3. La grande pitié de « la thèse immunitaire »
p. 63-86
Texte intégral
1En 1989 Michel Dobry publie une première critique dévastatrice de « la thèse immunitaire », suivie par l’ouvrage qu’il dirige en 2003 sur Le Mythe de l’allergie française au fascisme. L’article de la Revue française de sociologie, brillant et érudit, écrit en réponse à un article de Serge Berstein, devait ridiculiser sans appel la démarche de l’historien de la rue St. Guillaume aux yeux de tous, sauf de lui-même et de ses amis. L’article fondateur de Dobry s’attaque à l’idée lancée par René Rémond selon laquelle l’issue d’une crise serait révélatrice de sa nature : puisque le 6 février n’a pas abouti à la chute du régime, Rémond en déduit l’inexistence de tout élément fasciste sur la scène politique française des années trente. Ce qui est en cause c’est la posture intellectuelle des tenants de la thèse immunitaire : les historiens « allergistes », guère familiers de la méthodologie des sciences sociales, ont mis en place une sorte de curieuse causalité ; puisque la IIIe République a survécu à la crise de février 1934, « rien dans les événements et les mobilisations qui l’ont produit, ni même dans l’enchaînement de ces événements et mobilisations, n’a pu avoir de rapport consistant avec les processus, qui, ailleurs, ont conduit aux succès fascistes1 ».
2Cette thèse immunitaire se déploie pour interpréter toute une série de phénomènes : ainsi les Croix de feu parce qu’ils n’ont pas poussé au coup de force en février, seraient une organisation non fasciste. M. Dobry souligne ce qui se révèle être une causalité douteuse : la ligne électorale adoptée par La Rocque ne prouve en rien la modération de son organisation. Bien plus, la mutation forcée du groupement paramilitaire des Croix de feu en Parti social français (PSF) ne nous dit rien des recompositions idéologiques réellement engagées au sein de l’organisation. Mais disculper les organisations en présence du label fasciste ne suffit pas ; par effet de télescopage, on glisse rapidement à l’affirmation de leur marginalité sociale et politique2. Finalement, Michel Dobry en vient à ce dernier point aveugle de la thèse immunitaire, à l’ultime argument, celui qui convoque une « culture politique » française, faite de républicanisme, profondément enracinée dans les mentalités des dirigeants français et qui auraient en quelque sorte immunisé la France contre le fascisme. Dobry discerne derrière cette culture politique « certaines valeurs qui se retrouvent dans les convictions, modes de pensée et habitudes des gens et dont l’enracinement est, en gros, attribué à l’ancienneté du régime démocratique en France et l’existence de structures d’encadrement de masse […], qui elles aussi, orientent leurs clientèles vers les valeurs de la démocratie3 ». Tous les signaux qui pourraient indiquer que cette « synthèse républicaine » est moins robuste qu’il n’y paraît, qu’elle n’empêche en rien l’émergence d’une autre culture politique, antilibérale, anti démocratique, favorable à un pouvoir fort, en fait dictatorial, sont pris en compte dans cette littérature de l’immunité mais sans réussir à renverser l’argumentation générale d’un impossible effondrement de la démocratie, d’autant plus vrai… qu’il n’a pas eu lieu en février 1934.
3Un des apports de Dobry consiste à montrer que la solidité d’un régime démocratique ne tient en rien à l’intériorisation d’une éventuelle culture démocratique partagée mais qu’elle renvoie au jeu des secteurs stratégiques de l’État (la police ou l’armée par exemple) dont les membres sont bien loin d’être les plus démocrates mais restent la plupart du temps loyaux, moins par conviction que par calcul. Se pose par exemple pour certains membres des ligues, anciens militaires, la question des chances de succès du soulèvement, de ce qui est jouable et ce qui ne l’est pas, du possible et du probable : le coup d’État est-il possible, est-il praticable4 ? Or, les affrontements politiques du début du siècle ont fait du coup de force, un coup très risqué et pour beaucoup d’entre eux encore injouable en février 1934. Partie remise en quelque sorte, puisque les effondrements de l’année 1940 devaient apporter la preuve de la fragilité de cette « culture démocratique » : « ce sont là d’excellentes conditions pour jauger ce que peuvent valoir les valeurs5 » conclut M. Dobry. J’ajouterais ceci : à la question de savoir pourquoi le fascisme n’avait pas pris le pouvoir en France dans les années trente, Fabre-Luce avait déjà répondu en 1942 dans son Journal de la France : à savoir, parce qu’il « trouvait devant lui un ennemi averti6 ».
Une controverse historiographique interminable
4Marc Angenot professeur canadien, spécialiste des discours politiques, a longuement étudié cette controverse historiographique7. Pour essayer de comprendre cette idée insolite selon laquelle la France, tout au long de la première moitié du siècle passé serait restée imperméable au fascisme, le chercheur canadien commence évidemment par les trois droites de René Rémond8. Tout de suite, il s’interroge sur le point de départ de l’argumentation, le nationalisme du tournant du xxe siècle : militariste, xénophobe, clérical, antiparlementaire, volontiers anti-intellectualiste, plus que volontiers antisémite aussi, ce nationalisme coalisé invente et exploite des thèmes dont se nourrira vingt-cinq ans plus tard « la révolution fasciste », mais – et ce sera la thèse soutenue toute sa vie par René Rémond – en dépit de ceci, il n’aurait rien à voir avec le fascisme, lequel est demeuré un phénomène étranger à la France. Aux trois droites historiques tient la singularité de la vie politique française9. Ce qui fait que le fascisme « à la française » n’a jamais pu être qu’une misérable imitation venue de l’étranger et ne touchant qu’une infime minorité d’individus. Ainsi a été produite, ce que John Bingham appelle en 1994, une « ghettoïsation du fascisme français », coupé des réalités politiques des années 193010. La France, répéteront en chœur et inlassablement les étudiants et disciples de Rémond, a été « allergique » au fascisme.
Les termes d’une controverse
5Pour Marc Angenot, ce n’est pas par hasard que ce soit un sociologue et non un historien qui lance l’assaut, d’abord en 1989, puis en 2003, contre le « mythe » immunitaire, ses mutations et avatars. Dans le livre dirigé par Michel Dobry publié en 2003, le point de départ est bien celui de cette « étrange interprétation historique soutenue avec continuité, obstination, hargne parfois, et pas mal d’aveuglement aussi, depuis maintenant plusieurs dizaines d’années, par un groupe de spécialistes français d’histoire politique contemporaine11 ». Jusqu’alors cette thèse avait été essentiellement mise à mal par des étrangers. Les historiens français pendant un demi-siècle ont quant à eux, répété, recyclé, adapté, amendé, parfois largement, tout en résistant sur ce qui leur était apparemment essentiel : « sauvegarder l’exceptionnalisme prêté à la société française face au fascisme12 ».
6Angenot analyse le déploiement de l’attaque de Michel Dobry : les historiens de la thèse immunitaire jugent et classent comme étrangères au fascisme les « ligues » des années trente à l’aune d’une hypostase extrapolée des régimes fasciste et nazi au pouvoir. Si on élit cette définition étroite du fascisme réduit au projet totalitaire en cours d’exécution, on aboutit immanquablement à « dédouaner » des phénomènes émergents, sans éclairer les dynamiques historiques en jeu. Les historiens allergistes sélectionnent, caractérisent et interprètent les processus historiques à partir de leurs « résultats » (comme si ces résultats révélaient rétroactivement leur nature réelle) ; et comme ni La Rocque, ni Taittinger, ni Valois n’ont pris le pouvoir pas plus qu’ils n’ont instauré un régime « totalitaire », leur entreprise ne peut être qualifiée de « pleinement » fasciste, voire échappe à cette catégorie. Ici se scelle le dialogue de sourds entre historiens « résultistes » et historiens des idées (ou sociologues attentifs au déploiement des processus politiques) pour qui cette démarche réductionniste est méthodologiquement erronée13. Quant à l’argument déjà abordé de cette fameuse (et improuvable) solidité de la culture démocratique, le sociologue canadien rappelle qu’elle accouche tout de même vers 1930 de puissants mouvements qu’on peut étiqueter comme on voudra, mais qui rassemblent des millions de gens et qui sont, à tout le moins, aussi antidémocrates que xénophobes ! Pourquoi cette résistance de la thèse immunitaire, telle est la question que se pose finalement Marc Angenot après Michel Dobry : si les contributeurs successifs de cette thèse n’ont sans doute pas eu les mêmes motivations, on ne peut écarter ni une sorte de patriotisme d’historiens en position dominante et apparemment bien peu lecteurs des recherches publiées en langue étrangère14, ni surtout un effet de conformité/conformisme propre à la vie académique, au « champ » pour parler comme Pierre Bourdieu15. Marc Angenot, évoque la publication en 2005 d’un collectif dirigé par Brian Jenkins, l’un des collaborateurs du livre de Michel Dobry, qui reprend certaines de ces discussions à destination d’un public américain16. Tout en concluant que la controverse est devenue stérile, Jenkins souligne le fait que les deux « camps » opposent essentiellement des mandarins français à des challengers étrangers (M. Dobry exclu) : ceci suffit-il à expliquer le caractère têtu de cette interminable résistance et de cette défense que le Britannique juge « ultimement absurde » ? Jenkins place la persistance de la thèse immunitaire à la fois sur le terrain de la pure « passion » – l’orgueil académique –, et sur celui de la dénégation chauvine qui fait qu’en 2005 encore, la proposition selon laquelle la France des années 1930 était « immunisée » contre le fascisme est demeurée « obstinément intacte ». C’est devenu un objet d’agacement des historiens anglo-saxons face à leurs collègues français : comment diable font-ils pour s’obstiner à ce point et défendre une thèse « ultimement absurde ?17 ». Autre élément qui tient peut-être à certaines routines disciplinaires relevées par M. Dobry ; cette propension à classer les phénomènes à partir d’un étalon, dont la pertinence est bien peu questionnée : ici l’étalon du fascisme qui n’est rien d’autre, rappelons que, que les propriétés des régimes fascistes installés. Pire, « la thèse immunitaire va mettre en scène des aspects proprement imaginaires du fascisme italien et du national-socialisme allemand18 ». Il y a une apparence de rationalité argumentée dans le « simple acte de classer » tel courant, tel parti comme « fasciste » ou « fasciste authentique » ou bien « non fasciste » – en croyant pouvoir identifier ainsi des différences de nature ou d’essence entre lesquelles il y aurait des frontières infranchissables, étanches, par lesquelles le fascisme ne passera pas ! Mais si l’on suit M. Dobry, ces opérations de classement sont vaines et il ne s’agit pas de reclasser autrement, mais de chercher à identifier des dynamiques, des évolutions, des enchaînements et des positionnements (par exemple les concurrences entre les différentes droites extra-parlementaires) et à adopter une perspective relationnelle.
La relance de la controverse
7Quelles que soient les raisons de cette résistance de la thèse immunitaire, reste que le conflit connaît un nouvel épisode avec la publication d’un livre en 2014 signé du trio « allergiste » que forment Jean-Noël Jeanneney, Michel Winock et Serge Berstein : Fascisme français ? La controverse19. M. Winock est l’instigateur et la cheville ouvrière de ce collectif qui se veut une réponse à mes entretiens avec Nicolas Weill, Histoire et lumières. Changer le monde par la raison, publiés au mois de mai 2014. Onze historiens ont été mobilisés, dont le plus important, Emilio Gentile, croyait qu’on lui demandait un passage de son livre Qu’est-ce que le fascisme, et ignorait qu’il intervenait dans une entreprise polémique. Pâle réplique de la démarche de René Rémond, ce livre, à en croire Jeanneney, est le fruit d’un « réflexe de fierté égratignée20 » : en effet, les trois amis se sont sentis offensés par mes remarques sur le milieu « allergiste » et ont monté une défense laborieuse. Ce groupuscule faisait dans le passé partie d’une « corporation » pour reprendre les termes de Jean-François Sirinelli et ou d’une « nébuleuse » d’auteurs selon ceux de Pierre Milza : ce groupe a éclaté, Milza et Sirinelli s’en sont retirés, tout comme Philippe Burrin qui en était proche. Il ne reste aujourd’hui que les trois « allergistes » auxquels je me réfère ici21. Entre-temps certains chercheurs français jeunes, notamment Olivier Forlin, Didier Leschi ou Laurent Kestel annoncent un renouveau salutaire22. D’autres auteurs, un Henry Rousso ou un Enzo Traverso, ont développé des travaux bien connus, appréciés et fortement démarqués de ceux des tenants de la thèse immunitaire.
8Deux caractéristiques chez les trois auteurs donnent le ton de l’ouvrage, en fixent le cadre et les objectifs : leur non-existence sur la scène de la recherche sur le fascisme et le caractère très franco-centré de leur réflexion. Comme ils semblent ignorants de l’historiographie internationale, sans parler des travaux des politistes et des sociologues, ils n’intègrent pas les pistes et les arguments nouveaux issus de la recherche française et surtout étrangère. Il n’est pas fait mention des travaux de Roger Griffin, d’A. James Gregor, Roger Eatwell, Constantin Iordachi, Michael Mann, Stanley Payne, pour ne citer que les noms qui reviennent le plus souvent ces dernières années23.
9J’ajouterai encore un élément, apparemment plus personnel, qui déroge à la controverse scientifique : Jeanneney, Winock et Berstein s’attaquent à mon travail sans apparemment le connaître ; ou, ce qui est plus probable, ils font comme s’ils ne connaissaient ni Fascist Ideology, un long essai en anglais de 1976 qui précède aussi bien La Droite révolutionnaire que Ni Droite ni gauche, depuis republié à maintes reprises, ni Naissance de l’idéologie fasciste, ouvrage traduit en plusieurs langues, que mes thésards de l’époque et co-auteurs publiâmes en 1989, six ans après Ni Droite ni gauche. Soit par ignorance, soit parce que l’analyse qui est présentée dans ces travaux a contribué depuis fort longtemps à saper les fondements de leur édifice, les trois « allergistes » n’en parlent pas24. Pour tout ce qui concerne le fascisme générique, ainsi que les fondements et le développement de la pensée fasciste, c’est donc à Gentile que je vais répondre ; chez les trois autres, le projet semble moins scientifique que politique. Jeanneney ne s’en cache pas, il s’agit de permettre au lecteur de se libérer « de la tentation d’une sorte de masochisme national appliqué au passé de la France25 ». À tout prix, contre vents et marées il faut conduire cette entreprise « pédagogique » et donc s’accrocher à l’idée de l’exceptionnalité ou de l’immunité et quiconque y renonce s’adonnerait à ce « masochisme national ». Il faudrait donc, comme l’annonce la quatrième couverture, déconstruire l’idée « des origines françaises du fascisme ». Or, c’est là chose plus facile à dire qu’à faire : le bizarre volume Fascisme français ? en atteste.
10Chose intéressante, l’invention du terme contre lequel Michel Winock s’en va en guerre en 2014 en compagnie de Serge Berstein, revient au Michel Winock, version années 1970 lui-même. Comme si la conjoncture scientifico-politique avait changé ; en effet dans une lettre du 18 août 1977, après avoir terminé la lecture du manuscrit de La Droite révolutionnaire, Winock, à l’époque mon éditeur aux Éditions du Seuil, m’écrit : « Tu as fait là une étude magistrale, vivante et passionnante. C’est toute la préhistoire du fascisme que tu as écrit là », ajoutant à la fin de cette lettre cette question : « Serais-tu d’accord, au cas où il faudrait un sous-titre, de prendre : “les origines françaises du fascisme” ? » (Je souligne). Ce soutien semble durer jusque début 1981 où M. Winock évoque dans une lettre dactylographiée du 12 janvier à propos du dernier livre de Bernard-Henri Lévy (L’Idéologie française), un « confusionnisme qui risque de discréditer la thèse centrale du livre avec laquelle je sympathise26 » Brutalement, trois mois après la parution de Ni Droite en janvier 1983, le soutien de mon éditeur M. Winock cesse, ce qui est sans doute un phénomène plus rare qu’il n’y paraît.
11Il importe de s’arrêter ici sur un exemple de l’art d’interpréter les textes de Serge Berstein s’exprimant au nom du « trio allergiste ». Ce dernier me reproche de « ne pas tenir compte des faits » ou de parler de « l’idolâtrie des faits », c’est-à-dire d’un soi-disant refus de ma part de tenir compte des événements. Comment peut-on faire de l’histoire demande savamment le professeur Berstein sans tenir compte des faits ? Cette démarche qu’il m’attribue, il la déduit d’un beau texte de Nietzsche, critique de Hegel, que je donne dans Histoire et Lumières :
« Hegel […] a implanté dans les générations pétries du levain de sa doctrine cette admiration pour la “puissance de l’histoire” qui, pratiquement, se transforme, à tout instant, en une admiration pure et simple du succès et qui conduit à l’idolâtrie des faits. Pour cette culture idolâtre, on a fait entrer dans les mœurs cette expression très mythologique et de plus très allemande : “tenir compte des faits”. Or, celui qui a appris à courber l’échine et à incliner la tête devant la “puissance de l’histoire”, celui-là aura un geste approbateur et mécanique, un geste à la chinoise, devant toute espèce de puissance, que ce soit un gouvernement, ou l’opinion publique, ou encore le plus grand nombre27. »
12Tout lecteur normalement cultivé comprend immédiatement que Nietzsche attaque ce qu’il considère être le fameux conformisme de Hegel, ou sa servilité envers l’État prussien. Dans ce texte, Nietzsche se range du côté de tous ceux qui, au temps de Hegel déjà, voyaient dans l’idée fameuse selon laquelle « le réel (wirklich) est le rationnel » une façon de dire que ce qui existait – l’État prussien – était rationnel. Les critiques de Hegel voyaient dans cette idée une justification de l’ordre existant de son temps, et Nietzsche y voit l’apologie de tout ordre existant. C’est contre ce conformisme – « courber l’échine » devant les puissants de l’heure, quels qu’ils soient – que Nietzsche se dresse : par quelle aberration de l’esprit peut-on en tirer la conclusion que le refus d’accepter la légitimité de ce qui était simplement parce telle était la réalité, consistait de la part de Nietzsche à refuser de prendre en compte les événements ? Ou de la part de quiconque comme moi, qui trouve excellente la démarche critique de Nietzsche, de ne pas tenir compte des faits ? Combien de couches d’ignorance faut-il accumuler pour produire un tel sottisier ? Cette question se pose aussi en ce qui concerne la revue L’Histoire (octobre 2014) où l’on imprime un compte rendu qui reprend les mêmes bêtises sans un soupçon de sens critique.
La question de la définition du fascisme : les apports de la comparaison
13Revenons maintenant à l’essentiel, la nature du fascisme. Le trio s’accroche à Emilio Gentile, depuis qu’il a été traduit, comme à une bouée de sauvetage. S’ils s’appuient sur lui, c’est moins pour son étude magistrale sur « la sacralisation de la politique » que pour sa conception italo-centrée du fascisme qui leur permet de mettre immédiatement la France hors du champ d’investigation.
14En effet, Gentile considère le fascisme comme un phénomène purement italien. Le fascisme est pour lui un produit exclusif de la Grande Guerre, une religion politique qui évidemment n’a de sens que dans le cadre de l’État fasciste. Gentile, qui suit en cela son grand maître Renzo de Felice, ne s’intéresse pas au fascisme générique, ni aux mouvements fascistes en dehors de l’Italie, ni au fascisme comme phénomène culturel européen pour ne pas dire universel. Pour les « allergistes », l’appui sur Gentile consiste en l’emprunt d’une conception étroite du fascisme axée sur le seul régime fasciste au pouvoir : l’étalon du fascisme devient le régime de Mussolini, parvenu à sa maturité. C’est une des erreurs fondamentales contre laquelle mettait en garde, on l’a vu plus haut, Michel Dobry : on ne peut comparer que ce qui est comparable, certainement pas un État dictatorial constitué à des mouvements opérant dans le cadre d’un régime démocratique.
15Le professeur italien commence par rappeler « que l’étude analytique des matrices culturelles des divers “fascismes” accomplie par Mosse pour l’Allemagne, Sternhell pour la France et [lui-même] pour l’Italie montre […] combien il est difficile de rattacher la spécificité de ces différentes traditions nationales à un phénomène unique et unitaire28 ». Voilà qui fait bien les affaires des « immunitaristes » : la spécificité nationale est censée l’emporter sur le dénominateur culturel commun. Enzo Traverso s’est livré à une lecture serrée de la contribution de Mosse, de Gentile et de moi-même à l’étude du fascisme : « dès 1983 », écrit-il, de Felice voyait « en Mosse, Sternhell et Gentile, à côté du sociologue italo-argentin Gino Germani, les chercheurs qui avaient apporté les contributions les plus importantes et novatrices à l’analyse du fascisme ». Et plus loin :
« Selon nos trois historiens le fascisme fut à la fois une révolution, une idéologie, une vision du monde et une culture. Une révolution, car il ne regardait pas vers le passé, mais voulait bâtir une société nouvelle. Une idéologie, car il concevait le nationalisme comme une alternative moderne aussi bien au socialisme qu’au libéralisme. Une vision du monde, puisqu’il inscrivait son projet politique dans une philosophie de l’histoire. Et une culture, puisqu’il voulait transformer l’imaginaire collectif, modifier les styles de vie, supprimer tout clivage entre vie privée et vie publique. Il s’agit, pour les trois, d’une “révolution de droite” “à la fois antilibérale et antimarxiste”, “spirituelle et communautaire”29. »
16Cependant, ce qui sépare Mosse et moi-même de Gentile n’est pas moins important que ce qui nous rapproche. En effet, pour découvrir les racines intellectuelles du nazisme, Mosse s’est penché sur la pensée Völkisch de la fin du xixe siècle, comme moi-même pour ce qui est du nationalisme tribal de La Terre et les Morts de Barrès dans son contexte boulangiste et antidreyfusard, sans oublier le poids de Renan et de Taine dont s’inspire l’auteur du Roman de l’énergie nationale dans la guerre qu’il mène aux Lumières et à la démocratie. Barrès est l’expression de la grande crise de la démocratie française du tournant du xxe siècle dans laquelle le fascisme puise ses racines. Quant à l’œuvre de Sorel, c’est la crise du marxisme que l’on suit, étoffée par la haine des Lumières françaises que charrient ses Illusions du progrès.
17Emilio Gentile, quant à lui, en dépit de toutes ses qualités et de l’importance que revêt sa contribution à l’étude du fascisme italien, n’est pas un comparatiste, il ne s’interroge pas pour parler comme Tocqueville, sur les « idées-mères » et sa vision du fascisme est limitée à l’Italie de l’entre-deux-guerres. Je suis en désaccord avec lui sur quelques points essentiels : d’abord quand il pense que les intellectuels du syndicalisme révolutionnaire italien à la veille de la guerre s’attendaient encore à une grève générale émancipatrice, ensuite quand il pense que « la Première Guerre mondiale fut bien la mère du fascisme comme idéologie et comme mouvement », et finalement quand il prétend qu’il n’existe pas de lien entre la guerre à la démocratie, au libéralisme et aux Lumières menée au cours de la période d’avant 1914 et les mêmes phénomènes au cours de la période qui suit et qui cette fois nourrissent un fascisme-mouvement30. Je ne reviens pas sur l’ensemble de la démonstration faite dans Naissance de l’idéologie fasciste, publiée en 1989 qui élargit la perspective purement française de l’ouvrage publié en 1983 (Ni droite, ni gauche) et qui apporte, me semble-t-il, la preuve du contraire de ce que prétend Gentile.
La question de la périodisation du fascisme
18Le fascisme a bien été « ce mal du siècle », comme disait Brasillach, un phénomène culturel européen mais pas seulement européen : de nouvelles études comparatives entre l’Italie et l’Amérique du sud apportent à cet égard un matériel précieux31. Ce siècle commence dans les années 1880, et ce n’est pas, comme le voudrait Eric Hobsbawm, un « court » siècle qui irait de la Grande Guerre à la chute du communisme. Les vingt dernières années du xixe siècle sont des années d’une profonde crise de civilisation, ce sont des années où la vie change avec une rapidité jamais connue dans le passé et annonce bien la naissance d’un monde nouveau. À la fin du xixe siècle, la démocratisation et l’amélioration des conditions de vie de la grande masse de la population modifient profondément non seulement la scène politique mais le cadre général de l’existence aussi bien dans les villes que dans les régions industrielles. L’ouvrier de l’an 1900 ressemble déjà davantage aux générations qui viendront qu’il ne ressemble à ses propres parents. Le siècle du Capital et de De la Démocratie en Amérique touche à sa fin lorsque, au cœur même d’une période de progrès technologique et scientifique sans précédent, le refus des Lumières et de leur héritage, du rationalisme, de l’humanisme et de l’universalisme, en devenant un phénomène de masse, acquiert sa force de rupture. Parce qu’il est une période d’incubation et parce qu’il présente toutes les caractéristiques d’une époque révolutionnaire, y compris évidemment dans le domaine de l’évolution intellectuelle, le dernier quart du xixe siècle – ou si l’on adoptait une périodisation analytique, on dirait le début du xxe siècle – est d’une richesse exceptionnelle. Une véritable révolution intellectuelle prépare les convulsions qui sous peu allaient produire le désastre européen du xxe siècle. La poussée du fascisme constitue une des faces de cette révolution intellectuelle. De là vient la dimension moderniste du fascisme, qui est bien un autre modernisme et non comme on le pense souvent à tort, un anti-modernisme32. Cette révolution qui bouleverse aussi bien le climat intellectuel que les réalités sociales, avec la poussée de l’antirationalisme et du nationalisme exacerbé doublé du darwinisme social, expose les limites de la démocratie et remet en cause les lois marxiennes de l’économie et de la société.
19Ces années sont celles de la grande crise de la démocratie et du libéralisme en France : l’Affaire Dreyfus fait corps avec le boulangisme et n’est pas compréhensible sans le boulangisme. Les boulangistes et les antidreyfusards engendrent un mécanisme qui permet pour la première fois d’en appeler à la destruction de la démocratie au nom du plus grand nombre et cette crise éclate en France avant de voir le jour ailleurs, car la France est alors la société démocratique et libérale la plus avancée du continent. C’est une démocratie qui fonctionne et qui a déjà inscrit à son palmarès des succès incontestables, alors que ce n’est le cas ni en Italie, ni en Allemagne. La poussée du fascisme dans l’après-guerre ne s’explique donc pas par la guerre mais par ce qui la précède : la guerre fournit les conditions et souvent les instruments qui permettent à cette idéologie de rupture déjà en place de devenir une force politique, mais elle n’invente ni la philosophie du fascisme, ni son idéologie.
20Sur cette grande crise de la démocratie, la première crise majeure du xxe siècle, vient se greffer la révision antirationaliste du marxisme. C’est ici qu’apparaît le rôle capital de Sorel : l’auteur des Réflexions sur la violence va, ni plus ni moins, poser un élément essentiel de la matrice théorique du fascisme. Il opère une révision antirationaliste du marxisme, et en même temps, se lance dans une violente critique de la tradition des Lumières et de la démocratie. Dans son essai sur Le Procès de Socrate publié en 1889, Sorel formule une des idées principales qui façonneront le fascisme : les civilisations fondées sur des mythes sont supérieures aux civilisations rationalistes et « matérialistes ». Si une renaissance est possible, ce sera par une victoire du mythe sur la raison. Ce sont donc les mythes et les sentiments qui doivent remettre l’Histoire en marche. Au fond, cette entreprise théorique développée par Sorel ne remet pas en cause les structures économiques du capitalisme mais entend liquider les valeurs morales et intellectuelles des Lumières et du libéralisme. C’est ce que j’ai appelé la troisième voie, celle du fascisme qui n’est ni de gauche, c’est-à-dire marxiste ou marxisant, ni de droite, c’est-à-dire conservateur et bourgeois, et qui entend changer le monde, opérer une révolution morale et spirituelle, mettre en marche la nation au moyen des mythes, tout en laissant intactes les structures économiques. Il ne s’agit plus d’abattre la bourgeoisie mais de la mobiliser au service de la nation et de détruire les valeurs intellectuelles du libéralisme en les assujettissant aux valeurs nationales.
21Voilà en quoi la France constitue un extraordinaire laboratoire d’idées. Transposées en Italie, ces idées pétrissent le syndicalisme révolutionnaire, mordent sur la gauche du Parti socialiste et s’allient au nationalisme en pleine croissance : leur rapide succès est un fait bien établi plusieurs années avant la guerre. Les Réflexions sur la violence ont été traduites en italien avec une introduction de Benedetto Croce, la première biographie intellectuelle de Sorel est publiée en Italie en 1910 par Agostino Lanzillo et les grands leaders du syndicalisme révolutionnaire, intellectuels et militants comme Sergio Panunzio et Michele Bianchi, s’en sont emparé. Et ces idées vont surtout avoir de l’influence sur la personnalité dominante du parti socialiste italien, le leader incontesté de son aile gauche, le rédacteur en chef d’Avanti !, Benito Mussolini.
22C’est ainsi qu’on en arrive à la seconde étape de la structuration de la pensée fasciste. L’analyse de cette période formatrice et fascinante constitue l’objet de Naissance de l’idéologie fasciste. Michels, Mosca qui seront fascistes jusqu’à la fin, Croce qui soutiendra Mussolini lors des moments critiques de son accession au pouvoir, Panunzio qui sera le théoricien le plus important du fascisme jusqu’à l’arrivée de Giovanni Gentile, Paolo Orano, Lanzillo, Angelo Oliviero Olivetti, développent au cours de cet avant-guerre une intense activité. Dans Naissance de l’idéologie fasciste est analysée pas à pas l’évolution de Mussolini, son intimité intellectuelle avec les leaders intellectuels du syndicalisme révolutionnaire tout au long des dix années qui précèdent août 1914. Tous les intellectuels syndicalistes révolutionnaires ne deviendront pas fascistes, mais la plupart des dirigeants syndicalistes importants figureront parmi les fondateurs du mouvement fasciste. La continuité entre l’avant et l’après-guerre ne peut faire de doute. Beaucoup occuperont même des postes clés dans le régime que fondera leur plus fameux compagnon de route. Tous ces hommes ne font que mettre en pratique idées et principes forgés ou assimilés tout au long de l’avant-guerre. Il est déraisonnable de prétendre que le bouillonnement intellectuel de cet avant-guerre n’a pas joué un rôle essentiel dans la poussée du fascisme. Le futurisme et le vorticisme n’appartiennent-ils pas à cet avant-guerre ? Le fait que certaines idées et certains éléments de la culture portés par le proto-fascisme ou le fascisme-idéologie avant de déboucher sur le fascisme-mouvement et le fascisme-régime aient nourri aussi d’autres mouvements n’y change rien33.
23Le dénominateur commun à tous ces révoltés est le refus de la décadence rationaliste, utilitaire qu’elle fût libérale ou marxiste, une soif de renouveau moral, de régénération nationale. Le mythe de la guerre révolutionnaire était commun aux nationalistes et aux syndicalistes révolutionnaires : depuis longtemps déjà, les soréliens italiens étaient parvenus à la conclusion que la grève générale était une chimère, que le prolétariat n’était pas la force révolutionnaire espérée et que seule la nation était capable du grand saut en avant dont l’Italie avait besoin pour renaitre34.
24Ainsi, l’idée selon laquelle le fascisme est un pur produit de la guerre et que le mouvement des idées de l’avant-guerre n’augure en rien des développements de l’après 1918 ne résiste pas à l’examen. Si le plus grand penseur italien depuis Vico, Croce, pouvait s’employer à faciliter à Mussolini sa marche au pouvoir et lui voter encore la confiance après l’assassinat de Matteotti, c’est parce que pendant les vingt ans qui précèdent 1914, il avait mené une violente campagne contre les Lumières et la démocratie. Tous les clichés, qui depuis la fin du xviiie siècle fondent la haine des Lumières, trouvent chez Croce leur terre d’accueil. « Non, décidément, la démocratie c’est le néant ! C’est le troupeau conduisant le berger, c’est le monde renversé, c’est le désordre, l’inanité et l’imbécillité organisée ». Croce apprécie tellement cette citation qu’il la reproduit mot pour mot en 1928, dans Pagine sulla Guerra, en pleine période de « fascisation » de l’État italien35.
25Cette campagne n’était pas le fruit d’un quelconque opportunisme, mais c’est bien sa pensée la plus profonde, qui s’exprime en 1910 dans son ouvrage, La Filosofia di Giambattista Vico, consacré à son idole, le grand ennemi de ce rationalisme cartésien, tout orienté vers les « formes de l’universel et de l’abstrait » et de l’école du droit naturel. Nul ne comprenait le fascisme mieux que Croce – ce n’est que plus tard qu’il se découvre l’âme d’un opposant – nul n’avait une vision plus exacte de son contenu intellectuel et de sa fonction politique. Peut-on prétendre que l’engagement fasciste de ce grand disciple de Vico, comme celui de Mosca et de Michels, ne doit rien à leur refus commun de la démocratie qui hantent les grands ouvrages des fondateurs des sciences sociales d’avant la Guerre ?
26C’est parce qu’il a été tout d’abord un phénomène culturel et un produit de la crise du tournant du xxe siècle que le fascisme a quelque chose à nous apprendre sur notre civilisation. C’est cette crise de civilisation et non pas la première guerre mondiale à elle seule qui a rendu possible le désastre européen du xxe siècle. Avant-Garde Fascism, l’important ouvrage récent de Mark Antliff, historien de l’art qui s’appuie sur les travaux sur le fascisme, notamment sur le fascisme français, permet de mieux comprendre la continuité entre la période qui précède la guerre et celle qui la suit36. Son travail, tout comme celui d’un historien de la littérature comme Uri Eisenzweig, auteur d’une magnifique étude sur la Naissance Littéraire du fascisme37, qui commence par l’œuvre de Barrès, contribuent à balayer les restes de la mythologie immunitaire. Les intellectuels fascistes des années trente savaient eux aussi que le fascisme n’était pas né au Chemin des Dames. En 1936, Pierre Andreu publie dans la revue Combat de Thierry Maulnier, un article intitulé « Fascisme 1913 ». Dans cet article, il cite Drieu La Rochelle : « Sans doute, quand on se réfère à cette époque, on s’aperçoit que quelques éléments de l’atmosphère fasciste étaient réunis en France vers 1913, avant qu’ils le fussent ailleurs. » Parlant de cette veillée d’armes que fut ce premier avant-guerre, son proche ami, Bertrand de Jouvenel exprime une pensée comparable : « Les historiens de l’avenir se demanderont si la France n’eût pas été, sans l’explosion d’août 1914, le premier pays à faire une Révolution nationale38. » Quatre ans plus tard, nous apprend Frédéric Postel, le lendemain de la débâcle, dans un article de L’Action française, reproduit le 17 juillet 1940 dans Le Journal des Débats, Thierry Maulnier s’exprime dans un même esprit : « La France a en elle-même, dans son histoire, dans ses traditions séculaires, dans ses forces vives, dans l’œuvre de ceux qui ont, en France même, bien avant l’apparition et le succès du fascisme en Italie, du national-socialisme en Allemagne, fait la critique, annoncé le déclin des institutions démocratiques et fixé les principes d’un nouvel ordre, toutes les ressources à sa renaissance39. »
La révolution culturelle fasciste
27Ce qui est typique du fascisme, c’est son caractère de révolution d’un type nouveau : une révolution culturelle, morale, politique et non pas économique et sociale. Contrairement au libéralisme et au marxisme qui privilégient l’économique, la pensée fasciste est fondée sur la supériorité et la primauté du politique, sur l’idée d’une révolution morale et politique qui serait une révolution nationale, forgeant le sentiment d’une entrée dans un monde nouveau. La nouveauté c’est, davantage que la révolution léniniste, le fascisme qui l’apporte : une révolution qui se fera au nom et pour la nation dans toutes ses classes rassemblées, une révolution qui permettra de mettre fin à la nature conflictuelle de la société, sans toucher aux structures économiques et sociales. À cette fin, il suffit de regarder la société non pas comme un agrégat d’individus, organisés ou non en classes sociales, mais comme un corps. On peut ainsi détruire le contenu intellectuel et moral du libéralisme – les droits de l’homme, la primauté de l’individu – tout en préservant l’économie capitaliste et les structures de la société bourgeoise ainsi que tous les bénéfices de la modernisation et du progrès technologique. En ce sens, le fascisme constitue aussi une mythologie politique, une mythologie d’unité et de renaissance, une volonté de « politique dépolitisée » en quelque sorte : ce n’est pas seulement le dégoût de la société bourgeoise ou le désenchantement d’une modernité rationaliste dans le sillage des Lumières françaises, mais une politique sans conflit, donc sans confrontation et sans compromis.
28Tels sont donc les ingrédients actifs du fascisme générique : un nationalisme tribal, exacerbé, un effort de renaissance et de régénération d’une société et d’une culture décadentes, brisées par le « matérialisme » des Lumières, du libéralisme et du marxisme. Dans l’après-guerre, l’antimarxisme philosophique prend la forme violente de l’anticommunisme. L’antirationalisme, le mythe de l’unité soutiennent cet effort de renaissance et de construction d’une civilisation nouvelle. L’arrivée d’un chef dans lequel la nation se reconnaît, gardien de l’unité et de l’identité du corps social, prend place dans ce dispositif : il apporte une réponse mythique aux dangers de la modernité rationaliste et traduit en termes concrets les grandes valeurs militaires que sont l’obéissance, la discipline, le sens du sacrifice. La violence sorélienne, créatrice de morale, fondatrice de l’effort de renaissance d’un monde vidé de sa substance par les Lumières, ces abstractions que sont les droits de l’homme tout comme le principe de l’égalité, lui-même produit du rationalisme des Lumières, la destruction de ce malheur que constitue l’anthropologie philosophique de Rousseau complètent le cadre conceptuel du fascisme. Voilà en quoi consiste la définition analytique du fascisme à l’aune de laquelle il convient d’analyser les mouvements et idéologies partis en guerre contre la démocratie et les Lumières, en Europe et en France comme ailleurs.
Retour sur la question de l’étalon italien et des critères du fascisme
29On l’a vu, l’école « allergiste » procède tout autrement : elle fabrique une définition technique, aussi étroite que possible, en partie inexistante nulle part ailleurs et inconnue de la recherche scientifique, en partie calquée sur le fascisme italien au pouvoir et le fascisme radicalisé de la République de Salò. Une démarche d’autant plus extrême que le nazisme est lui aussi appelé à la rescousse : ce serait là le vrai fascisme ? Pour Jean-Pierre Azéma le critère du fascisme c’est l’expansionnisme40, pour Winock, c’est l’esprit de conquête, l’impérialisme41 ; or, d’une part, les fascismes espagnols, belges, autrichiens, anglais ou roumains n’avaient en aucune façon pour objectif l’expansionnisme ou l’impérialisme, en tout cas pas plus que les démocraties de leur temps, et d’autre part, la IIIe République, a bien développé une politique expansionniste et impérialiste dont elle tirait une grande fierté. Ou encore les contentieux territoriaux en Europe centrale et orientale, ces anciennes terres d’Empire, n’ont rien à voir avec le fascisme. La Roumanie n’avait-elle pas obtenu la Transylvanie en échange de son entrée en guerre en 1916 aux côtés des pays de l’Alliance ? Pourquoi alors s’appuyer sur cet argument de l’expansionnisme ? Là encore, c’est l’étalon que forme l’Italie fasciste à son apogée, qui nous éclaire : la campagne d’Éthiopie de Mussolini est là pour donner ce critère du fascisme. Or, la conquête d’Éthiopie de 1936 constitue la suite de la première campagne d’Éthiopie de 1895-1896, qui s’est soldée par une terrible défaite pour l’armée italienne. Le rêve impérial italien engendre encore la guerre de Lybie de 1911, puis la campagne mussolinienne : on ne peut le lier aux politiques fascistes.
30Quant au second critère supposé apporter la preuve d’un non-fascisme vichyssois, l’absence de parti unique, il convient de rappeler que le parti national fasciste était un instrument d’accession au pouvoir, qui a fait élire à peine une trentaine de députés. Après la fascisation progressive des institutions du régime, il est resté le seul parti permis, mais n’a jamais dominé l’État ni exercé le pouvoir. Mussolini s’en méfiait sachant que ses concurrents les plus dangereux en avaient fait une base de pouvoir. Pétain, quant à lui, à l’heure de la débâcle, a vu la démocratie s’écrouler d’un coup : il n’avait nul besoin de parti ni pour conquérir le pouvoir, ni pour asseoir une brutale dictature. Lui-même méprisait la forme de parti. En l’espace de quelques semaines, la Révolution nationale a été mise en marche et les lois anti-juives viennent signifier qu’un monde nouveau est né. Si un siècle et demi de l’Histoire de France depuis la Révolution française a pu être ainsi balayé en l’espace de quelques semaines, c’est parce que la Révolution nationale se préparait depuis de longues années. Le régime de Vichy représente une variété extrême des principes particularistes – nationalisme, racisme – et un refus total des principes universels et abstraits – droits de l’homme et unité du genre humain. Le fascisme, partout dans le monde, reposait sur ces principes-là, et la comparaison avec l’Italie mussolinienne ne joue pas en faveur de Vichy. Cet argument-là semble plus solide que celui de l’unicité partisane.
31Les apologistes font de la Grande guerre la matrice du fascisme, ce qui évite de se pencher sur la révolte nationaliste française contre la démocratie du tournant du xxe siècle42. Assurément, la guerre permet à cette révolte une mobilisation des premières troupes du mouvement fasciste italien et du nazisme en Allemagne, elle joue un rôle certain dans la brutalisation des masses des combattants. Cependant, les « allergistes » qui, avec un demi-siècle de retard, découvrent George Mosse, oublient trop rapidement que les Italiens et les Allemands n’étaient pas seuls sur les champs de bataille de la Première guerre mondiale : les Français, les Britanniques et les Américains avaient eux aussi fait la guerre. Tous les combattants sont passés par des épreuves comparables, pourquoi, les uns (Italiens ou Allemands) deviendraient-ils des bêtes féroces, quand les autres resteraient républicains, voire deviendraient pacifistes. Pourquoi les Croix de Feu, pourtant organisés militairement et disposés à exercer une pression constante dans la rue, surtout dans les quartiers « rouges », auraient-ils échappé à ce processus de brutalisation ? Chris Millington a bien montré la place que tenait la violence dans la vie politique française des années trente et a largement documenté la proximité entre l’Union des Anciens combattants et les Croix de Feu43. L’analyse de Didier Leschi appelle de son côté à revoir toute la présentation des anciens combattants français à laquelle s’est appliqué Antoine Prost.
32La Guerre n’a pas joué de rôle notable dans la poussée du fascisme ni en Espagne, ni en Angleterre. En Espagne, dans son grand discours à l’occasion de la fondation de la Phalange, le 29 octobre 1933, José Antonio Primo de Rivera commence par une critique de Rousseau, poursuit par une attaque du libéralisme et du socialisme, pour terminer en rappelant que le nouveau mouvement « n’était ni de droite ni de gauche44 ». L’Espagne, comme tout le monde sait, n’a pas participé à la Guerre. En Angleterre, Oswald Mosley, le jeune et brillant ministre travailliste à qui on prédisait un avenir de Premier ministre, démissionne du gouvernement travailliste de 1929-1931, convaincu de l’incapacité de son parti de réagir à la crise économique, fonde le « New Party » puis la British Union of Fascists. Ce ne sont pas les souvenirs de la fraternité des unités de combat qui ont contribué à la naissance de ce mouvement, mais le modernisme du fascisme qui mobilisait de nombreux intellectuels en Grande-Bretagne comme ailleurs45.
33En France, les Croix de Feu sont évidemment au cœur des débats. Jean-Paul Thomas qui a écrit une thèse de doctorat sur le PSF de La Rocque sous la direction de Berstein, s’aligne sous la bannière allergiste et récuse en bloc tous les chercheurs français et étrangers qui ont argumenté sur le caractère fasciste des Croix de feu :
« Sur un mode polémique, ils se présentent volontiers comme la voix de tous les étrangers – aux deux sens du mot – à la prétendue école apologétique française. En bref, ces chefs de file rencontrés plutôt que suscités par Sternhell entendaient obtenir un effet de clameur éditoriale, en tirant profit de l’avantage stratégique d’une diffusion en langue anglaise, qui est celle de la majorité de ces auteurs46. »
34Suit une sorte de dénonciation mal construite, une longue jérémiade, sur la démarche de Michel Dobry et de son école politologique, de son mode de travail « faussement documentaire », de ses « cisailles sélectives déformantes », de sa « perspective “relationnelle”… fausse par son orientation unilatérale » et de ses « doutes sinueux47 ». Une cible de choix de Thomas est l’excellente contribution portant sur les Croix de feu de Didier Leschi au volume dirigé par Michel Dobry. En effet, Leschi démontre que, contrairement à ce que pense Antoine Prost, les Croix de Feu sont bien insérés dans la sociabilité des anciens combattants parce qu’au fond, leur radicalisation est aussi celle de beaucoup de ces anciens combattants. « Dix ans après la fin de la guerre », écrit Leschi, « la propulsion des Croix de Feu a correspondu à une évolution des mentalités des anciens combattants qu’atteste la littérature qui prospère en leur sein et où l’exaltation des héros l’emporte sur la victimisation48 » ; et surtout parce qu’ils bénéficient du parrainage de grandes figures militaires (Pétain, Weygand ou Lyautey) gouvernementales, parlementaires et religieuses (les évêques Louis, Liobet ou Luçon par exemple). En deuxième lieu vient la mystique du Front dont les Croix de Feu sont porteurs et qui nourrit l’opposition de la légitimité combattante à la légitimité parlementaire49 : c’est là le cœur de l’analyse de Didier Leschi et la similitude avec l’Italie, pour ne pas parler des noyaux durs des anciens combattants nazis, saute aux yeux. L’auteur montre comment « l’esprit ancien combattant » nourrit le style militaire des Croix de Feu et leur capacité à mobiliser permet à La Rocque de lancer des confrontations avec les communistes. C’est ainsi que le 22 juin 1935 l’organisation de La Rocque mobilise 6000 voitures pour transporter 25000 militants à Chartres ; les 2 et 4 octobre 1936 à Paris, La Rocque affronte la gauche au Parc des Princes : deux groupes de 20000 Croix de feu font face à 3000 communistes50. Chris Millington avait fait état de l’impact des manifestations motorisées des Croix de feu qui envahissaient les banlieues rouges51 et Kevin Passmore avait montré que les chevauchées motorisées dans les banlieues prenaient l’aspect d’une invasion d’un pays étranger. L’arrivée d’une expédition de dispos dans une banlieue ouvrière ne pouvait pas ne pas provoquer la violence52. Le but de ces descentes était l’intimidation mais aussi la conquête des cœurs des plus démunis : comme chez les nazis, ces déploiements de force étaient accompagnés de distribution de nourriture aux chômeurs53. L’affinité avec les nazis a frappé aussi un autre chercheur, Dieter Orlow, dans un travail plus récent encore54. Ce paramilitarisme se serait-il soudainement évaporé parce la Ligue des Croix de Feu dissoute par Léon Blum a été contrainte de se transformer en PSF ? Le mépris de la démocratie, de la décadence bourgeoise, les menaces constantes d’un coup de force quand l’occasion se présentera, l’appel au peuple contre ses représentants, les grandes manifestations de force des milliers de dispos, à pied ou motorisés, organisés en unités de combat contre l’ennemi de l’intérieur (communiste, voire socialiste), ne diffèrent en rien des pratiques et des discours de la British Union of Fascists d’Oswald Mosley, de la Phalange de José Antonio, sans parler de phénomènes analogues en Italie et en Allemagne avant la prise du pouvoir55. Les Croix de Feu savaient se servir de l’arsenal de la démocratie pour l’affaiblir et se préparaient le jour venu, quand l’occasion se sera présentée, à la liquider. Cependant, pour Berstein, aujourd’hui encore, les dispos n’ont jamais été que le service d’ordre d’un parti politique56. Troisième point, Didier Leschi montre encore que le PSF « prolonge la courbe du succès Croix de feu57 » et d’une certaine façon, peut s’appuyer sur la dissolution pour se poser en alternative.
Le cas Mounier
35Un autre exemple frappant de la cécité volontaire des partisans de la thèse immunitaire, constitue la lecture que fait Winock des écrits d’Emmanuel Mounier, de ceux des collaborateurs de la revue Esprit ainsi que de leur action politique dans les années d’avant-guerre, puis à Vichy. Il estime que mon intérêt pour Esprit devait avoir « quelque raison cachée », car comment expliquer autrement les questions que pouvait susciter chez moi « un périodique qui prend parti contre l’agression de l’Éthiopie par Mussolini, qui soutient le Front populaire, qui multiplie ses attaques contre l’antisémitisme et dont le directeur écrit l’un des textes les plus forts contre la capitulation de Munich devant Hitler58…? » Disons tout de suite que les raisons de l’attention que j’accorde à Mounier et son équipe sont d’une grande clarté : la revue Esprit et son directeur constituent un exemple frappant, l’un des plus significatifs, de l’attrait, pour ne pas dire la fascination exercée par l’idéologie fasciste dans les années trente. C’est précisément ce que cette démarche a d’emblématique. Ce que ne peut ou ne veut pas voir cet historien, c’est l’évolution de l’équipe d’Esprit, la revue et son prolongement dans l’école des cadres d’Uriage, continuée par une volonté clairement exprimée de participer activement à l’œuvre de renaissance nationale de Vichy et terminée par un effort de maquillage à la fin de la guerre. Le passage dans la Résistance ne peut gommer l’engagement à Vichy, d’autant qu’il se fait à une époque où le caractère sinistre de la dictature, avec ses lois anti-juives, était avéré. Pour l’équipe d’Esprit, la soif de renouveau spirituel et moral que portait la chute de la IIIe République justifiait l’acceptation de la dictature de l’été 1940, avec ses lois raciales. Il fallait s’engager avec ardeur dans l’œuvre de construction de la France nouvelle et l’équipe qui entoure Mounier s’emploiera dans les années qui suivent la Libération à faire comme si l’année 1940 n’avait jamais existé. Winock continue jusqu’à ce jour, en compagnie de Jeanneney et Berstein, et avec la collaboration de Paul Thibaud, à occulter les travaux de John Hellman et Antoine Delestre et à déformer cette histoire.
36Mon ancien éditeur, Michel Winock, n’a jamais su répondre au chapitre VIII de Ni Droite ni gauche, qui explique en une soixantaine de pages d’analyse de textes remis dans leur contexte, la démarche de Mounier depuis la fondation d’Esprit, jusqu’à l’interdiction de la revue à l’été 1941, son enseignement à Uriage et la fondation par ses disciples de l’Ordre des chevaliers d’Uriage. Car il ne s’agit pas seulement de Mounier, conférencier vedette, mais de son école et de ceux de ses disciples qui restent à Uriage jusqu’au jour de l’an 1943. Aujourd’hui Winock déplore que je considère son livre sur Mounier et Esprit comme apologétique et peu crédible mais comment se fait-il qu’il ne se soit jamais mesuré aux travaux de Hellman ou Pierre de Senarclens59 ?
37Or, il faut tout de même revenir à une histoire soucieuse de suivre les processus d’engagement. Procédons par ordre chronologique et écoutons d’abord Alexandre Marc, dans Esprit, en février 1933, juste après la conquête du pouvoir par Hitler :
« Devenir national-socialiste, c’était, pour un jeune Allemand, faire preuve d’indépendance par rapport au désordre établi. C’était condamner un monde sans grandeur livré aux lâches compromissions du libéralisme et à la tentation matérialiste. C’était affirmer hautement les vertus d’une discipline librement acceptée dans un monde corrompu et dégénéré. Les jeunes national-socialistes étaient mus par un besoin sincère de grandeur spirituelle qui se trouvait d’ailleurs en contradiction avec le dogme de la primauté de la race60. »
38En mai 1935 Mounier s’en va à Rome participer à un colloque sur le corporatisme organisé par l’Institut de culture fasciste. Winock minimise la signification de ce voyage en y voyant la preuve « d’un manque de sens politique évident61 ». Ne peut-on dire plutôt que Mounier voulait découvrir de ses propres yeux le fascisme en action, et en allant en Italie savait exactement ce qu’il faisait :
« Il faut d’abord, en dehors de toute position doctrinale, dire l’hommage de notre jeunesse aux hommes que nous avons rencontrés. Leur jeunesse, leur ferveur, leur combativité, après treize ans d’exercice du pouvoir, qui use tant d’hommes, sont une présence capable de guérir définitivement qui les fréquente pendant quatre jours, des éloquences forcées et inhumaines de nos politiciens de droite et de gauche. Ceux-mêmes qui, dans la délégation française, étaient par leur formation d’irréductibles adversaires du fascisme, ont dit publiquement la parenté profonde qu’ils ont sentie entre eux et l’élan constructif de ces générations neuves62. »
39Voilà où se trouve l’essentiel et cette idée revient à maintes reprises : cette « parenté profonde » entre les révolutionnaires, tous ceux qui partent à l’assaut de la vieille civilisation libérale et bourgeoise, unit dans un même refus ceux qui sont fascistes et ceux qui sont seulement fascinés par le fascisme. Un an plus tard, dans son texte fondamental, Manifeste au service du personnalisme, repris dans le premier volume de ses Œuvres, Mounier consacre un chapitre aux « Civilisations fascistes ». Voilà ce que l’on peut y lire :
« Quiconque a visité sans parti pris les pays fascistes, pris contact avec leurs organisations, avec leurs jeunesses, n’a pas manqué d’être frappé en effet de l’authentique élan spirituel qui porte ces hommes violemment arrachés à la décadence bourgeoise, chargés de toute l’ardeur que donne d’avoir trouvé une foi et un sens à la vie. Le nier, ou combattre des valeurs authentiques, bien que troubles, avec de larmoyantes fidélités à un monde décadent ou à des vertus en portefeuille, opposer une incompréhension de partisan ou des exhortations de sédentaires à des pays qui ont retrouvé le sens de la dignité, à des jeunesses qu’on a débarrassées du désespoir, à des hommes qui viennent de découvrir, après des années d’indifférence petite-bourgeoise, le dévouement, le sacrifice, l’amitié virile, c’est rejeter plus violemment dans les erreurs que l’on condamne une générosité mal orientée, mais vigoureuse63. »
40C’est ainsi que la haine de la démocratie, du libéralisme et du marxisme, réunis sous la définition globale de « matérialisme », l’emporte sur la critique du fascisme et du nazisme. Assurément, fascisme et nazisme, et Mounier sait fort bien faire la distinction entre les deux régimes, affichent eux aussi des caractéristiques « matérialistes », mais face à l’un et à l’autre, Mounier montre une compréhension qu’il n’a pas face aux faiblesses de la démocratie. N’oublions pas que nous sommes en 1936, la nuit des longs couteaux a eu lieu fin juin 1934, les lois de Nuremberg datent de 1935 et le camp de Dachau fonctionne dès l’accession de Hitler au pouvoir. Et pourtant l’indulgence de Mounier envers le régime n’a pas faibli. Il n’aime pas le racisme et il pense qu’il « n’était pas besoin pour résoudre quelques situations incontestablement difficiles, que M. Rosenberg dépassât les extrêmes limites du ridicule64 ». On se demande à quelles « situations incontestablement difficiles » Mounier fait-il ici allusion ? Dans ce contexte ce ne peut être que la place des Juifs dans la société allemande.
41Ici vient la suite dont l’intérêt est manifeste :
« Mais la communauté allemande avait besoin de mythes puissants pour croire en soi. On l’a remarqué, le racisme n’est pas tant un dogmatisme théorique qu’un moyen accessoire de renforcer l’affirmation du peuple allemand comme communauté historique. Celle-ci est la véritable divinité immanente, correspondant en dignité sacrée à l’État du fasciste italien. C’est elle qui commande, par sa vie sous-jacente, le socialisme communautaire substitué au socialisme scientifique comme la religio à la ratio ; elle qui anime le Parti, où il ne faut pas voir l’instrument de l’État, mais le cœur et l’âme de la nation… »
42Vient un autre passage éclairant, quand Mounier explique les raisons de sa préférence du nazisme par rapport au fascisme italien :
« Le national-socialisme n’affiche pas dans sa doctrine, à l’égard de la personne humaine, ce mépris qui est inhérent au juridisme romain. Çà et là, dans le système, au contact même des hommes, les germes de personnalisme y sont bien plus aisés à découvrir que dans l’étatisme romain. Une sorte d’optimisme biologique et national à la fois le soutient. […] Paganisme encore, mais un paganisme fleuri et confiant dans l’homme. Un courant d’amour circule du peuple à son Führer, la douceur en est toute différente du délire romain65. »
43Le fondateur d’Esprit est conscient des dangers que véhiculent le fascisme italien comme le nazisme, mais face à la petitesse, la mollesse de la démocratie, il est fasciné par la puissance, la vitalité, l’énergie, l’optimisme qui se dégagent de ces pays qui, comme lui se sont levés contre la décadence démocratique et brisé le « matérialisme ». Quand survient la défaite Mounier n’a pas de doutes : « Notre défaite est une défaite pour la France plutôt que pour l’armée française : tout au moins pour une certaine France et derrière elle une certaine forme de civilisation occidentale66. »
44C’est ainsi que l’engagement de Mounier dans la Révolution nationale durant l’année 1940-1941, ainsi que sa décision de reprendre la publication de la revue Esprit s’enracinent dans cette longue campagne menée dans les années trente contre la démocratie, contre l’individualisme, le libéralisme et le marxisme. Après Munich, il déplore la défaite de la France, mais attend que son pays en pleine décadence subisse un choc percutant : depuis la création d’Esprit, il attendait que « la France reçût quelque blessure salutaire67 ». La mort de la démocratie ouvrira la voie à cette révolution qu’ils n’ont pas cessé, lui et ses amis, d’appeler de leurs vœux tout au long de la décennie qui précède la guerre. L’obsession de la décadence, le sentiment d’assister à l’effondrement d’une civilisation individualiste et bassement « matérialiste » constituent la ligne maîtresse de ce mode de pensée. Ainsi apparaît, une fois de plus, l’attraction exercée par le fascisme, et ainsi s’explique également l’emprise de la Révolution nationale et, tout au moins à ses débuts, sa grande popularité. Tel est le cadre conceptuel d’Uriage où l’on inculque le culte de l’ordre, de la discipline, de la hiérarchie et de l’élitisme.
45Ce sont bien les deux premières années de Vichy qui comptent, c’est alors que sont posés les principes de la révolution en marche et c’est dans les premiers mois du nouveau régime que tous ces principes trouvent leur application. Nul ne peut prétendre qu’une quelconque ambiguïté recouvre la nature et les objectifs du nouveau régime. Nul ne peut soutenir que les hommes qui accourent à Vichy en cet été de 1940 pour participer à l’œuvre de la renaissance nationale lancée par Pétain, ne comprennent pas le rôle qu’ils acceptent de remplir dans la tragédie qui se joue en France le lendemain de la débâcle.
46Disons un dernier mot sur l’Ordre des chevaliers d’Uriage, puisque les apologistes refusent d’en entendre parler. La revue Esprit est interdite par Darlan à l’été 1941, non sans que Mounier ait eu le temps d’accueillir avec joie, en juillet 1941, l’invasion allemande de l’Union soviétique : il attend la chute du stalinisme, « le jour où elle se produira comme une délivrance pour l’Europe68 ». Dans un chapitre sur Maurice Blanchot, dans la seconde partie de son important ouvrage, The Seduction of Unreason, Richard Wolin, professeur à la City University de New York, voit dans le fameux communautarisme préconisé par Uriage, un projet autoritaire, hiérarchique et exclusif à l’égard des Juifs qui présente des points communs avec ceux développés dans les écoles de cadres nazies de l’époque69. Antoine Delestre donne le texte des premières consignes lancées par le Conseil de l’Ordre des chevaliers, ou plutôt du « pré-ordre », avec Beuve-Méry, Ferry et Dumazedier assistant Segonzac :
« Se protéger rigoureusement contre les francs-maçons en évitant actuellement une attitude hostile à leur égard. Du moins doit-on veiller absolument à ce qu’aucun d’eux ne s’introduise dans l’ordre. De la même façon, les israélites ne sont pas admis comme membres de l’Ordre, non plus que comme novices. Si nous sommes résolument hostiles à l’antisémitisme, surtout tel qu’il est pratiqué depuis l’armistice, nous ne devons pas sous-estimer le danger d’une revanche juive ni méconnaître l’existence d’une internationale juive dont les intérêts sont opposés à ceux de la France70. »
47En été 1945, alors que nul ne peut plus ignorer les réalités du nazisme, l’équipe d’Uriage publie, sous la direction de Gilbert Gadoffre, une grosse brochure, intitulée Vers le style du xxe siècle. Parmi les auteurs on remarquait entre autres les noms de Hubert Beuve-Méry, Jean-Marie Domenach et Simon Nora. Pensé et écrit par étapes entre 1943 et 1945, ce texte constitue de la part des « membres de l’équipe d’Uriage […] la synthèse de leurs idées communes71 ». Quelques pages (p. 60 à 64) sont consacrées à une analyse du « système nazi » en trois volets : « A. sa force », « B. sa faiblesse », « C. son bilan » divisé en « actif » et « passif ». Pire, l’actif est élogieux, le passif ne comporte pas une seule allusion au nazisme vécu, pas un mot sur la terreur, les camps, les déportés qui reviennent, le caractère diabolique du régime. Aujourd’hui, cela paraît à peine croyable de la part d’hommes et de femmes qui finirent quand même par porter les armes contre l’occupant, mais il n’y a sans doute rien qui puisse surprendre le lecteur d’Esprit ou d’Ordre Nouveau des années trente. À Uriage on se battait contre l’envahisseur, plutôt que contre les fossoyeurs de la liberté, de la démocratie et des droits de l’homme. De toute cette problématique pas un mot ni chez Winock ni chez Thibaud comme si cela n’avait jamais existé.
48C’est ainsi que la réécriture de l’histoire s’est engagée. Dans le chapitre de ses Mémoires consacré à « L’Ordre nouveau », Robert Aron fait comme si la « Lettre à Hitler » n’avait jamais existé. Fabre-Luce et Jouvenel déforment à coups de mensonges leur engagement aux côtés des nazis pour l’un, au service de Vichy pour l’autre. Ils sont couverts par Raymond Aron et ses disciples qui n’hésitent pas à prendre à cet effet quelques libertés avec la vérité historique. Il en est de même en ce qui concerne Carl Schmitt : comment expliquer qu’un fin connaisseur de l’Allemagne comme Aron, auteur de Clausewitz, puisse prétendre dans ses Mémoires publiés en 1983 que le juriste et politologue n’ait jamais été membre du parti nazi ? À la lecture de la défense de Paul de Man présentée par Jacques Derrida, quand furent découverts les articles du temps de l’Occupation et les mensonges de son ami72, on comprend mieux pourquoi un Aron pouvait se permettre de protéger Fabre-Luce et Jouvenel : sacrifier la vérité pour les amis idéologiques devait lui paraître légitime. Cependant, ce qui pouvait être encore compréhensible chez des hommes qui passèrent leur vie à gérer leur passé, ou qui comme Raymond Aron, pensaient dans la tourmente de la guerre froide que la guerre au communisme passait avant une réflexion sur le nationalisme, le fascisme et le nazisme, de nos jours constitue de la part d’historiens professionnels une carence inacceptable.
Notes de bas de page
1 Dobry Michel, « Février 1934 et la découverte de l’allergie de la société française à la “Révolution fasciste” », Revue française de sociologie, vol. 30, nos 3-4, juillet 1989, p. 511-533 ; Berstein Serge, « La France des années trente allergique au fascisme : à propos d’un livre de Zeev Sternhell », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 1, vol. 2, 1984, p. 83-94.
2 Dobry Michel, « Février 1934… », art. cité, p. 512-516, 518, 527.
3 Ibid., p. 529.
4 Ibid., p. 529-531.
5 Ibid., p. 532. Michel Dobry pense que le travail de Paxton ainsi que le mien suggèrent que la défaite et l’instauration du régime de Vichy constituent « une véritable “situation expérimentale” ».
6 Cité in Sternhell Zeev, Ni Droite ni gauche. L’idéologie fasciste en France, Paris, Gallimard, Folio-Histoire, 2015, p. 702.
7 Titulaire de la chaire James-McGill d’étude du discours social, M. Angenot est l’auteur d’un long essai de 200 pages, publié en 2009 dans la revue canadienne Discours social : « L’Immunité de la France envers le fascisme : un demi-siècle de polémiques historiennes. »
8 Ici il faut préciser, dès l’entrée en matière, qu’il existe une grande différence entre R. Rémond et ses disciples : l’auteur de La Droite en France, ouvrage publié en 1954, refondu en 1982 sous le titre Les Droites en France, avait donné une interprétation, excellente, mauvaise ou discutable, comme on voudra, mais qui était la sienne, alors que ses disciples n’ont fait que l’imiter, souvent d’une manière caricaturale.
9 Angenot Marc, « L’Immunité… », art. cité, p. 5-7 (voir note 7).
10 Bingham John, « Defining French Fascism, Finding Fascists in France », Canadian Journal of History, no 3, vol. 29, 1994, p. 525-543.
11 Dobry Michel (dir.), Le Mythe de l’allergie française au fascisme, Paris, Albin Michel, 2003, p. 7.
12 Ibid., p. 11.
13 Angenot Marc, « L’Immunité… », art. cité, p. 77-78.
14 Ibid., p. 79.
15 Ibid., p. 78.
16 Jenkins Brian (dir.), France in the Era of Fascism. Essays on the French Authoritarian Right, New York, Berghahn Books, 2005. Les co-auteurs sont Michel Dobry, Kevin Passmore, Robert Paxton, Robert Soucy et moi-même.
17 Angenot Marc, « L’Immunité… », art. cité, p. 81-82 ; Bingham John, « Defining French Fascism… », art. cité.
18 Dobry Michel, « La thèse immunitaire face aux fascismes », in Le Mythe de l’allergie…, op. cit., p. 37.
19 Paris, CNRS Éditions, 2014.
20 Jeanneney Jean-Noël, « Introduction », Fascisme Français ?, op. cit., p. 15.
21 Milza Pierre, Fascisme Français. Passé et Présent, Paris, Flammarion, 1987, p. 8 ; Sirinelli Jean-François, « Les Intellectuels », in Rémond René (dir.), Pour une histoire politique, Paris, Seuil, 1988, p. 206.
22 Forlin Olivier, Le Fascisme : Historiographie et enjeux mémoriels, Paris, La Découverte, 2013 ; Kestel Laurent, La conversion politique, Doriot, le PPF et la question du fascisme français, Paris, Raisons d’agir, 2012 ; Leschi Didier, « L’Étrange cas La Rocque », in Dobry Michel (dir.), Le Mythe de l’allergie…, op. cit.
23 Cf. Iordachi Constantin (ed.), Comparative Fascist Studies : New Perspectives, Londres, Routledge, 2010 et Woodley Daniel, Fascism and Political Theory, Londres, Routledge, 2010. En plus de ces deux ouvrages, cf. également Mann Michael, Fascists, Cambridge, Cambridge University Press, 2004 ; Griffin Roger, Modernism and Fascism. The Sense of beginning under Mussolini and Hitler, Londres, Palgrave MacMillan, 2007 ainsi que trois grandes anthologies qui donnent un aperçu très complet de l’état de la recherche et des auteurs qui y ont contribué : Kallis Aristotle A., The Fascism Reader, Londres, Routledge, 2003 et Griffin Roger (ed.), Fascism, Oxford, Oxford University Press, 1995, Griffin Roger (ed.), International Fascism. Theories, Causes and the new Consensus Oxford, Oxford University Press, 1998. De Griffin, voir aussi un article où il résume la problématique des débats sur le fascisme à l’adresse des lecteurs francophones : « Consensus ? Quel consensus ? », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 108, 2010. Il ne semble pas que le trio Jeanneney-Berstein-Winock ait tiré un grand profit de ces publications, y compris celle abritée par leur propre revue.
24 Naissance de l’idéologie fasciste, Paris, Fayard, 1989 ; Gallimard, folio Histoire, 1994, traductions en huit langues. « Fascist Ideology » in Laqueur Walter (ed.), Fascism, A Reader’s Guide. Analyses, Interpretations, Biblography, Berkeley, University of California Press, 1976 (nombreuses réimpressions). Voir aussi mes contributions plus récentes à la réflexion sur le fascisme : « How to Think about Fascism and its Ideology », Constellations, An International Journal of Critical and Democratic Theory, no 3, vol. 15, 2008 ; « Reflexions on the Fate of Ideas in the 20th Century », Journal of Political Ideologies, no 2, vol. 5, 2000. Dans ce contexte, voir aussi l’article récent de Garau Salvatore, « If Liberalism Steps into the Fascist Synthesis : The Diverging Views of Zeev Sternhell and Ishay Landa on the origins of fascist ideology », Journal of Political Ideologies, vol. 19, no 1, 2014, p. 60-77.
25 Fascisme Français ?…, op. cit., p. 15.
26 Archives personnelles.
27 Nietzche Friedrich, « De l’Utilité et de l’inconvénient de l’histoire pour la vie », in Œuvres, éd. Jean Lacoste et Jacques Le Rider, Paris, Laffont, coll. « Bouquins », 1993, p. 264.
28 Fascisme Français ?, op. cit., p. 166-167. On remarquera les guillemets sur « fascisme » dans le contexte non italien.
29 Traverso Enzo, « Interpréter le fascisme : À propos de George L. Mosse, Zeev Sternhell et Emilio Gentile », La Revue Internationale des Livres et des Idées, no 3, janvier-février 2008, p. 2 (traduit de l’anglais, texte original dans la revue Constellations, vol. 15, no 3, 2008).
30 Je me réfère au texte imprimé dans Fascisme français ? p. 159-171 ainsi qu’à l’article d’Enzo Traverso, « Interpréter le fascisme », art. cité, p. 8.
31 Finchelstein Federico, Transatlantic Fascism : Ideology, Violence and the Sacred in Argentina and Italy, Durham and London, Duke University Press, 2010. Voir aussi du même auteur The Ideological Origins of the Dirty War : Fascism, Populism, and Dictatorship in Twentieth Century Argentina, Oxford, Oxford University Press, 2014.
32 J’ai insisté sur le caractère avant-gardiste des sources du fascisme, le futurisme de Marinetti, le vorticisme de T. H. Hulme et Wyndham Lewis dans Naissance de l’idéologie fasciste, op. cit. Sur cet aspect fondamental du fascisme, voir les travaux récents et excellents de Antliff Mark, Avant-Garde Fascism : The Mobilization of Myth, Art and Culture in France, 1909-1939, Durham et Londres, Duke University Press, 2007 et Griffin Roger, Modernism and Fascism, The Sense of Beginning under Mussolini and Hitler, New York, Palgrave MacMillan, 2007.
33 Je ne reviendrai pas dans ce contexte sur le rôle, la fonction et la méthodologie de l’histoire des idées dont je parle ailleurs, notamment dans l’Introduction à mes Anti-Lumières. Sur ce sujet on peut lire avec profit Traverso Enzo, « Lumières et anti-Lumières. Sur l’histoire des idées de Zeev Sternhell », La Revue internationale des Livres et des Idées, no 9, 2013 ; Germinario Francesco, « Fascisme et idéologie fasciste. Problèmes historiographiques et méthodologiques dans le modèle de Zeev Sternhell », Revue française de l’histoire des idées politiques, no 1, 1995.
34 Je renvoie une fois encore à Naissance de l’idéologie fasciste. Voir aussi l’ouvrage de Griffin Roger, Modernism and Fascism, op. cit., p. 206.
35 Voir mes Anti-Lumières, Paris, Gallimard, 2010, p. 615 et 618.
36 Antliff Mark, Avant-Garde Fascism, op. cit. Voir aussi le beau livre de Michaud Éric, Un art de l’éternité : l’image et le temps du national-socialisme, Paris, Gallimard, 1996.
37 Eisenzweig Uri, Naissance Littéraire du fascisme, Paris, Seuil, 2013.
38 Cité in Ni Droite ni gauche, op. cit., 2012, p. 176.
39 Postel Frédéric, « Michel Blanchot sans guillemets », compte rendu de l’ouvrage de Michel Surya, L’Autre Blanchot. L’écriture du jour, l’écriture de nuit, La nouvelle Quinzaine littéraire, 1128, 16 mai 2015.
40 Azéma Jean-Pierre, « Vichy, un régime fasciste ? », in Fascisme français ?, op. cit., p. 224.
41 Winock Michel, « Retour sur le fascisme. La Rocque et les Croix-de-feu », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 90, 2006, p. 21.
42 Contrairement à ce qu’énonce S. Berstein, je ne dis pas que « le fascisme est tout entier constitué dans la pensée de Barrès et de la “droite révolutionnaire” bien avant que la guerre n’éclate ». (« Une bien étrange approche de l’histoire », in Fascisme français ?, op. cit., p. 25). Cette phrase n’est pas simplement une bêtise, elle est une perversion de ma pensée, tout comme l’affirmation que l’on trouve quelques pages plus haut : « il verra dans le roman publié en 1897 [Les Déracinés] la genèse d’un fascisme français sorti tout armé du cerveau de l’auteur ». Or dans l’introduction à Naissance de l’Idéologie fasciste, je rappelle à l’inverse l’importance de l’expérience de la Première guerre mondiale : « À cet égard, la guerre joue un rôle déterminant dans la cristallisation finale de l’idéologie fasciste, non seulement en ce qu’elle apporte la preuve des capacités mobilisatrices du nationalisme, mais aussi parce qu’elle dévoile l’énorme puissance de l’État moderne. La guerre ouvre des horizons tout à fait nouveaux sur les capacités de planification et de dirigisme économique […] La guerre démontre combien grandes peuvent être les capacités de sacrifice de l’individu, combien superficielle est l’idée d’internationalisme, et combien il est facile de mobiliser toutes les couches de la société au service de la collectivité […] avec quelle facilité il est possible de suspendre les libertés démocratiques et de faire accepter une quasi dictature… La Grande Guerre a été pour les fondateurs du fascisme un laboratoire où se sont concrètement vérifiées les idées qu’ils avaient avancées tout au long de la première décennie du siècle. » (Op. cit, p. 64-65.)
43 Millington Chris, « Political Violence in Interwar France », History Compass, no 3, 2012 ; Millington Chris, « L’Union nationale des combattants 1933-1939 séduite par le fascisme ? », Communication présentée au Colloque international du Centre de recherches politiques de la Sorbonne (CRPS) sur « Les droites françaises de l’entre-deux-guerres : mouvements politiques et intellectuels. Du conservatisme au fascisme », tenu les 13-14 novembre 2008.
44 Primo De Rivera José A., Selected Writings, édités et introduits par Hugh Thomas, Londres, Jonathan Cape, 1972, p. 49-53.
45 Judt Tony (avec Snyder Timothy), Thinking the Twentieth Century, New York, the Penguin Press, 2012, p. 64-65. La comparaison avec le mouvement de Mosley est particulièrement intéressante, car il s’agit d’un mouvement opérant en régime démocratique : voir les travaux de Rees Philip, Fascism in Britain, Sussex, The Harvester Press, 1979 ; Benewick Robert, The Fascist Movement in Britain, Londres, The Penguin Press, 1971 ; Skidelsky Robert, Oswald Mosley, London, McMillan, 1975.
46 Thomas Jean-Paul, « Croix de Feu et PSF : les variations de Zeev Sternhell », in Fascisme Français ?, op. cit., p. 121.
47 Ibid., p. 128-132.
48 Leschi Didier, « L’Étrange cas des Croix de Feu », in Dobry Michel (dir.), Le Mythe de l’allergie…, op. cit., p. 163.
49 Ibid., p. 169-170 et p. 185.
50 Ibid., p. 183-184.
51 Millington Chris, « L’Union Nationale des Combattants 1933-1939 séduite par le fascisme ? », loc. cit.
52 Passmore Kevin, « Boy Scouting for Grown-Ups ? Paramilitarism in the Croix de Feu and the Parti Social Francais », French Historical Studies, no 2, 1995, p. 548-549.
53 Ibid., p. 536.
54 Orlow Dietrich, The Lure of Fascism in Western Europe. German Nazis, Dutch and French Fascists, 1933- 1939, New York, Palgrave McMillan, 2009, p. 28.
55 Je me permets de renvoyer ici à Ni Droite ni Gauche, p. 122-138 dans l’édition Gallimard 2012.
56 Serge Berstein dans L’Obs, 6.11.2014.
57 Leschi Didier in Dobry Michel, op. cit., p. 182.
58 Winock Michel, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Paris, Seuil, 2014, p. 488.
59 Ibid. ; Hellman John, Emmanuel Mounier and the Catholic Left : 1930-1950, Toronto, University of Toronto Press, 1981 ; The Knight Monks of Vichy France : Uriage 1940-1945, Montréal-Londres, McGill-Queen’s University Press, 1993 ; The Communitarian Third Way : Alexandre Marc’s Ordre Nouveau, 1930- 2000, Montréal-Londres, McGill-Queen’s University Press, 2003, Senarclens Pierre de, Le Mouvement « Esprit », 1932-1941, Lausanne, L’Âge d’homme, 1974.
60 Marc Alexandre, « Jeunesse allemande », Esprit, 5, 1er février 1933, p. 726-727. Pour ce qui est des personnalistes de l’Ordre Nouveau et de l’attrait exercé par le nazisme, voir la « Lettre à Adolf Hitler, Chancelier du Reich » de novembre 1933. Robert Aron occulte soigneusement cette lettre dans ses Fragments d’une vie, ouvrage publié chez Plon en 1981.
61 Winock Michel, Histoire politique de la revue Esprit 1930-1950, Paris, Seuil, 1975, p. 84.
62 « Esprit au congrès franco-italien sur la corporation », Esprit, 33, juin 1935, p. 475.
63 Mounier Emmanuel, Œuvres de Mounier, 1931-1939, Paris, Seuil, 1961, p. 501.
64 Ibid., p. 506.
65 Ibid.
66 Le 25 octobre 1940, la revue catholique américaine The Commonwealth, p. 8-11, publie un message de Mounier. C’est John Hellman qui a trouvé ce texte.
67 Mounier Emmanuel, « Lendemains d’une trahison », Esprit, no 73, octobre 1938, p. 3.
68 Mounier Emmanuel, « Fin de l’homme bourgeois », Esprit, no 102, juillet 1941, p. 609.
69 Wolin Richard, The Seduction of Unreason : The Intellectual Romance with Fascism From Nietzsche to Postmodernism, Princeton, Princeton University Press, 2004, p. 203.
70 Delestre Antoine, Uriage, une communauté et une école dans la tourmente 1940-1945, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1989, p. 200-201.
71 Gadoffre Gilbert (dir.), Vers le style du xxe siècle, Paris, Seuil, 1945, Avertissement. Je dois à Jean-Jacques Marie, directeur des Cahiers du mouvement ouvrier d’avoir retrouvé la piste de ce texte passionnant. L’existence de ce texte est brièvement mentionnée par John Hellman dans The Knights-Monks of Vichy France, op. cit., p. 206.
72 Derrida Jacques, Mémoires : pour Paul de Man, Paris, Galilée, 1988. Je me suis penché sur le cas Paul de Man dans « The Making of a Propagandist », The New Republic, 6 mars 1989.
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