Universalité du Politique, historicité de la domination : la contribution singulière de Claude Lefort
p. 303-316
Texte intégral
1S’il est un contemporain qu’il est urgent de convoquer à l’appui de notre réflexion collective, n’est-ce point Claude Lefort1 ? Cet intellectuel hors-normes n’a-t-il pas manifesté une obstination peu commune à penser le politique dans toute son étendue, à scruter la diversité des formes de société, à tenter de déchiffrer les signes du nouveau derrière le chaos apparent des événements et l’ordre supposé des structures ? Il s’en faut, cependant, pour que cette unended quest trahisse une quelconque proximité à l’endroit des intentions et des méthodes poursuivies par les sciences sociales et politiques. Peu d’intellectuels, au contraire, ont éprouvé à ce point l’impérieuse nécessité pour une pensée du Politique de s’affranchir du point de vue jugé réducteur de la sociologie contemporaine.
2C’est au demeurant cette déliaison continûment revendiquée entre la théorie politique et la science politique qu’il convient d’interroger en priorité. Elle fait signe, en effet, vers une intuition majeure qui parcourt toute l’œuvre de Claude Lefort : s’il y a bien une universalité du Politique, il n’y a pas pour autant une universalité de la domination, ou encore, si la « domination » est rarement étrangère à la politique, elle n’en épuise pas nécessairement la signification et elle ne sévit jamais nulle part avec une intensité comparable. Mieux ! Il est même des sociétés politiques qui se sont données explicitement pour but de tenir à distance respectable l’horizon toujours menaçant de la violence. Le seul fait que de telles expériences aient pu naître, se développer voire se stabiliser durant de longues périodes de l’histoire, dans des aires de civilisation par ailleurs dissemblables, incite à se défaire de l’hypothèse récurrente de la sociologie politique selon laquelle la prétention au « monopole de la coercition légitime » fournirait en tous lieux et en toutes circonstances la trame centrale du Politique.
3Le propos de cette étude n’est pas d’inspecter en priorité l’analyse à laquelle procède Claude Lefort des régimes démocratiques et totalitaires mais de poser les principaux jalons de cette épistémologie atypique du Politique et de comprendre par là même la place finalement seconde assignée au concept de domination. On ne peut, en effet, apprécier les éclairages souvent fulgurants que Lefort projette sur l’aventure démocratique et le délire totalitaire sans repérer au préalable les différents canaux qui irriguent sa pensée politique.
Déconstruire le point de vue sociologique
4« Repenser le politique requiert une rupture avec le point de vue de la science en général et notamment avec le point de vue qui est venu s’imposer de ce qu’on nomme les sciences politiques2. » Claude Lefort avoue volontiers sa dette à l’égard de Leo Strauss. Même s’il ne partage pas l’antimodernisme radical du philosophe de Chicago, il sait gré à l’auteur de Droit naturel et histoire, d’avoir été l’un des rares esprits contemporains à suspecter les affirmations centrales du positivisme et à identifier ses conséquences négatives sur la saisie des phénomènes politiques. Comme lui, il estime que l’alignement précoce des sciences de la société sur le modèle cognitif prévalant dans les sciences de la nature a suscité une entreprise aujourd’hui hégémonique de déqualification du Politique. Plus que lui, cependant, il s’est employé à déchiffrer les « illusions » dont seraient porteuses les prescriptions méthodologiques des sciences dites positives lorsqu’elles prétendent nous instruire sur « l’objet politique ».
L’illusion du découpage de l’objet
5Claude Lefort n’accepte pas le traitement que la science politique inflige à la notion même de politique en la rendant passible des réquisits habituels de l’épistémologie positiviste. Elle cesse alors de désigner un régime constitutif d’une forme singulière de société pour devenir un simple « domaine aménagé en fonction des principes d’objectivité et de neutralité qui sont le propre de la connaissance scientifique3 ». Tel est le grief majeur : un certain mode de construction de l’objet en vient à déterminer un certain mode de définition du politique, appauvrissant par là-même sa compréhension.
6Lefort incrimine, tout d’abord, « l’opération de connaissance qui fait surgir l’objet en le séparant d’autres objets définissables ». Il est, selon lui, dans la nature d’une science du politique d’être une « science régionale » et de découper dans la chair du social une « classe d’objets particuliers » qui seront alors étiquetés « politiques » et distingués d’autres objets relevant d’une qualification différente. La critériologie positiviste sépare en même temps qu’elle circonscrit, nommant ainsi dans un même mouvement ce qui procède du politique et ce qui, au contraire, procède du domestique, de l’économique ou du religieux. Elle s’emploie, ainsi, à unifier les différentes familles de la science politique autour de cette idée que « l’objet n’a de consistance que d’être particulier ». Ainsi, la sociologie marxiste réduit le politique à une superstructure provisoirement montée sur des rapports de production. La sociologie bourdieusienne pointe un « champ politique » qui coexiste avec d’autres champs et qui a vocation à réfracter les processus de domination ancrés dans l’espace social. La sociologie wébérienne repère un ordre singulier de contrainte qui revendique avec succès le monopole des injonctions légitimes à l’intérieur d’un territoire donné. La sociologie parsonienne isole un « sous-système » appelé à régler les processus d’acquisition et de circulation du pouvoir. Au-delà de ce qui les sépare et qui n’est pas nécessairement véniel, toutes ces constructions obéissent à une stratégie commune de relégation du Politique qui se voit circonscrit et limité à un domaine particulier d’activités et d’institutions.
7Cette volonté concordante d’assigner coûte que coûte un « lieu » au politique, présente un autre travers peut-être plus grave. Elle ne permet pas de faire vraiment le départ entre les différentes formes de société politique : « La science politique, écrit par exemple Claude Lefort, naît de la suppression de cette question : qu’est-ce qui fait la différence entre les sociétés4 ? » Ce travail d’euphémisation des distinctions est aisément repérable dans les approches d’inspiration wébérienne qui ne s’intéressent qu’aux procédés de légitimation des autorités politiques laissant à la « sphère des évaluations ultimes » le soin d’une interrogation nécessairement frivole et arbitraire autour des principes organisateurs des sociétés. La préséance accordée à la « légitimation » sur la « légitimité » est pourtant d’un bien faible rendement lorsqu’il s’agit d’interroger l’invention démocratique ou de scruter la singularité totalitaire5. La dignité du Politique n’est pas davantage restaurée lorsque l’analyse dominante distingue dans les « relations de pouvoir » ou dans les « régulations systémiques » l’objet préférentiel de ses investigations. Ainsi, quel que soit le biais utilisé, que la sociologie du politique entreprenne le pouvoir, la domination ou le système, elle triomphe toujours des singularités, elle demeure obsédée par la recherche du grand invariant susceptible de transcender les distinctions, elle tient le politique pour un « objet particulier » localisable à l’intérieur de la société et justiciable de multiples inventaires.
8Ce double projet d’assignation du Politique à un lieu et d’euphémisation des différences entre régimes fait signe vers une erreur plus fondamentale et vraiment dirimante : « un point de vue empirico-descriptif, affirme Lefort, ne permet pas de rendre compte de la nature d’une formation politique6 ». Il accable ici ce qu’on nomme parfois la théorie de la vérité-correspondance qui est commune à toutes les sociologies empiriques et qui édicte que connaître, c’est mettre en rapport des hypothèses et des « faits » empiriquement observables, vérifiables et éventuellement falsifiables. Cette forme de connaissance échoue inévitablement sur une méconnaissance : méconnaissance des idées régulatrices, des schèmes institutionnels, des utilités sociales qui, en dernière instance, caractérisent un régime politique. C’est cette occultation qui explique, par exemple, que des « observateurs » scrupuleux des sociétés démocratiques pointeront des processus de captation élitiste du pouvoir voire des phénomènes de violence symbolique tandis que des « observateurs » non moins scrupuleux des sociétés totalitaires ont pu démontrer, à l’image de la soviétologie nord-américaine contemporaine, que les sociétés communistes étaient des systèmes semi-compétitifs, plusieurs « groupes » entrant en compétition pour le contrôle des « ressources du pouvoir ». Ni l’une ni l’autre de ces théories ne sont fausses au regard des règles de la méthode sociologique. L’une et l’autre sollicitent des « données empiriques » apparemment incontestables : d’un côté, la corruption des idéaux démocratiques par des pratiques oligarchiques, de l’autre, la mise en évidence de groupes d’associés-rivaux en compétition pour l’exercice du pouvoir. Et, pourtant, il suffit de conjoindre les deux approches pour s’apercevoir de leur caractère délirant : les sociétés dites démocratiques seraient en fait confisquées par des oligarchies autoritaires tandis que les sociétés dites totalitaires seraient des polyarchies encore imparfaites ! On comprend mieux pourquoi Lefort aime à rappeler qu’un spécialiste de science sociale ne « rencontrera jamais » la démocratie, le stalinisme ou le totalitarisme. Il lui faudrait, en effet, admettre qu’il y en amont des « réalités empiriques » des dispositifs intellectuels et symboliques qui, en dernier lieu, les instituent et les informent. Il lui faudrait prendre la mesure de ce qui sépare irréductiblement les « principes » et les « faits » et s’employer par là-même à penser autrement les chemins de la liberté.
L’illusion d’un lieu de surplomb
9L’opération qui consiste à encastrer le politique à l’intérieur du social n’est pas sans réagir sur le statut de celui que la conduit. Mieux ! Elle requiert l’existence d’une « aire de surplomb » à partir de laquelle un « sujet connaissant » se révèle tout à la fois capable d’observer le réel, de contempler le lieu politique, de détecter le jeu de ses déterminations et de ses articulations. La problématique dite de la « construction de l’objet » est invinciblement liée à celle d’un esprit suffisamment averti et clairvoyant pour projeter sur le politique le regard clinique et désenchanté qui sied à une connaissance authentique. « La possibilité pour un sujet d’effectuer des opérations de connaissance indépendamment de sa position dans la vie sociale7 », représente l’autre versant de la vulgate positiviste et Claude Lefort la combat avec la même fermeté que la précédente. Il convient, cependant, d’ajouter qu’il n’accable pas exclusivement la sociologie traditionnelle. Il vise à travers cette critique dont l’étoffe phénoménologique est évidente toute forme de « constructivisme » qu’elle emprunte au langage sociologique ou au registre philosophique. Même s’il ne les cite pas nommément, il ne se reconnaît ni dans l’hypothèse rawlsienne d’une « position originelle », ni dans la posture habermassienne d’une « communauté idéale de communication ». L’une et l’autre réinstaurent, en effet, selon lui, l’illusion d’un lieu, d’un site aseptisé à partir duquel il serait possible de reconstituer l’architecture d’ensemble d’une formation sociale.
10Une objection surgit, cependant. On pourrait penser que l’interdit jeté sur les attitudes de surplomb ne touche pas de la même manière cette version lourde de la sociologie que représente « la sociologie critique ». Celle-ci n’a-t-elle pas édifiée sa légitimité à partir d’une critique serrée et méthodique de « l’idéal d’objectivité et de neutralité » revendiquée par la sociologie classique ? Ne fait-elle pas preuve d’une acidité comparable pour soumettre l’opération de construction de l’objet à une interrogation première sur le statut social de l’observateur et son degré d’implication dans la société ? Claude Lefort n’est nullement convaincu par la pertinence de cette objection. Il y distingue un artifice plu ou moins subtil redoublant, en réalité, le principe séparatiste qui est à la racine du raisonnement sociologique. Elle campe, en effet, un « sujet » d’autant plus assuré de sa supériorité qu’il s’est au préalable dépouillé de son « être de classe » et qu’il a dévoilé d’emblée la structure oppressive de la société. Elle cultive simultanément une « critique sociale » qui s’épuise vite en une pure rhétorique de déploration et qui se garde bien d’exhiber ses propres présupposés normatifs. La science est doublement mise à contribution : pour stigmatiser les « déviations » du principe démocratique et pour révoquer en doute toute tentative d’élaboration d’un dispositif alternatif. Ainsi, loin d’affecter les attitudes de surplomb, la sociologie critique sublime, au contraire, le privilège d’exterritorialité intellectuelle que revendique volontiers le « point de vue scientifique ». Ce n’est donc ni à partir d’une autre perspective scientifique, ni au vu d’un vague « humanisme moral » qu’on peut disputer de façon convaincante les positions dominantes de la sociologie classique. Une telle entreprise requiert, une fois encore, que soit brisée la référence au constructivisme et renoué, à l’inverse, le fil qui unissait naguère la pensée politique à la tradition philosophique classique.
Réinterroger la tradition philosophique
11« Mon propos est de contribuer et d’inciter à une restauration de la philosophie politique8. » L’apparence cristalline de cette proclamation mérite examen. Claude Lefort n’est pas à l’évidence l’instigateur d’une « pensée du retour ». Il n’est pas dans ses intentions de suggérer un « retour à Aristote » ou un « retour à Kant ». L’entreprise de réhabilitation de la philosophie qu’il soumet à l’approbation de ses contemporains demeure tout simplement incompréhensible si ne sont point dans le même temps ressaisies l’inspiration phénoménologique qui la guide et la perspective anthropologique qui, en dernière instance, lui confère sens et légitimité.
Le terreau antique
12« Penser le politique nous enjoint d’interroger nos liens avec la tradition de la philosophie politique9. » L’œuvre de Claude Lefort revendique clairement son inscription dans le terreau de la philosophie classique, celle qui remonte à Platon et à Aristote. Il n’est pas, selon lui, une seule proposition de ce précieux héritage qui ne sonne comme un défi aux réquisitions officielles du positivisme sociologique. Il y a là comme un trésor caché qu’il importe de redécouvrir et de réexploiter. La dette contractée à l’endroit de Leo Strauss est ici particulièrement éclatante. Il est d’ailleurs troublant que Lefort soit l’un des rares intellectuels français à porter publiquement témoignage de l’apport du philosophe allemand, alors que lui-même ne saurait être inscrit sans discernement à l’intérieur de la constellation néo-aristotélicienne.
13Le premier mérite de la tradition philosophique est de rappeler à la généralité et à la normativité du politique là où la sociologie tend, au contraire, à pointer sa particularité et sa fonctionnalité. Le fait qu’à l’époque contemporaine le vocabulaire dominant soit volontiers androgyne, traitant tantôt « du » politique comme art de la régulation sociale, tantôt de « la » politique comme modalité de conquête et d’exercice du pouvoir, est l’indice d’une perception ambiguë et dégradée qui n’était pas celle de la philosophie des Anciens. Celle-ci ne considère pas le politique comme un domaine d’activités dont il convient de disputer l’étendue et la spécificité mais comme un régime ayant vocation à instituer le rapport social et à façonner notre mode d’existence. Le terme politeia dont se sert Platon dans La République et qui est pratiquement intraduisible en français désigne ainsi cet ordre singulier de représentations, de croyances et de pratiques qui est au principe de toute vie sociale et qui fait naturellement signe vers une éthique de la vie bonne. La philosophie politique ne rougit pas de sa vocation prescriptive. Elle s’est toujours employée à conjuguer l’étude des formes de société politique et de conduite individuelle avec une recherche plus ambitieuse portant sur les fins dernières de la Cité. Là où la science moderne proclame volontiers l’indécidabilité des questions ultimes, elle rétablit, au contraire, la légitimité des interrogations normatives. Elle se refuse à disjoindre exploration du politique et quête du sens.
14L’autre mérite de la tradition philosophique est de maintenir une digue fragile mais réelle contre les assauts du nihilisme contemporain et de mettre en lumière, à cet effet, les contributions du positivisme moderne. Lefort est manifestement séduit par le commentaire incisif que l’auteur de Droit naturel et histoire fait de la sociologie de Max Weber. Il s’entend avec Leo Strauss pour déplorer la distinction établie par l’auteur d’Economie et société entre les « faits » et les « valeurs ». La sémantique aujourd’hui triomphante des « valeurs » n’est pas en elle-même absolument répréhensible. Enoncer que nos sociétés connaissent toujours « la guerre des dieux », c’est admettre implicitement qu’elles ne sont pas définitivement instrumentalisées par la technique ou par l’intérêt, que les êtres humains demeurent capables de s’ordonner à des systèmes de valeurs et, surtout, qu’aucun d’entre eux n’a désormais la capacité de plier à sa loi unique la collectivité sociale. Mais, en même temps, l’opposition dramatique qu’établit Weber entre la « sphère des faits » qui serait seule justiciable d’une véritable connaissance et la « sphère des valeurs » qui serait vouée à « l’arbitraire des évaluations ultimes » ouvre une carrière calamiteuse à ce que Leo Strauss nomme à raison le « relativisme dogmatique ». Pour Claude Lefort, la responsabilité de Max Weber est tout simplement écrasante, il est vraiment celui qui, à l’époque contemporaine, « a poussé le plus loin le relativisme sous toutes ses formes ». « Relativisme méthodologique » qui fait de la société une matière plus ou moins informe livrée aux opérations de connaissance du savant. « Relativisme culturel » qui fait de chaque culture le siège de valeurs incommensurables, vouées à des « conflits inexpiables ». « Relativisme axiologique », surtout, la raison confessant son impuissance à rendre des arbitrages convaincants entre les différents systèmes de valeurs. Pire ! ce qui, sous la plume de Weber, participait d’un « pantragisme » presque respectable s’est peu à peu commué en un « relativisme vague10 » ne permettant plus d’effectuer des discriminations positives entre le bien et le mal, le juste et l’injuste, « consacrant à l’inverse toutes les impostures ».
15L’intention philosophique manifestement présente dans l’œuvre de Claude Lefort obéit, cependant, à un régime particulier. S’il insiste, à ce point, sur la nécessité d’en revenir à « une expérience primordiale du politique », c’est aussi pour des motifs stratégiques liés à une conjoncture spécifiquement française. « Une telle tâche, constate-t-il avec amertume, n’a pas encore rencontré beaucoup d’échos parmi les milieux philosophiques11 » : alors que le délitement du marxisme et l’impérialisme des sciences politiques « auraient dû rouvrir les chemins de l’analyse politique », ils ont, au contraire, participé avec emphase à ce processus de suspicion et de dénégation. Mais on se tromperait lourdement à conclure à une simple tentative de restauration des juridictions anciennes de la philosophie politique. Rouvrir de nouvelles avenues à la pensée du politique ne signifie pas qu’on doive se contenter de célébrer les textes fondateurs. S’il y a bien chez Claude Lefort une entreprise persévérante de réhabilitation de l’interrogation philosophique, il n’est pas question pour autant de penser à nouveaux frais la querelle des Anciens et des Modernes. L’ancrage précoce dans le sillon nourricier de la phénoménologie l’a toujours retenu de la tentation naturaliste, indiquant ce qui le sépare de Leo Strauss et le démarque obstinément de toutes les « philosophies du retour ».
Le détour phénoménologique
16« Accepter le nom de philosophe me crée une difficulté grandissante12 ! » S’il ne se refuse pas au jeu de l’étiquetage, Claude Lefort confesse malgré tout une réticence à se déclarer philosophe. Comme si l’entreprise de réhabilitation des Anciens devait s’arrêter à ce point où elle risque à son tour de provoquer une pétrification de la pensée. En vérité, cette tension librement assumée habite Lefort depuis son adolescence et naît de la rencontre nullement préméditée entre un jeune lycéen déjà hanté par le besoin de l’écriture et un « professeur extraordinaire », Maurice Merleau-Ponty : « pour la première fois, écrit Lefort, je trouvais un maître dans ce professeur qui savait se soustraire à la pratique de la maîtrise13 ». Il faudra, néanmoins, que Claude Lefort vive plusieurs années durant l’expérience d’un engagement politique minoritaire pour se sentir en parfaite adéquation avec l’attitude phénoménologique.
17L’appartenance précoce à une « micro-bureaucratie » d’obédience trotskyste, puis, à partir de 1947, l’investissement aux côtés de Cornélius Castoriadis dans le groupe Socialisme ou Barbarie, jouent à cet égard un rôle déterminant. Lefort fait l’apprentissage de sites groupusculaires qui, tout en prétendant s’émanciper des contraintes dogmatiques du stalinisme, maintiennent, cependant, l’illusion d’un lieu à partir duquel une petite aristocratie du savoir rêve toujours de s’approprier le monde. Le même groupe qui se révèle capable de mettre en question « la dégénérescence bureaucratique du mouvement ouvrier » entretient simultanément la fiction d’une histoire entièrement lisible et virtuellement transformable. Pour Claude Lefort, « s’évader de ses premières croyances », rompre avec les vulgates, c’est aussi se réconcilier pleinement avec les requêtes les plus urgentes de la phénoménologie : c’est récuser l’idée d’un « sujet » capable de se poser à souveraine distance d’un « objet », c’est affirmer la dépendance de la pensée à l’égard d’un monde qui inévitablement l’environne et de temps à autre l’arraisonne, c’est surtout, révoquer « la tentative insensée de tout soumettre aux bienséances de la conscience, au jeu limpide de ses impositions de sens14 ». Les conséquences pour une analyse du politique sont loin d’être subalternes.
18La plus importante est assurément la conviction puissamment ancrée d’une préséance de l’événement sur la pensée qui place, là encore, son auteur en porte-à-faux vis-à-vis des tendances massivement dominantes de l’épistémologie contemporaine. À l’instar de Karl Popper, Claude Lefort refuse de convertir en dilemme confucéen l’entrelacs obligé de la théorie et de l’expérience. Mais, à la différence de l’auteur de La Logique de la découverte scientifique qui conclut à la précession nécessaire de la conjecture sur la réalité, il détecte dans l’événement le ressort initial qui mobilise la curiosité intellectuelle. L’influence d’Hannah Arendt se mêle ici furieusement à celle de Merleau-Ponty : « Nul n’a comme elle, écrit-il, par exemple, nommé aussi rigoureusement le lien entre la pensée et l’événement15. » Penser le politique, c’est au premier chef prêter attention aux « questions qui sourdent de l’expérience de notre temps », tirer toutes les conséquences de notre « fréquentation du monde16 », ne pas considérer comme de la mauvaise herbe les sentiments et les émois que nous inspirent les bruits et les fureurs de la vie.
19Si « le philosophe n’a pas le pouvoir de se soustraire aux sollicitations de l’événement, s’il a plutôt celui de se laisser toucher par lui », il lui incombe, cependant, d’exercer son discernement et de distinguer parmi l’incessante noria des événements ceux qui marquent l’histoire de leur empreinte. Ce n’est pas un hasard si Claude Lefort commente avec autant de gourmandise les travaux consacrés par Hannah Arendt aux Origines du totalitarisme et par François Furet à la Révolution française. Là où la vulgate positiviste commune à tant d’historiens et de sociologues stigmatise volontiers la « chimère de l’origine » et s’empresse d’affadir la portée de l’événement en l’inscrivant dans un procès nécessaire de causes et de conséquences, H. Arendt et F. Furet lui restituent, au contraire, sa singularité, son imprévisibilité, en un mot sa dignité. Il est ainsi des moments privilégiés qui manifestent la capacité proprement humaine à introduire du neuf, de l’inédit dans le cours apparemment rectiligne de l’histoire. Penser le politique c’est aussi manifester une sensibilité particulière à ces actes fondateurs, à ces fractures qui interviennent dans l’imaginaire collectif d’une société et qui, selon l’heureuse formule d’Hannah Arendt, « finissent par pulvériser nos catégories anciennes d’analyse » et par provoquer l’esprit à des interprétations fraîches et audacieuses.
20La dépendance de la pensée à l’égard de la vie n’est pas sans retentir sur l’économie même de la réflexion. Elle éclaire le « style Claude Lefort », la texture déroutante d’une œuvre dont Alain Caillé souligne à juste titre la troublante singularité17. Admettre ce qu’il y a d’énigmatique et sans doute d’insondable dans l’aventure du politique, c’est aussi nouer une liaison particulière à l’écriture, se refuser à l’œuvre académique où se donnerait à voir une « doctrine », maintenir une forme d’enquête qui demeure en permanence accueillante à l’imprévisibilité. Ce n’est pas un hasard si Lefort a pu être considéré comme « l’homme des revues » et s’il n’a jamais écrit un « livre ». C’est parce que l’essayisme politique lui est toujours apparu le biais le moins suspect pour éviter que les idées viennent à composer un système et pour éloigner ce moment « où la pensée s’affranchit du contingent pour se fixer sur l’essence et sur la nécessité18 ». Comme on est loin cette fois de Leo Strauss qui n’hésite pas à édicter que le Traité est la seule forme qui sied à une authentique théorie politique.
Bâtir une anthropologie politique
21Claude Lefort n’est pas à l’évidence un auteur facile ! On aurait aimé que le référent philosophique revigoré par la sève phénoménologique fournisse la clé de cette pensée volontiers itinérante. Ils ne la rendent intelligibles, cependant, qu’en acceptant d’être à leur tour fécondés par une investigation de nature anthropologique. Le dialogue que Lefort entretient très tôt avec les représentants de l’anthropologie sociale, l’amitié profonde qui l’unit surtout à Pierre Clastres avec lequel il fonda en 1960 la revue Libre, jettent un éclairage ultimement décisif sur cette conception singulière du Politique.
La dimension symbolique du social
22La distinction entre l’être et la représentation commande l’ensemble de la démonstration. Une société s’institue dans l’ordre symbolique de la représentation et non dans l’agencement apparent de ses articulations internes. Illusoire est, à cet égard, la vision d’une société autosuffisante, intégralement transparente qui livrerait ses secrets de fondation et ses modes de fonctionnement dans une pure immanence à elle-même. Une société n’advient pas à la conscience d’elle-même que par l’intermédiaire d’un système de représentation qui engendre et informe la mise en cohérence de l’espace social en même temps qu’il révèle « la division originaire du social ». Le politique est cette « instance symbolique » qui opère la figuration de l’espace social et qui avoue par là-même la scission existant au sein de cette société humaine entre son être empirique et sa représentation symbolique. Il désigne ce pôle qui manifeste l’extériorité de la société à elle-même en même temps qu’il lui fournit un principe d’intériorisation.
23Ainsi, la société des indiens Guayakis si finement étudiée par Pierre Clastres semble placée sous le signe de l’indivision sociale, donne le sentiment d’une collectivité homogène soudée autour de ses croyances et de ses rituels. Et pourtant, elle est tacitement ordonnée à un but : éviter la formation d’une autorité embryonnaire, attribuer des prérogatives largement fictives à un « Chef » paradoxalement mandaté pour conjurer l’émergence du pouvoir. Mais, observe Lefort, « une telle idée supposait que la société ne coïncidait pas avec elle-même, qu’elle affrontait une division dont elle s’employait à annuler les effets19 ». Ce qui se donne à voir comme une réalité empiriquement incontestable – le spectacle d’une communauté fusionnelle- fait signe vers un mécanisme subtil d’évitement de la domination. La société démocratique paraît, à l’inverse, placée sous le signe de la fragmentation sociale. Le politique y est explicitement présenté comme un « domaine particulier » sis à l’intérieur de l’espace social, y coexistant avec d’autres domaines. Lefort reconnaît que « l’illusion d’une localisation du politique n’est pas sans consistance » mais ajoute aussitôt qu’il serait coupable d’y succomber. Il convient, au contraire, de déchiffrer la forme de société dans laquelle se présente et se voit légitimé le clivage des différents secteurs de la société. Là encore, ce qui s’offre à la vue se dérobe à la compréhension. L’écart est manifeste entre ce que prétend être le politique moderne, une domination circonscrite à l’intérieur de la société, et ce qu’il est réellement, un principe générateur consacrant et structurant de manière inédite la différenciation des multiples sphères de la vie sociale, attestant par là-même le refus des sociétés modernes de s’ordonner à un référent ultime, à un étalon unique et incontestable.
24Ainsi, dans un cas comme dans l’autre, transparaît « l’idée d’une division originaire, constitutive de la société comme telle dont le signe se repère toujours dans la figuration du pouvoir, instance symbolique qui n’est à proprement parler ni à l’intérieur de l’espace auquel elle confère son identité, ni à l’extérieur, mais qui lui ménage simultanément un dedans et un dehors20 ».
La précession du politique sur le social
25La mise en évidence de la dimension symbolique du social fait simultanément signe vers une seconde idée, celle d’une précession du Politique sur le social, qui est tout aussi attentatoire que la précédente aux prescriptions centrales du positivisme sociologique mais qui démarque également l’anthropologie lefortienne de pensées pourtant contiguës comme celles de Leo Strauss et d’Hannah Arendt.
26Le conflit avec la tradition sociologique est une fois encore manifeste. Là où la vulgate durkheimienne énonce que « seul le social explique le social », Claude Lefort inverse l’ordre des grandeurs. Le politique ne saurait être « hors » la société puisqu’il en est le mode privilégié d’inauguration et d’effectuation. Le politique ne saurait davantage être « dans » la société puisqu’une société n’advient à elle-même que par le détour de son institution politique. Cette précession du Politique sur le social s’exprime de trois manières. Le politique est, tout d’abord, « mise en forme de l’existence sociale » : il s’entend alors des institutions, des normes, des règles qui ont une vocation à gérer la pluralité sociale et à assurer la cohésion relative du groupe. Le politique est, ensuite, « mise en scène de la coexistence sociale » : elle induit alors au système de représentation au sens théâtral du terme à travers lequel le pouvoir se rend visible et se met en scène auprès de ses ressortissants. Depuis les cérémonies minutieuses de la royauté balinaise étudiées par Clifford Geertz jusqu’aux grandes liturgies collectives propres à l’univers républicain, le pouvoir politique n’a de cesse d’énoncer sur un mode spectaculaire les principes qui soutiennent l’ordre de la société. Le politique est, enfin et surtout, « mise en sens de la coexistence sociale » : il n’est pas de société qui ne soit d’une manière ou d’une autre ordonnée à des discriminants primordiaux, le juste et l’injuste, le vrai et le faux, le légitime et l’illégitime et qui, à ce titre, ne fasse sens pour ses membres. Comprendre une société c’est au premier chef détecter le registre symbolique ou encore le « schéma directeur » qui rend pensable et analysable l’articulation de ses divisions internes. Là encore, le détour clastrien se révèle particulièrement fécond. La tribu des indiens Guayakis n’est pas à l’évidence peuplée d’individus rationnels acquis aux pratiques argumentatives du siècle des Lumières. Elle semble, selon l’heureuse formule de Cornélius Castoriadis, ordonnée à un « principe de stricte clôture » et pourtant, elle est tacitement nouée à une intention majeure : tenir à distance l’émergence d’une formation coercitive, faire à tout moment du Chef « le débiteur de la société », éviter qu’un pouvoir se dresse entre les membres de la collectivité. Seule, la mise en évidence de cette structure de sens permet de rendre raison de tout un ensemble de pratiques rituelles voire sacrificielles qui saisies dans leur immédiateté empirique se révéleraient tout simplement aberrantes, inintelligibles. En d’autres termes, une société est d’abord et avant tout un « espace d’intelligibilité » : « la vie sociale implique déjà pour ceux qui sont pris en elle une interrogation sur l’homme et sur le monde » que la pensée du politique a le devoir de repérer et qu’il ne lui est pas interdit de juger.
27On mesure mieux, là encore, le caractère profondément dissident du propos. Il accable à l’évidence cette représentation instrumentale et réaliste qui dans le sillage de Thomas Hobbes et surtout de Max Weber rabat l’essence du Politique sur l’institutionnalisation progressive de la coercition légitime dans les limites d’un territoire donné. Il ne se reconnaît pas pour autant dans l’affirmation naturaliste d’un « souverain bien » qui se donnerait à voir au-delà de la diversité des régimes politiques et qui introduirait entre eux des discriminations décisives. Il fait également entendre sa différence par rapport à l’œuvre pourtant si proche d’Hannah Arendt. Lefort avoue sa réticence devant cette représentation quelque peu esthétisante qui conduit Arendt à fixer le Politique sur de rares vibrations instituantes – la Polis athénienne, la fondation de la démocratie américaine, les conseils ouvriers hongrois de 1956 – vouées à la routinisation et à l’institutionnalisation. Il s’emploie à réarticuler à l’intérieur d’un dispositif plus ou moins harmonieux trois dimensions évoluant généralement en ordre dispersé. La dimension « compréhensive » au sens wébérien : tenter de comprendre de l’intérieur les intentions poursuivies par les acteurs de la vie politique, les valeurs qui soutiennent leurs initiatives. La dimension « restitutive » : s’affranchir de ce que les représentations spontanées des acteurs peuvent comporter d’approximatif voire de réducteur, ressaisir les systèmes de sens qui en amont les organisent et les innervent. La dimension « normative », enfin : renoncer à la posture de l’entomologiste, s’exposer au risque du jugement, reconnaître qu’il existe des régimes « meilleurs », à tout le moins plus désirables que d’autres. En dernière instance, la consubstantialité du Politique au social est clairement affirmée. Il n’est, selon Lefort, aucune collectivité humaine qui échappe au Politique, en d’autres termes, à une représentation plus ou moins diffuse de son être et de son devenir. Si le Politique s’élève lorsqu’il assume la division originaire du social et qu’il s’ouvre crânement à l’épreuve du pluralisme et de l’indétermination, il ne s’éteint pas pour autant lorsqu’il semble, à l’inverse, se refermer autour d’une vision fantasmatique et organique du tout social. Une société totalitaire est aussi une société politique21.
Conclusion
28L’anthropologie politique telle que la conçoit Claude Lefort représente au final un double défi par rapport aux sociologies de la domination.
29D’une part, elle remet la question du politique au centre de l’analyse et elle conteste à la sociologie le pouvoir de rendre ultimement raison des formes de société. Celles-ci n’ont pas à être « construites », n’attendent pas passives et résignées l’homologation officielle des aristocraties du savoir scientifique. Leur observation requiert, cependant, un art subtil de la composition. Il y a, en effet, au principe de tout régime politique une dimension symbolique souvent opaque qui se laisse davantage déduire que définir. Lefort apporte à son tour son écot à cette exploration aussi ancienne qu’incertaine. Le symbolique est en quelque sorte ce qui reste d’une société lorsqu’on en retranche les éléments empiriquement observables et déterminables. Mais il faut immédiatement ajouter que ce « reste » est tout simplement primordial puisqu’il s’agit des principes visant à ordonner et à tenir ensemble les éléments du tout. Il y a donc chez Lefort la conviction, insupportable pour n’importe quel membre d’une communauté savante, qu’une société s’origine dans des représentations qui « excédent les limites de la connaissance scientifique », qui ne sont pas à proprement parler justiciables d’une investigation empirique et qui demeurent néanmoins accessibles à l’esprit humain. À cet égard, Jean-François Lyotard n’est peut-être pas totalement infondé à suspecter la pureté apparente de cette phénoménologie du politique et à repérer dans les « matrices symboliques » chères à Lefort la version contemporaine des « idéalités kantiennes ». N’y a-t-il pas, en effet, cette idée que l’individu est capable de s’associer à d’autres individus pour créer des systèmes de valeurs, construire un monde de significations partagées, s’inscrire dans des horizons de sens qu’aucune épreuve empirique n’a vocation à corroborer ou… falsifier et qui préexistent, par conséquent, aux « méthodes » privilégiées par les sciences sociales, ainsi qu’aux « constructions » produites par leurs principaux usagers22. Si Lefort agréait au vocabulaire cher à Habermas, il dirait de ces idées directrices qu’elles ont obligatoirement un contenu « contrefactuel ».
30D’autre part, Claude Lefort ne fait pas du concept de domination la clé susceptible d’éclairer au premier chef l’énigme du Politique. Là encore, il est reconnaissant à Pierre Clastres « d’avoir ébranlé la conviction générale qu’on ne saurait penser la société sans division entre dominants et dominés ». Ce qui importe, c’est de repérer au-delà de l’évidence empirique des « rapports de pouvoir » la matrice symbolique qui leur préexiste et leur imprime en partie sa marque. La domination même corrélée à la légitimité n’est pas l’entrée qui permet d’introduire à une classification judicieuse des régimes politiques. À cet égard, rien ne laisse mieux apercevoir cette « primauté du symbolique » et ce caractère second, voire résiduel de la domination que l’examen comparatif des démocraties et des totalitarismes. La démocratie laisse apercevoir l’éclosion d’un nouvel imaginaire social, désigne le pouvoir comme un « lieu vide » interdit à l’appropriation humaine, ouvert au conflit des personnes comme à la compétition des idées, rend par là-même immédiatement sensible ce que Lefort aime à appeler « l’indétermination radicale du politique ». Le totalitarisme, à l’inverse, actualise à sa manière le dessein artificialiste d’une société de part en part maîtrisable et organisable, réactive la représentation d’un ordre homogène, transparent à lui-même où la figuration fantasmatique du Peuple-Un a immédiatement pour contrepartie la production névrotique de l’Ennemi. Rien n’est plus dissemblable que la démocratie et le totalitarisme et, cependant, dans un cas comme dans l’autre, la représentation a toujours préséance sur la domination. Celle-ci n’est jamais une dimension instituante du Politique. Lefort rejoint à nouveau Arendt pour considérer que le Politique, surtout lorsqu’il est lié au défi de la démocratie, a davantage à voir avec la natalité et la pluralité qu’avec la clôture et la domination.
Notes de bas de page
1 Ce texte constitue la reprise d’un article publié en novembre 1997 dans le numéro 1 de Politeia, la revue du Centre d’Étude de Recherches Autour de la Démocratie (CERAD) de l’université Rennes 1. Comme il est devenu difficile d’accéder à ce texte important, si représentatif de la science politique telle que conçue et pratiquée par notre ami Jean Baudouin, il nous a semblé opportun de le republier en clôture de ce volume.
2 Lefort C., « La question de la démocratie », in Le Retrait du politique, Paris, Éd. Galilée, 1983, p. 43. Si Claude Lefort a toujours manifesté une grande rugosité à l’encontre des sciences sociales, il serait absurde d’y distinguer un impérieux besoin de revanche disciplinaire. Ce vagabond de la pensée qui échappe aux rubriques convenues de la classification académique et qui aura exploré avec une rare assiduité toutes les facettes de la confidentialité intellectuelle avait vraiment d’autre souci que celui de « disputer une hégémonie » aux représentants des sciences positives. Comment, cependant, aurait-il pu les ignorer alors même qu’ils s’honoraient d’une connaissance « scientifique » des faits politiques et sociaux et qu’ils revendiquaient volontiers pour eux-mêmes le privilège de l’excellence intellectuelle ? On n’imagine difficilement une tentative d’établissement d’une nouvelle anthropologie politique qui, à un moment ou à un autre, ne partirait pas à l’assaut des positions dominantes du positivisme sociologique.
3 Lefort C., Essais sur le politique, XIXe-XXe siècles, Paris, Éd. Esprit/Le Seuil, 1986, p. 8.
4 Lefort C., « La question de la démocratie », op. cit., p. 74.
5 Ce n’est pas un hasard si la classification wébérienne des dominations légitimes est l’une des rares à échapper à la vindicte des politistes. Elle ne sépare pas, en effet, les types de gouvernement en fonction des visées qu’ils se donnent ou des valeurs qui les soutiennent mais à partir d’une variable neutre, en l’occurrence les mécanismes et les destinateurs de la croyance collective. Elle privilégie la légitimation et scotomise le principe.
6 Lefort C., Essais sur le politique, op. cit., p. 10.
7 Ibid., p. 20.
8 Ibid., p. 17.
9 Ibid., p. 8.
10 Lefort C., « Trois notes sur Leo Strauss », in Écrire à l’épreuve du politique, Paris, Agora, 1995, p. 261.
11 Lefort C., « La question de la démocratie », op. cit., p. 71.
12 Lefort C., « Philosophe ? », in Écrire à l’épreuve du politique, op. cit., p. 338.
13 Lefort C., Sur une colonne absente. Écrits autour de Merleau-Ponty, Paris, Gallimard, 1978.
14 Lefort C., op. cit.
15 Lefort C., « Hannah Arendt et la question du politique », in Essais sur le Politique, op. cit., p. 61.
16 Ibid., p. 7.
17 Caillé C., « Claude Lefort, les sciences sociales et la philosophie politique », in La Démocratie à l’œuvre. Autour de Claude Lefort, Paris, Éd. Esprit, 1993, p. 51 sq.
18 Lefort C., Sur une colonne absente, op. cit.
19 Lefort C., « Dialogue avec Pierre Clastres », in Écrire à l’épreuve du politique, op. cit., p. 314.
20 Ibid., p. 313.
21 Alain Caillé estime que Lefort sacrifie à une conception démesurément extensive, englobante du Politique, fournit à sa manière une légitimité savante à la célèbre maxime, « tout est politique ». La critique est loin d’être inconsistante. On rétorquera, cependant que cette visée généralisante est aussi en phase avec ce que Lefort aime à nommer « l’indétermination radicale du politique ». Retenir des définitions larges c’est aussi une manière de laisser entière la question du repérage du Politique et de ne pas s’enliser dans des approches restrictives et institutionnalistes.
22 Il faut reconnaître, à cet égard, que Jean-François Malherbe n’était pas infondé à inscrire l’épistémologie de K. Popper dans l’horizon du positivisme. Même si l’auteur de la Société ouverte s’est aussi employé à penser la démocratie à travers des catégories classiquement philosophiques et éthiques.
Auteur
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