Chapitre 1. Corps et malentendus
p. 29-56
Texte intégral
1L’analyse du corps, de son utilisation et de ses représentations est primordiale dans l’étude de la configuration des interactions sociales. Le corps ne se résume pas qu’à l’incarnation organique de l’individu et renvoie à un ensemble de représentations et de significations sociales et culturelles. Il est utilisé comme un outil, un moyen de faire passer des messages, de produire du sens. Il est l’interface matérielle qui crée le lien entre l’individu et la société en lui permettant de véhiculer une identité spécifique.
2Les expériences et parcours biographiques des individus influencent leur rapport à leur propre corps et la manière dont ils s’en servent pour transmettre de multiples informations. La survie sans hébergement modèle l’utilisation du corps des personnes sans domicile. Les médecins et infirmiers développent également un rapport au corps particulier, au fur et à mesure de leur carrière professionnelle, de leur formation à leurs pratiques quotidiennes. L’interaction entre ces deux rapports au corps particuliers fait l’objet de ce chapitre. Les spécificités de ces rapports au corps et la manière dont ils créent des malentendus entre soignants et soignés sans domicile y sont analysées. J’aborde premièrement les malentendus résultant de leurs différents rapports à l’hygiène corporelle, puis les mises en scène et les techniques du corps des individus sans domicile au fil de leurs interactions avec les soignants.
Sale et propre, sain et malsain : malentendus autour de l’hygiène
3Le corps concentre un ensemble de pratiques dont l’objectif est son entretien via la propreté corporelle, le sommeil ou encore l’alimentation. Ces pratiques répondent à un ensemble de normes, de représentations et de valeurs. L’individu compose avec ses ressources, ses valeurs et crée ses propres pratiques d’hygiène. Mais dès lors qu’il y a multiplicité des pratiques, il peut y avoir incompréhension ou discorde. Les soignants et les personnes vivant dans la rue adoptent des pratiques d’hygiène qui sont parfois très éloignées et favorisent l’instauration d’un malentendu entre eux. Bien qu’ils lient chacun l’hygiène à la santé, on remarque, dans leurs interactions et leurs discours, qu’un malentendu se cristallise autour de l’hygiène, du soin du corps et de l’entretien de sa propreté.
Le soin de soi et la vie à la rue
4La survie à la rue impose de développer des stratégies de maintien de soi. Il faut apprendre à connaître les lieux pouvant fournir des ressources de survie (nourriture, boissons, chaleur, matériel de survie, possibilité de se doucher ou d’effectuer une toilette, satisfaction des besoins naturels, lavage des vêtements…) et maîtriser leur utilisation. Cela nécessite notamment de mémoriser les horaires auxquels ils sont accessibles et d’entretenir des relations favorables avec les bénévoles ou les salariés de ces lieux. La vie sans hébergement impose de lourdes contraintes et influence chaque action de la vie quotidienne. Les individus sans domicile bricolent leur vie quotidienne à travers une succession d’activités rationnellement organisées, dont le double objectif est d’assurer leur survie et de garder une image positive d’eux-mêmes. Nombre de ces activités se centrent sur l’hygiène, le soin de soi et du corps. Au long des observations menées et des entretiens réalisés auprès de personnes sans domicile, l’hygiène corporelle apparaît toujours comme un moyen de conserver la santé, de rester en bonne santé.
La volonté de préserver sa santé
5Nicolas, 45 ans, Français, a été expulsé de son appartement il y a quatre mois et évolue depuis entre hébergements d’urgence et nuits à la rue. Lorsque je lui demande s’il fait quelque chose pour préserver sa santé, il répond :
« Je marche beaucoup, je marche énormément et j’ai toujours fait énormément de sport, pour l’instant, ça m’a fait du bien… Donc, il y a des petites choses comme ça… Marcher, faire du sport, c’est bon pour le cœur, c’est bon pour beaucoup de choses ! »
6Fouad, 54 ans, a quitté l’Algérie suite à des difficultés politiques. Il a obtenu le statut de réfugié en Italie, mais il n’a pas réussi à y trouver un emploi stable et il y juge les aides sociales insuffisantes à une survie décente. En France depuis six mois, il vit sans hébergement dans l’attente de faire valoir ses droits devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Afin de conserver sa santé, il explique :
« Je marche… Ça me fait beaucoup de bien… Je marche, j’essaie d’être calme, j’essaie d’être propre. »
7L’activité physique est valorisée en tant que moyen de préservation de la santé et de l’hygiène corporelle facilement accessible. Certaines ressources sont davantage mobilisées que d’autres et la gradation dans le propos de Fouad met bien ce phénomène en exergue : il marche, c’est une affirmation et c’est ce qui lui semble le plus important, mais c’est aussi ce qui lui est le plus abordable. Il nuance son propos et exprime une intention plus difficilement réalisable lorsqu’il s’agit de rester calme et propre : il « essaie ».
8Maurice, 58 ans, Français, a été accueilli au centre d’hébergement médicalisé après avoir passé trois ans à vivre dans sa voiture, tout en continuant à travailler. Avant d’être accueilli dans une structure d’hébergement d’urgence, il a dû réaliser une radio des poumons, et les médecins ont découvert un cancer. Il suit une chimiothérapie au moment de l’entretien. Maurice fait appel à d’autres ressources pour entretenir sa santé :
« J’essaie quand même de surveiller un peu au niveau des repas… On essaie de garder le poids actuel en évitant certains aliments… Quoique c’est souvent difficile ! On fume beaucoup moins ! Bon, l’alcool n’a jamais été un problème, il n’y a jamais eu d’excès à ce niveau-là… J’ai pas besoin spécialement de surveiller, de faire attention… Pas pour l’instant je vois pas… Peut-être un peu les aliments… »
9L’alimentation est perçue comme la base de l’hygiène corporelle prophylactique et est régulièrement citée comme un vecteur de santé par les personnes sans domicile rencontrées. Or, il est quasiment impossible de suivre un régime alimentaire équilibré dans la rue.
Et l’impossibilité de le faire
10Les limitations imposées dans les choix quotidiens par la vie à la rue apparaissent très rapidement. Fouad décrit les difficultés à se nourrir lorsqu’on ne dispose d’aucune ressource. Il raconte les difficultés à se procurer un repas et l’impossibilité de décider ce que l’on mange :
« Alors par exemple… Bon, cette semaine-là, j’ai mangé lundi à [association d’aide alimentaire], le soir aussi, au bus de [association d’aide alimentaire]… Mardi, j’ai mangé à 13 h 30 à [association d’aide alimentaire]… Mais c’était pas un repas, c’est une collation… C’est du café, des gâteaux… Ils vous donnent des œufs bouillis… C’est mieux que rien… La nuit, rien. Alors mercredi, [association d’aide alimentaire] à midi, et bus le soir… Jeudi, c’est la même chose, à 13 h 30, c’est comme le mardi, et le matin aussi le petit-déjeuner… Et vendredi, [association d’aide alimentaire] à midi, et ensuite, à partir de vendredi soir, rien du tout… Samedi rien du tout, dimanche… Collation aussi… Et le soir ils ont fait une bonne soupe avec du poulet au centre d’hébergement d’urgence… »
11L’entretien de la propreté corporelle s’avère tout aussi complexe. À Strasbourg, les bains municipaux n’ouvrent leurs portes que par plages horaires de quelques heures, inégalement et irrégulièrement réparties dans la semaine. Rares sont les associations offrant la possibilité à leurs usagers de se doucher. Les emplois du temps et la cartographie des lieux où obtenir de l’aide, répartis dans la ville, nécessitent d’être mémorisés afin d’être utilisés au mieux. Les moyens mis à disposition des personnes sans domicile pour nettoyer leurs vêtements sont très limités et seules quelques associations proposent des buanderies, parfois payantes, et l’offre est très largement inférieure à la demande – le centre d’accueil de jour prévoit un planning de réservation des machines à laver où la réservation se fait quinze jours à l’avance. Enfin, un seul lieu associatif propose au même endroit la possibilité de se doucher et de laver ses vêtements. Seulement, les machines à laver le linge ne sont accessibles que sur inscription ce qui rend les chances de réussir à synchroniser douche et nettoyage des vêtements très faibles. Dès lors, lorsque les personnes se lavent, elles n’ont souvent d’autre choix que de remettre les vêtements qu’elles portaient auparavant. Et lorsqu’elles disposent de vêtements propres, elles n’ont que rarement eu simultanément l’occasion de se laver. Barthélémy, 51 ans, originaire de Guadeloupe, a été expulsé de son logement suite à des impayés et vit entre la rue et les hébergements d’urgence depuis deux ans. Il déplore les conditions dans lesquelles les lessives sont effectuées au sein des centres d’aide aux personnes sans domicile :
« Quand vous donnez votre linge à laver, pour compléter, ils mettent le linge d’autres personnes dedans… Et ils mettent la corbeille “Monsieur B., venez prendre votre linge”, “mais attendez, il y a du linge de quelqu’un d’autre dedans”, “vous reconnaissez ce que vous avez mis ? Eh bien prenez-le !” J’ai dit “mais comment ça se fait ?”, “mais Monsieur, on ne peut pas faire tourner la machine à vide pour un pantalon… Ou deux pantalons et une chemise… Et trois chaussettes…” Vous savez, c’est les machines industrielles, le tambour est très grand, ils ne veulent pas faire tourner une machine avec seulement les affaires pour une personne… Il faut le compléter… Alors ça fait que quelqu’un de nulle part, que je ne côtoie pas, je ne connais pas ses limites, parce que je ne traîne pas avec lui, je ne sais pas ce qu’il fait dans la journée, je ne l’ai jamais connu dans mon existence, ils viennent rajouter à ce que moi j’ai mis à laver… C’est quoi ! Qu’est-ce que je peux en tirer moi là-dessus ? Eh bien c’est la contamination à coup sûr… »
12L’insuffisance des ressources mobilisables lors de la survie à la rue devient très rapidement un frein à l’autonomie dans l’entretien de l’hygiène, qui se fait plus difficile encore lorsque l’individu présente des problèmes de santé. Le parcours de Fabrice, 45 ans, Lorrain, est forgé de ruptures et de difficultés sociales. En 2011, suite à une agression durant laquelle il perd un œil et subit un traumatisme crânien, il perd son emploi, son hébergement et vit depuis dans une extrême détresse psychologique, errant entre centres d’hébergements et périodes d’hospitalisation. Il a été accueilli au centre d’hébergement médicalisé le temps d’organiser les suites de son traumatisme crânien et de son addiction à l’alcool :
F. : « Pour ma propre santé… Il faudrait déjà que j’arrête de fumer… Il faudrait que je fasse un régime draconien… Ah oui ! Il faudrait quoi encore… Il faudrait que je fasse… Que j’écoute ce que dit le docteur…
L. : Qu’est-ce qu’il vous dit ?
F. : Ben ce que je vous dis entre autres… Faire beaucoup de sport… Énormé ment de sport… Mais c’est pas prévu ça… Pas pour l’instant ! Je me sens trop fatigué ! Je me sens beaucoup trop… Vraiment fatigué… Mais ça c’est le traitement, ça, j’y peux rien… Quand vous avez un traitement comme ça… On changera pas ça ! »
13La fatigue intense que lui procure son traitement l’empêche de mettre en pratique d’autres moyens de préserver sa santé. Son discours est très normé et se conforme aux attentes véhiculées par le discours médical : ne pas fumer, faire un régime draconien, faire du sport. Fabrice a pris beaucoup de poids depuis qu’il suit un traitement dont l’objectif est de l’aider à arrêter de boire de l’alcool. Il est face à une ambivalence car l’alcool est à la base des problèmes de santé dont il souffre, mais le traitement qu’il suit pour l’aider à arrêter de boire engendre d’autres soucis de santé, liés notamment à sa prise de poids. Un choix doit dès lors s’opérer, en prenant en compte avantages et inconvénients des options à sa portée, bien que ceux-ci soient malaisés à anticiper. Fabrice explique que malgré les effets secondaires de son traitement, il juge l’arrêt de l’alcool extrêmement bénéfique, à la fois pour sa santé et son état d’esprit. Les malades doivent composer à la fois avec les ressources limitées, et plus ou moins accessibles, qu’ils ont à leur disposition, et leurs effets pervers.
La peur de la contamination
14Le rapport à l’autre, et notamment à l’autre malade, contaminé ou contaminant, inquiète les personnes sans domicile. Après plus de dix ans passés à la rue, Nathan, 43 ans, est aujourd’hui locataire d’un studio dans une résidence sociale. Il explique qu’il se méfie des autres :
« Je mange équilibré ! Ça suffit déjà ! J’évite de me promener sous la pluie en plein hiver… Je mets des gants s’il fait froid, je m’habille quand il fait froid, je fais attention ! J’évite d’être trop près des gens qui sont beaucoup trop malades, quand je vois qu’ils tremblent et que ça coule de partout… Ça, j’évite ! Afin de préserver un peu ma santé… »
15Le risque de contagion par les autres, perçus comme malades, ou plus malades que soi, suscite interrogations et attitudes divergentes. Dans le cas de Nathan, il se contente d’éviter les personnes qu’il identifie comme malades et annonce même qu’il cherche parfois intentionnellement à contaminer les autres. Cette pratique peut être interprétée comme une stratégie de protection de soi lui permettant de montrer comment il réussit à naviguer dans la survie avec davantage de succès que les autres qui se laissent contaminer. Il est capable d’identifier les risques qu’il encourt et de les déjouer en s’en protégeant, voire en les utilisant en sa faveur contre les autres. La peur d’être contaminé évoquée par Barthélémy, réticent à laver ses vêtements avec ceux d’inconnus, renvoie à l’impossibilité de se protéger de l’hygiène des autres.
Hygiène corporelle et stigmate
16Les personnes sans domicile entretiennent leur hygiène corporelle d’abord dans le but de protéger leur santé, mais ces pratiques renvoient aussi à des adaptations identitaires liées à leur stigmate. La part la plus visible de l’hygiène, l’entretien de la propreté corporelle, renvoie aux symboles de stigmate1 qu’elles cherchent justement à détourner.
Sauver la face
17Le corps sale, souillé, délabré, est un symbole du stigmate associé à la représentation sociale de l’individu sans domicile, image qu’il essaie généralement de négocier. Son statut social étant dévalorisé, il cherche à s’en prémunir, à ne pas être discrédité, tout en se sachant « discréditable ». L’hygiène corporelle est utilisée comme un « désidentificateur » pour éviter d’être discrédité, c’est-à-dire que les individus négocient leur image sociale en essayant de dissimuler leurs symboles de stigmate. Les extraits d’entretiens cités plus hauts révèlent des techniques, des pratiques de préservation de soi, qui sont autant de stratégies d’évitement du discrédit. Les bricolages de la vie quotidienne visent à camoufler leur stigmate, à gommer les éléments qui permettraient de les identifier comme sans domicile. Ces stratégies réussissent souvent : au long de mon travail de terrain, j’ai eu de nombreuses fois à demander aux personnes si elles connaissaient ou avaient connu un parcours de rue. Quoique certains signes rendissent leur précarité décelable, aucun symbole de stigmate visible ne permettait de les identifier formellement comme sans domicile. C’est notamment le cas de Fouad, Fabrice et Maurice. L’apparence physique qu’ils entretiennent, en termes de propreté du corps et de leurs vêtements, empêche de les définir en tant qu’individus sans domicile. La dissimulation de leur stigmate est tout à fait maîtrisée.
Ne plus y arriver
18La maîtrise des symboles du stigmate est en relation avec la progression dans la carrière de survie des individus. Au fur et à mesure de leur vie sans hébergement, on remarque une transformation de leurs pratiques de soin de soi et de leur rapport au corps. Vlad, 37 ans, Roumain, est venu en France dans l’espoir d’y trouver de meilleures conditions de vie. Je l’ai rencontré quelques mois après son arrivée en France, au sein du centre d’hébergement médicalisé où il était accueilli pour soigner la tuberculose pulmonaire dont il souffrait. À la fin de son traitement, il a été contraint de quitter la structure et n’a trouvé ni emploi, ni solution d’hébergement. Il mettait un point d’honneur à entretenir son hygiène corporelle et naviguait entre les associations offrant des douches et les bains municipaux, malgré les horaires d’ouverture restreints, et par là contraignants, avec lesquels il faut jongler. Il se rasait chaque jour, soignait sa coiffure et ses vêtements. Avec le temps et face aux difficultés rencontrées, petit à petit, il a pris de moins en moins soin de son apparence :
« Mais c’est pas possible ! Tous les jours si tu viens pas à 9 heures, si tu viens pas à l’ouverture, alors t’as pas la douche ! Ou tu dois attendre toute la journée, parce que parfois tu t’inscris le matin mais t’as ton tour que l’après-midi ! Mais alors tu peux pas chercher un travail… On est des chiens ou quoi ? Moi j’y vais plus tous les jours ça m’énerve trop, c’est pas normal ! »
19Il communique un sentiment d’impuissance, de dévalorisation, de stress et d’angoisse. Pour l’individu qui se sait « discréditable », l’impossibilité d’entretenir sa propreté corporelle entraîne le risque d’être discrédité, ce qui est d’autant plus problématique qu’il est à la recherche d’un emploi. Il risque de perdre la maîtrise de son identité sociale : tant que son apparence reste soignée, il ne peut pas être facilement identifié comme un individu sans domicile. Le contrôle de son apparence lui permet d’entretenir le faux-semblant, de passer inaperçu aux yeux de ceux qui ne le connaissent pas personnellement.
20Le maintien de ce faux-semblant nécessite des ressources dont les individus sans domicile ne disposent que rarement et, au long de leur vie à la rue, ils risquent de ne plus réussir à camoufler leur stigmate. C’est le cas de Luc, 62 ans, Français, qui vit un parcours d’errance depuis plus de quarante ans. Sa trajectoire est ponctuée d’épisodes où il était logé, hébergé ou hospitalisé, mais il a passé la plupart de sa vie dans la rue. Amputé des deux jambes, son corps est marqué par cette longue errance sans domicile et, lorsqu’il vit dans la rue, il ne prend aucunement soin de sa propreté corporelle. Il reste dans la même partie de la ville et ne s’éloigne jamais des quelques rues qui constituent son espace de vie. Aucune ressource d’entretien du corps n’y est accessible, ni association, ni toilettes publiques. Après quelques semaines, son corps est très sale et Luc revendique cet état :
« Je m’en fous si je pue, au moins les cons ne m’approchent pas ! »
21Revendiquer l’état de son corps comme un choix sert à donner l’illusion qu’il en garde le contrôle et correspond à une stratégie de préservation de soi, lorsque le contrôle du stigmate est impossible. Son état d’hygiène est par ailleurs une manière de se protéger des autres qui, comme cela, sont réticents à l’approcher. L’incurie et les odeurs corporelles fortes permettent à la personne sans domicile de garder certains dangers à distance, comme le risque d’agression, de vol ou de viol, et de se tenir à l’écart d’interactions pouvant compromettre sa face.
22Progressivement, au cours de la vie dans la rue, les activités diurnes et nocturnes se concentrent sur la survie immédiate. Les personnes semblent alors abandonner la volonté de maintenir une image de soi positive, la lutte contre leur stigmate et leur discrédit, pour ne se concentrer que sur les activités concrètes de survie. Elles portent moins d’attention à ce qu’elles mangent, elles ne se préoccupent plus de leur activité physique et ne dorment que quelques heures par-ci par-là lorsque les conditions le permettent – à savoir dès qu’elles trouvent un endroit calme et à l’abri du froid, de la pluie ou de la chaleur afin de s’y assoupir dans une sécurité relative.
Mettre à distance
23Charles, rencontré en centre d’hébergement médicalisé, se concentre sur les pratiques liées à la survie et ne semble plus chercher à dissimuler son discrédit. À bientôt 60 ans, il a passé la majorité de sa vie entre périodes de rue et d’hébergement. Sa peau, ses cheveux et sa barbe hirsutes sont sales. Il ne nettoie jamais ses vêtements, il les jette simplement quand ils sont tellement abîmés qu’il ne les estime plus confortables et en achète d’autres en remplacement. Son odeur est âcre et se constitue d’un mélange de sueur, d’urine, d’alcool. Son corps est recouvert de puces de corps et il leur donne à manger en déposant quelques miettes dans l’échancrure de sa chemise :
« Comme ça je ne suis jamais seul, parfois elles exagèrent, elles me grattent un peu, mais ce sont mes amies ! »
24Lorsqu’il n’est pas hébergé, il se nourrit de ce qu’il trouve dans la rue et les poubelles, dort dans le renfoncement d’un immeuble ou sur un banc, fume les mégots ramassés par terre et s’achète quelques bières grâce à sa pratique quotidienne de la manche. Au sein du centre d’hébergement, Charles persiste à s’opposer aux travailleurs sociaux et aux soignants qui l’incitent à se doucher, à nettoyer ses vêtements, à se raser. Je l’ai encouragé à se laver, il répond nerveusement :
C. : « Oh mais ça va ! Je prendrai ma douche demain, ça fait quatre ans que je ne me suis pas lavé, on n’est pas au jour près !
L. : Mais Charles, votre odeur peut déranger les autres…
C. : Oui ben vous m’approchez bien, c’est que je ne pue pas tant que ça ! »
25Il semble ne plus avoir conscience du dégoût que son état suscite chez l’autre, ou en tout cas ne plus y porter attention. Il pallie la souffrance occasionnée par le rejet en entretenant la présence des puces de corps, utilisées comme un rempart contre ceux qui l’ont mis à l’écart et sa solitude. L’autre est effectivement perçu comme une menace. Charles, malgré l’état de son corps, a peur d’être contaminé par les autres. Il s’inquiète des maladies et pathologies des autres résidents, sans entrevoir de réciprocité. Tandis qu’il craint la contamination par les autres, il n’envisage pas qu’il peut lui aussi transmettre des pathologies. Pascale Pichon lie l’abandon du soin de soi avec l’abandon du souci de l’autre, nécessaire au maintien de soi :
« La dégradation de l’image de soi semble amorcée lorsque les autres, collègues, famille, intermédiaires sociaux oublient de se soucier de celui qui égare progressivement les raisons de sa survie. Tout autant, lorsque l’individu, outre l’égard qu’il se porte à lui-même, perd le souci de l’autre. En s’abandonnant, soi et les autres, il risque résolument la dégradation de l’image de soi. Nous avons observé combien, même dans des situations de survie éprouvantes (squat, rue, route), les relations affectives fortes maintenaient ce souci de l’autre, indispensable au maintien de soi2. »
26L’abandon de soi correspond à un stade avancé de la carrière de survie. L’abandon du souci de l’autre est souvent mal interprété par les soignants, pour qui l’hygiène, et notamment la propreté du corps, présente un caractère crucial dans la préservation de la santé. Non-conscients des multiples difficultés à maintenir leur état d’hygiène sans hébergement, les soignants l’interprètent comme la résultante d’habitudes de vie qu’ils jugent négativement et dévalorisent.
Propreté et interactions soignants-soignés sans domicile
27Par le truchement de leur formation et de leurs pratiques professionnelles, les soignants acquièrent des pratiques et un rapport à l’hygiène corporelle hérités des normes et valeurs hospitalières. Le monde médical est dominé par des règles d’hygiène et de salubrité extrêmement strictes, à visée prophylactique, et dont dépendent la non-contagion entre individus et le bon rétablissement des malades.
La norme de propreté
28Les institutions hospitalières et de soin établissent des normes spécifiques de propreté des lieux aussi bien que des objets et le manque d’hygiène y est traqué car il renvoie à la maladie, à l’infection, au risque de contagion, en un mot au danger. Certains soignants ont tant intégré les règles d’hygiène de leur institution qu’ils les reproduisent pour eux-mêmes, dans leurs propres soins corporels et leurs logements, en allant parfois jusqu’à utiliser les mêmes produits désinfectants et nettoyants chez eux qu’à l’hôpital. Sur mes différents terrains, j’ai assisté à de multiples discussions où les infirmiers échangent leurs pratiques et leurs conseils pour entretenir leur logement en suivant les mêmes règles qu’à l’hôpital. Une infirmière rencontrée au centre d’hébergement médicalisé indique :
« Tu sais il ne faut surtout pas utiliser d’éponge, ni ici ni chez toi ! Ce sont des nids à microbes ! Il faut utiliser des chiffonnettes et après tu les laves à 90 degrés, sinon tu nettoies rien tu étales juste les microbes ! »
29Une aide-soignante explique avoir instauré un code couleur dans le matériel de nettoyage qu’elle emploie chez elle, comme cela se pratique au sein des institutions de soin – ces codes couleur servent généralement à différencier le matériel réservé au nettoyage des sols, des surfaces et des sanitaires. Un infirmier m’a confié qu’il n’achetait jamais de produits nettoyants mais emportait chez lui ceux de son service. Il juge les produits du commerce inefficaces et préfère les détergents hospitaliers, plus aptes selon lui à éliminer bactéries et microbes. Lors de son déménagement, un ami infirmier a nettoyé l’ensemble de son nouveau logement avec des désinfectants chirurgicaux avant d’y installer ses affaires. Ces pratiques fréquentes révèlent la préoccupation des professionnels de santé à l’égard du sale et du propre.
30Suite à leur formation, à la routine hospitalière et aux habitudes qu’ils y développent, les professionnels de santé ont parfois du mal à se montrer indifférents, à dissimuler leur dégoût face à la souillure des corps des personnes vivant dans la rue, comme l’annonce Karin, infirmière :
« Je pense que j’ai quand même un petit rejet, un dégoût des gens enfin de la saleté, du manque d’hygiène, pas profondément des gens, parce que les gens je les aime mais c’est tout ce qui va autour du sans domicile. Le fait qu’ils dorment par terre, ils dorment là où pissent les chiens… C’est quelque chose qui m’effraie quand même… Pour eux ! Et du coup moi je sais pas si j’aurais pu soigner des gens, direct comme ça ! Après évidemment quand ils sont lavés, karchérisés, je sais le faire ! Mais quand ils sont à l’état brut et… Blessés et je sais pas si je suis capable de faire ça… »
31Elle montre comment son rejet de la saleté influe sur sa pratique. Elle ne voit pas de problème à soigner une personne sans domicile, à condition qu’elle ait été karchérisée auparavant. Les soignants dérangés par l’hygiène des personnes sans domicile préfèrent en laisser à d’autres le soin et s’éviter un travail déplaisant. Le corps sale, souillé, des personnes sans domicile est maintenu à distance. Lors des consultations médicales observées, les contacts physiques entre médecin et patient sont quasi inexistants. Il en va autrement des consultations infirmières qui, de par la spécificité des soins qui s’y opèrent, imposent le contact. Un malaise apparaît dans l’interaction, comme le montrent les propos d’Emma, infirmière dans un service des urgences. Je lui ai demandé si elle estimait nécessaire de réagir différemment avec les patients sans domicile qu’avec les autres, elle répond :
« C’est plutôt le rejet de la saleté, de la déchéance, c’est plutôt ça qui est différent… Mais la façon dont on les traite ne devrait pas être différente ! […] Et je te dis, quand tu vas le doucher… Eh bien tu as peur d’attraper la gale, d’attraper des poux… Tu es habillé de pied en cap… C’est un traitement différent ! Mais c’est de par la saleté en fait… Tu vas t’habiller en cosmonaute pour aller le doucher… »
32Le rejet de la saleté a des répercussions sur le soin et la prise en charge médicale des patients sans domicile. Les réactions des soignants se fondent sur leur peur d’être contaminé et leur volonté de se protéger de ces patients. Ils sont toutefois conscients que leur dégoût altère la qualité des soins qu’ils prodiguent.
On ne peut pas les laisser comme ça
33Certains professionnels sont néanmoins réceptifs aux difficultés rencontrées par les individus sans domicile dans l’entretien de leur hygiène corporelle et dépassent leur dégoût pour accomplir les actes de soin. Lydia, étudiante infirmière, m’a raconté l’état dans lequel est arrivé Luc au centre d’hébergement où elle effectue un stage :
« Il puait tellement, au début j’arrivais même pas à respirer à côté de lui, il avait de la crasse partout, sur ses bras, tu voyais sa peau… Et ses vêtements… Il était dans ses urines et ses excréments, je sais même pas depuis combien de temps, mais ses vêtements étaient collés à sa peau. D’abord j’ai cru que j’allais vomir, je me suis dit je vais pas y arriver, mais bon je pouvais pas le laisser comme ça ! Alors je l’ai emmené sous la douche et je l’ai lavé… »
34Alexandre, infirmier exerçant dans un service des urgences, raconte :
« Une fois je me rappelle, on avait ouvert un pansement et y’avait des asticots qui étaient tombés du pied ! Ça m’a marqué ça… […] C’est toujours après la même chose en fait… Y’a pas d’expérience plus marquante, c’est juste qu’ils viennent et ils sont… Dans un état d’hygiène impossible et du coup ils sont contents qu’on les lave. »
35Tous deux ont été marqués par le caractère spectaculaire de l’état de leurs patients, saleté extrême pour l’un, plaie rongée par les asticots pour l’autre. Ils ont cependant surmonté leur dégoût et pris soin de leurs patients, comme le leur dicte leur éthique professionnelle, car l’hygiène corporelle est considérée comme le point de départ à tout soin, la base sur laquelle se construira ensuite l’intervention médicale. Aucun acte médical ne peut être réalisé sans que le patient n’ait été préalablement lavé, voire désinfecté, afin d’en assurer l’efficacité et d’éviter tout risque d’infection. Une confusion s’instaure alors entre les soins d’hygiène effectués en visant le bien-être du patient et ceux réalisés dans le but de pallier le dégoût du soignant. Les soins d’hygiène effectués par les soignants renvoient en cela à une forme d’imposition de la norme. Alexandre continue son propos :
« On les lave pour nous finalement, parce que sinon ça pue trop, la plupart du temps ils sont dans leurs urines, donc finalement la plupart du temps on les lave mais c’est plus pour nous, parce que c’est pas possible sinon… »
36Les actes de soin d’hygiène sont justifiés par les soignants avant tout parce qu’ils rendent le soin possible, mais ils sont autant de tentatives de distanciation, de stratégies de préservation de soi par rapport au patient. « La mise à distance du patient, décelable tant au travers des discours prophylactiques des soignantes que des pratiques de symbolisation de l’espace, des eaux et du matériel, a des fonctions très précises. Elle vise à préserver l’identité des soignants, enfermés comme les malades dans un monde clos, pathogène3. »
La peur de la contagion
37Si l’individu sans domicile est maintenu à distance par crainte de la contamination des corps, transmettant virus, microbes ou parasites, il s’agit également de se garder de la contagiosité de leur stigmate. Cette inquiétude se cristallise autour du symbole du stigmate sans domicile le plus visible, c’est-à-dire une apparence sale et souillée.
38Les soignants avancent l’argument de la salle d’attente : cet espace restreint, où les patients se côtoient, transmet aux patients une image du soignant. La salle d’attente est en quelque sorte la vitrine du professionnel de santé et nombreux sont-ils à se soucier de l’image que les individus sans domicile présents renvoient aux autres patients. Selon Cathy, infirmière au centre d’accueil de jour :
« Il est clair que quand tu vois arriver un sans domicile qui n’est pas lavé… Complètement ivre… Oui ben c’est gênant ! C’est gênant pour les autres… Un médecin… Qui accueille un sans domicile… S’il n’a peut-être pas pu se laver, dans une salle d’attente, ce n’est pas génial ! »
39Un médecin généraliste rencontré sur le terrain exprime une gêne par rapport à sa patientèle habituelle :
« Même par rapport aux autres patients, si après ils viennent, ils sont assis dans la salle d’attente… Ça peut faire peur aux autres gens… Ouais je pense que ça ne serait carrément pas possible, ça ne serait pas possible… »
40Le risque de contagion du stigmate rejoint ici la contagion au sens médical et les soignants tendent à rejeter les personnes sans domicile par crainte de cette double contagion. Ces dernières représentent un écart à la norme dont il faut se prémunir afin de ne pas y être associé. Les soignants voient dans les normes d’hygiène du milieu médical un levier de contrôle du sain et du malsain dans leur vie quotidienne. Il s’agit du moyen le plus facilement maîtrisable pour tenir à distance ce qui les met en danger. Les soignants méconnaissent les conditions de vie des individus sans domicile et entretiennent un jugement négatif à leur égard. Dans la plupart des cas, ils ne sont pas conscients des nombreux obstacles de la rue pour entretenir l’hygiène corporelle et pensent que l’absence d’hygiène est choix volontaire, ou la preuve que les personnes sans domicile ne se préoccupent ni de leur corps ni de leur santé.
Les rationalités du corps
41Le corps est utilisé comme un vecteur permettant de communiquer l’identité sociale virtuelle4, les valeurs de l’individu. Différents types de rationalité animent le rapport au corps. Les personnes sans domicile mettent en place des attitudes et des discours afin de modeler l’image qu’elles veulent donner à leurs interactants. Le corps représente la ressource principale dont elles disposent et est utilisé comme un rempart servant à se protéger contre les agressions extérieures et préserver leur identité, car leur corps est leur principal support identitaire.
Garder le contrôle de son corps
42Lorsque les personnes vivant dans la rue abandonnent le soin de leur corps aux soignants, cela revient à leur confier ce support identitaire. Fouad explique à quel point il est important que son corps puisse se défendre par lui-même :
« Je n’ai pas besoin de prendre des neuroleptiques ou des trucs à la con… Je sais que c’est temporaire ! C’est-à-dire que ça ne va pas me guérir ! Les neuroleptiques ne vont pas me guérir ! Donc il faut que j’habitue mon corps à se défendre par lui-même ! C’est-à-dire, si je me sens nerveux… Je fais 5 kilomètres, je me fatigue bien, et ça passe ! J’ai toujours été comme ça… »
43Il limite son utilisation des médicaments à ceux qui lui sont absolument nécessaires – il prend de l’aspirine pour son problème cardiaque. Fouad préfère trouver d’autres modes de gestion de son corps, et cherche en particulier à entretenir ses propres résistances. Il établit une forte relation entre le corps et l’esprit. Quand il ne se sent pas bien, que son esprit est dérangé, il utilise son corps comme un moyen d’aller mieux : ici, la fatigue physique lui permet de gérer le stress et l’angoisse. Alors que la prise d’un traitement n’a des effets que temporaires, la gestion incarnée de son état est favorable à plus long terme. Deyan, 37 ans, Bulgare, sans hébergement depuis trois ans, insiste quant à lui sur la protection naturelle offerte par son corps :
« Je préfère sans médicament, sans antibiotique, sans vaccin… Parce que je crois que nous avons suffisamment [d’]énergie dans le corps qui peut montrer une lutte forte contre les maladies… Sinon, si on prend beaucoup de médicaments, nous détruisons notre force, notre protection naturelle… »
44Il repousse les artefacts de l’intervention médicale (médicaments, antibiotiques et vaccins), qui détruisent les défenses naturelles du corps. Deyan estime que son corps est en mesure de se défendre par lui-même. Le corps est un support permettant de véhiculer à ses interactants que c’est l’individu lui-même qui est résistant. Le recours aux soins des personnes sans domicile est conditionné par cette perception de leur corps comme siège de leur existence, de leur identité. La vie à la rue impose des efforts constants pour maintenir une frontière entre soi et les autres, entre l’intime et le public, efforts où « seule l’enveloppe corporelle, ultime réserve territoriale, appartient en propre à la personne. La préserver de toute violation, en prendre soin, c’est écarter les offenses et le mépris social, c’est conserver une ouverture aux échanges sociaux, c’est construire le dernier rempart de l’habiter5 ». Les individus vivant sans hébergement se montrent parfois réticents à faire appel à une intervention médicale, préférant garder le contrôle de leur corps et préserver leur sécurité ontologique. Cette attitude correspond au type de l’action rationnelle en valeur6. Les actions des personnes sans domicile sont déterminées par leur volonté de conserver leur identité sociale, qui se fonde sur leur résistance corporelle. Les bénéfices qu’ils pourraient obtenir en se soignant sont laissés de côté au profit du maintien d’une identité sociale positive et du contrôle de leur propre corps. Les individus sans domicile expriment, dans leurs discours et leurs attitudes, que leurs corps sont résistants et agissent en fonction de cette conviction.
L’incompréhension des soignants
45Ces attitudes ne sont pas toujours comprises par les soignants, qui partent fréquemment du principe qu’un simple doute par rapport à sa santé ou qu’une douleur non identifiée doit se traduire par une consultation médicale. D’après Emma, il faudrait aller consulter dès qu’un problème de santé à l’origine inconnue apparaît :
« Quand justement, on ressent un état de tension et qu’on n’arrive pas à y remédier ! Enfin… Quand on a une douleur et que… On ne sait pas d’où elle provient, et je pense que le médecin a un rôle préventif… Donc tu peux te dire que si tu as mal à la tête de manière… De manière récurrente… Eh bien au bout d’un moment, tu vas voir un médecin ! »
46Au-delà de l’utilisation du corps et de sa résistance comme socle permettant de revendiquer une identité sociale positive, d’autres pratiques du corps, correspondant à d’autres formes de rationalité, sont à mettre en lumière. Les individus sans domicile naviguent entre plusieurs types d’interaction, au cours desquels ils n’endossent pas les mêmes rôles, ne cherchent pas à transmettre les mêmes messages et, par conséquent, n’utilisent pas leur corps de la même manière. Ohran, 48 ans, Turque, connaît un parcours d’errance migratoire depuis plusieurs années. Je l’ai rencontré au sein du centre d’hébergement médicalisé où il a été admis pour soigner sa cheville fracturée lors d’un accident de la voie publique. Afin de permettre aux os de se reconstruire, il a été plâtré du pied jusqu’au bas du genou et sa marche en est entravée. Les médecins lui ont interdit de prendre appui sur son pied pendant plusieurs semaines, de manière à favoriser son rétablissement. Il ne suit pas ces instructions et les soignants de la structure commencent à penser qu’il ne se soucie pas des séquelles d’une réparation incomplète de ses os. Ils avancent plusieurs arguments pour expliquer cette attitude. En premier lieu, ils imaginent que la barrière de la langue empêche Ohran de comprendre les prescriptions du médecin. Après plusieurs tentatives, restées vaines, de lui faire comprendre qu’il ne doit pas prendre appui sur son pied, l’équipe avance l’hypothèse selon laquelle Ohran souffrirait d’un handicap mental léger. Il s’agit là de la confrontation de deux types de rationalité divergents. Ohran voit d’autres intérêts dans le fait d’être plâtré que le seul rétablissement de sa cheville : il gagne beaucoup plus d’argent en faisant la manche maintenant qu’il a un handicap visible. « Dans le monde de la survie, le corps est un objet de travail : il est ce qui s’échange dans l’interaction – matériellement (la prostitution) ou symboliquement (la manche)7. » Le plâtre, les béquilles et la difficulté apparente à la marche d’Ohran sont mobilisés comme des symboles de stigmate qui le rapprochent de l’image du bon pauvre, celui qui n’est pas responsable de sa situation8 et qui suscite davantage la sympathie des passants. Les conditions de vie d’Ohran se sont considérablement améliorées depuis son accident : il bénéficie désormais d’un hébergement et ses revenus de la manche ont sensiblement augmenté. Son intérêt immédiat à favoriser le processus de guérison de son pied est donc limité, ce qui, du point de vue des soignants, est inconcevable. Dans leur optique, l’objectif premier est toujours le soin. Ohran agit selon une rationalité en finalité9, qui lui fait préférer les bénéfices de son plâtre à son rétablissement rapide. Les soignants de la structure cherchent à interpréter l’attitude d’Ohran selon leur propre rationalité en valeur, définissant la santé comme l’objectif primordial à atteindre. Les différentes rationalités du corps sont de la sorte une source de malentendus entre soignants et soignés sans domicile.
Mises en scène et techniques du corps sans domicile
47Les personnes sans domicile sont caractérisées par une identité sociale dévalorisée qui chamboule la manière dont elles se définissent par rapport aux autres et à elles-mêmes. Le corps est à la fois l’interface entre l’individu et le social et le siège de l’individualité. Les personnes sans domicile mettent en scène leur corps afin de contrecarrer leur stigmate, mise en scène qui procède d’un double mouvement d’apparence antagoniste. D’une part, elles utilisent ce que j’appelle une mise en scène de la robustesse visant à mettre en valeur la supériorité physique de leur corps, capable de résister à tout. D’autre part, elles semblent manifester le besoin de prouver, par la monstration de cicatrices, de plaies, de symptômes, de documents médicaux, qu’elles sont malades ou blessées, ce que j’appelle la mise en scène de la supplique10.
La mise en scène de la robustesse
48Dans le dessein de transmettre une image valorisée d’eux-mêmes à leurs interactants, les individus sans domicile mettent en scène leur corps par l’intermédiaire d’une suite d’attitudes et de pratiques. Leur mise en scène est soutenue par l’emploi d’une rhétorique analogue. Son objectif est de démontrer leur supériorité physique et, par là, de conserver une image positive d’eux-mêmes.
Même pas mal
49L’attitude qui met le mieux en lumière la mise en scène de la robustesse est celle qui consiste à minimiser la douleur, voire à prétendre n’en ressentir aucune. Baptiste, 47 ans, Français, vit dans la rue depuis 2006, suite à une rupture conjugale. Après avoir perdu son pied suite à des engelures, il répète qu’il n’en éprouve aucune douleur. Il suit toutefois un traitement contre les douleurs fantômes, mais il s’empresse de préciser qu’il ne s’agit là que d’un traitement préventif : lui, il n’a pas mal. Lorsqu’il est surpris à grimacer en se déplaçant, il explique que c’est la prothèse qui est mal ajustée à son moignon et détourne de la sorte l’aveu de sa douleur, due à un désagrément technique (l’inadaptation de sa prothèse) et non à sa sensibilité à la douleur. Simon, 44 ans, Français, connaît un parcours d’errance depuis plus de vingt ans et adopte la même attitude que Baptiste. Il exhibe fièrement les larges cicatrices qui couvrent ses avant-bras. Il raconte d’un air goguenard qu’après l’accident qui les a causées, il a tranquillement pris le tramway et s’est amusé des regards horrifiés des autres passagers. Il décrit ses plaies à grand renfort de détails sanguinolents et volontairement épouvantables : des lambeaux de peaux tombaient de ses bras et il saignait tellement que des flaques se formaient au sol, le tout en riant et en scrutant la réaction de son interlocuteur. Il précise enfin qu’il s’est contenté d’aller rendre visite à sa mère qui l’a immédiatement envoyé à l’hôpital, où il ne se serait pas rendu si ce n’était pour lui obéir :
« Tu sais, ça c’est rien, j’en ai vu d’autres ! »
50On remarque un double mouvement dans la conduite de Simon. D’abord, il met en scène sa supériorité physique et cherche à prouver qu’il est plus fort que les autres, qu’il est capable d’en supporter plus. Ce faisant, il insiste sur la gravité des plaies, la profondeur ou l’étendue des cicatrices, avant de préciser que ce n’est rien pour lui. Ensuite, en cherchant à mettre mal à l’aise son interlocuteur, habituellement horrifié par ce genre de discours ou par les plaies exposées, il détourne son stigmate de SDF et prend une position valorisée correspondant à celle du gros dur qui ne craint rien ni personne. De multiples attitudes, bien que plus discrètes, contribuent à l’élaboration et à l’entretien de l’image que veulent donner d’eux-mêmes les individus sans domicile. Simon insiste pour serrer la main à chaque rencontre et s’applique à la serrer très fort, généralement jusqu’à ce que son interactant s’en plaigne ou ne retire sa main, ce à quoi il rétorque toujours qu’il ne s’est pas rendu compte de la force qu’il a déployée. Dans la vie quotidienne, les coupures et blessures sont presque systématiquement minimisées et, même lorsqu’un soin est sollicité, la résistance à la douleur est mise en avant. Gérard, 59 ans, Français, a été expulsé de son logement dont il ne payait plus le loyer. Il est atteint d’un cancer et réside au centre d’hébergement médicalisé pendant sa chimiothérapie. Ses mains présentent de profondes crevasses dues au froid et il me demande d’y appliquer crème cicatrisante et pansement :
« Ça fait pas mal, mais c’est juste que si ça saigne, c’est embêtant. »
51L’argument mobilisé est purement pratique : le pansement empêche le sang de se répandre ; la crème est quant à elle justifiée par l’incongruité de mettre un pansement sans rien en dessous. De la sorte, le soin n’est pas légitimé par la douleur que pourraient lui occasionner les crevasses, mais par une question technique, l’évitement du saignement. Cette tournure rhétorique lui permet d’être soigné, et certainement d’atténuer les douleurs, sans perdre la face car la douleur n’est jamais avancée comme un prétexte au soin, elle n’est pas même évoquée. René, 53 ans, Français, a vécu plus de vingt ans dans la rue. Il raconte une ponction au niveau du poumon :
« Ils m’ont fait déjà une ponction au dos, parce que j’avais de l’eau dans le poumon. Ah mais ça m’a pas fait mal, ça m’a rien fait ! Ça a rien fait du tout. Mais le seul problème que j’avais c’était que j’étais obligé de rester assis sur une chaise pendant trois heures ! Oh yé ! À la fin du compte j’ai dit vivement que je vais au lit ! [rires] Mais sur une chaise en ferraille, ben crois-moi le, c’est pas marrant hein ! Et en plus tu peux même pas regarder la télé, moi qui voulais regarder la télé, ben tu parles ! Pendant trois heures assis comme ça, oh purée… Oh ils m’ont sorti assez d’eau du poumon, pfiou ! »
52Là encore, l’acteur s’attache à préciser qu’il n’a pas eu mal et va attribuer la pénibilité de l’expérience au manque de confort de devoir rester assis et de ne pas pouvoir regarder la télévision comme il l’aurait souhaité. L’accent mis sur la quantité de liquide extrait de son poumon et le soupir qui ponctue sa phrase laissent pourtant à penser qu’il s’agit d’une intervention douloureuse.
53Lors d’interactions avec des travailleurs sociaux, des pairs ou encore des soignants, les personnes sans domicile cherchent à transmettre une image valorisée d’elles-mêmes et la mise en scène de la robustesse sert à dissimuler tout ce qui pourrait porter atteinte à l’identité sociale virtuelle de l’individu. Darek, 45 ans, Polonais, souffre d’un cancer du pancréas. Il est accueilli au centre d’hébergement médicalisé pendant sa chimiothérapie. Je l’ai accompagné à l’un de ses rendez-vous chez l’oncologue, où il a passé sous silence les symptômes dont il se plaignait habituellement aux infirmiers du centre d’hébergement avec qui il avait noué des relations de confiance (douleurs abdominales, nausées et fatigue post-traitement chimiothérapique). Après la consultation, je lui ai demandé pourquoi avoir caché ses symptômes, ce à quoi il a répondu qu’il ne voulait pas que le médecin le prenne pour quelqu’un de douillet. Sa stratégie visant à donner de lui une image sociale valorisée a été efficace et le médecin était surpris que Darek ne souffre pas d’effets secondaires au traitement. « Dans une certaine mesure, on peut dire que la résistance à la souffrance est une valeur des sans domicile. Tout se passe comme si être “dur” était la condition pour être un “bon” sans domicile11. » Les plaintes liées à la douleur se font rares et, lorsqu’ils les expriment, les individus tendent à toujours à les minimiser.
L’imaginaire guerrier
54La mise en scène de la robustesse est soutenue et alimentée par un imaginaire guerrier. Nombre de personnes sans domicile s’appuient sur un passé militaire, la pratique des arts martiaux ou de sports de combat pour argumenter leur robustesse physique. Cet imaginaire guerrier est entretenu par des récits de bagarres dont l’individu ressort toujours vainqueur. Certaines personnes choisissent même de porter des vêtements militaires. La référence à cette identité sociale virtuelle, valorisée par la virilité, la résistance corporelle et la force physique supérieures auxquelles elle renvoie, permet de compenser leur identité sociale réelle ne leur laissant que peu de possibilités d’être perçus positivement. Pierre, 58 ans, Français, a un corps rachitique, abîmé par des décennies de rue. Il porte une veste au motif militaire, beaucoup trop grande et remplie davantage par les multiples couches de vêtements qu’il porte que par son corps frêle et chétif. Il explique qu’il l’a gardée de l’armée où il était hautement gradé mais dont il a été exclu après s’être opposé plusieurs fois à sa hiérarchie lors d’affaires d’État. Le secret auquel il reste soumis ainsi que le respect qu’il a conservé à l’égard de ses anciens collègues l’empêchent de donner plus de détails sur son passé. Il entretient de la sorte une identité sociale virtuelle valorisée qui lui permet de mettre à distance le stigmate associé au statut de SDF et de justifier sa situation sans domicile : il explique rester dans les rues de Strasbourg afin de recueillir des informations, tout en n’étant pas retrouvé par des terroristes de l’ETA. Arnaud, 52 ans, Français, a vécu dans la rue pendant plus de vingt ans. Il raconte qu’il a été témoin d’un vol de sac à main :
« J’ai pratiqué les sports de combat alors si je dois le faire j’le fais ! J’vais pas attendre la police qu’elle arrive… Et du coup le mec il était allongé par terre… Après ils appellent les pompiers… Et le mec, dix jours à l’hôpital, pour un vol de sac à main… Personne n’a bougé ! Alors moi j’ai vu ça, je suis devenu rouge ! J’ai attrapé le mec hé… Ben… Il était pas déçu ! »
55Dans son récit, Arnaud passe à la fois pour quelqu’un de très fort, qui n’aime pas utiliser ses compétences de combat mais sait qu’il y est parfois forcé, et pour un défenseur des plus faibles, ici la victime du vol. Il met en scène sa robustesse et sa force physique tout en se distinguant de la faiblesse et de l’infériorité liées à l’image de la personne sans domicile. Dmitry, 44 ans, est originaire de Pologne. Il vit dans les rues de Strasbourg depuis plusieurs années, presque une décennie. Il n’a pas de droits sociaux en France, en tant que ressortissant de la Communauté Européenne et ne parle pas le français, ce qui complique encore ses démarches d’insertion. L’attribution de surnoms est fréquente dans la rue, et Dmitry se fait appeler Sniper. Il affirme qu’il était légionnaire dans l’armée yougoslave et qu’il n’a peur ni de se battre ni de tuer. Une rumeur se crée autour de lui : il aurait participé à plusieurs guerres avant de fuir son pays afin d’échapper aux dirigeants de l’armée polonaise. Dmitry adopte une attitude très agressive envers ses camarades de rue et utilise l’intimidation, voire la violence physique, comme moyen d’obtenir ce qu’il veut et de garder un certain pouvoir sur son groupe de pairs. Une méfiance générale se développe, on dit qu’il est capable de terrasser un homme en quelques instants. La rumeur de son extrême violence et de ses aptitudes militaires hors-norme se répand rapidement dans le microcosme formé par les personnes vivant dans les rues de Strasbourg. Il est souvent laissé seul et ceux qui le fréquentent évitent de l’importuner. La mise en scène de cet imaginaire militaire et guerrier représente de la sorte une forme de protection contre les agressions, aussi ténue soit-elle.
Des stratèges de la survie
56Dans le but de survivre sans hébergement, les individus apprennent à connaître et domestiquer la rue pour s’y procurer de quoi manger, un endroit où se reposer, où se laver, où passer la nuit et où pouvoir être écouté. Cela leur est indispensable pour garder un réseau de sociabilité et surtout une image positive d’eux-mêmes. La mise en scène de la robustesse les aide à se percevoir positivement. Ils mettent en avant leurs capacités à survivre dans les conditions les plus dures. « Leur valorisation [s’exprime] surtout dans le fait de se montrer comme des stratèges capables de trouver des solutions de survie dans des situations extrêmes et comme des personnes sans-abri irréductibles à l’image du “clochard” : une façon de s’opposer à l’action implacable de l’étiquetage12. » Ils cherchent à valoriser leur expérience, leur savoir-faire de survie et de débrouille à la rue pour retourner le stigmate dont ils souffrent.
57Erving Goffman rappelle que le fait de garder la face ne doit pas être analysé comme le but de l’interaction mais comme une condition à cette dernière. Par la mise en scène de son corps, l’individu sans domicile modèle son image, véhicule les valeurs avec lesquelles il souhaite être caractérisé et contrecarre l’imposition du statut dévalorisé et faible que lui renvoie la société. En mettant en avant qu’il résiste à tout, il transmet que son corps est capable d’encaisser l’accumulation des violences physiques, sociales, institutionnelles et psychologiques. Les stratégies identitaires développées par les individus sans domicile afin de garder la face ou de négocier leur stigmate ne sont pas pour autant figées. En fonction de la situation d’interaction, ils modifient leurs stratégies et laisser voir une autre facette de leur identité sociale.
La mise en scène de la supplique
58La mise en scène de la supplique est adoptée par les individus sans domicile lorsqu’ils ne sont plus en capacité de mettre en scène la robustesse ou lorsqu’ils cherchent à obtenir une aide et ressentent le besoin de justifier leur demande :
« La supplique est une forme ancienne et conventionnelle par laquelle un sujet interpelle une autorité lointaine pour en obtenir une faveur ou une grâce. […] Elle se présente ainsi comme un appel à une humanisation des rapports de domination qui se traduit par un traitement personnalisé et discrétionnaire du requérant sur la base de la connaissance et de la reconnaissance de sa souffrance13. »
59Historiquement adressée au roi, au représentant de l’autorité légale ou au patron, la supplique cherche à créer une relation entre celui qui sollicite l’aide et celui qui l’accorde, mais surtout à justifier la légitimité de la demande d’aide. Les individus sans domicile utilisent la mise en scène de la supplique pour prouver qu’ils sont véritablement malades ou blessés. Ils semblent redouter que leur demande de soin ne soit pas prise au sérieux, ne soit pas considérée valable s’ils échouent à convaincre leur interlocuteur.
La preuve par le corps
60La mise en scène de la supplique se base sur deux supports privilégiés : la monstration du corps, par le truchement de l’exposition de cicatrices, de plaies ; et le support documentaire, preuve matérielle et officielle de la souffrance ou de la pathologie. Elle passe aussi par une rhétorique de la supplique, volontiers forgée d’exagérations. Marc, Français de 62 ans, vit depuis dix-sept ans dans la rue. Je l’ai rencontré au centre d’hébergement médicalisé. Suite à une chute dans des escaliers, il s’est brisé plusieurs os de la main. Les chirurgiens lui ont posé des broches afin de soutenir la réparation des os. Pendant l’entretien, il brandit plusieurs fois son bras bandé, manifestant de la sorte qu’il est réellement blessé. Marc a été très impressionné par son opération et par la taille des broches, qu’il tend à exagérer. Au fil d’une conversation avec une autre résidente, il lui raconte l’intervention chirurgicale et affirme que les broches mesuraient presque quarante centimètres. Elle lui demande alors si les broches remontaient jusque dans le bras, ce à quoi il lui répond que non, elles n’étaient que dans sa main et il ne réagit pas face à l’air interloqué de son interlocutrice, tout persuadé qu’il est de la taille des broches : leur extraction l’a tellement impressionné qu’il les voit énormes.
61Les plaies et les cicatrices sont mises en avant et utilisées comme autant de preuves de leurs propos. Baptiste propose de me faire voir le moignon de son pied amputé. Pendant l’entretien, Mohamed, soulève ses vêtements pour dévoiler la cicatrice qui occupe la majorité de son abdomen. Elias veut me montrer des photos de l’infection de sa peau… Au long de mon travail de terrain, j’ai pu voir de très nombreuses plaies et cicatrices, toujours exposées en renfort de leurs dires, comme s’ils avaient peur de ne pas être pris au sérieux sans preuve de ce qu’ils avancent.
62L’utilisation de documents ou de matériel médicaux en guise de preuve de leur état de santé dégradé est la seconde stratégie sur laquelle s’appuie la mise en scène de la supplique. Fouad me présente la tablette de médicaments qu’il prend. Renaud, un homme Français d’une quarantaine d’années, vivant dans la rue depuis cinq ans, est dépité. On lui a volé l’attelle qui lui a été prescrite pour soigner son poignet fissuré et brandit son ordonnance en scandant :
« Tu vois je te mens pas ! Et regarde [il tend un carton de rendez-vous avec un médecin addictologue], j’ai aussi rendez-vous avec le psychiatre, parce que tu vois je veux arrêter l’alcool, c’est pas des conneries ! »
63La tablette de médicaments, l’ordonnance ou le carton de rendez-vous sont autant d’évidences, matérielles cette fois et non corporelles, de la légitimité de leur demande de soin. La supplique reflète un sentiment de dévalorisation et les preuves mobilisées correspondent à des éléments de leur itinéraire biographique. Il s’agit de bribes de leurs parcours médicaux, voire de parties d’eux-mêmes, de leurs corps, exposées car abîmées, blessées. Les individus se découvrent, au propre comme au figuré.
Supplique et identité sociale dévalorisée
64Ces attitudes risquent de générer une identité sociale négative. La mise en scène et la rhétorique de la supplique ont graduellement un effet performatif sur l’individu, qui finit par considérer que sa demande de soin n’est pas légitime. L’image peu valorisée que lui renvoie la société participe à l’intériorisation de cette identité sociale négative, qui l’incite à se considérer illégitime. La mise en scène de la supplique sert à se distinguer de l’image du mauvais pauvre, de l’assisté volontaire et à endosser le rôle de la victime innocente d’une agression, de la guerre, du système ou d’un coup du sort. Il s’agit de mettre à distance l’image du profiteur, relayée de manière prépondérante, jusque dans les associations d’aide aux plus démunis et dans le système de soin. En rejetant cette identité sociale dévalorisée, il cherche à détourner son stigmate et à se dédouaner de la responsabilité de sa situation.
65Les soins des individus sans domicile sont dans la plupart des pris en charge par la Sécurité sociale. Ceux qui ne disposent d’aucune couverture maladie ont la possibilité d’être soignés dans le milieu associatif, ou par des dispositifs publics de type permanence d’accès aux soins de santé. La légitimité de leur demande de soin n’est théoriquement pas remise en cause au sein de ces structures, justement créées pour les soigner. Toutefois, dans les faits, les patients agissent comme si elle devait être prouvée, comme si les soignants les refuseraient autrement. À propos des aides à caractère social, Robert Castel écrivait que « qui ne peut payer autrement doit continuellement payer de sa personne, et c’est un exercice épuisant. […] Les fragments d’une biographie brisée constituent la seule monnaie d’échange pour accéder à un droit14 ». Il en va de même dans notre cas, les individus sans domicile utilisent ces fragments biographiques afin de justifier la légitimité de leur demande de soin.
66Les personnes sans domicile semblent ressentir le besoin de se protéger d’une suspicion de la part des soignants quant au bien-fondé de leur demande en utilisant les différents supports de la supplique. Or, ces attitudes risquent justement d’être interprétées par les soignants comme la preuve que leur demande de soin n’est pas légitime. Les professionnels de santé trouvent ces pratiques injustifiées et ils soupçonnent les personnes sans domicile de mettre en scène leur corps et leur état de santé en vue d’obtenir des avantages, notamment en matière d’hébergement. Quand bien même il serait difficile de savoir dans quelle mesure la maladie est volontairement mise en scène dans le but d’obtenir des droits, la suspicion des soignants à cet égard est bien réelle. J’ai pu régulièrement observer des interactions où les médecins ou infirmiers énonçaient des doutes sur la véracité des propos de leurs patients. Ces doutes font surface lorsque leurs patients signalent de nouveaux symptômes peu de temps avant la fin de leur séjour en centre d’hébergement médicalisé ou lorsqu’ils demandent un certificat médical pour la préfecture ou la MDPH. La suspicion se base sur l’impression du soignant que le soigné mobilise des symptômes qui n’existent pas, ou qu’il les exagère, en vue de bénéficier d’avantages auxquels il ne pourrait pas accéder autrement.
67La mise en scène et la rhétorique de la supplique ne sont pas sans conséquence sur l’identité des personnes sans domicile et modifient la manière dont ils se perçoivent, ce qui risque, à terme, d’imprégner leur identité sociale. Ce phénomène s’intensifie avec la fréquence de ces interactions et le temps consacré par les individus à tenir ces rôles particuliers. Dans le dessein de s’en protéger, ils contrebalancent cette identité sociale dévalorisée par la mise en scène de la robustesse, ce qui crée une ambiguïté compliquée à interpréter par les soignants.
Le corps comme instrument
68Les contraintes de la vie sans hébergement imposent de gérer autrement le corps. Au long de leur carrière de survie, les personnes développent des techniques du corps particulières, plus adaptées à leurs conditions de vie éprouvantes. Elles ne sont pas partagées par l’ensemble d’une société ou d’une culture, comme c’est le cas habituellement, et ne se retrouvent qu’au sein d’un groupe précis qui adopte d’autres techniques du corps dans le but de survivre. Les soignants éprouvent des difficultés à identifier et à interpréter ces techniques du corps. Leur analyse donne un nouvel éclairage aux malentendus entre soignants et soignés sans domicile portant sur le corps.
Les techniques du corps des personnes sans domicile
69Les techniques du corps15 consistent en une adaptation continue de l’individu à ses objectifs, adaptation qui se fait au long de la vie de l’individu, selon son appartenance socio-culturelle et les événements qu’il traverse. Le corps est utilisé comme un instrument par les individus sans domicile et ils développent des stratégies en vue d’obtenir un hébergement, des revenus plus importants en faisant la manche, et de conserver une image positive d’eux-mêmes, en un mot pour survivre dans la rue. En fonction du but recherché dans l’interaction, consciemment ou inconsciemment, ils mettent en avant certaines caractéristiques de leur corps.
70Lorsqu’ils font la manche, le corps est exposé de manière à ce que ses limitations soient visibles. À sa sortie du centre d’hébergement, Darek a récupéré un fauteuil roulant qu’il utilise pour transporter plus facilement ses affaires. Vivre sans hébergement impose de déplacer constamment ce que l’on possède (couvertures, sacs de couchage, effets personnels) ou de réussir à cacher ses affaires afin de les protéger du vol ou de l’enlèvement par les services de propreté de la ville. Quand il fait la manche, le fauteuil roulant de Darek ne sert plus de chariot mais de siège, donnant l’illusion qu’il est porteur d’un handicap. Les individus présentant un handicap visible gagnent généralement plus en faisant la manche, les passants étant davantage généreux envers ceux qu’ils identifient comme irresponsables de leur situation. La pratique quotidienne de la manche nécessite de rester dans la même position assise ou accroupie, pendant plusieurs heures, à même le sol, ce qui s’apparente à de la torture pour des corps qui n’y sont pas habitués. James, 56 ans, Anglais, vit dans les rues de Strasbourg depuis une dizaine d’années. Suite à une fracture du coccyx, il ne supportait plus d’être assis par terre lorsqu’il faisait la manche. Il utilise dorénavant une valise récupérée et bourrée de vieux journaux en guise de siège. Marcel Mauss a montré que les techniques du corps ne sont pas naturellement inscrites dans le corps de l’individu, qui saurait de manière innée comment agir, se déplacer, se reposer, se laver… Au contraire, elles accompagnent la recherche d’un rendement.
71Dormir dans la rue impose d’apprendre à dormir sur une surface dure (bancs, sol), tout habillé, souvent sans pouvoir s’allonger entièrement, parfois sur une surface qui n’est pas horizontale (bancs inclinés, alcôves d’immeubles jalonnées de pierres pour dissuader de s’installer là), sans avoir forcément de quoi se couvrir, exposés au regard des badauds… La capacité à faire abstraction du bruit et à se reposer dans des positions inconfortables est indispensable à la rue. Au demeurant, il faut réussir à ne se reposer que d’un œil afin de faire face à l’insécurité. Il n’est pas étonnant que les personnes sans-abri disent généralement avoir un sommeil de mauvaise qualité. Le bruit, les intempéries et l’insécurité les amènent à se réveiller à maintes reprises. De plus, les endroits où elles dorment ne sont habituellement accessibles que tard le soir et doivent être quittés tôt le matin. Par conséquent, elles ont besoin de se reposer la journée, ce qui nécessite à nouveau de réussir à trouver le repos, voire à s’endormir, dans des contextes variés (sieste dans les halls de gare ou dans les accueils d’associations).
72Les individus sans domicile développent par ailleurs des techniques visant à faciliter leurs déplacements à pied, en dépit des distances, de la pluie, du froid et de la qualité très modeste ou de l’usure de leurs chaussures. Ils portent fréquemment plusieurs paires de chaussettes, dans des chaussures volontairement trop grandes, ce qui leur permet à la fois de s’isoler du froid, de l’humidité et d’éviter les ampoules. D’autres personnes utilisent du journal dont ils entourent leurs pieds avant d’enfiler leurs chaussures, lorsqu’ils n’ont pas de chaussettes à leur disposition. N’ayant que très peu de possibilités pour stocker leurs affaires, ils les emmènent et s’aident de chariots, de fauteuils roulants ou encore de poussettes qui sont aussi des aides à la marche.
Refuser les normes imposées par la médecine
73Le corps représente l’outil de travail des soignants. Seulement, s’ils utilisent bien sûr leur propre corps, c’est sur celui de leur patient qu’ils interviennent. L’activité médicale est basée sur le corps du patient, conçu comme le siège des pathologies qu’il convient de traiter. Les soignants n’en sont pas moins tributaires de l’individualité de leur patient, qu’il leur faut prendre en compte et « penser la prise en charge du patient en fonction de sa subjectivité, de ses besoins et de ses capacités suppose d’être à même d’[en] juger16 ». L’évaluation de la subjectivité du patient, de ses besoins et de ses capacités risque rapidement de glisser vers le jugement du patient lui-même. La pensée médicale bénéficie d’une forte légitimité sociale, fondée sur le modèle épistémologique des sciences exactes, et est largement valorisée, contrairement aux pratiques et savoirs des personnes sans domicile.
74La médecine est un vecteur de normes corporelles qui engendre et sous-tend un processus normatif. Elle prescrit aux corps des pratiques qu’elle identifie comme bonnes, suggérant par là même que les autres sont mauvaises. Ces normes correspondent notamment à des injonctions quant à l’entretien et à l’hygiène du corps. Il existe un décalage entre ce que le discours médical préconise et ce qui est concrètement à la portée des individus sans domicile. Dans ces conditions, le malentendu se situe sur ce qui doit être fait, du point de vue médical, mis en opposition à ce qui peut être effectivement réalisé lorsque l’on vit dans la rue. La méconnaissance des soignants des conditions de vie sans hébergement tend à aggraver encore ce phénomène. « La médecine, c’est un savoir-pouvoir qui porte à la fois sur le corps et sur la population, sur l’organisme et sur les processus biologiques, et qui va donc avoir des effets disciplinaires et des effets régularisateurs17. » L’imposition de ce pouvoir à visée disciplinaire et régularisateur est, de manière générale, rejetée par les personnes sans domicile. J’ai rencontré Didier lors d’une maraude. Il a une trentaine d’années, est Français et dit vivre dans la rue depuis plusieurs mois. Didier était blessé au niveau du pied et a demandé à l’infirmier de l’équipe de maraude de lui faire un pansement. Je lui ai demandé pourquoi il n’était pas allé voir un médecin :
« Mais les médecins ils ne cherchent qu’à nous mettre dans des cases, et c’est pour ça qu’on les fuit ! Ça les gêne qu’on soit dehors, qu’on ne fasse pas comme eux, ça fait pas propre ! Ils veulent nous ranger dans une chambre d’hôpital ou dans un foyer, mais non merci ! Si on est dehors c’est justement pour ne pas être dans leurs cases ! »
75Il revendique le refus de se plier aux normes imposées par les médecins. Ce refus dérangerait les médecins parce que « ça ne fait pas propre », l’hygiène corporelle est ici transposée à l’hygiène sociétale. Revendiquer le non-respect des normes correspond à une stratégie de retournement du stigmate associé aux individus sans domicile et permet de ne pas avouer que la norme est impossible à respecter. Didier met en avant son altérité, présentée comme un choix personnel, mais il s’agit surtout de se protéger de la mise à l’écart des personnes sans domicile aux marges de la société. « Le corps humain est en un sens un produit de l’activité sociale […]. Par suite, dans l’espèce humaine, la fréquence statistique ne traduit pas seulement une normativité vitale mais une normativité sociale18. » Les individus sans domicile doivent négocier cet écart à la norme, car le sentiment d’altérité qu’il procure n’est pas agréable et met en danger l’identité individuelle. La survie s’inscrit dans le corps des personnes sans domicile qui s’adapte à d’autres conditions de vie de manière active. Les individus sans domicile deviennent des hyper-spécialistes de leurs corps, qui s’opposent à l’expertise des hyper-spécialistes du corps que sont les soignants.
Conclusion du chapitre : Hyper-spécialistes du corps et hyper-spécialistes de leur corps
76La formation et les pratiques professionnelles des soignants modèlent peu à peu une représentation particulière du corps, fondée sur leurs savoirs scientifiques et technicisée. Parallèlement, les évolutions récentes de la médecine orientent les praticiens à réduire le corps à sa plus petite entité techniquement observable – comme le montrent par exemple les nouvelles thérapies géniques –, au risque d’en oublier son entièreté et sa dimension sociale, c’est-à-dire l’individu dans sa globalité. L’appui scientifique du discours et des pratiques médicales entraîne une certaine résistance des praticiens à accepter le point de vue de leurs patients. Leur savoir spécialisé s’adosse à la légitimité dont ils bénéficient dans notre société contemporaine, et « le système médical […] part de l’idée que le profane est incapable d’évaluer la nature de son problème personnel et la manière adéquate de le traiter : c’est ce qui justifie que la profession impose ses propres conceptions19 ». Le savoir médical est un savoir officiel, enseigné à l’université, et dont la prétention scientifique pousse à l’universalité. Les praticiens de la médecine sont donc forts de ce « monopole de la “vérité”20 ». Leur pouvoir est d’autant plus prononcé que leurs interlocuteurs profanes, lors des interactions de soins, sont généralement à la fois mal à l’aise et inquiets, du fait de leurs symptômes et de la situation même dans laquelle ils se trouvent : bien que le patient puisse identifier ses propres symptômes, il ignore souvent leur sens, leur origine, leur niveau de gravité, leurs conséquences ou leurs séquelles éventuelles. Le savoir médical des soignants leur confère un statut particulier : celui d’hyper-spécialiste du corps, détenteurs d’un savoir auquel les profanes n’ont pas accès.
77Les conditions de vie dans la rue forgent les corps des individus sans domicile, leurs manières de se comporter et de l’incarner au quotidien. Avec l’apprentissage de ces techniques du corps particulières, ils adoptent un rapport au corps différent et deviennent des hyper-spécialistes de leurs propres corps. Les soignants occupant la position d’hyper-spécialistes du corps, dans notre société, ont l’impression que leurs patients sans domicile sont détachés de leurs corps, au point de ne pas ressentir de douleur, alors qu’ils sont ancrés dans leurs corps. Ils négocient autrement leurs douleurs et la souffrance qui l’accompagne. Leur corps n’est pas seulement un objet anatomique, il est le support des mises en scène qui forgent leur identité personnelle et sociale. Laisser les professionnels de santé les soigner est vécu comme un abandon du contrôle de leurs corps, abandon d’autant plus difficile à accepter qu’il procure un sentiment de danger.
78La confrontation de ces deux expertises complique les interactions entre soignants et soignés sans domicile. Une discussion observée au cours d’un repas au sein du centre d’hébergement médicalisé met cette dimension en exergue. Abderrahmane, 56 ans, Algérien, est pris en charge dans la structure pour une spondylarthrite ankylosante et un diabète de type 2. Ce jour-là, il choisit de manger le même dessert que les autres résidents au lieu du dessert sans sucre qui lui est réservé. L’infirmière de la structure, qui partage ce même repas, l’interpelle et lui dit qu’il ferait mieux de s’en tenir à son régime sans sucre. Abderrahmane lui répond qu’il sait ce qu’il fait, qu’il est diabétique depuis des années et la remercie de s’inquiéter à son sujet. L’infirmière insiste sur l’importance de ne pas manger de sucres rapides et la nécessité de suivre son régime de manière rigoureuse. Leur interaction devient conflictuelle. Après le repas, Abderrahmane se plaint de l’infirmière en disant qu’il ne voulait pas exposer son dossier médical à table devant les autres résidents, mais il était en hypoglycémie avant le repas et s’est autorisé un dessert afin de faire remonter son taux de sucre. L’infirmière, de son côté, souligne les risques de ne pas suivre un régime alimentaire scrupuleux, ainsi que les complications liées au diabète. Elle me dira, énervée, qu’Abderrahmane dit toujours savoir ce qu’il fait sans avoir conscience des risques qu’il prend avec ce genre d’écarts à son régime. L’opposition entre le patient, hyper-spécialiste de son corps, et l’infirmière, hyper-spécialiste du corps et du savoir médical, est ici flagrante. Abderrahmane souffre du diabète depuis plusieurs années et a développé sa propre gestion de ses apports en sucres, à mesure qu’il apprenait à connaître son corps et son diabète. L’infirmière a voulu l’inciter à respecter le régime strict prescrit par l’intervention médicale aux patients diabétiques. Ils éprouvent tous deux des difficultés à accepter la représentation du corps et les savoirs de l’autre.
79Le corps est la source de malentendus entre les personnels soignants et les individus sans domicile. Il porte des sens pluriels qui génèrent des incompréhensions. Le malentendu naît de la multiplicité des pratiques et interprétations attenantes au corps qui, bien qu’individuelles, comportent une part sociale primordiale : la société s’y reflète. « Le corps métaphorise le social, et le social métaphorise le corps. Dans l’enceinte du corps, ce sont symboliquement des enjeux sociaux et culturels qui se déploient21. » Le corps renvoie bien entendu au physiologique et, par là, au pathologique : la santé et la maladie s’expriment dans le corps. La médecine ne dispose pas d’un savoir absolu, mais propose une conceptualisation parmi d’autres de la santé et de la maladie22, où le corps occupe une place centrale. Le chapitre suivant examine les malentendus existants entre médecins, infirmiers et soignés sans domicile ayant trait à leurs définitions et à leurs pratiques liées à la santé et à la maladie.
Notes de bas de page
1 Goffman Erving, Stigmate, op. cit.
2 Pichon Pascale, « Survivre la nuit et le jour. La préservation de soi face au circuit d’assistance », Politix, 9 (34), 1996, p. 178.
3 Véga Anne, « Les infirmières hospitalières françaises : l’ambiguïté et la prégnance des représentations professionnelles », Sciences sociales et santé, 15 (3), 1997, p. 120.
4 Goffman Erving, Stigmate, op. cit.
5 Pichon Pascale, « Vivre sans domicile fixe », art. cité, p. 27.
6 Weber Max, Économie et société : les catégories de la sociologie, Paris, Plon, 1995.
7 Dambuyant-Wargny Gisèle, Quand on n’a plus que son corps : soin et non-soin de soi en situation de précarité, Paris, Armand Colin, 2006, p. 107.
8 Geremek Bronisław, La potence ou la pitié, op. cit.
9 Weber Max, Économie et société, op. cit.
10 Cette dénomination est inspirée des travaux de Fassin Didier, « La supplique. Stratégies rhétoriques et constructions identitaires dans les demandes d’aide d’urgence », Annales. Histoire, sciences sociales, 55 (5), 2000, p. 955-981.
11 Benoist Yann, « Vivre dans la rue et se soigner », Sciences sociales et santé, 26 (3), 2008, p. 18.
12 Girola Claudia M., « Rencontrer des personnes sans abri. Une anthropologie réflexive », Politix, 9 (34), 1996, p. 94.
13 Fassin Didier, « La supplique. Stratégies rhétoriques et constructions identitaires dans les demandes d’aide d’urgence », art. cité, p. 961.
14 Castel Robert, Les métamorphoses de la question sociale, op. cit., p. 473.
15 Mauss Marcel, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 2010.
16 Fainzang Sylvie, « Du sens unique au sens interdit. Les malades et l’épreuve de la maladie », dans Benaroyo Lazare, Lefève Céline, Mino Jean-Christophe et al. (dir.), La philosophie du soin : éthique, médecine et société, Paris, PUF, 2010, p. 217.
17 Foucault Michel, Il faut défendre la société, Paris, Seuil, 1997, p. 225.
18 Canguilhem Georges, Le normal et le pathologique, Paris, PUF, 1972, p. 102.
19 Freidson Eliot, La profession médicale, Paris, Payot, 1984, p. 341.
20 Le Breton David, La sociologie du corps, Paris, PUF, 1992, p. 40.
21 Ibid., p. 87.
22 Foucault Michel, Naissance de la clinique, Paris, PUF, 2009, p. 1.
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