Introduction. Saisir la consistance des crises
p. 9-15
Texte intégral
Michel Dobry, vers le milieu des années 1980.

Une œuvre singulière dans l’histoire de la science politique française, et dans son rapport à l’histoire
1Il faudrait rappeler ce qu’a représenté pour beaucoup de jeunes politistes la sortie du livre de Michel Dobry en 1986. Publié aux Presses de la Fondation nationale des sciences politiques1, Sociologie des crises politiques s’inscrivait d’emblée dans la science politique et pourtant… Il a été lu avec peine car l’écriture en est, on l’a assez dit par la suite, assez aride mais surtout parce que ce livre était et reste d’une facture assez inédite, en France en tout cas : pas vraiment « un terrain » mais des retours récurrents sur des phases évènementielles (février 1934, mai 1958 ou mai 1968 en France, l’Allemagne de Weimar, la révolution iranienne de 1978-1979 etc.) appuyés sur une abondante littérature sociologique et historique, sur des témoignages, des thèses… Les travaux, convoqués pour être aussitôt revisités, insérés dans le raisonnement, contribuaient aux opérations de généralisation et nourrissaient une construction problématique structurée par le repérage et les propriétés des conjonctures fluides. Les réflexions théorico-empiriques sur quelques concepts (l’habitus, la légitimation) et outils d’analyse nourrissaient les chapitres et prenaient presque une consistance narrative. Le rapport aux auteurs et à leurs œuvres était lui-même décapant, comme si une sorte de conversation se nouait devant nous avec les textes, avec les concepts, avec les hypothèses et les dynamiques historiques qu’elles éclairaient : Etzioni, Dahl, Goffman, Weber, Easton, Schelling, autant d’auteurs relus, revus, discutés avec un sérieux, et un enthousiasme peu communs ; pas de révérence dans la référence mais une capacité à revisiter, déplacer parfois, les interprétations et les usages les plus routinisés des auteurs connus tout autant qu’à faire découvrir des auteurs jusque-là peu lus en France.
2Quand on se donnait le temps, on voyait surgir dans ce qui pouvait sembler aux plus hostiles une réflexion vaine et tortueuse, apparemment déconnectée de tout terrain empirique propre, une offre nouvelle, très « opérationnelle » : celle de l’histoire mobilisée au cœur de la sociologie politique. Il ne s’agissait pourtant pas d’en appeler à la discipline historique, de privilégier des terrains forcément passés, d’emprunter les méthodes spécifiques de l’histoire (comme le feront par exemple ceux qu’on appellera les « socio-historiens » ou les « sociologues historiens » qui se nourriront d’archives) ou même de citer prioritairement des historiens. L’épistémologie de Michel Dobry n’est pas historiciste, on y reviendra. Il s’agissait davantage de repenser les causalités, de reconstruire les situations dans lesquelles les acteurs se déplacent, interagissent, calculent et éventuellement mobilisent leurs dispositions. Ce que faisait réadvenir la sociologie des crises, c’était la possibilité de travailler sur des processus, des dynamiques historiques, des événements, des basculements. Cette histoire-là revenait sans lois écrasantes, mais avec des préoccupations nomologiques un peu décalées. Elle permettait le travail sur des situations singulières, elle autorisait aussi une sensibilité nouvelle à la chronologie (la fameuse « histoire en train de se faire »), sans rien abandonner de la sociologie.
3Dans l’histoire de la science politique française, il est une petite victoire originelle : celle des behavioristes, armés de sondage, d’échelles d’attitudes, productrices de typologies, contre les « vie-politistes » qui dans les premiers temps entendaient rendre compte de l’évolution des régimes, et des idéologies. Ce petit basculement a particulièrement affecté le développement de la sociologie politique : la revendication de l’analyse de l’actualité politique (campagnes électorales, vie partisane, conflits politiques divers) avait caractérisé nombre des pionniers de la discipline, disposés à occuper un terrain laissé en jachère par les historiens2, abandonné à quelques journalistes (comme Jacques Fauvet ou Pierre Viansson-Ponté). Or à partir de 1978, la création d’un laboratoire d’histoire du temps présent (IHTP) dévalue quelque peu l’entreprise des premiers politistes. Surtout, l’étude des élections, à grand renfort de sondages, la recherche de dispositions sociales pour comprendre l’engagement politique, la mise en place de typologies partisanes, et la découverte des conditions de la mobilisation prennent durablement l’avantage, et sont les lieux principaux d’innovation disciplinaire. Bref, pour les apprentis politistes en quête de sujets de thèse, le choix d’un événement, d’une rupture historique, et même d’une révolution, était finalement devenu, sinon risqué, du moins peu rassurant en termes d’outils théoriques et empiriques, de collectifs de discussion ou d’insertion dans des réseaux scientifiques. L’importation d’une sociologie bourdieusienne qui avait considérablement bouleversé la science politique dans les années 1980 avait fait porter l’innovation et la recherche du côté de phénomènes plus structuraux, de dispositions relativement stabilisées et assez puissantes pour rendre compte de l’action. Un des points forts de ce programme tenait à la recherche de lois ou quasi lois sociologiques : la sélection sociale du personnel politique, les conditions de l’intérêt pour la politique, les modes d’investissement dans l’acte électoral, ou dans l’engagement militant, la mise en avant de stades de développement des mobilisations, de cycles de gouvernement, de facteurs de révolutions, nourrissaient la discipline. Finalement, ce programme se passait sans dommage de l’étude précise des situations. Plus exactement, il entendait rendre compte des situations à partir de tendances générales liées aux dispositions sociales (les hypothèses de Pierre Bourdieu sur le déclenchement de mai 1968 sont exemplaires de ce déplacement de l’enquête sociologique).
4Ce qu’ouvre alors la sociologie des crises de Michel Dobry, c’est une attention portée aux situations, non comme « variable dépendante », si l’on veut mobiliser ce vocabulaire, mais comme « variable indépendante », affectant les ressources et les dispositions sociales des individus. Comme le souligne Cyril Lemieux, l’habitus pèse plus ou moins selon les situations dans la détermination de l’action3. Il faut alors suivre les modes de construction de ces situations, en rendre compte – y trouver, ici aussi, des régularités, des dynamiques comparables –, repérer des phénomènes similaires que l’on n’avait pas l’habitude de considérer et d’interroger sur ce mode, comme les processus de désobjectivation de certains univers sociaux, ou le caractère multisectoriel de certaines mobilisations. C’est tout un ensemble de causalités qui est dynamité dans cette recherche : tout n’est pas joué avant, tout ne se lit pas dans les résultats des mobilisations, les identités sociales individuelles ou collectives, les calculs, et même les formes de structuration de l’action se tordent, se défont, se reforment au cours même des événements.
5Il est remarquable que des auteurs issus de disciplines différentes se retrouvent autour des années 2000 sur ce programme, alors même qu’ils n’échangeaient en aucune façon auparavant. Le travail de Timothy Tackett sur les députés du Tiers-État qui deviennent révolutionnaires au cours de la révolution4, ou celui, extrêmement précis, d’Ivan Ermakoff5 sur les situations affrontées par les députés français en 1940 ou les députés allemands en 1933, relèvent de cette convergence interdisciplinaire qui montre un déplacement général des sciences sociales : une nouvelle focale historique qui n’épouse en rien les courbes d’un simple retour de balancier vers une sociologie individualiste ou une histoire événementielle.
De la consistance des crises à celle de l’ordre social
6Sur des terrains variés, par exemple tout récemment à l’occasion des révoltes arabes, les réflexions tirées de Sociologie des crises politiques, récemment réédité, ne semblent pas avoir vieilli et permettent toujours aussi bien de saisir les logiques des basculements historiques. Parce que cette sociologie a su marier la prise en compte structurale de la différenciation des espaces sociaux, et une attention soutenue à la désobjectivation des repères, il s’agit sans doute d’une des œuvres les plus fécondes pour saisir les épuisements rapides de légitimité6. Elle invite à porter attention de la façon la plus fine possible au déroulement des crises, aux phénomènes de coordination d’attention aux comportements des autres, que leurs issues soient de l’ordre de la panique boursière, de la crise de régime ou du retour à la normale.
7Son travail peut ainsi être d’une étonnante efficacité pour saisir avec prudence ce qui se joue dans une crise ou un phénomène de bouleversement politique : une des auteures de ce livre en a fait par exemple l’expérience en s’efforçant d’appliquer une grille de lecture inspirée de Michel Dobry à la crise politique qu’a connue le Mali en 2012. Les mêmes commentateurs qui avaient fait du Mali un modèle de démocratie dans les années 1990-2000 ont considéré que la corruption et l’insatisfaction sociale observées dans les années précédentes avaient miné la légitimité d’un régime rétrospectivement vu comme condamné à s’effondrer. Il ne s’agit pas tant de moquer ces retournements interprétatifs de la dernière heure (en 2011, alors que le Sénégal voisin d’Abdoulaye Wade semblait glisser sur une pente autoritaire, on rappelait encore à quel point le Mali était un exemple), mais plutôt de se demander ce que l’effondrement rapide du régime devait aussi à ce qui s’était joué dans les mois de janvier-mars 2012. Il était bien plus fécond de reconstituer comment l’effondrement du régime d’Amadou Toumani Touré, bien davantage que de la perte en amont d’un stock de légitimité, provenait de moments successifs qui avaient révélé de façon critique sa faiblesse aux yeux de la population (soulèvement indépendantiste puis djihadiste dans le nord du pays en janvier 2012 et état d’impréparation de l’armée, manifestations de femmes de soldats l’invectivant en public à la télévision fin janvier-début février 2012, et en mars révolte d’officiers mécontents à l’occasion d’une inspection). Face à la mollesse du pouvoir, et prenant conscience des opportunités qui s’ouvraient à eux, ces jeunes officiers eurent vite fait de transformer cette révolte en putsch7.
8La sociologie de Michel Dobry ne peut cependant être lue comme une seule contribution à la lecture des effondrements brutaux de légitimité, quel que soit le nom qu’on leur donne (conjonctures fluides du point de vue conceptuel, émeutes, mouvements sociaux, crises ou révolutions dans le langage ordinaire). D’abord par refus de l’exceptionnalisme méthodologique. Ensuite et surtout parce que c’est une sociologie qui, par réfutation de la thèse immunitaire, montre aussi que le fait qu’un régime aie tenu, n’aie pas basculé, ne dit rien de sa solidité, de sa légitimité ou de la conviction et du soutien que lui apportaient élites et gouvernés. Les travaux de Michel Dobry, comme par exemple ses réflexions sur février 1934 ou sur la thèse de l’allergie de la France au fascisme, sont aussi de l’ordre de la prophylaxie épistémologique pour éviter de céder aux lectures rétrospectives de l’histoire. Une des auteures de ce livre a ainsi repris à nouveaux frais l’analyse du basculement de régime de 1958 et surtout interrogé chacun des signaux donnés, sans grande discussion, de la baisse de légitimité d’un régime, et donc, supposément, précurseurs de sa chute8. Les hypothèses de Michel Dobry permettent de repérer et d’ouvrir tous les « cela va sans dire » de ces causalités établies ; certains des arguments expliquant la chute d’un régime, le charisme d’un homme, la « nature » d’une Constitution forment bien souvent des boîtes noires, jamais ouvertes et qui jouent comme autant de points de départ des explications et interprétations. Or l’énigme est dans ces boîtes noires, refermées très vite dès la mise en place de la Ve République et qu’il faut ouvrir une à une, précautionneusement : par exemple, l’opinion publique est-elle hostile au régime de la IVe République et comment le mesurer ? Le général de Gaulle est-il populaire et attendu en mai 1958 ? On pourrait aussi changer l’angle : à partir de quand ces explications deviennent-elles « vraies » et « convaincantes », c’est-à-dire non questionnées et réemployées sans précaution ? La sociologie de Michel Dobry engage à penser les deux choses. Si délégitimation antérieure il y a, c’est plutôt dans la rupture des loyautés et des arrangements entre certains groupes stratégiques au maintien de l’État (policiers, militaires, hauts fonctionnaires) qu’il faut les chercher ; ici, les preuves sont multiples de la défection de certains groupes au sein de l’appareil répressif et militaire et ce, aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre. D’autre part, d’autres phénomènes vus comme les moteurs des crises sont en fait des produits des solutions trouvées. La fameuse popularité gaullienne ou encore le rejet par l’opinion de la classe politique de la IVe République se jouent et se prouvent après le changement de régime dans un certain nombre de consultations électorales et même, nouveauté signifiante, dans la publication de sondages. On peut sans doute avoir l’impression de se perdre dans les méandres d’une vie politique événementielle (et d’ailleurs recevoir un certain nombre de critiques désajustées portant sur le retour supposé à une histoire politique « à la papa » au motif que l’analyse considère ici que dans certaines situations notamment, les hommes, les calculs et la chronologie du temps court sont susceptibles de compter), mais c’est aussi pour mieux aller chercher d’autres régularités solides : l’importance des processus horizontaux de légitimation (les fameuses transactions collusives), mais aussi les situations de production charismatique ou encore les inversions causales dans l’interprétation de phénomènes diffus, susceptibles de jouer le rôle d’explications ad hoc des crises, (par exemple ce serait l’opinion qui ferait tenir ou tomber les régimes). Ce qui se joue dans l’issue des crises (par exemple l’établissement d’une Ve République stabilisée dotée d’un chef puissant) ne devrait pas être érigé en facteur de la crise. La sociologie de Michel Dobry n’est donc pas qu’une sociologie des crises, mais une contribution à la connaissance de la sustentation de l’ordre social, qui se déploie au-delà des seuls moments d’effondrement. Ne serait-ce que parce que dans les moments critiques eux-mêmes se découvrent les routines et les régularités qui structurent le cours ordinaire de l’ordre social. Mais plus simplement, parce que la règle de méthode qui consiste à suspendre notre connaissance de l’issue des processus historiques, et à ne pas en faire la question la plus intéressante à traiter, permet non seulement de saisir la consistance des crises, mais aussi d’interroger le fonctionnement ordinaire de la légitimité, autour des technologies routinières de préservation de l’autonomie des secteurs sociaux, ou de solidarités horizontales, pas nécessairement légitimes, entre membres de certains secteurs.
Travailler avec la sociologie de Michel Dobry
9Une épistémologie à horizon nomologique : c’est aussi la singularité, dans le paysage de la sociologie française, des positions épistémologiques de Michel Dobry que nous avons souhaité rappeler, ce qui est un des aspects centraux de l’entretien livré en dernière partie de cet ouvrage. Michel Dobry a toujours eu un goût pour la (grande) théorie et l’épistémologie. L’entretien inédit retranscrit en fin de l’ouvrage et muni d’un appareil critique, permet de revenir sur cet aspect – c’est aussi le propos du texte de Jean-Philippe Heurtin.
10Sociologie des crises politiques constitue aujourd’hui un équipement intellectuel de base chez un très grand nombre de politistes français et c’est en ayant cela à l’esprit que nous avons entrepris de mobiliser des chercheurs qui, sans toujours avoir été des étudiants de Michel Dobry, se reconnaissent dans ses questionnements et travaillent avec son œuvre.
11C’est autour de cette catégorie centrale de crise, et plus encore de la consistance des crises et de son rapport aux dimensions ordinaires et routinières du monde social, que les auteurs de cet ouvrage sont rassemblés, afin de mettre au travail ces concepts centraux de l’œuvre de Michel Dobry. Loin de « mélanges » de déférence, le propos de cet ouvrage est justement de faire fonctionner et de tester les outils tirés de l’œuvre de Michel Dobry, en les appliquant à des terrains empiriques concrets ; ainsi Sebastião Velasco e Cruz revient sur les conjonctures fluides et les propriétés variables qu’elles sont susceptibles de rassembler afin de travailler sur ce qu’il appelle des « quasi-crises » analysées à partir de l’histoire brésilienne.
12Violaine Roussel et Assia Boutaleb prennent quant à elles au sérieux, en s’appuyant sur plusieurs cas (entre autres les bouleversements égyptiens), la question de ce qui fait que « le monde vacille ou tient », à partir de l’analyse de liaisons et ruptures intersectorielles. De même, en étudiant l’émergence et le déploiement de protestations dans le Maroc contemporain, Frédéric Vairel ne se pose qu’à la marge la question des conditions de leur surgissement mais se donne comme programme de recherche l’étude des formes autolimitées de l’action collective, et propose ainsi une lecture décapante de nombre de routines de l’analyse de la protestation, dans le monde arabe et ailleurs.
13Toujours sous l’angle de l’analyse de l’action collective, Lilian Mathieu défend quant à lui les vertus du point de vue relationnel à partir du cas de l’extrême droite radicale contemporaine. C’est aussi un point de vue relationnel que mobilise Bruno Goyet au sujet du Dictionnaire politique et critique de Charles Maurras, pour reconstituer ce qu’ont été les enjeux de sa qualification : le problème est moins de qualifier Maurras de fasciste ou pas, que, rappelle Goyet, « de comprendre à quels enjeux répondait l’usage de cette étiquette en son temps et autour de lui ». Quant à Annie Collovald, elle entreprend de déconstruire une filiation sans cesse rappelée entre le poujadisme des années 1950 en France et le mouvement des petits commerçants organisé par le CIDUNATI dans les années 1970 ; ce sont là encore ces catégorisations politico-savantes qui sont défaites par des hypothèses mettant au cœur de l’analyse les situations affrontées et les jeux de labellisation croisées qui ferment les boîtes noires du commentaire historique et de l’anathème politique.
14Au sujet de l’extrême droite, d’autres auteurs mobilisent plutôt le Michel Dobry de la critique de la thèse immunitaire, comme Zeev Sternhell et Brian Jenkins qui reviennent tous deux, chacun à leur manière, sur février 1934, la dynamique des événements et de leur interprétation historienne dominante qui fait de la fin de l’histoire (l’investiture d’un gouvernement de droite modérée) le moteur des pratiques qui l’ont constitué et des valeurs qui l’ont provoqué. Cette question des valeurs, et des idéologies est reprise par Frédérique Matonti qui montre à partir d’une lecture serrée de Quentin Skinner d’un côté et de Timothy Tackett de l’autre le renouveau des hypothèses touchant à l’articulation entre catégories de perception, idées et crises politiques.
15Un autre axe des travaux de Michel Dobry, centré autour de la question des modes de fonctionnement des secteurs sociaux, est mis à profit, dans deux conjonctures différentes, l’URSS de Khrouchtchev et l’Union européenne en 2012, mais de deux façons qui portent une attention aigue aux jeux bureaucratiques dans des systèmes différenciés, et à la dynamique des coups échangés. Yves Buchet de Neuilly examine ainsi les jeux autour de l’élargissement de l’Union européenne à la Serbie en 2012 et la façon dont coups et enjeux s’imbriquent et se connectent, produisant leurs logiques propres même quand l’autonomie sectorielle tient. Carole Sigman, quant à elle, au travers du cas de la planification et des réformes de la gestion de l’économie sous Khrouchtchev, montre tout l’intérêt de l’attention portée à la fois à la différenciation et aux relations entre espaces sociaux, aux appuis mutuels que les élites sectorielles peuvent s’apporter les unes aux autres, et aux effets éventuels de l’érosion des transactions collusives. Autre manière de dire aussi les affinités des travaux de Michel Dobry avec la critique du concept de totalitarisme bien peu propice à cerner le fonctionnement concret des régimes ainsi labellisés, à en repérer les clivages internes, à en saisir les modes ordinaires de légitimation.
16Au final, par les crises que travaillent les auteurs, cet ouvrage illustre, aussi, ce que peuvent générer scientifiquement les rapports inquiets à l’histoire dont Michel Dobry fait état dans l’entretien publié en fin de volume.
Notes de bas de page
1 Pas encore rebaptisées en Presses de Sciences Po.
2 Rémond René, « Plaidoyer pour une histoire délaissée. La fin de la IIIe République », Revue française de science politique, vol. 7, no 2, 1957, p. 253-270. Pour une analyse de ces moments de l’émergence de la science politique, voir Gaïti Brigitte, Scot Marie, « Une science sans savants ? Les paradoxes de l’émergence de la science politique en France », Revue française de science politique, vol. 67, no 1, 2017, p. 13-42.
3 Lemieux Cyril, « L’hypothèse de la régression vers les habitus et ses implications. Dobry, lecteur de Bourdieu », in Myriam Aït-Aoudia et Antoine Roger (dir.), La Logique du désordre : relire la sociologie de Michel Dobry, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, p. 71-92.
4 Tackett Timothy, Par la volonté du peuple : comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, Paris, Albin Michel, 1997.
5 Ermakoff Ivan, Ruling oneself out : a theory of collective abdications, Durham, Duke University Press, 2008.
6 Le livre collectif dirigé par Myriam Aït-Aoudia et Antoine Roger en témoigne également. Aït-Aoudia Myriam et Antoine Roger, La Logique du désordre… op. cit.
7 Gavelle Julien, Siméant Johanna et Traoré Laure, « Le court terme de la légitimité : prises de position, rumeurs et perceptions entre janvier et septembre 2012 à Bamako », Politique africaine, no 130, 2013, p. 23-46.
8 Gaïti Brigitte, De Gaulle, prophète de la Cinquième République, 1946-1962, Paris, Presses de Sciences Po, 1998.
Auteurs
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