10. Raymond Aron et Karl Popper
Deux variantes du libéralisme de guerre froide
p. 157-170
Texte intégral
« Assuré de connaître la totalité comme de prévoir l’avenir, le fanatisme de l’action mêle l’orgueil technocratique et la conviction de conspirer avec le destin. Qu’il paraît sage le savant, qui enseigne aux hommes politiques la modestie et l’efficacité de l’ingénieur ! »
Raymond Aron, « Misère de l’historicisme », Le Figaro Littéraire, 25 août 1956.
« It is, I suppose, more than 30 years since I saw you last at the LSE; and it is about 12 years that you last contact me in connection with the “Positivismusstreit in der deutschen Soziologie”. But you have always supported me and taken interest in my work (as I did silently in your work), and I am deeply indebted to you for this support. »
Karl Popper à Raymond Aron, lettre du 22 juin 19821.
1Deux auteurs ont récemment proposé de regrouper plusieurs penseurs libéraux de la seconde moitié du xxe siècle au sein d’une même catégorie : celle des « libéraux de guerre froide ». Catherine Audard rapproche ainsi Raymond Aron, Isaiah Berlin et Karl Popper, au motif qu’ils partageraient une « sensibilité commune » reposant sur plusieurs éléments : le rationalisme critique, l’opposition au totalitarisme, une forme de scepticisme inclinant parfois au pessimisme, l’éloge du pluralisme et enfin le primat donné à la liberté négative sur la liberté positive2. Ce faisant, elle emprunte une voie ouverte par Jan-Werner Müller qui a insisté, dans le sillage des travaux de Judith Shklar sur le « libéralisme de la peur3 », sur la dimension fondamentalement réactive du libéralisme propre à ces trois penseurs politiques4. L’idée qui préside à l’usage de ces deux syntagmes est, en somme, qu’ils se sont montrés davantage soucieux d’éviter le mal plutôt que de défendre un idéal ou de promouvoir un quelconque bien. Catherine Audard et Jan-Werner Müller s’entendent également pour placer une autre figure importante du libéralisme du second xxe siècle, Friedrich Hayek, en-dehors de ce regroupement, car il a milité pour un libéralisme avant tout préoccupé par la défense du marché et conduisant à un économisme outré indifférent aux « libéraux de guerre froide ».
2On peut certes trouver de bons arguments pour justifier l’utilisation de cette locution : il existe bien, entre ces trois penseurs, un « air de famille ». Il apparaît ainsi aisé d’insister sur des convergences qui tiennent autant aux itinéraires intellectuels qu’aux thématiques centrales structurant leurs œuvres et venant soutenir leurs positionnements politiques. Mais cela ne doit pas conduire à négliger – c’est, il est vrai, le risque intrinsèque de toute catégorisation – un fait somme toute évident : les intéressés ont produit des œuvres éminemment singulières, de surcroît liées à des logiques de développement fort différentes. Dans cette contribution, on voudrait se concentrer sur les deux « libéraux de guerre froide » que sont Raymond Aron et Karl Popper en laissant de côté Isaiah Berlin5. La difficulté qui s’impose d’emblée à quiconque s’engage sur ce terrain est l’absence d’un réel dialogue entre eux. Il y a là quelque chose comme un paradoxe : entre ces deux philosophes politiques appartenant à l’école allemande par leur formation, mais à l’école anglaise pour leurs conclusions, la discussion n’a jamais vraiment eu lieu6. Il n’est cependant pas impossible de trouver quelques traces qui renseignent sur ce qui unit et ce qui distingue ces deux variantes du « libéralisme de guerre froide ». Dans cette optique, deux thèmes retiennent tout particulièrement l’attention : la critique de l’illusion historiciste, qui conduit à l’affirmation d’une indétermination de l’histoire d’un côté ; la dénonciation de l’hubris totalitaire, qui débouche sur la justification d’un libéralisme démocratique et d’un réformisme prudentiel de l’autre.
Face à l’illusion historiciste : l’affirmation d’une indétermination de l’histoire
3C’est dans les années 1930, après une lecture approfondie de l’œuvre de Marx, que Raymond Aron a entrepris de critiquer, dans une perspective kantienne, les philosophies déterministes de l’histoire. Dans son Introduction à la philosophie de l’histoire, sous-titrée Essai sur les limites de l’objectivité historique, il conteste l’ambition nomothétique visant à dégager des lois de l’histoire qui, semblables aux lois de la nature, façonneraient de manière implacable le devenir de l’humanité. Dès cette époque, la proximité de sa pensée avec les thèses ultérieures de Karl Popper est frappante. Il notait d’ailleurs lui-même cette convergence rétrospectivement :
« J’avais étudié le marxisme, à partir de 1931, moins pour juger l’Union soviétique que pour marquer la frontière entre l’analytique et la dialectique (au sens kantien) de la connaissance historique. Ce que je rejetais avant tout du marxisme, dans ma thèse, c’était le déterminisme global de l’histoire, une macrohistoire écrite à l’avance, à la fois inévitable et salvatrice. Thèse comparable à celle de Sir Karl Popper dans son livre The Poverty of Historicism. L’histoire que nous racontent les historiens ne nous révèle ni n’annonce un avenir fatal, qui achève la préhistoire de l’humanité. En bref, je renonçais à une philosophie de l’histoire telle que la conçoivent ceux qui prolongent la tradition hégéliano-marxiste7. »
4À partir d’un point de départ identique, la critique du marxisme, Aron et Popper tiennent à affirmer une même indétermination fondamentale de l’évolution historique qui n’est rien d’autre que le corollaire de la liberté humaine. Certes, ni l’un ni l’autre ne s’opposent à l’idée qu’il est possible de dégager des tendances concernant l’évolution de certains secteurs de la vie sociale, mais ils insistent sur le fait qu’elles ne prennent jamais la forme de déterminismes venant soulager les hommes du fardeau de la liberté. Leur attachement à la tradition du rationalisme critique les conduit ainsi à un même rejet des trois mythes que Popper associe à l’historicisme : le prophétisme qui affirme qu’on peut anticiper le terme de l’histoire ; l’utopisme qui explique qu’elle conduit l’humanité tout droit vers le paradis terrestre ; le révolutionnarisme qui enjoint les hommes à accélérer son cours en dépit de son inéluctabilité.
5La communauté de pensée dont témoignent leurs œuvres philosophiques est bien exprimée par Aron dans l’un des premiers textes – sans doute le premier – dans lequel il discute explicitement les thèses de Popper : il s’agit d’une double-page publiée en 1956 dans Le Figaro Littéraire à l’occasion de la parution en français de Misère de l’historicisme. Dans cet article, Aron part de deux définitions de ce concept : celle qui est proposée par Popper et qui insiste sur l’objectif de prédiction de l’histoire ; celle qui est retenue par Leo Strauss et qui identifie l’historicisme au relativisme. Aron relie ces deux acceptions à une même matrice, à savoir « une vision évolutionniste de l’univers – histoire de la terre, des vivants et des sociétés – [qui] sort naturellement de l’état de notre savoir, comme une vision d’un cosmos, stabilisé par des lois éternelles, dominait la pensée grecque8 ». C’est cette matrice, linéaire et non cyclique, qui donne naissance à ce qu’il appelle « le dilemme de la pensée historique – relativisme illimité ou absolutisme sans justification », une alternative « dont aucun des deux termes n’est acceptable9 », mais qui n’en affecte pas moins tous les domaines de la pensée.
6Dans celui de la philosophie politique, Aron isole trois tentatives visant à s’extraire de ce dilemme : la révision de l’hégélianisme illustrée par Alexandre Kojève et Éric Weil10 ; le recours au droit naturel et au rationalisme classique auquel invite l’œuvre de Leo Strauss11 ; le déploiement d’un empirisme rationaliste qui constitue l’apport propre de Karl Popper. Aron se concentre alors sur la proposition du philosophe autrichien. Il choisit de laisser de côté la thèse de l’unité de la science pour insister sur les deux autres idées sur lesquelles repose l’argumentation de Misère de l’historicisme : l’impossibilité d’une saisie de la totalité et d’une mise au jour de lois de l’histoire. Afin de faire comprendre l’enjeu de la critique du totalisme, qui pourrait sembler quelque peu abstraite à un lecteur du Figaro, il explique qu’elle contrevient au raisonnement scientifique, mais surtout qu’elle a des conséquences politiques, le totalisme conduisant tout droit au totalitarisme. La présentation par Aron de l’argumentation poppérienne suggère qu’il acquiesce à la fois à sa démarche et à ses conclusions, notamment à l’inclination en faveur d’une « technique de modification fragmentaire des sociétés » qu’il prend bien soin de distinguer de toute tentation technocratique : il s’agit simplement pour Popper d’encourager une action publique s’exerçant « à la manière de l’ingénieur […] sur tels faits précis en vue d’atteindre tels objectifs limités12 ».
7Aron apparaît néanmoins dubitatif sur un point. Popper, en effet, milite en faveur d’une méthode d’intervention sur la réalité sociale qu’Aron résume d’une formule : « l’art des réformes13 ». Mais il relève que Popper ne nous dit rien des fins qui doivent orienter ces réformes, de la direction que doit suivre ce réformisme prudentiel. C’est pourquoi il termine cette recension en soulignant ce qui constitue à ses yeux la principale limite du raisonnement poppérien : « l’empirisme rationaliste suppose déterminés les buts, il se borne à recommander des moyens14 ». Certes, Aron ajoute immédiatement qu’il est préférable de « choisir pragmatiquement les buts en fonction des valeurs communément admises » plutôt que d’« invoquer une totalité mystérieuse ou un avenir fatal », et ceci d’autant que « communisme et démocratie emploient les mêmes mots15 », ce qui révèle l’existence d’un certain accord sur les fins. Mais il maintient cependant que cette solution commode ne peut pas complètement se substituer à une interrogation sur les fins dernières. Car si Popper a raison de fonder ultimement l’imprévisibilité de l’histoire sur l’indétermination de la science, il ne faudrait pas en conclure trop vite que « le but auquel tend l’homme en tant qu’être moral » est « indéterminé au même sens et de la même manière que l’état ultime de la science16 ». La limite de la proposition élaborée par Popper en réponse au « dilemme de la pensée historique » est ainsi qu’elle contourne la question, à la fois antique et moderne, de la destinée humaine. Ce que l’intéressé n’aurait d’ailleurs pas contesté puisque, comme l’a noté Jean Baudouin, le philosophe de Kenley voyait précisément dans le réformisme libéral le moyen d’« éviter l’impossible débat sur les fondements pour concentrer l’attention sur les souffrances et les violences qu’il convient concrètement d’éliminer17 ».
8Il faut attendre près de vingt ans pour qu’Aron aborde à nouveau en détail la critique poppérienne de l’historicisme. C’est dans le cours professé au Collège de France en 1973-1974 qu’il revient sur les idées-forces de Misère de l’historicisme. Concernant tout d’abord la notion de totalité, il s’accorde avec Popper pour considérer que si on l’entend comme une « énumération exhaustive des caractéristiques d’une chose », elle demeure « logiquement insaisissable » en raison des limites cognitives de l’esprit humain18. Mais il ajoute aussitôt qu’il est possible, et même banal dans les sciences sociales comme dans les sciences naturelles, de viser la connaissance d’une totalité grâce à celle d’un élément précis, « dans la mesure où cet aspect particulier en commande l’organisation interne19 ». Cette distinction permet à Aron d’expliquer qu’un marxiste pourrait répondre à Popper, en se basant sur ce second sens donné au concept de totalité, « qu’il y a dans certains collectifs sociaux des phénomènes qui exercent une influence telle sur les autres que l’on ne peut modifier une situation partielle qu’en modifiant certes un élément entre d’autres, mais un élément qui exerce une action prédominante sur l’ensemble20 ». Ce qui revient à dire qu’un marxiste analytique pourrait s’appuyer sur cette définition afin de justifier la révolution prolétarienne et la suppression de la propriété privée. Manière pour Aron de mettre en évidence que la démarche strictement logiciste de Popper se montre finalement incapable de contrer l’ambition révolutionnaire.
9Concernant ensuite l’intention nomothétique qui est au cœur de l’historicisme, Aron rappelle que Popper lui oppose deux impossibilités logiques : la première, c’est que, comme l’a écrit Céline, « l’histoire ne repasse pas les plats » ; la seconde, que le déroulement de l’histoire est tributaire des avancées, par nature imprévisibles, de la science. Mais Aron ajoute aussitôt qu’« une démonstration logique de cette espèce comporte certaines limites et n’exclut nullement qu’il existe des lois partielles du devenir humain21 ». Qu’est-ce à dire ? Qu’il peut exister, sinon des lois de l’histoire, du moins des lois dans l’histoire. Par cette distinction, Aron insiste sur la possibilité de formuler « une loi scientifique, valable pour un secteur particulier de la réalité historique, dans des conditions données22 ». L’économie, qui est pour lui la science sociale la plus avancée, se donne pour but de produire des lois de ce genre – tout comme, à l’origine du moins, la sociologie. L’exemple mobilisé par Aron ici n’est pas innocent, puisqu’il choisit la loi marxiste de la baisse tendancielle du taux de profit. Non pas qu’il la considère comme vraie, au contraire et il tient à le préciser, mais il s’en sert pour démontrer que ce type de loi « ne tombe nullement sous le coup d’une critique logique » comme celle de Popper23. Pour l’établir, en effet, il n’est pas nécessaire que l’histoire se répète ou que l’observateur accède à une saisie de la totalité : une loi qui annonce la baisse progressive et inéluctable du taux de profit, et pas suite l’autodestruction finale du capitalisme, peut parfaitement être pensée dans le cadre de l’individualisme méthodologique cher à Popper. Il suffit pour cela de la décrire comme le produit non intentionnel d’une myriade d’actions rationnelles. Aron mobilise ainsi la « théorie des effets pervers » afin de montrer qu’il est possible, et même courant, d’établir des lois partielles du devenir qui ne seraient « en rien contradictoire avec l’affirmation poppérienne selon laquelle il n’y a pas de lois de l’histoire24 ». Pour autant, il attire l’attention de son auditoire sur les dangers découlant de l’extrapolation de l’avenir à partir des tendances que les sciences sociales peuvent dégager à un moment donné. Car pour lui, la seule tendance de l’histoire qui soit valable pour l’ensemble de l’humanité, « et encore serait-ce à condition de l’interpréter avec prudence » précise-t-il, c’est « l’augmentation progressive de la connaissance, et, en particulier, de la connaissance scientifique25 ». Il y a là clairement un point d’accord avec le logicien autrichien.
10Aron aborde enfin la thèse, laissée de côté en 1956, de l’unité des sciences naturelles et des sciences sociales. Après avoir rappelé que Popper admet que les deux types de science produisent des énoncés qui « n’ont pas la même valeur de vérité26 », en raison d’une transformation beaucoup plus rapide des variables fondamentales utilisées par les sciences sociales, il insiste sur deux éléments selon lui négligés par le penseur viennois. Le premier, c’est qu’« il suffit d’avoir établi la loi d’un mécanisme social pour que la prise de conscience de ce mécanisme tende à la modifier27 ». Il prend ici une nouvelle fois l’exemple de la loi de baisse tendancielle du taux de profit : si les entrepreneurs prennent conscience de cette loi, ils peuvent modifier leur comportement et donc empêcher que leurs actes aboutissent à la destruction du système qu’ils vénèrent. Le second phénomène négligé par Popper est que le progrès des sciences sociales est étroitement lié à « la découverte des nouveautés d’un monde qui se transforme28 ». En d’autres termes, elles ne disposent pas, comme les sciences naturelles, d’un monde donné une fois pour toutes, mais d’un monde qui ne cesse de se modifier. Il ressort de cette analyse que pour Aron, la thèse de l’unité des sciences n’est pas évidente et que les social scientists doivent se montrer plus humbles que les savants de laboratoire, ce qui ne rend cependant pas les premiers moins légitimes et moins nécessaires que les seconds.
11Si Aron et Popper n’ont pas entretenu un véritable dialogue, Aron s’est néanmoins montré soucieux de se confronter à une pensée forte, bien que peu connue en France jusqu’à la fin des années 1970. Il est d’ailleurs notable qu’il ait, de la même manière, discuté sur le fond les principaux livres de Friedrich Hayek. Dans le domaine de la philosophie de l’histoire, la discussion aronienne des thèses de Popper montre qu’il s’efforce constamment de débusquer les failles d’un raisonnement strictement logique tout en questionnant le rejet de principe de toute approche holistique. Dans les Leçons sur l’histoire, il est ainsi frappant de voir Aron refréner les ardeurs des deux partisans de l’individualisme méthodologique que sont Popper et Hayek. Dans un texte postérieur, il expliquait fort bien sa position en soutenant que « le collectivisme méthodologique n’entraîne pas le macro-déterminisme, pas plus que l’individualisme méthodologique ne réfute au moins une certaine version du marxisme29 ». Il est clair qu’Aron ne partage pas la croyance poppérienne en la toute-puissance de la logique : il pointe significativement « les limites de ces discussions de technique logique sous lesquelles se dissimulent plus ou moins des oppositions idéologiques ou pratiques30 ». La convergence fondamentale d’Aron avec Popper quant à la nécessité de critiquer l’illusion historiciste s’accompagne ainsi de nuances qui sont tout sauf secondaires. On trouvera un mélange semblable d’accord de fond et de désaccord de méthode concernant la philosophie politique.
Face à l’hubris totalitaire : la justification d’un libéralisme démocratique et d’un réformisme prudentiel
12En politique, Raymond Aron et Karl Popper ont puissamment argumenté dans la même direction, c’est-à-dire en faveur d’un libéralisme démocratique et d’un réformisme prudentiel. Ils ont tous deux recherché le point d’équilibre entre l’impératif de défense des libertés individuelles, et singulièrement des libertés personnelles et politiques, et l’extension de la démocratie, entendue au double sens de régime politique et d’état social caractérisé par l’égalité des conditions. Mais ici, l’absence de dialogue entre les deux penseurs ne peut pas être partiellement remplacée par l’étude de la lecture aronienne, comme ce fût le cas pour la philosophie de l’histoire. De fait, les indices dont on dispose demeurent très minces : comme le résume Popper dans la lettre citée en exergue, son intérêt pour l’œuvre d’Aron a été constant, mais il est resté inexprimé ; de son côté, Aron se réfère régulièrement à Popper, notamment pour souligner l’importance de La société ouverte et ses ennemis, mais il se contente de mentions en général elliptiques. Ainsi dans ses Mémoires, lorsqu’il explique se sentir « à certains égards très proche » de Popper31. Cette maigre moisson oblige à procéder autrement en esquissant une comparaison de leurs préconisations quant à l’organisation souhaitable de l’ordre politique.
13Il faut tout d’abord rappeler que leurs philosophies politiques naissent d’une confrontation, imposée par les événements, avec le totalitarisme. Leurs conceptions du phénomène totalitaire diffèrent pourtant sensiblement. Dans La société ouverte, Popper déploie une démarche généalogique qui cherche à reconstituer sa matrice intellectuelle. En l’abordant comme un phénomène avant tout idéologique, il pointe un doigt accusateur sur trois coupables : Platon, Hegel et Marx. Tout en réservant une place de choix à la variable idéologique, Aron se montre plutôt circonspect vis-à-vis d’une telle perspective, estimant que le logicien attribue « une responsabilité excessive [à Hegel et à Marx] dans les catastrophes qui ont affecté l’humanité au xxe siècle32 ». Son approche du totalitarisme s’inscrit en effet dans le sillon fécond de la sociologie de Max Weber : il veut produire une sociologie historique du phénomène totalitaire. Cette approche se distingue également sur plusieurs points des théories fondatrices de Carl-Joachim Friedrich et de Hannah Arendt, mais il s’accorde néanmoins avec eux sur un constat que ne partage pas Popper : le totalitarisme est un phénomène politique inédit et spécifique au xxe siècle. Nonobstant ces divergences, un même rejet du totalitarisme conduit Popper et Aron à défendre un libéralisme longtemps marginalisé dans le champ de la philosophie politique, mais un libéralisme s’accompagnant d’une valorisation de la démocratie qui est loin d’être partagée par tous les libéraux.
14Dans La société ouverte et avec constance par la suite, Popper a défendu une conception strictement procédurale de la démocratie qui repose sur une dénonciation véhémente de l’idée de souveraineté populaire. En ce sens, il a reconduit la vieille méfiance libérale à l’égard de la démocratie, conçue comme un régime toujours potentiellement menacé par deux écueils : la dictature de la majorité et la tyrannie. Popper prolonge ainsi les mises en garde de Benjamin Constant, de Tocqueville, de John Stuart Mill ou encore de François Guizot : il n’a pas de mots assez durs pour condamner « la superstition autoritaire et relativiste selon laquelle le peuple (ou la majorité) ne peut avoir tort ni agir injustement33 ». L’expérience de l’entre-deux-guerres, notamment l’accession au pouvoir de Hitler à laquelle il se réfère régulièrement, lui fait également prendre au sérieux le risque de glissement vers la tyrannie. Il serait cependant fautif d’en conclure que Popper partage la célèbre condamnation platonicienne de la démocratie, car il reconnaît à ce régime une insigne vertu : il permet de garantir efficacement la possibilité d’une destitution pacifique des dirigeants. Si on la définit non pas positivement en référence à l’idée de souveraineté populaire, mais avant tout négativement comme un « tribunal populaire34 », la démocratie est un régime qui permet de tenir à distance la violence, ce repoussoir absolu à partir duquel Popper bâtit l’ensemble de sa philosophie politique. L’instauration de la procédure d’ostracisme constitue à ses yeux la preuve que les Athéniens la comprenaient de cette manière, avant tout comme un rempart contre la tyrannie. Enfin, si Popper s’en tient pour l’essentiel à cette démarche procédurale, il s’en affranchit parfois afin de créditer la démocratie d’un « principe éthique » : elle autorise ce que ne permettent pas les autres régimes, l’exercice par l’homme de « sa responsabilité morale, sans laquelle il n’est plus qu’une moitié, voire un centième d’homme35 ».
15L’œuvre d’Aron témoigne elle aussi d’un attachement au régime démocratique, mais qui semble plus marqué que celui de Popper. Conscient des mises en garde lancées par les libéraux classiques, il a cependant décrit la démocratie comme le moins mauvais des régimes, c’est-à-dire comme le meilleur des régimes possibles. Soucieux d’en délivrer une analyse sociologique, il a comme Popper et comme Schumpeter pris très tôt ses distances avec l’idée de souveraineté populaire, car « si on disait que la démocratie est la souveraineté du peuple, il y aurait au moins deux mots obscurs dans la définition, le mot “souveraineté” et le mot “peuple”36 ». D’où le choix consistant à privilégier une définition de nature institutionnelle : la démocratie correspond selon lui à « l’organisation de la concurrence pacifique en vue de l’exercice du pouvoir37 ». Cette définition ne recoupe pas parfaitement celle de Popper, mais elle répond à un souci semblable : permettre de tenir à distance la violence. C’est ce qui appert lorsque Aron justifie la démocratie en avançant deux idées : elle apporte une protection efficace contre les excès des gouvernants, donc contre la violence d’État, et elle permet de convertir les conflits inhérents à toute vie sociale en affrontement verbal, donc de se prémunir contre la guerre civile. Popper et Aron appartiennent bien, comme l’ont souligné Jean Baudouin et Serge Audier, au camp des libéraux qui insistent, bien avant Jürgen Habermas, sur les vertus d’une raison dialogique et délibérative38. Comme l’explique très clairement Aron, les régimes de partis multiples correspondent à « la traduction institutionnelle de l’autogouvernement, du gouvernement par discussion et consentement39 ». Pour autant, il ne s’en est jamais tenu à cette seule définition institutionnelle, car il s’accorde avec Tocqueville pour envisager la démocratie également comme un état social. Certes, il reconnaît qu’il peut exister des institutions démocratiques sans qu’il n’y ait aucune égalité sociale. Mais il insiste cependant sur l’existence d’une efficace propre à ces institutions. L’idée est ici que la démocratie politique favorise naturellement l’évolution vers davantage de démocratie sociale, qu’elle finit par engendrer un processus d’extension généralisée de l’égalité :
« L’idée d’égalité, étant placée à la base du système de compétition électorale, a une espèce de puissance propre qui continue à jouer dans la réalité démocratique. Quand on a posé que les hommes sont égaux et qu’ils ont le droit de participer également au choix des gouvernants, il n’est pas tellement facile de s’arrêter. Si les hommes sont égaux, jusqu’à quel point cette égalité doit-elle être limitée au domaine politique ? L’idée d’égalité, d’abord liée au système politique de compétition électorale, s’étend progressivement en fait à d’autres domaines40. »
16Dans les années 1950 et 1960, comme Popper lui-même, Aron se félicite des progrès de l’égalité des conditions qui viennent contredire les sombres prophéties marxistes : l’élévation du niveau de vie global réduit à néant la thèse de la paupérisation absolue. Cet optimisme ne résistera cependant pas à l’achèvement du cycle des Trente Glorieuses. À partir du milieu des années 1970, le « dernier Aron » n’hésitera pas à dénoncer les dangers de « l’égalitarisme doctrinaire41 ». Sur ce point, la convergence des deux penseurs est encore frappante : partis d’un même socialisme non marxiste, puis ayant évolué vers un libéralisme soucieux de faire sa part à la critique socialiste, ils finissent tous deux par rejeter l’égalitarisme excessif qui caractérise selon eux les années 1970 : pour Popper comme pour Aron, il semble donc bien qu’il existe une priorité du libéralisme sur la démocratie. Il n’en reste pas moins que, par comparaison avec d’autres penseurs libéraux, tel Hayek par exemple, Popper et Aron ont défendu la démocratie politique et, jusqu’à un certain point, la démocratie sociale. Sans idéaliser les démocraties d’après-guerre, ils ont estimé qu’elles permettaient, dans leurs meilleurs moments, de concilier la recherche de l’égalité et la garantie des libertés. Aron va même jusqu’à établir une continuité naturelle entre libéralisme et démocratie, puisqu’il affirme que « la logique du libéralisme conduit à la démocratie par l’intermédiaire du principe d’égalité devant la loi42 ». En ce sens, la démocratie apparaît bien être « l’aboutissement logique de la philosophie libérale43 », mais sans que cela ne supprime la tension perpétuelle entre égalité et liberté, deux exigences qui demeurent à la fois indissociables et partiellement incompatibles.
17Ce libéralisme démocratique s’accompagne, chez les deux penseurs, d’une défense du réformisme contre les tentations révolutionnaires. Jean Baudouin a insisté avec raison sur la « conception prudentielle de la transformation sociale » développée par Popper44, et il est clair qu’Aron adhérait à cette « méthode » de gouvernement. Il l’a d’ailleurs suggéré à de multiples reprises, comme dans le passage de sa recension de Misère de l’historicisme cité en exergue. Quelques années plus tard, dans un article important consacré à la « fin des idéologies », il explique encore ceci :
« Tout se passe comme si les hommes subissaient d’autant plus leur histoire qu’ils nourrissent davantage l’illusion prométhéenne de la faire. En revanche, les gouvernants qui abordent leurs problèmes l’un après l’autre, modestement, tels qu’ils se présentent en chaque cas, ont plus de chances d’obtenir des résultats conformes à leurs intentions. C’est le pragmatisme de l’ingénieur social qui s’accorde le mieux avec l’esprit du rationalisme et qui donne la meilleure chance aux hommes non de devenir “maîtres et possesseurs de la nature”, mais de l’améliorer en lui obéissant45. »
18Quiconque connaît le concept de piecemeal social engineering comprend immédiatement l’hommage rendu à Popper. Comme lui, Aron défend une « troisième voie » entre la planification communiste et le marché libre :
« Je ne suis pas de ceux qui voudraient que les ingénieurs sociaux fassent notre bonheur malgré nous, mais comme je suis toujours porté à la voie moyenne, je ne suis pas tenté non plus de sacraliser les décisions des sujets économiques individuels comme si ces décisions étaient “la loi et les prophètes”, comme si elles n’étaient pas à leur tour elles aussi déterminées, au moins partiellement, par des phénomènes sociaux à leur tour partiellement manipulés46. »
19Ce réformisme appelle l’intervention de l’État, vis-à-vis de laquelle il faut cependant demeurer constamment vigilant. Popper pouvait ainsi écrire que « nous avons besoin de liberté pour empêcher l’État d’abuser de son pouvoir et nous avons besoin de l’État pour empêcher l’abus de liberté. Il est clair que c’est un problème qui ne peut jamais être résolu dans l’abstrait et en théorie par des lois47 ». S’ils ont tous deux évolué, à la fin de leur vie et dans le contexte spécifique du revival néolibéral des années 1980, sur la question de la place devant être laissée à l’État, Popper s’éloignant de la « théorie protectionniste de l’État » présentée dans La Société ouverte et Aron de la valorisation de l’État Providence développée dans son Essai sur les libertés, s’ils se sont montrés par moments très préoccupés par les excès de l’étatisme et par l’extension de la bureaucratie48, ils se tiendront néanmoins toujours à bonne distance des défenseurs de l’État minimal49.
20Si Aron et Popper assument un positionnement réformiste, et plus généralement s’ils communient dans un même engagement libéral, ils se séparent néanmoins sur la manière de justifier ces préférences politiques. Le second, calquant sa réflexion politique sur son épistémologie, fait du libéralisme et du réformisme les conséquences naturelles de son rationalisme. Aron, quant à lui, conteste que « l’attitude de l’ingénieur » soit « la seule attitude conforme à l’esprit du rationalisme » : il préfère la présenter comme « fondée sur mes préférences et sur les probabilités50 ». En fait, il développe deux idées différentes à ce sujet dans ses Leçons sur l’histoire. La première est que « l’on ne peut, par la logique, ni peut-être même par la raison, démontrer aux hommes qu’il faut être réformiste ou révolutionnaire51 ». Aron s’inscrit ici dans le sillage de Max Weber, pour qui l’engagement politique est toujours lié à une décision et pour qui la science ne peut enseigner aux hommes comment organiser la Cité. En ce sens, Aron est bien un existentialiste qui envisage le libéralisme comme le produit d’un choix sans doute raisonnable, mais non rationnel. C’est pourquoi il enseignait à ses étudiants que « tous les régimes politiques sont des solutions imparfaites et, si l’on veut, irrationnelles d’un problème qui ne comporte pas de solution rationnelle52 ». Il est possible, cependant, qu’Aron ait surestimé le tropisme logiciste de Popper, puisque ce dernier écrivait dans la Société ouverte que l’adepte du rationalisme ne devait pas craindre « de puiser sa conviction initiale dans une décision irrationnelle53 » : Jean Baudouin a d’ailleurs insisté sur le caractère conventionnel, pour Popper, du rationalisme critique54.
21La seconde idée avancée par Aron est que « le problème de savoir si, face à ce qui se passe dans une certaine réalité sociale, il faut être réformiste ou révolutionnaire, est un problème de circonstance et non de logique55 ». Il est vrai qu’il a souvent écrit que la révolution et même le totalitarisme peuvent, dans certaines situations historiques, constituer des issues rationnelles. En 1952, lorsqu’il cherchait à faire comprendre aux élèves de l’ENA la nature profonde de la démocratie, il leur expliquait ainsi qu’« il est parfaitement possible qu’à certains moments la moins mauvaise solution soit la révolution56 ». Dix ans plus tard, dans Paix et guerre entre les nations, il sera encore plus explicite :
« Il n’est pas exclu que le préférable, en une conjoncture donnée, soit autre que le préférable, résultant d’une comparaison entre les deux idéaux types. Quand font défaut les entrepreneurs, les mécanismes du crédit, quand seuls l’État et sa bureaucratie sont capables de promouvoir l’industrialisation, le régime de parti monopolistique idéocratique est éventuellement le moyen le moins déplorable d’accomplir une tâche historiquement nécessaire57. »
22En d’autres termes, on peut considérer qu’eu égard à la situation de la Russie en 1917, la Révolution d’Octobre a constitué une solution naturelle, et en un sens rationnelle, afin de réaliser le passage d’une société agraire à une société industrielle. Il y a fort à parier que le logicien viennois ne partagerait pas une telle assertion : les deux seuls cas de figure dans lesquels la violence lui apparaît légitime sont l’instauration d’une démocratie par la révolte contre une tyrannie et la défense d’une démocratie menacée de se dégrader en tyrannie58.
23Dans le contexte spécifique de la lutte contre les totalitarismes, Aron et Popper ont illustré chacun à leur manière ce que peut être une politique de sceptique, une politique qui se méfie de toute promotion du bien. De ce refus, proclamé dans la phrase fameuse qui clôt L’Opium des intellectuels59, Aron en venait naturellement à valoriser la recherche du compromis. Sans être dupe des effets délétères d’un excès de compromis, Aron estimait en effet que « l’idéal de la démocratie, c’est que les diverses forces aux prises établissent une espèce d’équilibre, que les différents intérêts trouvent des compromis et que les choses évoluent lentement, en écartant les formes historiques dépassées, mais sans excès de violence ou de hâte60 ». Popper, de son côté, n’a pas toujours été tendre avec le « penchant pour le compromis » dont il fait d’Aristote le parfait représentant : il le classe dans la catégorie des « écrivains médiocres » parce qu’il « n’aime rien tant que tout résoudre par un jugement sagement équilibré ou chacun puisse retrouver son compte ; ce qui, bien souvent, revient à passer complètement à côté du problème61 ». Mais dans La société ouverte, il explique aussi qu’être rationaliste, c’est « admettre que l’erreur peut-être de notre côté et la vérité de l’autre, c’est être disposé à un effort, et, s’il le faut, à un compromis, pour parvenir à la vérité dans des conditions susceptibles de rallier la majorité de l’opinion62 ». Sans rejeter totalement l’idée de compromis, sans doute Popper était-il tenté de se dissocier d’un Aron trop « aristotélicien » à son goût.
Conclusion
24Une étude plus systématique serait évidemment nécessaire afin de mener une confrontation rigoureuse des pensées de ces deux « libéraux de guerre froide ». Cette esquisse a cependant tenu à suggérer trois choses. La première, c’est que cette expression commode, qui met en avant d’indéniables convergences, possède aussi le défaut de masquer des divergences non négligeables portant sur des points essentiels. On pourrait résumer cette idée d’une formule simple : s’il est impossible de se passer de telles catégorisations, il faut constamment se méfier du lissage des contenus de pensée qu’elles entraînent mécaniquement. Une règle d’or pourrait ainsi être énoncée à l’attention des historiens des idées : les catégories sont un mal nécessaire et il faut veiller à en faire bon usage. Cette ébauche a ensuite voulu rappeler qu’une autre expression, celle de « libéraux conservateurs », n’est finalement pas très éclairante dans le cas d’Aron et de Popper. Beaucoup d’historiens des idées les décrivent à l’aide de cet oxymore, alors qu’il est clair que les intéressés sont clairement réformistes, qu’ils apparaissent sans illusions sur le conservatisme, à moins bien sûr de considérer que le réformisme n’est lui-même qu’une dérivation du conservatisme puisqu’il s’oppose à la révolution. En revanche, il n’est pas impossible de soutenir, comme le fait Catherine Audard, que le « libéralisme de guerre froide » a pu « préparer le terrain à l’idéologie néolibérale63 », bien qu’il ne s’agisse là que d’un des débouchés possibles de cette sensibilité. Cette épure a enfin cherché à montrer que ces deux œuvres ne sont pas aussi datées qu’on le dit souvent, et qu’elles ne sont aucunement réductibles à leur contexte d’énonciation. Les problèmes qu’elles posent excèdent largement le contexte du second xxe siècle, puisqu’ils touchent au fond à une question qui accompagne depuis l’origine le projet moderne : par quelles voies l’humanité peut-elle parvenir à maîtriser son destin et poursuivre la recherche d’un monde meilleur ? Aujourd’hui, cette interrogation paraît à beaucoup d’une excessive naïveté. Avec d’autres, Aron et Popper constituent des outils précieux pour ceux qui ne se sont pas résolus, comme nous y invite l’époque, à l’abandonner sur le bord du chemin. Précieux en ce qu’ils nous rappellent sans cesse la complexité du réel et la nécessité d’agir dans le cadre d’une éthique de la responsabilité, en ce qu’ils nous invitent, pour reprendre une formule d’Isaiah Berlin, à cultiver « le sens des réalités64 ».
Notes de bas de page
1 Fonds Raymond Aron, Bibliothèque nationale de France, NAF 28060 (74).
2 Audard C., Qu’est-ce que le libéralisme ? Éthique, politique, société, Paris, Gallimard, 2009.
3 Shklar J., « The Liberalism of Fear », in Rosenblum N. L. (ed.), Liberalism and the Moral Life, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1989.
4 Müller J.-W., « Fear and Freedom. On “Cold War Liberalism” », European Journal of Political Theory, 7/1, 2008, p. 45-64.
5 Précisons néanmoins que Isaiah Berlin a témoigné de sa dette intellectuelle à l’égard de Karl Popper et de La Société ouverte et ses ennemis, tout en se montrant beaucoup moins enthousiaste à l’égard de Raymond Aron, qu’il décrivait comme un brillant journaliste plutôt que comme un penseur politique : cf. Berlin I., « In conversation with Steven Lukes », Salmagundi, n° 120, fall 1998, p. 96 et 98. Berlin ajoute tenir en haute estime Norberto Bobbio, que l’on pourrait parfaitement intégrer dans la catégorie des « libéraux de guerre froide ».
6 On peut cependant consulter, dans les archives Aron, quelques lettres échangées à trois occasions : en 1970, à l’initiative de Popper, au sujet de la « querelle du positivisme » qui l’oppose à l’École de Francfort ; en 1980, à l’initiative d’Aron, au sujet d’un colloque consacré à Andreï Sakharov ; en 1982, à l’initiative d’Aron, suite à la Décade de Cerisy-la-Salle qui s’est déroulée en l’honneur de Popper. Cf. Fonds Raymond Aron, Bibliothèque nationale de France, NAF 28060, boîtes 74, 114 et 116.
7 Aron R., « De l’existence historique » (1979), Cahiers de philosophie politique et juridique, université de Caen, n° 15, 1989, p. 149-150.
8 Aron R., « Misère de l’historicisme », Le Figaro Littéraire, 25 août 1956. Souligné par l’auteur.
9 Idem.
10 Il se réfère à l’Introduction à la lecture de Hegel publiée par Alexandre Kojève en 1947 et à Philosophie politique publié par Éric Weil en 1956. Aron avait une connaissance directe de l’enseignement de Kojève, dont il a suivi le séminaire à la fin des années 1930. Son amitié avec Éric Weil remonte également aux années trente.
11 Il pense évidemment à Droit naturel et histoire, publié en 1953 et traduit en français en 1954. Comme Misère de l’historicisme, ce livre a été publié chez Plon dans la collection « Recherches en sciences humaines » dirigée par Éric de Dampierre, avec qui Aron dirigera par la suite les Archives européennes de sociologie.
12 Aron R., « Misère de l’historicisme », op. cit.
13 Idem.
14 Idem.
15 Idem.
16 Idem.
17 Baudouin J., Karl Popper, Paris, PUF, 1995, p. 101.
18 Aron R., Leçons sur l’histoire, Paris, Le Livre de Poche, 1989, p. 309.
19 Idem.
20 Ibid., p. 310.
21 Ibid., p. 313.
22 Ibid., p. 315.
23 Ibid., p. 316.
24 Ibid., p. 315.
25 Ibid., p. 316.
26 Ibid., p. 320.
27 Idem.
28 Ibid., p. 321.
29 Aron R., « De l’existence historique », op. cit., p. 156. Aron revient aussi sur ces questions dans Aron R., Histoire et dialectique de la violence, Paris, Gallimard, 1973, livre dans lequel il examine la tentative sartrienne de conciliation de l’individualisme ontologique propre à l’existentialisme et du holisme méthodologique propre au marxisme.
30 Aron R., Leçons sur l’histoire, op. cit., p. 311.
31 Aron R., Mémoires, Paris, R. Laffont, 2010 (1983), p. 936.
32 Aron R., Leçons sur l’histoire, op. cit., p. 307. Il adressera une critique similaire aux « nouveaux philosophes » qui, dans la France des années 1970, font de Marx le fourrier du Goulag et de la pensée occidentale tout entière le creuset du totalitarisme. Cf. Aron R., « Pour le Progrès. Après la chute des idoles », Commentaire, n° 3, automne 1978.
33 Popper K., « Liberté et responsabilité intellectuelle », in La Leçon de ce siècle, Paris, Anatolia, 1993, p. 135.
34 Ibid., p. 134.
35 Ibid., p. 132.
36 Aron R., Introduction à la philosophie politique, Démocratie et révolution, Paris, Livre de Poche, 1997, p. 36.
37 Idem.
38 Cf. Baudouin J., La Philosophie politique de Karl Popper, Paris, PUF, 1994 et Audier S., Raymond Aron, la démocratie conflictuelle, Paris, Michalon, 2004.
39 Aron R., Démocratie et totalitarisme, Paris, Gallimard, 1965, p. 239.
40 Aron R., Introduction à la philosophie politique, op. cit., p. 70.
41 Aron R., « Postface » (1976), in Essai sur les libertés, Paris, Hachette, 1991, p. 240.
42 Ibid., p. 138-139.
43 Ibid., p. 121.
44 Baudouin J., La Philosophie politique de Karl Popper, op. cit., p. 209 et Karl Popper, op. cit., p. 108.
45 Aron R., « Fin des idéologies, renaissance des idées » (1964), in Les Sociétés modernes, Paris, PUF, 2006, p. 388.
46 Aron R., Leçons sur l’histoire, op. cit., p. 290-291.
47 Popper K., « Observations sur la théorie et la pratique de l’État démocratique » (1989), in La Leçon de ce siècle, op. cit., p. 110.
48 Pour une expression très directe des inquiétudes du « dernier Aron », cf. Coudé du Foresto Y., « Conversation avec Raymond Aron (4 février 1983) », Pouvoirs, n° 28, 1984. On trouvera celles du « dernier Popper » dans « Popper on Democracy : the Open Society and Its Enemies Revisited », The Economist, 23 april 1988, p. 111-119.
49 Pour une discussion du concept d’État minimal, cf. Popper K., « Observations sur la théorie et la pratique de l’État démocratique », op. cit., p. 114-121. Il y rabaisse alors l’État minimal au rang de simple « principe régulateur ».
50 Aron R., Leçons sur l’histoire, op. cit., p. 308.
51 Ibid., p. 311. C’est nous qui soulignons.
52 Aron R., Introduction à la philosophie politique, op. cit., p. 53.
53 Popper K., La Société ouverte et ses ennemis. II. Hegel et Marx, Paris, Le Seuil, 1979, p. 158.
54 Cf. Baudouin J., Karl Popper, op. cit., première partie, Chap. III.
55 Aron R., Leçons sur l’histoire, op. cit., p. 311.
56 Aron R., Introduction à la philosophie politique, op. cit., p. 51.
57 Aron R., Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962, p. 656.
58 Popper K., La Société ouverte et ses ennemis, op. cit., p. 103.
59 Aron R., L’Opium des intellectuels, Paris, Hachette, 2002 (1955), p. 334 : « Appelons de nos vœux la venue des sceptiques s’ils doivent éteindre le fanatisme. »
60 Aron R., Introduction à la philosophie politique, op. cit., p. 209.
61 Popper K., La Société ouverte et ses ennemis, op. cit., p. 9 et 10.
62 Ibid., p. 153-154.
63 Audard C., Qu’est-ce que le libéralisme ?, op. cit., p. 370.
64 Berlin I., Le Sens des réalités, Paris, Éditions des Syrtes, 1996.
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