Chapitre IV. Le statut des étrangers en RDA
p. 103-114
Texte intégral
« Ne plante pas de clou au mur ! Jette ta veste sur la chaise ! Pourquoi prévoir pour quatre jours ? Tu retournes demain. Laisse l’arbuste sans eau. Pourquoi planter encore un arbre ? Avant qu’il ne soit haut comme une marche, Joyeux, tu t’en iras d’ici. »
Bertolt Brecht, Poèmes 4, 1934-1941, Pensée sur la durée de l’exil.
1 La politique migratoire et le droit d’asile en RDA demeurent mal connus. La RDA n’accueillit pas seulement les Espagnols communistes, mais ouvrit également ses portes à des Espagnols non-communistes – qui n’étaient pas considérés comme des émigrés politiques – ou des communistes grecs qui, eux, bénéficièrent du même statut que les réfugiés espagnols. En comparant les politiques d’accueil mises en place par la RDA à l’arrivée de ces différents groupes, il nous est possible d’en apprendre plus sur la spécificité (ou non) de l’accueil réservé au groupe d’Espagnols expulsés vers la RDA.
2Il existe deux autres groupes partageant des caractéristiques similaires avec les réfugiés politiques espagnols (pour l’un, il s’agit de la nationalité ; pour l’autre, du statut).
3Le premier cas est celui de la population espagnole présente sur le territoire est-allemand avant l’opération Boléro Paprika, qui n’est donc pas réfugiée et peut à travers les modalités de sa prise en charge témoigner de la distinction opérée par l’administration Est-allemande entre immigrés et réfugiés.
4Le deuxième cas est celui des réfugiés politiques grecs, arrivés sur le sol est-allemand en 1949 : ils sont les premiers à bénéficier du statut de « Polit’Migranten ». Leur accueil jette-t-il les bases de la politique est-allemande à l’égard des émigrés politiques ? Existe-t-il des différences entre l’accueil des réfugiés grecs et l’accueil des réfugiés espagnols ?
Les émigrés espagnols en RDA avant 1950
5Un groupe de citoyens espagnols vivaient déjà sur le territoire est-allemand avant l’arrivée du « groupe des 31 » en septembre 1950. Comment avaient-ils vécu jusqu’alors ? Qui étaient-ils ? Que faisaient-ils en RDA ?
Des traîtres au parti ?
6Dès 1946, une correspondance s’établit entre des Espagnols installés dans la zone d’occupation soviétique et Franz Dahlem (ancien des Brigades internationales, membre du comité central du SED) : ces derniers souhaitent créer une association antifasciste des républicains espagnols et des amis de l’Espagne et veulent donc développer une relation particulière avec les anciens membres des Brigades internationales1. Ce groupe d’Espagnols est numériquement peu important et plutôt hétérogène. La plupart d’entre eux sont des ouvriers venus soit volontairement en Allemagne pendant la guerre, soit envoyés depuis les camps d’internement pour réfugiés espagnols aux travaux forcés. Certains d’entre eux avaient survécu aux camps de concentration nazis et décidé par la suite de rester en Allemagne. Il est également probable qu’il y ait eu au sein de ce groupe des anciens de la Division Bleue2, bien qu’il n’existe aucune preuve documentaire de cette appartenance dans les archives consultées. C’est Dolores Ibarruri qui avance la première cette hypothèse suite à une demande d’informations déposée par le SED qui, dès 1946, s’interroge sur la provenance de ces Espagnols : en cherchant à s’organiser, les premiers différends ont rapidement éclaté au sein de ce groupe – différends dont Dahlem est informé, chaque partie essayant d’obtenir son appui. En décembre 1946, il décide avec Grete Keilson (interlocutrice au département des relations internationales) de les lister3. Wilhelm Pieck (président de la RDA), mis au courant par Franz Dahlem, prend également cette affaire très à cœur et s’adresse directement à la direction du PCE, qui, dans l’ordre du monde communiste, est la seule instance à pouvoir leur délivrer des informations fiables sur ces Espagnols. De Moscou, Dolores Ibarruri leur conseille alors explicitement de rester sur leurs gardes :
« Nous ne pouvons avoir aucune confiance en eux [les Espagnols vivant en Allemagne], car selon nos informations, ce sont des personnes qui sont volontairement venues en Allemagne nazie pour y travailler. Il semble même que certains d’entre eux viennent de la Division bleue et qu’ils ne souhaitaient pas rentrer en Espagne pour diverses raisons ou pour exécuter un travail particulier en Allemagne. Il faut même traiter avec méfiance ceux qui étaient dans un camp de concentration et qui ne sont pas rentrés avec les autres en France. Dans tous les cas, nous ne pouvons nous porter garants pour aucun d’entre eux. Pour cette raison, nous vous prions de ne pas utiliser ces Espagnols, étant donné qu’ils ne sont pas du tout fiables politiquement4. »
7Si la méfiance à l’égard d’anciens volontaires de la Division bleue est compréhensible, il est plus étonnant que cette dernière prévale également pour les républicains espagnols libérés de camps tels que Mauthausen, où de nombreux « Espagnols rouges » trouvèrent la mort. Le PCE partait du principe que les militants n’ayant pas suivi ses consignes à la fin de la Seconde Guerre mondiale (rejoindre le parti en France) ne pouvaient plus être considérés comme dignes de confiance.
8En réalité, il semble que la plupart d’entre eux soient restés en Allemagne pour des raisons personnelles, le plus souvent parce qu’ils avaient épousé une Allemande rencontrée durant leurs années d’expatriation, ou, à la Libération. Il ne semble pas non plus y avoir eu d’anciens membres de la Division Bleue : l’unique fois où cette appartenance est mentionnée, elle concerne un Espagnol arrivé plus tard, en 1954, et directement d’Union soviétique. Selon ses dires, il avait choisi de rejoindre la Division Bleue pour raccourcir la durée de son service militaire en Espagne qui aurait été de trois ans et qui était ainsi réduite à un an et demi. Il aurait alors directement passé les lignes ennemies pour s’installer en Union soviétique où il aurait travaillé jusqu’en 1954. Ne souhaitant pas rentrer en Espagne et s’étant bien comporté, les autorités soviétiques lui proposent alors de partir dans le pays d’accueil de son choix et il décide de s’installer en RDA5. Ce récit est le seul mentionnant une quelconque appartenance au corps de volontaires espagnols de la Division Bleue.
9Les Espagnols présents en RDA depuis la fin de la guerre sont une quarantaine, résidant à Berlin, Schwerin, Weimar, Halle, Potsdam et Dresde6. D’autres listes évoquent entre vingt-deux et cinquante personnes7. En octobre 1947, une correspondance interne au SED concernant ces Espagnols révèle que l’État est-allemand ne détient que peu d’informations à leur sujet et craint que nombre d’entre eux ne vivent du marché noir8. De plus, jusqu’à cette date, certains étaient reconnus comme « victimes du fascisme » (Opfer des Faschismus, OdF) et avaient même intégré le SED. Suite à la lettre de Dolores Ibarruri, un contrôle politique de ces personnes s’avère nécessaire. Il semble néanmoins qu’il était difficile d’obtenir plus de renseignements au niveau central et Kurt Schwotzer (également interlocuteur des Espagnols avec Greite Keilson au département des relations internationales) contacte alors les différentes directions régionales du SED pour s’informer sur les Espagnols au niveau local. Ce qui importe, c’est de découvrir d’où ils viennent, leur date d’arrivée en Allemagne et les raisons qui les y ont conduits. Leurs activités durant la Seconde Guerre mondiale ainsi que leurs activités présentes font également l’objet d’une attention particulière9. Quelques éléments biographiques parviennent alors à Kurt Schwotzer. Le commissaire de police de Magdebourg (pour la région de Saxe-Anhalt) délivre un rapport élogieux au sujet des Espagnols présents dans son district, évoquant leur combat en Espagne au côté des Brigades Internationales. Il termine sur ces quelques lignes : « Ils ont le droit […] de jouir de l’aide et de l’hospitalité de notre pays10. » Les Espagnols qu’il évoque font néanmoins partie d’un groupe particulier : les quatre personnes décrites sont d’anciens détenus de camps de concentration.
10Quelques semaines plus tôt, la direction du SED pour Gross-Berlin livrait une image plus contrastée de « sa » population espagnole. Celestino G. est par exemple jugé positivement :
« Son attitude sous le régime nazi est qualifiée d’antifasciste et son comportement politique est également de gauche. Il fait partie du SED. Son caractère et sa personnalité sont loués et n’ont jamais fait l’objet de plaintes ou de critiques. Il aurait beaucoup aimé rentrer en France mais reste ici par amour pour sa femme11. »
11Un autre Espagnol en revanche ne s’attire pas la même sympathie : « Il passe beaucoup de temps dans les bars, il est en contact avec des trafiquants et des personnes douteuses. Il râle comme un nazi à propos des conditions actuelles12. »
12Il ne semble pas y avoir eu d’enquêtes réelles permettant d’accéder à une vue d’ensemble de ce groupe. Les biographies parviennent au compte-goutte et les différents commentaires relèvent plus de suppositions que de faits. Le silence du PCE aggrave ce climat de suspicion.
13De plus, peu d’entre eux étaient membres du PCE et la plupart tiennent des propos vagues concernant leur appartenance politique, se référant principalement à leur républicanisme. Certains faits tendent même à démontrer qu’ils ne sont pas du tout en adéquation avec la politique du PCE : en 1947, un certain nombre d’entre eux demandent à la SBZ de reconnaître le gouvernement de Jose Giral13. Une fois la guerre civile espagnole terminée avait été créé à Mexico un gouvernement en exil, qui se considérait comme le successeur de la République Espagnole. Le PCE y est représenté jusqu’en août 1947 mais le quitte suite à de multiples différends avec le PSOE. A partir de ce moment, le parti communiste espagnol ne boycotte pas uniquement le régime franquiste mais aussi le gouvernement républicain en exil, qui s’appuie sur les forces libérales et socialistes. L’Union soviétique choisit alors de ne pas reconnaître ce gouvernement. Pourtant, les Espagnols vivant en RDA s’en réclament, ce qui constitue certainement leur première erreur stratégique. Aussi, en février 1948, les Espagnols résidant à Leipzig demandent-ils à rejoindre la Yougoslavie, alors que Tito vient de rompre avec l’Union soviétique14.
Vie et mort du comité d’émigration espagnole-républicaine (ERE)15
14En 1946, suite à une rencontre entre Enrique Magalona, représentant ministériel du gouvernement en exil et Jose Quevedo, qui deviendra le premier responsable du « comité d’émigration espagnole-républicaine (ERE) », ce dernier informe Franz Dahlem de sa volonté de constituer un comité regroupant les Espagnols souhaitant travailler contre le régime de Franco. Quevedo rédige même le préambule des statuts de cette association qui a pour but de rassembler les antifascistes et amis de l’Espagne et pour mission de « contribuer à la paix, la démocratie, la solidarité, la culture et la civilisation16 ».
15Bien que ce soit cette initiative qui pousse en partie le SED à se renseigner sur les Espagnols, il ne semble pas vraiment s’inquiéter de la création de ce comité, pensant dans un premier temps qu’il ne verra pas le jour :
« Les Espagnols ont organisé quelques réunions portant sur la création d’une association. Mais ils ne peuvent pas se mettre d’accord, ce qui peut nous être utile […] L’article que tu désignes comme manquant et que tu devais lire et évaluer, est le document en annexe portant sur le caractère, les objectifs et la structure de l’association, il correspond à la mentalité des Espagnols. Je n’ai pas besoin d’en dire plus à ce sujet17. »
16Lorsqu’il s’agit de ce groupe d’Espagnols, les stéréotypes ne manquent pas – et ils fonctionnent dans les deux sens, chacun s’inspirant de l’expérience faite durant la Guerre d’Espagne (Quevedo parle par exemple de la discipline allemande qu’il a vu à l’œuvre au sein des BI et qui manque à ses concitoyens18).
17Néanmoins, l’ERE est créée lors d’une réunion à Leipzig les 27 et 28 septembre 194719. Son président, Jose Quevedo, un ancien officier de l’armée de l’air espagnole qui avait combattu au côté de l’armée républicaine durant la guerre civile, possède depuis 1945 une librairie spécialisée dans la littérature espagnole dans le quartier de Friedrichshain à Berlin20. C’est lui qui, dès 1946, ne cesse d’attirer l’attention des autorités est-allemandes pour faire reconnaître l’émigration espagnole.
18Des différends entre les Espagnols, mais également avec les autorités est-allemandes, ralentissent le travail du comité. Tout d’abord, alors qu’ils souhaitent s’inscrire sous le patronage de la commission des victimes du régime nazi (VVN), le SED leur refuse toute reconnaissance, les statuts de leur association ne deviennent jamais effectifs et elle n’est donc pas enregistrée. Ensuite, diverses intrigues et formes de concurrence au sein du groupe-même sont relatées, sans que les raisons soient explicites : problèmes personnels ou politiques, la cause reste vague. Apparemment, la majorité des membres se méfie de Quevedo, dont le passé politique reste flou. De plus, Quevedo doit lutter contre l’influence de Jesus Lorenzo. Ce dernier avait, pendant la guerre d’Espagne, fait de la propagande pour le camp républicain en Amérique du Sud et travaillait également à cette époque pour le département « presse » du SIM (Servicio de Información Militar)21. Ce passé pousse d’ailleurs le parti est-allemand à lui accorder une plus grande confiance : « En comparant avec le camarade Quevedo, le camarade Lorenzo donne l’impression d’être formé politiquement, disposant de multiples expériences dans le travail et le combat politique22. » Lorenzo entre dans le comité directeur de l’ERE en janvier 1948, remplaçant un autre camarade élu lors d’une réunion à Leipzig en septembre 194723. Quevedo est définitivement écarté en juin 1948 lors d’une rencontre à Potsdam. Le rapport émanant du SED relate que de nombreuses disputes et désaccords ont éclaté entre les Espagnols, ne laissant aucune place au travail politique.
19La mise à l’écart de Quevedo n’aura cependant que peu de conséquences sur l’avenir de l’ERE, qui est de toute manière dissoute deux mois plus tard, en février 1949. Ses activités sont alors prises en charge par les organisations allemandes, principalement par le SED et la VVN. Il ne fait aucun doute que cette décision fut motivée par le peu d’informations dont disposait le SED et par la mise en garde prononcée par le PCE à leur encontre. Le SED a peut-être ici suivi l’adage : « Diviser pour mieux régner. »
20Tout contact avec les Espagnols installés à Dresde sera interdit et le PCE refuse qu’ils deviennent membre du parti, comme cela fut le cas pour Joaquim Aguilo Campana :
« Nous ne savons pas qui est cet Espagnol, ni les raisons qui le poussent à vivre en RDA. Nous ne savons pas s’il s’agit de l’un de ces Espagnol déportés de France en Allemagne ou s’il s’agit d’un survivant de la division bleue. Notre consigne est et reste de n’accueillir aucun d’entre eux au sein de notre Parti et de n’entretenir aucune relation politique avec ces Espagnols qui ont décidé après la libération de l’Allemagne de rester dans ce pays, car nous n’avons pas les moyens d’enquêter sur les raisons profondes de leur comportement, sur les raisons de leur séjour en Allemagne ni sur le fait qu’ils ne sont pas revenus en France après la Libération ou sur d’autres problématiques toutes aussi importantes24. »
21Le PCE justifie cette prise de position de la manière suivante : leur faire confiance équivaudrait à un manque de vigilance politique et de loyauté envers les partis frères des démocraties populaires25. Par un décret du 7 juillet 1951, le BP du SED décide de procéder à un contrôle des cartes et dispose que, pour être membre du parti est-allemand, les ressortissants de nationalité étrangère doivent au préalable avoir reçu l’accord de leur parti, ce que le PCE leur refuse : ils sont alors radiés du SED26. Ils perdent également leur statut de « persécutés du régime nazi » (VdN) en 1953 car « ils appartiennent au groupe d’Espagnols qui ne sont pas reconnus en tant qu’émigrés […] En 1945, il aurait été de leur devoir d’aller en France27 ». Ils ne sont dès lors plus considérés comme « étrangers » mais comme « apatrides » et ne peuvent plus être pris en charge ni reconnus par la VVN28. En 1956, leur situation sera à nouveau examinée, au cas par cas, sur ordre de Kurt Schwotzer. En effet, ce dernier juge injuste d’enlever le statut de VdN à des personnes ayant vécu de manière exemplaire les dix dernières années. Cette décision est également liée au virage politique pris par le PCE lors du plénum du CC en 1956 qui prône un rapprochement avec les autres forces antifranquistes :
« Le camarade Schwotzer était d’avis que nous devons examiner encore une fois et au cas par cas la véracité des données et la crédibilité de chacun, ainsi que leur comportement et leurs activités sociales durant les dernières années. Si tout concorde, on doit leur laisser leur statut. Il faut aussi prendre en compte que la politique du PCE s’oriente vers une meilleure compréhension et vers le rassemblement de toutes les forces patriotiques d’Espagne et de tous les ennemis de Franco29. »
22En revanche, à aucun moment n’est remise en question leur expulsion du SED.
23Les Espagnols expulsés de France en septembre 1950 à cause de leur engagement au sein du PCE – seront traités différemment, comme nous allons le voir prochainement et ne seront pas soumis aux mêmes restrictions : ils constituent, en comparaison, un groupe privilégié.
L’émergence de la notion de « Polit’ Migranten » : les émigrés grecs
24Un autre groupe bénéficie du statut d’émigré politique : il s’agit des 112830 enfants et jeunes grecs accueillis dans le cadre de la « Paidomazoma31 » suite à la défaite du parti communiste de Grèce (KKE) et dont les parents avaient combattu au côté de Markos32.
25Suite à cette défaite, une diaspora communiste s’implante en Yougoslavie (qui avait été jusqu’en 1949 le principal fournisseur d’armes de la guérilla) et dans d’autres pays d’Europe de l’Est. Un millier d’entre eux sont accueillis en RDA. Stefan Troebst parle d’une « action pour les enfants de Grèce », presque toutes les personnes accueillies étant âgé de huit à dix-sept ans33 à la demande expresse de la RDA qui se trouvait en pleine phase de reconstruction et était donc prête à accueillir une population jeune qui puisse participer à la réorganisation de la nouvelle société34. La grande majorité des adultes sont eux accueillis en URSS, en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Hongrie et en Roumanie. Une minorité reste en Yougoslavie, en Albanie et en Bulgarie. Les 1128 personnes accueillies en RDA arrivent entre 1949 et 1950 et sont installées en Saxe. Ils sont tout d’abord répartis dans sept foyers différents puis rassemblés en juin 1950 à Dresde – Radeubeul35. Il existait par ailleurs une diaspora grecque à Dresde au xixe siècle36, mais nous ne disposons d’aucun document permettant de faire le lien entre ces deux mouvements migratoires.
26Ils bénéficient du droit d’asile et possèdent une carte mentionnant leur statut : « Grecs sans papiers nationaux » (Grieche ohne Heimatpass), l’objectif de la RDA étant, qu’à terme, ces enfants retournent dans leur patrie (cependant, en 1989, 482 personnes bénéficiant de la nationalité grecque vivaient encore sur le territoire est-allemand37).
27La RDA se donne pour mission d’éduquer ces enfants afin d’en faire des patriotes disciplinés prêts à se battre pour la libération de leur pays38. Une école ainsi qu’une zone d’habitation qui n’accueillaient que les enfants grecs sont alors construites et l’ensemble est baptisé « Grèce libre » (Freies Griechenland). Cette nouvelle institution est dirigée et prise en charge financièrement par le comité de solidarité populaire (Volksolidarität, VS) dans un premier temps, puis par le ministère de l’éducation populaire. Ils bénéficient au sein de ce comité d’une formation bilingue (en allemand et en grec). Les enfants grecs sont par ailleurs intégrés aux organisations de masse est-allemandes (pionniers pour les enfants, jeunesse libre allemande pour les adolescents). Rapidement, la RDA cherche également à intégrer les plus âgés dans le système de production socialiste.
28Tous ces efforts ne semblent pas avoir l’effet escompté. La majorité des historiens qui se sont penchés sur ce sujet s’accordent à dire que les enfants grecs furent « acculturés sans être intégrés » : bien que la RDA s’attache à leur apprendre la langue et à les intégrer au sein de la société est-allemande au travers de leur participation aux organisations de masse, dans le même temps, elle les isole au sein d’une société parallèle.
29Mercedes A., jeune Espagnole qui a suivi son père expulsé de France en 1950 en RDA, se souvient lors d’un entretien de ses rapports avec les jeunes Grecs installés à quelques kilomètres du collectif espagnol et se remémore leur isolement :
« Il y avait peu de contacts avec les Grecs. Nous savions qu’ils étaient là. Ce que je sais, c’est qu’il y avait un foyer pour enfants, c’était un peu délabré, entouré d’un mur. C’était une grande maison. […] Je sais que les règles étaient sévères. J’ai l’impression que les Grecs ne pouvaient pas sortir, ils allaient par exemple à leur propre école. Nos enfants espagnols, eux, allaient à l’école allemande39. »
30Ces propos sont appuyés par Antonio B., qui entre en contact avec les jeunes grecs à l’ABF et fait le même constat :
« Il y avait un groupe assez important de Grecs à Radeubeul, des jeunes, et ils étaient dans un internat entre Grecs… ils n’avaient pas… C’était un groupe complètement à part, ils n’étaient pas intégrés […]. Ils avaient des instituteurs grecs, ils avaient l’école grecque. Et alors, les deux Grecs qui étaient avec nous à l’ABF, ils étaient isolés… Nous, au moins, on s’entendait avec les Allemands40. »
31De même, comme le relate Stefan Troebst, la RDA s’inquiète de leur « éducation patriote » et décide de leur fournir des uniformes. Cette mesure a pour objectif de contribuer au développement d’un sentiment national au sein de cette population particulière, au détriment du développement d’un sentiment d’appartenance au sein de la société est-allemande41.
32Bien que la RDA ait soutenu financièrement et ait facilité la vie quotidienne de ces enfants, sa politique à leur égard semble donc, dans les années 1950, quelque peu contradictoire : d’un côté, en les intégrant dans les organisations est-allemandes, elles cherchent à limiter leur « héllenisme », et d’un autre côté, en les regroupant dans un endroit clos et en limitant leur interaction avec la population allemande (ou étrangère), elle les isole et limite leur intégration. Stefan Troebst pousse même plus loin le constat :
« Le comportement du parti et de l’État avec les Grecs étaient partiellement contradictoire : d’un côté, ils essayèrent d’en faire des Grecs, et non des Allemands ou même des Grecs-Allemands ; d’un autre côté, ils les autorisèrent cependant à vivre cet hellénisme juste à l’échelle individuelle et non pas à l’échelle collective42. »
33Selon Patrice Poutrus, la RDA se méfiait de cette population et ne souhaitait pas qu’elle soit active politiquement et encore moins que les jeunes Grecs s’organisent entre eux43.
*
34L’État est-allemand adopta t-il un comportement similaire à l’égard des Espagnols accueillis en septembre 1950 ? Il est à noter qu’il est alors confronté à un autre type d’accueil puisque le groupe d’Espagnols ne constituait pas un groupe d’une classe d’âge homogène mais comprenait plusieurs générations qui avaient chacune des besoins distincts. Cette différence contextuelle joua t-elle un rôle dans la politique d’accueil mais aussi d’intégration menée par l’État est-allemand ?
Notes de bas de page
1 Programm der antifaschistische Vereinigung der republikanischen Spanier un Freunde Spaniens, SAPMO BArch SgY 11/V/237/12/196.
2 Ce corps était composé d’environ 17000 volontaires espagnols envoyés au mois de juin 1941 par Franco pour soutenir la Wehrmacht sur le front de l’Est afin de rembourser partiellement sa dette envers l’Allemagne qui avait soutenu le camp nationaliste durant la guerre civile espagnole. La division tient son nom de la couleur de ses chemises. Pour plus d’informations, voir Xavier Moreno Julia, La Division Azul, Madrid, Critica, 2005.
3 Korrespondenz zwischen Franz Dahlem und Wilhelm Pieck (27-12-1946), SAPMO BArch SgY 11/ V237/12/196.
4 Korrespondenz zwischen Dolores Ibarruri und Wilhelm Pieck (09-09-1947), SAPMO BArch DY 30/ IV 2/20/271.
5 Beurteilung über den Kollegen Manuel Kastro vom Kraul-Wulff, Kaderintrukteur beim VEB Schiffswerft « Neptun » (04-02-1957), SAPMO BArch DY 30/IV 2/20/273.
6 Aktennotiz « Spanische Emigration », SAPMO BArch SgY 11/V237/12/196.
7 SAPMO BArch SgY 11/V237/12/197.
8 Korrespondenz zwischen der SED, Abteilung Personalpolitik und Franz Dahlem (06-10-1947), SAPMO BArch SgY 11/V237/12/196.
9 Korrespondenz zwischen Kurt Schwotzer und der Landesvertretung der SED, Abteilung Personalpolitik, Dresden, Groß-Berlin, Schwerin, Halle, Weimar (28-10-1947) ; SAPMO BArch SgY 11/ V237/12/196.
10 Bericht des Kriminalamtes in Magdeburg (18-01-1948), SAPMO BArch SgY 11/V237/12/197.
11 Spanienkämpfer und spanische Emigranten (1945-1956), Landesarchiv Berlin (LAB) C/Rep/ 902/763.
12 Spanienkämpfer und spanische Emigranten (1945-1956), LAB C /Rep/902/763.
13 SAPMO BArch SgY 11/V237/12/197.
14 Bericht von Jose Quevedo (14-02-1948), SAPMO BArch SgY 11/V237/12/196.
15 « Emigración Republicana Española. »
16 Proyecto de Junta antifascista hispano republicana y amigos de España (1947), José Quevedo. AHPCE 96.1.2.
17 Korrespondenz zwischen Kurt Schwotzer und Franz Dahlem (27-12-1946), SAPMO BArch SgY/11/ V237/12/196.
18 Korrespondenz zwischen Jose Quevedo und Franz Dahlem (20-12-1946), SAPMO BArch SgY/11/ V237/12/196.
19 Korrespondenz zwischen Jose Quevedo und Kurt Schwotzer (11-12-1947), SAPMO BArch SgY 11/ V237/12/196.
20 Angaben nach Liste mit Kurzbiographien spanischer Emigranten, non-daté, SAPMO BArch SgY 11/ V237/12/197 ; Lebenslauf von Jose Quevedo (28-11-1946), SAPMO BArch SgY 11/V237/12/196.
21 Lebenslauf von Jesus Lorenzo, SAPMO BArch SgY 11/V237/12/197.
22 Bericht über Lorenzo (31-12-1947), SAPMO BArch SgY 11/V237/12/196.
23 Bericht über die spanische Migration (14-02-1948), SAPMO BArch SgY 11/V237/12/196.
24 Korrespondenz zwischen Antonio Mije und Grete Keilson (25-03-1952), SAPMO BArch DY 30/IV 2/20/271.
25 Korrespondenz zwischen Enrique Lister, Mitglied des Politbüros der KPS und dem Zentralkomitee der SED (01-06-1953), SAPMO BArch DY 30/IV 2/20/273.
26 Lebenslauf von Joaquim Aguilo Campana (04-02-1953), SAPMO BArch DY 30/IV 2/20/273.
27 Korrespondenz zwischen der Abteilung Außenpolitik und Internationale Verbindungen beim Zentralkomitee der SED und der SED, Bezirksleitung Dresden (19-11-1954), SAPMO BArch DY 30/IV A 2/20/273.
28 Korrespondenz zwischen dem Magistrat von Groß-Berlin, Abteilung Sozialwesen und der Bezirks-Partei-Kontrollkommission der SED (29-07-1953), LAB C Rep 902 / 763.
29 Aktennotiz. Vertraulich (13-10-1956), SAPMO BArch DQ 1 / 20641.
30 Van Boeschoten R., « Unity and Brotherhood ? Macedonian Political Refugees in Eastern Europe », in : Jahrbücher für Geschichte und Kultur Südeuropas, No.5, 2003, p. 192.
31 Évacuation des enfants grecs des zones de combat vers les États du bloc de l’Est. Voir Stergiou, A., Im Spagat zwischen Solidarität und Realpolitik, op. cit.
32 Voir Troebst S., « Grieche ohne Heimat – Hellenische Bürgerkriegsflüchtlinge in der DDR (1949- 1989) », in : Totalitarismus und Demokratie – fluchtpunkt Realsozialismus – Politische Emigranten in den Warschauer-Pakt-Staaten, Hannah-Arendt-Institut für Totalitarismusforschung Dresden, vol. 2, 2005, p. 248-249.
33 Troebst S. « Die “Griechenlandkinder-Aktion” 1949/1950. Die SED und die Aufnahme minderjähriger Bürgerkriegsflüchtlinge aus Griechenland in der SBZ/DDR », in Zeitschrift für Geschichtswissenschaft, no 52, 2004, p. 717-736.
34 Stergiou A., Im Spagat zwischen Solidarität und Realpolitik, op. cit., p. 41.
35 Troebst S., « Grieche ohne Heimat – Hellenische Bürgerkriegsflüchtlinge in der DDR (1949- 1989) », loc. cit.
36 Konstantinou E., Griechische Migration in Europa. Geschichte und Gegenwart, Frankfurt/Main, Peter Lang, 2000.
37 Bade K. J., Oltmer J. (dir.), Normalfall Migration, Bonn, Bundeszentrale für politische Bildung, 2004, p. 93.
38 Troebst S., « Grieche ohne Heimat – Hellenische Bürgerkriegsflüchtlinge in der DDR (1949- 1989) », op. cit., p. 250.
39 Entretien avec Mercedes A., Berlin, avril 2008.
40 Entretien avec Antonio B., Barcelone, octobre 2009.
41 Troebst S., « Grieche ohne Heimat », op. cit., p. 255.
42 Troebst S., « Grieche ohne Heimat », op. cit., p. 256.
43 Behrends J. C., Kuck D., Poutrus P. G., « Historische Ursachen der Fremdenfeindlichkeit in den neuen Bundesländern », in ApuZG, no 39, 2000, p. 21.
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Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008