Conclusion
p. 287-288
Texte intégral
1Un auteur de sciences sociales ne se résume pas à une œuvre, à des écrits, mais aussi à des lectures, une bibliothèque, des paroles, des pratiques, des travaux encadrés1, des séminaires tenus, des commentaires faits…
2Ce qui frappe dans le parcours de Michel Dobry, dans un moment qui par contraste valorise les thèses courtes rédigées dans la foulée du master, c’est aussi l’importance d’avoir pris le temps : le temps de lire, beaucoup et dans beaucoup de directions, de flâner, de rester le nez au vent et de prendre des chemins sinueux avant d’en venir à la thèse – bref, d’avoir été capable de savoir ce qui importait à la fois théoriquement et intimement (plutôt que ce qui répondait à la commande ou à l’air du temps).
3Scruter son parcours, c’est aussi souligner une façon bien spécifique d’exercer le métier d’enseignant-chercheur en sciences sociales. Éditer cet ouvrage est aussi une façon de signifier l’attachement à un collègue qui ne s’arrête pas de penser parce qu’il quitte l’université. Pourtant l’université en tant qu’institution a ici sa place – et l’œuvre de Michel Dobry témoigne d’un moment de l’université française qui mérite d’être rappelé et défendu.
4Beaucoup des idées de Michel Dobry ont été distillées dans le cadre de ces rendez-vous qu’ont connus aussi bien celles et ceux qu’il a dirigés en thèse, que d’autres qu’il a lus, conseillés, discutés : discuter avec Michel, c’est aussi se retrouver au café et le voir sortir ces fiches bristol format A4 couvertes de notes soulignées, et se dire lâchement, après une discussion un peu rude, qu’on aurait préféré qu’il passe plus vite sur telle phrase bâclée plutôt que de la mettre en pièces. La pensée de Michel Dobry, c’est ce que l’on voit parfois se déployer en réaction à un bon mot ou une boutade qui pour être spirituelle se trouve épistémologiquement infondée et expédie la compréhension de tel ou tel phénomène social. Aussitôt, on a le sentiment presque physique de voir un cerveau se mettre en marche – parfois pour le plus grand inconfort de son interlocuteur.
5Il faut aussi avoir été un(e) de ses collègues, enseignant-chercheur parmi les enseignants chercheurs, pour saisir la mesure de ce qui nous manque depuis le départ de Michel Dobry de Paris 1. C’est aussi dans les aspects les plus ordinaires du métier d’enseignant-chercheur que nous avons pu faire l’expérience de ce que permet encore l’université : quand, à l’occasion d’une soutenance de mémoire2 de M2 ou de M1, de travaux inégalement passionnants, Michel, le front plissé (au point de faire croire que le cerveau est un muscle !) déployait une idée qui rendait une soutenance mineure bien plus enrichissante intellectuellement qu’un colloque majeur ! Combien de fois ne nous sommes-nous pas dit que les étudiants ne se rendaient pas compte de la valeur de ce qui était formulé en direct à propos de leur travail, la puissance de ce qui pouvait alors être formulé nous poussant parfois à prendre des notes avec plus d’enthousiasme que celui ou celle qui soutenait son mémoire.
6Enfin, parfois en suscitant l’irritation, Michel Dobry s’était aussi fait une spécialité, dans les commissions de recrutement, les réunions, de ne jamais laisser passer le prêt-à-penser. Que son comportement aie marqué avec constance un attachement soucieux à la recherche de la vérité scientifique est sans doute la plus belle preuve de la conviction avec laquelle il a fait de l’horizon nomologique un régulateur de sa pratique savante.
Notes de bas de page
1 Outre les anciens doctorants qui écrivent dans cet ouvrage (Violaine Roussel, Lilian Mathieu, Carole Sigman), on peut citer parmi les autres thèses qu’il a dirigées celles d’Elsa Rambaud, Grégory Daho, Florent Pouponneau, Cyril Magnon-Pujo, Cégolène Frisque, Hervé Rayner, Janvier Onana, Virgile Coujard, William Herrera, Meryll David-Ysmaïl, Pierre Renno, Ali Omar Yara, Inanna Hamati, Éric Verdier, Aline Leboeuf, Micha Garyfallia…
2 Soit une dizaine de mémoires dirigés chaque année au moins.
Auteurs
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