Chapitre III. Les patients sans-abri aux urgences de l’hôpital Grand-Est
p. 71-80
Texte intégral
1Une enquête épidémiologique révèle le profil social et sanitaire des patients sans-abri admis aux urgences de l’hôpital Grand-Est. Face aux différentes problématiques rencontrées, les soignants identifient des idéaux-types d’urgences imprégnés des normes professionnelles précédemment explorées.
Résultats de l’enquête quantitative
2Les résultats de l’enquête épidémiologique1 menée sur une période de trois mois, relèvent 108 admissions de patients sans-abri ont eu lieu, sur un total de 16209 admissions. Si les passages des patients sans-abri ne représentent que 0,66 % du nombre total des admissions, ces derniers sont réguliers et les urgences de l’hôpital Grand-Est accueillent en moyenne un patient sans-abri par jour.
Des admissions non participatives
3Les 108 admissions, sont le fait de 34 patients, 29 hommes et 5 femmes. On dénombre plus de 3 passages en moyenne par patient sans-abri au cours des trois mois d’enquête. Les patients sont principalement adressés aux urgences par les pompiers (47 % des admissions) ainsi que par la police (23 %). Les principaux contextes de recours des personnes sans-abri aux urgences sont l’intoxication éthylique (67 %) et l’examen administratif (CNH – certificat de non hospitalisation) sollicité par la police (23 %). En effet, suite à une interpellation pour ivresse publique manifeste (IPM), les autorités policières sollicitent les médecins urgentistes pour vérifier la compatibilité de l’état de santé de la personne avec une mesure de rétention dans un local de police ou dans une chambre de sûreté2 jusqu’à son complet dégrisement3. En somme, l’orientation des personnes sans-abri vers les urgences, est rarement du fait de leur initiative.
4Seules 7 % des admissions font suite à l’arrivée de patients qui se sont présentés d’eux-mêmes aux urgences. Ces éléments entrent en contradiction avec la moyenne nationale, puisque près des trois quarts des usagers qui sont admis aux urgences y arrivent directement aux urgences et par leurs propres moyens4. Cette différence s’explique par le fait que les patients sans-abri sont généralement admis en situation de crise. Après l’intoxication éthylique, les principaux motifs de recours sont les chutes, les douleurs (thoraciques, abdominales, des membres, etc.) les traumatismes crâniens, les malaises/vertiges, et les agressions/rixes.
5L’hypothermie, bien que fréquemment évoquée par les soignants, relève d’un contexte d’admission beaucoup plus rare. Seule une situation a été relevée lors de notre enquête qui pourtant a eu lieu en période hivernale. On constate ici une discordance entre les représentations des personnels et les données issues de l’étude des motifs d’admission. Sans doute le travail des dispositifs d’urgence sociale existants dans la ville permet-il d’éviter la dégradation des situations des sans-abri et de minorer les risques d’admission aux urgences pour une hypothermie sévère.
Des patients à distance de l’urgence vitale
6Le degré d’urgence, estimé à l’arrivée du patient sur la fiche de tri de l’IOA relève une majorité de situations d’urgences modérées, aucune prise en charge n’étant cotée très urgente ou immédiate.
Tableau 3. – Niveaux d’urgence des patients sans-abri à l’accueil.
Niveau 1 : prise en charge immédiate | 0 % |
Niveau 2 : Prise en charge très urgente | 0 % |
Niveau 3 : Prise en charge urgente | 73 % |
Niveau 4 : Prise en charge moins urgente | 25 % |
Niveau 5 : Prise en charge non urgente | 2 % |
7Les codages de Classification clinique des malades des urgences (CCMU) et de groupes d’étude multicentrique des services d’accueil (GEMSA) effectués à la sortie du service, confirment le faible degré d’urgence rencontré par les patients sans-abri. 77 % des admissions sont codées GEMSA 2 et concernent la situation de patients sortants « après consultation ou soins (petite chirurgie, consultation médicale… )5 ».
8Aucune situation d’urgence vitale (CCMU 5/GEMSA 6) n’a été relevée pendant la période d’enquête. Les praticiens interrogés confirment qu’elles sont relativement rares chez les patients sans-abri qui fréquentent les urgences de l’hôpital Grand-Est. À titre de comparaison, le service a enregistré un taux de GEMSA 6 de près de 19 % sur l’ensemble des cas de patients admis en 20116. Ces passages correspondent à des patients nécessitant une prise en charge thérapeutique immédiate importante (technique de réanimation) importante ou prolongée (surveillance médicale attentive pendant au moins une heure).
9Les sans-abri admis aux urgences de l’hôpital Grand-Est présentent donc un profil polypathologique et un état de santé dégradé lié à la fois aux souffrances psychiques (conduites addictives/épisodes dépressifs) et à l’insécurité (agressions/rixes) consubstantielles aux situations de grande précarité. Toutefois, les admissions généralement d’un degré de priorité modéré sur les échelles de cotation qui normalisent l’exercice de la médecine d’urgence.
10Il existe donc potentiellement un écart majeur entre d’un côté, le vécu de l’urgence par le patient sans-abri amené à l’hôpital en situation de crise et de l’autre, l’appréciation des soignants au regard des critères de triage. Suivant les protocoles, les situations de ces malades ne relèvent majoritairement que d’une urgence mineure ou modérée. Cet écart entre le soignant et le patient est également confirmé par le recensement des difficultés dans la prise en charge.
Tableau 4. – Détails des épisodes relatifs aux refus de soin et à la non coopération.
Commentaires – refus de soin et/ou non-coopération |
« Opposant à tous les soins. Refuse de se tourner pour changer le drap malgré explications (drap mouillé). Refuse qu’on lui change la chemise → refuse tout » |
« Refuse le brancard-douche malgré négociation ++ » |
« Refuse de se déshabiller pour se mettre en pyjama » |
« Refuse de voir psychiatre au service/propose RAD avec consultation au CMP (refusera lettre au CMP) » |
« Patient refuse les soins d’hygiène » |
« Hospitalisation en HDT7/patient a fugué/ramené par la sécurité/contention physique et chimique avant transfert X [centre hospitalier spécialisé en psychiatrie] » |
« Patient peu coopérant, réclame à tous les soins » |
« Patient peu coopérant. Refus de soins +++ » |
« Patient orienté par SAMU/retrouvé allongé sur le dos sur la voie publique, ayant perdu ses urines en état d’intoxication éthylique/Patient ne coopère pas/Agressif/ |
« Patient non coopérant à la prise des constantes, souhaite quitter l’hôpital. |
« Veut quitter l’établissement. Patient conscient et orienté. Ai proposé de passer la nuit ici au chaud + un repas : a refusé/Patient sorti : sortie prévue mais n’a pas attendu ses papiers de sortie » |
« Refuse le brancard-douche » |
« Déambule dans les couloirs/recadrage-explications/ne tient pas en place » |
« Patient agité ++ à son arrivée aux urgences/ne souhaite pas rester/accepte de dormir aux urgences après négociation avec le médecin senior » |
« Patient OH agité ++ lors de la PEC pompiers (a voulu casser une vitre du VSAV) → → intervention de la BAC → patient arrivé aux urgences menotté → prescription médicale de contention physique et chimique » |
« Patient refuse les soins » |
« Patient ne souhaite pas se déshabiller, injures, ne souhaite pas rester à l’hôpital » |
« Patient se lève ++/essaye à plusieurs reprises de boire de l’alcool modifié/alcool modifié retiré du box/ se rend dans le box du patient voisin/patient ingérable/explication et recadrage +++/patient a fugué à 4 h du matin/allo sécurité » |
« Refuse la douche/négociation +++/finit par accepter toilette au lavabo » |
« Patient impulsif, dans l’immédiateté/Demande de sevrage mais refuse hospitalisation/ |
« Patient refuse de répondre lors de l’examen CNH, Est agressif contre moi » |
« Patient qui prolifère des menaces contre le médecin/refuse l’interrogatoire et l’examen clinique » |
« Patient agressif à la stimulation qui le réveille » |
« Patient refuse l’examen clinique CNH/Patient remis à la police avec CNH + mention manuscrite nécessité nouvel examen si modification état de santé » |
« Patient alcoolisé, très agité, violent, nous menace avec un couteau puis menace l’IDE et moi-même/ |
Difficultés de communication, refus de soin et faux-motifs de consultation
1125 épisodes de refus de soin et de non coopération ont été relevés. Les détails sont présentés dans le tableau 4.
12Ces éléments s’expliquent aisément au regard des modalités d’entrée dans le service. L’admission aux urgences n’étant pas forcément souhaitée, elle peut s’avérer difficile à gérer, tant pour les patients, parfois non coopérants ou agressifs sous l’emprise d’alcool, que pour les soignants, confrontés à la difficulté de gestion de ces situations itératives. Leurs commentaires soulignent le temps nécessaire à la négociation, à l’explication des démarches de soin et la possibilité de contention dans les situations d’agressivité ou d’agitation. Les processus décisionnels au fondement de ces actions seront décrits plus en aval.
13Par ailleurs, sur un total de cent huit admissions, trois situations relevaient d’un faux motif de consultation invoqué par le patient pour rechercher un hébergement :
un patient invoquant des douleurs thoraciques à l’admission a ensuite avoué simuler ces douleurs pour rechercher « un endroit chaud où dormir » ;
un patient se plaignant initialement de douleurs et d’un contexte anxieux, a été hébergé aux urgences à la suite d’un refus de prise en charge en foyer : le patient s’y était présenté « en retard », après avoir dépassé l’heure d’attribution des places d’hébergement ;
et enfin une patiente invoquant initialement des vertiges, a souhaité rencontrer l’assistante sociale pour une recherche d’hébergement et a révélé l’absence de motif médical de recours.
14Pour ces trois patients, les praticiens ont respectivement résumé leur décision en notant sur le questionnaire : « OK pour la nuit », « on le laisse dormir tranquille cette nuit, il sort demain » et « patiente en salle d’attente et verra l’assistante sociale du service demain matin ». Enfin, une patiente a été admise pour des raisons d’organisation. Après une consultation en médecine interne, un diabète insipide a été découvert chez cette personne et testé en hôpital de jour. Du fait de l’absence de place disponible dans l’immédiat, elle n’a pu être admise directement en médecine interne. N’ayant pas de logement, la patiente a alors passé la nuit aux urgences pour « hébergement » en attente de son admission le lendemain dans le service de spécialité.
Sortie des urgences
15Les durées moyennes de séjours aux urgences sont de 18 heures. Par ordre décroissant, les solutions de sortie des urgences sont le retour en foyer (36 %), le retour « à la rue » (28 %), la prise en charge en cellule de dégrisement à la suite d’un certificat de non hospitalisation (20 %), et l’hospitalisation (15 %). La sortie en ambulatoire est donc nettement majoritaire. Le taux d’hospitalisation (15 %) est inférieur à celui de la population générale admise aux urgences au cours de la même année (21 %). L’item « retour en foyer » a été relevé lorsque le patient disposait d’un lieu d’hébergement à la sortie des urgences. Toutefois, il n’implique pas l’effectivité du retour au foyer immédiatement après les urgences. L’exploitation des questionnaires a permis de reconstituer le parcours de patients hébergés, qui après être sortis de l’un des deux services d’urgences, ont présenté une intoxication éthylique aiguë sur la voie publique conduisant à leur ré-admission aux urgences dans les heures suivantes. Excepté une situation de transfert externe, les patients hospitalisés à la sortie des urgences ont tous été transférés au sein de l’hôpital Grand-Est. 4 patients ont été adressés en unité post-urgence8, 3 en médecine interne, 2 en traumatologie et 6 dans divers autres services (cardiologie, maxillo-faciale, gastro-entérologie, etc.). Le transfert externe concerne un patient hospitalisé sous contrainte en centre hospitalier spécialisé de psychiatrie.
Deux profils-types de patients
16Les données quantitatives permettent de distinguer deux profils-types de patients sans-abri, selon la présence ou non de conduite addictive. D’un côté, les patients sans-abri présentant une addiction à l’alcool tendent à manifester des admissions itératives aux urgences suite aux intoxications éthyliques aiguës. D’un autre côté, les patients exempts d’addiction sont plus souvent admis de manière occasionnelle pour des problématiques diverses (malaise, plaie, traumatisme, etc.).
17Le premier profil qui représente près des deux tiers de la population est largement majoritaire sur le nombre total d’admissions du fait de l’itérativité des passages. Il s’agit du public le plus visible désigné par les personnels comme « les habitués des urgences ». Cette expression est significative de la tendance des professionnels à relever la contradiction entre la vocation ponctuelle du soin en urgence et les admissions itératives des malades alcooliques sans-abri.
18Ce premier groupe est majoritairement composé d’hommes alcoolo-dépendants qui bénéficient d’une place d’hébergement permanent dans le cadre des initiatives prises par la municipalité et les associations gestionnaires de foyer. Paradoxalement, les patients possédant un hébergement permanent sont ainsi parmi ceux qui sont admis le plus fréquemment aux urgences (cinq admissions en moyenne contre 2 pour les personnes non hébergées). Cette situation peut s’expliquer par le fait que les personnes qui se sont vues attribuer ces places ont été sélectionnées parmi les sans-abri les plus vulnérables (à la rue de longue date et/ou présentant des conduites addictives ou d’autres problématiques de santé). Toutefois, cette relation est peu significative statistiquement (p = 5 %). Elle doit également être nuancée par les témoignages des professionnels qui constatent que pour d’autres individus, la possibilité d’un hébergement permanent a significativement réduit le nombre de leur passage aux urgences. Seule une petite frange de ces résidents permanents se trouve encore régulièrement en état d’ivresse sur la voie publique et fait ainsi l’objet d’admissions itératives aux urgences, après y avoir été orientée par la police ou les pompiers. Pour illustrer la situation des personnes incluses dans ce groupe, on peut évoquer la situation de monsieur B. Âgé de 49 ans, il bénéficie d’une allocation adulte handicapée, d’un hébergement permanent et d’une mesure d’accompagnement social personnalisée. Il présente une psychose, suivie par le CMP et des conduites addictives à l’alcool. Lors de ses épisodes d’alcoolisation aiguë, il a tendance à manifester des épisodes dépressifs et des idées noires. Il a été admis à 12 reprises aux urgences au cours de la période de l’enquête, amené par les forces de l’ordre ou les pompiers, en état d’ébriété.
19Le second groupe de population non alcoolo-dépendant (n = 13), est admis aux urgences dans le cadre d’un passage inopiné. Cette cohorte plus jeune, comprend davantage de femmes (n = 4 versus 1 dans le premier groupe) et 6 personnes demandeuses d’asile (versus 0 dans le premier groupe), dont 3 ont été admis aux urgences moins de cinq jours après leur entrée en France. La situation de madame E. relève du second groupe. De nationalité géorgienne, elle est arrivée en France le matin même, après 4 jours de bus, en compagnie de sa mère. Les deux femmes se sont rendues à la préfecture pour déposer une demande d’asile, mais la patiente, épileptique connue, a manifesté une crise convulsive. Les services de la préfecture ont alors appelé le SAMU qui a orienté la patiente aux urgences, où elle a bénéficié d’un bilan somatique et d’une consultation médicale.
Les idéaux types de l’urgence
20Au-delà de ces deux profils-types différents, les soignants distinguent quatre idéaux-types d’urgence repérés dans leurs interactions auprès des sans-abri. L’analyse du discours des professionnels permet ainsi de compléter les données quantitatives. Elle révèle que l’urgence est reconnue et priorisée différemment selon l’idéal-type d’appartenance.
21La priorité maximale accordée au traitement de l’urgence vitale, est légitimée par l’institution et la formation des personnels. Les urgences vitales sont qualifiées « d’urgence vraie ». Le risque vital peut être direct ou indirect : il peut être diagnostiqué immédiatement dès le départ de la prise en charge ou repéré comme potentiellement existant. Dans ce cas, l’urgence vitale peut intégrer l’urgence immédiate. Celle-ci est aussi qualifiée « d’urgence vraie ». Elle désigne les situations où la mobilisation des compétences du plateau technique des urgences est nécessaire immédiatement. Le pronostic vital peut être mis en jeu, ou l’état (lésionnel ou fonctionnel) du patient est susceptible de s’aggraver. Il convient de mettre en œuvre dans l’immédiat des actes complémentaires, diagnostiques ou thérapeutiques.
22À l’inverse de ces urgences immédiates et vitales, les professionnels qualifient de non-urgence, les recours liés aux problématiques médicales légères, susceptibles de relever de la médecine de ville. Il s’agit par exemple de petites plaies, d’infections localisées, d’angines, etc. Cette urgence est globalement peu appréciée des professionnels. Il ne s’agit pas pour eux, du rôle premier des urgences hospitalières, contrairement aux deux situations précédentes.
« L’urgence, la vraie urgence c’est quand il y a un risque vital. Un arrêt cardiaque, un polytraumatisé, tout ce qui touche ou pourrait toucher les fonctions vitales, ça c’est le cœur de notre métier. L’urgence vitale c’est identifié cliniquement, de manière bien précise. C’est la vocation première des urgences. Maintenant la bobologie, on en a aussi, mais ce n’est pas notre mission première » .
entretien Pierre9, médecin
23Ce témoignage montre très clairement l’échelle des priorités adossée au degré d’engagement du pronostic vital. De manière générale, les praticiens urgentistes utilisent le terme de « bobologie » pour désigner avec quelque dédain ou détachement, ces pathologies bénignes qui relèvent de la consultation non programmée.
24Enfin, l’urgence « ressentie » est une autre forme d’urgence identifiée par les professionnels. Dans leur discours, elle désigne essentiellement l’urgence invoquée par le patient et est souvent opposée à l’urgence dite objective. Elle peut revêtir, par exemple, la forme d’une anxiété jugée démesurée par rapport à une pathologie bénigne ou à une absence de pathologie.
« Je me souviens d’une patiente qui venait d’arriver en France. Elle espérait trouver un hébergement et il n’y avait pas de place disponible. Devant le foyer, elle a fait un malaise vagal. Ce n’était pas symptomatique. Il y avait une sensation de palpitation liée à l’anxiété, mais sans trouble du rythme réel. Ça c’était vraiment une urgence ressentie. Au niveau médical, il n’y avait rien » .
entretien Marie, médecin
25Dans cet extrait d’entretien, l’urgence ressentie intègre l’urgence sociale, qui est la dernière forme d’urgence identifiée par les professionnels. Cette urgence peut revêtir trois aspects. En premier lieu, elle recouvre les demandes concernant les prestations secondaires offertes en secteur hospitalier, telles l’hébergement, la nourriture ou la boisson. En second lieu, les professionnels témoignent de l’existence d’une forme de veille médico-sociale. Par exemple, les urgences sont amenées à jouer, par défaut, le rôle de « médecin traitant » pour quelques patients sans-abri ne bénéficiant pas d’autres formes de suivi médical. Enfin, il existe en troisième lieu, une « intervention sociale » au sens du travail social. Elle concerne les démarches de couverture sociale, de protection des personnes, la recherche d’hébergement via le 115, etc. L’ensemble des aspects sociaux peuvent être gérés directement aux urgences ou sur orientation. Ils peuvent être l’affaire de professionnels spécialisés, comme l’assistante sociale hospitalière, mais aussi de l’ensemble de l’équipe du service (médecins, infirmiers, agents d’accueil, etc.).
26Ces différents angles d’approche de l’urgence ne sont pas spécifiques à l’interaction avec les patients sans-abri. Les travaux d’Agnès Camus et de Nicolas Dodier10 démontrent qu’ils peuvent s’élargir à bon nombre de situations rencontrées. Les professionnels interviewés soulignent l’importance de prendre en compte toute forme d’urgence. Mais ils insistent sur le fait que le rôle principal des services hospitaliers d’urgences est le traitement des urgences immédiates et/ ou vitales. Les autres types d’urgences sont souvent qualifiés d’annexes, d’accessoires et leur prise en charge est appréhendée comme une fonction secondaire du service.
27Dans certains témoignages, la prise en charge des urgences dites secondaires est valorisée au titre de l’accueil universel du service public hospitalier. En outre, les professionnels soulignent que l’attention à la problématique sociale du patient varie en fonction de la « fibre sociale » propre à chaque soignant. Mais plus généralement, la fonction secondaire qui consiste à traiter les urgences sociales, les problèmes médicaux légers et l’urgence ressentie est abordée avec méfiance, tant elle est soupçonnée d’encombrer le service et de constituer une gêne à la prise en charge optimale des urgences vraies. Le patient sans-abri, dont le profil s’inscrit le plus souvent en distance à l’urgence vraie, apparaît d’emblée peu mobilisateur. Mais dans ce schéma, élaboré sur la base de l’analyse du discours des professionnels, les modalités concrètes de gestion des priorités et leur relativité selon les différents corps professionnels demeurent encore floues. L’étude empirique de situations concrètes permet de compléter ces premiers résultats.
Notes de bas de page
1 Pour d’avantage de précisions quant à l’épidémiologie des patients voir : Wolff V., La grande précarité au rythme de l’urgence : Mobilisation du personnel autour du patient sans-abri en service hospitalier d’urgences, op. cit., p. 149-163.
2 Code de la santé publique, article L3341-1.
3 Pour plus de précision sur ce sujet voir Sureau C. et al., « L’ivresse éthylique aiguë dans les services d’accueil des urgences », Actualisation 2006 de la seconde conférence de consensus 1992, SFMU/Commission de veille scientifique, 2006.
4 Carrasco V. et Baubeau D., Les usagers des urgences, op. cit.
5 Codification « GEMSA 2 ».
6 ARS, PRS – PSRS : État des lieux, op. cit., p. 243.
7 Le sigle HDT désigne une hospitalisation sous contrainte à la demande d’un tiers. Bien que le sigle soit obsolète, il est encore régulièrement utilisé par les professionnels de santé pour désigner une « admission en soins psychiatriques à la demande d’un tiers » conformément à la réforme de la loi relative aux soins psychiatrique (loi no 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge).
8 Régulièrement ouverte à l’hôpital Grand-Est en période hivernale depuis 2008, l’unité post-urgence vise à répondre à l’insuffisance périodique de lits d’aval. Son ouverture est prononcée sur décision de la direction de l’établissement et la coordination est confiée à un service de spécialité (médecine interne le plus souvent). La vocation de cette unité est d’accueillir tous types de patients provenant exclusivement des urgences, pour une période maximale de 72 h. L’objectif est de profiter de cette période pour affiner au mieux les diagnostics et l’orientation des patients (retour au domicile, transfert dans les unités de soins spécialisés de l’hôpital Grand-Est ou transfert vers d’autres établissements sanitaires ou médico-sociaux). En période de crise, la mise en place de cette unité permet d’optimiser la gestion des flux des patients.
9 Pour respecter l’anonymat des interviewés, leur prénom est remplacé un prénom de leur choix.
10 Camus A. et Dodier N., L’intérêt pour les patients à l’entrée de l’hôpital…, op. cit.
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