18. Michel Foucault et la social-démocratie : retour sur un rendez-vous manqué
p. 287-300
Texte intégral
1Pourquoi parler, encore une fois, de Naissance de la biopolitique1 ? Pourquoi, trente ans après sa disparition, parler encore de Foucault et de ce qui fut l’un de ses derniers cours au Collège de France ?
2Le propos qui suit découle du constat, difficilement contestable, d’une époque littéralement obsédée par la question du néo-libéralisme : impossible d’y échapper, tant l’actualité éditoriale, intellectuelle et académique semble illustrer, depuis une dizaine d’années maintenant, cette obsession2. À l’heure où il n’est guère de semaine qui ne livre son flot de publications mettant en avant cette thématique du néo-libéralisme, il semble possible d’affirmer que le cours de Michel Foucault prononcé en 1979, parce qu’il est un des premiers à proposer une généalogie et une histoire du néo-libéralisme, a joué un rôle déterminant : dans cette profusion d’ouvrages et de travaux, dans cette obsession, il figure de toute évidence comme un point de référence obligé.
3Le décalage entre le prononcé du cours (1979) et l’édition de ce dernier (2004), loin de nuire à sa réception, l’a au contraire amplifiée, au point de poser Foucault non plus seulement comme un précurseur, mais aussi comme une sorte de prophète. Le sentiment s’impose ainsi que, bien que prononcé en 1979, c’est bien de notre contemporain qu’il s’agit, travaillé en profondeur et révélant, jour après jour, l’emprise croissante et comme irrésistible d’une dynamique dont Foucault précisément avait voulu identifier la genèse et les logiques.
4Trois types d’usages et de lectures du cours méritent ici d’être brièvement mentionnés. Un premier usage pose le cours de Michel Foucault comme une sorte de « boîte à outils » dans laquelle il conviendrait éventuellement de puiser une intuition, une formule, sans qu’il soit nécessaire d’accéder à une pleine et entière prise en compte du propos foucaldien. Il y a de ce fait un usage non typiquement foucaldien de Foucault, qui repose sur une série d’emprunts sauvages, de petits braconnages, qui relèvent du jeu même et de la dynamique des sciences sociales. Pour ne prendre ici que deux exemples, tant chez Philippe Bezès l’expression de « souci de soi de l’État3 », que chez Renaud Epstein, celle de « gouvernement à distance4 » nous paraissent relever de cette première catégorie d’usages. Ces références, parfois très lâches, souvent partielles et revendiquées comme telles, attestent en tout cas la fécondité toujours active du propos foucaldien et lui assure une réception élargie, bien au-delà du seul cercle d’un foucaldisme revendiqué.
5C’est précisément dans ces cercles plus restreints que joue pleinement un second rapport, qui relève plus de la célébration, au risque parfois de la paraphrase ou de l’orthodoxie. On se plaît, et même on se complaît, dans la célébration d’un Foucault visionnaire et prophétique. On construit ici un Foucault critique précoce du néo-libéralisme, et cette construction s’articule la plupart du temps à des postures intellectuelles ou militantes radicales. Cette lecture célébrante attribue à Foucault la paternité d’une analyse, sous forme de récit, du néo-libéralisme, dont les multiples développements ultérieurs à sa disparition précoce, démontreraient le caractère génialement prophétique. « Comme l’avait vu Michel Foucault… », « Comme l’avait annoncé Michel Foucault… » ou « on doit à Michel Foucault d’avoir identifié dans ses cours au Collège de France en janvier 1979 (Naissance du biopolitique) (sic) [… ]5 » : telles sont les formules du rituel.
6Rapidement décrit, l’apport du cours de Michel Foucault tient selon cette seconde lecture, à l’établissement d’un récit, celui de la réussite d’une offensive intellectuelle, idéologique et politique, celui de la revanche d’un libéralisme discrédité par les crises du premier vingtième siècle, assurée par une reformulation de ses méthodes et de ses projets, sous l’étendard du « néo-libéralisme ».
7Cette deuxième posture, intellectuellement et politiquement plus signifiante que la première, dans la mesure où elle s’articule à ce récit redoutablement cohérent (au moins en apparence), n’est toutefois pas unanime.
8Le succès posthume et actualisé du cours de 1979 a en effet suscité un troisième type d’usages, explicitement critique. C’est même d’une forme d’agacement qu’il convient de parler, dont on veut pour preuve, notamment, le travail fécond entrepris par Serge Audier sur le colloque Lippmann, considéré comme moment fondateur de cette dynamique néo-libérale, et poursuivi par la publication d’une « contre-histoire » des néo-libéralismes6. Même si Foucault n’est pas le seul auteur visé par cette dernière et volumineuse mise au point, on notera qu’il en est quand même la cible principale, comme le suggère d’ailleurs le sous-titre de l’ouvrage : « Une archéologie intellectuelle », où se lit aisément un clin d’œil à l’un des termes clés de la démarche foucaldienne, ici retourné contre Foucault lui-même.
9L’objectif proclamé de Serge Audier réside dans la contestation directe de la généalogie du néo-libéralisme sur laquelle Foucault s’appuie – puisque Serge Audier souligne à loisir les multiples emprunts parfois approximatifs d’ailleurs de Foucault à la thèse de Bilger sur l’ordo-libéralisme allemand7. Dès lors, c’est tout autant Foucault qui est visé que tous ceux de ses héritiers qui prennent le travail de ce dernier pour argent comptant, et se contentent de le reprendre littéralement.
10Le choix du pluriel – Néo-libéralismes – trouve là sa justification : dans le fait établi par Audier qu’il n’y a pas un néo-libéralisme, mais des expressions différentes, des origines, des projets, des inscriptions nationales différentes, des destins également singuliers de telle ou telle configuration nationale, jouant à leur tour sur les configurations internationales, bref, qu’il y a bien des néo-libéralismes, dont le risque serait qu’on en surestime l’unité et la cohérence interne, comme la permanence dans le temps de leurs postures et de leurs arguments.
11Ce faisant, on pourrait faire le reproche à Serge Audier de s’en prendre peut-être plus fréquemment aux héritiers autoproclamés de Foucault qu’à Foucault lui-même8. Il est certes plus élégant de polémiquer avec les vivants que de s’en prendre à un auteur disparu. Mais on voit bien qu’en remontant à Foucault par le biais de ses héritages, qu’en confondant tendanciellement le cours et ses plus fidèles laudateurs, Audier contribue à son tour à attribuer à Michel Foucault une interprétation cohérente et homogène d’un néo-libéralisme unifié.
12En pratique, l’enjeu qui est le nôtre ici doit beaucoup à cette dernière mise au point, en même temps qu’il s’en distingue, pour tenter de poser les bases d’une nouvelle lecture de Naissance de la biopolitique. Il ne s’agit pas tant en l’espèce d’un désaccord de fond avec le travail et la thèse de Serge Audier, mais d’une divergence d’interprétation et de méthode. Son propos et son objectif sont en effet de proposer une autre histoire, toute de complexité, des néo-libéralismes. Or, il nous semble, au-delà de cette contestation « externe » de la thèse attribuée à Michel Foucault, qu’il reste du grain à moudre dans la lecture même du texte ainsi contesté par Audier. Ou, pour le dire autrement, il semble que l’on n’ait pas encore épuisé les charmes d’une lecture critique « interne ».
13Ce partage des scènes de la réception entre célébration, inspiration ou critique externe dit bien une vraie difficulté et désigne en effet une vraie absence : celle d’un rapport critique au texte lui-même. Cette absence constitue à elle seule une énigme. Comment expliquer qu’il n’y ait eu que si peu de place pour une lecture du texte qui le prendrait au sérieux dans sa globalité et sa dynamique interne, dans son mouvement même ? Cette absence n’est-elle pas justement le corollaire des postures dominantes qui, au-delà de la seule célébration ritualisée, de l’emprunt ou de la critique externe, en arrivent à exclure le texte lui-même ?
14Derrière cette énigme se profilent plusieurs explications. Il y a tout d’abord une vraie difficulté à saisir la ligne argumentaire de Foucault lui-même. Le lecteur est vite emporté par le torrent d’érudition, l’avalanche des arguments, la richesse des références, le brio des analyses et le caractère proprement bondissant, pour ne pas dire insaisissable, d’une pensée en train de se construire. Le cours produit un effet de sidération, et pour son lecteur agnostique, un effet d’intimidation certain, dont il n’est pas aisé de sortir, tant la célébration et la réception différée et élargie ont en outre contribué à placer le texte hors de la portée d’un regard et d’une attention sereinement critique.
15Le cadre général et l’hypothèse au cœur de notre lecture reposent pourtant sur cette idée assez simple que le point de départ du cours diffère, et de plus en plus, du propos initialement construit et progressivement dévoilé par Foucault, au point d’introduire dans ce dernier une contradiction flagrante que Foucault n’affronte malgré tout jamais comme telle.
16Ce glissement peut être ainsi rapidement résumé. Dans un premier mouvement de l’argumentation, Foucault semble bien donner crédit à une première lecture du néo-libéralisme, ramassée dans un récit cohérent qui est largement celui d’une généalogie commune, qui transcende tant la diversité chronologique que géographique. Ce point, que nous concédons aux lectures traditionnelles, explique qu’à nos yeux ces lectures ne sont pas en elles-mêmes fausses (au sens où elles ne constituent pas sur ce point une déformation radicale de l’analyse de Michel Foucault). Elles reposent en effet sur une argumentation très présente notamment tout au long de la première partie du cours.
17Toutefois, ce que peu de lectures mettent en évidence, c’est qu’il est possible de noter chez Foucault, dans le cours lui-même, un tournant argumentaire central mais jamais explicité par son auteur. On peut suggérer ici une clé éventuelle : l’explicitation de ce tournant argumentaire débouche logiquement sur l’invalidation d’une grande partie du récit initialement construit. Foucault a-t-il identifié le problème ? A-t-il consciemment souhaité ne pas le formuler explicitement ? Question délicate, sans parler ici des éléments d’explication du tournant argumentaire lui-même, dont on se contentera ici de suggérer qu’il peut être rapporté tant à des explications purement internes, liées à l’objet même du cours, qu’aux propres évolutions personnelles de Michel Foucault9.
18Toujours est-il que la thèse initiale et la généalogie fondatrice du cours se trouvent au final largement remises en cause. Cette hypothèse trouve son illustration, sa confirmation, dans le texte relativement bref que Michel Foucault rédige lui-même dans le cadre du compte-rendu de son activité d’enseignement au Collège de France – c’est-à-dire postérieurement au prononcé même du cours10.
19Rappelant le cadre général de la réflexion sur la nouveauté d’une gouvernementalité néo-libérale par rapport aux problématiques du libéralisme classique, Foucault revient sur sa tentative d’illustrer l’apparition de cette nouvelle « raison gouvernementale » sur « deux exemples contemporains : le libéralisme allemand des années 1948-1962, et le libéralisme américain de l’École de Chicago » (NBP, p. 327). Or, dans les lignes qui suivent, tant la cohérence du récit que la thèse de la continuité du néo-libéralisme, qui figuraient au cœur de la première partie, volent en éclats. Certes, dans une phrase rapide, Foucault rappelle quelques points contextuels communs aux deux expériences – « Dans les deux cas […] » (NBP, p. 327).
20Mais une fois présenté le résumé de son analyse de l’ordo-libéralisme allemand, une fois rappelé à nouveau un élément d’éventuelle continuité – « Comme chez les ordo-libéraux allemands […] » (NBP, p. 328) – Foucault rompt explicitement avec la thèse qu’on semble donc lui attribuer un peu vite :
« Mais, insiste-t-il, ce qui a retenu l’attention dans ce néo-libéralisme américain, c’est un mouvement tout à fait opposé à ce que l’on trouve dans l’économie sociale de marché en Allemagne : alors que celle-ci considère que la régulation des prix par le marché – seul fondement d’une économie rationnelle est de soi si fragile qu’elle doit être soutenue, aménagée, “ordonnée” par une politique interne et vigilante d’interventions sociales (impliquant des aides aux chômeurs, des couvertures des besoins de santé, une politique du logement, etc.), ce néolibéralisme américain cherche plutôt à étendre la rationalité du marché11… »
NBP, p. 328-329.
21Ce qui l’emporte assurément dans cette présentation des choses et dans cette formulation, désormais, c’est donc bien une thèse privilégiant la discontinuité des néo-libéralismes, leur divergence, voire leur opposition, même, pour reprendre le terme suggéré par Foucault himself.
22Peu importe pour le moment que la pensée de Foucault ait évolué dans le moment même du cours, ou qu’il ait tenté consciemment de réconcilier deux thèses contradictoires et opposées. Ce que nous souhaitons ici suggérer, c’est l’hypothèse d’une lecture plus féconde du cours qui entend restituer au sein même de sa dynamique et de son déroulé, non pas même deux, mais bien plutôt trois grilles de lecture utilisées et sollicitées par Michel Foucault. Car au-delà de ces deux thèses extrêmes de la continuité et de l’opposition des néo-libéralismes et peut-être dans l’objectif – qui se révèle malgré tout assez vain – de retarder ou de masquer le moment de dévoilement de la contradiction, il est possible de noter chez Foucault la tentation du recours à la thèse de la radicalisation, dont on dira le caractère délicat de son utilisation, en même temps que le rôle particulier qu’elle joue, à un moment charnière du cours et de ce basculement argumentaire.
23Dans un tel cadre interprétatif, la question de la social-démocratie n’est pas une question anecdotique ni secondaire. Elle est en effet au cœur de la démonstration de Foucault, un élément clé du premier mouvement. Mais elle agit aussi comme le révélateur de la contradiction qu’il refuse d’affronter.
« Il n’y a pas de gouvernementalité socialiste autonome » : la trahison social-démocrate comme confirmation de la puissante dynamique néo-libérale
24La social-démocratie, et en premier lieu la social-démocratie allemande, ne sont pas des acteurs secondaires dans l’argument de Michel Foucault et dans le récit qu’il dresse. Non seulement il y consacre de longs passages dans les leçons consacrées à l’ordo-libéralisme allemand, mais l’analyse qu’il en fait joue un rôle essentiel dans le dispositif argumentaire mis en place12.
25L’enjeu de cette première ligne argumentaire réside bien pour Foucault dans la description du néo-libéralisme comme rupture propre de l’histoire et dans l’histoire du libéralisme. De ce point de vue, une fois posé le rôle fondateur du colloque Lippmann de 1938, envisagé sous l’angle d’une convergence plus que sous l’angle des conflits qu’il révèle, Foucault y décèle déjà l’influence déterminante de l’ordo-libéralisme allemand. Or, dans le contexte de l’après-guerre, l’ordo-libéralisme n’est plus seulement selon lui une école, une revue, un courant d’idées ou un vague projet politique : c’est aussi et surtout le lieu central d’inspiration de la refondation allemande. Les ordo-libéraux sont littéralement au pouvoir, soit directement, soit en posture de conseillers directs du Prince. De ce fait, Foucault fait non seulement de l’ordo-libéralisme le socle intellectuel de la refondation allemande, mais il construit l’Allemagne comme le modèle presque chimiquement pur de l’État néo-libéral, et, plus largement, comme le point d’ancrage et de démultiplication d’une dynamique néo-libérale amenée à s’étendre et à se diffuser irrésistiblement – ce que suggèrent les notations rapides qu’il formule à propos de l’influence de l’ordo-libéralisme sur les premières politiques européennes13.
26C’est à ce moment de l’argument qu’intervient la mention du rôle et de la position du SPD. Là encore, il s’agit pour Foucault d’alimenter la thèse de la force, de la puissance, de la cohérence et de l’irrésistibilité du néo-libéralisme dans sa version allemande.
27Le rôle majeur joué par l’ordo-libéralisme allemand dans le moment de la fondation de la République fédérale et dans la définition des cadres de l’action politique – ce que Foucault désigne comme « l’armature même de la politique allemande contemporaine » (NBP, p. 184) – n’est pas seulement la conséquence d’une adaptation particulière de l’ordo-libéralisme aux exigences de l’heure – la refondation d’un État limité sur les décombres du totalitarisme nazi –, ni la seule conséquence d’une simple domination politique électorale.
28Pour Foucault en effet, la force de l’ordo-libéralisme tient tout autant dans l’influence qu’il a pu exercer sur ceux dont on aurait pu logiquement s’attendre à ce qu’ils s’y opposassent. Elle s’illustre et se confirme à ses yeux à travers l’analyse qu’il propose des évolutions de la social-démocratie allemande qui lui permettent de développer plus largement un point de vue radical où le constat de l’hégémonie de la gouvernementalité néo-libérale accompagne et renforce le constat d’une alternative absente.
29On pourrait ici trouver matière à souligner la part de mauvaise foi ou d’habileté rhétorique, dont le cours n’est pas toujours exempt, dans la manière dont Foucault tente de congédier d’entrée toute influence marxiste dans son analyse de la social-démocratie allemande, et ce alors même qu’au final, il se contente d’emprunter largement à un registre d’ailleurs plus léniniste que strictement marxiste (NBP, p. 90-91).
30Peu importe ici cette question, soulevée par d’autres, du rapport éventuellement délicat ou ambigu que Foucault entretient avec le marxisme, si ce n’est pour souligner à nouveau à quel point, partant d’une position qu’il revendique comme « non-marxiste », il se trouve conduit à répéter les mêmes termes, les mêmes analyses, qui font de toute position réformiste ou gradualiste, l’antichambre de la trahison ou du ralliement aux positions de l’adversaire : « Pourquoi ce ralliement de la social-démocratie et ce ralliement, finalement, quoiqu’un peu tardif, assez facile à ces thèses et à ces pratiques et à ces programmes du néo-libéralisme ? » s’interroge-t-il ainsi dans un registre de fausse naïveté. Assez classiquement, s’inscrivant dans une tradition d’analyse ancienne et durable, Foucault propose en effet de voir dans le congrès de Bad Godesberg le moment même de ce ralliement, confirmé selon lui par plusieurs déclarations de quelques dirigeants sociaux-démocrates qui lui semblent suffire à établir l’acte d’accusation à peine euphémisé qu’il livre dès lors à son auditoire.
31Cette hypothèse de la conversion ou du ralliement est essentielle pour Foucault au regard de son acception même de la notion de gouvernementalité, pour suggérer la position désormais exclusive, de son point de vue, de la gouvernementalité néo-libérale – au point que l’on peut même se demander au final si les deux termes « gouvernementalité » et « néo-libéralisme » ne sont pas synonymes interchangeables14.
32Refusant de donner le moindre crédit à l’idée d’une alternative et d’une opposition néo-libéralisme versus socialisme (ici dans sa version sociale-démocrate), il pose le caractère second de toute forme de socialisme existant à travers quelques formules décisives et un peu péremptoires qu’il convient de rappeler ici :
« Je crois qu’il n’y a pas de gouvernementalité socialiste autonome. Il n’y a pas de rationalité gouvernementale du socialisme. Le socialisme en fait, et l’histoire l’a montré, ne peut être mis en œuvre que branché sur des types de gouvernementalité divers »
NBP, p. 93.
33On peut en passant souligner ici le recours à un procédé rhétorique que Foucault utilise fréquemment aux fins d’emporter la conviction du lecteur : l’énoncé prudent d’un credo, d’une conviction, en nom propre ; la reprise du même credo, mais sous la forme, cette fois d’une affirmation qui prend l’aspect d’une sentence et d’une évidence définitive ; enfin le recours tout aussi définitif à l’argument ultime de l’histoire, « qui a montré »…
34Nul doute que le procédé est efficace, si l’on en juge par la postérité remarquable de cette formule centrale, d’ailleurs souvent amputée, pour plus de clarté et de radicalité probablement, de son dernier terme : « Il n’y a pas de gouvernementalité socialiste » – autrement dit : il n’y a pas de socialisme…
35Cette affirmation possède, si l’on en juge par les phrases suivantes, un double avantage. Dans le même geste de lucidité à la fois modeste et héroïque, Foucault se construit – et offre à ceux qui le souhaitent – une posture critique surplombante à l’égard du socialisme – tant dans sa version communiste que dans sa version sociale-démocrate ou réformiste –, en même temps qu’il affirme sa prétention au magistère de l’intellectuel critique : « Sachons seulement que s’il y a une gouvernementalité effectivement socialiste, elle n’est pas cachée à l’intérieur du socialisme et de ses textes. On ne peut l’en déduire. Il faut l’inventer » (NBP, p. 95).
36Il y a bien là, dans ce déni de gouvernementalité qu’opère Foucault, l’un des traits les plus marquants de l’héritage foucaldien à venir. C’est ainsi une posture en tout point comparable que l’on retrouve sous les plumes de Pierre Dardot et Christian Laval, dans La Nouvelle raison du monde, qui figure probablement comme l’exégèse et l’actualisation la plus fidèle à cette première ligne argumentaire foucaldienne du déploiement irrésistible d’un néo-libéralisme dont la source ordo-libérale allemande constituerait, à compter du colloque Lippmann de 1938, la matrice essentielle15. Certes, on note bien leur sensibilité à certaines critiques notamment formulées par Serge Audier. Mais leur mention ne suffit guère de toute évidence à ébranler cette thèse d’une continuité et d’une homogénéité dans le temps comme dans l’espace du néo-libéralisme16. Or, dans cette lecture actualisée, le rôle du « traître rallié » est désormais incarné par l’ensemble des gauches gouvernementales de la fin des années quatre-vingt-dix – Tony Blair, Gerhard Schröder, Lionel Jospin – qui n’auraient eu de cesse de faire le lit du néo-libéralisme. Montée en puissance de l’union européenne oblige, le rôle majeur de la construction européenne est également mis en avant sur la base des intuitions rapidement formulées en 1979 par Michel Foucault. Il s’agit bien comme le suggèrent ces deux auteurs d’établir et de dévoiler « les origines ordo-libérales de [cette] construction européenne17 », en quelque sorte viciée dès le départ, véritable cheval de Troie d’un néo-libéralisme dont le déploiement s’expliquerait notamment par l’hégémonie allemande.
37Non seulement toute forme de socialisme gouvernemental apparaît ici comme une forme de trahison, mais un stade est également franchi, là encore sur la base revendiquée des analyses foucaldiennes. C’est que le projet néo-libéral aurait atteint désormais, depuis la publication du cours et la disparition de Foucault, un niveau de réalisation achevée, qui légitimerait le diagnostic implicitement posé d’un tournant anthropologique. L’absence de résistance politique réelle, l’absence d’alternative possible, le rôle d’idiot utile du néo-libéralisme joué par les gauches gouvernementales, ont permis la réussite totale du néo-libéralisme, qui a accouché entre-temps d’une nouvelle société et d’une nouvelle figure de l’homme : l’homo œconomicus18.
38On comprend mieux dès lors le contraste entre l’ampleur de la mutation diagnostiquée (« nous sommes tous gangrenés par le néo-libéralisme ») et la faiblesse éclatante des propositions politiques apportées par les deux auteurs en conclusion de leur récit, comme si seules des résistances individuelles, des refus et des contre-conduites suffisaient à inverser le cours irrésistible de la dynamique néo-libérale. Comme l’écrit Christophe Ramaux, « les auteurs en sont réduits à des formules pour le moins évasives, assez individualistes au demeurant, puisqu’elles n’ont trait qu’à la vision que l’individu est susceptible de se faire de lui-même et de son rapport à autrui19 ». Ou quand la politique cède le pas à la seule morale20…
La social-démocratie, talon d’Achille de Michel Foucault
39Notre objectif n’est pas toutefois de prétendre réhabiliter l’intégralité des bilans et des politiques menées par les gauches européennes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en faisant mine par exemple d’ignorer à la fois des évolutions incontestables et des formes de renoncements indéniables. Pas plus que le néo-libéralisme, l’histoire de la social-démocratie européenne ne doit être conjuguée au singulier… Il ne s’agit pas non plus ici de décréter et d’écarter d’un revers de main, au nom d’on ne sait quel réalisme érigé en dogme, la fécondité éventuelle de certaines postures et propositions trop souvent disqualifiées pour leur soi-disant radicalité, avant que d’être paradoxalement reprises par ceux-là mêmes qui les excommuniaient hier21.
40Notre seul objet est plus modeste. Il s’agit ici de montrer que cette posture de défiance à l’égard de la social-démocratie, indissociable d’une ligne argumentaire qui construit un néo-libéralisme homogène et puissant, constitue le talon d’Achille du cours de 1979.
41Deux courtes phrases, rarement commentées et prises en compte, méritent à ce propos d’être citées :
« j’ajoute aussitôt d’ailleurs que, pour tout un tas de raisons, ce programme drastique de politique sociale défini par les néo-libéraux n’a pas été, n’a pas pu être, de fait appliqué exactement en Allemagne. La politique sociale allemande s’est lestée de tout un tas d’éléments dont les uns venaient du socialisme d’État bismarckien, dont les autres venaient de l’économie keynésienne, dont d’autres venaient des plans Beveridge, de sorte que sur ce point-là les néo-libéraux, les ordo-libéraux allemands n’ont pas pu se reconnaître entièrement dans la politique allemande »
NBP, p. 150.
42Un lecteur attentif ne peut manquer d’être ébranlé par ces brefs développements, dont Foucault tente d’ailleurs immédiatement après de limiter la portée. De fait, alors qu’il avait jusque-là construit une lecture cohérente, mais contestable et contestée, Foucault formule comme un aveu, sans s’y attarder toutefois. Et on le comprend aisément : s’y attarder, ce serait ruiner toute la première partie du cours, tout ce qui a sous-tendu l’argumentation d’une matrice commune, d’un développement du néo-libéralisme sous la forme d’une boucle bouclée. Alors que l’Allemagne figurait comme le modèle même de la réalisation pratique du projet néo-libéral, comme l’État néo-libéral dans une forme chimiquement pure, voilà que Foucault prend des distances – certes elles-mêmes immédiatement nuancées – avec cette idée.
43Il faut prendre toute la mesure de cet aveu gêné, rapidement voire honteusement formulé. Car ce que pose cet aveu, c’est ni plus ni moins que l’échec politique et pratique du projet ordo-libéral allemand. Même disposant d’un accès direct ou privilégié au pouvoir, les ordo-libéraux allemands n’ont réussi à se prémunir ni des héritages du passé, ni des contraintes imposées par le jeu des forces sociales (ici décrites par Foucault d’une manière euphémisée et outrancièrement intellectualisée, réduites à des idées pures, « hors-sol », à travers la mention de Keynes et de Beveridge). L’Allemagne refondée n’est pas résumable à une exclusive inspiration ordo-libérale.
44Or, si ce constat posé d’un échec pratique de l’ordo-libéralisme allemand est en contradiction flagrante avec ce que Foucault a dit jusqu’alors de l’Allemagne, du rôle et du poids de ce courant dans le moment de la refondation, il est au moment même où il le formule un constat nécessaire, en même temps que l’indice d’un glissement progressif de Foucault vers deux autres lignes argumentaires, sans jamais pourtant intégralement revenir sur la première qui peut même, au risque de la contradiction se trouver épisodiquement réaffirmée22.
45Si le constat est nécessaire, c’est qu’il accompagne le déplacement du regard et de l’attention foucaldienne vers le néo-libéralisme américain, dont il semble peu à peu découvrir qu’il lui sera particulièrement difficile de l’inscrire dans la continuité parfaite de l’ordo-libéralisme.
46Une première stratégie permet d’identifier la deuxième ligne argumentaire qui traverse le cours. On peut la qualifier d’hypothèse de la fidélité. Foucault l’utilise immédiatement après l’aveu de la page 150 : « C’est à partir de là et de ce refus de cette politique sociale que l’anarcho-capitalisme américain va se développer. » Autrement dit, l’échec pratique des ordo-libéraux expliquerait la reprise aux États-Unis des objectifs initialement communs, fixés dès le colloque Lippmann de 1938. Cette formulation permet de sauver les apparences de la continuité. Mais elle ne règle en rien la question de ce revirement qui mène Foucault à poser le constat d’échec de l’ordo-libéralisme.
47Une seconde stratégie se déploie quant à elle implicitement jusqu’à la fin du cours, qui pose en creux l’idée d’une différence entre l’ordo-libéralisme et le néolibéralisme américain, que l’on retrouvera cette fois explicitement formulée dans le résumé rétrospectif que Foucault fournira de son cours23.
48L’hypothèse de la diffusion y est certes réaffirmée, mais c’est pour être immédiatement nuancée ou relativisée : « Aux États-Unis, la diffusion du modèle allemand prend une tout autre allure. Et d’abord, est-ce qu’on peut véritablement parler de diffusion du modèle allemand ? » s’interroge Michel Foucault en suggérant qu’il serait aussi possible de considérer le néo-libéralisme américain, « comme un phénomène absolument endogène aux États-Unis ». Confirmation supplémentaire d’une forme d’embarras, ou en tout cas, d’une évolution sensible du point de vue de Michel Foucault, la présence continue d’un Hayek, du colloque Lippmann au regain de néo-libéralisme américain dans les années 1970, n’est plus nécessairement à elle seule la garantie de la continuité jusqu’alors suggérée de l’ordo-libéralisme allemand au néo-libéralisme américain. Le conditionnel et une forme jusque-là inédite de prudence s’imposent désormais sous la plume de Foucault :
« Il y aurait toute une série d’études plus précises à faire sur le rôle qu’ont joué les émigrés allemands aux États-Unis, le rôle qu’a joué quelqu’un comme Hayek par exemple. Enfin bon. Entre le modèle néo-libéral allemand, formé essentiellement autour des gens de Fribourg, et puis le néo-libéralisme américain, il y a tout un tas de relations historiques sans doute assez difficiles à débrouiller. »
NBP, p. 198-199.
49Il y aurait à ce stade beaucoup à dire sur l’usage que Foucault fait de la mention de Hayek dans sa démonstration. Son nom est en effet cité à quatre reprises (NBP, pages 108, 138, 166 et 224). Logiquement, les trois premières mentions s’inscrivent et alimentent le récit de la continuité hégémonique de l’ordo-libéralisme. Hayek (pas plus d’ailleurs que von Mises) ne se trouve vraiment distingué et géographiquement identifié comme représentant d’une branche américaine du néo-libéralisme, mais bien plutôt comme un acteur supposé de la fondation du néo-libéralisme puis comme un agent de sa diffusion outre-Atlantique. Mieux, l’une de ces trois premières mentions rappelle le retour tardif de Hayek en Allemagne, ce qui permet à Foucault lui-même d’afficher sa conviction qu’ainsi le cercle est bouclé, puisque le rôle supposé de Hayek dans la commission entourant Erhard au moment de la refondation allemande est dans le même temps posé. Or, dans la dernière mention directe, alors même que des éléments biographiques parfaitement comparables sont avancés par Foucault (« Je me référerai à quelqu’un qui n’est pas exactement un Américain puisque c’est un Autrichien dont on a plusieurs fois parlé, mais qui a été ensuite en Angleterre et aux États-Unis avant de revenir en Allemagne » – reformulation très proche, formellement, on le voit, de la page 108), la citation de Hayek n’alimente plus, elle ne s’adosse plus à la thèse de la continuité, de la boucle bouclée, mais permet à Foucault de déplacer au contraire l’accent vers l’originalité propre du néo-libéralisme américain, plus utopique que véritablement préoccupé de portée immédiate et concrète (c’est ici l’appel de Hayek à la constitution d’utopies libérales auquel il est fait allusion). Tout le problème, et tout le paradoxe ici, réside bien dans le fait d’utiliser désormais Hayek pour souligner une différence, alors qu’il avait jusque-là été utilisé pour souligner la continuité et l’identité dans le temps du néo-libéralisme.
50Y a-t-il là une stratégie volontaire de Foucault ? Est-il conscient de cette ambiguïté et de cette facilité qu’il s’accorde ? Notons en tout cas qu’il est probablement conscient de tout cela, et du statut ambigu de Hayek dans cette histoire, dans la mesure où, par la suite, ce sont surtout la figure et l’œuvre de Garry Becker qui deviennent les points d’appui les plus évidents de Foucault dans ses développements sur le néo-libéralisme américain. On peut sans doute y voir une façon pour Foucault de se libérer à peu de frais, mais au risque d’une nouvelle contradiction interne, de la thèse problématique de la continuité, que la seule évocation de Hayek rend difficile à maintenir.
Conclusion
51Une autre lecture de l’histoire eut été possible. Elle eut impliqué que Foucault prenne au sérieux les deux phrases de la page 150. L’échec des ordo-libéraux pouvait ainsi être expliqué par la résistance de la réalité, sous la forme des mobilisations, du jeu des forces sociales et politiques allemandes24. Or, dans cette mise en échec de l’ordo-libéralisme pouvait se révéler l’impact de la social-démocratie et du syndicalisme ouvrier allemand. Cet échec révèle aussi une particularité propre de l’ordo-libéralisme, à savoir la sensibilité de certains de ses principaux porte-paroles aux questions sociales, et leur volonté de limiter le jeu des forces du marché.
52La radicalisation néolibérale américaine, qui fournira l’un des motifs des conflits internes de la Société du Mont-Pèlerin, au début des années soixante, trouve d’ailleurs son origine dans cette sensibilité de l’ordo-libéralisme aux questions sociales. Nul hasard si la question du syndicalisme est ici centrale : facteur d’équilibre et de la négociation collective en Allemagne, le syndicalisme devient aux yeux des néolibéraux américains un obstacle au libre jeu des forces du marché. Nul hasard non plus si c’est sur ce terrain du syndicalisme que se joueront aussi les premiers tests des expériences néo-libérales des années 1980, aux États-Unis comme en Grande-Bretagne.
53Certes, mais cela aurait impliqué une analyse du rapport de la social-démocratie à l’ordo-libéralisme qui ne se limite pas à la thèse du ralliement pur et simple, de la trahison25. Or, dans son déroulé, le cours semble traversé par une obsession : comment ne pas être social-démocrate. Le constat n’est d’ailleurs pas seulement valable pour Michel Foucault. Du côté de la « deuxième gauche », l’atmosphère n’est pas non plus furieusement favorable à la social-démocratie26.
54Revenir ainsi sur ce rendez-vous raté, c’est aussi attirer directement l’attention sur les questions et les enjeux de l’heure. Il convient de faire attention aux faux consensus d’une convergence anti néo-libérale qui ne serait construite que dans le déni d’une définition précise de ce qu’est vraiment le néo-libéralisme ou de ce que chacun s’accorde à désigner par là. Reconsidérer l’héritage nié ou marginalisé d’une social-démocratie, trop souvent et trop rapidement jeté aux oubliettes de l’histoire, c’est aussi suggérer que face à la tentation de la désespérance politique, « les leviers ne manquent [peut-être] pas27 ».
Notes de bas de page
1 Foucault M., Naissance de la biopolitique, Paris, EHESS-Gallimard-Le Seuil, 2004, cité NBP dans les pages qui suivent.
2 Obsession qu’il serait d’ailleurs malhonnête de n’envisager que comme le trait révélateur d’une « culture française », ainsi que le suggèrent les publications d’un David Harvey, A brief history of neoliberalism, Oxford, Oxford University Press, 2005 ou d’un Colin Crouch, The strange non-death of neoliberalism, Cambridge, Polity, 2012.
3 Bezès P., Réinventer l’État, Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, 2009. Voir p. 9-10 : « Nous avons appelé ce phénomène le “souci de soi de l’État” en détournant le sens qu’aurait donné Michel Foucault à la notion. »
4 Epstein R., « Gouverner à distance. Quand l’État se retire des territoires », Esprit, novembre 2005, p. 96-111 et Epstein R., La Rénovation urbaine. Démolition-reconstruction de l’État, Paris, Presses de Sciences Po, 2013.
5 La dernière citation est extraite d’une tribune d’Antoine Vauchez, « Ce qu’ambitionne en vérité l’Allemagne », Libération, 6 décembre 2011.
6 Audier S., Le Colloque Lippmann, aux origines du « néo-libéralisme », Lormont, Le Bord de l’eau, 2012 et Audier S., Néo-Libéralisme(s), une archéologie intellectuelle, Paris, Grasset, 2012. Voir aussi notre recension Boudic G., « Les origines conflictuelles du néo-libéralisme », Esprit, juillet 2012. Depuis l’écriture de la présente contribution, Serge Audier a publié un nouvel ouvrage, qui recoupe largement le thème qui nous préoccupe ici : Penser le néo-libéralisme, Le moment néolibéral, Foucault et la crise du socialisme, Lormont, Le Bord de l’eau, 2015. Il nous semble toutefois que Serge Audier, s’il s’en rapproche indiscutablement, n’affronte pas directement la question du texte foucaldien lui-même, comme nous lui en faisions l’amical reproche dans notre recension de 2012.
7 Bilger F., La Pensée économique libérale de l’Allemagne contemporaine, Paris, LGDJ, 1964.
8 François Denord et Antoine Schwartz sont ainsi régulièrement les victimes de cette tentation polémique… De François Denord, voir Néo-libéralisme version française, histoire d’une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007.
9 Eribon D., Michel Foucault, Paris, Flammarion, 1989.
10 « Résumé du cours », loc. cit., p. 321-329.
11 C’est nous qui soulignons.
12 NBP, p. 89-96 passim.
13 NBP, p. 147 : Foucault note ici le lien entre l’ordo-libéralisme et la politique agricole commune : « Le plan Mansholt, il est dans Eucken, enfin il est en partie dans Eucken en 1952. »
14 Pour un autre point de vue sur la question de la gouvernementalité, voir Pascale Laborier, « Gouvernementalité », in Bert J.-F. et Lamy J. (dir.), Michel Foucault. Un héritage critique, Paris, Éditions du CNRS, 2014, p. 169-181.
15 Dardot P. et Laval C., La Nouvelle raison du monde, essai sur la société néo-libérale, Paris, La Découverte, 2010. Voir par exemple, p. 13, note 2 : « Ce cours [de Michel Foucault] constitue la référence centrale à laquelle se trouve ordonnée toute l’analyse du néolibéralisme tentée dans le présent ouvrage. »
16 Reconnaissant une certaine diversité conflictuelle au sein de ce colloque, c’est par le biais de la Société du Mont-Pèlerin fondée dans l’après-guerre et largement ignorée par Michel Foucault, que ces deux auteurs reconstituent l’unité du néolibéralisme, comme l’atteste cette formule : « C’est cette opposition que la Société du Mont-Pèlerin a réussi à incarner en rassemblant les différents courants du néolibéralisme, le courant américain (fortement influencé par les “néoautrichiens” » Friedrich Hayek et Ludwig von Mises) et le courant allemand, permettant ainsi de gommer les lignes divergentes telles qu’elles s’étaient affirmées avant-guerre », loc. cit., p. 159.
17 Tel est le titre du chapitre 10 de l’ouvrage, p. 328-352. Cette question de la nature de la construction européenne est essentielle. Pour un point de vue différent, malgré quelques proximités apparentes de langage, voir Alain Supiot, L’esprit de Philadelphie, la justice sociale face au marché total, Paris, Le Seuil, 2010.
18 Il est tentant à ce stade de faire le parallèle avec le fameux débat sur le totalitarisme. Dardot et Laval semblent ici s’ériger dans une posture toute zinovienne, l’homo œconomicus fonctionnant dans leur cadre d’analyse comme un équivalent inversé de l’homo sovieticus.
19 Ramaux C., « Aporie de la critique funèbre », La Revue de la régulation, n° 7, printemps 2010, consultable à l’adresse [http://regulations.revues.org/7722]. On notera en ce sens que, sans épuiser certaines critiques formulées à l’encontre de La Nouvelle raison du monde, le dernier ouvrage de Pierre Dardot et Christian Laval constitue une inflexion digne d’intérêt, Commun, essai sur la révolution au xxie siècle, Paris, La Découverte, 2014.
20 Voir aussi sur ce point, Myriam Revault d’Allonnes, L’Homme compassionnel, Paris, Le Seuil, 2008 et Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie, Paris, Le Seuil, 2010.
21 De ce point de vue, le destin de la taxe sur les transactions financières, dite aussi « taxe Tobin », fournit un exemple sidérant, de sa conception par un économiste néo-classique, en passant par sa promotion à l’extrême gauche puis à sa préconisation par l’Union européenne, jusqu’à son enterrement (provisoire ?) du fait d’un gouvernement « socialiste » français…
22 Voir ainsi NBP, p. 184, où Foucault reparle de l’ordo-libéralisme comme « armature même de la politique allemande contemporaine ».
23 Cf. supra.
24 C’est ce que suggèrent aussi sur le point particulier de la réforme monétaire Jean-Yves Grenier et André Orléan, « Michel Foucault, l’économie politique et le libéralisme », Annales Histoire, Sciences sociales, 2007/5, 62e année, p. 1155-1182. Sur la situation propre de l’Allemagne dans la configuration européenne de l’après-guerre, voir aussi les pages de Marcel Gauchet dans L’Avènement de la démocratie, tome 3, À l’épreuve des totalitarismes, 1914-1974, Paris, Gallimard, 2010 et notamment p. 581-582.
25 Dans un tel cadre, il n’est pas interdit de suggérer que le Congrès de Bad Godesberg peut être lu tout aussi bien comme un congrès de conversion à un keynésianisme classique, comme l’indiquent certaines des résolutions finales mettant l’accent sur les nécessaires politiques de revenus et de redistribution.
26 Il faut ici se rappeler que c’est aussi en 1979 qu’est publié le petit ouvrage collectif sous la signature de la revue Faire, où transparaît aussi cet impératif de ne surtout pas être social-démocrate. Cf. la préface de Pierre Rosanvallon : « il s’agit de concevoir le socialisme autogestionnaire comme alternative concrète, en comprenant que ce ne sont pas tant les abandons et les trahisons du mouvement social-démocrate qui sont en cause que ses fondements même », « Faire ». Qu’est-ce que la social-démocratie ?, Paris, Le Seuil, 1979, p. 8-9. Nulle coïncidence en l’occurrence dans le rapprochement qu’opère alors Michel Foucault avec la gauche autogestionnaire, à travers la CFDT. Le livre de Bernard Manin et Alain Bergounioux, La Social-démocratie ou le compromis, Paris, PUF, 1979 s’inscrit à contre-courant de cette défiance généralisée.
27 Ramaux C., loc. cit.
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