Olivier Landron, L'Université Catholique de l'Ouest (1875-1970). Enracinement et ouverture
Préf. du Père Guy Bedouelle, o.p., C.L.D. Édition, 2012, 263 p.
p. 188-196
Texte intégral
1« Enracinement » : le premier terme du sous-titre donne le ton et l'affirmation en sera constamment scandée au cours de cette histoire de 120 années d'existence d'une Université qui en aura 170 en 2020. Comprenons, pour qui ne serait pas angevin, que si l'Université Catholique est, de toute évidence, pour les uns, « héritière de l'Université d'Angers (…) fondée au xive siècle » (p. 25), l’héritière véritable, pour les autres, c’est l'actuelle Université d'État qui trouve ses origines « dans l'école cathédrale attestée depuis la fin du xe siècle (…) (qui) a progressivement pris la forme typiquement médiévale d'une corporation (universitas) » (Histoire de l'Université d'Angers du Moyen Âge à nos jours, s.d. Guy Denéchère et Jean-Michel Matz, PU de Rennes, 2012, p. 11.). Cette opposition frontale s'est concrétisée, on le sait, lors de la création de l'Université d’État en 1971, lorsqu'il s'est agi de reprendre le sceau de la vieille Université du xve siècle : Sigillum rectoris et universitatis studii Andegavensis.
2Ce fut le Père Guy Bedouelle, dominicain, recteur de l'Université Catholique (2008-2011), prématurément emporté par la maladie, très connu du monde universitaire par ses travaux d'histoire religieuse sur les xvie et xviie siècles, qui, dès janvier 2008, confia à Olivier Landron, archiviste de l’U.C.O. et historien contemporanéiste à la Faculté de théologie, son désir de « donner une idée générale, claire, abordable, des grandes lignes d'une évolution qui, se déroulant de la fin du xixe siècle jusqu'à celle du xxe, a épousé les changements considérables de la société et de l'Église de France » (p. 19).
3L'argumentation de Mgr Freppel, le fondateur de l'U.C.O., lui-même membre du Conseil supérieur de l'Instruction publique en 1875, élu député du Finistère en 1880, était la suivante : l'Université Catholique de l'Ouest serait en situation hégémonique dans une ville où il n'y avait plus d'université depuis plus de trois siècles. Elle pourrait reprendre les traditions de la glorieuse Université médiévale de sa ville épiscopale. Et l’évêque-chancelier, connu pour ses positions antirépublicaines et anti-laïques, d'expliquer qu'en matière sociale on pourrait dès lors opposer, grâce à l'Université catholique, « l’École d'Angers » à « l'École de Liège », en Belgique, catholique elle aussi, mais moins conservatrice.
4Olivier Landron le savait : analyser cent ans d'histoire de l'U.C.O., c'était être décidé à n'esquiver ni les défis, ni les conflits dont l'institution allait être d'emblée le nœud et le lieu. Ce faisant, de ruptures en fractures, cette histoire allait s'inscrire dans une certaine continuité (p. 27). Quatre étapes sont retenues pour singulariser ce parcours : la fondation de l'U.C.O. et ses premiers développements (1875-1914), sa consolidation de 1914 à 1945, son essor de 1945 à 1960, ses crises et son renouveau (1960-1970).
5De la première étape, outre la personnalité combative de Mgr. Freppel et sa tendance prononcée à passer par-dessus la tête des premiers recteurs, Mgr H. Sauvé et Mgr E. Maricourt, et ses polémiques avec son confrère, l'évêque de Poitiers, Mgr Pie, qui venait de créer lui-même une faculté de théologie, on retiendra le long rectorat (1894-1921) d'un Angevin né à Chanzeaux (Maine-et-Loire), Mgr Henri Pasquier. Celui-ci se fit au moins autant connaître par ses Notes d'un voyageur autour du monde que par sa thèse, essentiellement biographique, sur l'abbé Baudry de Bourgueil, auteur de Carmina, récemment édités, traduits et commentés par Jean-Yves Tilliette (Belles Lettres). Dans sa polémique, qui manqua d'une aménité on ne peut moins ecclésiastique, H. Pasquier reproche son esprit de concurrence au recteur de l'Institut Catholique de Paris, le futur cardinal A. Baudrillard, et au clergé de l'Ouest de la France leur peu d'intérêt pour les études de théologie faites à l’U.C.O. Il confie aux jésuites la création d'internats d'étudiants, sortes de résidences universitaires avant la date : une délégation qui n'ira pas sans friction, dès l'origine et cela, jusqu'en… 1940. Il crée l'École des Hautes Études Saint-Aubin et les premières écoles supérieures satellisées par l'U.C.O. : E.S.A. (agriculture, également confiée aux jésuites), E.S.C.A. (commerce). La Faculté de droit se fait vite une bonne réputation avec des enseignants comme A. Gravouyère, H. Sauvé, M. de la Bigne de Villeneuve, René Bazin – le romancier bien connu de La Terre qui meurt, de l’Académie Française – et Ernest Jac. La situation de la Faculté des lettres est d'abord délicate : elle trouve difficilement le nombre de docteurs nécessaires à son ouverture. Pourtant, plusieurs de ses enseignants sont d'emblée remarqués pour leurs travaux de thèse : des ecclésiastiques comme l'abbé Bellanger (La Rime en français), l'abbé de Broise (Bossuet), l'abbé Delaporte (Théories du merveilleux au xviie siècle), l’abbé Descouvres (Le Père Joseph polémiste), l’abbé Bossard (Vendée militaire), l'abbé Hogu (Chateaubriand), l'abbé Bourquart (thèse sur la philosophie thomiste), et des laïcs comme : L. Borée (thèse en littérature générale et comparée), Théodore Pavie, de la famille des romantiques angevins, les Pavie (orientaliste, voyageur autour du monde, ancien professeur au Collège de France).
6Mêmes débuts difficiles pour la Faculté des sciences avec quatre docteurs fictifs sur sept au début (ces docteurs fictifs prêtent leur titre sans enseigner !), mais, cette fois encore, avec des enseignants réputés, surtout en botanique : Rivereau, Hy, Hermitte. Beaucoup de religieux, dans cette Faculté comme ailleurs : 31 ecclésiastiques dont 10 jésuites de 1877 à 1940. Quant à la Faculté de théologie, mal perçue, on l'a vu, dès l'origine, par l'évêque de Poitiers, elle est en butte, fréquemment, à l'opposition de plusieurs évêques de l'Ouest. Elle compte, néanmoins, des enseignants de grande valeur comme Mgr Legendre ou les Pères Gry, Antoine, Maurice de la Taille – tous les deux jésuites. Elle s'adjoint le voisinage d'un séminaire universitaire confié aux sulpiciens et un couvent de dominicains (actuellement pôle sciences de l'Université Catholique et chapelle Saint-Thomas), en concurrence obligée ( !) avec les jésuites qui, les uns et les autres, participeront à l'enseignement de la théologie jusque dans les années 1960. Entre-temps, l'U.C.O. se dotera de revues qui opéreront une synthèse entre recherche et enseignement : La Revue des Facultés Catholiques de l'Ouest, devenue, à partir de 1970, la revue Impacts – malheureusement abandonnée dans les années 2000 – et le Bulletin des Facultés Catholiques de l'Ouest, lien efficace de l'Université avec tout l'enseignement secondaire catholique de l'Ouest.
7La deuxième partie de ce parcours est celui de la consolidation (1914-1945) malgré les problèmes – constamment revenus – d'ordre financier et d'organisation. La Grande Guerre frappe durement enseignants et étudiants – 132 personnes tombées au champ d'honneur. L'un des recteurs de l'époque, Mgr Guy, déjà cité, sera le premier docteur ès sciences bibliques reçu dans une université romaine, déjà docteur en théologie pour une thèse sur Le Millénarisme, avant d'acquérir un grand prestige dans l'étude des apocalypses de la théologie juive, des apocryphes et des langues sémitiques. Allait lui succéder (1935-1944) Mgr Francis Vincent, angevin, auteur de deux thèses sur Saint François de Sales et d'un autre ouvrage sur René Bazin. Devait lui incomber la lourde charge de faire fonctionner l'U.C.O. sous l'occupation allemande, avec une armée allemande présente dans les bâtiments mêmes de l'U.C.O., et tout cela dans une France majoritairement vichyste. Certains professeurs collaboreront, d'autres résisteront – dont le vice-recteur Mgr Helloco. Plusieurs étudiants seront déportés ou fusillés. Au moment de l'épuration, Mgr Vincent est « démissionné » dans l'urgence par l'évêque-chancelier, Mgr Jean Camille Costes, qui lui-même ne faisait pas partie des rares évêques français résistants…
8L'U.C.O. est alors une université de proximité dont le recrutement des enseignants comme des étudiants se fait essentiellement dans l'Ouest français. Un de ses juristes d'alors, J. du Plessis de Grenédan, deviendra cistercien à la trappe de Bellefontaine, en Anjou, à 74 ans. Mais c'est en lettres que se distingue, entre autres, l'un des meilleurs platonisants du moment, Mgr Auguste Diès, traducteur, dans la collection Budé, du Parménide, du Théétète, du Sophiste, etc., appelé à donner des conférences dans les Universités de Louvain, en Belgique, et Ibrahim Pacha, au Caire, en Égypte. Parallèlement, à une époque où l'enseignement public n'était pas ouvert aux handicapés (p. 113), l'historien André Trannoy, tétraplégique, docteur en histoire sur Montalembert, est un exemple de courage, de persévérance et de pédagogie. À la Faculté des sciences, acquièrent une autorité remarquée, en France et à l'étranger, le mathématicien Laîné, le zoologiste Fauvel – mondialement connu pour ses recherches sur les polychètes, auteur de plus de 200 publications sur le sujet, enseignant durant 50 ans à l’U.C.O., après avoir quitté l’Université de Caen –, le physicien Charron, le géologue Ferronnière, le chimiste Paul.
9La relation de la Faculté de théologie avec quelques évêques et supérieurs de grands séminaires, tel celui de Rennes, n'est pas plus facile qu'auparavant. Cette Faculté est pourtant le lieu d'un vrai rayonnement, même si elle voit s'accroître ses effectifs plus modestement que ceux de droit ou de lettres. Elle compte en son sein un certain nombre de professeurs reconnus pour la qualité et la quantité de leurs publications, tels Mgr Legendre (exégète) ou le chanoine Aigrin – un monument d’érudition : historien, paléographe, etc. À l'U.C.O. la démocratisation commence à exister, comme ailleurs : davantage d'étudiants issus des classes moyennes à partir de 1930, avec, en outre, 34 % d'effectifs féminins. L’engagement religieux de ces étudiants se fait sous des formes diverses. Mais, le dialogue devient de plus en plus difficile avec les jésuites et la direction des internats : Olivier Landron consacre huit pages à ces nouvelles polémiques internes. Tout cela se soldera par une rupture : « Sur l'essentiel on ne parlait pas la même langue », écrit le recteur Vincent, en 1941, à l'évêque du Mans, futur cardinal Grant. En ces temps agités, l'action des M.U.C.O. (prêtres enseignants, missionnaires de l'U.C.O., prêchant dans les paroisses de l'ouest de la France) est décisive pour promouvoir l'U.C.O. .Et des écoles supérieures continuent d'essaimer : École Supérieure Féminine Agricole, École Normale Sociale de l'Ouest.
10L'U.C.O. prend – globalement – son essor entre 1945 et 1960. Un mathématicien, docteur ès sciences en 1932, Mgr Joseph Pasquier, assure le rectorat de 1945 à 1954. Au lendemain de la Libération, sa tâche est lourde. La Faculté de droit connaît des difficultés d'adaptation et des baisses d'effectifs. Beau développement, en revanche, pour les lettres et les sciences. En lettres, on voudrait voir ici rappelé le rayonnement d'un Mathurin Dréano, auteur d'une thèse remarquée, en 1936, sur La Religion de Montaigne – toujours citée dans les bibliographies d'agrégation –, de philosophes comme Jean École, toujours vivant, ancien déporté en camp de concentration, spécialiste de Husserl, Jean Trouillard, spécialiste de Plotin ou du peu commun Père Fleury, aussi craint des étudiants de grec qu’il était un excellent grammairien. À charge, à d'autres lecteurs de cette histoire, de se remémorer d'autres figures qui les auront marqués… Les sciences alors sont riches d'enseignants comme Pierre Fauvel, déjà cité, François Rullier (zoologiste), Robert Corillon, Micheline Guerlesquin – dont le nom est malheureusement tronqué en Micheline Gu (sic) (biologie végétale), Louis Amoureux (zoologie), Pierre Cavet (géologie), Maurice Dubois (physique) et, évidemment, Mgr Guy Riobé, directeur de recherches au C.N.R.S. comme le sera Georges Le Guillanton, qui, tous les deux, ont su s'entourer d'équipes performantes avec des chimistes comme Lucien Gouin, futur directeur du C.S.U. et futur doyen de la Faculté des sciences de l'Université d'État, Maurice Lamant, Valentin Hérault – tous membres du C.N.R.S. Autour de la Faculté de théologie, qui s'enrichit d'une chaire, unique en France, de Mariologie confiée à René Laurentin, cristallisent, d'une part, un institut de philosophie, créé à l'initiative du chanoine Lusseau, dans le thomisme le plus strict, et dont les séminaristes et les prêtres auront tendance à contester la formation jugée un peu passéiste, à l'heure de la crise des prêtres ouvriers, mais qui compte, néanmoins, plusieurs futurs évêques parmi ses étudiants, comme Joseph Goupil, Henri Derouet, Paul Poupard, Julien Gouet, et, d'autre part, un institut de musique sacrée de grande réputation, créé par le chanoine Jean Jeanneteau, et qui recrute ses conférenciers parmi les meilleurs connaisseurs du chant grégorien d’alors.
11Les effectifs de toute l'U.C.O. sont alors à la hausse entre 1945 et 1960 pour atteindre 941 étudiants en lettres en 1966 et voir le nombre multiplié par cinq des étudiants en sciences. La vie étudiante se développe considérablement autour d'activités culturelles : musicales, sportives, sociales et politiques – agitées avec la guerre d'Algérie – et théâtrales : une troupe se donne le nom de « Compagnons de la Passion » et joue, avec un succès constant, dans la langue du xve siècle, le Mystère de la Passion de l’Angevin Jean Michel, à travers une dizaine de villes de l'Ouest. En 1941, se met en place un cours de français pour étrangers sous la direction de Mgr Yves Lagrée, centre appelé à un riche développement ultérieur sous les noms successifs de C.E.F.E., de C.I.D.E.F. (Centre international d'études françaises pour étrangers) et, présentement, de Pôle International. Plusieurs grandes écoles associées à l'U.C.O. ouvrent à partir des années 50 : l'École d'Éducateurs et d'Éducatrices spécialisée d’Angers (1949), l’E.T.S.C.O. (École technique supérieure de chimie de l'Ouest, 1950) créée à l'initiative de Mgr Riobé et l’E.S.E.O. (École supérieure électronique de l'Ouest, 1956) créée par le chanoine Jeanneteau, cependant que s'accroît l'audience de l’E.S.A. (École supérieure d’agriculture) avec des centres d'expansion en Afrique du Nord et un enseignement radiodiffusé (C.E.R.C.A.) sur Radio Luxembourg, chaque samedi matin, animé par huit jésuites : les Pères Guilloux, Montbron, de Farcy, Letourneulx, Humbert, Holstein, Serve et de Lestapis.
12Durant la décennie 1960-1970, l'U.C.O. va connaître les crises les plus difficiles de ses cent années d'existence et tout bonnement risquer de disparaître avant de redémarrer en renouvelant ses structures et ses méthodes d'enseignement. Deux rectorats pour ces dix années cruciales : d'abord, celui de Mgr O. Riobé, dont on connaît l'itinéraire scientifique d'excellence. Il déplore « le totalitarisme » (sic) de l'Éducation Nationale et regrette la « gabegie d'argent » que représente, selon lui, la création du Collège scientifique universitaire (C.S.U.), pierre d'angle de la future Université d'État et, chercheur invétéré, il se plaint, dans un rapport magistral (1960) aux évêques de l'Ouest et au chancelier, Mgr Veuillot, futur cardinal-archevêque de Paris, du poids des contraintes administratives qui enlèvent aux universités catholiques autant de temps qu'il voudrait voir dévolu à la recherche. Et il incrimine aussi, évidemment, tout à la fois, le manque de liberté de l'enseignement, l'insuffisance des ressources financières et l'envoi, par leurs supérieurs, de religieux et de religieuses pour se former universitairement dans les Universités… d'État !. À sa retraite, il fonde l’I.R.F.A. (Institut de recherche fondamentale appliquée) en 1969 et il est élu, à juste titre, commandeur dans l'ordre des palmes académiques. Huitième recteur (1964-1972), Mgr Jean Honoré, toujours vivant, futur cardinal, docteur en théologie – mais pas d'État, ce qui lui sera reproché à l'intérieur même de l'U.C.O. –, spécialiste de Newman, fondateur de la revue Catéchèse, sera confronté, non seulement à la création rivale de l'Université d'État – laquelle n’estima ni possibles ni souhaitables des accords d'enseignement avec l'U.C.O. – mais encore à un conservatisme à l'intérieur de l'U.C.O. qui lui parut « congénital », à un air « confiné et frileux » des laboratoires, des amphithéâtres, des salles de cours, etc. Tout lui semblait « gris et vétuste » et, par-dessus tout – ce qui a toujours existé dans l'Université française, mais il faisait comme si c'était le propre de l'U.C.O. – le conformisme qui régentait les grades, les hiérarchies. À quoi s'ajoutera un conflit sérieux avec l'Institut catholique de Paris entre 1966 et 1970 : trop de subventions d'État à celui-ci, pas assez aux quatre autres Instituts catholiques de Lille, Toulouse, Lyon et Angers. Heureusement, il sut se choisir en la personne de l’abbé H.M. Houard – récemment décédé (décembre 2012) – un secrétaire général aux vues hardies, qui mènera, en véritable maître d'œuvre, la construction d'un nouveau bâtiment d'enseignement. En 1967, l'U.C.O. compte 2 005 étudiants et 182 enseignants.
13Mais les difficultés vont s'accumuler : la faculté de droit perd de son homogénéité : en 1960, l'un de ses enseignants, de haute qualité humaine et pédagogique, Joseph Le Calonnec, déplore « la distance prise par certains avec toute référence chrétienne » (p. 181). Les évêques envisagent – sans coup férir – la fin de la faculté, et autorisent un transfert, plutôt qu'une transition, en 1967, avec le Collège juridique universitaire (C.J.U.). Joseph Le Calonnec, alors doyen et qui deviendra également le doyen de la nouvelle Faculté d'État en 1972, passe sur le campus d’État avec ses collègues J. P. Taugourdeau et Henri Bellugou, et même l’abbé Cantet, bibliothécaire de la section de droit de l'U.C.O... C'en était fait de la première créée des Facultés catholiques ! La Faculté des lettres, elle, conserve une belle audience mais le recrutement de ses enseignants est de plus en plus difficile : avec la loi Debré et la possibilité, à partir de 1964, de se présenter aux concours de la fonction publique, les enseignants laïques de l'enseignement secondaire catholique ont un salaire nettement supérieur à ceux de l'U.C.O. Autre problème : l'insuffisance de docteurs. En 1962, le doyen Armand Jagu (professeur en philosophie ancienne) relève que seuls 11 professeurs de la Faculté des lettres sont docteurs sur 49 enseignants en tout Et tout cela, malgré le rayonnement international, d'un Germain Marc’hadour, spécialiste de Thomas More, fondateur de la revue Moreana dont le tirage et la réception ont pu faire envie à maintes revues universitaires qui avaient pignon sur rue. La Faculté des sciences, on l'a déjà entrevu, comporte beaucoup d'enseignants qui font également partie du C.N.R.S. dans le sillage de Mgr Riobé et de Georges Le Guillanton ou du chanoine Robert Corillion, tous directeurs de recherches au C.N.R.S. Leurs équipes s'enrichissent ainsi de nouveaux chercheurs tels L. M. Gomez, M. Cariou, A. Lebouc. En mathématiques, se distingue, à côté de l’abbé Maurice Turpin, docteur ès mathématiques, un jeune chercheur de grande envergure : le frère Jean Friant, futur créateur de l'Institut de mathématiques appliquées (I.M.A.) en 1970. La Faculté de théologie s'ouvre aux sciences humaines, elle inaugure des journées sur les autres religions, elle s'enrichit d'un Institut de formation doctrinale et pastorale des religieuses (I.F.D.P.R.). Elle compte, parmi ses professeurs, des enseignants remarqués comme Yves Labbé (philosophie), F. X. Loiseau, futur évêque de Digne, J.-C. Descubes, futur archevêque de Rouen, J. Boihu, futur évêque auxiliaire de Reims et le Père Maurice Pessac, dominicain, dont les cours de métaphysique sont unanimement appréciés et très fréquentés. Ce faisant, la même Faculté de théologie continue à ressentir les mêmes malaises que par le passé et se pose les mêmes questions : quelle place a-t-elle vraiment dans la politique ecclésiale des évêques de l'Ouest ? Même doute sur lui-même pour le séminaire universitaire. Le doyen de théologie, l'abbé Paul de Surgy, est, quant à lui, aussi contesté par la hiérarchie qu'il est approuvé par ses collègues et par ses étudiants. Persona non grata à Rome, il est néanmoins maintenu à la tête de la Faculté, mais il entre en conflit ouvert avec le Père Paisant, supérieur du scolasticat des religieux de Saint-Vincent de Paul (Mûrs-Erigné) et le Père Mac Auliffe, du même ordre : les Vincentins retireront leurs étudiants. À l'autre bord de la contestation – mais pour des raisons ô combien différentes (rupture de vœux, mariages, réduction à l’état laïc) les Carmes du couvent de La Plesse (Avrillé), aussi progressistes que les Vincentins étaient conservateurs, déserteront la Faculté de théologie. La Faculté de théologie se marginalise donc, cependant que prennent fin, faute d'étudiants, le brillant Institut de musique sacrée, dirigée par l'abbé Jean-Yves Hameline, et l'Institut de philosophie.
14Pourtant, un Institut comme le C.I.D.E.F., avec des directeurs successifs comme les abbés Houard, Carton, Roland, le docteur Parnell (américain), Mlle Cochin, accroît son audience au niveau international. D'autres se créent et connaissent une rapide vitesse de croisière comme le Centre de pédagogie (Frères Vallet et Piveteau, René Cailleau, cheville ouvrière de sessions pédagogiques dans tout l'Ouest) ou l'abbé Paul Houée. Contrastant avec les difficultés financières des Facultés, de grandes écoles agrégées à l'U.C.O. – mais dont les tendances centrifuges vont tôt s'observer – telles l’E.S.A. (sous la dernière direction jésuite du Père Du Parc), l’E.S.S.C.A., l’E.S.E.O, l’I.F.E.P.S. (Institut féminin d'éducation physique et sportive) sont soulevées d'un remarquable dynamisme et voient gonfler leurs effectifs. En revanche, un Institut, l’I.S.S.E.O. (sciences sociales et économiques de l’ouest), pourtant original dans ses visions, mais mal à l'aise dans ce qu'il estime être son droit à la liberté d'expression, et quelque remarquable que soit son corps enseignant : abbés Paul Houée, Pierre Cousin et un laïc, Jean-Claude Denis, est vite le lieu de controverses. Largement déficitaire dans son budget, il trouve une fin prématurée (1970), l'année même de la tourmente qui sera l’annus horribilis de l'U.C.O.
15Les années 1967-1968 vont être celle d'une contestation interne accrue : un gauchisme révolutionnaire plus ou moins rampant appelle à la déconfessionnalisation. Le 8 mai 68, l'inauguration d'un nouveau bâtiment de la Faculté des lettres (six étages prévus pour 2 500 étudiants) par le Ministre de la fonction publique, Edmond Michelet, par le Cardinal Lefebvre, archevêque de Bourges, et par le chancelier, Mgr Mazerat, évêque d’Angers, va donner lieu à de vives manifestations. D’aucuns, qui savaient du latin, – enseignants y compris – laissaient écrire ou écrivaient sur les murs flambants neufs du bâtiment de la rue Rabelais : Delenda Catho, d'autres, qui n’en savaient pas : « Crève, salope ! ». La sombre « affaire des équivalences » – les étudiants voient, durant les grandes vacances de 1969, leurs résultats invalidés et sont contraints de repasser leurs examens en septembre devant diverses Facultés d'État – engendre des grèves de la faim, y compris d'enseignants, tel le courageux chanoine Maurice Dubois (physicien), des heurts musclés avec le secrétaire général, l'abbé Houard et une atmosphère véritablement conflictuelle. Cependant, rien n'y fit : les dés étaient pipés, le coup était joué et ceux, à l'intérieur même de l'institution, qui réclamaient en juin 68 la déconfessionnalisation – sociologues et psychologues pour l’essentiel, comme, par exemple, l'abbé Daniel Hameline, ultérieurement réduit à l'état laïque puis professeur à l'Université de Genève – triomphaient, pour un temps, contre les « résistants », tels René Cailleau, l'abbé Gabriel Guillaume, mis en minorité par de quasi-tribunaux d'exception ! Triomphe momentané, car, devant la crise de confiance provoquée de l'intérieur comme de l'extérieur et la « fuite » des étudiants, le recteur Honoré doit procéder à un licenciement collectif le 29 mai 1970 : 120 enseignants licenciés, dont 80 prêtres et 40 laïcs qui seront réembauchés à partir du 1er octobre de la même année – à quelques exceptions près : les plus contestataires qui se voyaient accueillis par l'université d'en face par choix personnel ou parce que leur discipline ne serait pas conservée à l'U.C.O. dans le cadre des nouveaux Instituts.
16Nouveaux Instituts ! Ils allaient, pour l'U.C.O., être un tremplin pour rebondir, son salut, sa nouveauté, tels l'I.F.P. (Institut de formation de professeurs) dirigé d'abord par l'abbé Carton, puis par le frère Roger Texier (philosophe, spécialiste de Descartes), M. Lozon de Cantelmi, D. Duquesne, R. Martin de Montaigu ; l’I.M.A., déjà cité, création du frère Friant, dirigé plus tard par Robert Rousseau, futur recteur à la suite d'une autre crise qui surviendra autour des années 2000 ; l’I.P.L.V. (Institut de perfectionnement en langues vivantes), très vite le plus renommé de ces instituts, dirigé et créé d’une main ferme par Mme I. Martin-Krumm (d’origine allemande, interprète officielle à la mairie d’Angers) entourée, entre autres, de « ses docteurs d'État », comme elle aimait à dire, sept professeurs : frère M. Taillé, abbés Chapeau, Marc’hadour (anglicistes), Lemarié, Drochon (hispanistes), Boggart, Gelebart (germanistes) ; l’I.P.S.A. (Institut de psychologie et sociologie appliquées), dirigé par J.P. Boutinet, futur vice-recteur, dont l'effectif dépassera longtemps celui du département de psychologie de l'université d'État. Certes, il y a eu des réticences : le mot même d'institut ne sonnait pas universitairement comme celui de faculté. Certes, la Faculté des sciences disparaissait et avec elle les enseignements de physique, de botanique, de zoologie, etc. Ce faisant, l'U.C.O. avait frôlé le précipice. Phoenix ou cendres : le dilemme était résolu et, nonobstant le chanoine Guéry (helléniste, directeur de la revue Impacts) qui pensait que « tout était perdu » et que « l'Université catholique n'existait plus » (p. 244), le pari de Mgr Honoré avait été le bon : il pouvait partir comme évêque d'Évreux en 1972 avec le sentiment de la tâche accomplie…
17Tels sont, redistribués souvent comme les instantanés d'une histoire mouvementée, les cent ans d'existence analysés avec précision et acuité par Olivier Landron. Passé sur l'autre rive, le Père Guy Bedouelle n'a plus à se demander qui écrira cette histoire de l'U.C.O. à laquelle il tenait tant. Son disciple a répondu excellemment à son inquiétude et à son souhait. Archiviste en même temps qu'enseignant-chercheur, Olivier Landron a su traduire sa connaissance de centaines de documents d'archives, depuis ceux de Mgr Henri Pasquier au tournant du xxe siècle jusqu'à ceux de M. Georges Le Guillanton au tournant du xxie, en un récit captivant au style sobre et respectueux d'une histoire souvent brûlante d'interrogations, de résistances, voire de violences. Il n'empêche : qui aime l'Université catholique de l'Ouest comprendra les raisons de la passion d'Olivier Landron pour une institution dont on dirait volontiers que sa chance fut et reste non seulement historique, mais anthropologique.
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