Chapitre VI. L’entrée dans l’artisanat
p. 155-180
Texte intégral
1La première étape du parcours professionnel d’un artisan consiste à apprendre son métier. Comme je l’ai évoqué, cet apprentissage porte sur l’intériorisation de règles et de normes (niveau social), sur l’acquisition d’un habitus (niveau psychologique) et sur un apprentissage corporel (niveau biologique). Ce processus de constitution du capital corporel est une première étape par laquelle passent tous les artisans. Je dispose de données parcellaires sur les débuts du parcours professionnel des artisans enquêtés puisqu’ils ont tous dépassé ce stade au moment de l’enquête. La période d’apprentissage est donc décrite à partir du récit qu’ils en font, ce qui constitue un biais dans la mesure où le recours aux souvenirs décrit souvent une situation antérieure en la comparant à la situation actuelle. D’autres données basées sur l’observation participante et sur ma propre expérience du travail artisanal viennent étayer l’argumentation.
2La transformation du corps qui s’opère par le travail ne se fait pas sans mal, elle est douloureuse. Durant cette phase d’apprentissage, la pénibilité du travail est considérée positivement dans la mesure où elle est associée à un progrès dans la maîtrise des techniques et à un renforcement du corps. La pénibilité du travail n’implique pas de pénibilité au travail (Teiger, 1989). Pendant cette période, il est admis que la douleur fasse partie du processus d’apprentissage, ce qu’indique bien l’expression mille fois entendue lorqu’un jeune se blesse ou se fait mal : « C’est le métier qui rentre ! » La socialisation passe entre autres par le corps, et les futurs artisans acceptent volontiers que leur travail le transforme.
« C’est le métier qui rentre ! », l’acquisition d’une culture somatique
3Lorsque j’ai enquêté sur la pratique contemporaine du métier de forgeron, j’ai observé que les jeunes doivent apprendre à supporter les petites brûlures sans s’interrompre de forger. Lors du forgeage, de petites écailles de métal oxydé1 se détachent du fer rouge et atterrissent sur les mains. En réaction à la brûlure, le premier réflexe est de retirer la main. Puis, les jeunes forgerons apprennent progressivement à dominer ce réflexe. La douleur ne disparaît pas, mais le corps apprend qu’elle est brève et sans conséquence grave. Cette capacité à se brûler sans interrompre le travail donne un sens à une phrase qu’on entend souvent : « un forgeron qui ne se brûle pas, c’est pas un forgeron ». Les traces laissées par le travail sur les mains sont un des nombreux signes visibles de l’appartenance au métier. La résistance de la main à la chaleur en est un autre. Pour en faire la démonstration tout en mettant à l’épreuve la résistance d’autrui, de jeunes forgerons s’amusent quelquefois à passer à leur voisin un lingot de fer chaud. Ils prennent dans leur main le lingot chauffé à la limite de ce qu’ils peuvent supporter, puis demandent à leur victime de le tenir un instant et le déposent dans sa main. En général, la surprise est telle que la personne sursaute et laisse tomber le lingot, mais il peut arriver qu’elle résiste et le passe à son tour à quelqu’un d’autre. Outre la résistance à la chaleur qui augmente avec la pratique, ce jeu teste aussi la résistance à la douleur qui est interprétée comme un signe de virilité. Il y a également un aspect technique qui entre en jeu dans la manière de tenir le lingot (en le déplaçant dans la main et en exerçant dessus le minimum de pression) qui s’apprend au fil du temps. Ce jeu crée collectivement un sentiment d’appartenance à un groupe qui se distingue des autres par ses capacités à réaliser des « prouesses » inaccessibles au commun des mortels, grâce à la maîtrise d’un corps façonné par le travail.
4La volonté de prouver aux autres et à soi-même qu’on se situe à l’intérieur du groupe peut prendre d’autres formes. Beaucoup de jeunes forgerons travaillent sans mesurer leurs efforts. Leur pratique est un défoulement, un déchaînement qui va à l’encontre de l’économie d’énergie qui prévaut chez les plus âgés. On les voit fréquemment battre un fer qui est trop bas en température ou manier des marteaux d’un poids démesuré. Ils font ainsi la démonstration de leur force physique. Cette attitude ostentatoire est une manière de montrer qu’on a fait ses preuves, même si elle est en définitive un signe d’inexpérience.
5Durant ce premier stade, une certaine intrépidité liée au jeune âge est associée à la conscience de disposer d’une force physique qui est optimale.
« T’es fort et jeune, rien ne te fait peur. Puis t’es costaud, tu te sens costaud et tu l’es »
Patrick, 45 ans, réparateur en engins de BTP, homme de métier.
« Quand on est jeune, c’est là qu’on fait le con. On se sent capable de tout, on veut tout soulever soi-même, on veut tout faire. C’est une belle connerie parce qu’il y a plein d’engins pour nous aider, et puis en fin de compte on paye ça plus tard. Moi à cinquante ans, ben j’avais trois vertèbres d’écrasées… Tout ça à force de faire le con. Là, on gagne à tous les coups hein ! »
Serge, 58 ans, sculpteur, artisan créateur.
6Lorsque j’étais moi-même un jeune forgeron, les courbatures que je ressentais après une journée de travail étaient un motif de satisfaction. Elles me montraient que je m’étais adonné à mon travail sans aucune réserve. Avoir fait de mon mieux et de toutes mes forces comptait plus que de savoir si ce que j’avais fabriqué en valait la peine. Si mes mains étaient gonflées et mes bras endoloris, c’était là le signe que j’avais endurci mon corps, et qu’il devenait ainsi plus fort de jour en jour.
Les hommes de métier : apprendre à « ne pas trop s’écouter »
7Dans sa thèse sur l’enseignement en lycée professionnel, Pascal Guibert montre que l’apprentissage de la culture somatique propre à chaque métier a plusieurs facettes (Guibert, 1992). Il consiste à accepter que le corps soit meurtri par le travail et, en inversant ces stigmates, à en faire une marque d’appartenance à un groupe professionnel. Il s’agit aussi d’apprendre à côtoyer le danger, à poser des limites à l’engagement du corps afin de préserver son intégrité pour ne pas compromettre ses capacités productives. Il s’agit de trouver « un équilibre entre une prise de risque suffisante pour que le corps soit productif (sinon c’est la mise à l’écart du groupe) et une économie du corps qui permette durablement son utilisation » (idem : 271).
8Une fois cette configuration physique et psychologique bien établie, elle donne une plus grande efficacité pour effectuer le travail dans lequel un individu s’est spécialisé.
« Quand on a une meule (machine électroportative) de deux kilo-cinq dans la main toute la journée, je pense que… au début on est obligé de la lâcher toutes les 10 minutes parce qu’on a mal au bras mais, au bout de 10 ans, on ne la lâche plus, la machine »
Franck, métallier, 33 ans, deux salariés.
9Si certains jeunes consentent à réaliser un travail pénible, beaucoup refusent de s’y soumettre et changent d’activité à la recherche d’un métier moins physique. Si on prend le cas du BTP, on voit que ce secteur peine à retenir les jeunes qui y travaillent (Chassaing, 2013). Néanmoins, une étude sur les jeunes salariés de 16 à 21 ans du BTP permet de mettre en rapport la perception de la pénibilité et la satisfaction au travail (Fondation BTP+, 20102). Alors que 61,7 % d’entre eux se sentent fatigués le soir et que 35,2 % souffrent du dos souvent ou très souvent, ils déclarent pourtant que leur état de santé est bon ou très bon à 88,4 %. Ils justifient leur image positive du BTP en invoquant en premier lieu l’appartenance à un métier (39,5 %) et le courage nécessaire pour l’exercer (24,3 %). La pénibilité du travail n’est pas perçue comme une dégradation de la condition physique. Elle est acceptée au nom de valeurs qui permettent de la transcender.
10La résistance à la douleur est valorisée dans ce processus de construction du corps qui est aussi celui d’une identité professionnelle où les capacités physiques de résistance et d’endurance deviennent des qualités morales. Un certain mépris du corps, ou tout au moins des sensations morbides qu’il manifeste, est une disposition durablement acquise lors de l’apprentissage d’un métier manuel.
Les créateurs : le travail comme outil de développement personnel
11Le passage par le type de socialisation qui vient d’être décrite, et qu’on peut qualifier de socialisation ouvrière, ne concerne pas tous les artisans enquêtés. Le parcours des hommes de métier est peu ou prou conforme à ce qui a été dit mais la majorité des artisans créateurs n’ont pas suivi cette filière. Ils n’ont pas été précocement habitués à considérer la résistance à la douleur comme une qualité morale, ni à faire de leur corps le premier outil du métier. Leur rapport au travail et à ses aspects manuels est différent de celui des hommes de métier.
12Dans ce groupe, l’apprentissage d’un métier artisanal n’est pas réalisé en formation initiale. Il intervient plus tardivement, après des études supérieures ou à la suite d’autres expériences professionnelles dans le salariat (Jourdain, 2014). La formation au métier n’est pas forcément validée par un diplôme. Elle peut être réalisée sous forme de stage auprès de professionnels ou lors d’une formation professionnelle pour adultes3. Elle peut aussi s’établir sur un mode électif, dans une relation personnelle et privilégiée avec un ancien du métier qui peut se poursuivre durant de nombreuses années (Bajard et Perrenoud, 2013 ; Crasset, 2010).
13Par exemple, depuis les années 1990, la formation des jeunes forgerons créateurs passe souvent par le biais d’associations où des néo-artisans issus de la vague des années 1970 dispensent leur savoir à la génération suivante. Arrivés en fin de carrière, ils sont impliqués dans des réseaux où ils font figure de « maîtres ». Après avoir collecté des savoirs menacés de disparition, ils souhaitent transmettre à leur tour le métier en insistant sur le caractère traditionnel des techniques. Ils privilégient le travail réalisé à l’aide d’outils manuels plutôt qu’électriques. La sacralisation du travail « fait à la main » peut aboutir dans certains cas à davantage d’exposition à la pénibilité. J’ai pu le constater dans un atelier où le maître des lieux exige de ses apprentis qu’ils utilisent un soufflet actionné à la main. Or, l’usage d’une soufflerie électrique permet de reposer l’épaule pendant que le fer chauffe alors que le soufflet manuel la garde en action.
14De par la multiplicité des voies empruntées par les futurs artisans créateurs, la qualité de leur apprentissage est très variable du point de vue technique. Perrenoud (2008) cite le cas d’artisans créateurs qui ont suivi la filière du compagnonnage, techniquement et symboliquement au sommet de la hiérarchie artisanale, mais on rencontre aussi des personnes entièrement autodidactes.
15La majorité des artisans créateurs que j’ai observés exercent un artisanat de production, c’est-à-dire qu’ils fabriquent des objets4. Dans cette population, l’intérêt pour le travail manuel valorise souvent – de manière assez paradoxale – ses aspects les plus intellectuels. On trouve un exemple de cette approche intellectualisante du travail manuel dans L’éloge du carburateur, récit autobiographique de la reconversion d’un consultant en entreprise au métier de réparateur de motos (Crawford, 2010). Dans cet ouvrage, le premier chapitre est un « plaidoyer pour les arts mécaniques » qui célèbre « les bénéfices psychiques du travail manuel » et ses « exigences cognitives ». Mais si le travail manuel est au centre des préoccupations de l’auteur, le corps physique du travailleur en est absent.
« J’ai toujours éprouvé un sentiment de créativité et de compétence beaucoup plus aigu dans l’exercice d’une tâche manuelle que dans bien des emplois officiellement définis comme “travail intellectuel”. Plus étonnant encore, j’ai souvent eu la sensation que le travail manuel était plus captivant d’un point de vue intellectuel »
Crawford, 2010 : 11.
16Du point de vue des artisans créateurs, le travail manuel, au sens de travail fait à la main par opposition à celui fait en recourant à une machine, est valorisé du fait qu’il crée un rapport intime entre l’homme et son œuvre. Celui-ci passe par le contact entre la main et la matière. Le travail d’un matériau brut est pensé comme un mode de connaissance de soi-même, une manière d’introspection où l’objet fabriqué est à l’image de son fabricant. Ainsi, progresser dans son travail, c’est travailler à sa propre amélioration. C’est un principe que l’on retrouve dans des approches spéculatives et philosophiques du travail manuel où l’apprenti est identifié à une pierre brute qui doit être taillée. La figure du compagnon bâtisseur de cathédrale incarne ce modèle de l’artisan sage et philosophe.
17Ce rapport des artisans créateurs au travail manuel est donc philosophique, mais pas uniquement. Cette approche se double d’un rapport intime avec leur œuvre. De leur point de vue, l’emploi de procédés techniques ne doit pas instaurer de coupure entre l’artisan et le matériau qu’il façonne. C’est pourquoi le travail à la main est privilégié par rapport à l’emploi de machines.
18De cette approche du travail manuel résulte une manière d’appréhender la pénibilité qui diffère de celle des hommes de métier. Chez les artisans créateurs, la pénibilité est considérée comme un mal nécessaire, un prix à payer pour garder sa liberté ou pour réaliser de la « belle ouvrage ». Elle n’est pas valorisée comme un gage d’appartenance au métier ou à un collectif de travail, comme c’est le cas chez les hommes de métier.
19Dans cet extrait d’entretien, David, artisan créateur, explique comment il appréhende le travail répétitif et inconfortable qui consiste à réaliser un pont de bateau en teck5.
« Prenons cet exemple-là, sur un 12 mètres, c’était un bateau avec un pont assez important. […] Je crois que j’avais 20 m2 [de pont] à faire. Tu remets ça à l’échelle d’un menuisier qui pose un parquet, c’est fait en une demi-journée. […] Et bien moi, ça m’a pris un mois et demi de faire 20 m2 de pont que j’ai vendu 18000 euros […] c’est te dire que la charpente navale n’est pas un sport de pauvre. En fait, tu passes plusieurs jours à décaper l’ancien pont, à arracher, à faire ce que tu peux en essayant de sauver ce qu’il y a en dessous, préparer ta surface, et après tu prends ton bois, tu prépares chaque pièce, tu la colles, c’est très fastidieux. Donc le faire n’est pas très plaisant. Comme je te l’avais dit une fois, c’est une succession de trucs chiants à faire : décaper un pont ancien c’est chiant, nettoyer c’est chiant, poncer c’est chiant, être à genoux pendant trois semaines pour coller des lattes toutes pareilles, c’est chiant. Sauf que chaque soir, quand tu regardes ce que tu as fait, c’est beau. Voilà. Et que quand c’est fini, c’est vrai que c’est classe. Donc finalement, la satisfaction elle est vraiment dans l’aspect fini des choses, mais […] c’est une accumulation de trucs pénibles et, en ça, tu dois poser ton cerveau. Des fois le matin, quand tu démarres, tu sais très bien ce qui t’attend de la journée, ça va être une journée entière de collage, tu vas t’en foutre plein les pattes et le soir tu auras fait deux mètres carrés. C’est pas très plaisant. Mais tu sais que tu es en train de faire quelque chose de beau donc tu dois à chaque moment être pointilleux au millimètre près, tu dois jamais lâcher le perfectionnisme que ça demande, c’est ça qui te tient, c’est ça qui est intéressant »
David, charpentier de marine, artisan créateur, sans salarié.
20Comme David le souligne d’emblée, ce chantier est bien rémunérateur et cet aspect justifie en partie de l’avoir accepté. Il est alors confronté à une tâche qui est à la fois très qualifiée (il faut être pointilleux, travailler au millimètre près, ne pas lâcher le perfectionnisme) et en même temps pénible, répétitive et sans intérêt (une succession de trucs chiants à faire). Face à cette situation comparable d’un point de vue technique à celle d’un menuisier qui pose un parquet, des considérations esthétiques et le fait de réaliser un travail d’exception permettent de dépasser les difficultés, de justifier la pénibilité du travail par un résultat qui vaut la peine qu’on s’est donnée. Les propriétés sociales de la clientèle et la qualité du résultat attendu justifient de faire passer le confort de travail au second plan.
21Un engagement physique important impliquant des conséquences néfastes pour la santé peut se dérouler sur le mode d’une consumation justifiée par la vocation artistique. C’est la manière dont Jules, tailleur de pierre, justifie son choix de la sculpture : « Si je me détruisais, c’était vraiment sur la sculpture et pas sur autre chose. »
22Chez certains artisans créateurs, la pénibilité ressentie durant l’apprentissage et les expériences de travail préalables à l’indépendance est considérée comme provisoire, c’est un passage obligé pour débuter. Par exemple, lorsque l’apprentissage se déroule auprès d’un ancien du métier, il faut montrer une détermination suffisante pour justifier l’investissement en temps accordé par le maître. Prendre en charge des tâches pénibles est aussi une manière de se rendre immédiatement productif. L’apprenti étant redevable au maître de ce qu’il apprend, son engagement physique est la contrepartie de cet apprentissage en même temps que la démonstration de sa motivation.
23Les règles qui régissent la culture somatique diffèrent dans les deux groupes. « L’intérêt et l’attention que les individus portent à leur corps, c’est-à-dire, d’une part à leur apparence physique, plaisante ou déplaisante, d’autre part, à leurs sensations physiques, de plaisir ou de déplaisir, croît à mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie sociale » (Boltanski, 1971 : 217). Hommes de métier et artisans créateurs se différencient dans leur rapport au travail et au corps par le fait que « s’écouter » est censuré chez les hommes de métier alors que chez les créateurs, c’est une qualité qui est valorisée, y compris dans le travail (voir encadré 13). Les créateurs sont aussi intégrés moins précocement à un collectif de travail qui leur impose de telles normes en la matière.
Encadré 13. – Qu’est-ce qu’un beau travail ? L’esthétique des hommes de métier et des artisans créateurs
La sensibilité esthétique et la notion du travail bien fait varient beaucoup dans les deux groupes étudiés. Ces différences sont révélatrices de leur rapport au travail manuel. À l’inverse des créateurs qui tiennent un discours très construit sur leur démarche esthétique, les hommes de métier sont peu diserts à ce sujet. Ils délivrent toutefois des informations lorsqu’ils expriment leur satisfaction ou leur réprobation en commentant leur travail ou celui d’autrui. À ce propos, le récit d’un chantier de construction est un témoignage éclairant6. Les futurs habitants de la maison, un couple d’enseignants, ont fait établir les plans d’une maison atypique par leur architecte7. Une rencontre a lieu avec l’artisan chargé de réaliser l’enduit de la façade. À cette occasion, ils lui expliquent ce qu’ils souhaitent, à savoir un enduit de type traditionnel, fait à la main, « avec des creux et des bosses, où on voit les traces d’outils et du passage de la main, avec des effets de matière. Enfin pas trop non plus, on voulait que ça reste naturel ». Ils souhaitent que l’enduit ne soit pas tiré (lissé) à la règle mais plutôt réalisé à la taloche, outil de plus petite dimension qui devrait laisser des traces. L’artisan se plie à leurs desiderata et propose même de ne pas poser de baguettes en plastique sur les arêtes des murs, comme il a l’habitude de le faire, afin d’accentuer le caractère « traditionnel » de son travail. Mais lorsque l’équipe démarre le chantier, les propriétaires interrompent le travail car le mur est trop lisse. « Le type travaillait tellement bien que même sans règle c’était tout droit. » Ils insistent alors pour qu’il y ait davantage de creux et de bosses. L’équipe se remet au travail et finit par produire un résultat plus irrégulier, mais encore en dessous de ce qui est attendu. À la fin du chantier, l’enduiseur commente son travail en disant : « Vous allez être content, je ne pouvais pas faire pire. » De son point de vue, il s’est plié à la demande d’un client farfelu qui a insisté pour qu’il réalise un mauvais travail. L’artisan maîtrisait assez bien sa technique pour « faire pire », mais son éthique, et probablement le fait de savoir que son travail serait vu et commenté, l’empêchaient de le faire. Le client reste étonné que tant de bonne volonté mène à un résultat si éloigné de ce qu’il attendait. Ce client aurait probablement été plus satisfait par un artisan créateur que par cet homme de métier. Un créateur aurait présenté une certaine homologie culturelle avec lui et aurait mieux compris ce qu’il souhaitait. Il aurait probablement produit un discours sur les vertus des enduits à la chaux, leur caractère écologique, et les « effets de matière » qu’ils permettent. En somme, on peut aussi classer les artisans selon le type de clientèle avec laquelle ils s’accordent.
Ce que révèle cette situation, ce sont deux manières de considérer le travail. Les hommes de métier souhaitent que leur travail soit « propre, net et sans bavure ». Ils aiment la régularité des surfaces, la planéité. Ne rien laisser au hasard, ne pas laisser le matériau « faire ce qu’il veut », c’est de cette manière qu’on montre sa maîtrise du métier. L’usage de machines est privilégié car il accentue cette régularité. Travailler, c’est imposer sa volonté à un matériau. Une fois celui-ci maîtrisé, sa rectitude fait oublier qu’il a été façonné. Le travail est un acte orthopédique qui dompte un matériau qui est par nature chaotique.
À l’inverse, le travail des créateurs est basé sur une exploration de la matière, sur la singularité de formes qui apparaissent en cours de travail et qui n’étaient pas forcément attendues. Le matériau est donné à voir pour lui-même. À sa rugosité et son irrégularité sont prêtées la qualité d’être « naturelles », dans une version revisitée du style rustique, à la fois plus écologique et moins nostalgique. Le travail à la main, marque de distinction dans un monde d’objets standardisés, doit rester visible et témoigner de la singularité de l’œuvre, mais sans ostentation (« pas trop non plus, on voulait que ça reste naturel »). Le travail consiste à révéler les qualités intrinsèques d’un matériau qu’il faut laisser s’exprimer.
Ces deux approches du matériau indiquent un rapport différent au travail qui repose dans un cas sur la capacité à dominer un matériau, à remplacer le chaos par l’ordre et, dans l’autre cas, à se mettre à guetter ce que la nature du matériau va révéler. Il s’agit dans un cas d’imposer sa volonté au matériau par la contrainte dans un rapport agonistique et, dans l’autre, d’être à l’écoute du matériau et de soi-même.
24Il ne faudrait pas conclure hâtivement de ce qui précède que les créateurs pratiquent leur travail sur un mode récréatif et qu’ils seraient rétifs à tout effort physique soutenu. L’engagement physique dans le travail peut être très important pour cette catégorie d’artisans. Les créateurs acceptent la pénibilité en raison du caractère exceptionnel du travail qu’ils réalisent et qui répond à ce qu’ils considèrent comme étant leur vocation, parce qu’ils souhaitent répondre aux attentes de leur mentor, ou encore parce que leur éthique les pousse à travailler avec des outils manuels. Dans les deux catégories, les futurs artisans sont prêts à faire passer leur confort au second plan pour accéder à l’indépendance. C’est surtout le registre de justification qui diffère et qui est à l’image de leur rapport au travail.
L’accès à l’indépendance
25C’est en accédant à l’indépendance qu’un individu rejoint le groupe des artisans au sens où je l’ai défini. C’est le moment à partir duquel les deux populations de mon échantillon (artisans créateurs et hommes de métier) commencent à partager une condition commune. Eux qui, jusque-là, avaient peu de points communs partagent désormais celui d’être non-salariés. Comme on peut s’y attendre, les membres des deux catégories ne recherchent pas l’indépendance pour les mêmes raisons, ils n’ont pas le même projet professionnel et ne mobilisent pas les mêmes ressources. L’intérêt de comparer deux échantillons d’artisans qui présentent des propriétés sociales différentes est de pouvoir faire la part des choses entre les caractéristiques qui peuvent être rapportées au statut d’indépendant et celles qui peuvent l’être rapportées à l’origine sociale.
26Pour entamer cette discussion, je vais décrire comment se déroule l’accès à l’indépendance dans ces deux catégories en décrivant deux situations contrastées. Je m’appuierai d’abord sur les travaux de Bernard Zarca pour montrer que, chez les hommes de métier, l’accès à indépendance repose sur un processus de reproduction du groupe social. La conformité des entrants aux normes en vigueur dans le groupe est indispensable pour pouvoir être coopté par les membres qui sont déjà en place. Ensuite, j’analyserai le projet professionnel des artisans créateurs tel qu’ils le décrivent dans les entretiens pour montrer que l’accès à l’indépendance est vécu chez eux comme le choix d’un mode de vie dont le travail ne constitue qu’une des facettes. Dans leur cas, il s’agit moins de répondre aux attentes d’un groupe que de construire un projet de vie à l’écart des turpitudes du salariat.
27Les données d’enquête montrent que la reproduction sociale du groupe des hommes de métier résulte d’un phénomène de cooptation, une sélection des « gros bosseurs » parmi les ouvriers de l’artisanat qui sont identifiés comme tels et encouragés à s’établir à leur compte.
Les hommes de métier ou l’indépendance par cooptation
28En 2011, le secteur du bâtiment (salariés et indépendants confondus) occupe à lui seul 46 % de la main-d’œuvre de l’artisanat, devant les trois autres types d’activités artisanales (services, fabrication et alimentation). Même si les origines sociales des artisans ont évolué ces dernières années, le bâtiment est moins touché que les autres secteurs par ce renouvellement de la population. Il serait exagéré de parler de survivance, mais le bâtiment est un peu en décalage avec les évolutions récentes de l’artisanat contemporain. Les résultats présentés ici s’appliquent particulièrement bien aux artisans du bâtiment, même s’ils sont décelables dans d’autres secteurs de l’artisanat. L’artisanat du bâtiment conserve une structure dominée par la figure de « l’homme de métier » (Zarca, 1986 ; Mazaud, 2009). Celui-ci se définit à la fois par des origines populaires et par un parcours typique jalonné de quatre étapes : une socialisation primaire dans un milieu qui prédispose à entrer dans l’artisanat, l’obtention d’un CAP en apprentissage suivi de quelques années de travail salarié avant l’installation à son compte. Pour cette population, l’accès à l’indépendance représente une ascension sociale.
29Les rapports hiérarchiques entre salariés et employeurs de l’artisanat du bâtiment ne se comprennent qu’au regard du parcours-type des hommes de métier. L’accès à l’indépendance ne concerne qu’une partie des salariés, mais chacun se reconnaît dans ce modèle qui apparaît comme une possibilité offerte à tous, même si elle ne se réalise pas toujours. La hiérarchie est calquée sur un modèle générationnel qui évoque celui de la famille.
30Si la réflexion de Zarca (1986) est féconde pour comprendre comment le groupe pense son unité malgré les différences entre salariés et indépendants, elle n’explique pas pourquoi tous les ouvriers ne deviennent pas indépendants, ni pourquoi la majorité de ceux-ci travaille sans employer aucun salarié, s’écartant ainsi du modèle de référence. La part d’individus qui créent une entreprise dans le but d’assurer leur propre emploi sans avoir l’intention d’embaucher a augmenté ces dernières années, et cette tendance était déjà perceptible avant l’apparition de l’autoentreprise (Gomel, 2011 ; Kerjosse, 2007). Comme nous allons le voir, l’accès à l’indépendance et à la situation d’employeur sont des modèles qui ne concernent pas tout le monde.
31Dans l’artisanat du bâtiment, le lien de subordination qu’implique le salariat n’a pas le caractère d’évidence qu’il présente dans les emplois industriels. Vu la faiblesse du capital économique requis pour s’installer à son compte, l’indépendance semble à portée de main de ceux qui le désirent. L’indépendance et l’accès au statut d’employeur peuvent être envisagés comme le résultat d’un processus de différenciation au sein d’un groupe social relativement homogène, celui des ouvriers du bâtiment.
32Si l’on reprend la métaphore familiale et générationnelle de l’organisation artisanale, on peut dire que s’installer à son compte, c’est en quelque sorte accéder à l’âge adulte. Pour les artisans, un individu accompli est un travailleur indépendant. Dès lors, les artisans perçoivent les salariés comme des personnes qui choisissent la sécurité au détriment de la liberté. Cette attitude n’est honorable que si cette période précède l’accès à l’indépendance, faute de quoi son « esprit d’ouvrier8 » désignera le salarié comme un être incapable de s’émanciper d’une position sociale subalterne, acceptant de demeurer dans un état de minorité sous la protection paternaliste de son employeur. Ainsi, « la perception du salariat n’est ni disqualifiante ni aliénante dans la mesure où le salariat est perçu comme transitoire » (Cognie et Aballea, 2009 : 4). A contrario, rester ouvrier est associé à un état de puérilité9 et de dépendance.
33On en trouve l’écho dans les critiques adressées par les artisans aux salariés concernant leur manque d’autonomie et, plus largement, dans une perception négative de la société contemporaine qui ferait la part belle aux « assistés » de toutes sortes. Malgré cela, les employeurs sont souvent sincèrement attachés à leurs salariés. Ils se sentent responsables d’eux, cherchent à les faire progresser dans le travail, voire à les éduquer. Le statut d’employeur les valorise en tant que pourvoyeur de travail et protecteur de ceux qu’ils appellent avec affection « mes gars ».
34La différenciation entre les futurs indépendants et ceux qui resteront salariés ne s’opère pas au hasard. Les premiers bénéficient souvent du soutien de leur entourage familial. Selon une étude portant sur le travail indépendant (Lafferrère, 1998 : 13-28), l’influence de la famille d’origine est double. D’une part, elle peut intervenir matériellement en avançant des fonds ou en transmettant directement une entreprise. D’autre part, elle transmet des dispositions à l’indépendance en cultivant l’esprit d’entreprise, la connaissance du milieu et le réseau relationnel. L’auteure juge ce deuxième aspect particulièrement déterminant. En effet, l’importance de la culture familiale est telle que 28 % des artisans ont un père ou un beau-père indépendant et que 15 % d’entre eux sont les repreneurs d’une entreprise familiale10. L’exemple de Jérôme, beau-fils du patron de l’entreprise Logodenn (voir encadré 14), témoigne de l’importance de la famille pour s’insérer dans le milieu artisanal. C’est en aidant son beau-père pendant les week-ends et les jours fériés qu’il s’intègre dans le milieu des indépendants.
Encadré 14. – L’entreprise de carrelage Logodenn : des hommes de métier
L’entreprise de carrelage Logodenn est un bon exemple de la reproduction du groupe des « hommes de métier ». Elle est composée de trois personnes. Henri (61 ans) est l’ancien patron. Il a revendu son entreprise il y a un an à son salarié Jean-Yves (42 ans) avec lequel il travaillait depuis dix ans. Désormais retraité, Henri a pris le statut d’auto-entrepreneur pour continuer à travailler avec Jean-Yves et lui passer la main en douceur, mais il se dit « fatigué » et compte s’arrêter définitivement sous peu. La troisième personne, Didier, est un salarié de 25 ans, qui était présent avant la transmission de l’entreprise et a conservé son statut. Didier estime qu’il travaille suffisamment comme ça et ne souhaite pas faire d’heures supplémentaires. Il est peu probable qu’il s’installe un jour à son compte.
Jean-Yves est parfois aidé par Jérôme, le fiancé de sa fille. Ouvrier charpentier dans une entreprise artisanale, il vient aider son beau-père lorsqu’il est en congé chez son propre employeur. En travaillant pendant ses jours de congé, il se prépare à devenir lui-même indépendant. Il se forge une réputation de « gros bosseur » et s’insère dans le réseau des hommes de métier. Le fait d’être présent sur les chantiers à des moments où les autres salariés n’y sont pas l’identifie déjà comme une personne à qui on peut proposer du travail. Jérôme déclare qu’il rachètera l’entreprise de son patron dans huit ans, quand celui-ci partira en retraite.
Pour Jean-Yves, en tant que nouveau patron, le rythme de travail est très intense. Il travaille de 6 h 30 à 18 h 30, y compris les samedis et les jours fériés. Il considère qu’il ne travaille pas le dimanche car « il y a toute la paperasse à faire ». Sa récente indépendance est synonyme d’ascension sociale, mais cette promotion ne change pas son environnement de travail. Il fréquente toujours les mêmes collègues, les mêmes chantiers et les mêmes clients. Comme tous les petits employeurs de l’artisanat, Jean-Yves doit désormais assurer la gestion de l’entreprise en plus du travail de chantier qu’il continue à faire.
35L’insertion de certains ouvriers dans le monde du travail indépendant est également soutenue et encouragée par leur employeur. Lorsqu’il repère un « bon ouvrier », c’est-à-dire quelqu’un dont l’attitude au travail ressemble à celle d’un travailleur indépendant, l’employeur l’encourage à faire des heures supplémentaires ou à réaliser de petits chantiers pour son propre compte. Ce qui s’apparente au départ à du travail en perruque11 prend de l’ampleur au fur et à mesure qu’une clientèle se constitue par le bouche-à-oreille. Les premiers chantiers sont souvent de petites interventions que les professionnels établis dédaignent de pratiquer. Il s’agit par exemple de remplacer un unique carrelage cassé ou de changer le joint d’un robinet qui fuit. Si la naissance officielle d’une entreprise correspond à la déclaration d’activité à la chambre des métiers, on observe que le démarrage est en réalité très progressif et s’étale sur une longue période pendant laquelle le futur artisan prend le rythme et les habitudes des indépendants. L’installation officielle est souvent précédée d’une période de travail au noir pour lancer l’entreprise et qui, selon l’expression consacrée, est nécessaire « pour amorcer la pompe ».
36Les futurs artisans passent très fréquemment par une inscription au chômage qui ouvre des droits à certaines aides à la création d’entreprise12. Cette période est mise à profit pour commencer à travailler avant même l’ouverture officielle. Certaines pratiques, comme la facturation d’un chantier par un tiers, qui permet d’obtenir une couverture en assurance sans être déclaré, facilitent la constitution d’une trésorerie de départ. Mais ces manières de faire sont temporaires et atteignent une limite lorsqu’on passe d’un service ponctuel à une habitude. Au bout d’un certain temps, il n’est plus tenable de ne pas déclarer son activité car les risques deviennent trop importants, notamment celui d’être dénoncé aux autorités par un concurrent.
37Une fois installé, le jeune artisan est toujours aidé par son ancien employeur. Ce dernier peut continuer à lui rendre les mêmes services qu’auparavant (prêter du matériel, proposer de petits chantiers). Il peut aussi l’aider à s’équiper en matériel en lui revendant de l’outillage d’occasion, ou bien en le présentant à des fournisseurs, ce qui permet au nouvel artisan de négocier des remises sur l’achat des fournitures13, ou encore l’aider pour rédiger ses premiers devis.
38On peut se demander ce qui incite un employeur à se priver d’un bon salarié et si cela présente un intérêt pour lui. La relation personnelle, presque filiale, qui existe entre eux explique partiellement cette attitude. L’installation d’un salarié est une réussite pour un employeur qui accomplit ainsi un devoir moral : la transmission du métier. Comme en témoigne ce maçon, les relations avec ses anciens salariés restent vivaces, même après leur installation.
« Je n’ai plus de salarié mais j’en ai deux (qui sont à leur compte). Je dirige leur travail et quelque part, je suis responsable. J’ai cette notion de responsabilité, ils attendent de moi »
Mathieu, maçon, solo, ex-employeur de 20 ouvriers.
39Pour les artisans, si un salarié doit s’établir à son compte, il le fera de toute façon, avec ou sans leur aide, et il vaut mieux l’aider pour s’en faire un allié plutôt qu’un ennemi. Ils naturalisent ainsi un processus dans lequel ils sont pourtant des acteurs importants. Leur attitude peut aussi être comprise comme un mécanisme de défense contre des salariés qui tenteraient de s’établir à leur compte à leur détriment. C’est ce que faisaient deux ouvriers plombiers qui, en cumulant salariat et auto-entreprise, détournaient la clientèle de leur employeur en proposant à ses clients des prestations à un coût inférieur. Aider son salarié, c’est aussi surveiller qu’il agit selon certaines règles (appliquer les bons tarifs, travailler dans les règles de l’art).
40En outre, l’ex-employeur trouve lui aussi son intérêt dans l’affaire. Il peut établir des relations de sous-traitance avec son ex-salarié qui lui sont profitables à plusieurs égards. Premièrement, il fait un bénéfice sur les contrats de sous-traitance en tant que donneur d’ordre. Deuxièmement, il peut résoudre plus facilement un problème majeur auquel il est confronté en permanence, à savoir l’ajustement de la quantité de main-d’œuvre employée à la quantité de travail disponible.
« On a quand même sept salariés maintenant […], et en moyenne sur l’année, entre les indépendants et les intérimaires qui travaillent pour nous sur différents contrats de sous-traitance et de renforts d’équipe, on a trois gars de plus […]. Ce qui nous empêche pour l’instant d’embaucher… c’est pas linéaire, donc pour nous c’est compliqué d’avoir une embauche. C’est pour ça qu’on a ce petit tampon d’intérim et d’indépendants »
Hubert, métallier bardeur, 7 ouvriers.
41Les contrats de sous-traitance augmentent la flexibilité et permettent au donneur d’ordre de disposer d’une main-d’œuvre suffisante en période d’activité intense sans avoir à s’en préoccuper lorsque la demande diminue. Pour le donneur d’ordre, employer en sous-traitance une personne qu’il a lui-même formée garantit que les méthodes de travail appliquées seront adéquates. Plus largement, c’est une garantie de pouvoir faire confiance dans les capacités du preneur d’ordre à gérer les aléas du chantier dont il est responsable.
42Dans les petites entreprises artisanales du bâtiment, les relations de travail sont avant tout des relations personnelles. Dans de nombreux cas, l’accès à l’indépendance est le résultat d’une cooptation qui opère à la fois par l’inscription dans des réseaux professionnels et familiaux et par la démonstration de son « courage ». La notion de courage, telle que les entrepreneurs forestiers analysés par Florent Schepens la conçoivent (Schepens, 2013), peut être étendue à la situation des indépendants du bâtiment. Être courageux, c’est
« être capable de beaucoup travailler, mais cela quel que soit le niveau de fatigue ou de douleur lié aux accidents et maladies. Ne pas montrer que l’on possède cette qualité, c’est rendre incertaine, aux yeux des clients et collègues, sa capacité à être un bon professionnel. […] La réalité physique et la motivation au travail sont ici construites de pair »
idem : 65.
43C’est sur ce courage que repose la confiance accordée à une personne. Cette confiance renvoie aux compétences, à la maîtrise du métier et aux choix techniques. Elle se rapporte aussi au professionnalisme de la personne, à la certitude que le résultat souhaité sera atteint quels que soient les problèmes rencontrés. C’est une confiance dans le résultat et pas dans les moyens mis en œuvre pour y arriver. Pour l’artisan, toute délégation de tâche en sous-traitance représente un risque car il devra répondre des éventuelles défaillances devant son propre client. Il doit donc être certain – autant que l’on peut l’être dans le secteur du bâtiment où les aléas sont fréquents – que le résultat attendu sera atteint ou qu’à défaut, le sous-traitant aura fait tout son possible pour y arriver. Dans ce contexte, les questions de santé n’apparaissent pas comme légitimes. S’arrêter pour des raisons de santé n’est pas « professionnel » et crée un doute sur la confiance qu’on peut accorder.
44En effet,
« dans ce monde, “s’écouter”, c’est alors devenir inemployable si on est salarié – c’est donc ne pas être un bon futur ETF [entrepreneur en travaux forestiers] –, c’est être indigne de la confiance des clients si on est indépendant. Terminer sa journée “en serrant les dents”, c’est faire la preuve de sa motivation au travail. Dans ce cas, même si un arrêt de travail fait suite à l’accident, on est bien sûr que l’absence est motivée par une réalité physique dont l’ETF est obligé de tenir compte. Autrement, il est bien entendu – il l’a montré par son courage – qu’il serait venu tenir son poste »
idem : 67.
45En montrant leur capacité à travailler beaucoup et de manière autonome, c’est-à-dire en adoptant la même attitude que les indépendants, les futurs artisans sont identifiés et finissent par se percevoir eux-mêmes comme des artisans potentiels.
46Les auteurs qui ont étudié les hommes de métier ont montré que la reproduction sociale du groupe est assurée en partie par la succession des générations dans les fonctions d’apprenti, de salarié et d’indépendant. En examinant comment les futurs indépendants sont recrutés parmi les ouvriers, on comprend que l’indépendance résulte d’un processus de cooptation par la sélection des plus « courageux », c’est-à-dire ceux qui sont prêts à travailler beaucoup et sans tenir compte des éventuels signaux d’alerte que leur corps leur envoie. Le déni des atteintes que le travail fait subir au corps est partie intégrante de la définition d’un bon professionnel. Cette attitude a un double effet sur la santé. En termes d’appréciation subjective, elle conduit les artisans à un certain optimisme dans l’évaluation de leur propre santé. En outre, cela peut les conduire à reporter les soins dont ils ont besoin tant qu’ils arrivent à maintenir leur activité professionnelle, ce qui peut avoir des conséquences négatives à long terme.
Les artisans créateurs ou la recherche d’un mode de vie épanouissant
47Le projet d’installation des artisans créateurs diffère de celui des hommes de métier. Comme il a été dit, le ressort principal qui les anime est la vocation et le désir d’épanouissement. Ils se sentent « appelé[s] à exercer une activité, vécue dès lors non comme calcul d’intérêt ou comme obéissance à des convenances ou des obligations, mais comme un désir personnel, intérieur, d’embrasser une carrière pour laquelle on se sent fait, à laquelle on se sent destiné » (Heinich, 1996 : 37).
48Au contraire des hommes de métier pour qui le travail est une épreuve à laquelle il faut pouvoir résister, les artisans créateurs cherchent un accomplissement personnel dans leur travail. D’autre part, leur projet correspond à la recherche d’un mode de vie où le travail occupe certes une place importante, mais dont il ne constitue qu’une des facettes. Il s’agit avant tout de rechercher une certaine qualité de vie.
49Dans bien des cas, l’indépendance se présente comme une alternative au travail salarié, soit que l’individu cherche à quitter celui-ci, soit qu’il estime être dans l’impossibilité de trouver un emploi salarié satisfaisant. Le travail indépendant apparaît comme un recours possible pour améliorer une situation difficile. Mais dans bien des cas, les conditions concrètes d’exercice du travail indépendant sont largement ignorées. L’artisanat fait l’objet d’idées préconçues, il est souvent idéalisé et les déceptions sont nombreuses. De plus, les futurs artisans créateurs doivent collecter un grand nombre d’informations pour préparer leur installation. Par exemple, le choix du statut de leur entreprise et du régime social auquel ils adhéreront font l’objet de recherches approfondies. Une ancienne infirmière reconvertie dans le travail du vitrail raconte ici ses hésitations quant au choix du statut.
Marie (vitrailliste, 60 ans, sans salarié). – Je n’ai pas eu le choix. Pas de travail et pas du tout l’intention de retourner dans le milieu médical, pour moi c’était clair. Et je voulais faire ce métier donc j’ai dit « il faut y aller, je m’installe ». Alors là, le parcours est compliqué parce que quand on s’installe… À ce moment-là, il n’y avait pas les autoentrepreneurs. Et puis c’est compliqué. Tu ne sais pas trop par où il faut commencer. La Maison des artistes, c’était compliqué. […] il y a tout un système que je ne comprenais pas. Et en me renseignant auprès d’amis qui étaient artistes autour de moi, ils étaient aussi perdus. Quand je suis allée aux impôts, ils n’en savaient pas plus que moi. Je vois que la Maison des artistes, maintenant ils ont un site, ils sont bien… il y a des réponses.
O. C. – Et comment ça c’est débloqué, cette situation ?
Marie. – À force de… j’ai demandé aux uns et aux autres […] Donc j’ai travaillé de 98 à 2000, j’ai travaillé un peu… je faisais pas de facture, j’étais pas au noir, j’étais déclarée quand même aux impôts mais en même temps, je n’étais pas vraiment à la Maison des artistes. […]
O. C. – Pourquoi tu as choisi ce statut ? C’était évident pour toi dès le départ que c’était à la Maison des artistes que tu voulais aller ?
Marie. – Non, parce que je suis allée à la chambre des métiers, et là ça m’a semblé encore plus compliqué, et surtout plus cher. […] Et après, c’est en parlant avec mes amis qui faisaient des expos, qui me disaient où ils étaient. Parce que tout le monde n’est pas accepté à la Maison des artistes. Par exemple les bijoutiers, les potiers, ne peuvent pas adhérer à la Maison des artistes, et en tant que vitrailliste oui. Création de vitraux, oui.
50Quant à Sébastien, un jeune charpentier, il a fini par déclarer son activité après plusieurs années passées à travailler au noir. Il explique que l’apparition du statut d’autoentrepreneur qui permet de « payer des cotisations en fonction du chiffre d’affaires » l’a décidé à déclarer son activité. Cela lui a permis d’obtenir un statut plus protecteur que le travail au noir en cas d’accident. Il continue néanmoins à travailler jusqu’à aujourd’hui sans être couvert par aucune assurance.
Sébastien (28 ans, charpentier). – Et donc pendant deux ans, [j’ai travaillé] au black, et grâce au black j’ai acheté de l’outillage. Plus j’y réfléchissais, plus je me disais « on va sécuriser un peu le bordel », se couvrir, ne fut-ce que si je me casse la gueule du toit. Et ça me faisait chier de me lancer dans une entreprise normale, au niveau des papiers, du fonctionnement, plein de choses. Donc je me renseignais pour trouver un statut sympa jusqu’à ce qu’un jour il y ait une nana de la boutique de gestion qui était au courant – ça c’était en 2008 – qui était au courant qu’il y avait un nouveau truc qui se préparait là, le statut d’autoentrepreneur. Donc j’ai attendu avril 2009 où ils ont ouvert le statut, je me suis enregistré en avril 2009. O. C. – Tu penses à l’entreprise individuelle quand tu disais « la boîte entre guillemets normale ? » Qu’est-ce qui te posait problème ?
Sébastien. – Heu… le système de cotisations, de charges qui est forfaitaire [sic14]… ça m’embêtait, je n’étais pas sûr de pouvoir les payer. Je n’avais aucun capital derrière, j’avais rien, j’avais aucune envie d’emprunter aux banques. Donc c’était à un tout petit niveau ultra-réduit, et c’est pour ça que dès que j’ai entendu parler du fait de payer ses cotisations en fonction du chiffre d’affaires, ça m’a botté.
51Comme l’exprime cet individu, le risque financier est un frein sérieux au passage à l’indépendance. Les artisans créateurs cherchent à le limiter autant que possible. Ceux qui détiennent un patrimoine, par exemple leur maison, refusent de le mettre en jeu dans un projet dont le résultat est incertain. Un investissement minimum est consenti dans l’achat d’outils et l’aménagement d’un atelier qui se trouve fréquemment au domicile.
52Travailler à domicile constitue souvent l’un des aspects de la qualité de vie qui est recherchée. En travaillant chez eux, les artisans créateurs arrivent plus facilement à concilier les espaces professionnel et domestique et à passer de l’un à l’autre en s’appuyant sur la liberté d’organisation dont jouissent les indépendants.
« Au début, je voulais être vraiment tranquille à la maison, c’était ça l’idée. […] je me disais “si je peux gagner le SMIC à la maison, c’est parfait” » […]
« Tu descends avec ton café et ta clope à huit heures du matin pendant que le petit déjeune. Tu vas préparer ta journée, calculer un peu ce que tu as à faire et tout, tu te prépares quoi. Et moi j’attaquais la vraie main-d’œuvre vers 9 h après avoir emmené [mon fils] à l’école. Là, j’enquillais des journées. Comme j’étais à la maison, souvent les pauses du midi étaient assez raccourcies, sauf en plein hiver quand il fait froid, tu prends une petite heure pour te réchauffer. Et puis j’arrêtais assez tôt, sauf quand j’étais à la bourre. C’était assez calqué sur les horaires scolaires de [mon fils]. Et puis le soir c’était pareil, on pose les machines et on range l’atelier, enfin ça compte hein, ça fait partie du boulot. Rangement de l’atelier, préparation de la journée du lendemain, voilà »
David, charpentier de marine.
53Le projet d’être employeur est fréquemment exclu dès l’origine car il ne cadre pas avec ce mode de vie.
« Moi ce que je voulais c’était être ouvrier à la maison, je voulais pas être patron en fait »
David, charpentier de marine.
54Les artisans créateurs consentent à renoncer à une partie de ce qu’ils pourraient gagner comme salarié (à diplôme égal) et en échange de ce renoncement, ils pensent qu’ils accéderont à une meilleure qualité de vie. Le projet s’accompagne souvent d’un souhait de vivre en milieu rural, considéré comme un espace de liberté.
55Disposer de peu d’argent oblige à une certaine ascèse, à une moindre consommation de biens. Pour les salariés, la force de travail est convertie en argent qui permet ensuite d’acheter des biens. Mais les indépendants peuvent en partie échapper à cette logique en « démonétisant » leur travail, c’est-à-dire qu’ils peuvent produire directement une partie des choses dont ils ont besoin, ou bien faire du troc et des échanges de services. Bien sûr, cette pratique n’est pas exclusivement le fait des indépendants et toute personne qui cultive un carré de légumes dans son jardin démonétise en partie son travail. Mais certains artisans créateurs font de cette pratique un principe de fonctionnement qui a un impact concret sur leur façon de travailler. Ils cherchent fréquemment à s’approcher d’un idéal autarcique par deux moyens : par l’autoproduction de biens (alimentaires par exemple) et par un recours à des techniques de travail peu mécanisées. Ces pratiques ne sont pas forcément favorables à une meilleure santé car le manque de moyens techniques augmente le risque d’accidents (comme c’est le cas pour ceux qui produisent leur bois de chauffage sans autre matériel qu’une tronçonneuse, par exemple) et que la rentabilité de ces activités reste faible. Elles sont quand même positives dans la mesure où elles permettent de varier les tâches et de renforcer l’impression de disposer d’une emprise sur sa propre vie.
56Le mode de vie des artisans créateurs leur fournit certaines rétributions non monétaires. Flora Bajard et Marc Perrenoud (2013) ont bien décrit les formes qu’elles peuvent prendre. Une série d’entretiens auprès d’artisans d’art révèle une diversité des formes de rétributions non monétaires dans cette population. Malgré leur précarité économique, ils se déclarent satisfaits de leur travail car la piètre qualité de leur emploi est compensée par « une quête de félicité dans l’activité elle-même et dans le style de vie auquel elle renvoie ». Les auteurs distinguent deux types de rétributions. Les premières concernent la « valorisation du travail et de son résultat », les secondes consistent en une « “qualité de vie”, un style de vie lié au travail tel qu’on le fait, à l’activité elle-même construite autour d’un rapport à l’espace et au temps du travail ».
57L’acte de travail lui-même est source de plaisir de par sa qualité et ses aspects créatifs. Il est mis en scène par un discours sur soi et sur son travail. Les qualités du produit sont aussi celles de l’artisan. Le travail est ennobli par cette artification. Même si les artisans décrits par ces deux auteurs sont des artisans d’art, à peu près n’importe quel métier peut être concerné par cette approche créative. Ainsi, dans mon échantillon, Allan, qui fait de l’aménagement intérieur en menuiserie, plaisante en se définissant comme un « ébéniste du bâtiment » pour insister sur ses capacités créatives, David est charpentier de marine spécialisé dans la réalisation de ponts de bateau en bois précieux. Perrenoud (2008) a enquêté auprès de maçons qui sont partie intégrante de cette population d’artisans créateurs. Leur travail allie création et production. Le registre artistique est invoqué pour se justifier, accompagné d’un « style de vie artiste » (Bourdieu, 1979), mais l’utilité sociale de l’artisan et l’éthique artisanale (professionnalisme, probité) sont aussi invoquées. L’inscription dans des collectifs professionnels et l’identité sociale induite par la pratique d’un métier sont d’autres éléments qui contribuent à construire une estime de soi.
58La modestie du train de vie est compensée par d’autres ressources (potager, grande maison) et par la liberté d’organiser son travail (pas de hiérarchie, d’horaires). L’organisation du travail est marquée par une forte porosité entre vie professionnelle et espace domestique. Ce style de vie est considéré par les créateurs comme une rétribution en lui-même.
La recherche d’une combinaison optimale de ressources
59Le mode d’entrée dans le métier est différent pour les deux groupes d’artisans étudiés. Les uns abordent l’indépendance en se conformant aux règles strictes d’un milieu où le travail est une épreuve. Ils suivent une route bien tracée par leurs prédécesseurs sur lesquels ils peuvent compter pour les épauler dans leur projet d’installation. Pour les autres, l’artisanat consiste en une tentative de réalisation de soi en retrait de la société salariale. Le travail n’est qu’un aspect du mode de vie qui est choisi et qui inclut la vie « à la campagne », le travail à domicile et une certaine qualité de vie qui compense un revenu assez faible. L’installation est vécue sur un mode plus individuel, ce qui peut poser des problèmes pour s’insérer dans les collectifs artisanaux.
60Dans les deux cas, l’installation est un engagement qui dépasse le simple fait de travailler car la vie s’en trouve affectée dans de nombreuses dimensions. Malgré leurs différences, ces deux groupes présentent des points communs. Ils ont des dispositions ascétiques, reconnaissent la valeur de l’indépendance et sont prêts à faire des sacrifices pour mener leur projet à bien. En s’installant, ils acceptent, au moins temporairement, de renoncer à travailler dans des conditions confortables. Ils savent que les premières années seront difficiles et qu’il faudra faire des sacrifices pour arriver à dégager un revenu de leur activité. Qu’ils soient hommes de métier ou créateurs, ils sont animés par une certaine ardeur au travail et cette disposition est durablement acquise. Malgré des registres de justification très différents, les deux catégories d’artisans doivent d’abord assurer l’équilibre économique de leur entreprise avant de pouvoir consacrer une partie de leurs ressources à l’amélioration de leurs conditions de travail et de leur protection sociale.
61Globalement, les artisans récemment installés sont confrontés à des conditions de travail difficiles. Au sein du collectif de travail, ils se situent au bas de la hiérarchie et doivent faire leurs preuves en acceptant les tâches délaissées par les artisans déjà installés. Pressés par la nécessité, ils font face à l’urgence en réalisant n’importe quel travail qui leur permette d’équilibrer les comptes de l’entreprise et de prélever une rémunération. Marqué par la précarité et l’urgence, le début de l’indépendance est donc une période néfaste du point de vue des effets du travail sur la santé et de la position subalterne dans le collectif de travail.
62Paradoxalement, c’est en renonçant dans un premier temps à la qualité de leurs conditions de travail et en intensifiant celui-ci que les artisans peuvent les améliorer progressivement. Il s’agit de se créer une marge de manœuvre qui permette de ne pas subir passivement les lois du marché mais de s’y orienter de manière active, en dirigeant son entreprise au sens de lui donner une direction. C’est seulement quand un relatif équilibre est atteint que les artisans peuvent se soustraire aux tâches ingrates ou grimper dans la chaîne de sous-traitance. Créer cette marge de manœuvre nécessite aussi de réaliser des efforts supplémentaires pour disposer d’une liberté d’action et faire évoluer l’activité. Il faut aussi avoir acquis une bonne réputation auprès des autres artisans en donnant satisfaction dans l’accomplissement des tâches qui ont été confiées.
63Si tout se passe bien, l’artisan accède à une stabilité relative, mais elle est payée au prix fort. Le capital corporel est entamé à cause des efforts excessifs liés à une grande charge de travail réalisé dans des conditions difficiles, à force de repousser les limites du corps, de « tirer dessus ». Les premiers signes de l’usure apparaissent mais ils sont considérés comme des problèmes qui peuvent attendre. C’est une période de sacrifice, un pari sur l’avenir. La dépense du capital corporel est censée porter ses fruits à long terme. Du point de vue psychologique, les débuts de l’indépendance apportent aussi de grandes satisfactions. Le sentiment de maîtriser son destin et de bâtir son avenir par le travail compense en partie les difficultés.
64Pour les hommes de métier comme pour les créateurs, le travail choisi résulte d’un équilibre entre l’exercice d’activités de routine et d’autres qui satisfont les aspirations personnelles mais qui sont plus incertaines quant à leur quantité et leur contenu. Il s’agit d’une part de disposer d’un travail qui soit suffisamment rémunérateur et réduise les incertitudes et, d’autre part, de travailler dans un contexte qui procure une satisfaction apportée par la qualité des rapports humains qu’on y entretient ou par le contenu du travail. La recherche de la performance économique est essentielle puisqu’elle conditionne tout le reste. Mais justement, elle n’est qu’une condition pour obtenir davantage de satisfactions plutôt qu’une fin en soi. L’équilibre économique permet, entre autres choses, d’améliorer ses conditions de travail.
65Chez les hommes de métier, le travail offre peu de satisfactions en lui-même. Outre l’augmentation de leur revenu, les hommes de métier améliorent leurs conditions de travail en recherchant une place avantageuse dans la chaîne de sous-traitance, en s’intégrant dans un collectif où règne une ambiance conviviale qui compense les aspects pénibles de leur travail. Les créateurs cherchent plutôt à faire évoluer le contenu de leur travail pour en tirer davantage de satisfactions et à pouvoir suivre leur vocation. Dans un cas comme dans l’autre, routine et innovation sont deux principes complémentaires qui permettent d’avancer pas à pas pour passer d’un travail subi à un travail choisi.
Des projets professionnels variés
La recherche d’un statut
66Le choix de la forme juridique des entreprises artisanales rend bien compte des logiques différentes qui guident l’installation des deux types d’artisans. On observe que les hommes de métier recourent majoritairement au statut d’entreprise individuelle. Même si le recours à l’autoentreprise s’étend dans ce groupe, ce statut est considéré comme inférieur. En général, leur comptable et la chambre des métiers leur conseillent de choisir l’entreprise individuelle. Ce statut présente des avantages fiscaux lorsqu’on souhaite investir dans l’outil de production, cotiser à des contrats pour améliorer sa couverture sociale ou employer du personnel. Il est intéressant pour des individus qui travaillent beaucoup et réinvestissent les bénéfices dans l’entreprise. Mais il impose un certain nombre de charges fixes, c’est-à-dire qui doivent être payées même si l’entreprise n’a aucune activité. C’est la raison pour laquelle les créateurs sont réticents à y recourir. Une autre raison les détourne de ce statut, c’est le fait que, dans l’entreprise individuelle, les patrimoines professionnels et privés sont confondus. En cas de difficulté financière de l’entreprise, leur patrimoine personnel, voire celui de leur conjoint, est mis en jeu15.
67Les hommes de métier qui occupent une position relativement élevée dans le champ artisanal recourent souvent à un autre statut, celui de la société à responsabilité limitée (SARL), lequel établit une distinction entre les patrimoines individuel et professionnel. Le fonctionnement en société est plus coûteux que celui en entreprise individuelle. Il est aussi plus complexe et nécessite davantage d’interventions de la part d’un comptable. Le statut en société permet éventuellement aux artisans de devenir salarié de leur propre entreprise et d’améliorer leur protection sociale par ce biais16.
68Contrairement aux hommes de métier, les artisans créateurs cherchent des solutions à moindre coût. En début d’activité, ils recourent à des formes juridiques telles que le statut d’artiste-auteur17, l’autoentreprise ou les coopératives d’activités et d’emploi18. Ces solutions ont l’avantage de maintenir les charges fixes à un niveau presque nul. Après quelques années de pratique, ceux qui ont un chiffre d’affaires stable et suffisant adhèrent au régime social de la Maison des artistes qui impose des charges fixes tout en améliorant le niveau de protection sociale. Certains artisans créateurs adoptent aussi le statut d’entreprise individuelle, par exemple lorsqu’ils emploient du personnel. Dans les deux groupes, on peut observer des changements de statut qui sont liés au développement économique de l’activité. Tant qu’elle se maintient à un faible niveau, l’artisan opte pour un statut à moindre coût et qui accorde peu ou pas de droits sociaux. Si elle se développe, alors l’artisan peut augmenter ses frais fixes et obtenir une meilleure protection sociale.
Travailler seul ou devenir patron ?
69Parmi les indépendants, il faut néanmoins distinguer ceux qui se contentent de créer leur propre emploi de ceux qui deviennent des petits patrons. On a vu en analysant SIP 2006 que les contraintes psycho-sociales qui pèsent sur les employeurs sont plus fortes que sur les solos. Les ouvriers de l’artisanat ont connaissance de cette situation. Certains d’entre eux déclarent qu’ils ne voudraient pas échanger leur place avec celle de leur employeur pour éviter que le travail envahisse toute leur vie, ou qu’ils aimeraient être à leur compte mais sans employer de salarié. Ainsi, l’installation comme artisan oblige à faire un double choix : celui de l’indépendance et celui d’employer ou non du personnel. Là encore, il y a un filtre qui sélectionne ceux qui sont les mieux disposés à assumer une plus forte charge de travail.
70Parmi les artisans qui s’établissent à leur compte, seule une minorité embauche des salariés. Pour les autres, instaurer un rapport salarial où l’on occupe la place d’employeur ne va pas de soi. Rappelons que plus de la moitié des entreprises artisanales du bâtiment sont aux mains d’indépendants qui travaillent seuls. Employer du personnel peut sembler contraire aux valeurs d’autonomie et au refus de la subordination qui guident le choix de l’indépendance, c’est le « paradoxe de l’artisan » décrit par Cognie et Aballea (2009). Selon ces auteurs, la tension entre indépendance et entrepreneuriat se résout dans l’artisanat par une relation de travail particulière entre l’employeur et le salarié. Cette relation s’appuie sur une culture de métier valorisant « la belle ouvrage » et sur une proximité sociale et spatiale qui résout le paradoxe. Dans cette logique de métier, un rapport paternaliste légitime l’autorité au sein d’un groupe d’individus par ailleurs très semblables. Tenir ce rôle n’est pas le souhait de tous les artisans, loin s’en faut, car il impose des contraintes que je vais détailler.
71Les solos et les employeurs justifient le choix de leur situation par différents arguments qui éclairent la situation des petits employeurs de l’artisanat. La principale difficulté évoquée est en rapport avec la fluctuation de la demande. Il faut en permanence trouver suffisamment de travail pour occuper le salarié, ce qui est difficile lorsque l’activité est saisonnière ou qu’elle est peu prévisible.
« Ben il y a des moments où j’aurais peut-être pu (embaucher). Mais tu sais comment c’est, des fois tu as du boulot, tu es obligé d’en refuser, tu en as de trop. Et puis des fois tu n’as rien, des fois t’attends, c’est ça qui est pénible »
Léon, plomberie chauffage électricité, solo.
« Ça revient quand même cher un salarié. Il faut du travail, il faut savoir appliquer les tarifs. Si on n’applique pas les tarifs, on plonge vite »
Blaise, menuisier, 1 ouvrier.
72Dans un marché incertain, les artisans ne sont pas sûrs de trouver de quoi occuper plusieurs personnes. Et si le travail vient à manquer, c’est le revenu du patron qui sera affecté en premier. D’autre part, embaucher un salarié induit un coût de mise aux normes, il faut désormais tenir compte du Code du travail dans une entreprise qui jusque-là n’avait pas à s’en soucier, ce qui peut représenter un gros investissement. En somme, tous ces arguments se rapportent à un risque financier.
73Un second type d’arguments concerne les problèmes liés au manque d’autonomie des salariés.
« Tu t’occupes de ton chantier, t’as ton boulot à faire. Faut encore prendre du temps pour lui apprendre. […] Quand tu es tout seul, déjà tu as moins de risques parce que tu as toi à surveiller, mais tu n’as pas l’autre non plus. S’il fait une connerie et que tu es à côté, tu prends aussi quoi. Donc tout seul finalement tu as moins de risques moi je dis »
Léon, plomberie chauffage électricité, solo.
« Les charges du chef d’entreprise, si tu veux, c’est quand même pas mal de paperasse, également sur le plan de la prise en charge du personnel. Du fait qu’ici, en France, on a poussé les gens à dépendre des autres, donc un système d’assistanat tel que tout doit être mâché, préparé, aseptisé, ce qui va à l’encontre de l’épanouissement de l’être qui doit prendre des responsabilités et quelques risques pour avancer dans sa vie »
Mathieu, maçon, solo, ex-employeur de 20 ouvriers.
« J’ai eu un stagiaire une fois. Bien, sympathique. Mais c’est contraignant dans le sens où il faut le ramener le soir. C’est normal, mais les horaires… Tu pars le matin à 6 h, le gars il faut qu’il se lève, faut passer le prendre »
Patrick, réparateur d’engins BTP, 1 ouvrier.
74La présence du salarié impose aussi d’augmenter le temps dévolu à la gestion de l’entreprise. Il faut superviser le travail d’autrui et s’occuper de problèmes que le salarié n’arrive pas à résoudre tout seul.
« Ça oblige à être plus souvent au téléphone pour les commandes et tout ça, il faut penser à deux boulots en même temps. […] Le fait d’être tout seul, tu fais le boulot et tu ne penses qu’à toi. Là, tu es obligé de penser pour les autres quand même. Il faut penser à tout »
Léon, plomberie chauffage électricité, solo.
« Ou les clients, il faut que ça plaise. Si ton salarié ne leur plaît pas, ils ne rappellent pas. Attention ! Il y en a, ça passe très bien, il y en a, ça passe très mal. C’est pas facile. L’aspect humain est dur à gérer. […] La ferraille, tu la bouges, elle dit rien, mais les gens… c’est différent »
Patrick, 45 ans, réparateur d’engins BTP, 1 ouvrier.
Patrick. – Un salarié il faut quand même s’en occuper.
O. C. – S’en occuper ? C’est-à-dire ?
Patrick. – Ben il faut être là, il faut lui filer du boulot, faut les outils, il y a toujours des emmerdes, des trucs qui vont pas.
75Enfin, la présence d’un salarié ne correspond pas toujours au projet de l’artisan. Certains d’entre eux souhaitent travailler seuls et en font un mode de vie. Ils ne veulent pas s’occuper de quelqu’un qui perturberait leur rythme de travail et leurs horaires. C’est le cas de Florent et Julien, deux frères qui travaillent ensemble comme élagueurs.
Julien. – On pourrait largement embaucher, on ne veut pas. On préfère rester peinards. Enfin peinards, à deux quoi.
Florent (association de deux frères, élagueurs, pas de salarié). – On n’a personne à gérer.
Julien. – En couple ! C’est ça aussi, c’est une qualité de vie. On se rend compte aussi qu’être patron et avoir un salarié, ça n’a rien à voir qu’être tous les deux et puis faire notre… Tu vois, à midi, on mange toujours un casse-croûte dans le camion, c’est fait en dix minutes et on reprend. Si on a envie d’arrêter plus tôt, on arrête plus tôt. C’est un des gros avantages qu’on a.
O. C. – C’est la souplesse des horaires que vous voulez garder ?
Florent. – Ouais, et ne pas avoir quelqu’un dans les pattes (association de deux frères, élagueurs, pas de salarié).
76La liste des contraintes que les solos refusent d’assumer établit en creux celle que les employeurs acceptent : prendre un risque financier, ajouter au temps de production celui de la gestion de l’entreprise, devoir encadrer du personnel et renoncer à une part de la liberté qu’apporte le statut d’indépendant. Quant aux employeurs, ils justifient le fait de recourir au salariat par plusieurs raisons. Bien qu’aucun d’entre eux ne mentionne directement l’envie de gagner plus d’argent, ce thème est abordé par des euphémismes qui évoquent « le développement de l’entreprise ». L’argument le plus fréquent pour justifier une embauche est la nécessité de disposer de suffisamment de main-d’œuvre pour répondre aux demandes. Dans un milieu où il est mal perçu de refuser du travail, les employeurs sont souvent entraînés à embaucher un peu malgré eux, à cause des engagements qu’ils ont pris et auxquels ils n’arrivent plus à faire face.
O.C. – Qu’est-ce qui vous a décidé à embaucher des salariés ?
Germain (peintre, 4 ouvriers). – La demande. La demande de travail.
O. C. – De ne pas arriver à suivre autrement ?
Germain. – Ah ouais ouais ! J’arrivais pas à fournir, j’arrivais avec 10-12 mois d’avance [d’attente] tout seul. J’ai dit stop, il faut que je trouve quelqu’un parce que les gens me disaient « ben non, on ne va pas attendre ». Normal ! Donc c’est pour ça.
« On prend du travail, et le fait d’avoir du travail fait qu’on embauche du personnel »
Mathieu, maçon, solo, ex-employeur de 20 ouvriers.
77En somme, les patrons justifient leur choix par l’envie de voir grandir leur entreprise, tout en refusant qu’elle atteigne une taille qui la priverait de son caractère familial. S’ils sont plus enclins à prendre des risques, ils le sont également à assumer davantage de contraintes que ne le sont les solos. Les employeurs de l’artisanat gagnent plus que les solos mais leur temps hebdomadaire de travail est supérieur, ils vivent plus de tensions avec leur clientèle et ont davantage le sentiment de travailler sous pression. A contrario, les solos ne souhaitent pas se trouver dans la situation de leurs anciens employeurs. Ils cherchent à développer leur propre emploi sans avoir de projet entrepreneurial.
78Alors que l’accès à l’indépendance est déjà régulé par la cooptation des « gros bosseurs », ce sont les plus entreprenants d’entre eux qui deviennent employeurs. Ainsi, il y a deux types d’indépendants qui s’installent (Gomel, 2011). Les solos ont un projet d’auto-emploi en marge des rapports hiérarchiques, privilégiant les accords entre égaux (Roy, 1995). Les autres s’inscrivent plus volontiers dans des relations asymétriques de sous-traitance et de salariat. Faire ce choix, c’est se montrer entreprenant et accepter encore davantage de contraintes. Un double filtre laisse passer les individus prédisposés à accepter les contraintes liées au travail indépendant et à l’embauche de salariés. En devenant patrons, les hommes de métier se conforment au modèle dominant de leur groupe, assurant ainsi sa reproduction. Quant aux artisans créateurs, ils ont une préférence marquée pour le travail en solo.
Notes de bas de page
1 Plus précisément, ce sont des battitures.
2 Enquête par questionnaires (n = 1620) et entretiens qualitatifs portant sur les apprentis, ouvriers et agents de maîtrise.
3 Par exemple auprès de l’Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA).
4 C’est un choix délibéré d’avoir enquêté sur cette catégorie d’artisans. Néanmoins, leur rapport à la matière se retrouve dans d’autres secteurs d’activité où existent les artisans créateurs, comme dans l’alimentation où ils proposent des produits locaux ou biologiques qui ont pour caractère une certaine authenticité. Celle-ci se caractérise par la singularité du produit, fabriqué à la main plutôt qu’à la machine, et par un rapport direct avec le producteur. Celui-ci est à la fois un créateur et un interlocuteur qui tient un discours sur son activité en lui prêtant des qualités qui la situent en dehors d’un simple rapport marchand (Mazaud, 2009).
5 S’il est réalisé dans un environnement agréable, on notera que la répétition d’un geste peut offrir certaines satisfactions (Schwindt, 2005). La situation décrite ici associe la répétition à l’inconfort.
6 Le récit m’en a été fait par le client de l’enduiseur.
7 Un premier plan de la maison a dû être révisé car il ne correspondait pas aux normes d’urbanisme.
8 Pour reprendre l’expression indigène analysée par Julien Gros (2012).
9 Puérilité est entendu ici comme ce qui est propre à un enfant, et non pas au sens de futilité.
10 Données issues de l’enquête Actifs financiers, 1992, Insee. Cité par Lafferrère, 1998 : 15.
11 « Travailler en perruque » consiste à travailler pour son propre compte, de manière dissimulée, avec les matériaux de l’entreprise et sur le temps de travail. Par extension, cela concerne aussi de petits travaux que les salariés réalisent pour eux en dehors du temps de travail et avec l’accord du patron, pour autant qu’ils n’entrent pas en concurrence avec lui.
12 Le dispositif de soutien à la création d’entreprises allouant les 3/4 du budget disponible aux chômeurs, la Cour des comptes juge que « le déséquilibre en faveur des chômeurs incite les créateurs à passer par le statut de demandeur d’emploi pour bénéficier des aides auxquelles celui-ci ouvre droit » (rapport de la Cour des comptes sur les dispositifs de soutien à la création d’entreprises du 14 février 2013).
13 Ces remises peuvent constituer une part non négligeable du chiffre d’affaires dans certains métiers, par exemple chez les chauffagistes qui achètent les chaudières jusqu’à 30 % moins cher que les particuliers à qui elles sont revendues au « prix catalogue ».
14 Le système de cotisations des entreprises individuelles n’est pas forfaitaire. Ce que l’enquêté veut dire, c’est que certaines cotisations doivent être payées indépendamment du chiffre d’affaires qui a été réalisé. Cela oblige à débourser de l’argent, même si on n’a pas travaillé, et c’est ce qui le gêne.
15 Un régime matrimonial adapté et certaines démarches auprès d’un notaire permettent de limiter ce risque, par exemple en rendant insaisissable la résidence principale de l’artisan en cas de dette envers des créanciers privés. Néanmoins, ces démarches ne sont pas efficaces dans le cas de créances envers le régime social ou l’État. Elles n’empêchent pas non plus les organismes de prêt bancaire d’exiger que le patrimoine personnel serve de garantie.
16 Même si les droits des dirigeants salariés de SARL ne sont pas strictement identiques à ceux des salariés « ordinaires ». Par exemple, ils ne cotisent pas pour l’assurance-chômage.
17 Il faut distinguer deux statuts dans le régime social des artistes-auteurs. Tant que le bénéfice reste en dessous d’un certain seuil (bénéfice non commercial égal ou inférieur à 900 fois la valeur horaire moyenne du SMIC), l’activité artistique est considérée comme accessoire. L’individu est assujetti et cotise sur base du chiffre d’affaires réalisé sans que cela lui ouvre de droits à de nouvelles prestations. Si le bénéfice est plus important, l’individu devient affilié au Régime des artistes-auteurs pour ses assurances sociales. Les artistes qui relèvent de ce régime social sont rattachés aux assurances sociales du Régime général, sauf pour les accidents du travail et les maladies professionnelles. Ils reçoivent périodiquement des appels à cotisations.
18 Les adhérents aux coopératives d’activité et d’emploi (CAE) sont appelés des « entrepreneurs salariés ». Les devis signés par leurs clients sont transformés par la coopérative en contrats de travail salarié. Ils sont donc salariés de droit tout en étant indépendants dans la pratique (ce qui soulève la question de la responsabilité de l’employeur en matière de santé au travail).
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