15. Aragon et le Petit Père des peuples
p. 225-238
Texte intégral
1« On ne peut pas dire que j’ai été stalinien, au sens qu’aujourd’hui ce mot a pris pour moi1 » ose prétendre Aragon, au soir de sa vie militante. Toute la subtilité de l’écrivain (ses détracteurs diront sa rouerie) s’exprime ici : Aragon ne nous dit pas qu’il n’a jamais été un partisan de Staline. Comment le pourrait-il ? Il n’est que trop facile de trouver des textes dans lesquels il fait allégeance au leader soviétique. Ses propos font implicitement allusion au fait que, devenu un communiste critique, il a voulu comprendre et a contribué à analyser le stalinisme. Ce n’est donc pas au sens courant du terme, mais bien « au sens que ce mot a pris pour lui » qu’il n’aurait pas été stalinien. Quel est donc ce sens ? Que penser de sa contribution à l’analyse du stalinisme ? Ne se dédouane-t-il pas un peu trop facilement ? Ces questions nous incitent à revenir sur l’itinéraire d’Aragon, des années staliniennes à celles de l’analyse critique du stalinisme.
Les années staliniennes
2Aragon a longtemps présenté toutes les apparences du parfait stalinien. Mais avec lui les apparences sont parfois trompeuses. Le personnage est d’une redoutable complexité. Il pratique un art d’écrire qu’il appelle la « contrebande », puisqu’elle permet de passer en fraude des messages cachés dans le texte. C’est aussi un adepte de la diplomatie secrète.
Des textes accablants
3Deux textes suffiront à prouver qu’Aragon n’a pas échappé à la ferveur stalinienne, l’un date des années 1930, l’autre des années de guerre froide.
« Vérités élémentaires » : Aragon face aux procès de Moscou
4« Vérités élémentaires » paraît en mars 1937, dans la revue Commune, au lendemain du deuxième procès de Moscou. Aragon le republiera en 1977, assorti de cette note : « Cela n’est pas sans honte qu’on peut relire cette “prose”- là quarante ans plus tard, quand il faut bien en reconnaître la paternité2. »
5Ce texte dans lequel Aragon, hurlant avec les loups, se félicite de la condamnation des accusés, est un tissu de mensonges et de calomnies. Aragon y pratique sans vergogne le sophisme et l’amalgame. Hommes à double face, les accusés sont bel et bien, affirme-t-il, des traîtres à la solde de l’ennemi numéro un de l’URSS, Trotski, qui s’est allié à Hitler pour abattre Staline. Quiconque ose douter de leur culpabilité se fait donc l’avocat d’Hitler et de la Gestapo, et prend le parti « des ennemis de la France, des ennemis du peuple espagnol » :
« Que se taisent donc les scandaleux avocats de Trotski et de ses complices ! Ou bien qu’ils sachent que prétendre innocenter ces hommes, c’est reprendre la thèse hitlérienne par tous ses points. […] Ils innocentent Hitler et la Gestapo dans la rébellion espagnole, ils nient l’intervention fasciste en Espagne3. »
6Dans cette logique, Jean Guéhenno, qui dans Vendredi, « l’hebdomadaire du Front populaire », s’était contenté de mettre en doute la culpabilité des accusés, ne vaut pas mieux que Raymond Recouly, éditorialiste de Gringoire, qui en appelait à la négociation avec Hitler : Aragon les met dans le même sac. Ce qui ne laisse pas de nous étonner si l’on sait que, dans la même période, il était capable de déployer « des trésors de diplomatie » pour réaliser l’union des intellectuels contre le fascisme et la guerre4.
7À cette charge contre les ennemis de l’Union soviétique, succède un hymne à la gloire de Staline :
« Il est un monde d’où le capital a disparu, un monde où les ouvriers et paysans ont pris en main la vie, le contrôle du travail […], un monde où l’homme tombé est relevé, rééduqué par le travail, un monde où se poursuit la plus grande entreprise humaine contre les ténèbres […]. Et ce monde nouveau, assailli de tous côtés, mis en péril, mais rayonnant, mais croissant sans cesse dans ses fruits et ses fleurs, […] ce monde nouveau a porté au poste de commandement du navire un homme qui a constamment exprimé l’espoir de ce monde, le courage de ce monde, qui a constamment défendu contre les saboteurs, les espions, les traîtres, les incapables, le nouveau patrimoine de la Révolution, un homme qui a su trouver aux carrefours, chaque fois, la voie véritable, le guide et le chef des millions de constructeurs du socialisme, Staline5… »
8Aragon croyait-il sincèrement à ce qu’il disait ? La question ne peut manquer de se poser. Car, s’il est loin d’être le seul intellectuel communiste français à accabler les accusés du deuxième procès6, il est le seul à avoir été frappé dans sa propre famille par les grandes purges des années 36-38 : en juin 1936, alors qu’il se trouvait en URSS, il apprend en effet l’arrestation du général Primakov, le compagnon de Lili Brik, sœur d’Elsa Triolet. C’est le début d’une vaste purge dans l’armée qui débouchera, en juin 1937, sur un procès à huis clos, au terme duquel tous les accusés, dont le prestigieux Maréchal Toukhatchevski, seront exécutés. L’arrestation de Primakov est un terrible choc pour Aragon : « De ma vie, confessera-t-il quarante ans plus tard, je n’ai eu comme alors le sentiment d’être frappé par la foudre7. » Elsa et Aragon tentent, mais bien sûr en vain, de faire jouer leurs relations pour en appeler à Staline. Ils sont suffisamment ébranlés pour que, de retour en France, ils se promettent de ne jamais retourner en URSS8 !
9Aragon, qui dira n’avoir jamais cru à la culpabilité de Primakov, peut-il croire à celle des accusés du deuxième procès ? Il est bien difficile d’en juger. Il nous fournit cependant plusieurs indices, en contrebande dans ses derniers romans, ou dans son œuvre poétique. Le plus clair est celui-ci : se remémorant l’année 1938, celle du procès de Boukharine, il évoque le « monde de doutes et de terreurs qui s’emparait de (sa) tête à ce moment-là9 ». Il est donc possible que les certitudes d’Aragon aient alors vacillé. Mais douter, pour un communiste comme pour un chrétien, ce n’est pas avoir perdu la foi. A-t-il « vu sans voir10 » ? La confiance en Staline et en l’Union soviétique a-t-elle triomphé des doutes qui avaient pu l’assaillir ? On peut le penser, si l’on en juge par la suite de son parcours. Mais Aragon a emporté son secret dans sa tombe et nous en sommes réduits aux conjectures. Quels que soient les sentiments qui l’animaient au moment où il écrivait son texte, Aragon choisit en tout cas de se solidariser avec l’URSS au moment où la terreur atteint à son paroxysme.
« De la libre discussion des idées » : l’affaire Lyssenko
10L’affaire Lyssenko se développe à partir du mois d’août 1948 lorsque, avec le soutien de Staline, triomphent en URSS les théories de ce charlatan qui se prétendait biologiste. Tournant le dos à la science « bourgeoise », Lyssenko prétend développer une agrobiologie « prolétarienne », permettant à l’homme de dominer la nature. La thèse de la transmission héréditaire des caractères acquis devient vérité d’État en URSS. Les partis communistes du monde entier vont tenter de propager les théories de Lyssenko, à commencer bien sûr par le PCF : le biologiste Marcel Prenant, membre du Comité central, est contraint par la direction de monter au créneau pour défendre Lyssenko11. Si Marcel Prenant est en service commandé, c’est de son propre chef qu’Aragon se lance en première ligne dans cette bataille.
11Il utilise dans un premier temps le canal des Lettres françaises. Claude Morgan en était encore le directeur. Mais d’après Pierre Daix, qui en était le rédacteur en chef, la ligne de l’hebdomadaire était définie par une commission dirigée par Laurent Casanova et, en secret, par Aragon12. Dès le 26 août 1948, Les Lettres françaises paraissent avec ce titre : « Une grande découverte scientifique : l’hérédité n’est pas commandée par de mystérieux facteurs. » Le 16 septembre, l’hebdomadaire rend compte des articles parus du 8 au 15 septembre dans le journal Combat, qui avait donné la parole à Marcel Prenant, ainsi qu’aux adversaires de Lyssenko. Le 30 septembre, c’est encore dans Les Lettres françaises qu’Aragon publie une lettre ouverte à Victor Leduc, le responsable d’Action. Il lui reproche une inexactitude dans la présentation des thèses de Lyssenko.
12Mais sa contribution la plus marquante et la plus connue paraît dans une autre revue au sein de laquelle il est également très influent : Europe13. Il parraine en effet, en octobre 1948, un numéro spécial d’Europe, intitulé : « Une discussion scientifique en URSS ». Il signe l’article intitulé « De la libre discussion des idées », qui ouvre le numéro et il le conclut par « Un dernier mot14 ».
13Le texte introductif est un petit chef-d’œuvre d’écriture polémique dans lequel Aragon, faisant preuve d’une belle habileté rhétorique, s’attache à désarmer les adversaires français de Lyssenko, au premier rang desquels Jean Rostand et Jacques Monod, qui s’étaient exprimés dans les colonnes du journal Combat. Sa tactique consiste à les combattre sur leur propre terrain en démontrant que leur argumentation n’est pas scientifique. Un extrait du texte en donne le ton. Il vise Jacques Monod, pour qui il ne faisait aucun doute que le lyssenkisme n’était qu’une fumisterie, et qui avait placé le débat sur le terrain de la liberté d’expression en URSS :
« On ne peut pas mieux dire que l’enquête de Combat n’a été ouverte que pour prononcer une condamnation décrétée d’avance, dans un procès dont les pièces n’ont pas été produites. Et cette condamnation est prononcée sous l’égide des déclarations d’un chef de laboratoire à l’Institut Pasteur, le Dr Jacques Monod, qui estime que (dit le titre) : La victoire de Lyssenko n’a aucun caractère scientifique. Au vrai, de l’analyse des articles de cette enquête et du caractère de cette conclusion, on peut bien dire que c’est la victoire que s’adjuge Combat sur Lyssenko qui n’a aucun caractère scientifique. Et pour s’en persuader un peu plus il n’est que de lire l’article du Dr Jacques Monod. “L’important, le difficile dans cette affaire n’est pas de décider si, du point de vue scientifique, Lyssenko a tort, ou s’il a raison. La cause est vite entendue. Mais…”. Ainsi commence l’article. Que ce ne soit pas difficile au Dr Jacques Monod, de décider si, du point de vue scientifique, Lyssenko a tort ou raison, on ne peut que l’en féliciter. Mais que ce ne soit pas l’important, cela lui est peut-être difficile à en trancher pour nous, je veux dire les ignorants. Car nous autres, philistins, nous avons tendance à penser que si Lyssenko, du point de vue scientifique, a raison, tout ne se passe pas exactement comme s’il avait tort15. »
14Le ton est incisif et caustique. Aragon joue avec les mots, il s’amuse avec brio à prendre ses adversaires au piège de la rhétorique.
« Sans prendre parti entre ces deux tendances, il est permis à un philistin de constater que la première décrète l’impuissance de l’homme à modifier le cours des espèces, à diriger la nature vivante, que la seconde prétend fonder le pouvoir de l’homme à modifier le cours des espèces, à diriger l’hérédité. Il est permis de dire qu’un homme qui ne se réclame pas du matérialisme dialectique, du marxisme, sera moins gêné s’il choisit la première théorie, qu’un marxiste qui, en toute occasion, pas seulement en biologie, considère nécessairement que son rôle n’est pas de se borner à expliquer le monde, mais qu’il est aussi de le transformer. […] Ou pour mieux me faire comprendre, si on pose d’abord le postulat du marxisme, avant d’aborder la biologie, le biologiste marxiste aura assurément un préjugé favorable envers la théorie mitchourinienne, qui fonde la possibilité de l’action humaine sur la nature vivante. Personnellement je ne suis pas biologiste. Ma confiance dans le marxisme me fait naturellement souhaiter que les mitchouriniens aient raison dans cette bagarre16. »
15Quant au fond du débat, n’étant pas biologiste, il prétend ne pas être en mesure de trancher. Mais en tant que marxiste, il ne peut que souhaiter que Lyssenko ait raison :
16L’aveu de ce préjugé favorable l’autorise à dénoncer le préjugé défavorable au nom duquel, selon lui, les scientifiques français refusent la théorie de Lyssenko. Et il les admoneste ainsi :
« Comment n’avez-vous pas honte, forts d’une vérité pour vous une fois pour toutes établie, de condamner, sans connaître les faits qui l’étayent, la vérité que d’autres croient avoir établie à l’instant ? Comment pouvez-vous placer la défense d’une théorie donnée, la génétique classique, plus haut que le principe fécond du doute et de la discussion, sans lequel il n’y a pas de science, plus haut que la science elle-même17 ? »
17Pour qui savait dans quelles conditions les thèses de Lyssenko avaient triomphé en URSS, cette leçon de déontologie scientifique ne manquait pas de culot !
18Faut-il voir dans ce texte « un bel exemple de contrebande dans le discours en apparence le plus orthodoxe » ? Telle est la thèse d’Yves Lavoinne18. Elle n’est pas convaincante : une lecture attentive ne fait pas apparaître le moindre signe indiquant que le texte ne doit pas être pris à la lettre. Et le contexte ne plaide pas en faveur de l’hypothèse d’un double langage : à supposer qu’il n’ait pas adhéré au lyssenkisme, il est invraisemblable qu’Aragon ait pris le moindre risque de le faire entendre, fût-ce à mots couverts, s’agissant d’une bataille idéologique d’une telle importance pour son parti, livrée sur un terrain où son pouvoir d’influence n’était pas en cause. Pour lui, la Guerre froide était bien une guerre, dans laquelle il ne fallait jamais donner de gages à l’ennemi.
19Pour interpréter l’article d’Europe, il faut aussi prendre en compte l’ensemble des textes parus dans Les Lettres françaises, qui sont incontestablement favorables à Lyssenko. Dûment signée de son nom, la lettre ouverte à Victor Leduc est bien celle d’un homme aligné sur les positions de la direction. Tout porte donc à penser qu’il n’y a nulle contrebande dans l’article d’octobre 1948. Soit qu’Aragon ait vraiment cru aux thèses de Lyssenko, soit qu’il ait choisi de coller à la ligne officielle.
20Ses deux biographes, qui l’ont bien connu l’un et l’autre, n’hésitent pas à retenir la première hypothèse. Selon Pierre Daix, il est « enthousiasmé » par les théories de Lyssenko19. Pierre Juquin pense lui aussi qu’Elsa et Aragon « se sont emballés20 ». Même si on ne peut pas en avoir la certitude, et aussi ahurissant que cela puisse paraître, il n’est donc pas impossible qu’Aragon se soit laissé prendre aux inepties de Lyssenko ! À tout le moins peut-on affirmer qu’il adhérait à la ligne officielle dictée par Thorez et Casanova.
L’écriture de contrebande et la diplomatie secrète
21Aragon a toujours eu l’ambition d’exercer un pouvoir d’influence dans le domaine qui est le sien, celui de l’art et de la littérature. Il a certes toujours défendu la ligne réaliste socialiste, mais à condition qu’elle ne soit pas incompatible avec la liberté de création des écrivains et des artistes, qu’elle donne naissance à des œuvres de qualité, et qu’elle s’inscrive dans une tradition nationale. Si l’on veut trouver des exemples de « contrebande » dans des textes en apparence orthodoxes, on a des chances d’en trouver là. C’est également sur ce terrain qu’il lui arrive de protester discrètement contre le sectarisme des dirigeants.
La nécrologie de Jdanov
22Andreï Jdanov disparaît le 31 août 1948, tout juste deux ans après avoir impulsé un raidissement idéologique en URSS. Le 9 septembre, paraît dans Les Lettres françaises un article d’Aragon intitulé « Jdanov et nous21 ». Cette fois, l’hypothèse d’une contrebande ne peut manquer de surgir : Aragon est ici sur son terrain. Il est peu vraisemblable qu’il puisse faire un éloge sans réserve d’un homme comme Jdanov. Mais sa marge de manœuvre est particulièrement étroite : quelques jours plus tôt, Thorez et Duclos ont rendu à Jdanov un fervent hommage22.
23Souvent citées, les dernières lignes de l’article présentent toutes les apparences de l’orthodoxie :
« Devant cette tombe ouverte, peut-être bien des intellectuels français qui n’avaient ni compris ni bien connu, il faut le dire, les thèses de Jdanov, ses vues si loin en avant plongeantes, […] auront-ils enfin vu quelle main secourable leur avait été tendue pour sortir de leurs contradictions, des nuées où ils se débattaient, et devenir à l’échelle du monde qui naît, à l’échelle des lendemains qui chantent, les ingénieurs mélodieux ou persuasifs des âmes humaines souvent comme les leurs propres égarées23. »
24Mais à quel Jdanov cet éloge s’adresse-t-il ? Est-ce au grand inquisiteur des lettres soviétiques et au pourfendeur de la littérature occidentale ? Non : à ce dernier Jdanov, auquel il ne fait qu’une brève allusion, Aragon préfère la figure du Jdanov de 1934, qu’il ne se prive pas de retoucher pour lui donner un visage aussi avenant que possible.
25L’article s’ouvre par une évocation du premier Congrès des écrivains soviétiques, réuni à Moscou en août 1934 sous la présidence de Maxime Gorki. Aragon rappelle qu’il était présent à ce Congrès, à l’issue duquel est officialisée la ligne réaliste socialiste. Les excès du dernier Jdanov étaient assurément en germe dès son intervention d’août 1934. Mais Aragon le dissimule habilement. Il commence par affirmer que, contrairement à Radek, le Jdanov de 1934 reconnaissait la « possibilité d’une littérature progressiste à l’étranger ». Puis, glissant rapidement sur les passages les plus inquiétants, il choisit de mettre en relief la notion de « romantisme révolutionnaire » : pour notre littérature, dit Jdanov, « il ne peut y avoir qu’un romantisme de type nouveau, le romantisme révolutionnaire. Nous disons que le réalisme socialiste est la méthode fondamentale de la littérature et de la critique soviétiques, ce qui suppose que le romantisme révolutionnaire doit entrer dans la création littéraire pour une part essentielle […] ». Aragon cite longuement ce passage du discours de Jdanov.
26Or, le thème du « romantisme révolutionnaire », secondaire chez Jdanov, était au centre des interventions des congressistes les plus prestigieux et les plus ouverts : Boukharine, qui l’associe au droit des écrivains de « rêver », et Gorki, qui l’applique au meilleur de la littérature bourgeoise occidentale24. Aragon s’applique donc à tirer Jdanov du côté de la ligne d’ouverture dessinée par Boukharine et à l’associer aux propos de Gorki, qui favorisent la sauvegarde d’une grande partie du patrimoine littéraire français.
27Aragon ne manque pas non plus de citer les propos de Jdanov sur la nécessaire maîtrise de la technique littéraire par les écrivains, ce qui n’était certainement pas une priorité aux yeux de celui qui affirmera toujours la primauté du contenu sur la forme.
28Le Jdanov des dernières années est, quant à lui, expédié en une seule phrase : sa « première grande intervention », se contente de dire Aragon, « apporte à ses interventions plus récentes un éclairage et une perspective ». Les termes sont soigneusement choisis : c’est bien le discours de 1934 (relu par Aragon) qui doit être pris comme référence, du moins par les intellectuels communistes français (l’article s’intitule « Jdanov et nous »).
29Aragon dessine donc, entre les lignes, un réalisme socialiste selon ses vœux, bien différent de celui qui, en URSS, corsetait l’art et la littérature. Cela n’était pas sans conséquences, à ce moment de la Guerre froide où les dirigeants communistes français exhortaient les intellectuels du parti à produire des œuvres militantes, inspirées du réalisme socialiste soviétique.
30L’hypothèse selon laquelle Aragon use ici d’un double langage se confirme si l’on confronte l’article nécrologique à deux textes contemporains : tout d’abord l’éloge de Barrès, publié le 16 décembre 1948. « Oui, Barrès est un réactionnaire ». Il n’en demeure pas moins que « Le Roman de l’énergie nationale » est « un monument précieux de notre histoire littéraire », le premier exemple en France « du roman politique moderne ». On peut même y voir « un précédent nationaliste au réalisme socialiste25 ». Quelques mois plus tard, Aragon fait reparaitre, dans La Nouvelle Critique de mai 1949, une conférence de 1937, « Réalisme socialiste et réalisme français », dans laquelle il proclamait : « Je me fais du roman une idée peu compatible avec l’imitation de modèles, et de plus je pense que l’imitation des livres soviétiques n’est aucunement la voie du réalisme en France26. » La parution des trois textes dans la même période ne peut relever du hasard : elle signale bien que l’éloge de Jdanov ne doit pas être pris à la lettre27.
La diplomatie secrète
31Aux déclarations publiques fracassantes qui pourraient le mettre en délicatesse avec les dirigeants soviétiques et avec ceux du PCF, Aragon préfère les interventions en sous-main, qu’il estime beaucoup plus efficaces. En raison de leur nature même, ces actions sont invisibles et il est difficile d’en prendre l’exacte mesure. Les archives soviétiques ont cependant gardé la trace d’une conversation privée en russe, en date du 2 septembre 1947, entre le couple Aragon-Elsa Triolet et l’écrivain soviétique Constantin Simonov, Vice-Secrétaire de l’Union des écrivains, et rédacteur en chef de la revue Novy Mir28.
32À cette période où le jdanovisme est à son apogée, Aragon proteste contre les violentes attaques de la presse soviétique envers Matisse et Picasso. Il le fait en usant des termes et des catégories du langage soviétique. Son propos est nettement structuré par le schéma ami/ennemi : il n’hésite pas à traiter Dali de « fasciste », et Henry Miller de « type pourri », tandis que Picasso et Matisse sont présentés comme des amis de l’URSS. Cependant Aragon défend aussi la peinture de Matisse et de Picasso, ce dernier étant même qualifié de « peintre génial ». Lorsqu’il évoque les attaques dont ces peintres sont l’objet en URSS, il ne mâche pas ses mots : parler « d’art dégénéré » à propos de Picasso, s’indigne Aragon, c’est utiliser « une expression hitlérienne. Un bolchevik n’a pas le droit d’employer de tels mots29 ».
33Dans le domaine qui est le sien, celui de l’art et de la littérature, on voit bien qu’Aragon résiste aux pires excès du jdanovisme. Ce qui conduit à nuancer l’image trop souvent donnée de lui par ses détracteurs : celle d’un fervent stalinien obéissant perinde ac cadaver aux ordres des dirigeants communistes. Mais lorsqu’il défend une ligne réaliste socialiste moins sectaire que ne l’était la ligne officielle, il le fait discrètement, en s’exprimant entre les lignes, ou en parlant à huis clos. Et la marge d’autonomie qu’il s’octroie est restreinte : il n’est pas question pour lui de transiger sur le fait qu’il existe, au sein du système communiste, une esthétique officielle30.
Le retour critique sur le stalinisme
34Perdant progressivement ses illusions, Aragon devient, à partir des années 1950, un communiste critique. Au tournant des années 1960, il s’attache à fournir une explication de ce que l’on n’appelait pas encore au sein du PCF le « stalinisme ».
La crise des années 1950
35C’est la dernière grande purge de l’ère stalinienne qui conduit Aragon à ouvrir les yeux sur une partie de la réalité soviétique ; il s’agit d’une purge à caractère antisémite, alors que l’antisémitisme est censé avoir disparu en URSS.
36Dès l’année 1949, Aragon et sa femme commencent à s’inquiéter de la campagne contre le « cosmopolitisme » qui se développe en URSS. Mais les événements décisifs se produisent fin 1952-début 1953 : début décembre 1952, onze des quatorze accusés du procès Slansky sont condamnés et exécutés, la plupart étaient juifs. Quelques jours plus tard, Aragon et Elsa se rendent à Vienne pour assister au Congrès du Mouvement de la paix. Elsa y subit un affront : on lui fait comprendre qu’elle ne peut pas faire partie du bureau du Mouvement parce qu’elle est juive. Le Congrès terminé, le couple se rend à Moscou pour un mois. Il s’y trouve donc lorsque, le 13 janvier, éclate l’affaire du « complot des blouses blanches ». Six des neuf médecins accusés d’avoir voulu assassiner Staline sont juifs. L’intelligentsia juive, le milieu de Lili Brik, vit dans la peur.
37Comment comprendre alors que, le 21 janvier 1953, à l’occasion de la remise à Ehrenbourg du prix Staline pour la paix, Aragon prononce un éloge dithyrambique de Staline31 ? S’agit-il seulement de protéger Lili ? Garde-t-il encore, malgré tout, confiance en Staline32 ? Il est impossible de trancher sur ce point.
38Fin janvier, Aragon et Elsa reviennent en France. Pierre Daix, venu les accueillir à l’aéroport, est abasourdi par la véhémence de leurs propos : « Pierre, lui dit Elsa, ce sont des hitlériens33. »
39Quelques semaines plus tard, la disparition de Staline provoque indirectement un nouveau traumatisme : Auguste Lecœur, qui domine le Secrétariat, en l’absence de Thorez toujours en convalescence sur les bords de la Mer Noire, oblige Aragon à faire son autocritique : il a laissé publié dans Les Lettres françaises, dont il vient officiellement de prendre la direction, un portrait de Staline par Picasso qui aurait porté atteinte à l’image sacro-sainte du défunt. Aragon est profondément et durablement affecté par cette affaire, en dépit du soutien que lui accorde Thorez.
40La période d’incertitude qui suit la disparition de Staline, n’est pas faite pour le rasséréner. Grâce à ses liens privilégiés avec l’URSS, il est informé de la nouvelle ligne politique qui s’y dessine. Ecoutons Pierre Daix, qui est ici un témoin précieux :
« Je me souviens de ces années-là comme de celles d’un dédoublement accepté, devenu la norme entre nous quand j’étais seul avec Aragon et Elsa. […] Après le procès Slansky, le séjour à Moscou fin 1952-début 1953, et la crise du portrait de Staline, nous parlions ensemble des prodromes de la déstalinisation non seulement couverts par le secret le plus absolu, mais strictement impensables pour nos collaborateurs et même nos amis, en sachant que rien de nos conversations n’en devaient sortir à l’extérieur34. »
41Pour Aragon, les événements de 1956 n’éclateront donc pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, mais ils n’en provoquent pas moins un troisième choc35. C’est à partir de cette date que l’écrivain commence à exprimer son désenchantement dans certains poèmes du Roman inachevé.
42Cependant, contrairement à beaucoup d’autres intellectuels, Aragon choisit de rester fidèle au parti communiste : les liens affectifs qui le rattachaient à son parti et à l’URSS, des intérêts matériels et symboliques, peut-être aussi une certaine conception de l’honneur36, tout s’opposait à son départ. Et, pendant quelques années encore, tandis que l’écrivain laisse percer sa désillusion, le membre du Comité central continue à coller à la ligne du parti : il s’interdit de s’exprimer sur le rapport Khrouchtchev dont l’authenticité est contestée par la direction. Il n’est pas question pour lui de se joindre aux intellectuels communistes qui protestent contre l’intervention militaire en Hongrie, puisqu’elle a été approuvée par le PCF37.
La contribution d’Aragon à l’analyse du stalinisme
43Les éléments d’une critique du stalinisme apparaissent dès le printemps 195938. Mais l’analyse ne se précise qu’à partir de la relance du processus de déstalinisation par Khrouchtchev, au XXIIe Congrès du Parti communiste de l’URSS d’octobre 1961. La pensée et la plume de l’écrivain sont contraintes par son choix de rester fidèle au parti. Il ne dévie pas d’une ligne khrouchtchévienne, qui permet de préserver la figure de Lénine, et de continuer à croire en l’avenir du communisme39.
44Deux notions structurent la réflexion de notre auteur sur le stalinisme : l’utopie et le dogmatisme. Rien de bien original dans le choix du second terme : les responsables soviétiques comme les dirigeants français l’acceptent. Et l’analyse du stalinisme comme dogmatisme est largement développée en France par l’allié d’Aragon, Roger Garaudy, membre du Bureau politique, qui fait un peu figure de philosophe officiel du parti40. Pour Garaudy, « l’erreur initiale – dont toutes les autres découlent – commises en philosophie par Staline, c’est la séparation de la théorie et de la pratique ». Il ajoute que ce qui est ainsi mis en cause, c’est l’essentiel du marxisme, puisque la révolution opérée par Marx en philosophie consiste précisément à « mettre la pratique au centre de la pensée, comme sa source et le critère de sa vérité ». Lénine, qui avait toujours lié étroitement matérialisme et dialectique, avait su éviter le dogmatisme. En les séparant, en faisant du marxisme « un système achevé de principes et de lois », Staline fait de la théorie « une chose morte41 ».
45Aragon s’inspire visiblement de cette analyse dans le « Discours de Prague », prononcé le 6 septembre 1962. Il y dénonce les théoriciens de la littérature pour lesquels les œuvres doivent se conformer à la théorie, « comme si la théorie était un pied et l’œuvre une chaussure ». Et, après avoir précisé qu’il « ne parle pas contre la théorie, mais contre la prétention dogmatique de certains théoriciens », il ajoute :
« La théorie, scientifiquement parlant, commence par l’hypothèse, qui est une interprétation des faits et qui, si elle se trouve coller avec l’ensemble des faits qui se présentent prendra figure de loi. Mais les lois ne sont qu’explication provisoire : si d’autres faits surgissent dont la loi ne rend pas compte, ce ne sont pas les faits, mais la loi qu’il faudra amender. […] Le caractère adaptable de l’hypothèse, sa vérification par les faits sont précisément les signes distinctifs, spécifiques, de la démarche scientifique, qui s’oppose au dogmatisme, ils sont caractéristiques d’une théorie qui n’est jamais séparée de la pratique42. »
46Le terme de dogmatisme apparaît également en 1963 dans la préface au livre de Garaudy, D’un réalisme sans rivages, ainsi que dans le Discours de Moscou, en janvier 196543. On le retrouve encore en 1967, dans la postface du cycle Le Monde réel :
« On le sait, j’ai salué comme convenant à ce réalisme dont je me réclame une expression inventée par Roger Garaudy, et que je trouve pour ma part fort heureuse : un réalisme sans rivages. L’idée même d’une esthétique qui suppose l’endiguement, quais ou rivages, ne peut, me semble-t-il, que donner un caractère dogmatique au réalisme considéré. C’est à quoi je suis à la fois théoriquement et pratiquement opposé44. »
47Plus original, le terme d’utopie apparaît dès la conférence d’avril 1959 : « Rien n’est dangereux comme l’utopie, dit Aragon, elle endort les gens, et quand la réalité les réveille, ils sont comme des somnambules sur le bord d’un toit, ils en tombent45. » Il reprend le terme en 1962, dans le dernier chapitre de son Histoire de l’URSS : contrairement au « rêve », associé à Lénine, « l’utopie », caractéristique de Staline, « est nuisible pour ce qu’elle recèle de possibilités de désillusions […] si, dans la révolution soviétique, ici ou là, vous trouvez des erreurs ou des fautes […] à chaque fois, ou presque […] vous redécouvrirez le vieux visage illuminé de l’utopie46 ». En 1966, il précisera ainsi sa pensée : « l’utopisme consiste à vouloir imposer aux êtres humains un modèle fantastique, conçu dans l’abstrait, ignorant des réalités vécues, des désirs et des capacités du peuple47 ».
48Les deux termes d’utopie et de dogmatisme se recoupent assez largement et peuvent d’ailleurs être associés, comme c’est le cas dans le « Discours de Prague » :
« La démarche de l’esprit qui oppose la prétendue théorie aux faits, le dogmatisme, aboutit à combattre ce qui naît au profit de la spéculation abstraite, l’invention dans la réalité au profit de l’utopie, des nuages ; et par suite, elle s’oppose à la transformation scientifique de la réalité qui est le programme même de ceux qui se font principe de l’union de la théorie et de la pratique. »
49Et Aragon poursuit en soulignant les dangers de « l’utopie dogmatique », « dans les temps où elle a puissance d’exiger son incarnation48 ».
50Une telle analyse du stalinisme était bien loin d’aller au fond des choses. Sans doute suffisait-elle à Aragon, pour qui les enjeux n’étaient pas tant philosophiques que politiques : il s’agissait prioritairement de favoriser une ligne d’ouverture au sein du PCF. Sur ce point, l’adoption en mars 1966 de la résolution d’Argenteuil, dont il l’un des inspirateurs, constitue une double victoire : elle consacre la liberté de création des écrivains et des artistes, et lève un obstacle à l’union de la gauche, à laquelle il est totalement acquis49.
51Mais il faut ajouter que sa fidélité au marxisme-léninisme ne lui permettait pas d’aller beaucoup plus loin dans l’analyse. Le stalinisme étant à ses yeux une déviation du marxisme, il ne pouvait concevoir que « l’utopie » stalinienne ne faisait que prolonger le « rêve » léniniste.
52Et c’est là que le bât blesse : il faut se demander si Aragon a échappé au mal qu’il dénonce. Il a certes combattu les excès du dogmatisme sur le terrain de l’art et de la littérature. Il le fait dans ses interventions politiques. Il défend une conception très ouverte du réalisme socialiste dans ses articles de critique littéraire50. Et il prêche par l’exemple dans son métier d’écrivain : ses romans échappent au manichéisme et au simplisme des romans à thèse. Mais il tient le marxisme-léninisme pour une conception scientifique du monde51. Telle est la prémisse de son analyse du phénomène stalinien. Elle le range dans la catégorie des hommes qui « déplorent des effets dont ils chérissent les causes ». Et elle le conduit, malgré qu’il en ait, à des prises de position qu’il faut bien qualifier de dogmatiques : ainsi, dans le domaine où il est réputé être le plus critique, ne craint-il pas d’affirmer qu’en défendant le réalisme, il défend la cause « de la vérité », puisque « le réalisme est la conception qui répond dans l’art et la littérature au matérialisme historique52 ». Et c’est bien le statut de « science des sciences » accordé au marxisme, qui le prédispose à croire aux thèses de Lyssenko, bel exemple, s’il en est, d’« utopie dogmatique ».
53C’est un paradoxe : Aragon semble avoir lu Karl Popper53. Il dénonce le dogmatisme stalinien en des termes que celui-ci n’aurait pas récusés. Mais il proclame, dans le même mouvement, la scientificité d’une théorie que l’auteur de La société ouverte et ses ennemis tenait pour un parfait exemple de pensée dogmatique.
54Aragon est donc loin d’avoir entièrement échappé à l’emprise du dogmatisme. Et bien sûr, il joue sur les mots et ruse avec la vérité en prétendant ne pas avoir été stalinien « en un certain sens ». Dans quelle mesure en avait-il conscience ? Après avoir vécu tant d’années au sein d’un système caractérisé par la corruption du langage, était-il encore capable de percevoir sa propre duplicité54 ? Comment le savoir ?
Notes de bas de page
1 Interview publiée dans L’Express, 20-26 septembre 1971, p. 138.
2 Aragon L., « Vérités élémentaires », in Œuvre poétique, Paris, Livre Club Diderot, 1977, t. 7, p. 297. Aragon était membre du comité directeur de la revue Commune, sous-titrée à l’origine « revue de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires » et devenue à partir de septembre 1936 « revue littéraire française pour la défense de la culture ».
3 Ibid., p. 292.
4 Juquin P., Aragon, un destin français, Paris, La Martinière, 2013, t. 1, p. 722.
5 Aragon L., « Vérités élémentaires », op. cit., p. 294.
6 Stéphane Courtois a repéré, dans L’Humanité, les signatures de Jean Bruhat, Paul Vaillant-Couturier, Jacques Sadoul, André Wurmser : Courtois S., « Le PCF et les procès de Moscou », in Le Bolchevisme à la française, Paris, Fayard, 2010, p. 432.
7 Aragon L., Œuvre poétique, op. cit., t. 7, p. 192.
8 Ibid., p. 281.
9 Aragon L., Œuvre poétique, op. cit., t. 8, p. 97.
10 Dans son roman La Mise à mort, publié en 1965, dans la période du retour critique sur le stalinisme, il parle de « l’aveuglement de ceux qui voient sans voir ».
11 Prenant M., Toute une vie à gauche, Paris, Encre, 1980, p. 291 sq.
12 Daix P., Tout mon temps, Paris, Fayard, 2001, p. 271.
13 En 1936, Aragon avait contribué à sauver la revue. Voir Juquin P., Aragon, un destin français, op. cit., t. 1, p. 730.
14 Numéro spécial de la revue Europe, n° 33-34, octobre 1948. Aragon L., « De la libre discussion des idées », p. 1-29 ; « Un dernier mot », p. 179-185.
15 « De la libre discussion des idées », op. cit., p. 20-21. Rappelons que Jacques Monod démissionne alors du PCF auquel il avait adhéré au sortir de la guerre.
16 Ibid., p. 4-6.
17 Ibid., p. 28.
18 Lavoinne Y., Aragon journaliste communiste, les années d’apprentissage, 1933-1953, Strasbourg, thèse de doctorat, reprographiée, 1984, p. 611.
19 Daix P., Aragon : une vie à changer, Paris, Flammarion, 1994, p. 441.
20 Juquin P., Aragon, un destin français, op. cit., t. 2, p. 325.
21 Aragon L., « Jdanov et nous », Les Lettres françaises, 9 septembre 1948, p. 1 et 5.
22 Dans L’Humanité du 1er septembre et du 3 septembre 1948.
23 Aragon L., « Jdanov et nous », op. cit., p. 5.
24 Selon Boukharine, « le réalisme socialiste peut et doit “rêver” en s’appuyant sur les tendances réelles du développement. C’est sous cet angle que doit être examiné le problème du romantisme révolutionnaire […]. Le réalisme socialiste ne saura ainsi se contenter de décrire purement et simplement ce qui existe : saisissant le fil du présent pour le poursuivre dans l’avenir, il collaborera activement à l’accomplissement de cet avenir. Dès lors, l’opposition du romantisme au réalisme socialiste perd toute raison d’être », in « Le réalisme socialiste », Commune, n° 13-14, 1934, p. 57. Gorki distingue, dans la littérature « bourgeoise occidentale », quelques dizaines de « dissidents », de « fils prodigues », « nobles ruinés par la bourgeoisie », ou « fils de petit-bourgeois échappés à l’atmosphère étouffante de leur milieu ». Leurs livres, ajoute-il « sont pour nous indiscutablement précieux ». D’abord parce qu’ils sont « techniquement modèles », ensuite parce qu’ils constituent autant de « documents expliquant le processus du développement et de la décomposition bourgeoises », in « La littérature soviétique », Commune, n° 13-14, 1934, p. 22.
25 Aragon L., « S’il faut choisir, je me dirai barrésien », Les Lettres françaises, 16 décembre 1948, p. 1 et 2.
26 Aragon L., « Réalisme socialiste et réalisme français », conférence prononcée au théâtre des Champs-Elysées en octobre 1937, Europe XLVI, mars 1938. Repris dans La Nouvelle critique n° 6, 1949, p. 27-39.
27 Sur l’interprétation de ce texte, voir Surya M., La Révolution rêvée. Pour une histoire des intellectuels et des œuvres révolutionnaires, 1944-1956, Paris, Fayard, 2004, p. 189-219. Voir également Juquin P., Aragon. Un destin français, op. cit., t. 2, p. 313-314.
28 Le texte a été traduit et commenté par François Eychart dans la revue Les Annales de la Société des amis d’Aragon et d’Elsa Triolet, n° 5, 2003, p. 9-31.
29 Ibid., p. 17.
30 En 1946, Aragon réaffirme, contre Garaudy, les « droits du Parti à se prononcer sur l’esthétique » et proclame que « celle-ci s’appelle le réalisme ». Aragon L., « L’Art : “zone libre ?” », Les Lettres françaises, 29 novembre 1946.
31 Les Lettres françaises, 5 février 1953.
32 Bien que difficile à admettre, la deuxième hypothèse est clairement soutenue par Aragon lui-même dans l’interview publiée dans L’Express à l’automne 1971, op. cit., p. 138. Elle est avancée aussi par Pierre Daix dans Aragon. Une vie à changer, op. cit., p. 465, note 2.
33 Daix P., Tout mon temps, op. cit., p. 324.
34 Ibid., p. 470.
35 « Vint mille neuf cent cinquante-six comme un poignard sur mes paupières / Tout ce que je vois est ma croix, tout ce que j’aime est en danger », écrit-il dans un des textes du Roman inachevé paru à l’automne 1956, Paris, Gallimard, 2001, p. 243.
36 Dans un texte de 1957, visant les intellectuels communistes qui ont protesté contre l’intervention militaire en Hongrie, Aragon approuve Napoléon, qui déclarait préférer les « hommes d’honneur » aux « hommes de conscience » car, dans les moments difficiles, ils placent au-dessus de tout la fidélité à leurs principes et ne trahiront jamais. Aragon L., « Dix ans après. Un homme d’honneur », Europe, XXXII, n° 135-136, mars-avril 1957, p. 7-8. Cette conception de l’honneur est évidemment contestable. On pourrait tout aussi bien soutenir que l’honneur des intellectuels est de reconnaître leurs erreurs et d’en tirer les conséquences.
37 Il va même, au sein du Comité central, jusqu’à justifier l’intervention en Hongrie.
38 Aragon L., « Il faut appeler les choses par leur nom », conférence prononcée à la Mutualité, le 23 avril 1959. Repris dans J’abats mon jeu, Paris, Les Lettres françaises/Mercure de France, 1992, p. 137-177 (1re éd. 1959).
39 Le dernier chapitre de l’Histoire de l’URSS, publiée en 1962, est intitulé « Vers le communisme ».
40 Échange de bons procédés : Roger Garaudy publie en 1961 L’itinéraire d’Aragon tandis qu’en 1963 Aragon préface le livre de Garaudy Du réalisme sans rivages. L’isolement progressif de Garaudy à partir du milieu des années 1960 conduira Aragon à prendre ses distances avec lui.
41 Garaudy R., « Les tâches des philosophes communistes et la critique des erreurs philosophiques de Staline », Cahiers du communisme, juillet-août 1962, p. 19. Le rapport est précédé d’une allocution de Maurice Thorez.
42 Les Lettres françaises, 20 septembre 1962, p. 7.
43 Préface à Garaudy R., D’un réalisme sans rivages : Picasso, Saint John Perse, Kafka, Paris, Plon 1963. « Puisque vous m’avez fait docteur », discours à l’université Lomonossov, prononcé le 7 janvier 1965, publié dans Les Lettres françaises, 14 janvier 1965.
44 Aragon L., « La fin du monde réel », Œuvres romanesques complètes, Paris, Gallimard, 2008, t. 4, p. 636.
45 Loc. cit., p. 140.
46 Aragon L., Histoire de l’URSS, Paris, UGE, 1972, t. 3, p. 264-265.
47 Nous nous fions ici au témoignage de Pierre Juquin selon lequel Aragon aurait défini l’utopisme en ces termes au cours du débat préparatoire à la session du Comité central d’Argenteuil sur les questions idéologiques et culturelles : cf. Juquin P., Aragon, un destin français, op. cit., t. 2, p. 562.
48 Loc. cit.
49 Le 16 février 1966, Aragon publie dans L’Humanité une protestation contre la condamnation en URSS des écrivains Siniavski et Daniel. En même temps, il rappelle les orientations propres au PCF : « La politique de notre parti repose sur quelques thèses essentielles, la thèse de la possibilité du passage au socialisme par la voie pacifique du gain de majorité, le rejet de la conception du parti unique et, par suite, l’alliance avec le parti socialiste et les autres partis démocratiques ». Dans son intervention au Comité central d’Argenteuil, en mars 1966, il rappelle qu’à l’élection présidentielle de 1965 il n’y a eu qu’un écart de six points entre le général de Gaulle et le candidat unique de la gauche et il qualifie d’« extrêmement bénéfique » le travail de Garaudy, car il correspond « à ce qui est nécessaire qu’il soit fait pour promouvoir la politique du parti telle qu’elle a été définie par le Congrès du Comité central ». « Aragon à Argenteuil », Annales de la société des amis de Louis Aragon et Elsa Triolet, n° 2, 2000, p. 140-141.
50 Vassevière M., « Le journalisme au service de la lutte contre le dogmatisme », Recherches croisées Aragon/ Elsa Triolet, n° 10, p. 239-263.
51 Réalisé par Pierre Juquin, l’inventaire minutieux de sa bibliothèque prouve qu’Aragon avait lu les classiques du marxisme-léninisme et qu’il s’en était profondément imprégné. « Son matérialisme, écrit son biographe, est la forme générale d’un rapport naturel à la vie, aux objets du savoir, au sujet, à autrui » : cf. Juquin P., Aragon, un destin français, op. cit., t. 1, p. 466.
52 Aragon L., « L’art, “zone libre ?” », op. cit.
53 Aragon cite le nom de Popper dans le roman Blanche ou l’oubli, Paris, Gallimard, 1967, p. 474.
54 On aura reconnu les termes utilisés par Leszek Kolakowski in « Le totalitarisme et les vertus du mensonge », repris in Traverso E., Le Totalitarisme. Le xxe siècle en débat, Paris, Le Seuil, 2001.
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