Conclusion
p. 245-252
Texte intégral
1Cet ouvrage a examiné de manière détaillée le contenu du travail des vendeuses du commerce de détail. Grâce à cette sociologie du travail, il apporte des éléments pour comprendre les dynamiques socio-professionnelles qui structurent le monde des employées de commerce et, plus simplement, ce que signifie aujourd’hui vendre dans un magasin.
2La profession de vendeuse est marquée par sa jeunesse et son genre. Elle réunit des salariées de plus en plus diplômées, même si elle compte toujours dans ses rangs de nombreux titulaires d’un BEP ou d’un baccalauréat professionnel pour lesquels la vente est un solide vecteur d’insertion professionnelle. Elle confronte à de nombreuses insatisfactions et sujétions discutées ici. Ce travail que « tout le monde peut faire » recouvre un large ensemble de tâches qui engagent les corps dans des postures inconfortables, notamment la posture debout. Le travail est souvent répétitif : il faut plier, déplier, replier, ranger, nettoyer, et cela tous les jours. Il faut porter des charges lourdes lorsque les marchandises doivent être mises en rayon. Il faut aussi savoir gérer l’alternance entre des périodes de sous-charge et des périodes de surcharge de travail. En un mot, le travail des vendeuses se laisse aisément décrire dans les termes habituellement retenus pour décrire le travail ouvrier : monotonie et sujétions physiques.
3La spécificité du travail des vendeuses réside dans une contrainte supplémentaire, celle que l’on a nommée ici la « contrainte relationnelle ». Elle ajoute des difficultés en impliquant subjectivement l’individu dans son travail d’une manière qui échappe largement aux travaux effectués à l’abri d’un public. Cette contrainte s’exerce de manière variable selon les qualités des participants à la situation de travail (vendeuse, client, collègue, hiérarchie, clients en attente) et leurs propriétés sociales. À ce sujet, l’enquête a permis de comprendre le rôle joué par la trajectoire sociale des vendeuses dans leur appréciation de la contrainte relationnelle. Si les matériaux récoltés dans le cadre de l’enquête n’ont pas permis de le faire avec plus de précision, ne serait-ce du fait des informations manquantes sur les propriétés sociales précises des clients, nous pouvons malgré tout retenir trois éléments au sujet de ces interactions qui ont été analysées avec le souci d’articuler les ressorts de l’ordre de l’interaction et les rapports sociaux qui structurent l’ordre social. Premièrement, nos analyses ont montré la nécessité pour les vendeuses d’opérer un codage de la clientèle. Deuxièmement, elles ont permis de saisir la manière dont le traitement de ces interactions (de classe) par les vendeuses recèle une concurrence entre une grille de lecture psychologique et une grille de lecture sociologique des attributs des individus. Enfin, troisièmement, elles ont montré les contraintes physique et relationnelle liées à un aspect structurant de nombreux métiers aujourd’hui : celui de produire un service « haut de gamme » dans un contexte de distance sociale entre la clientèle et le personnel1.
4Au-delà d’un relevé des aspérités du travail des vendeuses, nous avons ici cherché à les décrire et à isoler leurs origines. Cela tient à la singularité d’un travail effectué dans le « cadre » d’un magasin : les sujétions sont imposées par l’enfermement qu’il impose, par les promesses faites aux clients et, plus généralement, par l’injonction à une bonne « qualité de service ». Sans se contenter de nommer des pénibilités observables en d’autres lieux du monde du travail, nous avons entrepris de les décrire, d’analyser leurs conséquences pour les travailleuses et de dévoiler les aménagements que ces dernières élaborent en retour. On l’a vu, ces aménagements sont à la hauteur des contraintes : les vendeuses s’arrangent avec les règles afin de se maintenir dans une activité qui les mobilise physiquement et subjectivement. Elles s’arrangent individuellement et collectivement pour contenir les effets du travail debout, les effets de l’ennui qu’elles rencontrent parfois, les effets du pouvoir dont disposent les clients. À ce titre, on a mesuré toute l’importance du collectif de travail. Il est une ressource essentielle car il permet, d’une part, d’évacuer la pression relationnelle qui s’accumule quotidiennement et, d’autre part, d’offrir quelques garanties en termes de sociabilité entre collègues.
5Mais cette conclusion restituerait imparfaitement le quotidien de travail des vendeuses si elle ne le décrivait que sous les seuls aspects de la contrainte et de la sujétion. À la différence d’autres travaux d’employées, dont celui réservé aux caissières qui a souvent servi de point de comparaison, les vendeuses ont accès à de nombreuses tâches procurant des satisfactions. On peut en isoler deux plus précisément. La première relève de la mise en valeur et de la gestion de la marchandise. Elle donne au travail une autonomie qui échappe à d’autres postes de travail. Elle nécessite des savoirs (sur la mode, les produits, les matériaux) et des savoir-faire qui ne sont pas sans intérêt pour des vendeuses de plus en plus diplômées. Ces dernières se réjouissent d’un travail qui met à contribution leur sens créatif et dans lequel elles peuvent démontrer leurs qualités de gestion. Or, on l’a vu, les vendeuses ont de moins en moins les moyens de gérer « leurs » marchandises. Au Bazar de l’Opéra, elles sont lentement dépossédées d’une activité qui, disent-elles, les rapproche des « commerciaux » : elles n’achètent pas la marchandise, tâche qui échappe même à l’encadrement de proximité, et sont parfois contraintes de respecter des « cahiers de merchandising » prescrivant l’apparence générale du stand. Cette restriction de l’activité de gestion concerne les vendeuses maison comme les démonstratrices. En cela, les vendeuses des grands magasins rejoignent d’autres vendeuses du grand commerce dont le travail est progressivement défini autour de l’entretien ponctuel de la marchandise (pliage et mise en rayon). On a mesuré l’effet de ces diverses transformations sur le rapport au travail de salariées disposant d’un diplôme adéquat au poste, mais aussi de salariées disposant de qualifications étrangères, et souvent supérieures. Pour toutes, elles remettent en cause certains compromis qu’elles ont pu établir avec leur activité professionnelle. Lorsque les tâches offrant autonomie ou légitimité devant les clients et les collègues s’effacent, le rapport au travail se détériore, il devient de plus en plus dépendant de la deuxième source de satisfaction éprouvée par les vendeuses : les relations avec la clientèle. Dans ces relations, les vendeuses mobilisent des savoir-faire que l’on a nommés ici, dans la continuité d’autres travaux sur les employées, des « compétences relationnelles ». Les vendeuses attendent de la dimension relationnelle de leur travail qu’elle les divertisse, qu’elle les arrache à la monotonie et à la pénibilité d’un travail d’exécution. Elle engage le maniement de la langue, la capacité de se saisir de l’interaction comme d’un matériau. À ce jeu, les vendeuses les plus diplômées prennent du plaisir, comme le révèlent leurs attentes envers la clientèle étrangère (Barbier, 2012c). En dérivant la conversation vers la culture ou les voyages par exemple, le cadre du magasin et la tension d’un « rapport serviciel » peut s’effacer et laisser place à des relations réciproques. Plus généralement, c’est la dimension civique de l’échange qui est louée. Une interaction qui respecte les codes de bonne conduite et de la politesse est une pause heureuse aux yeux des vendeuses. Mais il en va de l’activité relationnelle comme de la gestion de la marchandise : les diverses prescriptions du travail sont peu compatibles avec les attentes des vendeuses. Ces codes imposés par la direction sous la forme de formations détonnent avec l’idée qu’elles se font des relations avec la clientèle : simplicité, naturel, spontanéité. Mais ces rationalisations ne sont pas les seuls éléments qui viennent altérer la qualité du « relationnel ». C’est aussi la raréfaction de plusieurs ressources organisationnelles qui le dégrade. Le relationnel est satisfaisant lorsque les salariées peuvent compter sur des formations présentant la marchandise vendue, les services offerts à la clientèle, l’organisation du magasin, autant d’atouts qui donnent une légitimité aux vendeuses lorsqu’elles s’engagent auprès de la clientèle, autant de ressources rares dans les magasins étudiés.
6Ce résumé des traits caractéristiques du travail des vendeuses montre toute l’ambivalence du travail avec les clients. Chaque client nourrit des intentions différentes envers la travailleuse. En conséquence, ce dernier peut, au cours d’une même journée, avoir des vues satisfaisantes sur son travail ou l’estimer avilissant. En plus de varier, au cours de la carrière, avec les aléas de la trajectoire dans l’entreprise ou avec des événements extérieurs au travail qui viennent en altérer l’appréciation, le rapport au travail des vendeuses varie selon les clients côtoyés. Travailler avec le client, c’est éprouver sujétion puis satisfaction, c’est voir se succéder petites ou grandes gloires quotidiennes et petits ou grands déboires. La contribution de cet ouvrage réside aussi dans cette description d’un aspect essentiel du travail contemporain.
7Au-delà de cette sociologie du travail de la vente, notre intention a aussi été de réfléchir plus généralement à la catégorie socioprofessionnelle des « employées de commerce ». Dans la continuité des travaux d’Alain Chenu (1990) et de Philippe Alonzo (2004), nous avons montré autant l’hétérogénéité que l’homogénéité de ce groupe. De nombreux éléments dans cet ouvrage ont documenté toute l’hétérogénéité d’un ensemble de travailleuses souvent identifiées sous un vocable qui minore les différences internes, celui d’« employées de commerce ». En effet, la position professionnelle de vendeuse en grand magasin manifeste une forte singularité vis-à-vis d’autres employées de commerce. S’il est difficile de parler d’une « aristocratie » (Maruani et Nicole-Drancourt, 1989)2 tant leurs salaires sont étroits, on peut tout de même considérer que ces vendeuses des grands magasins relèvent d’une « petite aristocratie », une fraction haute parmi l’ensemble des employées de commerce. L’appartenance à une grande entreprise garantissant un emploi stable, l’octroi de primes qui apparaissent comme de petits avantages, tout cela dévoile une condition professionnelle distincte de celles d’autres employées de commerce. Les grands magasins offrent donc des ressources supplémentaires à leurs employées pour se situer dans l’espace social. Ces ressources dérivent du prestige de l’enseigne et des ressources salariales (primes, carrières éventuelles, ancienneté possible) qui lui sont inextricablement liées. Dans les grands magasins qui emploient deux types de vendeuses, cette singularité apparaît doublement. Chez les vendeuses maison, elle naît d’une stabilité inédite dans un des secteurs exigeant des salariés la plus grande flexibilité et nourrissant une précarité. Pour les démonstratrices, qui ne peuvent pas toutes, et de loin, se prévaloir d’une telle stabilité, c’est le contenu du travail qui est valorisé. Cette distinction entre vendeuse maison et démonstratrice est intéressante car elle démultiplie la variété des statuts observables sur un même rayon de magasin. Au Bazar de l’Opéra, la variété des modes d’emploi qui naît de l’usage du temps partiel et des CDD est renforcée par l’usage d’un personnel de démonstration. Personnel maison et personnel extérieur cohabitent sur les rayons et cette cohabitation est doublement intéressante. Premièrement, elle dévoile avec acuité la manière dont les vendeuses hiérarchisent les tâches qui leur sont réservées : elles valorisent la gestion de la marchandise et l’identification à une « marque » et sa « clientèle ». Deuxièmement, elle permet de mesurer les coûts des transformations rappelées ci-dessus : raréfaction des activités de gestion de la marchandise, mise en avant de tâches comme la vente de carte de fidélité, etc. En étudiant la « division morale du travail » entre vendeuses maison et démonstratrices, on comprend ce qui fait sens aux yeux des salariées, on mesure l’intérêt et les désintérêts qu’elles accordent à telle ou telle tâche. En peignant le portrait de la fraction haute des employées de commerce, c’est donc avant tout l’hétérogénéité de cette catégorie qui a été démontrée et qui pourrait également être décrite en fonction des hiérarchisations internes aux vendeuses du fait du produit vendu.
8Mais nous avons aussi montré, sinon l’homogénéité de cette catégorie, au moins son homogénéisation. Plusieurs transformations, dont celles rappelées ci-dessus, réduisent la distance qui sépare la position professionnelle des « caissières » de celle des vendeuses. Elles partagent des niveaux de salaire comparables, les démonstratrices bénéficiant de salaire au pourcentage se faisant de plus en plus rares. Le statut de vendeuse en grand magasin (maison et démonstratrice) se banalise sous l’effet de transformations touchant autant le contenu du travail que les conditions d’emploi : polyvalence (plus de caisse et de manutention, moins de vente), rationalisation du travail relationnel, rationalisation de la gestion de la marchandise, élargissement des horaires d’ouverture des magasins. Toutefois, si les conditions objectives d’exercice du travail révèlent la banalisation de la condition professionnelle des vendeuses en grand magasin, ces dernières continuent de revendiquer une forme de supériorité. Cela tiendrait à la qualité de leur travail « relationnel » comparée à celle offerte par d’autres occupations dans les fast-foods ou les supermarchés. Mais cela tient aussi au fait que le personnel, même le plus jeune, continue de compter sur des bénéfices locaux qui diminuent lentement. Dans les grands magasins, la clientèle, le prestige du lieu et de l’employeur entretiennent, chez le personnel, l’idée d’une appartenance à une « petite aristocratie » parmi les employées de commerce. L’homogénéisation objectivement constatée du fait des dégradations dans les conditions de travail cohabite donc avec un effort subjectif de la part des vendeuses des grands magasins pour se distinguer.
9Ces aspects ambivalents du travail et cette nécessité de la nuance au moment de le décrire sont, il me semble, les indices de la position incertaine que les vendeuses occupent dans la stratification sociale. On peut en effet considérer que cette analyse de la position professionnelle des vendeuses du commerce de détail éclaire un espace de la société française qui peine à se laisser décrire par les catégories classiques de la sociologie des classes sociales.
10Des classes moyennes, on sait qu’elles présentent une composante « traditionnelle » (artisans et commerçants), une composante réunissant des salariés dans des positions dites « intermédiaires » dans le monde du travail et une composante « du monde marchand et des services » regroupant des professions commerciales ne disposant ni d’un « patrimoine professionnel » solide ni des garanties octroyées par l’emploi salarié stable mais disposant d’un « certain statut » en raison de l’autonomie rencontrée dans le travail, d’un niveau de diplôme et d’une origine sociale souvent supérieurs à ceux des classes populaires (Bernard, 2017). Mais on sait également qu’à la périphérie de ce socle moyen, gravitent diverses positions sociales. Celles-ci ne s’associent qu’imparfaitement aux classes moyennes, ou alors à ses fractions les plus basses. Mais elles ne s’associent pas complètement non plus aux classes populaires, ou alors à ses fractions « stabilisées », les plus hautes. Ces positions sociales rappellent celles observées par certains sociologues au début du xxe siècle : confrontées à un travail dur et mal rémunéré, proche en de nombreux points de la situation du prolétariat, elles s’en distinguent par des manières d’être et des styles de vie, comme l’a montré Maurice Halbwachs en France. Pour Emil Lederer, cité par Marie-Bénédicte Vincent, cet ensemble social était, au début du xxe siècle, dans une situation « flottante entre les classes » (Vincent, 2011, p. 15). Ce flottement continue aujourd’hui de caractériser les positions sociales de certains ouvriers à statut appartenant au secteur public ou privé (Cartier, Retière et Siblot, 2010), de certaines employées administratives des entreprises. Les travaux de Louis Chauvel les identifient comme les ouvriers et les employés « les plus qualifiés », ceux dont les « qualifications professionnelles sont reconnues » (Chauvel, 2006). Ces salariés jouissent, d’une part, d’une situation professionnelle stable au moment même où les garanties associées à l’emploi salarié s’effritent et, d’autre part, d’un statut considéré comme « honorable », comparativement à d’autres statuts d’ouvriers ou d’employés du commerce et des services aux particuliers. Il s’agit de catégories sociales « frontières », à l’intersection des classes populaires et des classes moyennes qu’une enquête a qualifié de « petits-moyens » (Cartier, Coutant, Masclet et Siblot, 2008).
11Il semble que certaines des vendeuses des grands magasins étudiées ici appartiennent à cet ensemble. Elles participent de ces « zones mitoyennes » (Bosc, 2008) de la stratification sociale, entre les classes moyennes et les classes populaires. Leur position professionnelle se nourrit d’ambivalence. Elles sont le plus souvent peu rémunérées et exposées à des conditions de travail difficiles. Mais dans le même temps, elles accèdent à des expériences hautement satisfaisantes lorsqu’elles peuvent gagner de l’autonomie par la gestion de leur marchandise, lorsqu’elles peuvent engager des relations apaisées avec les clients, lorsqu’elles peuvent accéder à la stabilité de l’emploi. Certaines vendeuses accèdent à une honorabilité par la qualité de leur emploi, d’autre part la qualité de leur contenu de travail. Profits tirés de l’emploi et de l’appartenance à un grand magasin pour les vendeuses maison les plus stables, profits tirés du contenu de travail pour les démonstratrices : l’examen de la condition professionnelle des vendeuses des grands magasins a montré la diversité des positionnements dans ces zones « mitoyennes » de la stratification sociale.
12Plus généralement, le grand magasin contient dans ses rayons des salariées dont les statuts s’étagent tout le long de la catégorie socioprofessionnelle « employés de commerce ». En étudiant les formes d’intégrations professionnelles (Paugam, 2000) que produit le grand magasin, on découvre toute une hiérarchie de positionnements professionnels le plus souvent nivelée par l’appellation « employé de commerce ». Les salariées non titulaires des grands magasins et les démonstratrices les moins stables présentent les qualités d’un salariat fragile économiquement et confronté à un travail dur et mal rémunéré. Les salariées titulaires du grand magasin sont identifiables à un salariat stable faisant valoir une forme d’honorabilité sociale, en deçà des employées de bureau pour ce qui est de leurs qualifications et de leurs salaires, mais au-dessus des employées les plus précarisées, même si de nombreuses transformations récentes (ouvertures tardives des magasins, rationalisation du travail, etc.) viennent en altérer la qualité. Enfin, les démonstratrices les plus stables et les mieux rémunérées, c’est-à-dire celles qui réalisent leur carrière dans le grand magasin, profitant de conditions d’emploi solides et d’un travail décrit comme proche des professions intermédiaires, peuvent pour certaines se situer au sein des classes moyennes.
13Sur un même rayon se côtoient donc des travailleuses effectuant un travail proche, identifiées par un statut unique de « vendeuse » par les clients mais qui appartiennent, d’après les indices que leur univers de travail dévoile, aux différentes fractions des classes populaires et aux strates inférieures des classes moyennes. Ce type d’espace professionnel3 mérite toute notre attention car, du fait des hiérarchies qui s’y constituent, il est le terrain des classements, déclassements et reclassements (Bourdieu, 1978) d’individus aux propriétés sociales différentes, et notamment de différentes jeunesses. Les grands magasins jouent par exemple un rôle essentiel dans l’entrée et le maintien sur le marché du travail des jeunes aujourd’hui, contraints de s’engager sur le marché du travail en dessous de leurs qualifications et de leurs aspirations professionnelles. S’y inscrire peut constituer pour certains une promesse, celle d’un reclassement jugé possible et nécessaire, dans la hiérarchie professionnelle grâce, d’une part, à une stabilisation dans l’emploi par un CDI dans une grande entreprise, et, d’autre part, à la promotion interne. Or, dans les entreprises observées ici, la promotion interne est de plus en plus difficile et de plus en plus rare, tout comme l’obtention d’un CDI à temps complet suppose de lourds sacrifices.
14Bien sûr, cet ouvrage qui considère que l’activité professionnelle continue de façonner le rapport que les individus entretiennent au monde et qu’elle est, en conséquence, un instrument pertinent dans l’analyse de la structure de la société française, ne donne pas toutes les indications suffisantes pour appréhender de manière exhaustive les positionnements sociaux de ces employées. J’espère toutefois qu’il se veut suggestif pour celles et ceux qui souhaiteraient poursuivre l’analyse des modes de vie (dont professionnels) et des styles de vie de ce vaste ensemble de la société française. J’espère également qu’il rappelle, comme cela a bien sûr été déjà montré, tous les enjeux que recouvre aujourd’hui l’usage d’une catégorie socioprofessionnelle (ici celle des « employés de commerce ») pour dire les appartenances de classes.
Notes de bas de page
1 Voir par exemple les employés de l’hôtellerie de luxe fréquemment étudiés en sociologie depuis quelques années (Pinna, 2013 ; Menoux, 2015 ; Beaumont, 2017).
2 Sauf peut-être pour qualifier les démonstratrices les mieux payées et travaillant sur les stands les plus en vue dans les grands magasins.
3 D’autres espaces professionnels présentent cette caractéristique, dans l’industrie notamment, comme l’a montré récemment Pauline Seiller sur les ouvriers des Chantiers navals de Saint-Nazaire (Seiller, 2014).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'école et ses stratèges
Les pratiques éducatives des nouvelles classes supérieures
Philippe Gombert
2012
Le passage à l'écriture
Mutation culturelle et devenir des savoirs dans une société de l'oralité
Geoffroy A. Dominique Botoyiyê
2010
Actualité de Basil Bernstein
Savoir, pédagogie et société
Daniel Frandji et Philippe Vitale (dir.)
2008
Les étudiants en France
Histoire et sociologie d'une nouvelle jeunesse
Louis Gruel, Olivier Galland et Guillaume Houzel (dir.)
2009
Les classes populaires à l'école
La rencontre ambivalente entre deux cultures à légitimité inégale
Christophe Delay
2011