Chapitre I. Au nom des pères
p. 21-41
Texte intégral
1L’histoire des hommes présents à Thiaroye s’inscrit d’abord au sein d’un récit au long cours, celui des tirailleurs sénégalais. Cette histoire est d’abord celle des relations entre des jeunes hommes, principalement ouest-africains, souvent recrutés de force et issus de milieux ruraux, et d’une institution, l’armée française, maillon essentiel dans le dispositif colonial. Avant de nous intéresser à l’histoire des soldats tués à Thiaroye, il nous faut aborder les différentes sédimentations de cette aventure ambiguë1, notamment à travers l’évolution du champ historiographique qui prend pour objet cette relation.
2Depuis les travaux pionniers, à partir des années 1980, de Myron Echenberg retraçant une histoire sociale des processus de recrutement et leur impact en Afrique de l’Ouest, ainsi que ceux de Marc Michel sur le rôle de ces troupes durant le premier conflit mondial2, de nombreuses études sont venues enrichir la connaissance historienne sur ces hommes. L’actualité historiographique des tirailleurs a, en effet, connu un regain d’intérêt, principalement à partir des années 2000. Histoire événementielle et militaire, sur le temps long3, histoire croisée impliquant l’Allemagne, la France et ses ressortissants ouest-africains, après la Première Guerre et au début des années 1920, s’intéressant à la présence de ces hommes sur le sol allemand4, ou encore à la Seconde Guerre, prenant alors comme angle l’Armée d’Afrique5 ou en rappelant les massacres commis par la Wehrmacht à l’égard de ces troupes pendant les combats de mai-juin 19406, différents travaux ont montré les discriminations dont ces combattants avaient pu être victimes au cours de plusieurs séquences historiques. La Seconde Guerre mondiale a fourni un cadre propice à l’étude des tirailleurs en renouvelant la compréhension du fonctionnement militaire et en introduisant de stimulantes réflexions sur l’importation d’une situation coloniale sur le sol métropolitain, à travers l’étude des « prisonniers de guerre “indigènes”7 ». Mais l’analyse sociale et historique de ces soldats a aussi été envisagée du « point de vue africain », à travers les travaux de Joe Lunn ou d’Iba Der Thiam sur le Sénégal à propos de la Première Guerre8, à travers ceux de Gregory Mann et Bakari Kamian sur le Mali9, s’étendant respectivement sur plusieurs décennies et concernant l’étude des phénomènes de transmission qui ont généré une culture militaire ouest-africaine, ou en s’intéressant plus spécifiquement aux deux guerres mondiales. Mentionnons dans cette même perspective le travail de Nancy Lawler sur les soldats ivoiriens de 1939-194510. Le rôle de ces troupes a été mis en lumière dans différents espaces impériaux, de Madagascar à la guerre d’Indochine11. Enfin, de nouvelles thématiques sont apparues récemment. Signalons notamment une histoire iconographique au cœur des représentations impériales pendant près d’un siècle12, ainsi que celle des femmes de tirailleurs, introduisant une dimension de genre dans ces univers militaires13, ou encore des perspectives qui incitent, à travers l’imaginaire racial, à réfléchir à la notion de race sous la IIIe République, plus particulièrement autour de 14-1814. Cette énumération ne saurait évidemment réduire la complexité des problématiques soulevées. Certains des ouvrages de cette abondante littérature cherchent à dénoncer un racisme français15 tandis que d’autres, notamment par l’apport explicite de témoignages16 ou par la parution de corpus épistolaires17, traduisent un désir de lutter contre l’oubli. On a pu également s’intéresser à certaines figures marquantes parmi les tirailleurs, notamment les premiers gradés noirs de l’armée française18. L’histoire de l’histoire des tirailleurs semble ainsi s’inscrire dans des débats plus larges sur le passé colonial19, les façons de le restituer, comme sa présence à la fois en Afrique de l’Ouest et en France. De manière significative, la plupart des travaux mentionnés ci-dessus finissent presque tous par un dernier chapitre conclusif sur « la mémoire » de ces hommes.
3Cette histoire croisée des mentalités, à partir d’une sociologie historique des hommes en armes, français et ouest-africains, est un des soubassements qui nous permet de saisir ce qui va advenir le 1er décembre 1944. Le présent chapitre se divise en deux parties en s’intéressant justement à la mémoire de divers épisodes et en partant d’abord d’un point de vue centré sur le « fait combattant » en Afrique occidentale. Notre étude de ces représentations, qui relèvent du domaine de la « superstructure », débute à la fin du xixe et au début du siècle suivant, au moment de la conquête coloniale, quand sont vaincus El Hadj Omar, Lat-Dior, Samory ou encore Behanzin, pour ne citer que les adversaires les plus célèbres à la pénétration européenne et qui mènent aussi à la disparition « sociale » des armées qu’ils avaient constituées. Puis nous nous intéressons à la Première Guerre, qui fut un moment fondamental dans la mondialisation de cette région du continent africain. Outre la violence de cette séquence, notamment en termes de ponction démographique, il s’agit de restituer l’historicité du champ de l’imaginaire qui se constitue à cette période, en métropole et dans les colonies, autour de la figure du tirailleur. Les soldats présents à Thiaroye en décembre 1944 sont tous nés dans le premier quart du xxe siècle, un peu partout en Afrique de l’Ouest. Certains de ces hommes proviennent de régions fortement marquées par les conscriptions durant toute la Première Guerre mondiale, ils ont pu avoir un père ou un oncle engagé. De façon plus certaine, ils ont dû connaître des tirailleurs et rencontrer des anciens combattants. À partir des dossiers militaires des protagonistes de l’événement du camp de Thiaroye, des tirailleurs qui y laissèrent leur vie, de ceux qui furent ensuite condamnés pour des faits de rébellion, mais aussi des gradés militaires français impliqués dans la répression du 1er décembre 1944, on peut relier, rendre vraisemblable, certaines dispositions pour ces hommes et leur univers sémantique. Ces dossiers sont d’abord des documents administratifs extrêmement codifiés et les informations qui s’y trouvent éclairent des normes de consignation de l’univers militaire colonial. Mentionner que Founé Sissoko20, né à Maréma dans le cercle de Kayes, appelé pour trois ans en 1938 et condamné à un an de prison le 6 mars 1945 par le Tribunal militaire permanent de Dakar, mesure 1,65 mètre – et remarquer que les autres tirailleurs dont nous disposons de dossiers ne mesurent pas moins que cette taille – n’a d’intérêt que si l’on relie cette information à l’évolution des normes légales de l’armée, légiférant sur les aptitudes physiques des recrues en AOF et en AEF21. Founé Sissoko a-t-il pu être incorporé à cause de sa taille, ou bien parce qu’il avait une certaine place dans la fratrie – généralement c’est l’aîné qui était choisi –, ou encore parce que la famille Sissoko fut désignée pour envoyer un fils par le chef de village ? Comment a-t-il réagi quand il a su qu’il allait servir sous l’uniforme français ? Avec les seules informations écrites dont nous disposons sur les tirailleurs de Thiaroye, le pari de la micro-histoire, dérouler une existence pour exposer le monde qui l’entoure, est ténu. Comprendre la vie des hommes qui débarquèrent le 21 novembre 1944 à Dakar en provenance des côtes bretonnes, nécessite alors de recourir à ce qu’Ivan Jablonka nomme une « fiction de méthode22 ». Celle-ci, définie comme « hypothèse, concept, expression d’un problème, maillon d’un raisonnement, forme d’une narration23 » n’est pas la fiction romanesque, fut-elle réaliste, elle est plutôt une « fiction activée par le raisonnement [en] une série d’hypothèses soumise à l’épreuve des preuves24 ». Les dates et les lieux de naissance des recrues ont ainsi cet avantage de situer un décor, ils nous permettent d’insuffler, au sein d’une stratégie narrative, du rythme au récit. Ainsi, Kaba Koné25, un des tirailleurs les plus âgés dont le dossier est disponible, est né en 1905. À des milliers de kilomètres, le 9 décembre de cette même année, les députés français font voter au Palais Bourbon une loi sur la séparation de l’Église et de l’État. Quelques mois plus tôt, en Russie, les marins du cuirassé Potemkine se sont révoltés, prémisses de ce qui allait devenir la « Révolution d’Octobre » douze ans plus tard. En Afrique de l’Ouest, les choses changent aussi. Dakar est devenue la capitale de l’Afrique occidentale française (AOF) en 1902 tandis qu’en 1905 paraît un nouveau décret réprimant la traite en AOF et au Congo français – il s’agit de la dernière mesure législative visant à supprimer ces pratiques esclavagistes. Si les parents de Kaba Koné n’ont probablement entendu parler ni d’Aristide Briand ni de Lénine, le décret du 12 décembre 1905 a pu, lui, avoir une importance pour leur vie en les mettant à l’abri, du moins théoriquement, d’une relation de servilité26. Évoquer la date de naissance de ce tirailleur permet donc d’aborder les transformations, lentes et progressives, de structures économiques, sociales et politiques – et donc de rapports symboliques – dans l’espace ouest-africain. Le dossier de Kaba Koné indique qu’il est de « race Malinké », qu’il est né à Kouroussa, une ville située à une centaine de kilomètres de Bissandougou, la « capitale » de l’empire de Samory. Si les archives de l’armée sont muettes sur l’origine sociale de Kaba Koné – hormis le fait qu’il est cultivateur –, rien ne nous empêche, aujourd’hui, de reconstituer à partir d’un ensemble de connaissances déjà produites, l’environnement mental de la vie de ce tirailleur. Cette micro-histoire, en quelque sorte, est ici collective.
Les hommes en armes au tournant du xxe siècle
4L’histoire des premiers recrutements de soldats en Afrique, d’abord par les compagnies à charte de la couronne française, s’inscrit dans un temps long qui correspond à celui de la traite atlantique au xviie siècle, son intensification au xviiie, son abolition officielle en 1848 et la suppression progressive des pratiques esclavagistes en Afrique occidentale française à partir de la fin du xixe et au début du xxe siècle. L’implantation de comptoirs coloniaux signifie presque immédiatement, pour les marchands français qui investissent cette terra incognita, la nécessité d’acquérir une main-d’œuvre locale dont les tâches sont celles du maintien de l’ordre. De manière formelle, en 1765, un corps régulier d’infanterie de marine est créé : les laptots27. Les colons français rachètent ainsi aux propriétaires d’esclaves les hommes dont ils ont besoin. Un siècle plus tard, le 21 juillet 1857 à Plombières, sur demande du gouverneur général de l’AOF Louis Faidherbe, Napoléon III signe le décret officialisant la création du corps des tirailleurs sénégalais. Les effectifs de cette nouvelle armée sont alors de 500 hommes28.
5Dans cette seconde moitié du xixe siècle, les besoins français en combattants augmentent en relation avec la conquête coloniale qui gagne progressivement l’intérieur du continent. L’abolition officielle de l’esclavage dans les colonies françaises par Schœlcher en 1848 interdit le système de rachat mais celui-ci perdure pourtant sous de nouvelles formes jusqu’à la fin du xixe siècle. Ce sont ainsi les esclaves qui, via un système de prime à l’engagement, payent leur liberté auprès de leurs maîtres afin de gagner les rangs des troupes militaires. Dans les faits, cette prime est payée par les autorités coloniales, « bien que semblable à l’ancien système de rachat, ce mode d’acquisition […] permettait à l’administration de se soustraire au commerce direct avec les marchands d’esclaves29 ». L’enrôlement de la majorité des tirailleurs se caractérise donc principalement par un recrutement chez les populations captives ou d’origine servile. L’esclavage, en tant qu’institution sociale présente dans certaines régions ouest-africaines – et non la traite en tant que système de déportation massive dans le « nouveau monde » – perdure. Gregory Mann note que « les historiens de l’Afrique ont souvent consacré leur énergie à étudier la “fin” de l’esclavage plutôt que d’analyser les formations sociales de son évolution – et les pratiques de l’inégalité – pendant la période coloniale et postcoloniale30 ». L’histoire du recrutement de la main-d’œuvre militaire ouest-africaine offre alors de nouvelles perspectives. Au début du xxe siècle, malgré quelques poches de résistances, la conquête coloniale en Afrique de l’Ouest est achevée. El Hadj Omar est mort en 1862, Lat-Dior, le souverain du Kajoor dans le nord-ouest du Sénégal, est tué à la bataille de Dekhélé en 1886, et en 1894, plus au sud, au Dahomey, le Bénin d’aujourd’hui, Béhanzin signe sa réédition après plus de deux ans de combats. Il est déporté en Martinique. En 1898 Samory Touré est capturé à Guélémou au nord de l’actuel Côte-d’Ivoire, à proximité de la frontière guinéenne. Parallèlement, et du fait de cette expansion territoriale, les recrutements dans l’armée française augmentent. On compte ainsi 1200 Africains au service de la France en 1882, tandis que douze ans plus tard ils sont plus de 900031. Bien que les études soient peu nombreuses pour comprendre la composition sociale de cette nouvelle armée, il apparaît que les guerriers des royaumes ouest-africains, vaincus par la conquête, constituèrent une part importante de ces recrues32. Dans l’espace sénégambien, dans les royaumes du Kajoor, du Sine, du Baol, ces guerriers sont désignés sous le nom de ceddo33. C’est à eux que l’on doit s’intéresser pour comprendre l’imaginaire combattant qui va bientôt imprégner les rangs de l’armée coloniale.
« Ces hommes-là on les tue, on ne les déshonore pas »
6Le xviiie siècle voit, dans l’espace sénégambien, l’apparition d’une nouvelle classe dirigeante, celle des guerriers-esclaves, les ceddo : « leur puissance militaire et leur participation accrue au pouvoir faisaient passer au second plan le handicap de leur origine. Et ceci s’effectuait d’autant mieux qu’ils partageaient avec la noblesse de sang le mode de vie et le prestige attaché à la fonction guerrière34 ». Au-delà des transformations politiques de cette région, des codes de l’honneur structuraient avec force les différents royaumes, se manifestant notamment dans des relations de clientèle entre populations serviles et classe nobles35. John Illife avance que c’est certainement dans les siècles de pouvoir équestre, au xixe et parfois dès le xviiie siècle, que les premiers codes de l’honneur ont été élaborés à travers des épopées héroïques36. Le style de vie de ces guerriers ceddo, ajoute-t-il, correspond à un code héroïque ostentatoire et ils représentent le groupe social le plus distinct37. La phrase placée plus haut en exergue, « ces hommes-là on les tue, on ne les déshonore pas », bien que probablement apocryphe, aurait été prononcée par le capitaine gouverneur Valois à la bataille de Dekhélé en octobre 1886, face à l’opposition des guerriers ceddo de Lat-Dior, considéré, au Sénégal, comme le dernier acte de résistance à la pénétration coloniale française. C’est aujourd’hui la devise de l’armée nationale sénégalaise. Si ces deux éléments indiquent, a minima, la persistance et l’importance du concept d’honneur dans la société sénégalaise, ce processus mérite qu’on s’y arrête, car la notion d’honneur correspond aujourd’hui, au Sénégal, à une lecture dominante des représentations attachées à la sociohistoire des tirailleurs sénégalais.
7S’intéresser aux transactions des répertoires de l’imaginaire qui se jouent à travers les corps armés – le mot corps ayant ici une double signification, corps physique individuel et corps social – permet vraisemblablement d’aborder un des centres de la relation coloniale en Afrique de l’Ouest. Le sociologue Boubacar Ly compare cette valeur dans les sociétés wolofs et toucouleur et souligne que si l’honneur fut porté historiquement par les noblesses ouest-africaines, cette valeur fut adoptée par l’ensemble de la société dans son aspect formel38. De plus, ajoute-t-il, « l’honneur nous est apparu comme un phénomène total qui entraînait dans son sillage un grand nombre de valeurs, comme une motivation profonde et intense à l’accomplissement des valeurs39 ». Dans une perspective plus philosophique, Assane Sylla avance que l’honneur, le jom en wolof, est aujourd’hui une des notions cardinales de la société sénégalaise : « Le sens de l’honneur [est ce] qui se manifeste par le refus de démériter, par un constant effort pour être à la hauteur de ce que l’on attend de soi. Avoir du jom c’est être capable du plus grand sacrifice pour respecter sa respectabilité […]. Aussi, un dicton dit-il : nit bu ca jom jogéé dara desatu fa, si d’un homme le jom est parti, il ne reste plus rien40. » Le concept n’a cependant rien de typiquement ouest-africain. Dans ses Études d’ethnologie kabyle, Pierre Bourdieu avançait que « le système des valeurs d’honneur est agi plutôt que pensé et la grammaire de l’honneur peut informer les actes sans avoir à les formuler [rien n’étant alors] plus difficile et peut-être vain que d’essayer de distinguer entre le domaine directement et clairement saisi par la conscience et le domaine enfoui dans l’inconscient41 ». Si nous pouvons suivre le sociologue dans son intuition que le sentiment d’honneur comporte une dimension incorporée pour les acteurs sociaux, nous souhaitons, a contrario, avancer l’idée que l’on peut s’intéresser à des strates de ce sentiment en Afrique de l’Ouest.
8En intégrant les troupes coloniales, les premiers recrutements de soldats correspondent au renouvellement d’un langage de l’obligation, du devoir et de la réciprocité, qui permit la consolidation d’un idiome de l’inégalité42. Ces relations ne concernaient plus seulement les anciens maîtres et leurs populations serviles, les géer et les ñeeño – soit les deux ordres de la société wolof, recoupant une distinction entre les couches sociales les plus élevées et celles impliquant ceux qui vivaient de « leurs activités socio-professionnelles43 » – mais intégraient désormais les officiers et sous-officiers de la nouvelle armée. Les premiers recrutements de soldats ouest-africains, ici dans l’espace sénégambien, ne sont pas qu’un arrière-fond historique, ils constituent une trame narrative importante dans laquelle se meut la sous-région. Ces épopées sont déclamées par des griots, constituant ainsi une forme de mémoire historique dans laquelle grandissent Doudou Diallo, Bakar Amat, Amadou Diop ou encore Nyakar N’Gom44 – tous condamnés par le tribunal militaire permanent de Dakar suite à la répression de Thiaroye en mars 1945. Ces quatre soldats sont respectivement fils d’Amadou Diallo et Marie Diallo ; de Tbillo Amat et Coumba Omahamy ; de Bara Diop et de Coumba Sarr ; de Malick N’Gom et Téning Tine et ils sont nés au début du xxe siècle, dans le Kajoor, le Walo ou le Djolof. Les récits auxquels ils sont confrontés sont des outils de socialisation. Par exemple, la tradition orale toucouleur construit la figure collective de ces guerriers ceddo en mettant l’accent sur certains caractères notamment la dignité et le courage, où « la préoccupation essentielle demeure celle de clamer le sens de l’honneur de la caste, sa bravoure “jaambaraagal”, son courage “cuusal”, sa démesure “burtugol”, et son excessive fierté “bewre”45 ». L’honneur, ici, n’est pas que lié à une épopée, un tel sentiment a des répercussions sur les pratiques même du combat, cette obligation du faire honneur pouvait même aller jusqu’au suicide :
« Les guerriers Oulofs et Toucouleur cherchaient à mourir au combat. Le souhait de chaque guerrier Toucouleur était de mourir au combat de la digne mort d’un guerrier plutôt que de mourir sur sa “natte” de la mort la plus naturelle […], sa mort devait être la mort honorable du guerrier. Toute sa famille devait être honorée par cette mort, c’est pourquoi elle la souhaitait ardemment […]. Le suicide par honneur militaire était un fait culturel important. Le suicide était obligatoire en cas de défaite militaire46. »
9La mort de Lat-Dior et de ses guerriers ceddo est ainsi très vite déclamée, d’abord dans des chansons de geste composées par des griots47, avant qu’une vingtaine d’années plus tard, son fils rédige un opuscule sur le souvenir de son père48. Les valeurs portées par ces combattants se sont sans doute diffusées au sein de l’armée coloniale au moment où celle-ci enrôla une partie des guerriers issus de ces régions – remarquons ainsi que Doudou Diallo est né à Mecké à moins d’une vingtaine de kilomètres de Dekhélé, là où le dernier Damel du Kajoor perdit la vie49. Ces remarques qui valent pour la Sénégambie, pourraient être faites pour l’espace bambara, mossi ou soussou. Si les recrutements de soldats par les autorités militaires françaises du Second Empire, puis celles de la IIIe République, contribuèrent à une transformation des structures des sociétés en voie de colonisation, cette nouvelle conjoncture politique50, liée aux avancées territoriales française, doit ainsi être comprise par la transformation des imaginaires politiques qu’elle engendre. L’honneur de rang attaché aux castes guerrières des royaumes ouest-africains se trouva absorbé au sein de la nouvelle armée dans une éthique partagée par les élites impériales et surtout militaires. Les discours associés à l’honneur de ces guerriers, au moment de la conquête coloniale, semblent se renforcer, plus qu’ils ne se contredisent, avec ceux que l’institution militaire française assigne à ses nouvelles recrues.
Les valeurs militaires dans la colonie
10Alors qu’ils forment une armée hétéroclite, les tirailleurs de la fin du xixe et du début du xxe siècle furent des vecteurs de la culture militaire française. Ces normes correspondent à des représentations issues du monde occidental et retravaillées dans l’Empire. Pour diriger cette nouvelle armée aux origines diverses, les officiers français durent trouver des codes, un langage commun, des manières d’être, « la néo tradition militaire, avec ses nettes délimitations hiérarchiques et sa centralité évidente dans le fonctionnement du premier colonialisme, constitua la première influence importante51 ». À la fin du xixe siècle, l’armée française apparaît comme l’un des derniers bastions de l’aristocratie de l’Ancien Régime dans le recrutement de ses officiers52. Si nous ne disposons pas d’études sociologiques décrivant l’origine des officiers qui choisirent une carrière coloniale à ce moment-là, un ethos militaire semble s’exporter au Sénégal, ethos dont certaines composantes – bravoure, courage, dignité, fierté – apparaissent proches de celles portées par les guerriers ouest-africains. D’ailleurs, la colonie du Sénégal fut marquée, dès ses origines, du sceau du pouvoir de l’institution militaire. Si Louis Faidherbe, à la fois militaire et administrateur, considéré « comme un grand guerrier53 » par la classe dirigeante du Kajoor, en est l’exemple, une grande partie des gouverneurs entre 1817 et 1854 furent également des « commandants militaires en attente d’une nouvelle affectation54 ». À la fin du xixe siècle le nouvel ordre politique qui s’institue intègre ces registres militaires et civils. Par exemple, les administrés doivent faire le salut devant ceux qu’on nomme les « commandants de cercles55 ». Comprendre la fondation d’un « fait combattant », au sein de la rencontre coloniale qui se joue en Afrique de l’Ouest, c’est également s’intéresser à ces officiers français qui choisirent de servir en Afrique. Yves de Boisboissel, commandant supérieur des troupes en AOF en 1944, lors de la tuerie de Thiaroye, possède le profil de ces officiers issus de l’aristocratie. Il est né en 1886, un an après que, réuni à la Conférence de Berlin, les puissances européennes aient discuté de certaines règles commerciales qui plus tard participeront à régir le partage des richesses en Afrique. Il est issu d’une famille de l’ancienne chevalerie du duché de Bretagne dont, selon son fils qui écrit sa biographie en 2002, on peut faire remonter la filiation en l’an 131756. Dès 1906, il choisit une carrière coloniale et, en 1910, il part à Tombouctou où il est affecté au 2e Bataillon de tirailleurs sénégalais. Il côtoie Lyautey avec qui il participe à l’Exposition universelle de 1931, l’année où il rédige Peaux noires, cœurs blancs57 – le titre est en en soi tout un programme –, et a combattu contre Abdelkrim dans les années 1920 au Maroc. Comme le Maréchal Lyautey, les inspecteurs Mérat et de Périer, ainsi que les généraux Dagnan et de Gaulle, tous ces acteurs du récit des événements du 1er décembre 1944, Yves Marie Jacques Guillaume de Boisboissel est un ancien saint-cyrien, cette prestigieuse école militaire française, fondée sous Napoléon Ier, dont la devise « ils s’instruisent pour vaincre » révèle l’ethos qui s’y construit.
11L’articulation des sentiments d’honneur se réalise donc depuis certains lieux, elle est également liée à certaines temporalités. Durant la Première Guerre mondiale, les codifications coloniales s’imprimèrent avec plus de netteté au sein de l’armée mais cette fois à l’extérieur du continent africain. En comparant trois types d’honneur, à travers le récit d’un Allemand, d’un Anglais et d’un Guinéen pendant la Grande Guerre, l’historien Joe Lunn réfléchit à ce sentiment associé au combat58. Le parcours de ces acteurs, tous trois attachés à une élite sociale dans leur société d’origine, permet de suivre comment différents milieux sociaux informent sur le sens qu’ils donnent à l’identité masculine. Celle-ci est illustrée par leur représentation du devoir militaire, elle permet de saisir l’importance de la participation à la guerre puis l’héritage de cette histoire qui se diffuse dans l’ensemble de la société. Le cas de Kamara Kandé, issu d’une chefferie guinéenne, est illustratif :
« Kamara Kandé était déterminé à imiter l’exemple de son père en prouvant son courage à la guerre, apportant ainsi honneur à lui-même et à ceux de sa maison […]. En tant que fils aîné, il se sentait “honteux de voir les enfants des maisons inférieures aller à la guerre”, il estimait que le service militaire – qui démontrait la “virilité absolue” des guerriers Susu – était une obligation primordiale pour lui […]. Son indignation était renforcée par une considération finale – la promesse française que “chaque esclave qui est allé à la guerre serait fait chef quand il reviendrait” et la perspective insultante que ces hommes de basse origine pourraient un jour dominer sa famille59. »
12Ce témoignage illustre le fait que l’honneur des guerriers soussou, mais aussi leur place dans la société, est remis en cause par l’imposition d’un ordre colonial et d’une institution, l’armée, qui tend à effacer les anciennes hiérarchies. À travers les drames et les intrigues qui se jouent durant la Première Guerre mondiale, ces imaginaires liés au combat, et ces idiomes de l’obligation mutuelle entre troupes coloniales et officiers français, se transforment tout comme ils se consolident.
La Grande Guerre
13Ibou Senghor, condamné à trois ans de prison en mars 1945 par le Tribunal militaire permanent de Dakar, est né en 1918, l’année où l’Europe sort ravagée de quatre ans de conflits, de cette guerre que l’on a prématurément appelée « la der des ders ». Sa fiche matriculaire indique qu’il est né à Dassilamé60, dans le cercle de Kaolack en pays sérère, un village situé à quelques centaines de mètres d’un des bras du fleuve Saloum. La région est belle lorsqu’arrive la saison des pluies. C’est peu ou prou la même végétation que l’on retrouve dans un autre village sérère, Joal, situé en face de l’océan. Si cette localité est connue pour être avec le village de Djilor l’un des lieux du royaume d’enfance du premier président Sénégalais, Léopold Senghor – qui comme son homonyme participera à la Seconde Guerre et fut également fait prisonnier –, elle a également vu naître un autre Senghor, Lamine, un personnage au destin tout aussi extraordinaire61. Leur nom renvoie à un patronyme fréquent dans la région du Sine-Saloum, un nom qui vient du terme portugais Senhor, Monsieur, trace de la présence coloniale depuis le milieu du xve siècle dans ces contrées62. Lamine Senghor est né en en 1889. Pendant la Première Guerre mondiale, il est mobilisé et participe au sein du 68e Bataillon de tirailleurs sénégalais à la bataille de la Somme en 1916, puis il est à Verdun entre septembre et octobre 1917, où sa compagnie est décimée suite à une attaque au gaz moutarde dont il sort gravement atteint – souffrant de tuberculose jusqu’à sa mort en 1927, il bénéficie à la fin de sa vie d’une pension d’invalidité à 100 %. Si l’histoire de Lamine Senghor est celle de centaines de milliers de combattants de la Première Guerre, il sort de cette expérience résolument antimilitariste… et anticolonialiste. Après avoir été militant à l’Union intercoloniale, une association fondée par le Parti communiste français en 1921, Lamine Senghor fonde le Comité de défense de la race nègre (CDRN) en 1924. Il publie plusieurs écrits réunis dans La Violation d’un pays qui paraît en 1927. Ces écrits sont l’exact opposé de l’ouvrage Force-bonté63, publié un an plus tôt par un autre tirailleur, Bakary Diallo, un livre qui est un succès pour l’époque, longtemps considéré comme un des reflets du paternalisme colonial des années 1920. Mais si Lamine Senghor s’est fait connaître, c’est d’abord en raison de son opposition à un autre Sénégalais, Blaise Diagne, l’homme politique africain francophone le plus connu de ces années-là. En effet, il témoigne contre Blaise Diagne au procès que celui-ci intente à René Maran, l’écrivain guyanais qui a obtenu le prix Goncourt en 1921 pour Batouala. Véritable roman nègre. Ce dernier a accusé Diagne, dans le journal Les continents, d’avoir vendu le sang de ses frères. Si le parcours de Lamine Senghor permet de restituer l’évolution du débat panafricaniste francophone après la Première Guerre64, il pose aussi la question des représentations sur les tirailleurs en métropole. Le conflit entre les membres de la « Triple-entente » et ceux de la « Triple-alliance » a ainsi fécondé une nouvelle séquence de l’imaginaire combattant qui doit se comprendre au sein de l’armée mais aussi dans l’espace public métropolitain, dans les tensions politiques du moment. Avant d’aborder cette fabrique des signes et des symboles, des opinions et des figures rhétoriques, il convient d’apporter quelques chiffres sur la participation de soldats ouest-africains à la Grande Guerre.
Le poids démographique de la Grande Guerre
14Les recrutements connurent des séquences distinctes selon les rythmes de la guerre, mais aussi selon les espaces coloniaux. La question de l’acquisition de droits pour les combattants intervint dès le début du conflit. Dans l’Afrique du début du siècle, et en particulier dans le Sénégal des quatre communes où les populations possédaient un statut de citoyens et élisaient un député depuis 187265, le recrutement à la veille de la Première Guerre mondiale fut perçu par une partie des élites politiques africaines comme un impôt de sang. Celui-ci permettait de débattre des possibilités d’obtention de droits civiques et juridiques. Dans les campagnes, les réactions à l’annonce de la guerre et la mise en place d’une ponction massive de conscrits prirent des formes bien différentes. En témoignent les nombreuses formes de résistances, notamment armées, telle par exemple la révolte de Bélédougou au début de l’année 1915, en pays Bambara, au nord de Bamako66. Cette même année, en novembre, ce fut la révolte de l’ouest voltaïque : « plus de 500 villages soulevés, plus de 160000 insurgés dans les cercles de Bobo Dioulasso et Dédougou […] plusieurs milliers [de pertes]67 ». Les moyens que trouvèrent les autorités coloniales pour maintenir un recrutement important de soldats durant toute la guerre varièrent, ceux-ci ne se réalisèrent pas uniquement par la force. Ainsi, certains chefs traditionnels allèrent combattre directement, comme Bouna N’Diaye, roi du Djolof, ou envoyèrent leurs fils, comme Coumba N’Doffène, roi du Sine68. De la part de certaines élites coutumières, cette volonté de « collaborer » avec le pouvoir colonial permettait ainsi de consolider de bonnes relations avec les administrateurs français. Elle assurait également une certaine gloire pour cette aristocratie menacée par la transformation des structures sociales qui s’opéraient depuis l’intensification de la conquête coloniale.
15À Paris, la question des modalités de ces recrutements fut rapidement accompagnée d’un autre type de discussion. Ces débats autour de l’appel à l’Afrique furent notamment portés par le premier député africain, Blaise Diagne69, élu en 1914, qui aborda à la Chambre des députés la question de la conscription pour les citoyens des quatre communes et de leurs statuts futurs. En juillet 1915, Blaise Diagne faisait voter une loi instituant le service militaire pour les citoyens des quatre communes : ceux-ci devaient servir dans les unités métropolitaines régulières et non dans les rangs des tirailleurs. Moins de deux ans plus tard, alors que la guerre se prolonge, un nouveau recours aux soldats africains était envisagé. Le député des quatre communes fut chargé de recruter des dizaines de milliers d’hommes, cette fois dans l’ensemble de l’AOF. Du point de vue du recrutement, la mission mandatée par Clemenceau fut un succès : plus de 63000 hommes en AOF et 14000 en AEF se trouvèrent engagés sous les drapeaux70. Pour les populations d’Afrique de l’Ouest, en grande majorité rurale, ces quelques mois furent terribles. Joe Lunn va jusqu’à écrire qu’une comparaison entre les niveaux de conscription durant ce temps de la guerre et la traite au xviiie siècle permet de dire que ces recrutements représentèrent la plus intense expropriation de force humaine pour services outre-mer dans l’histoire de la Sénégambie71. Ces dynamiques qui accompagnèrent les différentes phases du recrutement des soldats africains, furent relayées par un ensemble de discours et de portraits qui contribuèrent à dessiner des représentations dominantes du tirailleur au sein de l’institution militaire.
L’importance des représentations dans l’armée : la force noire et les mutineries
16Marcel Dagnan, qui, on le verra, joua un rôle déterminant dans la répression du 1er décembre 1944 est né en 1885. Il appartient à la même génération qu’Yves de Boisboissel, celle qui succède à Charles Mangin, né en 1866. Déjà dans l’armée en 1911, ils baignèrent dans l’atmosphère permettant au lieutenant-colonel Mangin d’écrire dans La force noire :
« Le manque de nervosité de la race noire l’y rendra précieuse dans le combat, le soldat noir dépend moins de force nerveuse que tout autre et dispose par conséquent d’une somme de résistance et d’une puissance d’action plus considérable. L’insouciance du noir et son fatalisme deviennent alors des qualités ; sa confiance prise par ses chefs est imperturbable72. »
17La description des soldats africains disposant d’un système nerveux différent et étant insouciants du danger, servait les intérêts militaires français. Ces soldats auraient été plus menaçants aux yeux des ennemis, en Europe et dans l’Empire. Cependant, les tirailleurs étaient aussi censés être la preuve vivante de la réussite de la mission civilisatrice française et de la suprématie de la colonisation française sur celle des autres nations. À cet égard, la présentation des soldats comme particulièrement brutaux entrait en contradiction et « c’est précisément cette ambivalence qui rend le traitement français de l’image violente des tirailleurs si complexe et en constante évolution73 ». S’il n’est pas aisé de savoir jusqu’à quel point les jeunes officiers qu’étaient de Boisboissel et Dagnan partageaient les vues de Mangin, notons que, pendant la Première Guerre mondiale, une certaine mémoire relative aux troupes noires était présente dans l’armée française. Ces représentations collectives s’étaient construites autour de la Revue des Troupes coloniales – dont le premier numéro paraît en 1902 – ou à travers les manuels linguistiques destinés aux officiers coloniaux à partir du milieu de la Première Guerre74. Elle s’était également transmise par les souvenirs de ceux qui avaient participé aux campagnes militaires de la conquête. Cet imaginaire, labile et en voie de constitution, touchait finalement une faible portion des officiers de l’armée française – ceux liés aux troupes coloniales – mais il doit être mis en rapport avec une autre représentation de la Grande Guerre : les mutineries. En effet, puisque Thiaroye est qualifié de « mutinerie » par l’armée, il n’est pas inutile d’effectuer un bref détour par les représentations militaires qui entourèrent cette séquence. Comme le note Nicolas Offenstadt dans Les Fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective, « pour l’historien, la justice militaire ne doit pas être lue à l’aune de la justice civile ou de principes atemporels. Règles, normes et pratiques de la répression disciplinaires aux armées relèvent d’un univers propre75 ». Les mutineries de 1917 qui débouchèrent sur une quarantaine d’exécutions76 ont marqué, et marquent encore, la société française et comprendre « l’objet mutinerie » dans l’armée française nécessite de recourir aux discours du pouvoir, civile et militaire, sur ces événements.
18Un commissaire du gouvernement écrivait à l’époque : « en temps de guerre, dans l’application de la peine, il faut envisager le point de vue de l’exemplarité comme infiniment supérieur au point de vue du châtiment77 ». Mais, ce qu’il faut noter, en anticipant sur le chapitre suivant, c’est que les soldats exécutés au cours de la Grande Guerre le furent après un jugement – bien que sommaire –, ce qui n’est pas le cas à Thiaroye. Bien qu’il n’y ait pas spécifiquement d’exécution de tirailleurs sénégalais liés aux mutineries de 1917, signalons cependant le traitement dégradant à l’égard des soldats issus de l’Empire colonial qui associe l’humiliation à la peine capitale. Le général d’Urbal écrivait ainsi dès décembre 1914 :
« Mes ordres portent qu’il soit tiré au sort un tirailleur sur dix de la compagnie qui a refusé de marcher, sans préjudice des instigateurs de ce refus d’obéissance s’ils venaient par la suite à être connus, que les tirailleurs soient promenés devant le front avec un écriteau portant en français et en arabe le mot “lâche” ; qu’ils soient fusillés aussitôt après78. »
19Ce général, également sorti de Saint-Cyr, usait alors de la notion d’honneur et d’un de ses antonymes, la lâcheté, maintenant appliqué aux ressortissants du continent africain intégrés dans l’armée. Cette fabrique de représentations et d’imaginaires durant la grande guerre se réalisa donc sur le champ de bataille mais également dans l’arène politique, notamment au Parlement.
Les troupes noires au Parlement : la rhétorique du sacrifice
20La participation des soldats africains ne fut pas uniforme durant les quatre années de guerre. Les propos à leur égard de la part des autorités françaises, métropolitaines et coloniales, militaires et civiles, connurent ainsi des évolutions. En métropole, c’est d’abord le scepticisme qui régnait face à l’emploi de ces troupes. La décision prise par Georges Clemenceau quant à l’envoi de la mission Diagne début 1918, afin d’engager de nouvelles troupes africaines à combattre sur les fronts européens, ne fit pas l’unanimité. Le gouverneur général de l’AOF, Joost Van Vollenhoven, s’opposa farouchement à la levée de nouvelles recrues. Il proposait que la colonie soit pourvoyeuse en produits plutôt qu’en hommes79. Après le terrible épisode de la bataille du Chemin des Dames en avril 1917, Marc Michel note qu’il y eut de nombreux rapports administratifs et témoignages du commandement sur le froid, la boue, le gel, dont étaient victimes les troupes noires. En mai, au parlement, Blaise Diagne dressa un sévère réquisitoire contre Mangin, dans lequel il affirma que les Sénégalais avaient été sacrifiés80. Cette rhétorique du courage et de la bravoure, mais aussi du sacrifice et de la loyauté, prônée par les tenants de la Force noire au moment des conscriptions, sembla se faire entendre, dans l’enceinte parlementaire, seulement à partir de 1918. Ces pertes entraînèrent définitivement l’adhésion de la classe politique au rôle que pouvaient jouer les soldats noirs sur les champs de batailles et motivèrent la mission Diagne. En janvier 1918, un décret fut édicté pour les militaires indigènes et leurs familles qui pourraient prétendre à l’exemption de l’indigénat, voire à « une dispense complète de l’impôt81 ». Dans les faits, les administrateurs locaux firent tout pour préserver un statu quo. De plus, les années de l’après-guerre furent caractérisées par la mise en place de véritables politiques mémorielles, du point de vue des autorités françaises, tout en étant réinterprétées localement. Dès le 11 novembre 1918, l’armistice fut célébré dans un Dakar en liesse. Ce jour-là, Bouna N’Diaye rendit un hommage poignant aux jeunes gens du Djolof partis combattre sur les champs de batailles français : « ils s’étaient rendus dignes de leurs ancêtres qui avaient fait du Djolof “un empire respecté”82 ». Sur cet aspect, Marc Michel note :
« son discours était aussi un clair avertissement en vue d’une “remise au pas” de ceux qui étaient revenus un peu trop contestataires de l’ordre établi : “Vous avez remis le fusil et la baïonnette ; il faut maintenant prendre l’hilaire pour cultiver la richesse. Les bons Français sont là pour vous guider comme pareillement à la guerre. Suivez-les donc avec confiance et avec la ferme volonté de bien faire”83 ».
21En juillet 1919, la conscription était instaurée. Ce langage du droit et de la responsabilité mutuelle – entre les soldats africains et leurs officiers et plus largement les autorités coloniales – marque la période de l’entre-deux-guerres84. Établir la possibilité de la réception d’un tel idiome montre que l’image associée au soldat s’était profondément transformée pendant les quatre années de guerre, depuis l’ouvrage de Mangin85. De plus, ces représentations avaient gagné l’ensemble de la société française.
Le Tirailleur « Y’a bon »
22Si les préjugés concernant les populations africaines étaient probablement assez largement partagés par les opinions publiques européennes au début du xxe siècle, la guerre fut « l’occasion d’une redéfinition des stéréotypes côté français : le sang versé en commun réhabilite en quelque sorte le Noir qui, sous l’uniforme français, discipliné et encadré, perd son caractère inquiétant et brutal86 ». La signature de l’armistice et la fin de la guerre marquèrent une transformation des imaginaires combattants. Le rôle des soldats africains sur les champs de bataille contribua à une modification des discours associés à leur histoire, la figure du tirailleur comme « grand enfant » remplaça progressivement celle du « guerrier sauvage ». Ainsi, dès 1915, la marque Banania lança sur le marché l’image d’un soldat africain souriant affublé d’une chéchia rouge. Cette publicité devint ensuite un symbole du paternalisme français envers les soldats africains87. Cette transformation du discours à l’égard des colonisés fut en grande partie liée à la réaction de la presse et des autorités françaises face à la campagne menée côté allemand sur le thème de la « honte noire ». L’occupation de la Rhénanie et de la Sarre par près de 10000 soldats africains – du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et de Madagascar –, suite au traité d’armistice, entraîna en effet une campagne raciste dans la presse allemande qui relevait des exactions et des cas de viol imputés aux soldats africains. Cette campagne se déroula à l’échelle internationale. Elle visait notamment les États-Unis, pays ségrégationniste, dont l’Allemagne espérait l’intervention pour contraindre les Français à évacuer du territoire allemand leurs soldats coloniaux88. L’Allemagne renversait ainsi « l’accusation de barbarie qui avait pesé sur [elle…] en 1914-1918 en présentant une France haineuse et militariste, ennemie de la civilisation, méprisant les Allemands au point de les faire garder par des Noirs et désirant abâtardir leur race par le mélange des sangs et la contamination syphilitique89 ». Mais cette « campagne allemande contre les “tirailleurs sénégalais” rencontra, en retour, en France un immense retentissement public. Dans le contexte des fêtes de la victoire de 1919, cette campagne devint un enjeu national90 ». L’opinion publique, ainsi que les autorités cherchèrent par divers moyens à réfuter ces crimes comme autant d’inventions d’un discours raciste :
« La campagne allemande contre la “Honte Noire” suscita, du côté officiel français, une mise en valeur ostentatoire du rôle des “tirailleurs sénégalais” pendant la Première Guerre mondiale. En témoignent, entre autres la participation de bataillons de Tirailleurs sénégalais au défilé du 14 juillet 1919 et les projets d’élever des monuments officiels à la gloire des troupes noires, à Bamako, à Paris, à Dakar, à Saint-Raphaël et à Reims91. »
23Par ces mesures, il s’agissait de promouvoir l’image de l’œuvre civilisatrice de la colonie comme une mission réussie, à la fois en métropole et sur le continent africain. Ces processus concernèrent l’institution militaire, et plus particulièrement les mémoires régimentaires, « c’est à travers les stèles, les plaques réglementaires qu’on découvre la mémoire. Et ces marques réglementaires, on les trouve partout sur les champs de bataille, mais on les trouve également dans nos villes et dans nos villages de France92 ». Pour une part, la construction de cette mémoire relève du travail des associations d’anciens combattants et la faible présence de la mémoire coloniale à cette époque s’expliquerait, selon Serge Barcellini, par le manque de présence associative sur le territoire métropolitain au sortir de la Première Guerre93. Sur le continent africain, l’après-guerre mondiale marqua une reconfiguration de la place des soldats africains dans leurs sociétés d’origine. De manière concomitante, ce processus était lié à celui d’une urbanité naissante.
24Un peu partout en Afrique de l’Ouest, les associations d’anciens combattants prirent un poids de plus en plus important établissant une relation contractuelle entre ces vétérans et l’administration coloniale. En 1939, la conscription était devenue généralisée et plus ou moins acceptée en AOF94. Ainsi, la distinction entre soldats indigènes, originaires et naturalisés semblait avoir moins d’importance, la création des Régiments d’infanterie coloniale mixtes sénégalais (RICMS) permit que les soldats africains et métropolitains combattent ensemble lors des combats de mai-juin 194095. Le décret du 19 avril 1939 modifia le statut des soldats : « placés sous juridiction indigène de même que l’immense majorité des colonisés, les tirailleurs passent désormais sous juridiction française dans les domaines pénal, civil et commercial96 ». Ce décret fut d’ailleurs abrogé en AOF en mars 1941 par le gouverneur Pierre Boisson, rallié au maréchal Pétain97.
Conclusion
25La généalogie des premiers recrutements de soldats africains peut être tracée depuis l’arrivée française sur les côtes sénégambiennes à partir du milieu du xviie siècle. Ces hommes en armes deviennent progressivement un corps social, notamment à partir de la fin du xixe siècle et marquent différents tempos de la conquête coloniale et de la colonisation. De plus, qu’il s’agisse de la part de violences consécutives aux recrutements, aux techniques d’instruction et d’apprentissage militaire ou aux déplacements à travers l’Empire – entraînant des mises en contact inédites de populations –, les tirailleurs sénégalais ont constitué un important vecteur de représentations sociales imbriquées au sein de plusieurs chronologies impériales. Comme l’écrit Myron Echenberg « les soldats africains ont offert, plus que tout autre groupe social, non pas une caricature, mais un miroir du colonialisme et ils en ont reflété les contradictions les plus profondes. L’institution hiérarchisée et paternaliste à laquelle ils appartenaient était une métaphore du colonialisme même98 ». La mémoire de ces hommes est liée aux différents espaces où ils furent recrutés et en activité, comme aux politiques mémorielles dont ils furent l’objet de la part de l’État français ; c’est-à-dire les politiques publiques par lesquelles les autorités produisirent un ensemble de discours, de commémorations et de représentations au sein de différentes temporalités. Cette trame peut se lire à la fois en suivant le combat pour l’acquisition de droits, civiques et sociaux, et en fonction de certaines modifications des répertoires de l’imaginaire. Parmi ces derniers, tout un ensemble de valeurs se joue à travers la notion de « l’honneur ». Dans l’espace sénégambien, l’honneur de rang – entre clercs, nobles et populations rurales et serviles – tendit à s’araser lorsque ces hommes se mirent à porter l’uniforme militaire. L’honneur, lié au statut de naissance, devint pour les recrues africaines une valeur que l’on pouvait acquérir par ses propres actes. Ces éléments permettent de saisir comment le colonialisme militaire a ainsi généré sa propre culture en Afrique de l’Ouest.
26Si, au Sénégal, la mémoire de Thiaroye participe de la construction du récit national, c’est bien les tirailleurs eux-mêmes qui apparaissent comme un lieu de mémoire. La littérature, africaine et occidentale, fourmille ainsi d’ouvrages qui prennent pour thème principal ou secondaire la vie de ces soldats. Pape Samba Diop, en s’appuyant sur un corpus de romans sénégalais sur les tirailleurs, note deux grands profils : « celui des soldats ayant combattu auprès des Français en Afrique même, et un autre, plus fréquent, celui de soldats ayant participé, en Europe, aux deux grandes guerres mondiales99 ». Le déroulement de la répression du 1er décembre 1944, ainsi que les récits qui construisent sa mémoire dans la société sénégalaise – depuis l’après-midi même du drame jusqu’à aujourd’hui, dans le Sénégal de l’après Abdoulaye Wade – mêlent ainsi des fils tissés tout au long de l’histoire des soldats africains mobilisés sous le drapeau français. Mais, comme note l’historien Paul Veyne dans une belle formule : « Un événement se détache sur fond d’uniformité ; c’est une différence, une chose que nous ne pouvions connaître a priori : l’histoire est fille de mémoire100. » L’histoire du massacre de Thiaroye est un des irréductibles de cette mémoire franco-ouest-africaine au long cours.
Notes de bas de page
1 Kane Cheikh Hamidou, L’aventure ambiguë, Paris, 10-18, 2002 [1955].
2 Echenberg Myron, Les Tirailleurs sénégalais en Afrique occidentale française (1857-1960), Paris, Karthala, 2009 [1991 pour l’édition anglaise] ; Michel Marc, Les Africains et la Grande Guerre. L’Appel à l’Afrique (1914-1918), Paris, Karthala, 2003. L’ouvrage de Myron Echenberg est la somme de plusieurs articles parus à la fin de la décennie 1970 et au début des années 1980 ; celui de Marc Michel est la version remaniée d’une thèse soutenue en 1982.
3 Duval Eugène-Jean, L’épopée des tirailleurs sénégalais, Paris, L’Harmattan, 2005.
4 Le Naour Jean-Yves, La honte noire. L’Allemagne et les troupes coloniales françaises, 1914-1945, Paris, Hachette, 2003.
5 Lormier Dominique, 2006, C’est nous les Africains, Paris, Calmann-Levy 2006 ; Jennings Eric, La France libre fut africaine, Paris, Perrin, 2014. L’armée d’Afrique désigne traditionnellement les troupes nord-africaines, néanmoins une partie des unités de tirailleurs sénégalais furent fusionnées à ces troupes au sein de la 1re Armée durant la Seconde Guerre. C’est cette armée qui combattit en Afrique du Nord, en Italie puis débarqua en Provence pendant l’été 1944.
6 Schek Raffael, Une saison noire. Les massacres de tirailleurs sénégalais, Mai-juin 1940, Paris, Tallandier, 2007.
7 Fargettas Julien, Les tirailleurs sénégalais. Les soldats noirs entre légendes et réalités : 1939-1945, Paris, Tallandier, 2012 ; Mabon Armelle, Prisonniers de guerre « indigènes ». Visages oubliés de la France occupée, Paris, La Découverte, 2010.
8 Lunn Joe, Memoirs of the Maelstrom. A Senegalese oral history of the First World War, Portsmouth, Heinemann, 1999, Thiam Iba Der, Le Sénégal sous la guerre 14-18 ou le prix du combat pour l’égalité, Dakar, Les Nouvelles éditions africaines du Sénégal, 1992.
9 Mann Gregory, Native Sons. West African veterans and France in the twentieh century, Dhuram/Londres, Duke University Press 2006 ; Kamian Bakary, Des tranchés de Verdun à l’église Saint-Bernard. 80000 combattants maliens au secours de la France, 1914-1918 et 1939-1945, Paris, Karthala, 2001.
10 Lawler Nancy, Soldats d’infortune. Les tirailleurs ivoiriens de la Deuxième guerre mondiale, Paris, L’Harmattan, 1996 [1991].
11 Ba Amadou, Les « Sénégalais » à Madagascar. Militaires ouest-africains dans la conquête et la colonisation de la Grande île (1895-1960), Paris, L’Harmattan, 2012 ; Bodin Michel, Les Africains dans la guerre d’Indochine : 1947-1954, Paris, L’Harmattan, 2000.
12 Champeaux Antoine et Deroo Eric, La force noire, Gloire et infortunes d’une légende coloniale, Paris, Tallandier, 2006.
13 Zimmerman Sarah, Living Beyond Boundaries : West African Servicemen in French Colonial Conflicts, 1908-1962, Phd. in History sous la direction de Tabitha Kanogo, University of California, Berkley, 2011.
14 Fogarty Richard, Race and war in France. Colonial subjects in the French army, Baltimore, John Hopkins University Press, 2008.
15 Onana Charles, La France et ses tirailleurs. Enquête sur les combattants de la République, Paris, Duboiris, 2003, Mbajum Samuel, Les combattants africains dits « Tirailleurs sénégalais » au secours de la France (1857-1945), Paris, Éd. Riveneuve, 2013.
16 Gueye Marc, Un tirailleur sénégalais dans la guerre d’Indochine. La conduite au feu du bataillon de marche du 5e RIC : témoignage, Dakar, Presses universitaires de Dakar, 2007 ; Conombo Joseph, 1989, Souvenirs de guerre d’un tirailleur sénégalais, Paris, L’Harmattan, 1989 ; Niang Mamadou, Sous deux drapeaux, Dakar, Le Nègre international, 2011.
17 Descamps Cyr, Descamps Françoise, Rosière Pierre et Thilmans Guy, Tirailleurs sénégalais. Témoignages épistolaires, 1914-1919, Dakar, Centaure, 2014.
18 Sy Seydou Mandani, Le capitaine Mamadou Racine Sy (1838-1902). Une figure sénégalaise au temps des Tirailleurs, Paris, Karthala, 2014 ; Sow Abdoul, Mamadou Racine Sy. Premier capitaine noir des tirailleurs sénégalais, 1838-1902, Dakar/Paris, L’Harmattan-Sénégal, 2010 ; Bigmann Louis, Le capitaine Charles N’Tchoréré. Un officier gabonais dans la tourmente de la deuxième guerre mondiale, Dakar/Libreville, Nouvelles éditions africaines, 1983.
19 Sur l’histoire de l’écriture du fait colonial, en France, voir Coquery-Vidrovitch Catherine, Enjeux politiques de l’histoire coloniale, Marseille, Agone, 2009.
20 Dossier personnel de Foune Sissoko CAPM E39 883 42989.
21 C’est ici le décret du 29 mars 1933 qui régit ces questions. Voir Fargettas Julien, Les tirailleurs sénégalais…, op. cit., p. 40.
22 Jablonka Ivan, L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales, Paris, Éd. du Seuil, 2014, p. 213.
23 Ibid.
24 Ibid.
25 Dossier personnel de Kaba Koné CAPM E26 983 10339.
26 La disparition de l’esclavage dans la région prit, en fait, plusieurs décennies, et elle est liée à des processus pluriels. Voir Klein Martin, Slavery and colonial rule in French West Africa, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
27 Rosière Pierre et Thilmans Guy, Les tirailleurs sénégalais. Aux origines de la Force noire, les premières années du bataillon : 1857-1880, Dakar, Éd. du Musée historique, IFAN, 2008.
28 Echenberg Myron, Les Tirailleurs sénégalais…, op. cit., p. 38.
29 Ibid.
30 Mann Gregory, Native Sons…, op. cit., p. 61.
31 Echenberg Myron, Les Tirailleurs sénégalais…, op. cit., p. 30.
32 Ibid., p. 43.
33 Les ceddo représentent la classe guerrière dans l’espace sénégambien précolonial. On trouve différentes orthographes pour le mot ceddo : tiédo, tyédo, thiedo, on note parfois aussi le pluriel sebbe. Par commodité, hormis les citations, nous employons l’orthographe ceddo.
34 Boulègue Jean, Les royaumes wolof dans l’espace sénégambien, xiiie-xviiisiècle, Paris, Karthala, 2013, p. 474.
35 Klein Martin, « The concept of Honour and the Persistance of Servility in the Western Soudan », Cahier d’Études africaines, no 179-180, 2005, p. 831-851.
36 Iliffe John, Honour in African History, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 21.
37 Ibid., p. 48
38 Ly Boubacar, L’honneur et les valeurs morales dans les sociétés Oulof et Toucouleur du Sénégal, thèse de sociologie sous la direction de Georges Balandier, université Paris-Sorbonne, 1966, p. 9.
39 Ibid., p. 3.
40 Sylla Assane, La philosophie morale des Wolof, Dakar/Paris, Sankoré/Présence africaine, 1978, p. 88.
41 Bourdieu Pierre, Esquisse d’une théorie de la pratique, précédée de trois études d’ethnologie Kabyle, Paris, Éd. du Seuil, 2000 [1972], p. 56.
42 Mann Gregory, Native Sons…, op. cit., p. 35-36.
43 Diouf Mamadou, Le Kajoor au xixe siècle. Pouvoir ceddo et conquête coloniale, Paris, Karthala, 1990, p. 44. Pour une discussion sur les structures sociales de l’espace wolof, voir Diop Abdoulaye Bara, La société Wolof. Tradition et changement : les systèmes d’inégalité et de domination, Paris, Karthala, 2012 [1981].
44 Dossier personnel de Doudou Diallo, de Bakar Amat, de Amadou Diop et Nyakar N’Gom, respectivement CAPM E38 982 59235 ; CAPM E28 982 18059 ; CAPM E38 982 49974 ; CAPM E35 982 38260.
45 Sy Amadou, La geste tiedo, thèse de lettres moderne sous la direction de Lilyan Kesteloot, université Cheikh Anta Diop, Dakar, 1980, p. 663-664.
46 Ly Boubacar, L’honneur et les valeurs morales…, op. cit., p. 117-118.
47 Dieng Bassirou, L’épopée du Kajoor, Paris, Agence de coopération culturelle et technique, 1993.
48 Monteil Vincent, « Lat-Dior, Damel du Kayor, et l’islamisation des Wolofs », Archives des sciences sociales des religions, no 16, 1963, p. 77-104.
49 Signalons également que c’est dans ce petit périmètre qu’est né en 1923, dans le village de Caytou, Cheikh Anta Diop, un des intellectuels les plus féconds du xxe siècle.
50 Dresser un tableau de l’Afrique de l’Ouest à la fin du xixe siècle dépasse le cadre de ce travail. Pour un arrière-fond historique on se reportera à M’Bokolo Elikia, Afrique noire : histoire et civilisation, du xixe siècle à nos jours, Paris, Hatier, 2004 [1992-1995].
51 Ranger Terence, « L’invention de la tradition en Afrique à l’époque coloniale », in Hobsbawm Eric et Ranger Terence (dir.), L’invention de la tradition, Paris, Amsterdam, 2012 [2006, 1983 pour l’édition anglaise], p. 249.
52 Nord Phillip, « Les origines de la Troisième République en France (1860-1885) », Actes de la recherche en sciences sociales, no 116-117, 1997, p. 53-68.
53 Diouf Mamadou, Le Kajoor au xixe siècle…, op. cit., p. 291.
54 Johnson Wesley, Naissance du Sénégal contemporain. Aux origines de la vie politique moderne : 1900-1920, Paris, Karthala, 1991 [1971 pour l’édition anglaise], p. 41.
55 Saada Emmanuelle, « Citoyens et sujets de l’Empire français. Les usages du droit en situation coloniale », Genèses, no 53, 2003, p. 12-13.
56 De Boisboissel Henry, Le général Yves de Boisboissel des troupes coloniales (1886-1960), Paris, L’Harmattan, 2002, p. 11.
57 De Boisboissel Yves, Peaux noires, cœurs blancs, Paris, Imprimerie universelle Fournier, 1931.
58 Lunn Joe, « Male Identity and Martial Codes of Honor : A Comparison of the War Memoirs of Robert Graves, Ernst Jünger, and Kande Kamara », The Journal of Military History, no 69, 2005/3, 2005, p. 713-735.
59 Ibid., p. 728. Traduction de l’auteur.
60 Dossier personnel d’Ibou Senghor CAPM E37 982 46947.
61 Les lignes qui suivent sont tirées de la récente biographie, en introduction de la réédition de ses écrits, que lui a consacrée David Murphy : Senghor Lamine, La violation d’un pays et autres écrits anticolonialistes, Paris, L’Harmattan, 2012, p. vii-lxx.
62 Ajoutons un autre Senghor dont nous aurons à reparler, M’Bap Senghor, mort le 1er décembre 1944 au camp de Thiaroye. Nous n’avons cependant pas suffisamment d’éléments pour retracer leur degré de parenté.
63 Diallo Bakary, Forçe-Bonté, Paris, Nouvelles édition africaines, 1985 [1926].
64 Sur cette histoire méconnue, voir l’ouvrage pionnier de Dewitte Philippe, Les mouvements nègres en France, 1919-1939, Paris, L’Harmattan, 1985.
65 Johnson Wesley, Naissance du Sénégal contemporain…, op. cit., p. 56.
66 Michel Marc, Les Africains et la Grande Guerre…, op. cit., p. 56-57.
67 Ibid., p. 56-57. Pour une étude détaillée sur ces événements on se reportera à Royer Patrick et Saul Mahir, West African Challenge to Empire. Culture and History in the Volta-Banni anticolonial War, Athens/Oxford, Ohio University Press/James Currey, 2001.
68 Michel Marc, Les Africains et la Grande Guerre…, op. cit., p. 41.
69 Pour une biographie détaillée de la vie de Blaise Diagne, on se reportera à l’ouvrage de Dieng Amady Aly, Blaise Diagne, premier député africain, Paris, Chaka, 1990.
70 Michel Marc, Les Africains et la Grande Guerre…, op. cit., p. 73.
71 Lunn Joe, Memoirs of the Maelstrom…, op. cit., p. 33.
72 Mangin Charles, La force noire, Paris, L’Harmattan, 2011 [1911], p. 183.
73 Ginio Ruth, « French Officiers, African Officiers, and the Violent Image of African Colonial Soldiers », Historical Reflections, no 36, 2010/2, p. 60.
74 Van Den Avenne Cécile, « Bambaras et français tirailleurs. Une analyse de la politique linguistique au sein de l’armée coloniale française : la Grande Guerre et après », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, no 35, 2005, p. 123-150.
75 Offenstadt Nicolas, Les fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective, 1914-2009, Paris, Odile Jacob, 2009, p. 32. Pour une histoire sociale des mutineries, voir aussi Loez André, 14-18. Les refus de la guerre. Une histoire des mutins, Paris, Gallimard, 2010.
76 L’ensemble des exécutions est de l’ordre de 700.
77 Offenstadt Nicolas, Les fusillés de la Grande Guerre…, op. cit., p. 32.
78 Cité dans ibid., p. 54-55.
79 Michel Marc, Les Africains et la Grande Guerre…, op. cit., p. 62. Devant le refus de Clemenceau, il démissionna, demanda sa réintégration dans les armées où il perdit finalement la vie en juillet 1918.
80 Ibid., p. 95-109.
81 Ibid., p. 202.
82 Michel Marc, « “Mémoire officielle”, discours et pratique coloniale. Le 14 juillet et le 11 novembre au Sénégal entre les deux guerres », Revue française d’histoire d’outre-mer, no 77 (287), 1990, p. 154.
83 Ibid.
84 Mann Gregory, Native Sons…, op. cit., p. 63-107.
85 Ginio Ruth, « French Officiers, African Officiers… », art. cit.
86 Le Naour Jean-Yves, La honte noire, op. cit., p. 12.
87 Ginio Ruth, « French Officiers, African Officiers… », art. cit, p. 65.
88 Le Naour Jean-Yves, La honte noire, op. cit., p. 8.
89 Ibid.
90 Lusëbrink Hans-Jurgën, « Les Tirailleurs sénégalais et l’anthropologie coloniale. Un litige franco-allemand aux lendemains de la Première Guerre mondiale », Éthiophiques, no 50-51, 1998, n p.
91 Lusëbrink Hans-Jurgën, « Les Tirailleurs sénégalais et l’anthropologie coloniale… », art. cit. Cette dernière statue, à Reims, fut détruite par les Allemands en juin 1940 car elle était vue comme une séquelle de la honte noire.
92 Barcellini Serge, « Les politiques de mémoire », in Deroo Éric, Champeaux Antoine et Riesz Janos (dir.), Forces noires des puissances européennes : actes du colloque organisé les 24 et 25 janvier 2008 à Metz, Panazol, Lavauzelle, 2009, p. 308.
93 Ibid.
94 Echenberg Myron, Les Tirailleurs sénégalais…, op. cit., p. 161.
95 Ibid., p. 163.
96 Fargettas Julien, Les tirailleurs sénégalais…, op. cit., p. 50.
97 Voir infra chapitre « Un crime de guerre ? ».
98 Echenberg Myron, Les Tirailleurs sénégalais…, op. cit., p. 24.
99 Diop Papa Samba, « La figure du Tirailleur sénégalais dans le roman sénégalais, 1920-1985 », in Riesz Janos et Schultz Joachim (dir.), Tirailleurs sénégalais : présentations littéraires et figuratives de soldats africains au service de la France, Francfort/Paris, Lang, 1989, p. 39.
100 Veyne Paul, Comment on écrit l’histoire, op. cit., p. 15.
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