Présentation de la recherche et de ses contextes
p. 23-42
Texte intégral
La recherche Governance of Educational Trajectories in Europe
1Le présent ouvrage vise à cerner comment les facteurs scolaires que sont les politiques éducatives, les procédures d’orientation et les dispositifs de participation institutionnelle des usagers d’une part et les actions des professionnels, des élèves et leurs parents d’autre part construisent les trajectoires éducatives. Il est issu de la recherche Governance of Educational Trajectories in Europe (GOETE), sélectionnée et financée par le 7e PCRDT. Cette recherche a réuni de 2010 à 2013 une soixantaine de chercheurs issus de huit pays européens : l’Allemagne, la Finlande, la France, l’Italie, la Pologne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Slovénie, sous la direction d’Andreas Walther, professeur de pédagogie sociale à l’université Goethe de Francfort. L’équipe française a été constituée et pilotée par Patricia Loncle. Les auteurs du présent ouvrage sont les chercheurs titulaires de l’équipe française issus de trois disciplines (et de quatre institutions) : Patricia Loncle est enseignante-chercheure en science politique et en sociologie (EHESP), Valérie Becquet (ESPE-université Cergy-Pontoise) et Isabelle Danic (université Rennes 2) sont enseignantes-chercheures en sociologie, Magali Hardouin est enseignante-chercheure en géographie (ESPE-université de Bretagne occidentale). Les jeunes chercheurs impliqués ont quitté la recherche (Laetitia Mellottée et Simon Janich) ou n’étaient pas disponibles au moment de cette rédaction (Virginie Muniglia) mais nous leur sommes redevables de leur contribution à la recherche. Enfin, une collègue sociologue n’ayant pas été impliquée dans la recherche a été sollicitée en renfort pour le traitement quantitatif et l’analyse : Alexandra Filhon (sociologue, enseignante-chercheure à l’université Rennes 2).
2Ce projet collectif se situe dans l’histoire d’un groupe de recherche particulier (le réseau EGRIS – European group for integrated social research – institué il y a maintenant vingt ans et celle de la coopérative IRIS – Institute for regional innovation and social research – basée à Tübingen). Or, l’approche de recherche développée dans le cadre de l’étude GOETE est en partie le résultat d’un processus incrémental engagé largement par ce groupe. Nous avons ainsi participé aux projets suivants qui ont permis de renforcer la connaissance comparative dans le champ de l’éducation et de la jeunesse :
1999-2002, projet Leonardo da Vinci « Integration through training », comprenant six pays (Allemagne, Danemark, Espagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Suède), sous la direction d’Andy Furlong, de l’université de Glasgow ;
2001-2004, projet du 5e PCRDT, Yoyo, Potentials of participation and informal learning in young people’s transitions to the labour market. A comparative analysis in ten European regions. Projet placé sous la direction d’Andreas Walther de l’université de Tübingen, comprenant neuf pays (Allemagne, Danemark, Espagne, Grande-Bretagne, Irlande, Italie, Pays-Bas, Portugal, Roumanie) ;
2007-2009, projet du 6e PCRDT Up2youth, Youth, actor of social change, comprenant quinze pays (Allemagne, Autriche, Bulgarie, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grande-Bretagne, Irlande, Italie, Pays-Bas, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Slovénie), sous la direction d’Andreas Walther de l’université de Tübingen. Projet structuré en trois sous-thèmes : la participation, les jeunes parents et les jeunes immigrés ou d’origine immigrée.
3Ces différents projets ne sont pas les seules recherches européennes comparatives sur les parcours d’intégration des jeunes mais ils font assurément partie des projets les plus ambitieux et ils ont permis, à la fois de constituer un réseau de chercheurs conséquent sur ces sujets, et de dégager des éléments de connaissance tout à fait importants. Parmi ceux-ci, sans détailler l’ensemble des notions, on peut mentionner les misleading trajectories ou trajectoires trompeuses, les trajectoires yoyo, les régimes de transition en matière de jeunesse. Ces notions sont largement détaillées dans les productions consacrées aux différents projets1.
4À la suite de ces travaux et à partir du même réseau de chercheurs, la recherche GOETE traite la question centrale « Comment les politiques, les institutions et les pratiques des acteurs construisent les trajectoires éducatives ? », avec un focus sur la période depuis la transition qui mène au secondaire premier niveau jusqu’à la transition qui mène au secondaire deuxième niveau, c’est-à-dire sur la classe d’âge des 10-16 ans, et ce dans une démarche comparative et interdisciplinaire. L’interrogation principale est déclinée avec plusieurs entrées thématiques pointée par le sous-titre de la recherche : accès à l’éducation (access), adaptation des adolescents (coping), pertinence de l’éducation (relevance) pour les jeunes dans les sociétés européennes, parcours de vie des adolescents (lifecourse) et gouvernance des politiques éducatives (governance). Cette recherche a donc pour ambition de mettre en évidence la portée de la gouvernance des politiques éducatives sur la structuration des trajectoires éducatives des élèves de ces pays, par l’influence des instances européennes et par les points de vue et pratiques des principaux acteurs. Par conséquent, ce projet apporte des connaissances comparées et multiniveaux sur l’influence des instances européennes sur les politiques éducatives nationales, sur la gouvernance de ces dernières avec une mise en évidence des différences mais également des mouvements de fond qui les traversent, sur l’implication des échelons infranationaux dans le domaine éducatif mais également sur l’influence des acteurs qu’il s’agisse des professionnels de l’éducation (chefs d’établissement, enseignants, autres personnels éducatifs) ou des parents et des élèves eux-mêmes, autant d’aspects rarement pris en compte simultanément dans leurs interactions. L’objet du présent ouvrage est de présenter une part des résultats de cette recherche, en français, en mettant au centre la situation de la France. D’autres publications, en anglais pour la plupart, traitent de façon plus large les différentes questions qui sous-tendent la démarche2.
5La stratégie de comparaison s’appuie sur les typologies de Walther (2006) et d’Allmendinger (1989) permettant des catégorisations de pays et ainsi des confrontations de ces catégories (voir ci-dessous).
Protocole général d’enquête
6Huit pays européens ont été retenus par l’équipe de coordination pour réaliser la recherche. Le choix des pays a été réalisé de façon raisonnée, afin de représenter l’Europe du Nord, de l’Ouest, du Sud, et de l’Est d’une part, et les différents types de systèmes éducatifs (catégorisation d’Allmendiger actualisée), d’autre part. Au final, ce sont l’Allemagne, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Royaume-Uni et la Slovénie qui ont été retenus.
7Une démarche de méthode mixte a été choisie impliquant :
un travail documentaire et des entretiens avec 65 experts (élus, responsables, décideurs dans le domaine de l’éducation) pour cerner les systèmes éducatifs et les formations des enseignants dans les huit pays ;
un travail documentaire et des entretiens avec 95 experts de la gouvernance éducative (experts nationaux, décideurs, responsables, syndicats, employeurs) pour comprendre les politiques éducatives des huit pays ;
des terrains dans un établissement de trois villes dans chaque pays (voir ci-dessous) ;
un questionnaire auprès des adolescents en fin de secondaire premier niveau (voir ci-dessous) ;
un questionnaire auprès de leurs parents (voir ci-dessous) ;
un questionnaire auprès des chefs d’établissement (voir ci-dessous) ;
la réalisation d’un film permettant l’implication et l’expression des adolescents sur le thème de la transition en fin de secondaire premier niveau3.
8Pour réaliser les enquêtes qualitative et quantitative de façon contextualisée, trois villes, situées dans trois régions, ont été choisies dans chaque pays pour étudier des situations géographiques, socio-économiques et culturelles diversifiées.
Des enquêtes qualitatives dans un établissement de chacune des trois villes de chaque pays
9Afin de cerner les mécanismes de différenciation des trajectoires des élèves d’établissements défavorisés, observée dans tous les pays, trois établissements secondaires premier niveau défavorisés ont été sélectionnés dans les trois villes retenues de chacun des huit pays (N = 24). Y ont été menés des observations, des entretiens individuels et des focus-groupes auprès des adolescents avant la transition en fin de secondaire (N = 195), des adolescents après la transition (N = 109), des parents (N = 109), des enseignants (N = 109), des personnels internes et des partenaires externes (N = 208), dans le but de comprendre comment les trajectoires se bâtissent dans les interactions entre structuration politique et institutionnelle, pratiques et représentations des professionnels, pratiques et représentations des adolescents et de leurs parents.
10Dans chaque pays, les données ont été traitées et analysées sur la base d’une grille d’analyse constituée collectivement à partir des questions de recherche et des matériaux recueillis.
11Les parcours individuels ont été analysés en lien avec leur contexte sur le modèle ci-dessous exposé.
12Cette modélisation des parcours a permis leur confrontation : quels sont les points de vue et les expériences de transition dans les parcours des différents acteurs ? Quelles expériences les adolescents rencontrent-ils à l’école, au domicile et dans leur espace de vie qui influencent leur scolarité ? Comment y font-ils face ? Sont-ils soutenus par leurs parents, leur école, ou d’autres institutions ? De quelle façon ces expériences influencent-elles leur trajectoire ?
13La contextualisation des parcours s’est appuyée sur le modèle de Helsper schématisé ci-dessous.
14La comparaison entre pays vise à dégager des modèles de gouvernance des trajectoires éducatives, en lien avec les questions de recherche : quelles sont les possibilités de participation des adolescents et des parents dans les établissements ? Est-ce que les écoles coopèrent avec des acteurs extérieurs ? Comment se réalisent les processus de décision ? Les établissements étudiés reflètent-ils l’organisation du système éducatif ? Quels sont les principaux facteurs de différenciation des trajectoires éducatives ?
Un questionnaire auprès des adolescents en fin de secondaire premier niveau (N = 6390)
15Pour les questionnaires élèves et parents, l’unité d’échantillonnage était l’établissement. Dans chacune des trois villes choisies comme terrain d’enquête dans chaque pays, six établissements publics et privés ont été sélectionnés pour représenter à même hauteur les établissements défavorisés, mixtes et favorisés au regard des critères nationaux. L’échantillonnage ne vise pas une représentativité nationale mais la possibilité de comparer des établissements défavorisés, mixtes et favorisés dans trois contextes précisément cernés. En présence d’au moins un chercheur, le questionnaire a été complété en classe par 6366 élèves à la fin du secondaire premier niveau, soit à 15-16 ans pour tous les pays sauf pour l’Italie où elle a lieu à 13-14 ans. La base « élèves » internationale a été redressée pour rééquilibrer le poids des types d’établissement et le poids des pays (tableau 2) en vue de permettre la comparaison (Lynn et al., 2004).
Un questionnaire auprès de leurs parents (N = 3 290)
16À l’issue de la passation des questionnaires en classe, le questionnaire à destination des parents était distribué aux élèves. Plus de la moitié des parents (3229), dont 81,8 % de mères, 16,8 % de pères, et 1,4 % de beaux-parents, tuteurs/tutrices ou autres, ont retourné le questionnaire. La base « parents » internationale a été redressée pour équilibrer le poids des types d’établissement et le poids des pays – mais pas le genre compte tenu du déséquilibre. L’échantillon de parents du Royaume-Uni n’a pas pu être pris en compte du fait qu’il était trop déséquilibré en termes de PCS.
Un questionnaire auprès des chefs d’établissement (N = 985)
17Ce questionnaire visait à cerner l’autonomie des établissements et la capacité décisionnaire des chefs d’établissement, sur la façon dont les établissements régulent et préparent la transition vers le niveau supérieur, sur l’enseignement et l’accompagnement des élèves et des familles en difficulté. Le questionnaire a été transmis par mail à des chefs d’établissement public et privé, de niveaux primaire, secondaire premier et second degrés (sauf pour la Pologne qui a enquêté en face-à-face). Dans chaque pays, les chefs d’établissement des trois villes enquêtées étaient initialement visés. Mais, compte tenu du fort taux de non-réponses, l’enquête a été élargie aux régions de ces trois villes. Les taux de réponse ont été disparates selon les pays en lien avec le niveau de sollicitation des chefs d’établissement pour des enquêtes. Le Royaume-Uni en particulier, malgré 1120 invitations auprès de chefs d’établissement n’a collecté que 38 questionnaires. Les constats pour ce pays sont donc à considérer avec prudence. La Slovénie a dû élargir le recrutement de chefs d’établissement à tout le pays pour atteindre un nombre significatif. La Pologne a le meilleur taux de réponse du fait d’une collecte directe.
Le travail comparatif
18Dans l’objectif de réaliser un travail comparatif entre plusieurs pays, deux outils ont été mobilisés au démarrage de la recherche pour caractériser et choisir les pays et les catégoriser.
19Le premier est le modèle établi par Andreas Walther (2008) qui distingue les pays selon leurs régimes de transition des jeunes vers l’âge adulte, en prenant en compte les constellations qui structurent le passage des jeunes de la formation à l’emploi : l’intervention de l’état (politiques sociales, politiques jeunesse, soutien à l’éducation et à la formation), celle de la sphère économique (marché de l’emploi), celle des familles et les interactions entre ces interventions. Les pays ont été choisis pour représenter tous les types de régimes de transition. Sur la base de cette typologie, on peut catégoriser et caractériser les pays étudiés dans le projet GOETE de la manière présentée dans le tableau 4.
20Le modèle d’A. Walther a servi à choisir des pays constituant une réelle diversité pour leurs caractéristiques majeures concernant les jeunes (type de formation, type d’école, prise en charge). Toutefois, dans le rapport comparatif portant sur le questionnaire des élèves, l’équipe irlandaise chargée du traitement statistique explique son besoin d’une catégorisation plus resserrée et porte son choix sur la typologie d’Allmendinger (1989) qui semble appropriée pour comprendre comment l’organisation des systèmes éducatifs influence l’expérience scolaire des adolescents (McDowell, Biggart et al., 2012, p. 29). La typologie d’Allmendinger est basée sur le degré de standardisation et le degré de stratification des systèmes éducatifs.
21La notion de standardisation renvoie à l’uniformité de la scolarité dans le pays (uniformité des formations, des examens, de la formation des enseignants, etc.) et celle de stratification réfère à la hiérarchisation des formations (depuis des systèmes de type compréhensif jusque des systèmes sélectifs) et se mesure au taux d’élèves qui atteignent la durée maximale de scolarité de base. Les pays où tous les élèves atteignent le maximum d’année de scolarité de base ont un faible niveau de stratification (tronc commun) ; les pays qui ont plusieurs voies de formation de base (formation en tuyaux d’orgue) ont un haut niveau de stratification (McDowell, Biggart et al., 2012, p. 30).
22Cette typologie a été mobilisée dans plusieurs études comparatives relatives à l’éducation et aux inégalités éducatives (Shavit et Müller, 2000 ; Kerckhoff, 2001). Dans une étude de Daniel Horn (2009), ce modèle était articulé avec l’approche institutionnaliste de l’économie de l’éducation afin de saisir les éléments des systèmes éducatifs qui influencent leur efficacité et leur équité. En utilisant les statistiques PISA de 2003, Horn montre qu’une sélection précoce est corrélée à une moindre équité et aussi à une plus faible efficacité du système. Ceci converge avec les résultats d’autres recherches (Marks, 2005 ; Duru-Bellat, 2004). Dans la recherche GOETE, la classification des pays proposée par Allmendinger a été revue pour tenir compte des réformes et changements depuis la publication de ses constats et la catégorisation des pays du projet est présentée dans le tableau 5.
23La comparaison visait à relier le parcours scolaire observé « en train de se faire », avec les types de régimes de transition, et les types de systèmes éducatifs.
24À l’issue de cette vaste collecte de données menée parallèlement et pareillement en France et dans les sept autres pays, nous nous sommes trouvés face à une profusion de données quantitatives et qualitatives dont la restitution et l’analyse ont posé des problèmes inédits. Chacune de ces collectes était organisée en workpackage avec écriture de rapports nationaux pour les huit pays, puis d’un rapport de synthèse comparant les résultats dans les huit pays. La rédaction de rapports nationaux sur la base des données nationales, alimentant eux-mêmes un rapport comparatif entre les huit pays, ne suffit pas à maîtriser l’ensemble des données. Le retour aux données brutes est difficile pour les statistiques par le fait que le rapport comparatif est très technique et complexe et pour les matériaux qualitatifs par leur volume et le fait qu’ils sont en huit langues.
25Au-delà des tendances générales de la nouvelle gouvernance éducative européenne, la recherche doit analyser les différences nationales et locales et les manières dont ces disparités affectent les trajectoires individuelles des jeunes. Les structurations nationales des trajectoires éducatives sont présentées dans la contribution suivante.
L’enquête en France
26Les démarches quantitatives et qualitatives ne cherchaient pas à atteindre une représentativité nationale. L’enquête par questionnaires visait la comparaison entre des élèves scolarisés dans des collèges défavorisés socialement avec des élèves de collèges moyens et avec des élèves de collèges favorisés. L’enquête qualitative avait un focus plus restreint et voulait approfondir les mécanismes à l’œuvre dans les établissements défavorisés en réalisant un terrain dans trois des collèges populaires enquêtés par questionnaire. Les trois établissements choisis, en France comme dans les autres pays, ne visaient donc pas à constituer une collection de monographies de cas représentatifs mais à éclairer la constitution des parcours scolaires dans les écoles regroupant les élèves les plus démunis : quelles y sont les conditions de scolarisation ? Comment les politiques éducatives y sont-elles mises en œuvre ? Comment sont appliquées les procédures d’orientation et de participation ? Comment les acteurs que sont les élèves, les parents et les professionnels s’inscrivent dans ces cadres, agissent et donnent sens à leur expérience ?
27Trois territoires d’enquête devaient donc être choisis sur des critères de diversité géographique, socio-économique et culturelle avec pour objectifs : de passer des questionnaires dans dix-huit établissements (pour atteindre au minimum 600 élèves) par pays, établissements répartis en un tiers de public défavorisé, un tiers de public moyen et un tiers de public favorisé, et de réaliser une investigation plus qualitative dans trois établissements défavorisés. Sur la base de ces critères et aussi en lien avec la connaissance antérieure de ces terrains et la facilité d’y accéder, notre choix s’est porté sur Rennes, Montpellier et initialement Bobigny qui sont des villes contrastées, tant du point de vue socio-économique, culturel que géographique. Le ministère de l’éducation nationale nous a accordé l’autorisation d’enquêter et en a informé les trois rectorats des académies concernées. Afin de sélectionner les établissements en respectant la répartition requise, les rectorats nous ont fourni leurs catégorisations d’établissement fondées sur la PCS (profession et catégorie socio-professionnelle) des parents.
28La prise de contact avec les principaux s’est faite par un courrier explicatif et les relances par mail et par téléphone. L’absence de réponse et les refus ont été nombreux, en particulier à Bobigny. Si nous avons finalement réussi à convaincre six principaux de participer à Rennes et à Montpellier, nous n’y sommes pas parvenus à Bobigny, ni dans aucune autre commune du même département. Cela peut découler du fait que les établissements y sont fréquemment sollicités pour des enquêtes comme nous l’ont indiqué les principaux, et aussi du fait qu’il n’y a pas de villes comportant plus d’une dizaine de collèges, contrairement à Rennes ou à Montpellier qui en comportent chacune une vingtaine. Nous avons finalement élargi le recrutement des six derniers collèges à tout le département de la Seine-Saint-Denis. Afin d’éviter des distorsions liées à une sélection faite par les établissements, le protocole prévoyait d’enquêter dans toutes les classes de 3e de chacun des établissements retenus. Ce qui fut fait ; la passation a été plus longue dans les 3e SEGPA. Une lettre informant les parents de notre enquête a été transmise par les établissements ; elle requérait de manifester un éventuel refus parental avant notre passage. De fait, ces refus parentaux ont été très peu nombreux. Les chercheurs impliqués ont réalisé une passation directe dans toutes les classes de 3e des établissements retenus, à savoir six collèges à Rennes (287 questionnaires remplis), six à Montpellier (238 questionnaires remplis), six en Seine-Saint-Denis (254 questionnaires remplis), soit sur une heure de permanence, soit sur l’heure de vie de classe ou de façon plus exceptionnelle sur une heure de cours. Deux principaux ont souhaité organiser la passation eux-mêmes. Le questionnaire parents a été distribué à l’issue des passations aux élèves avec la consigne de le rapporter dans un délai d’une semaine. Les établissements nous ont ensuite posté ces questionnaires parents. Plus de la moitié des parents ont répondu avec des taux de retour très différents d’un établissement à un autre, en lien avec les caractéristiques du public et les relances faites par le personnel.
29Les terrains de l’enquête qualitative de la recherche GOETE sont constitués de trois villes inscrites dans trois régions différentes pour chacun des huit pays, terrains minutieusement choisis pour représenter leur diversité géographique, socio-économique et culturelle. Ces villes relèvent de régions en situation socioéconomique contrastée. Le tableau suivant présente les régions et les villes choisies sur ces critères, avec des indicateurs clés du moment de l’enquête (2010- 2011). À la suite, les terrains français sont présentés de façon plus détaillée.
30L’enquête qualitative se prolongeait dans un collège populaire de chacun de ces secteurs pour tenter de cerner les mécanismes d’orientation produisant des parcours plus courts et moins valorisés. Notre choix s’est porté sur les établissements où la coopération des principaux et d’au moins une partie des personnels s’était manifestée durant la passation des questionnaires et augurait de bonnes conditions de terrain. Pour la Seine-Saint-Denis, du fait de nos difficultés pour trouver des établissements voulant bien nous accueillir à Bobigny, notre choix s’est finalement porté sur un collège de Montreuil.
31Pour les collèges de Montpellier et de Montreuil, nous sommes venus à cinq chercheurs durant une semaine, avec une prise de rendez-vous préalable pour des entretiens avec les principaux, les CPE, les infirmières, les assistants de services sociaux, des enseignants. Nous avons été présents durant toutes les journées, nous avons observé les parties communes des établissements, durant les récréations, les pauses méridiennes, l’arrivée et le départ des élèves, avec des focus-groupes, des entretiens avec les personnels et aussi des échanges informels avec les personnels et les élèves. Nous avions expliqué notre souhait de réaliser aussi des entretiens avec des élèves de 3e, entretiens individuels et focus-groupes non-mixtes. Ces entretiens ont eu lieu avec les adolescents volontaires, dont les parents n’avaient pas fait connaître d’opposition à leur participation. Ils ont été organisés in situ avec des élèves en permanence ou qui avait fini leurs cours. Ces adolescents se sont montrés curieux de notre démarche, contents d’être l’objet d’une recherche et ont collaboré activement. Le fait d’être simultanément plusieurs chercheurs dans le même établissement nous a donné une grande souplesse pour nous adapter aux contraintes des personnels et des élèves et aux aléas de dernière minute. Des délégués de parents d’élèves ont été aussi sollicités et interviewés. Les autres parents ont été plus difficiles à rencontrer, malgré les efforts déployés. Le manque d’intérêt ou de temps était invoqué. C’est souvent l’entremise d’un personnel qui nous a permis de réaliser ces interviews, soit à leur domicile, soit au collège. Du fait que nous travaillons dans la même ville, le terrain au collège choisi à Rennes s’est étalé davantage dans le temps et n’a pas été concentré sur une semaine.
32La section qui suit présente les trois territoires de l’enquête quantitative et les trois collèges qui y ont été retenus pour les terrains qualitatifs.
Les trois sites d’enquête en France
Rennes
33Rennes est la plus grande ville du département d’Ille-et-Vilaine et de la région Bretagne. La Bretagne est la 7e région française en termes de nombre d’habitants. La plupart des villes sont sur la côte maritime, à l’exception de Rennes, et ont une activité touristique. Le département d’Ille-et-Vilaine a la population la moins âgée des quatre départements bretons et la moins touchée par le chômage. En 2011, ces trois collectivités territoriales (région, département, ville) sont gouvernées par le PS, ce qui facilite la coopération et la contractualisation. Au moment de l’enquête, la ville de Rennes comporte 210000 habitants et 60000 étudiants6. L’activité économique est principalement orientée vers des activités tertiaires. Le taux de chômage de Rennes est moindre que le taux national.
34Six collèges y ont été enquêtés par questionnaires : deux défavorisés, deux moyens, deux favorisés dans différents quartiers de la ville. Le secteur de l’établissement défavorisé retenu pour l’enquête qualitative connaît principalement des logements collectifs (4137 logements sociaux dans le quartier, sur 27000 que comporte la ville entière) et aussi une aire de maisons individuelles.
35Le collège étudié accueille 350 élèves dans des locaux qui peuvent en accueillir 900, du fait du déclin de l’attractivité de l’établissement et de l’assouplissement de la carte scolaire. 35 enseignants (28 équivalents temps plein) encadrent des classes de 25 élèves maximum. 30 % des élèves sont issus de familles défavorisées (classification éducation nationale), et une partie de familles immigrées.
Montpellier
36Montpellier est situé dans le département de l’Hérault, dans la région Languedoc-Roussillon (9e sur 22 en termes de population). Cette région connaît de fortes inégalités sociales. Elle est attrayante du fait de sa situation littorale et du climat, en particulier pour les retraités. Mais elle connaît aussi des problèmes d’exclusion sociale : migrants, travailleurs saisonniers, logement dégradé. C’est un territoire où la population est plutôt âgée et où les jeunes connaissent des difficultés d’emploi, de logement, de mobilité. Montpellier est une ville plutôt favorisée avec plusieurs quartiers défavorisés. Six collèges y sont enquêtés par questionnaire : deux défavorisés, deux moyens, deux favorisés dans différents quartiers de la ville.
37Le collège choisi comme terrain est situé dans l’un des quartiers populaires qui réunit de nombreuses familles bénéficiaires des minima sociaux, de travailleurs précaires peu qualifiés, de migrants. Rénové il y a dix ans, l’établissement accueille 440 élèves dont 40 % sont catégorisés comme défavorisés par l’éducation nationale.
Montreuil
38Montreuil est situé dans la région Île-de-France, la plus peuplée (18,7 % de la population métropolitaine) et avec une population jeune (un habitant sur trois à moins de 25 ans). Cette région reste la région la plus industrielle malgré le déclin de ce secteur. Montreuil est situé dans le département de Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France et qui compte le plus grand nombre d’immigrants ; il doit faire face à de nombreuses difficultés de ségrégation socio-spatiale. Montreuil est une ville socialement mixte, avec des quartiers « gentrifiés » (ceux qui bordent Paris) et des quartiers très défavorisés.
39Le collège choisi comme terrain est situé dans un quartier non gentrifié, à côté d’un ensemble d’habitats sociaux, d’immeubles privés et de maisons individuelles. Il accueille 508 élèves avec 40 enseignants. 39 % des élèves sont défavorisés (catégorisation éducation nationale). Ce collège pâtissait d’une mauvaise réputation, liée à la violence, jusqu’à sa rénovation en 2006.
40Les trois collèges choisis pour l’enquête qualitative sont donc des établissements très typés socialement du fait de la ségrégation résidentielle et en particulier de la concentration d’habitat social à leur proximité. Ils sont tous trois catégorisés en zone d’éducation prioritaire7. L’évitement du collège par les familles les moins démunies du secteur scolaire amplifie la ségrégation. Les personnels des collèges étudiés à Rennes et à Montpellier constatent une transformation de leur public depuis l’assouplissement de la carte scolaire : les familles de classe moyenne et du haut de la classe populaire se détournent de leur établissement. Le collège de Rennes décompte 30 % d’élèves de catégorie défavorisée et celui de Montpellier 40 % (données fournies par les rectorats respectifs). Afin d’enrayer son déclin d’effectif, le collège de Montreuil a bénéficié d’une rénovation d’importance, avec changement de nom et changement de direction. Cette stratégie a opéré selon le principal : « C’est un collège avec une population très hétérogène, avec vraiment une mixité sociale puisqu’on est en gros à 39 % de catégorie défavorisée, 33 % de moyenne et le reste en favorisées A et B » – autrement dit une composition proche des deux autres collèges enquêtés mais qui résulte d’une « amélioration » de la situation antérieure quand les deux autres établissements se vivent « en déclin ». Les taux de réussite au brevet sont de 84 % dans le collège rennais (pour un taux de 88 % dans le département) ; de 75 % dans le collège de Montpellier (pour un taux de 80 % dans ce département) ; de 69 % dans le collège de Montreuil (pour un taux de 77 % dans ce département). Le collège de Montreuil dont la composition est proche de celle du collège de Montpellier a un moindre taux de réussite au brevet : la réussite n’est donc pas simplement corrélée à la composition sociologique de l’établissement, d’autres paramètres interfèrent. Dans les trois collèges, une part non négligeable des élèves est issue de familles immigrées. Les assistantes sociales des collèges constatent que beaucoup de familles ont de mauvaises conditions de logement et des problèmes financiers. Plusieurs enseignants estiment qu’ils passent plus de temps à traiter les difficultés des élèves qu’à enseigner et certains acceptent mal cet élargissement de leur rôle.
41Selon les professionnels, le regroupement d’adolescents de familles en difficulté socio-économique génère un climat de confrontation. L’un des principaux explique ainsi :
« C’est des collèges difficiles donc on a quelques professeurs qui ont du mal à supporter la population, enfin le mode relationnel qu’impose un peu la population de l’établissement : les gamins qui cherchent la limite sans arrêt, à repousser la limite, et qui ont du mal à accepter qu’on l’ait fixée quelque part et qui vont revenir à la charge sans arrêt pour que… etc. Bon c’est fatiguant, c’est épuisant, et puis on a des gamins qui sont grossiers, qui sont vulgaires, qui n’ont pas les mêmes codes sociaux que ceux des professeurs. Donc y’a une fatigue, y’a une usure, y’a quelquefois des souffrances quoi, bon on a des profs qui craquent un petit peu […]. Ici c’est vraiment une pression physique sur les profs et donc on a besoin de moyens supplémentaires parce qu’il faut simplement que les profs puissent respirer un peu et ne pas risquer l’agression en permanence. »
42L’un des soucis majeurs des principaux est de créer un climat apaisé dans l’établissement, en imposant des règles et en éliminant la violence, pour les personnels et pour les élèves « qui subissent déjà beaucoup de pression familiale et scolaire » (selon le même principal).
43Bien sûr, ces trois collèges choisis délibérément dans des secteurs défavorisés pour éclairer les mécanismes de constitution de parcours scolaires d’élèves de familles défavorisées ne sont pas représentatifs de l’ensemble des établissements. Leur investigation permet d’approfondir les analyses émanant de l’enquête quantitative. Même si la majorité de ces élèves s’oriente vers un parcours professionnel court, une minorité statistique scolarisée dans ces collèges s’inscrit dans des carrières longues et offre ainsi une possibilité d’analyse comparative des trajectoires.
Matériaux collectés et traitements
44En France, l’enquête quantitative a donc permis la collecte de 772 questionnaires élèves de 3e (dont 374 garçons et 365 filles) et 452 questionnaires parents (parents plus souvent de milieux favorisés et à 80 % des femmes). La saisie des questionnaires a été réalisée par des vacataires. Les bases ont été transmises à l’équipe irlandaise en charge du traitement des données quantitatives. Les bases « élèves » et « parents » regroupant les données des huit pays ont été redressées pour rééquilibrer le poids des types d’établissement et le poids des pays en vue de permettre la comparaison. L’équipe irlandaise a rédigé un rapport comparatif en réalisant un certain nombre de traitements statistiques avec le logiciel SPSS. Dans cet ouvrage, nous avons effectué d’autres traitements en lien avec les questions ici traitées.
45L’enquête en ligne auprès des chefs d’établissements a été réalisée en France par Simon Jahnich qui s’y est consacré pendant quelques mois. Elle a été fastidieuse à mener du fait des non-réponses et un travail de relance fourni a été nécessaire pour atteindre le nombre d’enquêtés souhaité.
46Les enquêtes qualitatives ont donné lieu à des notes d’observations et aux transcriptions de focus-groupes et des entretiens semi-directifs réalisés au sein des trois établissements (focus-groupes effectués avec cinq enseignants aux collèges de Rennes et de Montpellier, focus-groupes avec un groupe de cinq élèves de 3e garçons et un groupe de cinq filles dans chacun des trois collèges et des entretiens individuels avec, au total sur les trois établissements, vingt-neuf élèves de 3e, seize parents, dix-neuf enseignants, trois principaux, vingt-six autres personnels – CPE, COP, surveillants, assistants de service social, infirmières et professionnels de structures partenaires). Sur le terrain, observations et entretiens se sont complétés, les uns permettant de corroborer ou d’expliciter les autres. Les focus-groupes amènent un matériau différent des entretiens individuels. Les premiers sont propices à l’énonciation des points d’accord collectifs, des éléments consensuels, même s’ils sont aussi le lieu de débats et d’échanges contradictoires fort utiles pour l’analyse. Les entretiens individuels permettent davantage l’expression de points de vue personnels, la formulation de réserves ou de distances avec le fonctionnement du collectif. Onze entretiens ont été menés l’année suivante avec des anciens élèves déjà interviewés en 3e. Tous ces entretiens ont été menés par des chercheurs expérimentés, capables de limiter les effets d’imposition de la situation d’enquête.
47Ces matériaux ont été traités sur la base d’une grille d’analyse thématique élaborée collectivement à partir de nos questions de recherche. Les points de vue des différents acteurs sur la constitution des parcours scolaires ont été croisés et resitués dans leurs contextes (ville, quartier, établissement). Chaque entretien a été synthétisé en anglais et un rapport a été rédigé en anglais pour partager les données entre les huit pays participants. Un rapport comparatif a été ensuite écrit, sur la base des huit rapports nationaux. Ces matériaux sous-tendent les contributions qui suivent, étayées par les données et les traitements réalisés par le collectif européen et/ou par l’équipe française. Les entretiens ont été réexaminés et des traitements statistiques complémentaires ont été effectués pour cet ouvrage. Les analyses proposées ici s’appuient donc sur nos statistiques et nos matériaux de terrain, restitués et articulés de façon à proposer des interprétations étayées et vérifiables. Pour autant, les processus mis au jour dans les collèges populaires enquêtés devront être confrontés au fonctionnement de collèges « ordinaires » ou favorisés dans des travaux ultérieurs. La question des liens entre ce qui se passe dans les établissements périphériques et le centre, telle qu’abordée par Van Zanten (2011), requiert de poursuivre la recherche en ce sens.
Conclusion
48Afin d’asseoir les contributions ultérieures qui présentent des résultats et des analyses issus des matériaux collectés par la recherche GOETE, cette contribution présentait la méthodologie globale puis, de façon plus approfondie l’enquête réalisée en France. En guise de conclusion, nous souhaitons réaliser un retour réflexif sur ce projet.
49L’ambition de la recherche GOETE par le nombre de pays impliqués, l’interdisciplinarité, l’investigation multiniveau, les méthodes mixtes (quantitative et qualitative) découle de la politique européenne de recherche qui ne finance la recherche que sur des projets, d’une part, et des projets répondant à ces critères exprimés plus ou moins explicitement dans les documents de cadrage, d’autre part. En l’absence de crédits récurrents, les chercheurs sont amenés à concevoir des recherches qui entrent dans ces critères pour obtenir des financements leur permettant de travailler. Dans une procédure de mise en concurrence entre projets, ceci a pour conséquence une sorte de surenchère sur ces différents critères. Les porteurs de projet glissent d’une logique scientifique vers une logique de compétition stratégique : il s’agit de faire le projet qui plaira à la Commission européenne en renchérissant sur les critères et en répondant au plus grand nombre des préoccupations présentées dans l’appel à propositions. Ainsi, les documents officiels requéraient des consortiums de trois pays, mais les guides informels de soutien au montage de projet montraient qu’il fallait réunir des groupes plus importants8. C’est ainsi que les initiateurs de GOETE ont élaboré un projet de recherche visant la comparaison de huit pays, alors même qu’une telle démarche n’est pas véritablement balisée scientifiquement.
50L’ampleur du projet a pour autre conséquence un nombre de partenaires élevé, à savoir quatorze universités, supposant une coordination entre collègues de la même université, entre collectifs du même pays, et entre équipes des différents pays, avec des groupes ayant déjà collaboré ensemble et d’autres qui ne se connaissent pas. Des désaccords sont apparus quant à la mise en œuvre du projet tant sur les références théoriques (quantitativistes/qualitativistes ; approche anthropologique/approche institutionnelle) que sur les outils méthodologiques (élaboration des questionnaires, des grilles d’entretien, des grilles d’analyse des documents) et ils ont été tranchés in fine par l’équipe responsable de chaque workpackage en accord avec le coordinateur. Ces difficultés ordinaires dans une recherche collective ont été amplifiées par le nombre de partenaires, par la diversité de leur appartenance disciplinaire et nationale. Les perspectives étaient multiples et parfois divergentes du fait des cadres de référence et du fait des backgrounds nationaux de la recherche en éducation.
51Sur ce dernier aspect, l’usage de l’anglais comme langue de communication privilégie fortement les acquis scientifiques britanniques, états-uniens et plus largement anglophones, au détriment des autres héritages nationaux (Loncle, 2015). Cet ouvrage a été rédigé en pleine conscience de ces écueils mais avec la conviction d’un intérêt certain des données collectées et des analyses possibles.
52En effet, le projet comporte des éléments qui le rendent original et heuristique : il propose une coexistence peu commune des échelles d’analyse, des niveaux de mise en œuvre des politiques éducatives, des disciplines mobilisées (sociologie, science de l’éducation et science politique) et des méthodes d’analyse mêlant données quantitatives et qualitatives. Il ouvre des perspectives sur la littérature anglo-saxonne en science politique, en sociologie de l’éducation et en science de l’éducation. Il ambitionne également de prendre en compte une réalité qui, si elle n’est pas entièrement nouvelle, tend à se renforcer au cours des dernières décennies : l’internationalisation des politiques éducatives d’une part et le développement de marchés éducatifs dans les pays développés d’autre part (Dale et Robertson, 2009 ; Mons, 2009 ; Felouzis et al., 2013 ; Duru-Bellat, 2014). Il s’interroge aussi sur les effets de l’européanisation des politiques éducatives dans les espaces nationaux et locaux à la fois du point de vue des pratiques professionnelles et sur la construction des trajectoires éducatives des élèves, en particulier les plus défavorisés d’entre eux. Le propos se situe en outre dans une tradition d’analyse comparée peu développée en France en sociologie de l’éducation même si des travaux récents tendent à donner une ampleur nouvelle à cette approche (voir notamment : Dubet et al., 2010 ; Felouzis et al., 2013).
53L’ambitieuse question du projet de recherche GOETE, « Comment les politiques, les institutions et les pratiques des acteurs construisent-elles les trajectoires éducatives des élèves en Europe ? », permet de reconstituer une grande part des systèmes qui fabriquent des parcours scolaires différenciés, à savoir l’interaction des politiques éducatives des différents échelons de décision, leurs traductions en actes par les personnels, dans le fonctionnement des établissements, avec les prises de décision et les actions des adolescents, des parents et des professionnels. Ce faisant, la recherche prend en compte beaucoup d’éléments et leurs interférences, sans pour autant épuiser les facteurs qui participent à la construction des parcours. La recherche ne visait ainsi pas à étudier l’effet de l’offre scolaire, ni l’inégalité sociale d’apprentissage (voir à ce sujet les différentes publications de Duru-Bellat), pas plus que le dispositif d’affectation des élèves, que d’autres travaux ont mis en évidence. En toute logique, même si ces facteurs n’étaient pas étudiés, ils apparaissent néanmoins dans l’analyse sans être approfondis ici.
54Pour cet ouvrage, les matériaux et les rapports ont été revisités dans l’objectif de proposer aux lecteurs francophones une partie des résultats produits sur la situation française, comparée aux sept autres pays. Compte tenu de la masse de données collectées, toutes les analyses possibles ne peuvent être contenues dans un même livre et nous avons sélectionné des questions complémentaires permettant de proposer une analyse large, mais non exhaustive, de la constitution des trajectoires éducatives.
Notes de bas de page
1 Blasco A.-L., Mcneish W. et Walther A. (dir.), Young people and contradictions of inclusion.
Toward integrated transition policies in Europe, Bristol, The Policy Press, 2003 ; Loncle P., Cuconato M., Muniglia V. et Walther A. (dir.), Youth participation in Europe, beyond discourses, practices and realities, Bristol, The Policy Press, 2012 ; Walther A., « Regimes of youth transition, choice, flexibility and security in young people’s experiences accross different European contexts », Young, no 2, 2006, p. 119-139 ; Walther A., Bois-Reymond M. et Biggart A. (dir.) Participation in Transition : Motivation of Young Adults in Europe for Learning and Working, Francfort-sur-le-Main/New York, Peter Lang, 2006 ; Walther A. et Stauber B. (dir.), Misleading trajectories. Integration policies for young people in Europ ?, Opladen, Leske + Budrich, 2002.
2 On peut citer un ouvrage collectif commun dirigé par Andreas Walther, Marcelo Parreira do Amaral, Morena Cuconato et Roger Dale, Governance of educational trajectories in Europ : pathways, policy and practice, Londres, Bloomsbury Publishing, 2016 ; un numéro spécial de la revue European Education, « Access to and accessibility of education throughout the educational trajectories of youth in Europe », vol. 47, no 1, 2015, p. 77-92. doi : 10.1080/10564934.2015.100126 ; un ouvrage plus ciblé sur la gouvernance des politiques éducatives dirigé par Marcelo Parreira do Amaral, Roger Dale et Patricia Loncle, Shaping the Future of Young European, Oxford, Symposium books, 2015.
3 Un film a été réalisé pour la France par Denis Larcher « Demain j’me casse » accessible par le lien : [https://www.youtube.com/watch?v=-lqjHjirD70]. Un making off de ce film expose le travail de réalisation avec les adolescents : [https://www.youtube.com/watch?v=lCF0mfDAAgU]. Un film a été réalisé par Thomas Knichal avec les documents audiovisuels des huit pays : « Me, my education and I », accessible par [https://www.youtube.com/watch?v=cqLsN7LjBg8].
4 Compréhensif est utilisé ici dans le sens anglo-saxon d’école compréhensive (comprehensive school) qui désigne un établissement sans sélection à l’entrée (ni par l’argent, ni par le niveau scolaire) et qui a pour vocation d’accueillir tous les élèves. À l’opposé, une école différenciée opère un tri parmi les candidats (ex. grammar school en Angleterre).
5 Les anciens pays de l’Est ont été classés dans les régimes de transition du point de vue des tendances qu’ils adoptent et des discours qu’ils développent.
Il est assez difficile d’avoir une opinion arrêtée sur leur appartenance à tel ou tel régime à la fois du fait du faible recul temporel mais également du caractère assez incomplet et parfois un peu subjectif des éléments d’analyse dont nous disposons à leur égard.
6 Une partie des étudiants sont recensés dans la commune de leurs parents, les 60000 étudiants ne sont donc pas tous décomptés dans le nombre d’habitants.
7 En 2014, le dispositif a été revu sous l’appellation de réseaux d’éducation prioritaire dans lesquels ces trois établissements sont encore.
8 Extrait de l’appel à projets du 7e PCRDT : « In consequence proposals are expected to provide a comparative perspective and the largest possible European coverage in relation to the research topics described in this work programme. »
Auteurs
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