardé de diplômes56 et s’occupe, au témoignage de Sudreau, de recruter dans le milieu des ingénieurs et des polytechniciens et de prospecter la région de Caen57. C’est par lui que Sudreau a des contacts avec Louis Armand, responsable du réseau NAP-Fer en zone nord58. Le rôle central de ce trio est confirmé par le fait que lorsque Sudreau sera arrêté, Boyer envisagera une direction collégiale de Brutus-zone nord comprenant Bernard et Bauer59.
29Cet « état-major » est rapidement pourvu de deux secrétaires, recrutées par Clavé : sa belle-sœur Odile Charton60 et Marguerite toupance, ancienne employée de Jeune France61. L’équipe dispose aussi d’un agent de liaison attitré, envoyé par le PC du réseau : Sauveur Mainetti, sous-officier de carrière évadé d’un Frontstalag62. Au total, hormis, peut-être, Michel Bauer, ce n’est pas la filière des militants socialistes qui a été utilisée, alors que Sudreau a été pourvu avant son départ d’une liste de personnes sûres (en particulier en région parisienne) par Augustin Laurent, député socialiste du Nord63. Quelle que soit la part du hasard des contacts, ce mode de recrutement dénote un souci de cloisonnement de l’« état-major » de Sudreau par rapport à l’ensemble de l’organisation retissée en zone nord.
30Car pour le reste, le schéma d’implantation de Brutus en zone nord fin septembre 194364 montre bien l’importance que les personnalités socialistes continuent à jouer dans la nouvelle organisation. À commencer par un des contacts donnés à Sudreau, Jean Biondi, député de l’Oise, déjà membre du mouvement Libération-nord et dont on peut présumer qu’il met alors au service de Brutus une partie des relations qu’il avait au sein de Libé-nord. Biondi étend ainsi le réseau dans l’Est de la France jusqu’à Nancy, sur une quinzaine de départements répartis en secteurs dirigés par des cadres socialistes, notamment le député Jean Bouhey en Bourgogne et Marcel Mérigonde en Picardie65. Dans le Nord, le Pas-de-Calais et la Somme, la cheville ouvrière de Brutus est Inghels, secrétaire de la Fédération socialiste locale, bien qu’il n’y réside pas – ce qui explique sans doute l’intronisation prévue de P.-F. Bernard. Enfin, au nombre des contacts en région parisienne donnés à Sudreau, il faut sans doute compter Roger Priou et André Kleinpeter, responsables au sein du mouvement Libération-nord pour la Seine et la Seine-et-Oise, puisqu’ils sont déjà chefs de secteur Brutus pour les mêmes départements depuis janvier 194366.
31Bien entendu, la filière socialiste constitue avant tout un vivier au sein duquel, ou par le moyen duquel sont approchés et recrutés des agents utiles à la mission principale de Brutus : le renseignement. Ainsi, Biondi et Inghels semblent réussir à recruter largement au sein de la SNCF, dans tous les métiers. Ce mode de recrutement peut cependant aggraver les risques de chute du réseau, si les membres de Brutus issus de Libération-nord ou du parti socialiste clandestin ne coupent pas avec leurs contacts antérieurs et continuent, par exemple, à distribuer la presse clandestine. On peut présumer qu’une des tâches principales de Sudreau a consisté à veiller à l’élaboration d’une organisation suffisamment cloisonnée à tous les niveaux, comme il a su le faire pour son « état-major ».
32Les appréciations concernant les résultats obtenus par Pierre Sudreau et ses qualités personnelles dans ses fonctions de chef de Brutus en zone nord sont minces, mais sans ambigüité. En témoignent les rapports d’André Boyer au BCRA qui se félicite d’abord du « départ absolument remarquable » pris par la nouvelle organisation de zone nord en prenant pour exemple la couverture professionnelle obtenue par Sudreau : « Nous sommes arrivés à faire entrer l’un de nous dans un poste de confiance de [la] délégation française en Z.O. Rien de ce qui est su du gouvernement français pour cette zone ne nous échappera désormais67. » En octobre, Boyer précise « J’ai vu à nouveau SILLANS tout va là-bas très bien. Le travail se développe dans l’enthousiasme et le rendement est excellent68. » En novembre, il attribue clairement à Sudreau lui-même le mérite de cette dynamique : « [L]’organisation continue à travailler normalement en zone sud et […] elle est en train de prendre en zone nord, sous l’impulsion de Sillans, un développement considérable. […] La zone nord, qui a des renseignements de premier ordre et de première urgence attend avec impatience des moyens de liaison69. » Enfin, Sudreau fait partie de la première fournée de propositions de décorations rédigée par Boyer à l’intention du BCRA, pour son « courage tranquille et résolu » et en tant que « volontaire pour réorganiser un service important particulièrement éprouvé70 ».
33Efficacité alliée à l’enthousiasme, flegme allié au courage… Pour laconiques qu’ils soient, ces qualificatifs, qui seront également appliqués à Pierre Sudreau après la guerre dans d’autres circonstances71, n’en permettent pas moins de dégager un profil psychologique bien typé. En un an, le jeune bourgeois a à coup sûr rompu sa chrysalide, mais un an de résistance, c’est bien plus qu’un an de temps de paix. Le chemin parcouru a certainement été un révélateur de premier ordre pour celui qui, lors de ses retrouvailles avec André Clavé à Paris, ne se payait pas de mots et s’aventurait seulement à dire : « J’essaie de faire de la résistance72. » D’autre part, ces appréciations prennent une acuité d’autant plus singulière que Sudreau a, comme nombre de résistants, été appelé à dépasser ses fonctions du fait des contraintes bien particulières de l’action clandestine.
34En juillet 1943, il participe à l’organisation de l’évasion de Pierre Malafosse, responsable du réseau pour le sud-ouest, de la prison Saint-Michel à Toulouse. L’opération a été mise sur pied pour empêcher que Malafosse, arrêté par la police française, soit livré aux Allemands. En recoupant les sources disponibles, il apparaît qu’elle a été effectuée par deux hommes de Brutus, Félix Gstalder et Marien Piétri, déguisés en faux gendarmes, amenés en voiture par André Boyer, déguisé lui aussi. Sudreau est resté en retrait avec Gaston Defferre, tous deux « armés, dissimulés à proximité de la prison73 », pour intervenir au cas où cela tournerait mal. Ils n’ont pas eu à le faire, et il est hors de doute que Sudreau n’a joué qu’un rôle d’appoint dans cette évasion qui a nécessité, dans sa préparation et ses suites, bien d’autres concours74. Cela dit, la conclusion de son témoignage – « Ainsi naît la fraternité » – prend tout son relief dès lors qu’on réalise que cette opération a nécessité la contribution des trois principales « têtes » de Brutus : son chef75, son principal adjoint en zone sud et le chef de la zone nord. Rien ne dit mieux la pénurie en hommes des organisations clandestines pour certaines tâches liées à l’action directe, nécessitant à la fois une préparation sophistiquée et un sang-froid à toute épreuve dans l’exécution76. Mais rien ne fait mieux sentir la nature très particulière de la confiance réciproque qui pouvait unir au sortir de la guerre des résistants ayant partagé de telles expériences dans la clandestinité.
35Il est un domaine de l’action de Brutus pour lequel nous ne savons rien de l’implication de Pierre Sudreau : ce sont les enjeux politiques autour du réseau dont nous avons parlé plus haut. Le seul indice qu’on ait en la matière est un propos rapporté par sa biographe77 : il aurait été le « porteplume » d’André Boyer pour la rédaction du premier projet d’organisme unifié de la résistance, communiqué à Londres en juin 1942. Compte tenu de la date de recrutement de Sudreau à l’automne 1942 et de sa présence dans le sud-ouest jusqu’en avril 1943, il ne pourrait s’agir que d’une mouture ultérieure du projet, peut-être celle que Boyer est allé présenter à Londres lors de son voyage en janvier 1943. Sur le fond, il ne serait pas invraisemblable que Sudreau ait adopté à cette époque les vues des résistants promoteurs d’un organisme unifié incluant les partis traditionnels aux côtés des mouvements nés après la défaite. : n’ayant pas contribué à la résistance pionnière des mouvements de zone sud, il pouvait ne pas partager leur révolte devant la défaillance des élites de la IIIe République.
36Mais il n’y a pas que cette brève allusion qui permette de penser que Sudreau a été associé à cette partie hautement politique des activités du réseau. Car c’est justement la veille de son arrestation, en novembre 1943, que commencent les discussions entre André Boyer et le comité directeur des Mouvements unis de Résistance autour de l’admission d’un représentant de l’ensemble Brutus-groupes Véni au sein du CD des MUR78. On sait par un rapport de Jacques Bingen qu’elles ont été précédées par des entretiens entre ce dernier, André Boyer et le chef de Brutus en zone sud, Jean-Maurice Hermann79. Si Sudreau, comme responsable de l’autre zone, n’était pas en première ligne, il a dû au moins participer aux discussions internes au réseau durant cette période80. Dans ses souvenirs, on peut comprendre qu’il ne revienne pas sur cet épisode puisque les discussions entre Brutus et les MUR ont tourné court après l’arrestation de Boyer en décembre 1943. Plus profondément, il ne serait pas très étonnant que le Sudreau « centriste » de la fin du xxe siècle ait préféré mettre en avant sa participation à un projet de « comité national » destiné à devenir consensuel au sein de la Résistance, plutôt qu’aux tentatives de Brutus en 1943 pour accroître le poids de la mouvance socialiste dans la résistance unifiée en se faisant admetttre avec les groupes Véni comme une sorte de quatrième « mouvement » des MUR.
37En tout état de cause, les revendications de Brutus en 1943 ont pu recouvrir, chez les cadres du réseau, de nombreuses nuances dans les motivations, entre les militants socialistes soucieux d’accroître l’influence de leur parti, des hommes de gauche plus largement préoccupés d’équilibrer les forces du PCF, des responsables y voyant surtout un moyen d’obtenir davantage de moyens en vue d’une action pratique. Les motivations d’André Boyer lui-même ont été diversement interprétées après la guerre : Daniel Mayer a prétendu qu’il était rallié aux thèses du parti socialiste clandestin et avait simplement repoussé à l’après-libération son engagement formel dans la SFIO81, tandis que Pierre Sudreau le présente comme ayant freiné les velléités de Defferre de faire de Brutus « l’instrument de rénovation du parti socialiste82 ». Lieu de recomposition politique accélérée, les organisations clandestines étaient aussi des lieux d’apprentissage « du » politique au sens large, ne serait-ce que par la réflexion concernant les conséquences de leurs actions sur la population. Il est très possible – et c’est en tout cas l’image dominante qui se dégage de ses souvenirs – que Pierre Sudreau se soit passionné avant tout pour ses tâches d’organisateur dans le domaine paramilitaire, qui était le cœur de son action dans Brutus et pouvaient l’amener, plus que le rapprochement éventuel avec les MUR (lequel concernait la zone sud), à participer à une « politique » commune de la Résistance. Il mentionne notamment que ses contacts avec le NAP-Fer l’ont conduit à assister à des réunions de coordination à l’été 1943 avec les FTP et à superviser des sabotages en vue de rapports destinés à Londres83. Compte tenu du recrutement de Brutus en milieu cheminot, c’est tout à fait vraisemblable : l’été 1943 correspond au moment où commencent les tentatives pour coordonner l’action des cheminots des diverses organisations résistantes au sein du NAP-Fer84. C’est aussi la période où, les sabotages connaissant en France un bond spectaculaire, les discussions avec les Alliés sur l’alternative entre bombardements et sabotages deviennent constantes.
Arrestation et emprisonnement (novembre 1943-mai 1944)
38Les circonstances de l’arrestation de Pierre Sudreau le 10 novembre 1943 sont bien connues. Celle-ci est la conséquence d’une infiltration de Brutus menée de longue date par un agent double très expérimenté de la Sipo-SD de Paris, Robert Carré, dessinateur à l’usine Gnôme et Rhône où il possédait un réseau d’informateurs lui permettant d’offrir ses services aux organisations résistantes85. Elle sera suivie de nombreuses autres arrestations à Lyon et à Paris (dont celle d’André Boyer en décembre), portant le plus rude coup qu’ait jamais subi le réseau. Gaston Defferre réussit à le remettre sur pied en 1944 et Carré est exécuté en avril par le groupe franc attaché au CNR. Après la guerre, les agents de Brutus rescapés témoigneront au procès de la maîtresse de Carré, Odette Moucheboeuf, permettant de reconstituer l’affaire86. C’est par Marc Dubruel, « inspecteur général » de Brutus en zone nord, que Pierre Sudreau avait été mis en contact avec Carré en juillet 1943. Rapidement, celui-ci avait réussi à infiltrer également Brutus en zone sud, y faisant recruter en octobre comme radio un autre V-Mann, René Baudière87.
39Grâce aux témoignages croisés de Pierre Sudreau et Jean-Maurice Hermann, arrêtés en même temps dans un café avenue de Wagram, on sait que le premier nommé a d’abord fait l’objet d’un traitement par les services allemands visant à le « retourner » : se succèdent en deux jours, dans des locaux de la Sipo-SD situés près de la porte d’Auteuil, un simulacre d’exécution, des coups répétés et une suspension un jour entier par les poignets ; puis il est transféré dans une villa du 16e arrondissement, où on lui fait des propositions circonstanciées de collaboration. Accepter lui éviterait une mort assurée, selon son interlocuteur, compte tenu des charges pesant sur lui. L’emploi que Sudreau occupait au ministère de l’Intérieur a pu favoriser cette tentative de retournement88. Devant son refus, il est transféré à Fresnes où il reste six mois, du 17 novembre 1943 au 2 mai 1944, en sortant à deux reprises pour être interrogé par la Sipo-SD de l’avenue Foch89. Pendant cette période, il réussit, grâce à un jeune co-détenu, à faire passer un message à l’extérieur de la prison pour signaler la trahison de Carré, confirmant des informations transmises d’une façon similaire par ses adjoints André Clavé et Michel Bauer, arrêtés après lui90. Le 2 mai, il est transféré au camp de Royallieu, à Compiègne, où il ne reste que quelques jours avant d’être déporté vers Buchenwald le 12 mai.
40Sur cette période, le témoignage de Pierre Sudreau est précieux parce qu’il peut aider à compléter son portrait psychologique. Sans hésitation, il fait part de l’influence exercée sur lui par Jean-Maurice Hermann, enfermé avec lui dans les premiers jours, pour refuser l’offre des Allemands, même avec l’espoir de les berner91. Cette notation se situe dans la lignée de ses aveux sur ses relations avec des personnages aussi différents que Saint-Exupéry ou André Clavé : il insiste sur l’importance des rencontres à des étapes-clés de sa vie et de sa dette à l’égard de quelques personnalités. Il reconnaît par ailleurs avoir traversé, dans les premiers temps de son emprisonnement à Fresnes, alors qu’il était seul, au secret dans sa cellule, près de deux mois de « désagrégation, mentale autant que physique », dominée par l’angoisse de la mort. Et il souligne un facteur-clé : « Je n’étais plus dans l’action92. »
*
41Si l’on revient à la question initiale posée, le destin de Pierre Sudreau après son retour de déportation est évidemment lié à son engagement dans Brutus, mais fait apparaître la richesse et la complexité des liens noués pendant la période de la Résistance. Comme l’observent Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, la grande majorité des « ex-Brutus » qui font une carrière politique ou administrative d’une rapidité remarquable après la guerre sont des militants socialistes déjà aguerris, et qui profitent de l’épuration de leur propre parti après la Libération : « [Parmi les anciens agents de Brutus], Pierre Sudreau est un des rares néophytes que l’engagement dans la Résistance propulse dans l’arène politique93. » C’est que son profil est rare parmi les cadres survivants de ce réseau très particulier et correspond aux besoins immédiats de ses employeurs au ministère de l’Intérieur des années 1945-1947, période d’épuration et de renouvellement du personnel. Il est certainement considéré par eux comme un homme de confiance, mais une confiance qui va bien au-delà de l’appartenance politique au sens strict. Son parcours dans Brutus peut apparaître comme le gage d’une adhésion à la « tradition républicaine » couplée à une légitimité incontestable dans le domaine de l’action résistante à caractère paramilitaire. En effet, la brièveté de son engagement effectif au service de Brutus ne doit pas tromper : à l’échelle de la clandestinité, c’est l’histoire d’une ascension rapide, fondée sur des qualités révélées au creuset d’une expérience exceptionnelle.
Notes de bas de page
1 Principaux travaux : Jean-Marie Guillon, « Les socialistes en résistance. Un comportement politique », in Laurent Douzou, Robert Frank, Denis Peschanski et Dominique Veillon (dir.), La Résistance et les Français : Villes, centres et logiques de décision, Cachan, IHTP-CNRS, 1995 ; Daniel Mayer, Les socialistes dans la Résistance, Paris, Presses universitaires de France, 1968 ; Marc Sadoun, Les socialistes sous l’occupation, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1982 ; Alya Aglan, La Résistance sacrifiée, le mouvement Libération-nord, Paris, Flammarion, 1999 ; Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, Nom de code : Brutus, Paris, Fayard, 2007 ; Pierre Guidoni et Robert Verdier (dir.), Les socialistes en Résistance (1940-1944), Paris, Seli Arslan, 1999.
2 Voir infra.
3 Au-delà de toutes les frontières, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 95. Cité désormais comme Au-delà…
4 JO du 11 juin 1945 selon Au-delà…, p. 95. Archives nationales, archives de Pierre Sudreau, AN 91AJ/46.
5 AN 91AJ/46 ; Ribière est un des pionniers de la résistance socialiste, à la fois comme fondateur du Comité d’action socialiste de zone occupée et chef de Libération-nord après Pineau ; il est nommé à la tête du SDECE le 26 février 1946 en remplacement d’André Dewavrin, dit Passy (Claude Faure, « Bref historique des services de renseignement et de sécurité contemporains », in Revue historique des Armées, n° 247, 2007, p. 70-81).
6 Ministres : Édouard Depreux de juin 1946 à novembre 1947, Jules Moch ensuite.
7 Expressions rapportées par Corinne Trovarelli dans le chapitre I, p. 1, de L’allumeur de réverbères, biographie de Sudreau restée inédite (AN 91AJ/45).
8 Christiane Rimbaud, Pierre Sudreau, Paris, Le Cherche Midi, 2004, p. 23.
9 Des doubles sont regroupés dans les papiers personnels de Pierre Sudreau (AN 91AJ/40). À noter qu’il ne semble pas avoir constitué de dossier de Combattant volontaire de la Résistance ; en tout cas, on n’en trouve ni aux Archives de Paris, où ont été versés les dossiers de CVR du département de la Seine, ni dans le Loir-et-Cher où il était de 1951 à 1955 (communication orale des Archives départementales du Loir-et-Cher).
10 Sudreau n’a pas donné après la guerre de témoignage aux enquêteurs de la Commission d’histoire de l’occupation et de la libération de la France (série 72 AJ des Archives nationales). Ses souvenirs publiés s’articulent principalement autour de son autobiographie (Au-delà de toutes les frontières, op. cit., 1990), d’un témoignage dans le livre d’hommage à André Clavé, son adjoint dans Brutus (Francine Galliard-Risler, André Clavé. Téâtre et Résistances, Paris, Association des amis d’André Clavé, 1998) et de sa biographie par Christiane Rimbaud (op. cit., 2004). Ils sont une source importante pour comprendre son parcours bien qu’ils soient peu fiables sur la chronologie, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons.
11 Voir la partie « Études » des « Déclarations » qu’il remplit pour la DGER le 15 mai 1945 (Service historique de la défense, SHD GR 28 P4 16-424). Les archives de l’École libre attestent son inscription en 1938-1939. Lui-même mentionne une deuxième année à l’École libre, ainsi que l’obtention à la faculté de Toulouse d’un double « doctorat » (droit administratif et économie politique), qui correspond à l’époque à une quatrième année d’études. Celle-ci n’a pu intervenir qu’après juin 1940.
12 Au-delà…, p. 16-17.
13 Cf. par exemple la transcription littérale de son témoignage du 21 avril 1987 pour le livre d’hommage à André Clavé. Clavé, alors à ses côtés, renonça pour les mêmes raisons que lui à partir : « Il faudrait expliquer d’ailleurs que lorsque je ne suis pas parti, en juin 1940, nous ne sommes pas partis, nous en avions conçu plus ou moins de complexes et moi, en ce qui me concerne, mobilisé dans l’armée jusqu’en avril 1942, j’avais commencé à exécuter un certain nombre d’actes de résistance » (AN 91AJ/40).
14 Déclarations à la DGER, 15 mai 1945 (SHD GR 28 P4 16-424).
15 Christiane Rimbaud, op. cit., p. 30, et (pour la date), Pierre Sudreau, Sans se départir de soi.
Entretiens avec François George, Paris, Tirésias, 2004, p. 17. Sur son affectation à Laplume et la vie qu’il y mène jusqu’en mars 1941, voir AN 91AJ/40 (certificat de présence au corps du 7 novembre 1941), et le témoignage précis de Pierre Beuvelet, aspirant comme lui (Soixante années ont passé, autobiographie datée de mars 1989, Fonds Brutus-Boyer, AN 72AJ/2464).
16 Christiane Rimbaud, op. cit., p. 30.
17 Bulletin de renseignements d’activité FFC, sans date, et demande d’attribution du titre de déporté résistant, mars 1950 (AN 91AJ/40).
18 François Frimaudeau, article « Le groupe Victoire », dans le CD-ROM La Résistance dans le Lot-et-Garonne, Paris, Association pour des études sur la Résistance intérieure, 2011. Le noyau agenais de 1941 apparaît constitué de militaires du 150e RI, mais leurs activités à cette époque ne sont pas connues ni leurs contacts avec la base aérienne de stockage. Seul indice : la rédactrice inconnue d’une lettre adressée à Sudreau après la guerre associe celui-ci au souvenir d’un jeune lieutenant du 150e RI (lettre du 27 janvier 1947, chemise « SDECE-Instances », AN 91AJ/46).
19 Cf. un témoignage de l’après-guerre, qui paraît évoquer les débuts de Victoire : des officiers du 150e RI avaient constitué « un petit groupe de résistants sans liaisons » (AN 72AJ/158, dossier A1, pièce 194).
20 Claude d’Abzac-Epezy, L’armée de l’air de Vichy 1940-1944, Vincennes, Service historique de l’armée de l’Air, 1997, p. 218.
21 Le camouflage du matériel au sein de l’armée d’armistice, souvent spontané au départ, n’est pas réductible à la seule organisation homologuée en la matière, le service « Camouflage du Matériel » du colonel Mollard. À noter que dans l’armée de l’Air, les actes de camouflage semblent de toute façon avoir été très limités, notamment parce que dès l’automne 1940 (après l’expédition de Dakar) les Allemands ont autorisé un réarmement aérien de Vichy (Claude d’Abzac Epezy, op. cit., p. 363).
22 « Allocution de clôture », Séance solennelle de témoignages. 1941, Paris, Fondation pour les études de défense nationale/Secrétariat d’état aux anciens combattants, 1987, p. 165.
23 Cf. Lettre de Pierre Beuvelet du 14 octobre 1945 au colonel Fourcaud et déclarations à la DGER d’André Chrétien le 12 août 1945 (in dossier personnel d’André Chrétien, SHD GR 28 P 4 21-621). Voir aussi Pierre Beuvelet, Soixante années ont passé…, op. cit.
24 « J’ai pris contact avec le réseau Brutus, à l’origine Froment, par l’intermédiaire de Jean Hausseguy (Itiers) qui m’a présenté à André Boyer (Brutus) en septembre 1942, à Marseille » (« Déclarations » à la DGER, 15 mai 1945, op. cit., SHD GR 28 P4 16-424). La prise de contact avec Brutus est également datée de septembre 1942 sur une note manuscrite sans date dans les papiers Sudreau (AN 91AJ/40).
25 « Activité dans la résistance du commandant Raoul Prat » (AN 72AJ/175, dossier A II 8).
26 Hommage nécrologique à André Clavé, 1981 (AN 91AJ/40), Au-delà…, p. 31, et surtout Christiane Rimbaud, op. cit., p. 31. À noter qu’il ne donne aucun détail sur son entrevue avec Boyer.
27 Pierre Beuvelet, Soixante années ont passé…, op. cit.
28 Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, op. cit., p. 64. Plus généralement, ils relèvent que les dates homologuées pour les services d’un agent peuvent être contredites par des témoignages concordants attestant d’un engagement antérieur.
29 Ibid., p. 41 et 61.
30 Ibid., p. 56. André Boyer mentionne aussi un service « action », mais cantonné à la région de Marseille.
31 Ibid., p. 58.
32 Le flou de cette période se ressent jusque dans les dossiers administratifs remplis par Sudreau.
En 1950, s’il déclare en mars avoir participé à la résistance dès l’été 1941 au sein du groupe Victoire (demande d’attribution du titre de déporté résistant, mars 1950, AN 91AJ/40), en septembre il date de février 1942 le début de ses « services effectués dans la résistance » (demande de validation des services et campagnes et homologation de blessures de guerre, présentées par un déporté de la Résistance, 9 septembre 1950, dossier individuel de Pierre Sudreau, SHD GR 16 P 558 525). Ces divergences peuvent s’expliquer par des logiques d’homologation différente suivant l’objectif du dossier rempli. Il est également possible que Sudreau ait appris dans le courant de l’année le refus définitif d’homologation de Victoire : le dernier arrêté modifiant la liste des mouvements et groupes homologués de la Résistance intérieure française paraît au JO du 31 janvier 1950.
33 Un exemple célèbre : l’ingénieur de la SNCF – et futur Compagnon de la Libération – Louis Armand, dont le contact avec un envoyé de la France libre dès 1940 a parfois été mis en avant pour sous-entendre qu’il était affilié aux réseaux de renseignement gaullistes dès cette époque. En fait, il semble bien avoir gardé son autonomie par rapport à la France libre jusqu’en 1943.
34 Pierre Laborie, « Les partis politiques et la Résistance dans le Lot », Revue d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, n° 85, janvier 1972, p. 3-32.
35 Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, op. cit., p. 75-77.
36 Ibid., chapitre v.
37 Ibid., p. 221 et suivantes.
38 Dès juillet 1941 selon le dossier rempli par le liquidateur du réseau (chemise « Brutus », dossier du réseau Brutus au bureau Résistance, SHD 17 P 94).
39 Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, op. cit., p. 59, 71 et 148.
40 Ibid., p. 152-154.
41 Ibid., p. 156, et le témoignage de Sudreau lui-même dans Francine Galliard-Risler, André Clavé, op. cit., p. 104.
42 Cf. ses dossiers personnels (SHD, AN) mais aussi les rapports d’André Boyer au BCRA.
43 Déclarations à la DGER, 15 mai 1945 (SHD GR 28 P 16-424).
44 Christiane Rimbaud, p. 38 ; voir aussi « Hommage nécrologique à André Clavé », 1981 (AN 91AJ/40), le témoignage de Sudreau dans Francine Galliard-Risler, André Clavé, op. cit., p. 103-105, et Au-delà…, p. 39.
45 Liaisons qualifiées de « très importantes » par l’intéressé (note manuscrite sans date, 91AJ/40).
46 Cf. les termes qu’il emploie pour qualifier l’objectif de sa venue en zone nord : « Étendre les ramifications du réseau Brutus dans cette zone nord où l’occupation se fait lourdement sentir » (Christiane Rimbaud, op. cit., p. 38). Cela correspondrait mieux à cette première époque qu’à sa nomination de mai-juin 1943, qui l’amènera à effectuer d’abord un travail de réorganisation.
47 Entre septembre et novembre 1942, alors que cette rencontre à Paris est sans ambiguïté datée de juin 1943 par les deux hommes à leur retour de déportation (Pierre Sudreau, Déclarations à la DGER, 15 mai 1945, SHD GR 28 P4 16-424 ; André Clavé, Déclarations à la DGER, 2 juin 1945, SHD GR 28 P4 16-414). Dans un document d’homologation non daté, Clavé la fera cependant remonter à avril 1943 (SHD GR 16 P 132362).
48 Deux sont décédés en déportation : Michel Bauer et Pierre-François Bernard. La mort du troisième, André Clavé, en 1981, est ce qui paraît susciter pour la première fois, chez Sudreau, le désir de revenir en public sur son engagement dans Brutus. Et le chapitre « Brutus » de ses mémoires commence par cette phrase : « Mes amis n’ont laissé aucune trace écrite de leurs actions. […] Notre combat fut une suite de moments exaltants qu’il m’est cependant impossible de retracer sans éprouver une immense tristesse à l’égard des disparus. À travers quelques souvenirs, je souhaiterais être fidèle à leur mémoire et à leur volonté en tentant d’évoquer brièvement, sans égocentrisme, le climat de la vie clandestine, avec la fougue, l’élan et l’imprudence de ses acteurs » (Au-delà…, p. 35).
49 Christiane Rimbaud, p. 41.
50 Il est « chargé de mission de 2e classe » à compter de novembre 1942. Cf. l’« État signalétique et de services de volontaire métropolitain », 29 août 1943 (SHD, GR 28 P4 16-424), et le Bulletin de renseignements d’activités FFC – Renseignements complémentaires (AN 91AJ/40). Cela dit, c’est sans doute pendant l’année universitaire 1942-1943 qu’il a obtenu son double doctorat « à la faculté de Toulouse » (Déclarations à la DGER du 15 mai 1945, op. cit.). Sa mission pour Brutus en zone occupée a interrompu la poursuite de son cursus : « Envoyé d’abord à Toulouse pour faire un stage, a délibérément renoncé à poursuivre ses études supérieures pour se donner entièrement à sa mission » (citation pour l’attribution de la Médaille de la Résistance, op. cit.).
51 « De juillet 1943 à novembre 1943, entrée au ministère de l’Intérieur par ordre du BCRA, comme chargé de mission, et nommé adjoint au chef de cabinet du secrétaire général pour l’Administration » (Déclarations à la DGER du 23 mai 1945, AN 91AJ/40 ; ce document paraît être une copie partielle des Déclarations à la DGER du 15 mai 1945, op. cit., tout en comportant cette précision supplémentaire). Pour obtenir ce poste, il a fait jouer ses relations personnelles : un ami connu sur les bancs de la fac, Bernard Lefort (de son vrai patronyme : Cohen) était le fils naturel du docteur Charles Flandin, frère de Pierre-Étienne Flandin, et a fait intervenir un membre de la famille (Christiane Rimbaud, p. 41).
52 Rapport BRE-7 du 9 juillet 1943 (AN 3AG2/38/5/pièce 7).
53 Compte rendu d’activité de M. Brutus à partir du 8 février 1943, Londres, le 28 septembre 1943 (AN 3 AG2/38/3/pièce 9).
54 Déporté en juillet 1944, Henri Mulvidson est mort en déportation.
55 Au-delà…, p. 39.
56 Double licence (sciences et droit), diplôme d’actuaire (dossier personnel, SHD GR 28 P 4 16-409).
57 Au-delà…, p. 39 et 42.
58 Ibid., p. 40. NAP-Fer = branche SNCF du Noyautage des administrations publiques, organisation créée à l’automne 1942 en zone sud, étendue en 1943 à la zone nord.
59 Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, op. cit., p. 239-240.
60 Compte rendu d’interrogatoire d’Odile Charton par la DGER, 19 mai 1945 (SHD GR 28 P4 16-413) ; rapport d’Odile Aussaresses, née Charton, sur ses activités de résistance, dossier Brutus, AN 91AJ/40 ; lettre d’Odile Aussaresses à Pierre Sudreau le 2 juin 1991, AN 91AJ/45.
61 Déclarations de Marguerite Toupance à la DGER, 1er juin 1945 (SHD GR 28P 16-425).
62 Son recruteur est Marien Piétri, chef des liaisons de Brutus (SHD, GR 28 P4 16-420).
63 Au-delà…, p. 36-37, Christiane Rimbaud, op. cit., p. 39. Augustin Laurent a peut-être fait plus que donner des noms, en prenant lui-même des contacts en zone nord avant de les passer à Sudreau. André Boyer le présente comme successeur d’Eugène Thomas à la tête d’un « service prospecteur » (compte rendu d’activité de M. Brutus, Londres, 28 septembre 1943, AN 3AG2/38/3/pièce 9).
64 Schéma d’implantation du réseau Brutus, 28 septembre 1943 (AN 3AG2/38/3/pièce 8).
65 Ibid. ; voir aussi Jean Biondi, Déclarations à la DGER du 16 juin 1945 (SHD GR 28 P 16-411).
66 Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, op. cit., p. 156-157.
67 Rapport Gulle-Bre-9, arrivé le 12 septembre 1943 (AN 3 AG2/38/4/pièce 6).
68 Rapport Bre/10 bis du 16 octobre 1943 (AN 3AG2/38/5/pièce 12).
69 C’est-à-dire des postes radio-émetteurs. Rapport Bre-11 du 4 novembre 1943 (AN 3 AG2/38/4/ pièce 12).
70 Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, op. cit., p. 218-219.
71 À propos de son passage à la Sûreté nationale, un de ses collaborateurs nommé Algis louera en lui « un exemple de calme, de courage et de dynamisme » (lettre à Pierre Sudreau du 31 décembre 1946, chemise « SDECE Instances », AN 91AJ/46).
72 Francine Galliard-Risler, André Clavé, op. cit., p. 104.
73 Au-delà…, p. 49.
74 Malafosse a été transféré dans un camion, planqué dans une ferme, exfiltré à Londres. La présence de Sudreau n’apparaît pas dans le rapport de Boyer à Londres et les témoignages postérieurs, mais ceux-ci se concentrent sur l’équipe des « faux gendarmes » et sont plus allusifs sur les autres participants (Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, op. cit., p. 169-188).
75 Boyer a succédé officiellement à Boris Fourcaud depuis janvier 1943.
76 On pense aux difficultés des mouvements de zone sud pour maintenir en 1943 les effectifs de leurs « groupes francs centraux », les plus aguerris à ce genre d’opérations. D’où la surprise du successeur de Jean Moulin, Serreulles, devant leur incapacité à mettre à sa disposition une équipe pour tenter de faire évader le président du CNR arrêté à Caluire ; d’où le fait que l’évasion de Raymond Aubrac, à Lyon en octobre 1943, soit le fait d’un « groupe franc de Libération-sud » composé en réalité de résistants appartenant aux FTP.
77 Christiane Rimbaud, op. cit., p. 35.
78 Procès-verbaux des réunions du Comité directeur des Mouvements unis de Résistance, papiers Jacques Baumel, Fondation Charles de Gaulle. Ces discussions se poursuivent en novembre durant de nombreuses réunions rapprochées du CD des Mur. Voir Cécile Vast, L’identité de la Résistance, Être résistant de l’Occupation à l’après-guerre, Paris, Payot, 2010, p. 183-184.
79 Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, op. cit., p. 228. Bingen est alors délégué du Comité français de la libération nationale pour la zone sud (et même, pendant quelque temps, délégué général par intérim).
80 D’après Jean-Maurice Hermann, arrêté avec Sudreau le 10 novembre, cette question aurait fait l’objet d’un entretien à trois entre Boyer, Sudreau et lui le jour même, et tous trois auraient dû rencontrer dans l’après-midi des membres du CNR à ce sujet (témoignage du 22 février 1949, AN 72AJ/37).
81 Entretien de Daniel Mayer avec Roland Sadoun le 5 janvier 1978, cité dans Roland Sadoun, Les socialistes sous l’occupation, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1982, p. 145.
82 Au-delà…, p. 33. Ce rôle de frein n’est pas repérable dans les archives que citent Jean-Marc Binot et Bernard Boyer : elles vont toutes dans le sens d’une parfaite entente Boyer-Defferre sur la tactique. Ainsi, Boyer cherche à faire admettre Defferre comme son suppléant dans le CD des MUR. Et il n’y a pas d’ambiguïté sur l’interprétation que Bingen donne de toute cette affaire : c’est lui qui emploie l’image selon laquelle l’ensemble Brutus-groupes Véni ambitionne d’être au PS ce que l’ensemble FN-FTP est au PC. Cela dit, d’accord sur la tactique, Defferre et Boyer pouvaient l’être moins sur les objectifs : si le premier voulait « rénover » la SFIO, le second, dont Jacques Bingen louait dans le même rapport « l’expérience politique, l’intelligence, le bon sens et l’esprit FFC », imaginait peut-être une transformation profonde de ce parti au profit de la naissance d’un grand parti progressiste, comme nombre de résistants en 1943-1944 (rapport Bingen du 9 février 1944, Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, op. cit., p. 227).
83 Christiane Rimbaud, p. 44 et Au-delà…, p. 53.
84 Georges Ribeill, « Résistance-Fer, du réseau à l’association : une dynamique corporative intéressée ? », Revue d’histoire des chemins de Fer, n° 34, printemps 2006, p. 57-60.
85 Patrice Miannay, Dictionnaire des agents doubles dans la résistance, Paris, Le Cherche Midi, 2005, p. 72. Carré a déjà contribué à la chute du réseau du Musée de l’Homme en 1941, puis à des arrestations au sein du mouvement Ceux de la Libération. Notons qu’après avoir été agent de la section IV de la Sipo-SD et de l’Abwehr, il paraît rattaché, lorsqu’il infiltre Brutus, à la section VI de la Sipo-SD, celle chargée des formations politiques.
86 Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, op. cit., chapitres xii et iii.
87 Ibid., p. 235 et 242.
88 C’est l’hypothèse que formule Hermann (témoignage, op. cit., AN 72AJ/37). Voir aussi, sur le traitement infligé à Pierre Sudreau, Au-delà…, p. 73-75 et Christiane Rimbaud, op. cit., p. 57-59. Dans ses souvenirs, Sudreau attribue ces offres de collaboration à un officier de l’Abwehr ; il qualifiait en 1950 de « maison spéciale de la Gestapo » l’endroit où se passa l’événement, ce qui n’est pas forcément contradictoire (demande d’attribution du titre de déporté résistant, mars 1950, AN 91AJ/40).
89 Christiane Rimbaud, op. cit., p. 64.
90 Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, op. cit., p. 258-259.
91 Il parle à ce propos de la « chance – immense » qu’il a eue de l’avoir à ses côtés (Au-delà…, p. 75).
92 Christiane Rimbaud, op. cit., p. 62-63.
93 Jean-Marc Binot et Bernard Boyer, op. cit, p. 360-365. Plutôt que « l’arène politique », il s’agit, dans l’immédiat, de l’appareil d’État, mais à un niveau certes exposé, comme le montrera « l’affaire Passy » en 1946.
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