Chapitre VI. Mémoires collectées et mémoire collective
p. 165-191
Texte intégral
1En suivant jusqu’ici les sédimentations de la mémoire de la répression de Thiaroye au Sénégal, nous avons vu que celle-ci s’intégrait dans diverses luttes sociales, politiques et culturelles, renouvelant ou produisant un espace de la mémoire historique. Les lieux de l’usage du passé sont multiples. Ils concernent des instances, supranationales ou nationales, des médias, des collectifs ou des individus qui, chacun, prennent pour objet principal un discours sur l’histoire, engageant alors la réflexion quant à une économie des biens symboliques. Ce chapitre montre comment le souvenir de la répression est aujourd’hui institué au Sénégal et ce qu’il peut signifier pour une pluralité d’acteurs.
2Les processus qui rendent compte de la fabrication de différents rapports au passé, de la nomination de ces passés, de leurs différentes significations et des aspirations qu’ils véhiculent, doivent être saisis dans leur historicité. Le cinquantenaire des indépendances africaines en 2010 a ainsi donné lieu, au Sénégal comme un peu partout sur le continent, à diverses manifestations qui rendent compte des imaginaires coloniaux et nationaux. Ces manifestations se sont exprimées à travers des politiques mémorielles qui informent sur des formes de gouvernance des symboles. Dix ans plus tôt, en 2000, Abdoulaye Wade accédait au pouvoir, mettant fin à quarante années de pouvoir socialiste et suscitant une vague d’espoir pour la population, notamment pour la jeunesse. Le nouveau président allait mettre en place une politique de grands projets culturels. Parmi ceux-ci furent réalisés la Place du souvenir africain, le Grand théâtre, le 3e Festival mondial des arts nègres (FESMAN), ou encore le Monument de la renaissance africaine. Ce dernier monument surplombe Dakar, il est plus haut que la statue de la Liberté comme se sont plu à le désigner de nombreux commentateurs, bien qu’il ait fait l’objet de multiples polémiques1. Ces grands projets s’inscrivent dans une volonté de continuité mais aussi de rupture, vis-à-vis des deux présidents précédents, en particulier la figure tutélaire de Léopold Sédar Senghor. Ils forment une nouvelle armature du souvenir de Thiaroye. Un tel cadre de la mémoire incite d’abord à centrer la recherche sur l’État et sur la mise en place, à partir de 2004 et la commémoration du 60e anniversaire du débarquement de Provence en 1944 – opération dont la réussite est due notamment aux actions de la 9e division d’infanterie coloniale –, d’une mémoire officielle concernant les tirailleurs. Mais penser le souvenir de la répression dans le champ social sénégalais, c’est avant tout articuler les différentes échelles des passés dans ce contexte national. La volonté d’un homme, le président Wade, dont par ailleurs le père était lui-même un ancien combattant de la Première Guerre mondiale, explique largement le développement d’un appareillage mémoriel qui s’est manifesté de manière ostentatoire lors de l’organisation de la Journée du tirailleur organisée annuellement à partir de 2004 – même si elle n’eut pas lieu chaque année.
3Cela mène à s’interroger pour savoir si l’on peut « influencer la mémoire et quelles sont les modalités – notamment politiques – de cette influence2 ? » Cependant, l’État n’est pas un bloc monolithique, l’éducation, secondaire et supérieure, ainsi que l’armée, ont toutes deux affaire à la transmission de l’histoire coloniale et de l’histoire militaire. Les différentes énonciations de la mémoire qui se superposent – peut-être plus qu’elles ne s’opposent – participent de l’élaboration d’un roman historique sénégalais. Surgissent alors d’autres questions, celles de la réception et de l’intégration de ces récits, et celles des moyens pratiques dans l’analyse des processus sociaux de remémoration. L’objectif est alors d’aborder une problématique :
« de la socialisation à même de rendre compte des processus sociaux formant la mémoire individuelle et collective. L’étude de ces processus sociaux montre que l’organisation de la mémoire est en rapport avec la structuration de l’expérience sociale, et ce à travers les modalités concrètes de l’interaction sociale et des groupes sociaux qui en découlent3 ».
4Pour le dire autrement, l’étude des lieux sociaux où se forment les souvenirs, et à travers eux les interactions sociales, permet d’aborder une mémoire de l’expérience – celle des tirailleurs du camp de Thiaroye – et une mémoire dans l’expérience – l’actualisation des schèmes de perception du drame. Le passé est « une force qui nous habite et nous structure involontairement, inconsciemment, l’étoffe de laquelle nous sommes faits4 » avance Régine Robin. Il faut alors revenir sur ces présences du passé colonial aujourd’hui. Plusieurs dispositifs d’enquêtes, auprès de la jeunesse, aident à mieux saisir le lien entre mémoire dominante, parfois officielle, et processus identitaires. L’observation participante, ancrée dans une pratique du terrain ethnographique, permet d’en repérer certaines dynamiques. Ce « lieu central de la production des données, et, pour une bonne part, des interprétations propres à l’anthropologie5 » s’est déroulé pendant près d’un an, en différentes étapes. Nous n’en restituerons ici qu’une composante et non l’ensemble des manifestations de la mémoire de Thiaroye qui peuvent se présenter dans d’innombrables situations de la vie quotidienne : discussions avec les boutiquiers du coin, rencontres inattendues dans des bars – avec tel ou tel officier de l’armée sénégalaise à la retraite – conversations dans les « bouis-bouis », avec un « taximan », ou dans les « cars rapides », qui permettent de s’imprégner d’énoncés récurrents, de différentes formalisations du passé, d’un sens commun qui juge l’histoire collective. Face à ce « fait social total » – au Sénégal, « tout le monde » connaît Thiaroye –, nous nous sommes attachés à la mise en place d’un système original et formalisé de recueil de données : l’organisation de séances de cinéma du film Camp de Thiaroye auprès de collégiens et lycéens afin de mieux rendre compte de la mémoire vive de la répression aujourd’hui parmi la jeunesse sénégalaise. Ainsi, si le passé colonial, en particulier l’histoire des tirailleurs sénégalais et plus nettement encore la répression de Thiaroye, possède aujourd’hui cette charge significative, ce n’est pas nécessairement qu’il est remémoré « tous les jours ». C’est plutôt qu’il est actualisé dans des problématiques contemporaines, notamment à travers la question migratoire, probablement la question sociale la plus prégnante dans le Sénégal des années 2000. Le passé est ici performatif, il est horizon d’attente.
5En quelque sorte, le passé de Thiaroye devient l’histoire des tirailleurs et il sert alors de métaphore pour une pluralité de « désirs d’ailleurs6 ». Il convient de préciser autant les contours que le noyau de cette métaphore postcolonial afin de tenter de dévoiler un pan du social sénégalais.
Célébrer
6La décennie 2000 a vu la Journée de commémoration du tirailleur connaître d’abord un succès médiatique et populaire puis, selon les éditions, se dérouler en catimini, ne pas avoir lieu ou au contraire revenir avec fracas sur le devant de la scène publique. Dans la volonté de rendre hommage aux anciens combattants, l’événement Thiaroye occupe une place singulière. Il est au cœur des cérémonies qui se déroulent en 2004, 2005 et 2008. Lors de la première célébration, le 23 août 2004, la Journée du Tirailleur fait la une des quotidiens nationaux7. Cette profusion d’articles marque un nouveau tournant dans la production de représentations autour des tirailleurs sénégalais. Elle fournit, de plus, un abondant matériau pour le chercheur. Le quotidien Le Populaire titre ainsi : « Enfin l’hommage aux tirailleurs8. » Puis, le journal écrit : « Étonnant ! Les révélations des historiens et anciens combattants sur les affres de la Deuxième Guerre mondiale ont de quoi nous glacer le sang dans les veines […]. Mais où ont-ils pu tirer l’énergie nécessaire pour faire face aux soldats allemands qui, loin s’en faut, n’étaient pas des enfants de chœur9 ? [sic] » L’historien et l’ancien combattant, l’archive et le témoignage, sont ici placés sur le même plan. Les termes « glacer le sang » ou « l’énergie nécessaire » évoquent la guerre mais également un langage corporel qui renvoie à l’émotion et à la sensibilité, indices de la prégnance d’un tel imaginaire. La rancœur à l’égard de l’ancienne métropole domine, le Journal titre « Les vétérans tirent sur la France10 » tandis que Wal Fadjri avance en « une » : « Ce que Senghor et Abdou Diouf auraient dû faire11. » Le président Wade souhaite ainsi réaliser un événement d’envergure le 23 août 2004, et un décret stipule que l’après-midi de cette Journée est déclarée « chômée et payée12 ». En souhaitant associer tous les salariés sénégalais à cette manifestation – bien que le salariat représente une part relativement faible des travailleurs sénégalais –, l’État cherche à réunir l’ensemble des actifs de la nation à l’événement. Comme le remarque Johan Michel, les « représentations mémorielles lorsque celles-ci sont produites par les institutions étatiques, sont censées s’imposer à l’ensemble des membres de la société13 ».
7Avec l’instauration de la Journée du tirailleur, l’intervention du législateur renforce cette prescription au souvenir. Cette intervention est multiple mais l’événement tel qu’il est conçu en 2004 doit d’abord s’inscrire dans la durée. En septembre 2004, le gouvernement édicte le décret no 2004-1220 comportant deux articles. Le premier proclame que « le Cimetière de Thiaroye, où sont enterrés les Tirailleurs sénégalais morts au cours de la répression coloniale du 1er décembre 1944, est déclaré Cimetière national14 ». En affirmant que cet emplacement est bien le lieu où reposent les tirailleurs, le législateur impose là sa vérité historique, alors que ce point prête encore à débat. L’article 2 du décret avance : « Le 23 août suivant son élection, le Président de la République rend les honneurs aux victimes. Le 23 août de chaque année, le Premier ministre y dépose une gerbe de fleurs15. » Le dépôt d’une gerbe de fleurs procède ainsi d’une forte charge cérémonielle, et par là émotionnelle, qui renvoie à une scénographie politique de la mémoire historique. Observer les commémorations sur plusieurs années, cette ingénierie mémorielle, permet de rendre compte des ostentations du pouvoir, comme de ses hésitations. Étudier le projet et le déroulement de ces cérémonies, à partir des déclarations des acteurs gouvernementaux et de la presse sénégalaise, révèle les ambiguïtés de la gestion de ce passé par l’État sénégalais, qu’il s’agisse d’affirmations contradictoires, de tergiversations ou de critiques à l’encontre des historiens. C’est le langage des acteurs publics qui est d’abord l’objet de l’analyse.
La mise en scène
8L’organisation des différentes Journées de commémoration est présentée comme émanant de la volonté du chef de l’État : « l’histoire retiendra que ce nouveau combat est à inscrire à l’actif du nouveau président sénégalais16 », écrit le journaliste, et par ailleurs rédacteur en chef du Soleil à cette époque, Badara Diouf. En parlant de « nouveau combat », le journaliste se réfère à l’itinéraire politique d’Abdoulaye Wade, figure de l’opposition sous les différents gouvernements socialistes et plusieurs fois emprisonné dans les années précédant son accession au pouvoir. Le journal Le Soleil, titre le 25 août 2004, « Bravo Wade17 ». L’article s’adresse au président en ces termes :
« Nous voulons dire à Abdoulaye Wade ce courage lucide, ce patriotisme sans fioriture, cette vision lumineuse et tenace, toujours la même d’une belle et grande Afrique à construire, cette inébranlable volonté de bâtisseur qui l’habite, sans oublier cet esprit de sacrifice et ce don de soi sans lesquels aucune grande œuvre n’est possible […]. Voici qu’en prophète d’une mission sinon impossible, du moins difficile, en votre qualité de président de la République du Sénégal, du haut de votre chaire respectueuse, vous reprenez le combat18. »
9Plusieurs démonstrations eurent lieu ce 23 août : des défilés militaires en costumes d’époque, la reconstitution de batailles entre Lat Dior et les tirailleurs sénégalais. Selon Ferdinand De Jong, l’État postcolonial cherche à inscrire ses mythes fondateurs originels dans un passé précolonial19, mais le moment colonial est aussi au centre de ce dispositif. Un des moments forts de cette journée fut la réhabilitation de la statue Demba et Dupont. Cette stèle symbolisant un soldat africain et un soldat français avait été inaugurée en 1923 au lendemain de la Première Guerre mondiale20 puis déboulonnée soixante ans plus tard, une nuit d’août 1983, sous Abdou Diouf, justement parce qu’elle était considérée comme un symbole du paternalisme colonial français21. Quelques jours après les cérémonies du 23 août, le président Wade propose l’aménagement de la Place du tirailleur ; il souhaite la relier à la Place de l’indépendance, distante de quelques centaines de mètres. La première doit être « une place très belle à vocation architecturale du souvenir, de détente, de tourisme, etc. Il a émis l’idée d’un grand restaurant et d’un hôtel des Invalides22 ». Ces projets, qui n’aboutirent pas, renseignent plus sur les manières présidentielles de gouverner que sur le lien entre l’appareil d’État et l’histoire des tirailleurs. L’année suivante, Le Soleil titre : « “Journée du Tirailleurs”. Dix-mille jeunes pour entonner l’hymne de la renaissance23. » C’est l’impression de gigantisme qui domine renvoyant à l’idée d’une tentative de « monumentalisation du passé24 ». L’expression est ici double. Elle signifie, d’une part, littéralement la construction du rapport à l’histoire dans des lieux physiques, à travers des bâtiments, et renvoie, d’autre part, à la démesure du projet historico-culturel d’Abdoulaye Wade. Patrice Dramé note que « l’avènement au pouvoir du régime libéral de l’alternance en 2000 jette les bases d’un nouveau dynamisme en matière culturelle. Le nouveau président Abdoulaye Wade ambitionne en effet de “faire mieux et plus” que ses prédécesseurs. Il met alors sur pied un véritable programme de développement culturel appelé “grands travaux culturels du chef de l’État”25 ». Si l’idéologie de la présidence de Senghor fut placée sous le sceau de la culture et celle d’Abdou Diouf sous le joug des réformes institutionnelles, celle d’Abdoulaye Wade le fut particulièrement sous celui de l’utilisation de référents historiques et culturels, on peut alors parler d’une « histoire bling-bling [qui] brille mais n’éclaire pas26 », c’est-à-dire une histoire qui peut-être laisse peu de place à la réflexion critique pour le citoyen. En 2008, le rapport des Assises nationales27 se montrait ainsi particulièrement critique face à la politique culturelle du président Wade en notant qu’une « véritable politique culturelle ne saurait se réduire à un chapelet d’édifices isolés les uns des autres, ni à une série de manifestations plus ou moins folkloriques et sans lendemain28 ». Le président semble donc vouloir tirer un gain politique de cette commémoration qui fait apparaître une « vision idyllique du tirailleur29 ».
10Ces constructions du passé intègrent également des historiens. L’écriture d’une histoire officielle est ici brandie par la plus haute autorité de l’État. Elle participe d’un sensationnalisme qui oblige les historiens, sans prendre en compte des débats qui régissent la discipline, à écrire un roman national lié à ce que l’on juge être des besoins de mémoire. La Journée de commémoration du tirailleur sénégalais s’attache, c’est une constante des diverses éditions, à souligner le rôle des Africains dans l’édification du « monde libre », c’est-à-dire essentiellement le monde occidental. Ruth Ginio suggère que « la mise en valeur de l’héroïsme de ces soldats sert de compensation au processus de décolonisation qui, au Sénégal, n’a pas produit de “véritables” héros. La libération vaillante de l’Europe peut remplir, dans la mémoire sénégalaise, l’absence d’une telle libération en Afrique de l’Ouest30 ». Pour les tirailleurs, on réclame « justice pour les oubliés de l’histoire31 ».
Le paradigme du soupçon historiographique
11L’usage de ce passé, l’édification d’une telle mémoire, doit se comprendre en termes de besoin d’un nouveau récit sur les tirailleurs. Le 23 août 2004, Le Soleil titre ainsi en « une » : « Les héros sortis de l’ombre », avec en photo une rangée d’anciens combattants décorés. Considéré comme un oublié de l’histoire, « le » tirailleur est alors souvent associé au statut de victimes. Comme le note Tzvetan Todorov dans ses réflexions sur Les abus de la mémoire : « Si personne ne veut être une victime, tous, en revanche, veulent l’avoir été, sans plus l’être ; ils aspirent au statut de victime32. » La tentative d’écrire une nouvelle histoire des tirailleurs, nécessairement glorieuse, est explicite. Elle est même revendiquée. Dans la trentaine d’articles parus dans Le Soleil en août 2004 relatifs aux tirailleurs sénégalais33 n’apparaît aucun historien du département d’Histoire de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Cette écriture jette le soupçon sur le travail des historiens. Badara Diouf l’énonce ainsi : « Si les livres d’histoire, non seulement en France, mais plus généralement en Occident et dans le monde dit libre sont muets sur les chapitres qui concernent la participation des Africains à la victoire lors des deux Grandes Guerres mondiales, c’est bien à dessein34 », ce qui participe d’un véritable soupçon historiographique. C’est une histoire pleine d’emphase qui est proposée par la presse, comme le montrent certains titres : « Pour la gloire et pour l’immortalité35 » ; « Une si longue et fabuleuse histoire36 » ; « Pour une réécriture de l’histoire37 » ; « La réécriture de l’histoire commence38… » ; « Le rôle des Tirailleur revisité39 » ; « Un devoir de mémoire et de vérité historique40 ». Ce répertoire constitue une forme de récit dominant. Les thèmes principaux sont ceux de « la chair à canon » durant la Première Guerre mondiale, des exactions de l’armée allemande lors de la Seconde, enfin de la cristallisation des pensions lors des indépendances. Dans ce temps long de l’iniquité et de l’oppression, par ailleurs bien réel, le débat semble s’articuler autour d’un seul paradigme : la réhabilitation des anciens combattants. La presse présente la figure d’Abdoulaye Wade comme l’homme à qui incombe cette tâche, préalablement aux historiens : « Pour que les “nouvelles générations se souviennent, qu’à l’heure des rendez-vous des batailles pour la liberté, l’Afrique était présente”, le président Wade leur a demandé [à une équipe d’historiens] d’envisager des programmes d’insertion de l’histoire des Tirailleurs sénégalais dans les manuels scolaires41. » Dans ce cadre, où il s’agit d’« immortaliser le souvenir42 », ce paradigme du soupçon historiographique laisse peu de place aux chronologies successives et aux processus mémoriaux qui ont construit des images différenciées du tirailleur, à travers le temps et l’espace.
12De plus, cette écriture semble participer d’une tentative de renforcement de la cohésion nationale. Le courage, l’honneur, la tradition, voire la noblesse sont des valeurs qui reviennent régulièrement lorsqu’on évoque les tirailleurs. Le premier ministre Macky Sall, en s’adressant aux anciens combattants, déclare en août 2006 : « Fidèles aux idéaux nobles des Africains et aux valeurs traditionnelles de l’Afrique, vous n’avez pas plié face à l’ennemi et avez surtout bravé tous les risques et intempéries au péril de votre vie. Votre combat a certes traversé les époques mais il restera toujours actuel. Jamais il ne sera achevé. Et c’est pourquoi au Sénégal comme partout en Afrique, on vous devra cet hommage mérité43. » Il s’agit pour la puissance publique de dresser un lien au sein même de l’armée, entre les soldats de l’armée coloniale et ceux de l’armée actuelle. Macky Sall poursuit son discours en se tournant vers les soldats sénégalais en fonction et en les apostrophant : « Ils ne se lasseront point de s’inspirer de votre sens de l’honneur et de votre esprit de sacrifice. Leur devise, on nous tue mais on ne nous déshonore pas, est née de l’exemple que vous avez donné aux jeunes générations44. » En élargissant l’interpellation « aux jeunes générations », ce discours dépasse les militaires et s’adresse à la Nation toute entière. C’est la jeunesse qui est visée en premier lieu. Mais les producteurs de ces représentations sont multiples.
Le musée de l’Armée : les tirailleurs et la « militarité » sénégalaise
13L’institution militaire organise aujourd’hui ce qu’elle considère être son histoire. C’est notamment au musée des Forces armées qu’incombe ce rôle. L’idée d’un musée de l’Armée émerge dans les années 1980 quand « l’État-major général des armées initie une tentative de regroupement des archives des armées45 ». En 1990 c’est une direction du Musée qui est créée et, en 2006, le Musée est rattaché par un décret présidentiel à la direction des archives et du patrimoine historique des forces armées, dépendant du ministère des Forces armées. Outre un financement étatique, le Musée reçoit également des donations financières et des objets provenant des organisations d’anciens combattants français46. Cela reflète le partage de valeurs communes entre les militaires des deux pays. Si Abdoulaye Wade a joué un rôle de catalyseur dans l’institutionnalisation du passé colonial, de nombreux intermédiaires aident à comprendre les procédures de cette mise en forme. Pour les responsables du Musée, l’objectif est moins d’écrire une histoire du corps des tirailleurs, ou un récit de l’armée moderne sénégalaise, qu’une odyssée combattante, inscrite dans la longue durée : « La mémoire combattante n’a pas commencé avec la colonisation. À l’époque précoloniale, il y avait des armées traditionnelles bien structurées qui d’ailleurs ont résisté à la pénétration coloniale. Nous avons comme ambition de commencer l’histoire à partir de cette période-là, pour arriver à l’époque actuelle avec les forces armées modernes » avance Mamadou Koné, le conservateur47. À travers la constitution d’un nouveau récit postcolonial entourant l’unité nationale, se dessine la volonté politique de fabriquer une image du combattant sénégalais enracinée dans un temps précolonial et renvoyant à une « authenticité » africaine. On dessine alors peut-être une histoire notionnelle, où le sacrifice et le courage des guerriers africains représentent un discours sur la vie quotidienne.
14Dans un article paru en 2006, l’historienne Ruth Ginio analyse trois sites pour comprendre la mémoire contemporaine des tirailleurs dans le Sénégal des années 2000 : la statue Demba et Dupont, le cimetière de Thiaroye et enfin ce Musée. Elle soutient qu’à travers ces trois sites, trois images dominantes du tirailleur apparaissent : celle du traître, celle de la victime et celle du héros. Pour elle, le récit du Musée présente avant tout les soldats coloniaux africains comme des héros48. Dans ce récit, les recrutements forcés, les résistances à ces recrutements, les privations, les discriminations, les humiliations subies dans l’armée coloniale sont évacués. On retrouve ici un brouillage des temporalités historiques, la narration met en avant d’abord les qualités morales comme les qualités physiques des guerriers. La construction narrative proposée par le musée des Forces armées permet ainsi de véhiculer des valeurs que l’armée estime être importante aujourd’hui pour sa promotion. Malgré des « agendas » différents, il existe des proximités entre l’action gouvernementale – essentiellement incarnée par la volonté du président Wade – et l’armée. Elles charrient un corpus de mémoires autour de l’histoire des tirailleurs. Signalons le rôle du président Wade lui-même qui s’est manifesté dans l’appui culturel à certaines œuvres littéraires, œuvre dont par ailleurs il est parfois co-auteur. Les titres mêmes des ouvrages parus aux éditions Maguilen à partir de 2007 illustrent une vision de l’histoire des anciens combattants en termes épiques : Les Chevaliers noirs49 ; Une fresque pour Thiaroye50 ; Un président au service des tirailleurs51. Ces ouvrages sont d’ailleurs préfacés par des généraux. Dans les années 2000 « l’objet tirailleurs » semble devenir un objet omnipotent, un objet de désir, un fétiche de la postcolonialité sénégalaise, pour reprendre les termes d’Achille Mbembe52.
Les jeunes mémoires
15Un des moyens que l’État possède pour assurer la socialisation de la mémoire des tirailleurs est le canal scolaire et c’est d’ailleurs une des tâches que s’assigne le président Wade. En 2008, ce dernier annonce que l’histoire des tirailleurs sera désormais enseignée à l’école, un manuel d’enseignement de la vie des tirailleurs devant être utilisé dans les classes du cycle élémentaire dès la rentrée suivante. Il doit contribuer à combattre l’injustice du « désintérêt dont l’histoire des tirailleurs est l’objet53 ». Le communiqué présidentiel précise que cette histoire doit concerner toutes les tranches d’âge, « désormais les bibliothèques seront garnies de manuels sur le parcours des Tirailleurs et, dès la rentrée figurera dans les programmes d’études de la classe de 6e à l’Université, l’histoire de nos vaillants combattants54 ». Cette volonté d’enseigner une histoire africaine trouve ses racines dès l’indépendance où il s’agissait de mettre l’accent sur les grands ensembles politiques de l’Afrique précoloniale, la traite négrière55 mais aussi les histoires nationales, intégrant notamment les périodes de la colonisation et les luttes pour l’indépendance56.
16Le Sénégal a adopté diverses réformes de l’enseignement de l’histoire dont la dernière date de 1998, et a été renforcée en 2004. Les programmes d’histoire du secondaire insistent sur les réalités africaines dans la longue durée, tandis que la période contemporaine commence plus explicitement en fin de classe de 4e. Dans ce cadre, l’événement Thiaroye s’intègre dans les programmes de 3e et de 1re lorsqu’est abordée la Seconde Guerre mondiale. En classe de 3e, une leçon « renforcée » prend pour objet spécifique le corps des tirailleurs sénégalais57. Pourtant, il existe un décalage entre les programmes et les manuels, notamment parce que le Sénégal participe peu à ce marché éditorial, et ce sont les manuels français qui restent majoritairement utilisés – et où Lat-Dior, Béhanzin, Samory sont inconnus. Il s’agit donc pour ces enseignants de « bricoler » leurs propres supports didactiques afin de mieux enseigner cette histoire. Dans ce cadre, l’enseignement de Thiaroye est assez significatif de cette « personnalisation » des programmes liés à l’enseignant. André Sarr, enseignant au lycée de Fimela dans la région du Saloum au milieu des années 2000, nous indique que l’événement Thiaroye est peu enseigné : « Thiaroye n’est pas évoqué plus que ça, peut-être deux lignes en passant58. » Samba Diop, enseignant au lycée de Thiaroye et, auteur d’un mémoire de maîtrise sur les événements dès 199359, tente ainsi de remédier à ce qu’il considère comme un manque de l’État en organisant des visites avec ses élèves sur le site même du massacre :
« On a organisé un petit collectif avec des amis, on en a fait notre affaire, on travaillait au niveau local. Certains étaient enseignants dans le même établissement, d’autres non, mais on habitait tous dans le même environnement. On a créé une sorte de collectif, chaque fois qu’il y avait des manifestations, on se partageait les tâches, certains ramenaient les élèves de leur établissement60. »
17La gestion de l’histoire de Thiaroye est donc liée à la volonté de certains enseignants pour lesquels il s’agit, en quelque sorte, d’une « affaire personnelle ». En 2007, le sujet d’histoire-géographie du Brevet de fin d’études moyennes (BFEM), correspondant au brevet des collèges français et touchant des adolescents de 14-15 ans, était un texte de 1972 de Jean Suret-Canale sur les événements du 1er décembre 1944. On peut se demander si le choix du sujet n’est pas en partie lié à la mort d’Ousmane Sembene, décédé quelques semaines avant le BFEM ; l’explication de textes dans l’épreuve de Français est d’ailleurs tirée d’un roman de Sembene Ô pays, mon beau peuple. Le choix d’un sujet d’examen renvoie souvent à l’actualité immédiate, et plus largement à un écho du temps présent, ici lié à l’ère commémorative du président Wade initiée trois ans plus tôt. Mais on doit aussi suivre ces enjeux didactiques quant à la formation des enseignants.
L’enseignement supérieur
18L’enseignement supérieur fait lui aussi l’objet d’attention de la part des autorités sénégalaises, afin de développer un système d’enseignement et de nouvelles recherches sur les tirailleurs. C’est la Faculté des sciences et technologies de l’éducation et de la formation (FASTEF), anciennement l’École normale supérieure (ENS), qui a pour mission d’assurer la formation des enseignants du primaire et du secondaire. Pendant leur formation les élèves-professeurs réalisent un mémoire de fin d’étude, dont le sujet est souvent proposé par un encadrant. Dans le cas de la FASTEF, l’accent mis sur les tirailleurs comme objet de recherche est délibéré. Il s’agit d’un programme qui, en 2010, était coordonné par l’historien Abdoul Sow, lui-même auteur d’un ouvrage sur le premier capitaine noir de l’armée coloniale, Mamadou Racine Sy61 et qui depuis la fin des années 1990 a encadré annuellement environ une dizaine de mémoires sur les tirailleurs. Ainsi, plus de vingt-sept mémoires de fin d’étude concernant les tirailleurs ont été soutenus entre 2003 et 200662, ils concernent les trajectoires biographiques d’anciens combattants dans l’armée coloniale. La quasi-totalité de ces mémoires ont pour titre « Itinéraire d’un ancien combattant » ou « Itinéraire d’un ancien tirailleur », suivi du nom d’un ou de plusieurs protagonistes. Ces travaux font partie d’un projet d’histoire orale financé par l’État sénégalais et les anciens combattants ont répondu à un questionnaire standardisé63. Deux mémoires concernent la Seconde Guerre, sept la guerre d’Indochine et onze la guerre d’Algérie ; neuf autres ne précisent pas le parcours de ces anciens combattants, certains intègrent plusieurs conflits. Le rapide survol des titres de ce corpus indique qu’une nouvelle narration, et donc une nouvelle mémoire, de l’armée coloniale semble, peut-être, se dessiner au Sénégal. À la différence des dispositifs de commémoration impulsés par l’État sénégalais depuis 2004, le ressort de ce récit n’est pas celui des deux guerres mondiales. En s’intéressant aux guerres d’Indochine et d’Algérie et en recueillant la parole de témoins de ces guerres, les travaux produits dans le cadre de la FASTEF fournissent un matériel de première main qui viendra probablement complexifier une narration concernant ces troupes.
19Un autre lieu de cette production intellectuelle est l’université Cheikh Anta Diop (UCAD). Le département d’Histoire forme plus spécifiquement des enseignants-chercheurs du supérieur. Plusieurs mémoires de maîtrise et de DEA montrent un attrait pour ce thème64. Si l’on s’en tient au catalogue en ligne de l’UCAD, en tapant « tirailleur » comme mot-clé65, on en compte six, dont quatre après 2007. Dans le catalogue des ouvrages disponibles à l’université Cheikh Anta Diop, l’ouvrage de référence de Myron Echenberg Les tirailleurs sénégalais en Afrique occidentale française, 1857-1960 est disponible en un seul exemplaire, tandis que celui du journaliste Charles Onana, La France et ses tirailleurs : enquête sur les combattants de la République 1939-2003 l’est, lui, en vingt-deux ! L’espace de production de savoirs sur les tirailleurs est ici contingent de choix matériels et les ambiguïtés de l’écriture de cette histoire résident peut-être plus dans les sources secondaires que dans les matériaux oraux ou les sources d’archives disponibles aux Archives nationales du Sénégal à Dakar.
Cinéma, histoire, ethnographie
20À partir des connaissances préexistantes des élèves de l’enseignement secondaire sur l’événement du 1er décembre 1944, on peut tenter de comprendre comment, depuis la diffusion du film Camp de Thiaroye, de nouvelles représentations sur Thiaroye sont incorporées. Il s’agit d’aborder en premier lieu des questions d’ordre méthodologique et épistémologique liées à la réception de cette mémoire parmi la jeunesse scolarisée. Les lectures du massacre que ces jeunes restituent trouvent leurs sources dans la mémoire dominante que la société sénégalaise attache à cet événement, dans des leçons d’histoire acquises durant la scolarité mais aussi dans des mémoires autres, peut-être irréductibles aux trajectoires individuelles des acteurs. Ces trajectoires s’enracinent notamment dans la mémoire familiale. Quelles lectures de la répression, recyclées ou originales, peuvent donc être produites lorsqu’on visionne un film ? À partir principalement d’une méthodologie d’observation participante, d’entretiens de groupe et d’un recueil d’écrits fournis par les élèves, on peut tenter de décrire les représentations qu’une partie de la jeunesse sénégalaise, la jeunesse scolarisée, attache aux événements de Thiaroye 44. Cette méthodologie permet, sans doute, d’analyser empiriquement les procédés de réception mémorielle. La méthodologie a consisté à projeter Camp de Thiaroye pour comprendre les représentations que les élèves attachaient aux propres interprétations des réalisateurs. Il s’agit d’une mise en abyme de l’histoire à un deuxième, voire un troisième, niveau. Les séances cinématographiques se sont déroulées grâce à la collaboration d’un professeur d’histoire-géographie du secondaire au lycée de Thiaroye-Gare, Samba Diop, un complice mentionné plus haut, professeur également dans un lycée privé, le lycée Seydou Nourou Tall à Pikine – à quelques centaines de mètres du camp militaire et du lieu du massacre. C’est là qu’eut lieu l’une des séances66. L’autre s’est déroulée au lycée Diogoye Basile Senghor de Fimela, commune située dans la région de Fatick, à une centaine de kilomètres au sud de Dakar. Le choix de ce deuxième lycée s’est essentiellement opéré grâce à des contacts établis depuis plusieurs années, avec un enseignant – André Sarr – ainsi qu’avec nombre d’habitants de la commune67. Le choix du public fut donc celui de deux collèges-lycées, dans une zone rurale et dans la banlieue dakaroise. Les projections du film ont eu lieu hors des horaires scolaires, ce qui supposait une certaine adhésion pour ces adolescents qui devaient revenir dans l’enceinte de leur établissement. Étaient concernés en priorité tous les élèves des classes de 3e et de 1re, dont le programme impliquait des leçons sur les tirailleurs des deux guerres mondiales, même si, finalement, d’autres élèves assistèrent aux projections. Cette démarche – travailler avec des adolescents – afin de comprendre l’épaisseur de la mémoire contemporaine de Thiaroye, répond à une réalité démographique. Ainsi, les derniers chiffres consultables faisaient état de plus de 50 % de la population sénégalaise âgée de moins de 20 ans, même si seulement 24 % de la tranche d’âge des 10-19 ans était scolarisée68. La constitution d’un échantillon de plusieurs dizaines d’adolescents lors des deux séances permet peut-être d’esquisser le contenu d’une mémoire collective pour cette tranche d’âge, et pour les jeunes « faisant les bancs ».
21Lors des deux séances, les objectifs étaient multiples. D’un point de vue didactique, il s’agissait principalement de fournir des éléments d’informations autour de l’événement, de restituer la démarche et les aléas de l’entreprise historienne, et notamment les difficultés auxquelles sont confrontés les chercheurs travaillant sur Thiaroye. Plusieurs types de sources furent mobilisés et présentées aux adolescents, incluant aussi la mémoire du drame : des rapports militaires écrits par l’armée française, des témoignages recueillis auprès d’anciens combattants présents lors des faits, des poèmes – notamment celui écrit par l’ancien président-poète, Léopold Sédar Senghor – ainsi que des chansons. Ces documents furent imprimés et disposés dans les salles où eurent lieu les séances cinématographiques, l’ensemble formant une sorte de dispositif muséographique liant l’histoire et la mémoire de l’événement. Cette expérience d’histoire publique69, face à des acteurs en phase de socialisation, autorise, peut-être, à mieux comprendre in situ la formation de nouvelles représentations historiques. La méthode ethnographique, qui « suppose une activité d’éveil qui mobilise la sensibilité de l’ethnologue, plus particulièrement la vue, et plus précisément encore […] le regard70 », permet de cerner ces mémoires à l’œuvre. Ce sont des rires, des moues, des sursauts, des chuchotements qui constituent alors un lieu privilégié du rapport à l’histoire. Cette gradation dans l’enquête – observation participante puis focus groupe plutôt que des entretiens individuels, enfin recueils de textes écrits par les élèves – permet de déceler un moment individuel où la mémoire historique semble s’animer. Cela nous aide à approcher au plus près l’organisation des souvenirs. Un autre moyen pour recenser des données fut de demander aux élèves de répondre sur des copies – qu’il ne s’agissait évidemment pas de noter – à un petit questionnaire. Les questions abordaient le film en général et certains personnages en particulier.
22La méthode ethnographique présentée ici impose une certaine réflexivité de la part du chercheur et ce sont d’ailleurs les élèves qui me l’imposèrent. Ainsi, une élève me posa une question : « Moi, je voudrais savoir, toi Martin en tant que Français, ce que tu penses de cet évènement et quel est le sens de ta démarche ? » (Hadja). Un autre rôle m’était dévolu, celui de passeur de mémoire, la même adolescente affirma : « Il faut que vous fassiez connaître cette histoire à la France, parce que je crois vraiment que cette histoire n’est connue qu’en Afrique, il faut faire des reportages, des documentaires, pour qu’on puisse connaître cet épisode colonial. » On me demanda aussi si j’étais envoyé par Jacques Chirac. Ces commentaires semblent d’emblée montrer l’importance que représente Thiaroye pour la jeunesse. Babacar écrit : « Ce film Camp de Thiaroye d’Ousmane Sembene, nous apporte beaucoup de savoirs sur la vie coloniale. Ce film est d’une importance capitale pour nous citoyens africains, notamment nous les jeunes, car il révèle la façon de vivre des colons et des tirailleurs. » Les débats qui s’engagèrent à la fin de la projection tournèrent autant autour de Camp de Thiaroye que du contexte général de la Seconde Guerre mondiale. Les remarques et questions portèrent d’abord sur les causes de cet évènement : « Pourquoi le commandant n’a pas respecté ses engagements auprès des tirailleurs et a refusé de payer ce qu’il leur devait ? », demanda ainsi Fatou. « Moi, je voudrais savoir pourquoi les Noirs ont accepté d’aider les Blancs ? » renchérit en écho Rama, tandis qu’Ousmane demanda si « le bombardement de Thiaroye est vraiment une surprise alors qu’il y avait déjà eu la traite négrière et l’esclavage ? Est-ce que les tirailleurs ne pouvaient pas se douter de ce qu’il allait leur arriver ? » Ces questions, dont certaines sont encore débattues par les chercheurs, démontrent une certaine appréhension historienne de la répression. La première concerne la situation économique exsangue de l’État français et pose la question de savoir si la tuerie est imputable principalement aux mentalités racistes des officiers : elle permet d’aborder l’enjeu historiographique de la préméditation dans le massacre. Plus généralement, cette question renvoie au problème de l’explicitation et du lien causal en histoire. La deuxième question permet d’évoquer les différents niveaux de conscription des soldats africains. Ces processus furent divers suivant les régions de l’Afrique occidentale française et les séquences historiques, ce qui permettait alors de discuter avec les élèves des variations de la situation coloniale. La troisième question, la plus délicate, se demande si l’on peut lire l’avenir dans le passé et partant s’il y a un sens dans l’histoire. Les questions posées indiquent aussi la persistance d’un passé vécu comme douloureux. Babacar écrit ainsi : « Oui, j’avais déjà entendu parler de Thiaroye. Dans tous les cas on m’avait dit que les Noirs étaient maltraités, moralement et physiquement par les Blancs. » La question du racisme, posée dans le questionnaire, montre la persistance de ces schèmes. El Hadji avance : « Au temps de la colonisation, ces Blancs étaient plus racistes que les Blancs d’aujourd’hui. Ceux de la traite négrière sont les chefs des racistes, ils sont plus racistes que les Blancs du temps colonial et ceux de maintenant. » Toutefois, pour Abdou : « Malheureusement tous les peuples ont le même niveau de racisme. » Boubacar me demande lui si je pense « qu’un jour l’Afrique va pardonner ? » Ces quelques exemples, formulés avec des mots d’adolescents, doivent être pris au sérieux. Ils illustrent une perception de l’histoire encore vivace et actualisée dans l’expérience contemporaine. Les commémorations instaurées depuis 2004 étaient appréciées par les élèves même si l’État était interpellé :
« Le camp de Thiaroye devrait être un lieu historique où les hommes viennent pour prier au nom de nos anciens combattants, mais actuellement si vous allez à Thiaroye, où le massacre a eu lieu, vous voyez que le lieu est complètement dégradé, on fait du n’importe quoi. Ça je le déplore. Pour moi, le gouvernement sénégalais en est responsable, le camp de Thiaroye doit être un lieu de mémorandum, un monument pour toute la jeunesse, cette histoire doit être gravée dans la mémoire des générations et des générations à venir »
Ousmane.
23Le retour, un an plus tard, au lycée de Pikine a laissé apparaître un certain étiolement du contenu de l’œuvre de Sembene et de Sow, au profit d’images et de sentiments liés à l’affectivité et aux sens à accorder aux événements de Thiaroye 44 aujourd’hui :
« Quand j’ai vu le film j’étais triste, franchement j’avais de la haine parce que c’était quelque chose d’évident, les tirailleurs ne méritaient pas ça, d’être tués, maltraités comme ça. Je me suis sentie très triste et dégoûtée » (Ndeye). « Je me suis dit ça c’est de la barbarie, parce que tuer des gens comme ça et les laisser pourrir à l’air libre, ça je trouve que ce n’est pas humain, vraiment j’avais de la haine, […] mais maintenant, ça va j’ai pardonné »
Amadou.
24Ces paroles montrent la persistance des images et engagent alors une réflexion sur le lien entre mémoire historique, émotions et identité. Le dispositif ethnographique présenté, à l’intérieur duquel le film Camp de Thiaroye était la pièce maîtresse, a permis de retravailler les mémoires existantes. Il permettait de se placer au centre des interactions qui déterminent l’acquisition et la formation de nouvelles représentations historiques comme le recyclage de certaines autres. Mais pointer les différentes séquences où la mémoire historique prend forme, semble se fixer – le film, la scène ethnographique et l’observation participante, les entretiens sur le moment puis un an plus tard, les écrits laissés par les élèves –, ne signifie pas nécessairement que le contenu de ces représentations opère une rupture avec les mémoires dominantes de la répression. Certains élèves ont souligné la notion de la trahison dans leur représentation de l’événement, cette trahison concernant le groupe des tirailleurs, voire l’Afrique en général. D’autres valeurs, contraires de la trahison, étaient par contre mentionnées. Elles concernaient le souvenir positif que l’on attache aux tirailleurs :
« Moi vraiment je veux souligner leur bravoure, parce que vraiment ils étaient braves, ils ont lutté, ils ont fait preuve de bravoure, quand j’ai suivi le film j’étais ébahi, parce que vraiment le fait de voir des gens se battre pour quelque chose, j’étais fière d’eux, leur bravoure m’a vraiment marquée… »
Anta.
25Associer des notions telles que l’honneur et le courage – du côté des tirailleurs – opposées à la trahison et à la couardise – du côté français –, évoque des représentations portées par l’État sénégalais. Elles étaient d’ailleurs déjà à l’œuvre dans les différentes séquences historiques des années 1950 et 1970 où des militants tentaient d’affirmer – et d’affermir – le souvenir de Thiaroye dans l’espace public. Mais la constitution de procédés socio-symboliques attachés à un événement singulier trouve un écho dans des expériences ordinaires et répétées. Cela nécessite alors d’inventorier « en même temps que les rythmes de la mémoire, les modes de présence du passé en nous, la façon dont les passés habitent le présent, et non plus simplement la façon dont le présent fait usage des passés71 ». Il s’agit alors de poursuivre l’examen de ces façons de « vivre le passé » pour la jeunesse à propos non plus d’un événement mais de différentes figures historiques : « le » tirailleur et certains héros africains.
Nouveaux scriptes, nouvelles histoires, nouveaux combats
26La mémoire de Thiaroye est une histoire vivante. En suivant notamment les perspectives développées par Cornelius Castoriadis dans son ouvrage L’institution imaginaire de la société, on peut revenir sur les représentations qui ont conduit à lier, au Sénégal dans les années 2000, la sociohistoire des tirailleurs avec des dynamiques, pratiques et symboliques, notamment en ce qu’elles touchent à un des enjeux les plus importants pour la jeunesse : les migrations vers l’Europe. De ce point de vue, l’imaginaire « actif comme tel, se situe à un autre niveau que n’importe quelle détermination fonctionnelle72 ». C’est ici dans le champ culturel que se révèlent ces dynamiques mémorielles et identitaires. Si le souvenir de la répression a largement été mis en œuvre dans la culture populaire, à travers cette problématique « du populaire », il s’agit de « saisir le jeu intime des relations entre les différents acteurs du système social, du point de vue des acteurs subordonnés plutôt que de celui du pouvoir [conduisant] quasi automatiquement à une problématique de la médiation73 ». C’est par le champ culturel que se révèlent ces dynamiques mémorielles et identitaires. À partir du début des années 1980 apparurent des compositions musicales concernant l’événement de Thiaroye mis en forme sur les rythmes du sabaar74 sénégalais, le Mbalax. Il s’agit moins de s’intéresser ici à une chronologie stricte de la mémoire que de prendre pour angle d’analyse un processus qui tend à la décloisonner socialement. Dans les propositions développées par Castoriadis, et à travers un objectif qui cherche à dépasser une appréhension structurelle et marxiste du social, l’inconscient individuel enraciné dans un « social-historique » collectif se trouve au cœur de l’analyse. Pour cet auteur « ce qui tient une société ensemble, c’est le tenir ensemble de son monde de significations75 ». Comment alors penser la mémoire des tirailleurs hors de ces canaux de transmissions habituels ?
Sabaar et sample
27Il est difficile d’établir une liste exhaustive des chansons traitant de l’événement Thiaroye, qu’il s’agisse du thème principal ou bien simplement d’un couplet, voire d’une allusion. On ne suivra pas l’ensemble de ces interprétations. Citons tout de même dès 1984 Ousmane Diallo, dit Ouza, qui intitule justement un morceau Thiaroye : avec ce titre « il passe comme le musicien le plus engagé de son époque [et] fait vibrer les cœurs des Sénégalais76 ». D’autres groupes, Adjoa, Niominka, s’emparent également de ce thème. Puis, en 1996 Mansour Seck compose une chanson Thiaroye, tandis qu’en 1997, El Hadj N’Diaye intitule son premier album « Thiaroye » ; en 2005, l’artiste Meïssa réalise un album Entre Seine et Sine où il met en musique dix poèmes de Léopold Sédar Senghor. On y trouve le poème Tyaroye, tandis que dans Mes racines, sorti en 2013, Ablaye Cissokho conclut son album par le morceau Thiaroye 44, un morceau sans paroles où seuls les cordes de la kora résonnent. Il y aurait ainsi toute une histoire à faire de la mise en musique de la répression du 1er décembre 1944.
28Baaba Maal qui commence sa carrière au milieu des années 1980 est aujourd’hui un artiste internationalement reconnu et extrêmement populaire au Sénégal et en Mauritanie – et notamment dans le milieu « pullarophone », ceux qui parlent le pular. Il est originaire de la vallée du Fleuve à la frontière entre ces deux pays. On trouve la chanson « Thiaroye » dans l’album Jombaajo (« L’enfant unique ») sorti en 2000. À l’exception du titre, ce morceau dit peu de chose sur le contexte de l’événement. Si le nom Thiaroye apparaît de manière lancinante à plusieurs reprises, les paroles évoquent une bataille, une défaite subie par les combattants victimes d’une charge de la cavalerie. Le bruit des pas des chevaux qui arrivent imprime une dimension angoissante à la chanson. Baaba Mal77 évoque ce « jour de Thiaroye [où] des âmes se sont envolées78 », il « pleure ce combat sans témoins, sans survivants79 ». Puis, au tiers de la chanson, il apostrophe un destinataire absent : « Tu as commis Thiaroye, mais moi je le sais80. » Ici l’interpellation peut être double : en effet, l’auditeur ne sait pas si le destinataire est le colon français ou bien le pouvoir sénégalais. Baaba Maal répète cette affirmation qui devient injonction : « Dis-moi, dis-moi, parle-moi de Thiaroye81. » L’adresse se fait alors explicite : « Parle-moi mon frère, mon parent82 », ce qui permet de dire que la demande d’explication est faite au pouvoir sénégalais. En conclusion de la chanson, le chanteur cite des pays de la sous-région : Sénégal, Mauritanie, Guinée, Côte-d’Ivoire, dont les ressortissants étaient intégrés dans le corps des tirailleurs sénégalais.
29Marcel Salem compose, lui, ses chansons principalement sur des rythmes reggae. D’origine serrère, il vit entre la France et le Sénégal ; en 2003 il produit un album intitulé « Carroye 44 » – l’orthographe serait la transcription serrère de Thiaroye. Sa chanson débute ainsi : « Si vous n’entrez pas au paradis ; Qui peut y entrer ? ; C’est terrible ; C’est impardonnable ; Thiaroye, Oh Oh83 ! » En abordant la chanson par le thème du paradis, Marcel Salem entend rendre un hommage aux morts du 1er décembre 1944 en les inscrivant dans le champ du religieux. La dernière phrase évoque le pardon, qui ne peut advenir. La strophe suivante entend rappeler la douleur du compositeur :
« Ce fut effroyable ; Nos grands-parents y gisent ; Personne ne peut m’empêcher de le hurler ; Les toubabs ont pris nos grands-parents pour les conduire à l’arène ; À l’arène, rappelez-vous ! ; Mes grands-parents sont morts pour que les Blancs aient leur victoire ; Rappelez-vous Thiaroye ; Moi, mon devoir est de le chanter ; Ils auraient dû vous remercier mais ils ne l’ont pas fait ; Ils vous ont fusillés ; Souvenez-vous ; Quelqu’un a-t-il déjà vu quelque chose d’aussi ignoble ? ; Depuis la nuit des temps, qui a déjà vu pareille bestialité ? ; Jamais scandale n’aura atteint pareille ampleur84 ! »
30La répétition du terme « grands-parents » exprime que toute la communauté est touchée par le drame de la guerre. Après avoir rappelé son rôle dans la transmission de ce souvenir, qui est donc « un devoir », le chanteur met l’emphase sur l’ingratitude du colon ; le terme « arène » renvoie, lui, au thème des tirailleurs comme « chair à canon ». Puis, avec ces éléments, Marcel Salem émet l’idée que Thiaroye fut le « pire » événement historique, « depuis la nuit des temps ». On a vu précédemment la progression de la portée de l’événement du 1er décembre – du point de vue des œuvres qui l’investissent –, ici Thiaroye est l’étalon du crime contre l’humanité. Marcel Salem continue : « Nous sommes vos petits enfants ; Nous n’y pouvons rien, à l’exception de le faire savoir ; Donc, faisons-le ; La vérité est comme le piment qu’on prend à l’œil ; Aïe ! Aïe ! Aïe ! ; Avez-vous des remords ? Eh Blanc, mes grands-parents ont travaillé pour toi ; Souvenez-vous85. » Dans ce passage, on rappelle la filiation qui unit les Africains à ceux qui tombèrent le 1er décembre et l’on s’adresse même à eux. Par cette image du piment reçu dans l’œil, il rappelle que la vérité est parfois douloureuse. « Thiaroye, Oh Thiaroye ! Le Blanc tu nous as offensés ; Souvenez-vous ! ; Nos grands-parents y gisent ; Que la terre leur soit légère ; Thiaroye ce fut terrible ; Thiaroye ce fut horrible ; On a offensé tous ceux qui peuplent l’Afrique86. » Dans cette dernière strophe, le poète revient au champ lexical de la mort, il évoque l’humiliation faite à tout un continent. Lors d’un entretien réalisé en 2007, le chanteur confiait :
« Tu sais pour moi, Thiaroye c’est une réalité, je suis allé visiter le cimetière qui est à Thiaroye. Après ça, je suis allé en Côte-d’Ivoire, j’avais un problème avec un Français, à ce moment je travaillais pour lui, je faisais des vitres, et je sais plus mais je me suis trompé sur les dimensions. Maintenant le gars qu’est ce qu’il m’a fait, il m’a engueulé comme jamais […]. Tu sais mon grand-père il est mort pour la France, tu le sais ? Si tu le sais pas, je te le fais savoir aujourd’hui. Je suis arrivé à la maison, dans la nuit, j’ai commencé à écrire Thiaroye 44, je l’ai écrit toute la nuit, je n’ai pas dormi, toute la nuit j’ai composé Thiaroye 4487. »
31L’utilisation de l’événement Thiaroye par Marcel Salem est donc tributaire d’une expérience personnelle qui s’enracine ici dans une appréhension « néocoloniale » des réalités socio-économiques, soit un nouveau cadre social de la mémoire.
32Disiz la Peste est un rappeur franco-sénégalais, connu pour avoir « pété les plombs », un morceau devenu un « classique » du rap français et qui le fit accéder à la célébrité dans l’Hexagone en 2000. C’est le seul interprète de notre corpus qui soit né en France et y ait grandi. Serigne M’Baye Guèye, son vrai nom, celui qu’il utilise dans sa carrière musicale au Sénégal, débute ainsi sa chanson : « 1944, le monde est en guerre ; l’Occident s’est regroupé pour contrer Hitler ; cet Adolf est fou ; veut faire une race unique ; a tellement réussi qu’il a le monde contre lui, les alliés piétinent88. » C’est ici un des premiers morceaux qui évoque la situation depuis un point de vue « occidental ». Mais, l’interprète-compositeur poursuit en adoptant un autre point de vue : « On appelle dans les colonies des milliers de nègres à venir défendre le pays ; la France est censée se battre à l’époque pour la liberté ; horreur sur le monde, à cette époque des millions de déportés ; déplacés de leurs pays ensoleillés, des nègres arrivent sur une terre froide dans un pays en guerre89. » Il rappelle alors le sort des tirailleurs, spécialement durant cette période puis il enchaîne : « Gloire à tous ces disparus qui ont servi l’Histoire, je pose ma main sur mon cœur et pense aux tirailleurs. Refrain : sésésésésésésénégalais qui a fait la première guerre pour la France. La fin de la guerre est proche chacun doit regagner sa colonie, entre autres, Congo, Niger, Cameroun, Mali90. » Le refrain est ici « scratché » par le dj91. Serigne M’Baye Gueye fait ici allusion à son grand-père qui participa comme tirailleur sénégalais à la Grande Guerre. Il revient ensuite à Thiaroye : « Retranchés à Thiaroye au Sénégal 1944, tous ces mecs sont en attente ; ils réclament leurs soldes pour leur participation à l’effort de guerre, au grand dam des colons ; on les fait attendre deux et trois jours, encore et encore, toujours et toujours ; finalement une révolte éclate on parle de mutinerie ; pour les calmer on leur dit d’attendre jusqu’à vendredi92. » Le jour de la semaine évoqué, le vendredi, est d’importance. Au cours d’entretiens informels, plusieurs interlocuteurs ont avancé que le 1er décembre 1944 était un vendredi. Après vérification, cela est exact. Si cette information n’apparaît nullement dans les archives, le fait que le jour soit connu de beaucoup n’est pas anodin. Le vendredi est le jour de prière dans l’Islam. Que le massacre ait eu lieu un tel jour ajoute une couche de colère supplémentaire à l’ (in)compréhension de l’événement. Serigne continue : « Mais cette nuit du 1er décembre 44 alors qu’ils dorment, l’armée française est venue comme une traître. Coup de mitraillettes. Arrachés de leurs rêves, on les tue simplement, froidement et plein de haine. Ce fut le début du remerciement la suite c’est maintenant pour tous les immigrés en France93. » La violence coloniale devient ce langage politique pour désigner les politiques migratoires de l’État français à l’égard des populations africaines.
Le tirailleur comme métaphore
33Ce lien a lui même sa propre historicité. En 1996, pendant plusieurs mois, des immigrés africains en France occupèrent l’église Saint-Bernard dans le XVIIIe arrondissement de la capitale française. Ces hommes et femmes, a priori démunis de ressources, réussirent à mobiliser une partie de l’opinion publique autour de leur cause, la régularisation administrative de leur situation. Parmi les arguments qu’ils avancèrent, l’un d’eux s’enracinait dans une histoire commune entre deux espaces : l’Afrique de l’Ouest et la France. Plus précisément, il s’agissait pour ces « sans-papiers » d’évoquer les tirailleurs sénégalais. Cet argument de la « dette de sang », un argument déjà utilisé par Blaise Diagne pendant la Première Guerre mondiale, fit écho en Afrique de l’Ouest94. Quelques années plus tard, de l’autre côté de la Méditerranée, l’actualité était placée sous le signe du départ tragique de milliers de jeunes africains qui tentaient de quitter le continent dans l’espoir d’une vie meilleure. Le Sénégal devint une des « plaques tournantes » de cette immigration, notamment depuis les côtes où des migrants embarquaient sur des pirogues. Suite notamment à la visite de Ségolène Royal en 2006, la commune de Thiaroye-sur-Mer est devenue un des symboles de cette immigration informelle au Sénégal95. Trois ans plus tard, dans un contexte marqué en France par les débats sur « l’immigration choisie », la présidente de la région Poitou-Charentes alors en pré-campagne pour l’investiture du parti socialiste se rendit à nouveau à Thiaroye. Le discours qu’elle fit à cette occasion se voulait pour une grande part une réponse à celui du président Sarkozy tenu en 2007 à l’université Cheikh Anta Diop et jugé par nombre de commentateurs infamants pour les Africains96. Ces deux courts récits sont en fait de l’ordre du langage commun, en ce qu’ils engagent une pluralité d’acteurs dans des actions politiques et qu’ils sont compris par les différents partis. Ce langage est intégré dans des imaginaires présents à la fois en France et au Sénégal.
34Quand on aborde la question de l’immigration informelle avec des jeunes rappeurs de Thiaroye-sur-Mer, un rapprochement s’opère entre la figure de l’aventurier migrant et celle du combattant :
« Les jeunes qui partent en Europe, comment dire… ce sont vraiment des guerriers […]. Pour moi, c’est la même chose que les tirailleurs. Les tirailleurs ils ont tout fait pour leur nation, quant aux gens qui prennent les pirogues ils font tout aussi pour chercher quelque chose peut-être la richesse, pour soutenir leurs parents, leur famille97. »
35Le seul facteur économique – même s’il est le plus important – ne peut rendre compte uniquement de la question migratoire au Sénégal98. Celle-ci intègre des changements de subjectivité pour les migrants, comme pour les jeunes restés au pays. Pour un nombre conséquent de jeunes Sénégalais qui veulent partir, le projet migratoire s’inscrit dans un dessein économique comme dans une quête de soi, cette aventure qui permet de s’aguerrir « suppose une grande dose de témérité, de bravoure et de fierté [et] renvoie à une perception guerrière99 ». Au milieu des années 2000, un des slogans en vogue parmi la jeunesse sénégalaise était « barça ou barsax » : Barça le club de foot de Barcelone, métonymie de l’Europe et de l’Occident synonyme d’une vie meilleure ou la mort ; barsax signifiant « l’au-delà » en wolof. Cette métaphore, désignant la mort comme préférable à l’opprobre social que constitue la pauvreté, apparaît alors comme une des versions contemporaines de la formule « on nous tue, on ne nous déshonore pas100 », la devise actuelle de l’armée sénégalaise dont on a vu la probable origine et l’historicité. Les lignes principales du recyclage d’un imaginaire lié au soldat impérial, retravaillé dès l’indépendance, sont ici accaparées par une jeunesse qui l’investit dans des voies originales. Pour Sister LB du groupe Fippu Clan, une des rares femmes du mouvement hip hop sénégalais, résidente à Thiaroye-sur-Mer, l’histoire des tirailleurs sénégalais doit être vue sous l’angle de la filiation :
« On nous a montré que l’Afrique était dépendante, mais nous on veut prouver qu’on a du cran pour montrer que les tirailleurs sont toujours là, mais qu’ils tirent avec leurs esprits […]. Nos ancêtres ont risqué leurs vies pour nous, on doit tenir le flambeau haut […]. Ils allaient se battre pour leur pays, ils ont laissé un drapeau qu’on doit relever haut. On doit se battre pour eux, parce qu’eux l’ont fait jusqu’à la dernière demeure101. »
36Il est ainsi significatif qu’un des membres du groupe WA BMG 44 et qui revendique son appartenance « banlieusarde », se nomme Lyrical Ceddo, renvoyant alors à des imaginaires liées à des référents globaux – l’anglais de Lyrical – comme à d’autres enracinés dans le terroir sénégambien – les ceddo. Wa BMG 44 est ce groupe de rap, l’un des plus connus au Sénégal, formé à Thiaroye-Gare en 1992. Le chanteur Matador :
« Nous, on est de Thiaroye, on a grandi dans le camp militaire, on a grandi en face de là où on a enterré les tirailleurs. On n’entend pratiquement pas l’histoire des tirailleurs à l’école, ça a été camouflé, il y avait une conspiration entre l’État français et l’État sénégalais par rapport à ces tirailleurs. Nous quand on a eu les infos, quand on s’est renseigné sur les tirailleurs, on a vu que c’était quelque chose qu’on devait porter par rapport à notre groupe, notre cité, par rapport à Thiraoye. Donc, si on a rajouté le 44 c’est pour pouvoir expliquer cela à chaque fois, quelle est l’histoire de ces tirailleurs. Cette histoire on ne veut pas qu’elle se répète102. »
37L’imaginaire attaché aux corps armés sénégalais, depuis les Ceddos jusqu’aux Jambaar103 postcoloniaux en passant par les tirailleurs, fonctionne comme une métaphore informant la « communauté imaginée104 » sénégalaise contemporaine. Cet imaginaire est disponible. Ici, c’est la jeunesse, notamment à travers le mouvement rap, qui utilise ce vocabulaire en fonction de ses propres préoccupations. Se concentrer sur ces répertoires permet d’interroger les dynamiques du souvenir mais également la fabrication d’autres héros, plus contemporains.
(D) écrire les héros
38La métaphore du combattant peut ainsi agir comme un prisme servant à désigner certains comportements. Le combattant n’est pas seulement celui qui se bat sur un champ de bataille. Une des figures qui sert ici de paradigme est celle de Thomas Sankara, dont le portrait orne d’ailleurs les murs de la cité dakaroise. En 2010, pour le cinquantenaire des indépendances, le rappeur Didier Awadi figure de proue du mouvement hip hop au Sénégal, dont le nom du studio de production est d’ailleurs Studio Sankara, sort un album intitulé « Présidents d’Afrique ». Il regroupe vingt et une chansons différentes avec les voix de vingt figures africaines ou de la diaspora105. Fruit de plusieurs années de travail et de voyages dans plus d’une quarantaine de pays du continent, il est perçu pour l’artiste comme un moyen de (re)populariser certaines de ces figures : « Tout est fait pour qu’on les oublie, pour qu’on ne réfléchisse pas à leur action. On n’a pas le droit de laisser mourir ça. Aujourd’hui, tous les grands peuples ont des références106. » Didier Awadi investit l’histoire contemporaine d’une même modalité qu’Abdoulaye Wade avec les tirailleurs : une lutte contre l’oubli. Le rappeur revendique lui-même une posture d’historien. Dans une perspective mémorielle, cette historiographie populaire est stimulante. L’enjeu devient ce passé qu’on actualise à travers un symbole. Mais la mémoire combattante n’a d’efficience que parce qu’elle fait écho aux difficultés sociales et économiques que vit la majorité de la population sénégalaise. Ces constructions imaginées et ce rapport aux héros peuvent se comprendre dans leurs dimensions subjectives. Un des traits de ces figures est leur caractère agonistique. L’histoire de Thomas Sankara ou celle de Cheikh Anta Diop, telles qu’elles sont (ré)activées, doivent être comprises dans leur dimension combattante, que les combattants aient un uniforme militaire ou des lunettes d’intellectuels importe finalement assez peu. Dans le langage souvent métaphorique des rappeurs, il s’agit de comprendre « le message107 ». Réfléchir aujourd’hui sur les liens au passé offre, peut-être, un nouveau rapport au politique. La circulation de référents mémoriels participe de la refondation de certaines notions éthiques – notamment le combat contre l’injustice et pour la reconnaissance – dont le centre de gravité semble être l’honneur. Ces processus de subjectivation renvoyant à des répertoires de l’imaginaire, largement impulsés par la jeunesse, semblent dessiner de nouvelles relations à la chose publique. Néanmoins, alors que les tirailleurs écrivaient, selon le dispositif de commémoration des années 2000, une histoire du « monde libre », les acteurs politiques qu’évoque Didier Awadi sont ceux qui réalisaient l’histoire du continent à partir des années 1960.
39Le travail de reconstruction sémantique qu’effectuaient différents acteurs autour de la mémoire de Thiaroye dès les années 1950 semble ici se poursuivre, il permet d’aborder « ce qui est de l’ordre de la continuité, d’une transmission où les récits ne vont pas de soi, ou encore “du produit de l’histoire dans les individus”108 ». Ces écritures participent d’une histoire populaire qui semble imbiber l’ensemble de la jeunesse sénégalaise, cette dernière pouvant être perçue comme une « contribution de la jeunesse africaine à la construction des identités des jeunes du monde109 ». En 2011-2012 au Sénégal, et en 2014 et 2015 au Burkina, deux mouvements politiques ont pris forme : « Y en a marre » et le « balai citoyen ». Ces deux mouvements essentiellement liés à la culture hip-hop luttaient explicitement contre des « coups d’État constitutionnel », mais ces mobilisations, en investissant la rue, proposaient le renouvellement de subjectivités politiques à une échelle plus large.
Conclusion
40L’événement Thiaroye, et plus généralement l’histoire des tirailleurs, a fait, depuis les années 2000, l’objet d’une politique mémorielle officielle. Cette mémoire officielle impulsée par l’État contribue à forger des représentations dominantes attachées aux anciens combattants. Elle dépasse le cadre colonial et l’événement Thiaroye, et intègre un passé précolonial dans la narration. Dans ce tourbillon d’images et de mots, il apparaît de plus en plus difficile de saisir l’origine, les filiations, les relations des différentes représentations de la répression du 1er décembre 1944. Ce qui frappe au premier abord des commémorations impulsées par les gouvernements d’Abdoulaye Wade, c’est l’aspect volontariste de cet usage du passé. Ces démonstrations de la mémoire prennent la forme de discours, de spectacles, de (ré)inaugurations de monuments, de cérémonies ou de dispositions législatives. L’un des traits principaux de ces commémorations est de présenter les tirailleurs sous la figure des « oubliés de l’histoire », ce qui justifie alors une volonté d’enseignement et de transmission, principalement en direction de la jeunesse. Le président Macky Sall, élu en 2012, a relativement mis de côté ces commémorations depuis son accession à la tête de l’État. Peut-être le legs de son prédécesseur était-il encombrant, alors même que c’était une des rares actions du président Wade à faire l’unanimité. Après être passée par toute une série de filtres, historiographiques, culturels, juridiques, commémoratifs, ethnographiques, l’analyse de la mémoire de Thiaroye peut « revendiquer ici une plus grande conscience de sa propre histoire, une conscience que lui aurait offerte le médium de la réflexion mnémohistorique110 ». Ces filtres forment un canon, ils nous ramènent à une question liée à l’éthique du passé.
41L’objet mémoire en sciences sociales, dans un cadre de plus en plus mondialisé, est souvent appréhendé sous le signe du conflit, de la « concurrence111 ». La trajectoire que l’on a pu suivre jusqu’à présent, de la mémoire de Thiaroye, dans toutes ses modalités d’imaginaires politiques, évoque plutôt une continuité. Il s’agit alors de revenir une dernière fois sur l’originalité de cette mémoire sénégalaise de Thiaroye depuis plus de soixante-dix ans.
Notes de bas de page
1 De Jong Ferdinand et Foucher Vincent, « La tragédie du roi Abdoulaye. Néomodernisme et Renaissance africaine dans le Sénégal contemporain », Politique africaine, no 118, 2010, p. 187-204.
2 Gensburger Sarah et Lavabre Marie-Claire, « Entre “devoir de mémoire” et “abus de mémoire” : la sociologie de la mémoire comme tierce position… », op. cit., p. 77.
3 Sabourin Paul, « Perspective sur la mémoire sociale de Maurice Halbwachs », op. cit., p. 142.
4 Robin Régine, La mémoire saturée, op. cit., p. 219.
5 Olivier de Sardan Jean-Pierre, La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l’interprétation socio-anthropologique, Louvain-La-Neuve, Academia-Bruylant, 2008, p. 20.
6 Fouquet Thomas, Filles de la nuit, aventurière de la cité. Arts de la citadinité et désirs de l’Ailleurs à Dakar, thèse d’anthropologie sociale sous la direction de Michel Agier, École des hautes études en sciences sociales, 2011.
7 « La Journée du tirailleur à la une des quotidiens du lundi », APS, 23 août 2004.
8 Ibid.
9 Ibid.
10 Ibid.
11 Ibid.
12 Le décret no 2004-1176 du 19 août 2004 signé par Macky Sall stipule : « Article premier. En accord avec le patronat sur proposition du gouvernement, l’après-midi du lundi 23 août 2004 est déclarée chômée et payée pour la célébration de la Journée du tirailleur » ; « Article 2. Le ministre de l’Économie et des Finances et le ministre de la Fonction publique, du Travail, de l’Emploi et des Organisations professionnelles sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret qui sera publié au Journal officiel de la République du Sénégal ».
13 Michel Johann, Gouverner les mémoires. Les politiques mémorielles en France, Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 5
14 Décret no 2004-1220 du 8 septembre 2004, Journal Officiel de la République du Sénégal.
15 Ibid.
16 Diouf Badara, « La reconnaissance des fils du continent aux vétérans », Le Soleil, 23 août 2004.
17 Non signé, « Bravo Wade », Le Soleil, 25 août 2004.
18 Ibid.
19 De Jong Ferdinand, « Recycling Recognition. The Monument as Objet Trouvé of the Postcolony », Journal of Material Culture, no 13, 2008, p. 205.
20 Une autre statue mettant en avant le sacrifice des tirailleurs avait été inaugurée en Afrique, en 1924 à Bamako.
21 Le journal Le Soleil fait d’ailleurs sa « une » sur cet « enlèvement ». Voir « Plus de statue place Tascher », Le Soleil, 17 août 1983.
22 Diakhate, « Aménagement de la place des tirailleurs. Le chef de l’État confie le projet à la mairie de Dakar », Le Soleil, 31 août 2004.
23 Non signé, « Histoire des tirailleurs sénégalais. L’engagement macabre aux côtés de la France », Le Soleil, 23 août 2005.
24 Dramé Patrick, « La monumentalisation du passé colonial et esclavagiste au Sénégal : controverse et rejet de la renaissance africaine », Revue de la société historique du Canada, no 22, 2011/2, p. 237-265.
25 Ibid., p. 242.
26 Offenstadt Nicolas, L’histoire bling-bling. Le retour du roman national, Paris, Stock, 2009, p. 26. Si cet historien s’intéresse aux usages du passé sous la présidence française de Sarkozy, des parallèles pourraient être établis avec la présidence de Wade.
27 Les Assises nationales ont été un large mouvement de contestation initié en juin 2008. Elles regroupaient la plupart des partis politiques de l’opposition sénégalaise des organisations de la société civile ainsi que diverses personnalités indépendantes. Elles se sont déroulées en plusieurs phases pendant presque un an et ont donné lieu à la publication en 2009 d’un document de près de 400 pages : Mbow Amadou Mahtar (dir.), Assises Nationales. Sénégal, An 50. Bilan et perspectives de refondation, L’Harmattan, Paris, 2012.
28 Ibid., p. 87
29 Dramé Patrick, « La journée du tirailleur sénégalais : une commémoration paradoxale », Africulture, no 67, http://www.africultures.com/php/?nav=article&no=4559 (dernière consultation le 22 décembre 2016).
30 Ginio Ruth, « African Colonial Soldiers between Memory and Forgetfulness : The Case of Post-Colonial Senegal », Outre-mers, no 93, 350-351, 2006, p. 155.
31 Diouf Badara, « La reconnaissance des fils du continent aux vétérans », Le Soleil, 23 août 2004.
32 Todorov Tzvetan, Les abus de la mémoire, Paris, Arléa, 2004 [1995], p. 56.
33 Dans l’ensemble du corpus, soit une soixantaine d’articles si l’on prend l’ensemble des différentes éditions jusqu’en 2013, j’ai compté un seul article émanant d’un historien du département d’Histoire de l’UCAD, un entretien avec Ibrahima Thioub, « Le régiment des tirailleurs est antérieur aux guerres mondiales », Le Soleil, 23 août 2006.
34 Diouf Badara, « La reconnaissance des fils du continent aux vétérans », Le Soleil, 23 août 2004.
35 Diouf Bara, « Pour la gloire et l’immortalité », Le Soleil, 24 au 25 mai 2008.
36 Sambe F., « Une si longue et fabuleuse histoire », Le Soleil, 23 août 2008.
37 Ndiaye Ibrahima, « Pour une réécriture de l’histoire », Le Soleil, 24 au 25 mai 2008.
38 Badji M. L., « Dupont et Demba, ciment d’un avenir commun », Le Soleil, 24 août 2004.
39 Ndiaye Oumar, « Le rôle des tirailleurs revisité », Le Soleil, 24 août 2004.
40 Diallo Babacar, « Un devoir de mémoire et de vérité historique », Le Soleil, 24 août 2004.
41 Badji M. L., « Commémoration de la Journée du tirailleur sénégalais. “Par devoir de mémoire” », Le Soleil, 14 au 15 août 2004.
42 « Le 23 août contre l’oubli », Le Soleil, 14 au 15 août 2004.
43 Thiam Abdoulaye, « Journée du tirailleur. Moment intense de communion », Le Soleil, 24 août 2006.
44 Ibid.
45 Niang Papa Momar, « Les Forces armées sénégalaises et l’héritage de la Force noire », in Deroo Eric, Champeaux Antoine et Riesz Janos (dir.), Forces noires des puissances européennes, op. cit, p. 224.
46 Ginio Ruth, « African Colonial Soldiers between Memory and Forgetfulness… », op. cit., p. 146.
47 Entretien avec Mamadou Koné, Dakar, mars 2011.
48 Ginio Ruth, « African Colonial Soldiers between Memory and Forgetfulness… », op. cit., p. 150.
49 Kébé Mbaye Gana et Wade Abdoulaye, Les chevaliers noirs, Dakar, Maguilen, 2008.
50 Kébé Mbaye Gana et Wade Abdoulaye, Une fresque pour Thiaroye, Dakar, Maguilen 2008.
51 Kébé Mbaye Gana et Ndiaye Awa, Un président au service des tirailleurs, Dakar, Maguilen 2007.
52 Mbembe Achille, De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2005 [2000].
53 « L’histoire des tirailleurs sera enseignée à la prochaine rentrée scolaire, annonce Abdoulaye Wade », APS, 19 juillet 2008.
54 Guèye Maguette, « Annonce du président Wade. L’histoire des tirailleurs enseignée à la rentrée », Le Soleil, 18 septembre 2008.
55 La visite de la Maison des esclaves, ou une activité renforcée concernant Gorée et la traite négrière, est d’ailleurs au programme pour tous les collégiens sénégalais.
56 Kipré Pierre, 2005, « Repenser l’Afrique », Outre-Terre, no 12, 2005, p. 167-174.
57 Pour un aperçu plus complet des programmes d’Histoire-Géographie au Sénégal, on consultera le site de l’Inspection générale de l’éducation : http://igen.education.sn.
58 Entretien avec André Sarr, Fimela, juillet 2007.
59 Voir supra, chapitre « Un crime de guerre ? ».
60 Entretien avec Samba Diop, Thiaroye-Gare, mars 2011.
61 Sow Abdoul, Mamadou Racine Sy, op. cit.
62 Je me base ici sur la bibliographie présente dans le travail de Zimmermam Sarah, Living Beyond Boundaries…, op. cit.
63 Ibid., p. 9.
64 Il ne semble pas qu’il y ait de travail doctoral soutenu ou en cours concernant les tirailleurs sénégalais La thèse de Sokhna Sané soutenue en 2005 sur le contrôle des armes à feu dans l’AOF est peut-être le travail doctoral qui évoque le plus les tirailleurs. Voir Sané Sokhna, Le contrôle des armes en feu en Afrique occidentale française, 1834-1958, Paris, Karthala, 2008.
65 Voir le catalogue de la bibliothèque de l’UCAD sur le site de l’université : http://www.ucad.sn.
66 La séance eut lieu au lycée de Pikine et non Thiaroye-Gare, en fonction des possibilités logistiques du moment.
67 Je tiens à remercier Diene Diouf, professeur dans cet établissement, pour l’organisation de cette séance.
68 Voir Agence nationale de la statistique et de la démographie du Sénégal et les chiffres de l’UNICEF : http://www.ansd.sn et http://www.unicef.org.
69 Né à la fin des années 1970, principalement en Amérique du Nord, le courant de la Public History vise à mieux rendre compte du travail de l’historien et de son usage dans la sphère sociale ; cette démarche est particulièrement présente dans la muséographie.
70 Laplantine François, La description ethnographique, Paris, Nathan, 2000 [1996], p. 7.
71 Robin Régine, La mémoire saturée, op. cit., p. 220.
72 Castoriadis Cornelius, L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 195.
73 Bayart Jean-François, « Introduction », in Bayart Jean-François, Mbembe Achille et Toulabor Comi, Le politique par le bas, Paris, Karthala, 2008b [1992], p. 20-21.
74 Le sabaar est un tambour allongé qui rythme une partie de la musique sénégalaise.
75 Castoriadis Cornelius, L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 519.
76 Diop Samba, « Thiaroye 1944 », massacre de tirailleurs, ex-prisonniers de guerre, op. cit. p. 5.
77 Je remercie Abou Lo pour la traduction de cette chanson, les éventuelles erreurs me sont néanmoins imputables.
78 Baaba Maal, 2000, « Thiaroye », Jombaajo, Sonodisc.
79 Ibid.
80 Ibid.
81 Ibid.
82 Ibid.
83 Marcel Salem, « Carroye 44 », Carroye 44, Atoll, 2003.
84 Ibid.
85 Ibid.
86 Ibid.
87 Entretien avec Marcel Salem, Sally, juillet 2007.
88 Serigne M’Baye Gueye, Thiaroye, Sunu Music.
89 Ibid.
90 Ibid.
91 Le DJ est le disc jockey qui, dans la musique hip-hop, est chargé de répéter une séquence d’un morceau, le plus souvent à partir d’un disque vinyle, mouvement que l’on appelle sample.
92 Serigne M’Baye Gueye, Thiaroye, Sunu Music.
93 Ibid.
94 On peut ainsi souligner ici le titre particulièrement significatif de l’ouvrage de l’historien malien Kamian Bakary, Des tranchées de Verdun à l’Église Saint-Bernard. 80000 combattants maliens au secours de la France (1914-18 et 1939-45), qui paraît justement en 2001, op. cit.
95 Bouilly Emmanuelle, « Les enjeux féminins de la migration masculine : le collectif des femmes pour la lutte contre l’immigration clandestine de Thiaroye-sur-Mer », Politique africaine, no 109, 2008, p. 16-31.
96 Voir Ba Konaré Adamé (dir.), Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy, Paris, La Découverte, 2009 [2008] ; Chrétien Jean-Pierre (dir.), L’Afrique de Sarkozy. Un déni d’histoire, Paris, Karthala, 2008.
97 Entretien avec Iba, Thiaroye-sur-Mer, février 2011.
98 Diop Momar-Coumba (dir.), Le Sénégal des migrations, Paris, Karthala, 2008.
99 Bredeloup Sylvie, « L’aventurier une figure de la migration africaine », Cahiers internationaux de sociologie, no 125, 2008/2, p. 296-297.
100 Dans le film African Gangster, de jeunes « débrouillards » d’origine sénégalaise, en France, emploie d’ailleurs cette expression alors qu’ils narrent leurs péripéties liées à de petits trafics.
101 Entretien avec Sister LB, Thiaroye-sur-Mer, février 2011.
102 Entretien avec Matador, Pikine, juillet 2007.
103 En wolof, le terme jaambaar désigne le soldat, il signifie aussi être courageux. Le dictionnaire français-wolof de Jean-Leopold Diouf, donne cette définition pour le mot jaambaar, « Personne brave, courageuse, héroïque. Wax-dëgg jaambaar la : franchement c’est un brave ». Diouf Jean-Léopold, Dictionnaire wolof-français et français-wolof, Paris, Karthala, 2003.
104 Anderson Benedict, L’imaginaire national…, op. cit.
105 Sont présentes sur l’album, les voix de : Thomas Sankara, Martin Luther King, Obama, Nasser, Nelson Mandela, Malcom X, Aimé Césaire, Kwame Nkrumah, Jama Kenyatta, Modibo Keita, Cheikh Anta Diop, Julius Nyerere, Patrice Lumumba, Samora Machel, Sékou Touré, Amilcar Cabral, Leopold Sedar Senghor, Franz Fanon, Norbert Zongo.
106 Awadi, entretien sur le site thomassankaraénet. L’intégralité de l’entretien se trouve à l’adresse : http://thomassankara.net/spip.php?article968, consulté le 22 décembre 2016.
107 Ici le message s’inscrit dans une problématique « rapologique » ; un des morceaux fondateurs du mouvement hip hop, de Grand Matser Flash en 1982, s’appelle d’ailleurs The message.
108 Chivallon Christine, op. cit., p. 174.
109 Niang Abdoulaye, « Le mouvement hip hop au Sénégal. Des marges à une légitimité sociale montante », in Diop Momar-Coumba (dir.), Le Sénégal sous Abdoulaye Wade. Le Sopi à l’épreuve du pouvoir, Paris, Karthala, 2013, p. 569.
110 Assmann Jan, Moïse l’Égyptien, Un essai d’histoire de la mémoire, op. cit., p. 292-293.
111 Chaumont Jean-Michel, La concurrence des victimes. Génocides, identités, reconnaissance, Paris, La Découverte, 1997.
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