La participation institutionnelle des parents et des élèves dans les établissements scolaires
p. 141-180
Texte intégral
Introduction
1Après avoir examiné dans les contributions précédentes, les rôles des institutions européennes en matière de politiques éducatives (Loncle et al.), puis les pratiques européennes et françaises en matière d’orientation des élèves (Danic et Hardouin), ainsi que les rôles des parents et des enfants dans la détermination des trajectoires éducatives, en particulier à l’égard de l’orientation (Danic et Filhon), nous nous intéressons à présent à la place faite à la participation institutionnelle des parents et des élèves dans les différents pays, notamment sous l’impulsion du niveau européen.
2En Europe, en effet, se constate une tendance générale à mettre en place des dispositifs visant à promouvoir la participation des élèves et des parents à la gouvernance de l’éducation. Leur développement et leur institutionnalisation résultent de préconisations internationales et européennes, comme la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) en 1989 et les recommandations successives sur la participation des jeunes et la parentalité active, et de choix nationaux en matière de gouvernance des systèmes éducatifs et de relations avec les usagers, mais aussi de la circulation entre les pays des dispositifs d’intervention jugés pertinents pour prendre en charge des situations ou favoriser la participation des élèves et des parents. Au sujet des élèves, cette évolution est considérée comme « un signe encourageant d’un vaste effort de la part des autorités nationales de favoriser la participation démocratique des élèves » (Eurydice, 2012, p. 39). Au sujet des parents, elle correspond à une reconnaissance de leur rôle éducatif et à une intervention en matière de soutien à la fonction parentale dans l’accomplissement des tâches éducatives1. Plus largement, ce sont les rapports entre l’école et ses usagers qui sont interrogés. L’OCDE différencie deux modes d’expression individuelle ou collective de la demande d’éducation : premièrement, la défection ou le désengagement, renvoyant aux possibilités qu’ont les parents de choisir leur établissement liées à la diversification de l’offre éducative et à l’accroissement de l’information et, deuxièmement, la revendication ou la prise de parole renvoyant à la participation des usagers à l’élaboration de l’offre d’éducation. L’existence de ces mécanismes d’expression de la demande et leurs interactions correspondent à une évolution des systèmes éducatifs et ont des effets sur le fonctionnement des établissements scolaires et sur les pratiques individuelles (OCDE, 2006).
3Cette contribution s’intéresse plus particulièrement aux dispositifs institutionnels relevant de la prise de parole individuelle et collective des élèves et des parents2. Leur analyse, dans le cadre du projet, vise avant tout à saisir leur rôle dans la gouvernance de l’éducation et à considérer leur éventuelle influence sur le fonctionnement des établissements scolaires, mais aussi sur la construction des trajectoires scolaires. Comme le rappelle la contribution de Loncle et al., il s’agissait d’inclure les évolutions des systèmes éducatifs en matière de diversification des parties prenantes dans leur pilotage dans la réflexion. Ces dispositifs ne constituent pas les seuls leviers de la participation des élèves et des parents, mais illustrent les choix politiques et techniques en matière d’instrumentation de la contribution de ces acteurs. Ces choix reposent sur une conception de la relation entre gouvernants et gouvernés et sur la construction d’un problème à traiter (Lascoumes et Le Galès, 2004 ; Lascoumes et Simard, 2011). L’un comme l’autre se sont modifiés au cours des années. Ainsi, en France, alors que les parents ont pendant longtemps été mis à distance de l’école et considérés comme des usagers assujettis, cette distance est-elle devenue problématique pour l’école elle-même, conduisant les pouvoirs publics à valoriser leur participation, voire à enjoindre une partie d’entre eux, via des dispositifs de parentalité, à se rapprocher de l’école (Buisson-Fenet, 2005 ; Giuliani et Payet, 2014 ; Lorcerie, 1997 ; Monceau, 2009 ; 2014 ; Périer, 2005). Il en est de même des élèves de l’enseignement secondaire dont les droits d’expression individuelle et collective ont progressivement été reconnus et pour lesquels ont été créés plusieurs dispositifs de participation destinés à en faire des « usagers actifs » (Ballion, 1998 ; Becquet, 2014a). Si la prise en compte de ces deux acteurs s’est le plus souvent construite parallèlement, elle emprunte des chemins ayant des similitudes en matière de registre d’intervention, de régulation de l’adhésion aux normes ou aux fonctionnements scolaires, de conception de l’usager et de sa place dans la division du travail éducatif et d’équipement de la participation. En effet, les dispositifs valorisés en France, mais aussi dans les sept autres pays étudiés, comme le mettra en évidence la première partie de cette contribution, sont le plus souvent de type « communicationnel et informatif », c’est-à-dire reposant sur l’explicitation des décisions et sur la responsabilité des acteurs, et « conventionnel et incitatif », c’est-à-dire privilégiant les échanges contractuels sur la contrainte (Lascoumes et Le Galès, 2004 ; Lascoumes et Simard, 2011).
4À cette participation formelle, s’ajoutent d’autres modalités moins formalisées, voire informelles comme les contacts directs entre les professionnels de l’éducation, les élèves et les parents, qui ne sont pas toutes détaillées. D’ailleurs, d’un pays à l’autre, le niveau d’institutionnalisation d’une même modalité est variable, tout comme elle peut progressivement changer de statut au sein d’un même pays. Par conséquent, dans les huit pays étudiés, leurs origines, leurs degrés de standardisation et leurs degrés de généralisation au sein des établissements ne sont pas nécessairement aisés à apprécier3. À partir des éléments issus de la recherche, cette contribution examine les modalités institutionnelles de participation des élèves et des parents et tente d’interroger l’influence qu’ils peuvent avoir sur le fonctionnement de l’établissement et, à travers les processus d’orientation, sur la construction des trajectoires scolaires des élèves. Dans quelle mesure les constats dressés en 2006 par l’OCDE sont-ils encore d’actualité ? Ils soulignaient que si les opportunités de participation, en particulier des parents, s’étaient accrues, l’influence des usagers restait relative. Dans le cas de parents, les explications de cet état de fait renvoyaient à l’information sur les possibilités de s’exprimer, à l’intérêt pour ce type d’engagement, à la crainte de conséquences négatives sur son propre enfant et à la préférence pour le choix d’un autre établissement sur l’investissement pour changer une situation et, du côté des élèves, à la limitation des possibilités et à leur inefficacité lorsqu’elles existent. Dans les deux cas, diverses variables sociales orientaient le niveau d’information, d’intérêt et de participation des parents et des élèves. Dans quelle mesure cette participation peut être reliée au processus d’orientation qui, comme le montrent Danic et Hardouin, et Danic et Filhon (supra), est un moment clé institutionnalisé dans les trajectoires scolaires mobilisant un registre participatif ou partenarial ? Quel emboîtement entre la production des choix et des verdicts, dont la teneur apparaît complexe, et la participation des élèves et des parents d’élèves peut être repéré ? L’articulation entre ces deux processus apparaît en filigrane de l’analyse de l’orientation à travers l’intérêt porté au fonctionnement de l’établissement et à la pluralité des acteurs impliqués dans la décision finale (André, 2012 ; Chauvel, 2016 ; Jacques, 2015 ; Masson, 1997 ; Périer et Rouillard, 2012).
5Dans la première partie de cette contribution, un rapide panorama des dispositifs institutionnels de participation des élèves et des parents à la gouvernance des établissements dans les huit pays est proposé, afin de saisir les choix techniques opérés pour la favoriser. Les proximités entre les pays témoignent d’une relative homogénéité des types d’outils mobilisés, mais des variations entre les pays en matière de degrés d’institutionnalisation et de généralisation des outils ressortent également. Cette première comparaison est complétée par l’analyse des données portant sur la possibilité de s’exprimer et l’influence sur les décisions des élèves et des parents dans les huit pays issus des trois enquêtes quantitatives. Apparaissent des écarts importants entre les pays, mais aussi, en leur sein, entre les élèves et les parents qui n’ont pas la même légitimité et la même influence. Le cas de la France est examiné dans la deuxième partie. Dans les trois collèges étudiés, la participation des élèves et des parents aux dispositifs de représentation apparaît faible, mais semble contrebalancée par d’autres modalités.
Matériaux mobilisés
6Comme la contribution de Danic et Loncle le présente en détail, la recherche porte sur huit pays : Allemagne, Finlande, France, Grande-Bretagne, Italie, Pays-Bas, Pologne et Slovénie. Les données ont été recueillies à partir de diverses méthodes : des questionnaires auprès d’élèves de fin de secondaire inférieur (N = 6389), des questionnaires auprès de parents (N = 3408), des questionnaires auprès de principaux (N = 984) et des entretiens semi-directifs réalisés au sein de trois établissements de quartiers défavorisés dans chaque pays. Dans cette contribution, l’analyse s’appuie sur la présentation des dispositifs nationaux de participation des élèves et des parents et sur les résultats des trois enquêtes quantitatives, en particulier les réponses aux questions portant spécifiquement sur leur participation (précisées dans le corps du texte). Dans la première partie, les données sont directement issues des rapports cités et n’ont pas fait l’objet d’un nouveau traitement statistique. Dans la deuxième partie, qui examine plus spécifiquement le cas de la France, les données sont issues des entretiens semi-directifs réalisés au sein des trois établissements (entretiens avec vingt-neuf élèves, seize parents, dix-neuf enseignants, trois principaux, vingt-six autres personnels tels que CPE, COP, surveillants, assistants de service social, infirmières et professionnels de structures partenaires).
La participation institutionnelle des usagers dans les huit pays étudiés : une apparente uniformité
7Pour saisir les manières dont les usagers sont invités à prendre part à la gouvernance de l’éducation, il importe, dans un premier temps, de présenter les dispositifs de participation dans les huit pays étudiés et de mettre en évidence les éventuelles variations entre eux. Leur recensement et leur description ne reviennent pas sur leurs évolutions, mais reposent principalement sur les réglementations et les recommandations officielles actuellement en vigueur. En effet, l’attention portée à ces opportunités de participation visait davantage à considérer leur rôle dans la gouvernance de l’éducation qu’à proposer une analyse de l’évolution de l’instrumentation de la participation des usagers dans les huit pays. La présentation des dispositifs de participation permet ainsi de connaître les choix opérés dans l’enseignement secondaire, mais n’informe pas sur leur mise en œuvre au sein des établissements. Celle-ci est influencée par de nombreux éléments comme les caractéristiques de l’établissement, la légitimité accordée à la participation des parents et des élèves et les modalités de réappropriation de ces opportunités par les acteurs eux-mêmes. Dans un second temps, à partir des données issues des enquêtes quantitatives réalisées auprès des élèves, des parents et des directeurs d’établissement, il s’agira d’apporter des éléments sur les perceptions des opportunités de participation et sur le sentiment d’influence sur les décisions dans les huit pays. Cette comparaison mettra en évidence que, derrière une relative uniformité des dispositifs mobilisés, se repèrent de réels écarts entre les pays en matière de contribution des parents et des élèves à la gouvernance des établissements.
Des dispositifs de participation institutionnelle relativement proches
8Comme dans le cas des dispositifs d’orientation et des professionnels chargés de cette mission dans les huit pays présentés dans Danic et Hardouin (supra), il est possible de repérer plusieurs approches de la participation des élèves et des parents. En fait, le recensement des opportunités de participation dans les établissements d’enseignement secondaire (inférieur et supérieur) fait apparaître des proximités entre les pays en matière de types de dispositifs proposés aux élèves et aux parents. Les choix nationaux semblent s’opérer à l’intérieur d’un catalogue de solutions techniques censées favoriser les liens avec les usagers et leur inscription, au moins formelle, dans la gouvernance des établissements. Cette impression ressort également des analyses des dispositifs de démocratie participative élaborés en direction des jeunes, des habitants ou des citoyens (Bacqué, Sintomer, Flamand et Nez, 2010 ; Bacqué et Sintomer, 2005 ; Becquet, 2005 ; Loncle, 2008). Cette proximité entre les formats ne signifie pas qu’ils existent à l’identique au sein des huit pays étudiés. En effet, l’institutionnalisation de la participation des élèves et des parents repose sur des textes spécifiques à chacun de ces deux acteurs. De plus, l’initiative de leur création (centralisée/ décentralisée), leur présence ou pas aux niveaux inférieur et supérieur du secondaire, leurs agencements et leurs prérogatives introduisent quelques différences entre les pays.
Du côté des élèves
9Dans l’enseignement secondaire, les principales modalités de participation formelle des élèves sont l’élection de représentants de classe, l’élection ou la nomination d’un conseil d’élèves et l’élection ou la nomination de représentants au sein des conseils chargés d’administrer les établissements aux côtés d’autres membres de la communauté scolaire comme les enseignants, le personnel non enseignant ou les parents d’élèves. Dans les établissements, la participation directe dans le cadre de la classe peut également exister pour réguler des situations et régler des problèmes. Enfin, à l’extérieur, les élèves ont aussi la possibilité de s’organiser par le biais d’associations ou de syndicats à plusieurs niveaux de décision (Eurydice, 2005). Des différences existent également entre le secondaire inférieur et supérieur (collège et lycée pour la France) : les dispositifs de participation formelle sont d’une manière générale plus nombreux dans le secondaire supérieur et ont des objectifs différents. Ils peuvent, d’une part, résulter de la définition des missions de l’école et renvoyer à un objectif d’éducation à la citoyenneté. Dans ce cas, des outils sont utilisés pour expérimenter la citoyenneté à travers des situations réelles et les élèves sont considérés comme de futurs citoyens. D’autre part, ils peuvent être directement liés à la gouvernance de l’école. Dans ce cas, des outils sont utilisés pour donner aux élèves l’occasion de s’exprimer sur le déroulement de la scolarité et la vie quotidienne, et les élèves sont considérés comme des usagers de l’école. Si les huit pays recourent aux mêmes types de dispositifs de participation, des différences apparaissent entre eux. Ainsi, peuvent-ils être distingués en fonction du degré de standardisation (réglementation centrale/autonomie locale), du niveau d’enseignement secondaire (inférieur/supérieur) et du choix des modalités de participation des élèves.
10Un premier groupe réunit des pays (Allemagne, France et Pologne) où la participation formelle des élèves est la plus institutionnalisée : elle fait l’objet d’une réglementation nationale ou régionale qui concerne l’enseignement secondaire inférieur et supérieur. Par exemple, dans les Länder allemands, les lois sur l’éducation et la participation définissent un droit de participation et les conditions de son exercice. Les élèves élisent des représentants de classe (Klassensprecher) à chaque niveau scolaire. Ces représentants de la classe constituent le conseil d’élèves (Schülerparlament ou Schülerrat). Cet organe élit un ou plusieurs représentants faisant partie du conseil d’école aux côtés des enseignants, des directeurs d’école et des parents, mais normalement sans mandat de vote. Dans certains Länder, les représentants sont directement élus par l’ensemble des élèves. À l’échelon des villes et des Länder, peuvent également exister des parlements d’élèves (Stadtschülerrat et Landesschülerrat). À cette participation institutionnelle, s’ajoute une participation directe via des assemblées générales des élèves (Schülervollversammlungen) qui visent l’enrichissement de la vie quotidienne de l’école à travers l’organisation de débats et d’événements.
11Un deuxième groupe comprend des pays (Italie et Slovénie) au sein desquels des variations entre le secondaire inférieur et le secondaire supérieur existent, avec d’un côté des initiatives locales et, de l’autre, une réglementation nationale. Ainsi, en Slovénie, les établissements du secondaire inférieur ont-ils une autonomie d’organisation de la participation des élèves. Ils privilégient généralement l’élection de représentants de classe et mettent en place des conseils d’élèves composés de représentants des classes, généralement appelés le Parlement des enfants (Eurydice, 2012). Dans le supérieur, la participation formelle est généralisée. Au niveau de la classe, les représentants des élèves peuvent discuter avec les enseignants des questions spécifiques liées au travail et à la vie scolaire et formuler des propositions pour en améliorer le déroulement. Au niveau de l’établissement, le conseil d’élèves intervient sur des questions proches auxquelles s’ajoutent celles liées à la gestion de l’établissement et à l’organisation d’activités extrascolaires. Il en est de même en Italie où la participation des élèves dans les différents conseils est seulement possible dans les établissements du secondaire supérieur : le conseil de classe et le conseil d’école. Les élèves peuvent également participer à l’assemblée des enseignants (Collegio dei docenti) : constituée par les enseignants permanents et temporaires, elle formule le plan de formation en conformité avec les orientations définies par le conseil d’école et doit tenir compte des propositions exprimées par les organisations d’élèves et de parents d’élèves.
12Enfin, un dernier groupe réunit la Finlande, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Dans leur cas, existent pour les deux niveaux d’enseignement, des situations mixtes entre des dispositifs de participation relevant d’une réglementation nationale et d’autres d’initiatives locales. Par exemple, aux Pays-Bas, la loi du 1er janvier 2007 sur la participation au processus décisionnel (WMS) a remplacé la loi de 1992 sur la participation (WMO) dans l’enseignement primaire et secondaire. Elle octroie une plus grande autonomie aux établissements et des financements pour élaborer leur propre politique, ce qui a conduit au renforcement des dispositifs de participation en leur sein. Les établissements doivent créer un conseil de participation qui comprend pour moitié des représentants du personnel et pour moitié des représentants des parents d’élèves et des élèves (entre six et dix-huit personnes selon la taille de l’établissement) et doit être consulté sur la politique et la gestion de l’établissement. Les établissements peuvent également se doter d’autres dispositifs de participation des élèves.
13Ainsi, dans les huit pays, le conseil des élèves et les représentants des élèves au sein d’instances décisionnelles sont-ils les formes les plus courantes : les premiers, uniquement composés d’élèves, sont consultatifs et se préoccupent des questions de travail et de vie scolaires alors que les seconds réunissent l’ensemble des acteurs de l’établissement, ont un pouvoir décisionnel et sont chargés de la gestion de l’établissement. Les liens entre ces deux conseils sont fréquents : les premiers pouvant adresser des propositions aux seconds. En revanche, l’existence de représentants de classe n’est pas systématique dans les pays étudiés : soit elle fait l’objet d’une réglementation nationale ou régionale, soit elle est laissée à l’initiative des établissements.
Du côté des parents d’élèves
14Dans l’enseignement secondaire, les principales modalités de participation formelle des parents d’élèves sont assez proches de celles des élèves : l’élection ou la nomination des représentants au conseil de classe, l’élection ou la nomination d’un conseil des parents d’élèves et l’élection ou la nomination de représentants au sein des conseils chargés d’administrer les établissements scolaires. Dans les établissements, la participation directe dans le cadre de réunions collectives ou individuelles entre les enseignants et les parents d’élèves peut également exister pour échanger sur le travail et la vie scolaires, réguler des situations ou faire l’objet d’un contrat individuel entre l’établissement et les parents d’élèves. À l’extérieur, les parents d’élèves peuvent également s’organiser à travers des associations ou des syndicats à différents échelons de décision.
15Si les modalités techniques de participation des parents d’élèves sont relativement proches de celles proposées aux élèves et s’ils partagent des espaces communs comme les conseils de classe ou les conseils d’école, leur existence au sein des pays étudiés apparaît moins systématique et moins homogène entre eux. En fait, la participation des élèves et des parents d’élèves est souvent traitée séparément par les pouvoirs publics et les directeurs d’établissement et fait l’objet de réglementations et de mesures spécifiques aux niveaux national, régional et local. La mobilisation des parents d’élèves prend appui sur une rhétorique partenariale qui insiste sur leur rôle dans l’éducation et renvoie davantage au contenu et au suivi de la scolarité.
16Dans les huit pays étudiés, existent trois grandes tendances. Premièrement, des pays, comme l’Allemagne et la France, se caractérisent par un nombre important d’opportunités de participation initiées aux niveaux régional ou national. Par exemple, en Allemagne, si la responsabilité éducative des parents est inscrite dans la loi fondamentale (art. GG 6, § 2), c’est aux Länder que revient la liberté d’organiser leur participation au sein des établissements scolaires. Les parents d’élèves exercent leurs droits individuellement et collectivement. Généralement, ils ont la possibilité de participer à deux niveaux : au niveau de la classe (Klassen Pflegschaft) et du conseil consultatif des parents (Elternbeirat). Des représentants de leur conseil siègent au conseil d’école (Schulkonferenz). Les conseils des parents existent également aux niveaux régional et national (Landes Elternbeirat et Bundeselternrat). Les établissements recourent aussi à des accords avec les parents afin d’augmenter leur participation.
17Deuxièmement, des pays comme la Pologne, la Slovénie, l’Italie ou encore les Pays-Bas mettent en place un conseil des parents ou incluent ces derniers dans un conseil consultatif plus large (le conseil de participation aux Pays-Bas). Le conseil des parents est consulté par le conseil pédagogique, comme en Pologne, et par le conseil d’école et peut formuler des propositions sur différents aspects du fonctionnement de l’établissement.
18Troisièmement, les pays comme la Finlande ou la Grande-Bretagne recourent aux dispositifs précédents qu’ils articulent avec des réunions entre les parents et les enseignants et des accords entre les parents et l’établissement. En Finlande, la loi sur l’éducation de base et la loi sur l’enseignement général secondaire supérieur rappellent que l’éducation doit être coordonnée avec les parents. Des réunions individuelles ou collectives parents-enseignants sont organisées permettant de les intégrer dans le processus de planification des programmes d’étude. Le conseil d’école peut également comprendre des représentants des parents. En Angleterre, depuis mai 2007, outre les assemblées de parents qui ont un rôle consultatif, toutes les écoles doivent adopter un accord parent-école et une déclaration de ceux-ci. Les objectifs et les valeurs de l’école ainsi que les responsabilités à l’égard des élèves doivent être indiqués. En cas de modification de l’accord, le conseil d’école doit s’assurer que les parents sont informés et l’ont signé.
19Qu’ils concernent les élèves ou les parents d’élèves, l’existence des dispositifs de participation dans les huit pays et leur relative homogénéité formelle sont révélateurs d’un standard de participation des usagers. En leur sein, deux normes politiques s’articulent : représentative à travers l’élection et le pouvoir décisionnel et participative à travers l’élection ou la nomination et le pouvoir consultatif. La préférence pour l’une ou l’autre de ces normes ou leur articulation renvoie à des approches de la gouvernance de l’éducation (centralisation/décentralisation) et, plus spécifiquement, au rôle des établissements dans cette gouvernance (degré d’autonomie). En effet, la comparaison des prérogatives des conseils d’école dans l’enseignement secondaire met en évidence que le pouvoir d’intervention des usagers varie en fonction des domaines (tableau 2). Par exemple, dans des pays décentralisés, les conseils d’école ont un pouvoir de décision élargi, comme au Royaume-Uni, ou ont un pouvoir dont la teneur est défini par l’établissement lui-même, comme en Finlande, alors que dans les pays plus centralisés, y compris ceux dont la mise en œuvre des standards d’éducation est décentralisée, les conseils d’école ont des pouvoirs mixtes : décisionnels pour certains domaines (principalement le projet éducatif de l’établissement et les règles de vie quotidienne), consultatifs pour d’autres (principalement l’acquisition de matériel scolaire ou le choix des matières optionnelles), voire n’en ont pas (principalement la décision d’exclure un élève, le contenu des enseignements, le recrutement des enseignants et l’arrêt de leur contrat de travail). La comparaison du type de pouvoir des conseils d’école au sein desquels siègent généralement les parents et les élèves fait ainsi apparaître que c’est en Slovénie et aux Pays-Bas que leurs prérogatives sont les plus limitées alors qu’elles sont circonscrites à trois ou quatre domaines sur les huit pris en compte en Italie, Pologne, Allemagne et France.
20Ainsi, le recours à des dispositifs formels, leur impulsion centrale ou locale, leurs agencements au sein des établissements et leur orientation vers les élèves, les parents d’élèves ou les deux mettent-ils en évidence des tentatives d’inclure ces acteurs à la gouvernance des établissements, voire à d’autres échelons décisionnels. Cependant, leurs prérogatives, qu’il s’agisse du type de pouvoir ou du type de domaine, circonscrit d’emblée leur intervention et n’est pas sans effet sur la perception des opportunités de participation et l’émergence d’un sentiment d’influence sur les choix et le fonctionnement de l’établissement.
S’exprimer et influencer : de réels écarts entre les pays
21Si dans les huit pays les dispositifs de participation des élèves et des parents comportent des similitudes, les enquêtes quantitatives menées auprès des élèves, des parents d’élèves et des directeurs d’établissements et les monographies nationales d’établissement montrent que la mise en œuvre des dispositifs et la prise en compte de l’expression des élèves et de leurs parents varient fortement d’un pays à l’autre. Compte tenu de la richesse des données recueillies, seuls quelques résultats saillants sur l’influence de ces individus dans les huit pays étudiés sont présentés5. Le cas de la France est analysé de manière plus détaillée dans les parties suivantes.
Des élèves autorisés à s’exprimer mais peu écoutés
22Dans les huit pays étudiés, il apparaît que les élèves sont plus souvent considérés comme des sujets d’apprentissage ou des personnes ayant des problèmes que comme des partenaires potentiels de l’équipe éducative.
23Dans l’ensemble des pays étudiés, 70 % des élèves estiment qu’ils sont généralement autorisés à exprimer leur point de vue sur le fonctionnement de l’école : 22 % beaucoup et 48 % un peu. Ils sont moins nombreux à considérer que si un élève n’est pas content de la manière dont il est traité, il peut alerter officiellement l’école : 47 % pensent que c’est possible, 11 % que cela ne l’est pas, 42 % déclarent ne pas savoir. Ces deux questions renvoient à des objets susceptibles de donner lieu à une prise de parole relativement différents : s’il semble possible de donner son avis sur le quotidien de l’établissement, il apparaît plus difficile de pouvoir faire part d’un mauvais traitement aux adultes, soit parce que les élèves n’ont pas identifié le ou les interlocuteurs pertinents, soit parce qu’en cas de problèmes, ils ne considèrent pas les adultes comme tels. Dans les deux cas, des écarts existent entre les pays. C’est en Allemagne que les élèves répondent le plus positivement à ces questions : 76 % affirment qu’ils peuvent s’exprimer sur le fonctionnement de l’école (dont 33 % beaucoup) et 60 % en cas de problème. À l’inverse, en Slovénie, en Pologne et en France, ils jugent ces opportunités moins présentes et en Finlande, ils en relativisent la portée (au sujet de la possibilité d’exprimer son point de vue, seuls 9,6 % choisissent la réponse « beaucoup » contre 62 % « un peu », ce qui est le pourcentage le plus bas avant la France et la Grande-Bretagne). Ce ne sont pas les variations entre les types de systèmes éducatifs qui distinguent les pays entre eux. C’est davantage soit l’existence plus ou moins importante d’opportunités de participation dans l’enseignement secondaire inférieur du fait de la réglementation nationale ou de l’autonomie des établissements (comme en Slovénie, aux Pays-Bas, voire en Grande-Bretagne), soit l’absence de visibilité ou d’attractivité des dispositifs (comme en France), soit la conception des rapports entre les adultes et les élèves.
24L’existence dans les établissements d’organes de représentation des élèves ne signifie pas nécessairement que les élèves se sentent écoutés. Dans les huit pays étudiés, 9 % des élèves se sentent très écoutés et 47 % un peu. Il n’y pas de différences majeures entre les trois groupes de pays et une relative homogénéité des résultats entre les groupes. En revanche, au sein du groupe « stratification élevée/standardisation élevée », se constatent de forts contrastes entre les pays qui recoupent ceux sur la perception des opportunités d’expression : en Allemagne, 63 % des élèves se sentent écoutés (dont 14,4 % beaucoup) contre 56 % aux Pays-Bas (dont 5,7 % beaucoup) et 44 % en France (dont 5,8 % beaucoup). Parmi les huit pays, la France est en fait celui où les élèves se sentent les moins écoutés, suivi de l’Italie et de la Slovénie (51 % dans les deux cas). L’effet du type de système éducatif est significatif lorsque les élèves sont issus de milieux désavantagés : le sentiment d’être écouté augmente dans les pays à faibles standardisation et stratification et diminue dans les pays à fortes standardisation et stratification. Les résultats des monographies d’établissement corroborent ces résultats.
25L’enquête réalisée auprès des directeurs d’établissement permet de compléter l’analyse. Interrogés sur le niveau d’influence de différents acteurs sur les décisions6, ils répondent qu’ils considèrent à égalité celle des élèves et des conseils d’élèves. Dans les huit pays, leur niveau d’influence est moyen (2,6 sur 5) et est toujours inférieur à celui des enseignants (3,8) et des parents d’élèves (3). C’est au Royaume-Uni, en Pologne et en Slovénie qu’il est le plus important (supérieur à 3) et en Italie et aux Pays-Bas qu’il est le plus faible (proche de 2). La comparaison entre ces résultats et ceux issus de l’enquête sur les élèves montre que, dans certains pays, les points de vue entre ces deux acteurs sont partagés alors que, dans d’autres pays, ils diffèrent. Ainsi, en Grande-Bretagne et en Pologne, les élèves ont plutôt le sentiment d’être écoutés (60 %) et les directeurs les considèrent comme des interlocuteurs alors qu’en Allemagne, ils ont le même ressenti mais les directeurs estiment qu’ils ont une influence faible sur les décisions. En Slovénie, la situation est renversée : les élèves se sentent peu écoutés et les directeurs estiment qu’ils ont une influence plutôt élevée sur les décisions (3,1). Enfin, en Italie et en France, se constate une cohérence de points de vue entre les élèves et les directeurs d’établissement : une écoute et une influence peu élevées.
26Si la structure des échantillons peut expliquer ces écarts, il est également possible de considérer que le sentiment d’être écouté n’est pas nécessairement lié au fait de participer aux décisions sur le fonctionnement de l’établissement, mais peut renvoyer à d’autres situations d’interactions entre les élèves et d’autres acteurs de l’établissement. De plus, les directeurs peuvent écouter les élèves sans nécessairement considérer qu’ils influencent au final les décisions. Le fait qu’ils soient souvent moins nombreux que les professionnels ou que les parents d’élèves dans les instances ou que soient privilégiées les instances consultatives, peut avoir cette conséquence sur la perception de l’expression et de l’influence.
27Si les conseils d’élèves sont plus ou moins considérés par les directeurs d’établissement comme ayant une influence, il est intéressant de regarder de plus près les aspects sur lesquels les élèves peuvent en avoir. Alors qu’au moment de leur création les dispositifs de participation des élèves ont souvent des compétences très larges, leur intervention ne porte généralement que sur une partie d’entre elles8. Ainsi, les tâches jugées les plus importantes par les directeurs sont l’organisation d’activités (3,61 sur 5) suivie de la résolution de conflits (2,5 sur 5) et les moins importantes les questions d’enseignement (2,06 sur 5). Des différences assez nettes apparaissent entre les pays sur les fonctions des conseils d’élèves. En Slovénie, en Pologne et en Finlande, ils contribuent principalement à l’animation de la vie scolaire. Concernant l’enseignement, ils jouent un rôle plus important en Grande-Bretagne (3,06) et, dans une certaine mesure, en Italie (2,78) alors qu’ils sont peu sollicités en Allemagne (1,7), en France (1,5) et aux Pays-Bas (1,6).
28Ainsi, la plupart du temps, les tâches principales des conseils d’élèves ne sont pas d’ordre scolaire, ce dernier reste le domaine réservé aux professionnels, qu’ils soient chefs d’établissement ou enseignants. De plus, l’influence des élèves sur le fonctionnement des établissements apparaît relative. En cela, si les élèves sont considérés comme des usagers, ils ne parviennent pas nécessairement à peser sur l’ensemble de leurs conditions de travail. Or, même si les chefs d’établissement insistent d’abord sur l’influence des facteurs individuels et familiaux pour expliquer les transitions scolaires (cf. Danic et Hardouin, supra), le fonctionnement de l’établissement n’est pas sans effets sur la façon dont les élèves perçoivent l’école et sur leur expérience scolaire. Par conséquent, autant les élèves sont enjoints à élaborer leur parcours scolaire (cf. Danic et Filhon, supra), autant ils peinent à faire valoir ce qui serait susceptible d’en améliorer le déroulement au sein des établissements.
Des parents plus légitimes mais inégalement écoutés
29La participation des parents dans les affaires scolaires reflète celle de leurs enfants scolarisés : les deux parties estiment qu’ils n’ont pas les moyens d’influencer suffisamment les décisions de l’école, indépendamment de l’existence ou de l’absence d’organes représentatifs formels.
30D’une manière générale, les parents d’élèves ont un jugement plutôt positif sur les établissements scolaires : 82 % pensent qu’ils sont gérés et dirigés efficacement (15 % tout à fait d’accord et 67 % d’accord avec l’affirmation) et 77 % qu’ils sont informés des progrès de leur enfant. Derrière cette apparente satisfaction, des différences statistiquement significatives existent entre les groupes de pays, d’une part, et entre les profils sociaux des établissements, d’autre part. Les jugements sont plus positifs dans les pays à faible stratification et standardisation (3,07 sur 4) que dans les pays à forte stratification et standardisation (2,75 sur 4) et dans les établissements favorisés (2,92 sur 4) que dans les établissements moyens ou défavorisés (2,85 sur 4).
31Concernant la participation, les réponses des parents d’élèves sont plus homogènes que celles des élèves. Dans l’ensemble, 60 % estiment qu’ils sont encouragés à participer à la prise de décision (9 % tout à fait d’accord et 51 % d’accord) et que les établissements tiennent compte de leurs suggestions et de leurs préoccupations (7,5 % tout à fait d’accord et 53,2 % sont d’accord). Le type de système éducatif ne distingue pas les pays entre eux, sauf ceux du groupe « stratification basse/standardisation haute » (Finlande et Slovénie) dans lesquels les parents se sentent le plus encouragés à s’exprimer et le plus écoutés. Les réponses aux deux questions (expression et influence10) vont plutôt dans le même sens, sauf dans le cas de la Finlande où les parents se sentent plus encouragés qu’écoutés (2,85 contre 2,71 sur 4) et les Pays-Bas où la situation est inversée (2,84 contre 2,66 sur 4). Les différences entre les pays ne recoupent pas toujours celles constatées au sujet des élèves : les parents des élèves allemands ont un jugement plus négatif sur les opportunités de participation et leur influence alors que les parents d’élèves finnois et néerlandais ont un jugement plus positif. En revanche, en Italie et en France, les points de vue vont plutôt dans le même sens.
32Si des différences sont notables entre les pays, elles existent également entre les parents. En effet, pour les questions sur le niveau d’information, le sentiment d’être encouragé à participer et le sentiment d’être écouté, se constatent des variations statistiquement significatives en fonction du niveau d’éducation des parents d’élèves : les moins diplômés ayant un jugement plus négatif que les plus diplômés. Elles se retrouvent avec plus ou moins d’intensité dans les monographies d’établissement réalisées dans les huit pays : les parents défavorisés ou les parents immigrés se sentent moins informés et soutenus et estiment que leurs enfants bénéficient de moins d’aide, qu’ils doivent travailler plus pour avoir une chance de réussir et qu’ils sont orientés vers des voies dont ils ne mesurent pas les conséquences à long terme11. Ce sentiment d’un inégal traitement est renforcé par les jugements dont ils sont l’objet. En effet, les difficultés et la démission familiales constituent selon les chefs d’établissement des facteurs affectant les parcours scolaires (cf. Danic et Hardouin, supra). Bien qu’invités à fréquenter l’établissement et à s’impliquer dans son fonctionnement, ces parents se sentent plutôt mis à distance.
33Comme indiqué plus haut, pour les directeurs d’établissement, les parents d’élèves ont plus d’influence que les élèves et les conseils d’élèves et moins que les enseignants sur les décisions, sauf dans le cas de la Slovénie où les élèves ont plus d’influence que les parents d’élèves. Les écarts entre ces trois acteurs sont plus ou moins importants entre les pays : par exemple les directeurs estiment que les parents ont une influence sur les décisions quasi équivalente à celle des élèves en Pologne, en France et en Slovénie, alors qu’ils les rapprochent des enseignants en Finlande. C’est en Grande-Bretagne que la proximité entre les trois acteurs est la plus forte. Comme dans le cas des élèves, mais dans une moins forte proportion, les jugements des directeurs et des parents d’élèves sur leur influence peuvent différer.
34Alors que le design de la participation institutionnelle dans les huit pays étudiés revêt certaines proximités, les données issues des enquêtes quantitatives auprès des élèves, des parents d’élèves et des directeurs d’établissement mettent en évidence plusieurs types d’écarts.
35Tout d’abord, les données ne portent pas nécessairement sur la participation dans les instances consultatives ou décisionnelles mais davantage sur deux dimensions conjointes de la participation : d’un côté, la possibilité d’exprimer son point de vue dans le cas des élèves et l’encouragement à le faire dans le cas des parents et, de l’autre, le sentiment d’être écouté dans le cas des élèves et la prise en compte des demandes et des suggestions dans le cas des parents. Ces deux dimensions : la possibilité de s’exprimer et l’influence peuvent renvoyer à des situations autres que la participation aux instances, comme des contacts individuels et collectifs non institutionnalisés. Les réponses des élèves et des parents ne renvoient pas à des situations précises mais à un contexte plus global, jugé propice ou non à l’expression. Ce dernier a nécessairement des effets sur les manières dont ces acteurs vont se sentir autoriser à s’exprimer sur les questions d’orientation.
36Le classement des pays, établi à partir des résultats généraux, met en évidence des différences entre eux, en particulier dans le cas des élèves où près de 10 points séparent l’Allemagne, situé en haut du classement et la France située en bas, alors que les écarts apparaissent moins importants dans le cas des parents. Un autre écart existe au sein des pays : les réponses des élèves, des parents et des directeurs montrent qu’ils ne perçoivent pas les opportunités et leur influence de la même manière. Par exemple, dans certains pays, comme l’Allemagne, les élèves ont un jugement plus positif que les parents alors qu’en Slovénie, la situation est inversée. Ces variations peuvent être liées aux exigences des personnes : les élèves du secondaire inférieur auraient peut-être moins d’attentes que les parents et jugeraient plus positivement leur influence alors que les parents, davantage préoccupés par la réussite scolaire de leurs enfants, seraient critiques sur la possibilité d’orienter le fonctionnement de l’établissement. Ces derniers, comme en témoignent les réponses des directeurs d’établissement sur le niveau d’influence de différents acteurs sur les décisions, sont plus légitimes que ne le sont les élèves, se rapprochant ainsi des enseignants. Les élèves voient leur juridiction d’intervention se réduire aux activités extrascolaires aux dépens des questions scolaires qui semblent davantage réservées aux adultes. Comme le montre la contribution de Danic et Hardouin, l’orientation est confiée à des professionnels spécifiques et des actions en direction des usagers sont menées au sein des établissements. Ces dernières peuvent contribuer au fait de se sentir écouté dans le cas des élèves ou pris en compte dans le cas des parents en ce qu’elles mettent en scène une attention aux besoins des usagers. Cette tendance se vérifie davantage pour les parents que pour les élèves. En effet, concernant les actions visant à conseiller les parents, les pays où leur proportion est la plus élevée sont aussi ceux où les parents ont des jugements plus positifs sur les possibilités de s’exprimer et d’être entendu, comme les Pays-Bas, la Finlande et la Slovénie, alors que dans le cas des conseils aux métiers auprès des élèves, la correspondance est moins systématique, ce qui peut tenir au caractère plus informatif que participatif de ces actions. Dans le cas de la France, les résultats vont dans le même sens. C’est le pays où existent le moins d’actions de conseil en direction des parents et des élèves et où l’un comme l’autre se sentent le moins écoutés. Ainsi, ce n’est pas tant sur le lien entre les actions et les procédures d’orientation et les instances de participation qu’il convient de porter le plus d’attention que sur le climat participatif qu’elles peuvent respectivement, et au côté d’autres types d’actions, favoriser.
37Au sein des huit pays, la France semble être un cas presque paradoxal : d’un côté, les opportunités de participation existent, bien qu’elles soient plus réduites pour les élèves au collège qu’au lycée car limitées au conseil de classe et au conseil d’administration et, de l’autre, les résultats la positionnent à la dernière place (près de la Slovénie et de l’Italie dans le cas des élèves et près de l’Italie et de l’Allemagne dans le cas des parents). Alors que la rhétorique de la participation est mobilisée dans les discours publics, les réponses interrogent sur son effectivité. L’enquête qualitative réalisée dans trois collèges peut apporter un éclairage sur les contours qu’elle prend dans des contextes sociaux et territoriaux spécifiques.
La participation des élèves et des parents d’élèves dans trois collèges défavorisés
38En France, la participation institutionnelle des élèves et des parents d’élèves a été construite de manière parallèle. Premièrement, les textes législatifs et réglementaires qui la régissent sont à la fois communs, en ce qu’ils définissent des principes et créent des instances qui concernent ces deux catégories d’acteurs, et spécifiques, en ce qu’ils s’adressent à l’une ou l’autre de ces catégories et précisent leur rôle. Des droits individuels et collectifs ont progressivement été attribués (Ballion, 1998 ; Becquet, 2012 ; Durand-Prinborgne, 1991 ; Merle, 2005 ; Migeot-Alvarado, 2000 ; Soussan, 1988). Les principales étapes de leur octroi sont : 1968, avec la présence de représentants au sein du conseil d’administration et du conseil de classe ; 1975 (loi Haby), avec la reconnaissance de la mission éducative des familles et les premières élections des représentants des parents d’élèves en 1977 ; 1985, avec la création des établissements publics locaux d’enseignement (EPLE), la réaffirmation de la représentation des élèves et des parents et l’amorce du développement des instances lycéennes ; 1989, qui entérine les orientations précédentes, valorise le principe de communauté éducative, dont élèves et parents sont membres et la figure de « l’élève au centre du système éducatif » et les lois de 2005 et 2013, qui ne modifient pas les dispositifs mais se réfèrent à des principes généraux qui concernent principalement les parents d’élèves (par exemple la notion de co-éducation présente dans le rapport annexé de la loi de 2013). Au collège, les dispositions n’avaient pas changé depuis 199114. Récemment, en référence à la loi d’orientation de 2013 et dans le cadre de la réforme du collège, a été mis en place à titre expérimental le Conseil des délégués pour la vie collégienne (CVC). Avec la création du Parcours citoyen, cette instance, calquée sur le Conseil des délégués pour la vie lycéenne, est censée être généralisée à la rentrée 201615. À ces jalons législatifs, s’ajoute tout un ensemble de textes réglementaires, de prescriptions, voire d’expérimentations qui concernent surtout les parents d’élèves (Migeot-Alvarado, 2000 ; Périer, 2005 ; 2012). En parallèle, des associations de représentation se sont constituées pour défendre les intérêts des deux parties (Barthélémy, 1992 ; 1995 ; Gombert, 2008a) et siègent dans les instances aux différents échelons décisionnels.
39Deuxièmement, les contextes et les justifications de l’attribution de ces droits d’expression renvoient à une évolution des processus d’élaboration et de mise en œuvre des politiques d’éducation qui a entraîné, au moins formellement, la modification du rôle des usagers (Van Zanten, 2004 ; 2006). Ces droits résultent également de la prise en charge de problématiques spécifiques aux élèves et aux parents d’élèves. Sous couvert d’un vocabulaire commun ou de normes d’action proches, ces derniers mobilisent des argumentations hétérogènes. En effet, les exigences de l’institution à leur égard peuvent se croiser mais ne se recouvrent pas. De plus, ces deux catégories d’acteurs n’ont pas nécessairement des intérêts convergents que ce soit au sujet du quotidien de l’établissement que du déroulement de la scolarité (Ballion, 1998 et 1982 ; Becquet, 2014a ; Lorcerie, 1997 ; Gombert, 2008b ; Périer, 2005 ; Van Zanten, 2004). D’ailleurs, les recherches sur les parents d’élèves et les familles d’un côté et sur les élèves de l’autre ne portent pas sur les mêmes aspects de la scolarité. Au-delà du fait que les premières soient plus nombreuses que les secondes, ce qui témoigne d’une attention plus forte à leur rôle, elles n’appréhendent pas de la même manière l’enjeu de la participation et la position d’usager. Dans l’analyse de l’orientation, la prise en compte des parents et des élèves renvoie au fonctionnement ordinaire de l’établissement qui constitue un des facteurs l’affectant, sous l’angle des interactions entre les acteurs contribuant à la formulation des verdicts scolaires que ce soit dans le cadre des conseils de classe que de rencontres interindividuelles (André, 2012 ; Chauvel, 2016 ; Landrier et Nakhili, 2010 ; Masson, 1997 ; Périer et Rouillard, 2012). Ce niveau d’analyse permet de souligner les tensions entre les exigences de développement d’un dialogue avec les parents d’élèves ou de l’engagement des élèves dans leur choix d’orientation et la réalité des pratiques des établissements. Cependant, au-delà de ces moments clés de la construction des trajectoires scolaires, ce sont aussi les « routines d’institutions » qui construisent progressivement l’orientation (Périer et Rouillard, 2012), tout comme elles créent les conditions de possibilité de la participation des élèves et des parents d’élèves.
40L’enquête réalisée au sein des trois collèges permet d’aborder la participation des élèves et de leurs parents dans des établissements situés dans des quartiers défavorisés et de tenter de la mettre en perspective avec le processus d’orientation. Si les caractéristiques de ces établissements, leur recrutement socio-scolaire comme leur fonctionnement ordinaire, ont une influence sur la participation, deux aspects ont été abordés au cours des entretiens : la perception de l’établissement et le niveau de coopération interne entre les personnels d’établissement.
41Concernant le premier, les élèves, comme les parents d’élèves, sont conscients que la situation socio-spatiale de l’établissement n’est pas sans conséquences sur son public, sa réputation et les problèmes qui surgissent en son sein ou à ses abords et que les élèves scolarisés peuvent être l’objet d’une certaine stigmatisation. Cependant, ils ont une image plutôt positive de leur établissement et estiment que le climat est satisfaisant. Du côté des élèves, seul l’établissement situé à Montreuil fait l’objet de critiques : l’arrivée d’une nouvelle principale a entraîné un durcissement des règles qui leur sont imposées sans être explicitées et a modifié les rapports avec les personnels de la vie scolaire. Alors qu’ils « arrivaient à se faire respecter sans être méchants ou mauvais », ils sont devenus « horribles » (groupe de discussion no 1). Du côté des parents, les critiques portent plutôt sur l’établissement de Montpellier dont la précédente direction était jugée défaillante. La perception qu’ont les élèves et les parents de l’établissement peut avoir des conséquences sur leur participation : un jugement positif peut favoriser l’investissement dans les activités proposées ou l’adoption d’une attitude loyale alors qu’un jugement négatif débouche davantage sur des attitudes de retrait ou de contestation. Ces attitudes ne se traduisent pas à l’identique chez les élèves et les parents, mais elles témoignent d’un lien entre le rapport à l’établissement et la participation.
42Concernant le deuxième aspect, dans les trois collèges, les personnels considèrent la coopération comme nécessaire au bon fonctionnement de l’établissement et au bon déroulement de la scolarité des élèves. Dans les faits, elle est inégalement développée : si elle existe à Rennes et, par petites cliques, à Montreuil, elle semble absente à Montpellier (cf. Danic et Hardouin, supra). La plupart des enseignants se plaignent du manque d’espaces institutionnalisés de débat et de travail en équipe pour résoudre les situations difficiles. En revanche, ils mentionnent une solidarité qui les aide à dépasser les problèmes mais qu’ils ne promeuvent pas comme une façon normale de fonctionner. Cette solidarité est fondée uniquement sur la bonne volonté, ne concerne pas tous les enseignants et tend à disparaître une fois le problème résolu. Il en est de même au sujet de l’orientation. Les enseignants qui s’en chargent, principalement les professeurs principaux, se sentent seuls et impuissants pour appréhender cette question. Or, comme le met en évidence la contribution de Danic et Hardouin, la configuration relationnelle a des effets sur les pratiques d’orientation. Il est par conséquent fort possible qu’elle ait aussi des conséquences sur les manières dont les enseignants appréhendent la coopération avec les élèves et les parents d’élèves et, par conséquent, sur leur participation.
Des élèves plus occupés qu’écoutés
43Les entretiens réalisés avec les élèves des trois collèges étudiés ne portaient pas spécifiquement sur la participation institutionnelle des élèves, en particulier le conseil de classe, et sur leur influence sur le fonctionnement de l’établissement. Par conséquent, il est difficile de conclure à une présence ou une absence de participation. Cependant, les questions posées sur les relations avec les enseignants et les processus d’orientation des élèves permettent d’apporter un éclairage, certes partiel, sur les modalités de dialogue ou sur la place des instances au sein des trois collèges. Trois principaux constats peuvent être dressés : premièrement, le rôle central du professeur principal dans la régulation des situations et l’accompagnement des élèves ; deuxièmement, le recours à l’heure de vie de classe pour informer les élèves et, troisièmement, l’existence d’une offre de participation sous la forme d’ateliers ou de clubs. Ces différents éléments apparaissent dans les entretiens avec les élèves et sont corroborés par les entretiens avec les enseignants, dont la majorité assume la fonction de professeur principal. En revanche, les conseillers principaux d’éducation (CPE) qui ont, entre autres, pour mission l’animation éducative (comprenant par exemple les clubs et la formation et l’accompagnement des délégués de classe), apparaissent relativement en retrait. Ces derniers témoignent d’un manque de temps pour investir ces questions, leur activité apparaissant davantage centrée sur le contrôle des absences et les contacts avec les familles (Cadet, Causse et Roche, 2007 ; Condette, 2013).
Une participation fondée sur des relations interindividuelles
44L’enquête quantitative auprès des élèves met en évidence qu’en matière de travail scolaire et de « vie en général16 », les principaux interlocuteurs des élèves restent les parents, plus fréquemment la mère que le père, les amis et la fratrie. Au sein de l’établissement, ce sont principalement les enseignants qu’ils estiment susceptibles de leur donner des conseils sur le travail scolaire, avant les conseillers principaux d’éducation. En revanche, concernant leur « vie en général », les différents professionnels ne sont que très faiblement considérés comme des interlocuteurs. Les élèves séparent ce qui relève du scolaire de ce qui n’en relève pas.
45Dans les trois collèges, le professeur principal est un interlocuteur clé. Il est considéré comme l’enseignant le plus proche des préoccupations des élèves, non seulement, comme le montre la contribution de Danic et Hardouin (supra), parce qu’il est chargé de l’orientation, mais aussi parce qu’il est susceptible d’intervenir en cas de différend avec un autre enseignant. À ce sujet, s’il peut relayer l’insatisfaction de ses collègues quant au comportement de la classe et être conduit « à faire la morale pendant une heure » (Dora, focus-groupe fille, Montreuil), il est également interpellé par les élèves au sujet de certains enseignants. Les élèves différencient très nettement les « bons » des « mauvais » enseignants et tentent de faire valoir certaines exigences. À leurs yeux, et ceci dans les trois collèges, un « bon » enseignant sait « se faire respecter », « être patient », « expliquer », « se faire comprendre », « écouter », « conseiller », « soutenir » et « faire participer ». Il adopte également certaines méthodes. Ceux qui n’ont pas ces qualités sont jugés inintéressants et conduisent les élèves à ne pas comprendre ou à ne pas apprendre et, par conséquent, pour certains d’entre eux, à chahuter.
« Il sait se faire respecter déjà. Et quand tu ne comprends pas, il réexplique mais il ne dit pas la même chose. Il arrive à changer, à bien réexpliquer pour que tu comprennes […]. Y’en a qui font leur cours, voilà qui marquent au tableau, qui parlent qui parlent. Après y’en a qui font participer leurs élèves. Ça c’est plus sympa. On a plus de facilité à comprendre »
Margot, focus-groupe fille, Montreuil.
« Il y a certains profs qui aident vachement les élèves en difficulté, qui les poussent vraiment mais il y en a d’autres qui s’en fichent un peu. Ils les voient ramer et puis ils les laissent de côté, quoi. Ça dépend des méthodes des profs.
— Tu trouves que les profs s’adaptent à ceux qui ont besoin d’être aidés et poussent aussi les très bons à aller plus loin ou…?
— Non, pas forcément, souvent ils les laissent un peu. Puis souvent, les bons élèves, on compte vachement sur eux pour gérer la classe, ils pensent que c’est à nous de gérer le comportement des autres, alors que… On n’est pas profs, quoi ! »
Kahina, focus-groupe fille, Montreuil.
46Les élèves revendiquent le fait d’avoir des enseignants de qualité mais ont bien conscience que, malgré leurs demandes, la situation ne change pas. Ils ne parviennent pas à avoir de l’influence sur cette dimension de leur expérience scolaire alors qu’ils ont des attentes précises sur des aspects techniques et relationnels. Cette situation les conduit à adopter des positions tranchées à l’égard de leurs enseignants que résume l’un d’entre eux : « Quand les profs sont aimés ici, ils sont super aimés et quand ils sont détestés, ils sont haïs. La difficulté, elle est là » (enseignante, Rennes).
47À bien des égards, leurs attitudes envers leurs enseignants constituent des formes de participation : à la loyauté envers des enseignants qui les satisfont et les font participer s’opposent la prise de parole qu’illustre le chahut ou le retrait qu’illustre la démobilisation scolaire.
48Concernant l’orientation, les élèves se réfèrent plus fréquemment au professeur principal qu’au conseiller d’orientation professionnelle (COP) : le premier, comme l’indique la contribution de Danic et Hardouin (supra), intervient auprès de l’ensemble de la classe et se charge de l’information et du suivi de l’orientation alors que le second est sollicité à titre individuel. Si les élèves différencient ainsi le rôle de ces deux acteurs, la prépondérance qu’ils accordent au professeur principal s’explique également par l’inégale présence des COP au sein des trois collèges. L’affectation des COP sur plusieurs établissements conduit également les professeurs principaux à s’informer pour répondre aux demandes des élèves et faire face à leurs inquiétudes. Les professeurs principaux, mais aussi les CPE, témoignent du rôle qu’ils jouent en matière d’orientation. Ils regrettent le manque de moyens dédiés, en particulier la faible présence (l’absence dans le collège de Montpellier) d’un COP, au sein d’établissements qui en ont particulièrement besoin et, d’une certaine manière, les compensent (cf. Danic et Hardouin, supra).
49Ainsi, concernant deux dimensions clés de l’expérience et du parcours scolaires, que sont la qualité de l’enseignement et l’orientation, les élèves n’ont-ils qu’un pouvoir très relatif et des interlocuteurs inégalement présents. S’ils peuvent s’adresser aux professeurs principaux et aux CPE, faisant ainsi valoir un droit d’expression individuelle, ces derniers ont de faibles marges de manœuvre pour réguler les situations, en particulier au sujet de la qualité de l’enseignement.
Une participation institutionnelle faible
50Comme indiqué précédemment, et à la différence des lycées, la représentation des élèves est limitée au conseil de classe et au conseil d’administration. Par conséquent, et comme le rappellent les enseignants, ce n’est pas dans ces lieux que les élèves peuvent s’exprimer. Ils le peuvent d’autant moins que les conseils de classe ne sont pas vécus par les enseignants comme des moments d’échanges sur les élèves : d’une part, les réunions se chevauchent régulièrement, ce qui ne permet pas à l’ensemble des enseignants d’y assister, d’autre part, leur durée est limitée, ce qui conduit à examiner rapidement le cas des élèves et, enfin, leur utilité est interrogée, ce qui ne mobilise pas les enseignants. Ce constat n’est pas neuf : les travaux sur le fonctionnement des conseils de classe et l’exercice de la fonction de délégués au collège et au lycée ont mis en évidence les difficultés qu’ont les élèves à prendre part à la discussion au sein de cette instance et à avoir une influence, non seulement pour des raisons liées à son organisation, mais aussi pour des raisons liées à l’inégale légitimité des représentants des élèves auprès des enseignants et parfois auprès des élèves (Becquet, 2009 ; Boumard, 1987 et 1997 ; Calicchio et Mabilon-Bonfils, 2004 ; Condette-Castelain, 2009 ; Dubet, 2001 ; Mabilon-Bonfils et Calicchio, 2004 ; Merle, 1996 ; Rayou, 1998). Par conséquent, c’est principalement dans le cadre de l’heure de vie de classe que les élèves peuvent éventuellement dialoguer avec leur professeur principal. Cependant, ces heures ne sont pas systématisées dans les collèges et sont principalement utilisées pour l’orientation et, dans certains cas, pour régler des conflits au sein de la classe, rappeler les exigences scolaires (travail et comportement) ou, comme indiqué précédemment, aborder les difficultés rencontrées avec un enseignant17.
« Nous en troisième, on a ponctuellement des heures de vie de classe qu’on peut faire avec nos élèves mais on souffre aussi du fait que ça ne soit pas institutionnalisé, c’est-à-dire dans leur emploi du temps, si c’était convenu et que c’était tout le temps.
— Vous parliez des heures de vie de classe, vous disiez qu’elles n’étaient pas institutionnalisées, c’est quoi ? Ce n’est pas prévu une heure par mois ?
— Non, elles sont prévues sur l’emploi du temps mais elles ne sont pas obligatoires. Par exemple cette année, elles sont entre midi et deux. Donc le professeur principal détermine quand il en fait ou quand il n’en fait pas. Donc quand on pense à remplir les documents, elles nous sont payées, quand on oublie de remplir les documents, elles ne sont pas payées. Et pour les élèves c’est entre midi et deux donc ça veut dire que les externes doivent manger plus rapidement pour venir et puis contrairement en sixième où c’est dans l’emploi du temps obligatoire toutes les semaines, là, il suffit qu’ils n’aient pas écouté qu’il y avait vie de classe cette semaine, ils ne viennent pas à l’heure de vie de classe. »
Focus groupe professeurs, Montpellier.
51Lorsqu’elles ne portent pas sur l’orientation, les heures de vie de classe semblent être davantage un espace de rappel à l’ordre et d’énonciation de la conformité scolaire qu’un espace de participation au sein duquel les élèves auraient le sentiment d’avoir de l’influence. À ce sujet, s’ils considèrent ne pas avoir de l’influence sur l’attitude et le travail des enseignants, certains d’entre eux expriment une impossibilité plus générale.
« À quel point l’école est démocratique ?
— Je pense qu’elle l’est pas. Ils nous disent si vous avez quelque chose à dire, venez nous en parler mais dès qu’on a quelque chose à dire, c’est l’adulte qui a raison et si on dit quelque chose ça ne sera pas pris en compte […]. Je pense qu’on a même plus envie d’essayer. Quand on a un problème, on n’en parle pas. On garde ça pour nous »
Kimberly, Rennes.
« Tu trouves que l’école est démocratique ?
— Oui, je pense. Enfin, c’est toujours le prof qui impose ses lois et tout ça, mais avec certains profs, il y a toujours la possibilité du dialogue, s’il y a quelque chose qui ne va pas on peut toujours leur dire, ils ne vont pas se vexer. Donc, je trouve ça bien »
Kenza, Rennes.
« Tu as l’impression d’avoir un rôle dans ce qui est décidé pour l’école ?
— On peut être délégué, mais il faut être élu. Alors délégué, c’est déjà un peu un concours de popularité. On peut faire partie du conseil d’administration donc, c’est là qu’ils gèrent le budget, donc, je ne sais pas si on est toujours très écoutés mais on peut toujours donner son avis »
Kevin, Rennes.
52Par conséquent, si les élèves partagent ce sentiment, faut-il réellement s’étonner qu’ils ne se saisissent pas de certaines opportunités ? Il en est de même de la teneur de leurs revendications. Lorsqu’ils sont interrogés sur les changements à apporter à leur établissement, ils éprouvent des difficultés à répondre et citent principalement l’amélioration de la qualité de la cantine et de certains aménagements ou l’augmentation des sorties. Ce resserrement des préoccupations sur le quotidien, qui se constate également au sein des conseils de la vie lycéenne (Becquet, 2009), illustre peut-être aussi leur conscience de ne pas pouvoir influencer leur quotidien scolaire ou, tout du moins, les aspects les plus cruciaux pour eux, à savoir l’enseignement. Il en est de même de l’orientation : l’individualisation du processus d’orientation débouche souvent sur un travail solitaire de recherche d’information et sur l’agencement entre différentes influences (cf. Danic et Filhon, supra). En cela, un des moments clés du verdict, celui du conseil de classe, rend difficile les interventions des délégués pour défendre des vœux d’orientation dont la construction leur échappe. Au final, et compte tenu des modalités de traitement des cas au cours des conseils de classe et du fait que les délégués des élèves soient concernés par ce processus (André, 2012 ; Chauvel, 2016), la participation prend la forme soit d’une vigilance silencieuse à l’égard de la décision finale, soit d’interventions mobilisant un principe de respect du choix de l’élève et, dans tous les cas de l’écriture des arguments la sous-tendant.
Une participation centrée sur les activités extrascolaires
53La référence au quotidien scolaire se retrouve d’ailleurs à travers les activités extrascolaires proposées aux collégiens. Dans les trois collèges, plusieurs d’entre eux participent à des clubs ou à des ateliers. Ainsi, à Montreuil un atelier radio animé par un professeur de physique-chimie regroupe environ sept élèves. Ils enregistrent des émissions sur des sujets de leur choix diffusées tous les deux mois sur la bande FM :
« Ça peut être sur l’actualité, ça peut-être comique, ça peut être culturel, ça peut être sur la cuisine, sur tout en fait. Tout ce qu’on veut, si on a envie d’enregistrer sur un sujet […]. Des fois, on a des invités, ça peut être des rappeurs, ça peut être, je ne sais pas… »
Malcolm, Montreuil.
54Des ateliers artistiques (théâtre, danse, photographie, vidéo, écriture), en partenariat avec des institutions culturelles ou des associations, et financés par le rectorat ou le conseil général, des interventions de l’association APSEJ (Aide pour l’éducation et la citoyenneté des jeunes) sur la justice (par exemple des procès reconstitués) ou la violence entre les élèves, financées par le Comité urbain de cohésion sociale (CUCS) et des actions de prévention sont également proposés. D’autres ateliers animés par des assistants d’éducation existaient, mais la diminution de leur nombre a conduit à les arrêter. À Montpellier, le foyer socio-éducatif a été relancé à la demande des élèves qui souhaitaient avoir des activités sur la pause méridienne. Présidés par un professeur, plusieurs ateliers sont proposés par les enseignants et fréquentés principalement par des élèves de 6e et de 5e :
« On a deux activités éducatives, c’est des cours de conversations anglaises qui se font deux fois par semaine et après on a des activités péri-éducatives. On a le lundi, jeu de société, le mardi jardinage et anglais, le jeudi le journal du collège et l’anglais et le vendredi on a théâtre, un atelier d’art, y’a le groupe de discussion avec APS18, une fois par mois »
enseignant, Montpellier.
55Un groupe de parole animé par des éducateurs a également été mis en place en partenariat avec une association qui est connue dans le quartier (APS34), auquel s’ajoutent des interventions du planning familial (relations garçons-filles, racisme, discriminations) et de la police (prévention des risques et attestation de sécurité routière). Enfin, à Rennes, existent également des ateliers :
« Le lundi soir, y’a un truc avec le prof de musique, tous les ans, on fait un spectacle à la fin de l’année. Mais c’est vrai que pour les élèves, y’a quand même pas mal de choses qui sont proposées. Y’a de la batterie. Y’a des rubiscubes. Y’a une chorale, y’a pas mal de choses »
Kimberly, Rennes.
56Sont également cités l’atelier théâtre en partenariat avec Le Triangle (le centre culturel du quartier), l’atelier radio, le journal du collège, le club informatique, l’atelier mosaïque, auxquels s’ajoutent, comme dans les deux autres collèges, des interventions effectuées en partenariat avec des acteurs extérieurs à l’établissement.
57Toutes ces activités ne concernent qu’un nombre limité d’élèves. Ils participent aux ateliers et aux sorties mais ne contribuent pas nécessairement à leur élaboration. À Montreuil, le principal indique que les parents d’élèves votent à l’unanimité au conseil d’administration et que les élèves « adhèrent ». Les projets étant préparés une année en avance, probablement pour permettre la recherche de subventions, les élèves ne sont pas impliqués en amont. En revanche, à Montpellier, la relance du foyer socio-éducatif résulte d’une demande des élèves. Ses activités avaient été stoppées suite au départ d’un surveillant qui en assurait l’animation :
« Ils nous en parlent [des activités]. Au conseil de classe, ce qui revient c’est les toilettes ou la cantine mais les demandes comme ça, non. Donc généralement, ils en parlent à l’adjointe, ou aux profs principaux ou aux profs avec qui ils discutent tout simplement et ensuite on fait des relais. En fait là c’est une petite que vous avez interviewée qui fait du modern jazz dans le quartier qui est venue me voir : “Ma professeur de modern jazz voudrait faire un partenariat avec le foyer du collège.” Donc voilà, ça se fait de manière informelle, sur un bout de table mais on n’a pas de lien direct, ni de lieux. Enfin si, à la loge, on a une boîte à idées, mais elle est vide depuis le début de l’année (rires) »
enseignant, Montpellier.
58Dans ces trois collèges, la participation des élèves existe en dehors des dispositifs institutionnels. Elle prend forme dans le cadre des relations avec le professeur principal, soit de manière individualisée, soit de manière collective au cours des heures de vie de classe. Cependant, les élèves ont le sentiment que s’ils peuvent exprimer une demande, elle n’est pas nécessairement suivie d’effets. Ainsi, leur influence sur la qualité de l’enseignement est faible alors qu’ils ont des attentes précises à ce sujet et connaissent les effets sur le fonctionnement et l’ambiance de la classe de ce qu’ils caractérisent comme un « mauvais enseignant ». Au final, leur juridiction d’intervention est déplacée vers l’extra-classe. Mais là encore, ils se voient proposer des activités plus qu’ils ne participent à leur élaboration. La logique occupationnelle est préférée à la logique participative. Les données ne permettent pas de savoir si cette préférence est le fait des adultes qui cherchent à occuper les élèves et ne les estiment pas assez « matures » pour participer plus directement ou si elle résulte de l’attitude des élèves qui privilégient d’autres activités ou d’autres sphères relationnelles au sein desquelles ils se sentent plus libres d’agir et de se construire (Barrère, 2011).
Des parents inégalement présents mais attentifs
59Comme pour les élèves, la participation des parents dans les trois collèges ne concerne pas uniquement la participation institutionnelle, mais renvoie à différents types de relations entre les parents d’élèves, les enseignants et les CPE. Ainsi, les réunions de rentrée, les réunions collectives trimestrielles par niveau (réunions parents-professeurs) et les entretiens individuels sont progressivement devenus les supports de relations entre les parents et l’institution scolaire. L’initiative, la fréquence et l’objet de ces rencontres, tout comme leur perception par les deux parties, varient en fonction du milieu social d’appartenance des parents concernés (Dubet, 1997 ; Gombert, 2008b ; Migeot-Alvarado, 2000 ; Périer, 2005 ; Van Zanten, 2001). Dans le cas des parents de milieux populaires, en particulier lorsqu’ils sont peu diplômés, elles sont, au collège, plus fréquemment à l’initiative d’un professeur ou des deux parties alors que lorsque les parents sont très diplômés, ces derniers en sont davantage à l’origine. De plus, les difficultés scolaires augmentent leur fréquence, les parents étant alors convoqués par l’établissement (Dalsheimer-Van De Tol et Murat, 2011). Les entretiens réalisés au sein de trois collèges vont dans le même sens.
Pour les professionnels d’éducation, une présence parentale en demi-teinte
60Dans les entretiens, les enseignants et, plus globalement les conseillers principaux d’éducation et les principaux des trois collèges, se réfèrent principalement à la présence des parents d’élèves au sein de l’établissement et au suivi de la scolarité au domicile. Ils distinguent plusieurs types de comportements qui correspondent à ceux mis en évidence par Agnès Van Zanten (2001) : ceux qui coopèrent, ceux qui protestent et ceux qu’ils ne voient jamais. Ainsi, pour la CPE du collège de Montpellier, en matière de relation avec les parents d’élèves : « Il n’y a pas de général. » Dans les entretiens, ils expriment plutôt des regrets au sujet de leur éloignement ou de la difficulté à entrer en contact avec eux, expliquent de différentes manières cette situation, mais ne les disqualifient pas.
61Premièrement, ils se réfèrent à la dégradation des conditions de vie : une partie des parents d’élèves connaît des situations sociales (divorce, recomposition, monoparentalité) et économiques (chômage, précarité, horaires décalés) difficiles qui ont des conséquences sur les conditions de travail au domicile, le suivi de la scolarité, la disponibilité pour des rencontres. À Rennes, le principal cite également des conséquences en matière de santé et de nutrition. Deuxièmement, mobilisant une explication culturaliste, ils rappellent que les parents ne maîtrisent pas toujours la langue française (orale et/ou écrite). S’ils viennent parfois accompagnés d’un membre de la fratrie ou l’envoient à leur place, cela ne facilite pas la transmission des informations et les rencontres. La langue n’est pas le seul facteur d’éloignement. S’y ajoute la variété des « formes d’éducation » qui « viennent se heurter, se croiser sur le terrain du collège » et qui débouchent sur des différences en matière de rapport à la règle et à l’autorité. Troisièmement, ils font un lien avec le vécu scolaire des parents : ceux ayant fait une scolarité courte ou ayant eu des difficultés scolaires seraient dans un rapport de défiance à l’égard de l’institution scolaire. D’un côté, ils ne parviennent pas nécessairement à suivre la scolarité de leurs enfants et à répondre aux attentes de l’institution et, de l’autre, ils ont tendance à adopter une posture défensive qui rend parfois le dialogue difficile.
« Les raisons de l’absence de travail à la maison ?
— Alors là, c’est très variable. Ça peut être des parents qui ne suivent pas l’enfant parce qu’ils n’ont pas fait eux-mêmes d’études. Ça peut être des parents qui rentrent tard le soir et donc, là non plus, qui ne peuvent pas suivre l’enfant. C’est des parents qui sont persuadés qu’en donnant tout, comme ils disent souvent à leur enfant… C’est-à-dire qu’ils ont une télévision, ils ont la Playstation, ils ont tout dans leur chambre et ils ne comprennent pas pourquoi ils ne travaillent pas. C’est assez amusant ça. Il y a plein de cas différents. Il y a le découragement aussi, de l’élève, qui à force de ne pas y arriver, finit par abandonner et décrocher. C’est multifactoriel. S’il n’y en avait qu’une raison, on pourrait se concentrer dessus mais non, il n’y en a pas qu’une »
enseignante, Montreuil.
« Et on est aussi entre le marteau et l’enclume avec les parents parce que, ça je pense que c’est une réalité : les parents n’ont pas conscience de ce que sont leurs enfants dans une enceinte scolaire et ils le prennent toujours pour eux. Quand vous rencontrez un parent et que vous lui dites que son enfant est… [problématique]. Le parent le prend tout de suite pour lui et ça ressort le fait qu’on soulignait ce matin, un parent n’est jamais qu’un ancien élève qui, dans notre cas à nous, a souvent mal vécu sa scolarité. Quand vous lui dites, en gros, que son gamin est infect en classe, lui, ça lui rappelle qu’il y a vingt ans, on lui disait la même chose, et ça se voit ! Ça se perçoit. Là aussi c’est assez difficile »
enseignant, Montpellier.
62Les contacts avec les parents d’élèves sont plus individuels que collectifs. Tout d’abord, ils ont lieu dans le cadre du suivi individualisé des élèves réalisé par les CPE et les assistants d’éducation en matière de retards, d’absences et de problèmes de comportements (donnant lieu ou pas à une punition ou à une sanction). Dans les deux premiers cas, les professionnels n’hésitent pas à les appeler et, dans le dernier, à utiliser le carnet de liaison ou à les appeler lorsqu’une rencontre s’avère nécessaire.
« Les parents viennent toujours quand vous leur demandez ?
— Quand moi j’appelle un parent et que j’essaie de le voir, globalement, oui.
Mais je pense que c’est valable aussi pour les enseignants. On va faire des réunions parents-profs, on aura peut-être dix parents. Ça fait un sur deux ou un sur deux et demi. Par contre, prendre son téléphone et dire à Mme Machin : “J’ai besoin de vous voir parce que j’ai tel et tel problème avec votre enfant”, globalement, les parents viennent »
CPE, Montpellier.
63De leur côté, les enseignants se réfèrent principalement aux réunions « parents-profs » qui donnent lieu à la remise du bulletin trimestriel et à un échange et, avec une partie d’entre eux, à des rencontres individuelles sollicitées par les professeurs principaux. Bien que, compte tenu du nombre d’entretiens, il soit difficile de généraliser, la fréquentation des réunions « parents-profs » apparaît inégale d’un établissement à l’autre. À Montreuil, les parents des bons élèves sont présents mais plus rarement « ceux qu’il faudrait voir ». Il est de même à Rennes où les enseignants interrogés ont le sentiment que la présence des parents diminue progressivement. Enfin, à Montpellier, la principale estime qu’environ 60 % des parents se déplacent pour retirer le bulletin. Les enseignants rencontrent également les parents au sujet de l’orientation lorsqu’elle est incertaine ou fait l’objet d’un désaccord de la part des parents. Quelques professeurs principaux font part de conflits sur les décisions d’orientation : des parents ayant des ambitions élevées et souhaitant un passage en seconde générale. Cependant, d’une manière générale, ils échangent principalement avec les élèves, ces derniers faisant le lien avec leurs parents.
64Les contacts avec les parents sont jugés nécessaires : d’une part, ils permettent d’expliquer des situations ou d’expliciter des demandes et, d’autre part, ils sont censés conduire les parents à légitimer l’école auprès de leurs enfants. Si certains professeurs principaux sont prêts à écouter les parents, ils cherchent aussi à en faire des alliés de leur action.
65Le recours croissant à des contacts individuels semble contrebalancer la faible participation collective des parents et leur faible présence dans les associations de parents d’élèves. Ces dernières (uniquement la FCPE dans les trois collèges) sont décrites comme comprenant peu de membres et comme étant peu présentes dans les établissements. Par conséquent, s’il y a des élus au conseil d’administration, il manque des représentants dans les conseils de classe. Cette faible participation institutionnelle des parents via les associations traditionnelles conduit les principaux de collège à chercher d’autres acteurs collectifs susceptibles de faire un lien avec les familles, voire comme dans le cas des directeurs d’école, à s’impliquer dans des dispositifs s’adressant aux parents (Kherroubi, Garnier et Monceau, 2008). Dans les trois villes, ils ont des liens avec des associations ou tentent d’en établir : par exemple avec l’association des femmes du quartier et l’association des femmes maliennes à Montreuil, avec les éducateurs de rue du quartier à Montpellier et avec les mères d’origine turques à travers un atelier d’alphabétisation hebdomadaire au sein de l’établissement de Rennes. La coopération avec des acteurs externes aux établissements ne s’est pas seulement développée en lien avec la territorialisation des politiques d’éducation et l’injonction partenariale, elle résulte également de la recherche de ressources externes permettant de tisser des liens avec les parents pour les informer ou les amener à fréquenter l’établissement. En conséquence, les trois principaux élaborent des stratégies pour tenter de réduire la distance avec les parents, voire encourager leur participation, mais les résultats ne sont pas toujours concluants.
Pour les parents, entre contacts imposés et contacts sollicités
66Le regard que portent les parents sur les relations avec le collège fait en partie écho à celui des enseignants. S’ils éclairent leur inégale présence par leur situation sociale et économique ou leur parcours scolaire, ils l’expliquent également par leur satisfaction à l’égard du fonctionnement du collège et le suivi individualisé des élèves. En résumé, tant que tout se passe bien au sein de l’établissement, ils n’ont pas de raison d’intervenir. Les parents d’élèves des trois collèges ont le sentiment d’être informés sur ce qui se passe au sein de l’établissement et de la situation scolaire de leur enfant. Ils le sont par les personnels et par leurs enfants à qui ils déclarent poser des questions sur l’ambiance, les relations entre les élèves et sur les enseignants. Ils affirment également suivre la scolarité de leurs enfants : davantage les garçons que les filles et davantage lorsque les résultats sont préoccupants, mais reconnaissent les limites de leurs compétences scolaires (Lahire, 1985). Cette « coopération à distance » (Van Zanten, 2001) n’exclut pas la formulation d’exigences et de critiques à l’égard du collège fréquenté.
67D’une part, concernant les enseignants, les parents d’élèves tiennent des propos proches des élèves : ils distinguent les « bons » des « mauvais », ceux qui aident de ceux qui « rabaissent », ceux qui soutiennent les élèves en difficulté de ceux qui n’adaptent pas leurs méthodes, voire qui ne sont « pas motivés par leur travail ». Ces points de vue se construisent à partir des récits de leurs enfants auxquels les parents prêtent une plus ou moins grande attention en fonction du comportement de leur propre enfant. Ainsi, la valeur donnée à un jugement sur un enseignant est-elle relativement proportionnelle au comportement, au travail scolaire et aux résultats scolaires. Elle est également influencée par l’expérience scolaire antérieure : plusieurs parents ayant effectué leur scolarité à l’étranger ont le sentiment qu’à leur époque les élèves étaient plus encadrés. Cependant, ils constatent que lorsqu’un enseignant est concerné, il est difficile d’intervenir pour changer la situation. Pourtant, certains d’entre eux ont des exigences relativement précises : elles portent principalement sur l’exercice de l’autorité, les élèves apparaissant moins encadrés que dans l’enseignement privé, et sur le soutien apporté aux élèves. S’ils reconnaissent leur rôle dans l’éducation des enfants, ils estiment que les enseignants doivent aussi « faire leur travail ». Par exemple, le fait que la majorité des parents interrogés ne se sentent pas compétents pour aider leurs enfants à faire leurs devoirs et interviennent principalement pour rappeler la nécessité de les faire ou les contrôler, les conduit à considérer qu’une exigence forte pèse sur eux. Ils estiment que les plus éloignés de la langue française ou n’ayant pas fait d’études devraient bénéficier d’un réel soutien. D’autre part, certains parents d’élèves, principalement ceux d’origine étrangère, estiment que la mixité sociale est faible au sein de l’établissement fréquenté et qu’existent des pratiques discriminantes notamment lors de l’orientation. Le fait qu’il s’agisse « du collège en rapport avec les cités » (Montpellier), qu’il n’y ait « que des noirs » (Montreuil) ou qu’il y ait des différences de traitement entre les « Français » et les « étrangers » (Rennes) n’est pas sans effets sur la perception de l’établissement et sur les relations entretenues avec l’équipe éducative (cf. Danic et Filhon, supra). Certains parents ont même le sentiment de revivre ce qu’ils ont vécu plus jeunes : une mère (Montpellier) raconte la manière dont les pieds-noirs se faisaient maltraiter par les Français.
68Dans les entretiens, les parents d’élèves énumèrent les situations donnant lieu à des contacts avec les établissements. Les contacts apparaissent être à l’initiative des deux parties. D’une manière générale, lorsque les élèves sont en retard, sont absents, ont un comportement jugé inapproprié ou ont des difficultés scolaires ou relationnelles avec un enseignant, les établissements appellent directement les parents ou utilisent le cahier de correspondance. L’objectif est de les informer ou de les convoquer pour une rencontre avec le CPE, le professeur principal ou la direction de l’établissement. Dans le cas des retards ou des absences, les appels sont globalement plutôt bien perçus car ils permettent également aux parents de contrôler les activités de leurs enfants. Cet aspect apparaît d’autant plus important pour des mères qui travaillent en horaires décalés et craignent que leurs enfants (principalement leur fils) aient de « mauvaises fréquentations ».
« Vous appelez ou l’école vous informe bien sur les choses ?
— Oui, ça marche dans l’autre sens aussi. Parce que s’il ne vient pas à l’école… Par exemple, le matin s’il doit commencer à huit heures et demie, s’il n’est pas là à 8 h 30 ou maximum 45, et qu’ils n’ont pas eu de coup de fil de la part des parents pour informer qu’il ne viendra pas ou sera en retard, ils t’appellent tout de suite à la maison et si ça ne répond pas ils appellent sur le portable pour avertir qu’ils ne l’ont pas vu à l’école encore […]. C’est une très bonne chose ! Parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver sur le chemin de l’école. Il peut sortir pour aller à l’école, il peut lui arriver quelque chose ou il peut sécher le cours en se disant que… ils vont pas se rendre compte, ils ne vont pas avertir, mais non ! C’est une bonne chose parce que tout de suite on essaye de savoir où il est ou qu’est-ce qui se passe. Et moi, de mon côté, s’il y a un souci, s’il est malade et qu’il doit aller voir le médecin ou autre, j’avertis tout de suite. Et après, il amène le mot du médecin, pour justifier »
mère, Rennes.
69Les parents prennent aussi contact avec l’établissement pour différentes raisons : des atteintes physiques ou morales à leur enfant, des difficultés scolaires ou relationnelles avec un enseignant, des difficultés financières (paiement de la cantine) et des documents à apporter. Par exemple, une mère de la ville de Rennes raconte que sa fille a été menacée. Elle a décidé d’appeler le CPE et l’a rencontré en présence de la principale adjointe permettant de son point de vue de régler le problème. Un exemple similaire est cité à Montreuil.
« On a eu un petit problème. Enfin pas moi, c’est Camille qui a eu un petit problème avec un des élèves et quand je voyais leur façon d’être, leur côté psychologue, je me disais, ils sont pros ! Un problème avec un Turc, ah je ne suis pas raciste, rien à voir, c’était lui, ça aurait été un Français, c’était pareil, hein ! Et puis, lui c’était : “Je vais taper sur ta mère, ta sœur”, etc. Alors j’ai dit à Camille : “Attends, on va le calmer, on va aller voir la CPE.” On est allées et un moment Camille ne disait rien. Alors, j’ai dit : “Mais Camille, dis quelque chose !” “Calmez-vous, Madame, on va discuter avec Camille.” Je me suis calmée, c’est eux qui avaient raison, c’est moi qui avais tort. Je me suis dit : “Bien.” Et ils ont réglé le problème. C’est vrai que Camille avait très peur ; elle a loupé l’école une semaine. Parce qu’il lui envoyait des mails : “Je vais te planter !”, comme on voit à la télé. J’ai dit : “C’est de l’intimidation, je vais chez les flics.” Mais avant d’aller chez les flics, on va passer au collège et en fin de compte, ils ont réglé la situation en deux coups de cuillère à pot, et bien »
mère, Montreuil.
70Les parents indiquent que lorsqu’ils ont des demandes, ils prennent contact avec l’établissement et obtiennent des réponses ou se rendent aux réunions « parents-profs » pour faire des mises au point.
« Ici, oui. J’ai vraiment apprécié les discours lors de cette fameuse réunion où tout le monde… Ce que j’ai apprécié, c’est qu’il n’y avait pas que le directeur et Jonathan et moi ou la CPE, Jonathan et moi, il y avait le directeur, la CPE, le professeur principal, tout l’ensemble s’était regroupé pour vraiment mettre les choses à plat, essayer de trouver une solution, tout le monde y mettait du sien, pour réfléchir sur le problème. Oui, j’ai trouvé ça vraiment bien »
mère, Rennes.
« J’ai cinq enfants qui sont passés par là, je n’ai jamais de problèmes. Les professeurs sont bien, sauf pour Karim. Chaque année, à chaque trimestre, il faut que je vienne pour mettre les choses au point parce qu’il fait des bêtises, des trucs. Les profs disent qu’il pourrait faire plus mais il ne veut pas. Il joue, il tchatche. Je parle avec les profs et ils me disent : “Il y a ça et ça !” pour que je serre un peu derrière. On lui promet des choses et on dit : “Si tu ne fais pas bien ça et ça, tout ce qu’on a dit, ça ne va pas” »
mère, Montpellier.
71Cependant, deux parents soulignent qu’ils ont le sentiment de ne pas avoir d’influence, dont un estime qu’il est inutile d’être en contact avec l’établissement. Dans ces deux cas, le désaccord porte sur l’affectation d’un élève dans une classe et sur le comportement d’un enseignant.
72Dans ce système de relations avec le collège, les associations de parents d’élèves semblent avoir un rôle mineur. À quelques exceptions près, les parents interrogés reçoivent des informations de la part des associations de parents d’élèves mais ne se reconnaissent pas dans ces collectifs et ne les fréquentent pas (Van Zanten, 2001). Trois mères issues de villes différentes rapportent avoir été contactées mais n’ont pas souhaité s’investir par manque de temps ou par crainte du racisme. De plus, de leur point de vue, être impliqué dans de telles associations suppose d’avoir des compétences sociales et les postes sont principalement occupés par les parents favorisés qui ne seraient pas au courant des difficultés des familles défavorisées. Une autre mère s’est désengagée considérant que ces associations sont inutiles en cas de problème : suite à l’agression de sa fille au sein de l’établissement, elle en a fait part à une association qui n’est pas intervenue. Ces deux exemples témoignent d’un désajustement entre les préoccupations de ces parents et l’action des associations locales qui éclaire leur éloignement de l’action collective et de la participation institutionnelle (Van Zanten, 2001 ; Dutercq et Lafaye, 2003) et, dans le même temps, le recours aux relations individualisées (Kherroubi, Garnier et Monceau, 2008 ; Migeot-Alvarado, 2000 ; Van Zanten, 2001)19. Au final, une seule mère parmi l’ensemble des parents interviewés est déléguée FCPE.
73Dans ces trois collèges, les personnels d’établissement et les parents d’élèves n’appréhendent pas nécessairement la participation à l’identique. Comme le souligne Pierre Périer, « les attentes et intérêts ne sont pas spontanément convergents » (2005). En fait les formes relationnelles ou partenariales proposées par l’institution scolaire correspondent à une norme d’intégration des usagers qui met à distance une partie des parents issus des milieux populaires (ibid.). Plus globalement, ces écarts produisent des moments de résistance, qui sont soit offensifs (par exemple la plainte ou le conflit), soit défensifs (par exemple le retrait), soit intégratifs (par la participation aux réunions ou aux instances) (Monceau, 2009). Ces variations conduisent les personnels à généralement considérer que la participation telle qu’ils l’envisagent apparaît peu élevée : les parents sont considérés comme ne maîtrisant pas suffisamment le fonctionnement de l’établissement, voire dans le cas de l’orientation, les opportunités et les procédures (cf. Danic et Filhon, supra), comme étant peu présents dans les réunions « parents-professeurs » et dans les instances et comme étant inégalement joignables en cas de besoin. Si dans les entretiens, les enseignants ne jugent pas les parents, et distinguent plusieurs degrés de distance, ils énumèrent plusieurs raisons qui constituent de leur point de vue des freins à la participation. Cependant, la distance plus ou moins importante des parents les préoccupe car ils estiment nécessaires les contacts avec eux pour réguler des difficultés scolaires ou comportementales et pour faire passer un certain nombre de demandes concernant les attentes de l’école. Ils souhaitent que les parents soient des alliés dans l’exercice de leur fonction professorale et évitent les conflits, y compris au moment de l’annonce des verdicts scolaires (Chauvel, 2016). La construction d’un lien entre les deux parties ne passe plus seulement par les associations de parents d’élèves mais par l’institutionnalisation d’autres injonctions, comme la participation aux réunions de rentrée et « parents-professeurs » permettant la remise du bulletin en main propre ou par le développement de contacts avec des acteurs de proximité. Pour les parents, la préoccupation ne concerne pas la venue au sein de l’établissement mais son bon fonctionnement, que ce soit au niveau des enseignements qu’au niveau du climat. Ils ne se déplacent que lorsque leur enfant fait l’objet d’un mauvais traitement ou lorsqu’ils admettent qu’il est en difficulté ou adopte des comportements qu’ils ne légitiment pas. De plus, ils utilisent les personnels de la vie scolaire pour contrôler les allées et venues de leurs enfants qu’ils ne veulent pas voir « traîner » après l’école. En cela, les mères acceptent plutôt d’être contactées lorsque leur enfant est en retard ou absent. À bien des égards, les parents interrogés considèrent leur inégale présence comme une forme de loyauté envers l’établissement. Leurs inquiétudes portent davantage sur leur capacité à suivre la scolarité de leurs enfants, sur les possibilités pour leurs enfants d’avoir un diplôme et un emploi et sur les risques de discrimination dont ils pourraient faire l’objet (cf. Danic et Filhon, supra).
Conclusion : des dispositifs déconnectés de la gouvernance des trajectoires scolaires
74Dans les huit pays étudiés, l’instrumentation de la participation des élèves et des parents débouche sur la mise en place de dispositifs qui comportent des similitudes sociales et techniques, mais qui ne sont pas mobilisés à l’identique. Les types de dispositifs les plus courants sont les conseils d’élèves ou de parents qui ont le plus souvent un pouvoir consultatif et la désignation de représentants des élèves et des parents dans les conseils d’établissement qui ont un pouvoir décisionnel dans un certain nombre de domaines. À ces deux modèles d’association des usagers à la gouvernance des établissements, s’ajoutent d’autres types de procédures, dont l’ancienneté et l’institutionnalisation, différents entre les pays et, en leur sein, entre les acteurs concernés : la désignation de représentants des élèves et des parents au conseil de classe, les réunions individuelles et collectives et les procédures contractuelles entre les parents et l’établissement. Comme indiqué dans l’introduction, des modalités de participation moins formalisées, voire informelles, sont mobilisées au sein des établissements. Souvent issues de préconisations publiques ou d’initiatives locales, elles constituent des solutions techniques pour réguler des situations ponctuelles, compenser l’inégale efficacité des dispositifs institutionnels ou, en particulier dans le cas des parents, pour s’adresser à des publics jugés plus distants des établissements. En cela, le spectre des opportunités de participation des usagers semble s’être élargi et dépasse désormais largement le cadre des dispositifs réglementés aux niveaux central ou local. Si cette participation constitue une norme d’action publique transnationale, elle est également influencée par les logiques nationales de gouvernance de l’éducation aux différents échelons institutionnels, en particulier les conceptions des relations avec les élèves et les parents, et leurs évolutions. La comparaison met en effet en évidence des variations entre les huit pays et en leur sein. Elles dépendent principalement de l’échelon de régulation (centrale ou locale), du niveau d’enseignement secondaire (inférieur ou supérieur), des objectifs poursuivis, des acteurs concernés (élèves et parents) et des outils mobilisés (type et nombre). L’agencement entre ces dimensions dessine des configurations de participation des usagers à la gouvernance des établissements. Les proximités entre les pays ne semblent pas correspondre à la classification d’Allmindinger (1989). En particulier, le degré de standardisation des dispositifs mobilisés n’apparaît pas équivalent à celui des systèmes éducatifs. Par exemple, alors que les Pays-Bas sont classés parmi les pays fortement standardisés, le recours à des dispositifs relève de l’autonomie des établissements. À l’inverse, en Pologne, les dispositifs s’adressant aux élèves font l’objet d’une réglementation centrale alors que ce pays est considéré comme faiblement standardisé. Ces décalages peuvent s’expliquer par l’évolution générale depuis 1989 des systèmes éducatifs ou par l’éventuelle déconnexion de leur développement de choix plus généraux.
75Si l’examen des dispositifs permet de saisir les manières dont la participation des usagers est équipée, il n’informe pas sur son effectivité. Les résultats des enquêtes quantitatives réalisées auprès des élèves, des parents et des directeurs d’établissement mettent en évidence que l’existence de procédures de participation ne conduit pas toujours les élèves et les parents à considérer qu’ils peuvent s’exprimer et avoir une influence. D’une manière générale, les élèves se sentent moins écoutés que les parents. C’est d’ailleurs dans les pays considérés comme fortement standardisés, en dehors de l’Allemagne, que ce sentiment est le plus fort. De plus, les réponses des directeurs concernant les tâches des conseils d’élèves mettent en évidence que leur prise de parole est concentrée sur certains domaines : plutôt l’animation de la vie scolaire que les questions curriculaires dans la majorité des pays. En Slovénie, en Pologne et en Finlande, leur activité est vraiment orientée sur l’animation alors qu’au Royaume-Uni, les conseils interviennent plus sur les questions curriculaires. Il serait nécessaire d’approfondir le lien entre le sentiment d’influence et les domaines d’influence. Par exemple, comme le montre la deuxième partie de la contribution, les collégiens français ne parviennent pas à faire entendre leurs revendications concernant la qualité de l’enseignement alors qu’elle est centrale dans leur expérience et leur parcours scolaires. Cette impossibilité les conduit à considérer qu’ils ne sont pas écoutés. De leur côté, les parents, alors qu’ils semblent d’après les directeurs des acteurs plus légitimes que les élèves, n’ont pas nécessairement le sentiment de peser sur les décisions. Les trois enquêtes font nettement apparaître les écarts de jugements entre les acteurs sur leur rôle et leur influence et des variations entre les pays qui ne sont pas nécessairement indexées sur l’existence d’un nombre important de dispositifs de participation des élèves et des parents.
76Au sein des huit pays, la France se présente comme le pays où les collégiens et leurs parents se sentent les moins écoutés. Les résultats de l’enquête réalisée au sein de trois collèges défavorisés ont tendance à aller dans le même sens. Tout d’abord, qu’il s’agisse des élèves ou des parents, ce n’est pas dans le cadre de dispositifs institutionnels de participation, comme le conseil de classe ou le conseil d’administration, qu’ils s’expriment le plus. Les régulations s’opèrent lors de rencontres individuelles ou collectives inégalement institutionnalisées. Si l’heure de vie de classe est réglementée, elle n’est pas toujours utilisée dans les établissements. De plus, l’existence des réunions « parents-professeurs », le recours à des contacts ponctuels (de visu, téléphonique, électronique, via des SMS ou des intranets), la mise en place de partenariats ou l’organisation d’événements sont davantage issus de préconisations publiques ou d’initiatives locales. Le recours à ces modalités vise à contrebalancer l’inefficience de dispositifs plus institutionnalisés. À ce titre, les usages qu’ont les personnels d’éducation et les principaux de ces différents outils informent sur la manière dont ils appréhendent la participation des élèves et des parents. Au collège, il semble que l’exigence de conformité, qu’elle soit comportementale ou cognitive, soit l’épicentre de la relation avec les usagers. Dans le cas des élèves, les logiques informative, à travers l’heure de vie de classe et principalement au sujet de l’orientation, et occupationnelle, à travers les projets ou les clubs, dominent sur la logique participative. Dans le cas des parents, la logique informative est également mobilisée, mais elle s’accompagne d’une logique de régulation de situations jugées problématiques, initiées par les personnels de l’établissement ou par les parents, qui implique la mobilisation des deux parties. Certes, dans cet échange, existe une asymétrie entre les deux parties. Ce n’est que lorsque les parents demandent des comptes aux établissements sur le traitement de leurs enfants par les enseignants ou par les élèves ou lorsqu’ils utilisent les contacts avec l’établissement comme système de surveillance de leurs enfants, que la relation se renverse en partie.
77Ainsi, les élèves, les parents et les personnels jouent sur des aspects différents le rôle de lanceur d’alerte, mais ils sont pris dans des routines d’institutions, dont témoignent les variations entre les établissements, qui en limitent les effets. Si des technologies participatives leur sont proposées, ils ne sont pas vraiment inscrits dans des mécanismes participatifs qui reposeraient sur une intégration des usagers à la gouvernance des établissements. De prime abord, les normes d’intervention qui sous-tendent les procédures de participation des élèves et des parents et les procédures d’orientation ont des points communs. Dans les deux cas, l’usager est apparemment considéré comme autonome, c’est-à-dire à même de faire des choix et d’émettre des jugements, et invité à être « actif » ou « citoyen » en étant partie prenante de processus délibératifs.
78Cependant, de cette concordance apparaît surgir un « jeu de faux-semblant » (Chauvel, 2016) ou un « artefact » (Buisson-Fenet, 2004). Non seulement le principe d’autonomie est plus énoncé que défini et son exercice est pris en étau entre la disqualification des autres, comme par exemple l’influence des pairs, et de l’écart aux règles, comme par exemple l’expression d’un désaccord au sujet d’une décision ou dans le cadre d’une instance (Becquet, 2014a ; Chauvel, 2016). Or, ces imprécisions et restrictions jouent tout autant sur la participation que sur l’orientation (Danic et Hardouin ; Danic et Filhon, supra). De plus, la figure de l’usager « actif » est inscrite entre une logique collective dans le cas de la participation et une logique individuelle dans le cas de l’orientation, comme nous l’avons vu précédemment, voire plus globalement de la réussite scolaire. Or, dans l’ordinaire de l’établissement, ces deux logiques ne s’ajustent pas nécessairement, voire peuvent entrer en concurrence. L’individualisation de la revendication, de la négociation et du conseil de la part des élèves et des parents, la réduction d’instances de participation comme le conseil de classe à des « chambres d’enregistrement » (Périer et Rouillard, 2012) et la fragilisation dans certains contextes scolaires des associations de parents d’élèves en constituent une illustration. Enfin, la multiplicité des facteurs qui pèsent sur le fonctionnement des établissements et la formulation des verdicts scolaires débouchent sur une désorientation d’une partie des usagers que reflète leur sentiment de ne pas avoir d’influence, voire d’être injustement traités. Ainsi, l’injonction participative ou partenariale, qu’elle soit individuelle ou collective, repose-t-elle sur des présupposés qui, mis à l’épreuve de certains contextes de scolarisation, produisent des effets inverses.
Notes de bas de page
1 Voir par exemple la recommandation du Comité des ministres aux États membres relative aux politiques visant à soutenir une parentalité positive, décembre 2006.
2 Dans le rapport de l’OCDE, la prise de parole individuelle correspond aux « parents ou élèves qui participent directement à la prise de décision dans les écoles et qui jouent un rôle important dans le processus d’apprentissage (personnalisation) » et collective à « l’influence d’un groupe d’intérêt sur les questions scolaires, par exemple par le biais de consultation sur le programme d’enseignement, les manœuvres de couloir, la politique des groupes de pression » (p. 10).
3 Les modalités de participation des élèves et des parents n’ont pas été étudiées sous un angle historique. L’évolution récente de l’action publique dans ce domaine n’a pas été analysée et ne permet pas d’examiner l’hypothèse d’un lien entre leur développement et leur institutionnalisation et les changements nationaux et européens.
4 Eurydice, Citizenship education in Europe, Bruxelles, Commission européenne, 2012.
5 Les données sur les élèves et les parents d’élèves sont issues de Mcdowell J., Biggart A., Živoder A., Ule M., Martelli A., De Luigi N. et Litau J., Governance of Educational Trajectories in Europe : Comparative analysis individual survey, GOETE working paper, Belfast/Ljubljana/Bologne/Francfort, Université Queen’s de Belfast/Université de Ljubljana/ Université de Bologne/Université de Francfort, 2012 ; sur les directeurs d’établissements : Aro M., Järvinen T., Rinne R., Tikkanen J., Buchowicz I., Fedorczuk M., BLEDOWSKi P., Parreira do Amaral M. et Walther A., Governance of Educational Trajectories in Europe. Comparative Analysis Institutional Survey, GOETE working paper, Turku/Varsovie/Francfort, Université de Turku/école d’économie de Varsovie/Université de Francfort, 2012.
6 La question était la suivante : How much influence do you think the following actors have on central decisions concerning your school ? (1 = not at all – 5 = very much.)
7 Mcdowell et al., op. cit.
8 La question était la suivante : How important are the following tasks for the student’s council ? (1 = not at all important – 5 = very important.)
9 Aro et al., op. cit.
10 La question était la suivante : « Indiquez votre point de vue sur les situations suivantes relatives aux rapports entre votre enfant et son école (pas du tout d’accord, pas trop d’accord, d’accord, totalement d’accord) : je peux participer aux décisions prises au sein de l’école/L’école prend en compte mes suggestions et mes préoccupations. »
11 Loncle P., Becquet V., Janich S., Amos K., Martelli A. et Theobald U., « Students and Parents as Actors of the Educational Governance », in Parreira do Amaral M., Dale R. et Loncle P. (dir.), Distributing life chances through governance of educationnal trajectories in Europe, Oxford, Symposium Books, 2015.
12 Pour les données sur les parents : Mcdowell et al., op. cit. et sur les directeurs : Aro et al., op. cit.
13 Ibid.
14 En 1991, ont été octroyés des droits aux élèves de l’enseignement secondaire : le droit de réunion, d’association et de publication. Les droits des collégiens ont été limités à un droit de réunion réservé aux délégués des élèves (décret no 91-173 du 18 février 1991 relatif aux droits des élèves dans les établissements publics locaux d’enseignement du second degré).
15 La création du Parcours citoyen est annoncée en janvier 2015 dans le cadre de la Grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République (Le Parcours citoyen de l’élève, circulaire no 2016-092 du 20 juin 2016) ; le Conseil des délégués pour la vie collégienne correspond à l’axe 4 de la réforme du collège (Faire du collège un lieu d’épanouissement et de construction de la citoyenneté, une communauté où l’expérience individuelle et l’activité collective sont privilégiées, Le Collège en 2016 : mieux apprendre pour mieux réussir ; décret no 2016-1631 du 29 novembre 2016 instituant les Conseils de la vie collégienne).
16 Dans l’enquête quantitative, les élèves ont été interrogés sur les personnes qu’ils solliciteraient en cas de problème : « Si tu avais des problèmes avec ta vie en général, à quelle personne préférerais-tu demander conseil ? » et : « Si tu avais des problèmes avec ton travail scolaire, à quelle personne préférerais-tu demander conseil ? »
17 Les heures de vie de classe ont été créées en 1999. Dix heures annuelles doivent être inscrites à l’emploi du temps des collégiens : « Ces heures visent à permettre un dialogue permanent entre les élèves de la classe, entre les élèves et les enseignants ou d’autres membres de la communauté scolaire, sur toute question liée à la vie de la classe, à la vie scolaire ou tout autre sujet intéressant les lycéens. Elles sont inscrites à l’emploi du temps de tous les élèves. Si la fréquence et les modalités d’organisation de ces heures peuvent être variables selon les établissements, elles doivent cependant avoir lieu au minimum tous les mois et être organisées sous la responsabilité du professeur principal ou des conseillers principaux d’éducation, avec le concours des enseignants de la classe, des conseillers d’orientation-psychologues, des documentalistes et des personnels de santé », [http://www.education.gouv.fr/bo/1999/21/default.htm].
18 Association de prévention spécialisée 34.
19 Les résultats du panel mettent en évidence qu’au collège 13,1 % des parents sont membres d’une association et 9,3 % sont délégués des parents d’élèves au conseil de classe ou au conseil d’administration. D’importants écarts apparaissant en fonction du milieu social : respectivement 3,9 et 2,2 % pour les parents titulaires d’un BEPC et 26,5 et 17,6 % pour les parents titulaires d’un bac + 3 et plus (Dalsheimer-Van Der Tol et Murat, 2011). Le constat d’un recul de la participation des parents aux associations de parents d’élèves et aux élections des parents d’élèves apparaît dans les rapports sur les relations entre les parents et l’institution scolaire : voir par exemple IGEN et IGAENR, 2006 et Corre, 2014.
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