Chapitre III. Le genre, un capital symbolique à l’œuvre dans la légitimité des lectures
p. 69-87
Texte intégral
1Les lecteurs et lectrices des cercles de lecture tendent vers un idéal de légitimité littéraire qui diffère sensiblement selon chaque cercle. Reprendre le vocabulaire bourdieusien de la « légitimité culturelle » visera ici à montrer que le genre est une catégorie pertinente pour comprendre les enjeux de pouvoir qui se cristallisent dans le choix des lectures et la manière d’en parler, autrement dit dans les « appropriations » qu’en font les lecteurs et lectrices dans leurs cercles de lecture. La théorie de la légitimité culturelle établie par Bourdieu en 1979 a été utilement discutée par plusieurs sociologues (Passeron et Grignon, 1989 ; Fabiani, 2003 ; Lahire, 2004 ; Coulangeon, 2004). Il ressort de ces débats que la légitimité culturelle conçue comme rapport à la culture défini par les classes supérieures et imposé aux autres classes sociales, ne s’impose pas de manière univoque à tous et dans tous les contextes. La dénégation, la contestation, l’acceptation ou la résignation à la domination doivent être repérées en tant que telles selon Jean-Claude Passeron et Claude Grignon (1989) qui soulignent la nécessité de se défaire d’un schéma mécanique qui postule la domination symbolique en homologie parfaite avec la domination sociale. Ainsi la culture des dominants n’est pas légitime en tous points, et ne s’impose pas mécaniquement aux dominés. Bernard Lahire s’inscrit dans cette critique du « légitimisme » bourdieusien, qu’il préfère nommer « domino-centrisme » (2004). Outre le « domino-centrisme » de cette théorie qui « regarde le monde à travers les catégories de perception et d’évaluation des groupes culturellement dominants » (ibid., p. 66), Bernard Lahire conteste l’homogénéisation à outrance des pratiques culturelles d’un même individu. Il s’attache à montrer les dissonances culturelles, c’est-à-dire l’existence de pratiques légitimes chez des individus pourtant culturellement dominés, ou à l’inverse de pratiques illégitimes chez des dominants. Ces dissonances traduisent une distinction intraindividuelle, de soi à soi, plutôt qu’entre individus, et découlent de la pluralité des socialisations. Une nouvelle distinction établie par Richard Peterson (1996) entre « omnivores » qui consomment des biens légitimes et illégitimes de manière éclectique, et univores qui privilégieraient un registre dans un domaine donné, a renouvelé la manière de penser les rapports entre classes sociales et légitimité culturelle.
2La référence à « l’omnivorité » suppose des pratiques légitimes et illégitimes, maîtrisées dans leur degré de légitimité et mobilisées à bon escient. C’est seulement à cette condition que « l’omnivorité » devient un capital culturel. Or, hommes et femmes ont des pratiques culturelles différenciées en termes de degré de légitimité. En effet, toutes les enquêtes statistiques réalisées dans des pays européens montrent « que les personnes dont les goûts sont axés sur la culture savante classique sont en majorité des femmes, tandis que les nouveaux omnivores, aux goûts décrits comme étant plus éclectiques, sont en majorité des hommes » (Ollivier, 2007, p. 12). Dès lors, « le champ des pratiques culturelles est aujourd’hui structuré non seulement par une opposition de classe entre omnivores éduqués et univores qui le sont moins […], mais aussi par une opposition sexuée entre un groupe d’omnivores, plus masculin, et un groupe de classiques, au sein duquel prédominent les femmes » (ibid., p. 15).
3Dans ce chapitre, nous montrerons comment l’approche en termes de genre apporte un éclairage nouveau sur les catégorisations distinctives des lectures, et sur les enjeux de pouvoir à l’œuvre entre lecteurs et lectrices. Alors que les lectrices sont les plus nombreuses et souvent les plus qualifiées sur le plan littéraire, leurs lectures peuvent être disqualifiées en les renvoyant à leur « féminité ». Ainsi, l’approche développée par Toril Moi (1991) se révèle particulièrement pertinente pour appréhender la construction de légitimités variables selon les cercles de lecture. En effet, les discours des enquêté.e.s mobilisent les catégories du féminin et du masculin pour décrire, hiérarchiser et évaluer leurs pratiques de lecture, catégories qui, articulées aux classements sociaux, sont au principe de l’enjeu des cercles de lecture : créer et conserver un entre-soi distinctif.
4Toril Moi retravaille les apports de la sociologie bourdieusienne pour affirmer que le genre véhicule des capitaux symboliques variables. Reprenons la citation déjà commentée en introduction pour la confronter ici aux enjeux de la légitimité littéraire des pratiques de lecture :
« Le genre est toujours une entité socialement variable, qui véhicule différentes quantités de capital symbolique dans différents contextes. Dans la mesure où le genre n’apparaît jamais dans un champ “pur” spécifique, il n’existe pas de “capital de genre” pur. Le capital en jeu est toujours le capital symbolique pertinent pour le champ spécifique étudié. Nous pouvons toutefois partir de l’hypothèse que dans les conditions sociales actuelles et dans la plupart des contextes le sexe masculin fonctionne comme capital symbolique positif et le sexe féminin comme capital symbolique négatif. » (1991, p. 1036.)
5Ainsi, selon les moments de la trajectoire ou selon les champs sociaux, le genre féminin (associé exclusivement au sexe féminin dans cet article) ne véhicule pas la même charge de capital négatif. Dans certains cas, il peut être converti en avantage ; dans d’autres cas caractérisés par un capital symbolique spécifique important, le genre féminin n’est que très peu pénalisant.
6La comparaison des cercles de lecture que nous effectuerons dans une première section permet d’analyser la manière dont le genre féminin fonctionne comme capital symbolique négatif, ou bien comme forme de capital culturel dès lors qu’il est neutralisé par certaines compétences professionnelles et/ou littéraires. Les outils intellectuels proposés par Moi s’avèrent alors d’un grand recours pour mettre au jour le caractère stigmatisant de la féminité dans le cercle de la bibliothèque et la neutralisation du stigmate de la féminité dans le cercle A où les compétences professionnelles et littéraires très fortes des participantes et la recherche d’une légitimité littéraire classique ou savante neutralisent les effets négatifs de la féminité – et en ce sens, on rejoint également l’analyse de Beverley Skeggs (1997) selon laquelle la « féminité cultivée » peut se métamorphoser en capital culturel. Cette approche permet également de saisir dans un second temps les effets symboliques positifs des registres de lecture spécifiquement revendiqués par les lecteurs masculins, tels que l’humour, la violence et l’érotisme, et de mesurer combien « l’ouverture ostentatoire à la diversité » (Ollivier et Fridman, 2004), est davantage revendiquée par eux, en particulier chez les bookcrosseurs.
7Enfin nous montrerons comment des auteures qui se déclarent féministes sont différemment appropriées selon le contexte et leur degré de légitimité, ce qui soulève la question du féminisme comme éventuel capital symbolique en ce qu’il subvertit le genre féminin et donc, potentiellement, le capital négatif qui lui est associé d’après Moi. Nous ciblerons plus précisément les usages de trois auteures qui se sont déclarées ou se déclarent féministes : Virginia Woolf, Annie Ernaux et Virginie Despentes.
Les effets symboliques variables de la féminité sur la légitimité littéraire
Le cercle B : féminisation et illégitimité littéraire1
8Une caractéristique prédominante des discours recueillis au cercle B est la manière dont sa non-mixité quasiment permanente est régulièrement déplorée par ses membres, qui expriment à des degrés différents la crainte de mettre en œuvre dans leurs échanges une sensibilité féminine conçue comme réductrice. La bibliothécaire, Sandrine, 57 ans, l’exprime explicitement en insistant sur une double limite : le poids en nombre des participantes, et celui qui serait accordé aux auteures dont elles parlent, au détriment supposé des auteurs :
« J’ai peur que dans ces rencontres de lecteurs, on se retrouve trop nombreuses, en particulier les femmes, présentes, dans une sensibilité commune, parce que du coup ça réduit beaucoup les échanges. C’est très bien quand il y a d’autres personnes, qui renouvellent un peu, avec des essais et pas uniquement du roman. »
9La rareté des hommes parmi les participant.e.s se traduirait par un appauvrissement des styles littéraires abordés, dont pâtirait notamment la représentation des romans policiers et des essais. Ainsi Claire, 44 ans, cadre dans un hôpital et lectrice très impliquée du cercle B, regrette la défection d’Yves, un jeune retraité grand amateur de romans policiers. De manière inversée, Sandrine émet l’hypothèse que des hommes seraient davantage susceptibles de participer aux rencontres de lecteurs si les participantes actuelles mettaient en valeur des lectures d’essais. Cette remarque méconnaît d’ailleurs les présentations d’ouvrages historiques, anthropologiques, psychologiques et politiques par Claire et deux autres participantes, Anne, psychologue de 60 ans, et Henriette, 54 ans, secrétaire administrative dans un lycée. Plus encore, ces appréciations forcent le trait quant aux conséquences de cette non-mixité sur le pluralisme des styles littéraires abordés si on les compare aux pratiques observées, en raison sans doute de la représentation commune de ce que Christine Planté appelle le « genre des genres littéraires » (Planté, 1998). Cette dernière a en effet mis en évidence le caractère heuristique de l’emploi du genre en études littéraires car il révèle comment la hiérarchie des registres littéraires se construit aussi en référence à la hiérarchie symbolique du genre. Par exemple, « c’est bien par rapport à l’ensemble de la littérature que l’épistolaire est dit féminin, relativement à d’autres genres qui ne le seraient pas ou le seraient moins » (ibid., p. 13). Mais « le genre des genres littéraires » peut être aussi bien celui des auteur.e.s que celui des lecteurs et lectrices. Dans le cas du cercle B, c’est le sexe féminin des participantes qui conduirait à la prédominance du roman sur tous les autres genres littéraires. Or, Patrick Parmentier (1988) est beaucoup plus nuancé : certes, il enregistre des différences dans les genres littéraires lus par les femmes et par les hommes, mais ce constat doit être aussitôt complété par le fait que plus les femmes travaillent, plus leurs goûts littéraires se rapprochent de ceux des hommes. Ceci implique pour le moins d’appréhender la combinaison de la position sociale et du sexe dans l’explication des différences de lectures.
10Dans le cercle B, la sur représentation de la fiction romanesque ne tient pas seulement à une hypothétique « sensibilité féminine », mais à un véritable volontarisme de certaines participantes qui considèrent ce genre littéraire comme l’élément fondamental d’une culture générale humaniste et universaliste. Comme on l’a vu, Anne et Henriette attendent de ces rencontres de lecteurs la découverte de romans contemporains qui feraient défaut à leur culture, la première privilégiant au quotidien les ouvrages de sciences humaines pour son travail, la seconde, celle d’essais politiques. Pour une autre participante, Sylviane, 40 ans, secrétaire au rectorat, la fiction romanesque peut porter des vérités humaines durables, par opposition à la presse, éphémère par nature. La fiction romanesque jouit également du prestige d’un usage de la lecture non utilitaire et non didactique.
11Toutefois, Sandrine dévalue ses lectures romanesques parce qu’elles « accompagnent la vie de l’affect au sens le plus large du terme, plus que la vie de l’intellect ». Le plaisir de lire des romans qui « aident à vivre » est minoré par les réserves que Sandrine émet au sujet de certains auteurs qui l’ont marquée, mais « ne sont certainement pas de grands auteurs ». Elle précise qu’il s’agit souvent d’auteures. Les réceptions d’Annie Ernaux2 reflètent parfaitement l’appréhension d’une légitimité littéraire qui dévalorise des pratiques de lecture effectives. Annie Ernaux a marqué durablement la quasi-totalité des participantes du cercle B, et plus particulièrement Claire qui loue sa capacité à « aller au plus profond du sentiment humain ». Mais l’omniprésence du genre féminin et de sa construction sociale comme thème littéraire central chez Annie Ernaux la désigne comme repoussoir pour un public masculin :
« En octobre, on a parlé beaucoup des femmes, de l’avortement, c’était une discussion par des femmes et presque pour des femmes. Il n’y avait qu’un seul homme qui était présent, qui s’est peut-être senti exclu. On a quand même parlé d’Ernaux, il y a quand même quelque chose dans son écriture qui est essentiellement féminin, et quelqu’un qui ne l’aurait pas lue, qui ne se serait pas intéressé à ça ou à la place de la femme en général, se serait senti exclu », estime Claire.
12En revanche, une séance consacrée à Virginia Woolf a attiré quelques hommes, sans aucun doute parce que cette dernière jouit d’une légitimité littéraire qui ne la cantonne ni à son genre, ni à ses prises de position féministes.
13Le stigmate d’illégitimité plane aussi bien sur le genre féminin comme thématique littéraire, que sur les participantes, voire sur les auteures. Un calcul effectué sur la période de septembre 2004 à juin 2006 montre que seulement 34 % d’écrivaines contre 66 % d’écrivains ont été présentées au cercle B. Les auteures sont certes mieux représentées qu’au cercle A, dont 28 % des textes lus pendant la même période ont été écrits par des femmes. Mais les participantes du cercle A et notamment Sandrine et Claire, ont conscience que la représentation du féminin est en soi une barrière pour certains hommes, au-delà des pratiques effectives. Ainsi il est frappant de constater qu’Yves, l’amateur de romans policiers de 64 ans déjà mentionné, vient peu souvent au cercle B pour la simple raison que « ce sont des dames avec des lectures de dames » ; « c’était un peu pénible de n’avoir que du public féminin qui me racontait des trucs… qui me sont hermétiques », ajoute-t-il en entretien. Ce « public » auquel il ne parle que très peu a pourtant présenté des romans policiers lors d’une rencontre de lecteurs ; mais ces lectures n’ont pas trouvé grâce aux yeux d’Yves qui a relevé publiquement que certains d’entre eux étaient écrits par des femmes :
« Moi je lis pas ce genre de bouquins. C’est ni mieux ni moins bien, c’est pas mon truc. Inversement je conçois très bien que pour ces dames, les polars ou les trucs de guerre, même de guerre fictive… »
14Pourtant, Claire, participante assidue du cercle B, a parlé longuement et positivement d’un roman noir de Thierry Jonquet, Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte, en précisant qu’il comportait des rebondissements violents, dont une décapitation. Mais comme elle a d’une part souligné que le titre de ce roman est extrait d’un poème de Victor Hugo, qu’elle a lu à haute voix, et qu’elle a d’autre part recommandé un récit, L’Armoire des ombres de Hyam Yared – une auteure libanaise francophone – qu’elle a trouvé « très poétique3 », Yves en a retenu que Claire « a parlé d’un bouquin qu’elle avait lu, qu’elle trouvait très bien, avec des poèmes ou je sais pas quoi », pour en conclure : « Ça me passe au-dessus de la tête ces choses-là. »
15Il n’est d’ailleurs pas le seul à déclarer qu’il ne peut pas lire les ouvrages présentés par Claire, considérée comme la lectrice la plus compétente par tous les membres du cercle B, par la quantité de ses lectures aussi bien que par les thématiques et les styles littéraires de celles-ci. Ses présentations sont appréciées pour leur clarté : aux yeux des autres lectrices et lecteurs, Claire « sait » parler d’un livre et donner envie de le lire, mais certains de ces livres semblent inaccessibles. C’est ainsi que Françoise, 58 ans, bibliothécaire bénévole, réagit de manière similaire à Yves au sujet de L’Armoire des ombres que Claire décrit en ces termes : « C’est une histoire de femmes. La narratrice laisse son ombre au vestiaire à chaque fois qu’elle va au cinéma. Chaque ombre se déplie et raconte son histoire4. » À la lecture du début du récit par Claire, Françoise réagit immédiatement : « Ce n’est pas pour moi, ça ! Rien que la première phrase 5! » Françoise justifie souvent ses lectures auprès des autres participant.e.s du cercle en précisant qu’elle aime les lectures « faciles » et humoristiques. Elle est également une grande amatrice de romans policiers et à l’inverse d’Yves, recommande ses lectures aux autres lectrices. Yves se caractérise par un répertoire de lectures plus restreint, puisque son entretien révèle qu’il lit quasi exclusivement des romans policiers américains écrits par des hommes, parce que contrairement aux romans d’auteurs français ou d’auteures, « ça bouge ». Dans son appropriation des textes, Yves privilégie la succession des péripéties, et plus exactement de péripéties guerrières ou criminelles. Il s’écarte ainsi du type de discours sur les livres mis en œuvre au cercle B, qui relève du commentaire et non du seul récit de l’histoire tel qu’Yves l’a pratiqué systématiquement pendant son entretien. Cette appropriation des textes, qui met au jour la difficulté à tenir un discours spécifiquement littéraire, correspond à l’absence de capital culturel socialement sanctionné d’Yves, qui exerçait la profession de cadre dans la distribution alimentaire ; mais il convertit ses lectures en marqueur d’une forte masculinité, masculinité dont l’absence au cercle B dévalue leur pratique collective aux yeux des lectrices les plus impliquées de ce cercle.
16Le genre féminin n’est toutefois vecteur d’un capital symbolique négatif, pour reprendre la conceptualisation de Toril Moi, que lorsqu’il n’est pas contrebalancé par un capital littéraire important. Or, la configuration des rapports sociaux de genre et de classe dans le cercle A tend à faire disparaître le stigmate d’illégitimité attaché au genre féminin.
Le cercle A : l’effacement du stigmate lié à la féminisation
17À l’inverse du cercle B, la prédominance féminine du cercle A est masquée en raison de la supériorité du capital littéraire socialement légitimé détenu par les participantes.
18Les compétences professionnelles des participant.e.s du cercle A sont valorisées par le principe même du troc-lecture : lire à haute voix. Les lectrices sont les plus compétentes ; en effet, parmi les hommes régulièrement présents, le seul à détenir un capital comparable et socialement sanctionné, Arthur, professeur de français de 30 ans, s’est peu à peu désengagé. Christian, trésorier de l’association, consultant scientifique de 35 ans, note à juste titre que peu d’hommes reviennent après avoir assisté à un troc-lecture. Alors que la prédominance féminine est vécue comme stigmate au cercle B, elle est déniée au cercle A par un effacement supposé des propriétés sociologiques des participant.e.s dans le rituel de lecture, comme on l’a vu dans le chapitre précédent. La performativité attribuée au troc-lecture ne semble a priori fondée ni sur le pouvoir de tel ou tel énonciateur (Bourdieu, 1982), ni sur « le pouvoir des mots » (Butler, 2004), mais sur le rituel et son application répétée. Or ce rituel de lecture à haute voix suppose des dispositions littéraires et linguistiques, dont on a vu qu’elles étaient surtout l’apanage de femmes professionnellement formées, alors que les quelques hommes participant régulièrement aux trocs-lectures peuvent en être dépourvus. Dès lors, les lectures sont ainsi plus souvent effectuées par des femmes détentrices d’un capital littéraire. Cette relative absence masculine n’est pas déplorée dans les mêmes termes que dans le cercle B, car le caractère socialement distinctif des trocs-lectures contrebalance le stigmate du genre féminin.
19Cette légitimité culturelle des trocs-lectures s’appréhende dans le choix de certains genres littéraires. La poésie jouit d’un consensus dans ce cercle, qui s’actualise dans la possibilité pour le lecteur de poésie de dépasser le temps normalement imparti, sans se faire interrompre. Plusieurs fois ont été lus des textes en langue originale, parfois sans traduction, signe d’une appropriation des textes poétiques par la seule musicalité du style. Ensuite tous les membres actifs de l’association B ont déjà lu des poèmes. Enfin, plus que les autres, les lecteurs de poésie sont systématiquement félicités pour la beauté et la profondeur du texte. Mais en dehors d’une lecture de Sapho, choisie intentionnellement pour un troc-lecture survenu le 8 mars, les auteures femmes – il est vrai rares – n’ont pas été représentées dans les lectures de poésie.
20Afin de faire apparaître les critères de légitimité littéraire des participant.e.s aux trocs-lectures, j’ai fait l’expérience de participer comme lectrice lors de deux trocs-lectures. la lecture du recueil de poèmes Pas revoir de Valérie Rouzeau a suscité des appréciations particulièrement positives. Or, tel n’a pas été le cas de la lecture d’un extrait de Mèmed le Mince, de Yachar Kemal. Après la lecture d’un fragment choisi pour sa dimension potentiellement politique, j’ai dû m’expliquer sur ce choix, jugé très différemment par Florence, professeure de lettres classiques et membre de longue date de l’association A et par Christian, récemment élu trésorier. Alors que Christian a noté que l’extrait lu « prenait en poids » avec la prise de conscience de l’injustice sociale par le héros, Florence estimait que cet extrait faisait partie des lectures « légères » de ce troc-lecture, par opposition aux lectures « profondes » de textes de Christian Bobin, Fernando Pessoa et Victor Hugo. Cette différence d’appréciation s’explique par la prédominance d’une appropriation identificatoire chez Christian, alors que l’attention portée au style littéraire est décisive pour Florence. L’absence de consensus autour d’un texte dont le style n’est pas poétique est frappante.
21La comparaison des cercles A et B visait à montrer la variabilité des effets du genre féminin sur la légitimité littéraire. En particulier, les participantes du cercle de lecture B issues de cette génération se distinguent fondamentalement des participant.e.s du cercle A par un certain désajustement entre le statut socioprofessionnel qu’elles pouvaient espérer obtenir en fonction de leur origine sociale ou de leur capital universitaire. Soit, en effet, elles ont échoué à devenir professeurs, pour celles qui viennent d’un milieu doté en capital culturel, et se retrouvent ainsi relativement déclassées, soit elles ont démissionné par choix de leur poste dans l’enseignement, alors que, comme le remarque Sandrine, « l’enseignement paraissait pour une jeune fille ce qu’il y avait de mieux, de plus féminin », au regard de l’appartenance initiale de ces femmes aux classes populaires ou aux fractions cultivées de la classe moyenne. Dans ce cas, le rejet de l’enseignement n’a pas entravé une certaine ascension sociale, mais toutes ont dévié du modèle convenu selon leur classe et leur genre. Certaines d’entre elles ont acquis un capital littéraire ou artistique au cours de leurs études, qu’elles n’ont pas nécessairement transformé en capital professionnel, à l’inverse de la majorité des personnes participant régulièrement au cercle A.
22Si le genre féminin n’est pas nécessairement vecteur de capital symbolique négatif, c’est le genre masculin qui est vecteur de capital positif en effet retour.
Le capital symbolique des hommes lecteurs : construire des bastions masculins
Appropriations masculines : humour, violence et érotisme
23La hiérarchie de genre demeure opératoire et distingue des territoires de lecture conservés par les hommes. Et si certains genres littéraires peuvent apparaître comme étant de genre masculin, ce n’est nullement par manque de lectrices mais parce que les lecteurs, dans les interactions qu’ils mettent en œuvre, perpétuent le stéréotype du caractère masculin de ces lectures, même et surtout lorsqu’ils sont minoritaires en nombre.
24C’est le cas de la science-fiction et de la fantasy en raison de la proportion d’hommes parmi leurs lecteurs, mais aussi de livres érotiques, de revues ou de bandes dessinées à la fois humoristiques et sulfureuses, de récits de guerre extrêmement violents, dont la lecture demeure un marqueur de genre significatif puisque seuls les hommes les mentionnent. Un exemple particulièrement éclairant est la perception radicalement différente du roman American Psycho de Bret Easton Ellis dont les bookcrosseurs s’échangent la version en langue originale parce que les scènes de torture n’y ont pas été épurées par la traduction, alors que les bookcrosseuses ou les participantes du cercle B sont rebutées à l’idée de lire de telles scènes. Par ailleurs, la violence et l’érotisme ne sont pas absents des lectures des femmes mais ces deux thèmes ne constituent pas des critères positifs en eux-mêmes, alors que les hommes les revendiquent comme tels, y compris par l’argument de l’effet corrosif de la lecture mobilisé par Patrick, 50 ans, informaticien au chômage, bookcrosseur : « J’aime bien le côté sulfureux de la littérature. J’ai toujours suivi ça, récemment avec la découverte de Middlesex. »
25À partir de l’histoire d’Herculine Barbin, l’ouvrage Middlesex met en scène un hermaphrodite américain confronté à son intersexualité, qui choisit le genre masculin en raison de son désir sexuel pour les femmes, alors qu’il a été assigné au genre féminin par son éducation. Une lectrice, Aurore, 33 ans, chargée d’enseignement à l’université en science politique, évoque cet ouvrage d’une manière bien différente : « Middlesex, j’ai beaucoup aimé, mais ça m’a beaucoup mise mal à l’aise. Cette histoire d’hermaphrodisme, ça m’a fait beaucoup d’impression. Je regardais mes filles (rires) ! »
26Si Patrick valorise la dimension transgressive de ce texte, en revanche Aurore se montre plus sensible au coût de la transgression qu’affronte le personnage. La souffrance intimement ressentie par le personnage à la découverte de son intersexualité découle de l’impossibilité de faire correspondre son genre initialement féminin avec son sexe anatomique qui se masculinise, et son désir sexuel pour des femmes. Les lectrices ne revendiquent jamais la lecture d’ouvrages qu’elles qualifieraient de « sulfureux » mais privilégient le registre discursif de l’émotion, de la mise en question de soi que la mise en mots de thématiques taboues ou du moins intimes provoque en elles.
27L’évocation des romans noirs dans les cercles de lecture corrobore la remarque de Christophe Evans : des lecteurs peuvent retirer un capital symbolique très important de la rareté du sexe masculin dans leur cercle, en interpellant délibérément les lectrices par un comportement provocateur (1996, p. 90-91).
28Ainsi de Charles, participant aux trocs-lectures de l’association A, lors d’un « troc-polar6 » où il était le seul lecteur, et auquel manquaient des lectrices régulières et légitimes. Charles s’est montré particulièrement prolixe à cette occasion, lisant à trois reprises et mettant en valeur un répertoire varié de romans policiers. Le premier roman policier qu’il a choisi est un ouvrage de Pierre Magnan. Puis il propose la lecture d’un recueil de Jean-Bernard Pouy et Marc Villard, Ping-Pong, dans lequel les deux auteurs écrivent des nouvelles en alternance l’un avec l’autre. Après une nouvelle de Jean-Bernard Pouy, il lit une nouvelle de Marc Villard intitulée « Supporter », qui se déroule au Stade de France et met en scène un univers viril, dont les péripéties principales sont un braquage et l’agression verbale et physique d’un travesti, et qui est également émaillée d’insultes homophobes. À l’ensemble des lectrices présentes, Charles précise, de manière pédagogique : « Vous êtes des femmes, vous n’avez pas lu SAS. Ça flirte avec le racisme. J’ai toujours trouvé ça douteux. » Charles se prévaut d’avoir lu ces romans policiers quand tel ne serait pas le cas des lectrices, tout en marquant ses distances avec le racisme patent de ces textes.
29Malgré ces mises en scène répétées de leur masculinité par les lecteurs, les lectrices amatrices de romans noirs ne manquent pas, en particulier Nathalie, 30 ans, diplômée en commerce international au chômage, bookcrosseuse, qui décrit l’identification « cathartique7 » suscitée par ce genre littéraire : « Tous les bouquins de Jean-Christophe Grangé traitent de la quête d’une personne ou de deux maximum, soit c’est des paumés, soit ils ont eu un drame dans l’enfance, mais ils se sont fixé un but et ils vont jusqu’au bout. C’est super appréciable, parce que ça te permet de t’identifier au personnage. »
30La lecture littéraire et les appropriations qu’elle suppose, fondées sur l’appréciation tant du style que du contenu et sur la verbalisation publiquement autorisée de cette appréciation, demeure un capital symbolique que les femmes manient avec davantage d’aisance que les hommes ; mais lorsque ceux-ci peuvent rivaliser avec elles à ce sujet, ils engrangent des bénéfices symboliques supplémentaires en raison de leurs lectures spécifiquement masculines. Apparaissent donc comme des lectures masculines la science-fiction et la fantasy, ainsi que les lectures érotiques, violentes et subversives évoquées précédemment. Par l’usage d’un humour (parfois sexiste), par l’assignation permanente des lectrices à un sexe féminin qui les prédéterminerait à des lectures sans intérêt pour eux, les lecteurs réaffirment leur appartenance à un genre viril dominant et par-là même, la hiérarchie du masculin sur le féminin. On peut dès lors s’interroger sur les profits symboliques à long terme que les lecteurs peuvent gagner à participer à des cercles de lecture. Évoquant la féminisation progressive du cercle des bookcrosseurs, Patrick remarque :
« Peut-être que c’était l’inverse qui était surprenant, qu’il y ait pas mal d’hommes au départ. Le site du bookcrossing était assez novateur du point de vue technologique il y a quatre ans. Mais il ne s’est pas renouvelé. Je crois qu’il y a un peu de ça, parce qu’il y avait beaucoup de fanas d’informatique. Ce qui attirait pas mal les mecs et qui est en recul, c’est les jeux. »
31La lecture pour la lecture ne constituerait pas une fin en soi pour les lecteurs, à l’inverse des lectrices, qui toutefois partagent les pratiques – en l’occurrence les jeux – périphériques et néanmoins constitutives du cercle de lecture. L’analyse de l’éclectisme, différencié selon le sexe, des pratiques de lecture des bookcrosseurs, doit être complétée par le constat d’une revendication plus forte d’ouverture ostentatoire à la diversité culturelle par les participants masculins de ce cercle de lecture, revendication qui ne correspond pas à la réalité des pratiques.
Le bookcrossing, ouverture à la diversité ostentatoire et hiérarchie de genre
32Selon eux, la diversité culturelle doit être celle des lectures, et donc l’appropriation de lectures illégitimes ou féminines ; ou celle des pratiques culturelles qui participent également de la sociabilité des bookcrosseurs, comme de regarder en groupe la version originale non sous-titrée du film Le Seigneur des anneaux, ou de participer voire d’organiser des soirées consacrées à des jeux de société. Ce constat conduit à interroger les caractéristiques sociologiques des « omnivores », ces nouveaux dominants en matière culturelle selon Richard Peterson. Michèle Ollivier propose une critique argumentée des présupposés idéologiques inhérents à ce concept, qui selon elle « contribue à rendre légitime ce glissement sémantique qui associe l’ouverture à la diversité à ce qui est dominant et à ce qui est désirable » (Ollivier et Fridman, 2004, p. 117). Plus encore, elle affirme que :
« L’éclectisme culturel constitue effectivement le fondement d’une nouvelle forme de légitimité culturelle, qui prend appui sur une conception particulière de la vie réussie axée sur la capacité à faire des choix et la réalisation individuelle. Bien que ce modèle de la vie réussie soit ostensiblement attaché aux individus, il reste néanmoins fortement marqué, d’une part, par l’inégale répartition des ressources matérielles et symboliques liées à la classe sociale et, d’autre part, par une imagerie de transcendance et de dépassement de soi qui demeure fortement sexuée. » (Ollivier, 2007, p. 5-6.)
33La participation au cercle du bookcrossing implique la possession et l’entretien de capitaux différents : pour devenir bookcrosseur, il faut s’inscrire sur un site Internet anglophone, c’est-à-dire détenir une maîtrise suffisante de l’informatique et de l’anglais, autre critère distinctif. Ce droit d’entrée a pour conséquence une composition sociologiquement spécifique de ce cercle à l’égard des autres cercles, c’est-à-dire une plus grande mixité sexuée, un âge moyen nettement inférieur et davantage de lectrices et lecteurs exerçant une profession dans le domaine des « choses matérielles ». Le genre est alors peu mobilisé comme catégorie de pouvoir explicite. En outre, la légitimité littéraire de ce cercle se fonde d’une part sur la lecture en langue étrangère, et particulièrement en anglais ; d’autre part, sur « l’androgynie lectorale8 » relative des bookcrosseurs, pour reprendre une expression qu’Annie Collovald et Erik Neveu appliquent aux lecteurs de romans policiers. Or, concernant les bookcrosseurs, qui sont par ailleurs de grands amateurs de romans policiers, cette « androgynie » relative est bien davantage cultivée par les bookcrosseuses que par leurs homologues masculins, et l’on peut s’interroger sur le caractère transgressif d’un « brouillage des identités » qui est au premier chef le fait de lectrices dans le cas étudié, les lecteurs privilégiant des genres littéraires réputés – et statistiquement avérés – masculins, comme la science-fiction qui apparaît comme un registre incontournable de lecture pour les bookcrosseurs lyonnais.
34Loin de considérer que la maîtrise de l’anglais constituerait un frein à la constitution d’une communauté de lecteurs élargie et socialement mixte, les bookcrosseurs estiment pour la plupart qu’un peu de bonne volonté suffit à franchir ce seuil d’entrée. En outre le perfectionnement de la langue anglaise représente à leurs yeux un objectif en soi. Christelle, 42 ans, cadre en informatique à la SNCF, apparaît comme la plus fervente partisane d’un nécessaire approfondissement linguistique que le bookcrossing doit favoriser : « J’entends sur le forum “quand est-ce qu’ils vont traduire en français ?”, il y a des gens qui trouvent que le site en anglais est un frein. Il n’y a rien de particulièrement compliqué quand même, tu vas chercher trois mots dans le dictionnaire et c’est bon. Et je trouve, que des gens jeunes trouvent l’anglais trop compliqué, c’est un peu triste. » Christelle, qui se distingue des faibles lecteurs en déplorant leur existence, comme on l’a vu dans le chapitre précédent, inclut dans sa définition des « mauvais lecteurs » ceux qui ne lisent qu’en français. Contrairement à d’autres bookcrosseurs, le perfectionnement de l’anglais et d’autres langues étrangères ne lui est pas indispensable professionnellement. Pourtant, elle s’astreint à lire dans plusieurs langues : « Je pense que si on veut entretenir les langues, il faut passer le cap de la lecture. J’essaie d’en lire trois ou quatre par an. Quand je note un livre sur mon carnet, je note le titre en langue originale. J’essaie aussi en italien, l’allemand j’ai plus de mal. » Dans le cas de Christelle, une telle pratique apparaît fortement distinctive, dans la mesure où ses lectures en langues étrangères ne suscitent pas d’échange avec les autres bookcrosseurs :
« Une fois, dans une boîte de polars qui circulait, sur huit j’en avais mis deux en langue étrangère, un en anglais et un en italien. Il n’y a pas eu une JE9 dessus, manifestement ça posait un problème. Je sais pas s’il y a tant de gens que ça qui sont tellement à l’aise au point de… »
35En revanche, Yann, professeur des écoles de 29 ans, comme un grand nombre d’autres bookcrosseurs lyonnais, s’adonne à la lecture en anglais pour des ouvrages fédérateurs, lus par la quasi-totalité des membres de ce cercle dès leur parution en langue originale :
« J’ai commencé à lire en anglais à cause d’Harry Potter, je voulais lire le cinquième, parce que j’avais pas envie d’attendre quatre mois pour lire la traduction. J’ai vu que ça allait plutôt pas mal, donc après j’ai lu d’autres trucs que j’avais déjà lus en français. Genre Le Seigneur des anneaux je l’ai lu tout en anglais. Et après on m’a filé des bouquins, par le bookcrossing il y a pas mal de gens qui lisent en anglais. »
36La lecture de la série des Harry Potter en anglais distingue les bookcrosseurs des autres cercles de lecture étudiés, qui ne lisent pas cette série, et attribue une valeur ajoutée à une lecture largement répandue, véritable succès de librairie.
37La bookcrosseuse qui se montre la plus critique à l’égard de ces stratégies de distinction est Nathalie, diplômée d’une école de commerce international, qui a effectué plusieurs séjours universitaires et professionnels à l’étranger, et qui déclare :
« Je pourrais lire en espagnol et en italien mais j’en vois pas l’intérêt. Au contraire de beaucoup de bookcrosseurs, je trouve que la plupart des traductions sont tout à fait bien. Ça me dérange pas de lire en français, je trouve pas ça une hérésie. À Lyon, ils disent que Chuck Palahniuk10, il faut pas le lire en français, ben je suis désolée, je l’ai lu en français et ça m’a pas posé de problèmes. Je suis pas du tout dans le côté élitiste de la lecture et de la littérature. »
38En outre, les bookcrosseurs, bien davantage que les membres des autres cercles de lecture étudiés, détiennent et entretiennent une culture scientifique11.
39La culture scientifique est extrêmement prégnante chez les bookcrosseurs, d’une part parce que leur formation scolaire, universitaire et professionnelle l’a favorisée, d’autre part parce que davantage d’hommes sont présents. Les lectrices plus littéraires, comme Mathilde, documentaliste, s’initient à des genres littéraires plus particulièrement lus par des hommes, scientifiques de surcroît, comme la science-fiction, la fantasy et la bande dessinée :
« Avant je n’aurais jamais lu de science-fiction, personne de mon entourage n’en lisait, et là forcément tu as une curiosité en entendant les autres. Mais maintenant j’ai lu de la bonne science-fiction. Fantasy, j’aurais jamais essayé avant. Mais à force de se laisser persuader par les autres, j’ai essayé. Après ça m’a pas plu mais j’ai essayé. Pareil avec la bande dessinée, avant j’en lisais très peu, ou alors des classiques, Tintin, Iznogoud, mais je connaissais pas du tout la BD contemporaine. Et dans les bookcrosseurs lyonnais il y avait des gros fans de BD, et de mangas. »
40Cette « ouverture à la diversité », selon l’expression employée par Viviana Fridman et Michèle Ollivier (2004), peut être recherchée dans un seul et même ouvrage qui allie des qualités littéraires, des connaissances scientifiques et un véritable plaisir de lecture, comme l’explique Christelle :
« J’aime bien que l’on sente une trouvaille […]. J’ai adoré Le théorème du perroquet12, c’était extraordinaire, il y a une alchimie, un mélange de poésie, d’érudition, de suspense. Dans le Da Vinci Code, il y avait tout le côté décryptage, le côté historique, artistique, les personnages. J’aime bien les bouquins où il y a une forme d’alchimie. »
41L’éclectisme des bookcrosseurs a néanmoins des limites : outre que leur cosmopolitisme les mène rarement à lire d’autres littératures qu’européenne et nord-américaine – la littérature chinoise et japonaise constituant la seule exception, pour ce cercle comme pour les autres –, les ouvrages d’analyse de la société française contemporaine sont délaissés, alors même que les discussions politiques sont bien davantage acceptées que dans les autres cercles de lecture. Nathalie le déplore et lors des soirées de « lectures offertes », qui sont des lectures à haute voix, elle lit intentionnellement des textes dont elle sait qu’ils créent de la dissonance. Commentant son choix de lire King Kong Théorie de Virginie Despentes (2006)13 lors de la prochaine « lecture offerte », elle précise :
« Je suis chiante parce que j’amène des textes qu’ils liront jamais. La dernière fois c’était des textes de Grand Corps Malade et un livre de Y.B. sur la banlieue. En général je prends des trucs hyper marqués socialement. Parce que c’est des bouquins que les bookcrosseurs lyonnais lisent pas. »
42Par ailleurs, l’« ouverture à la diversité » est davantage pratiquée par les bookcrosseuses, et ce, de manière discrète et non ostentatoire, dans leur relation de couple avec un autre bookcrosseur, le plus souvent. Ainsi de Léa, étudiante en droit de 23 ans, qui décrit dans les termes suivants ses échanges de lectures avec Jean-Marc14, ingénieur en informatique de 30 ans, bookcrosseur, qu’elle a récemment épousé :
« Jean-Marc fait partie de cette catégorie qui ne lit qu’une ou deux catégories de bouquins, qui va lire les autres mais qui va moins les apprécier. C’est lui qui me prête la science-fiction et la fantasy, parce qu’il a une bibliothèque qui n’est remplie que de ça. Quand il m’a prêté un bouquin qui m’a plu, après on en discute, s’il y a un message, de sa portée, ce qu’on en a retiré. Il lit des policiers aussi, mais beaucoup moins de romans, des choses toutes bêtes comme Marc Lévy, légères. Quand on lui fait lire d’autres choses, il les lit parce qu’il aime lire, donc il va prendre la peine de lire mais il va pas forcément y prendre du plaisir. Il ira pas voir plus loin sur un auteur qu’on lui a fait lire ou offert. Ce qui nous empêche pas d’échanger, je désespère pas de lui faire lire d’autres choses que de la science-fiction ou de la fantasy, mais il y a des gens qui aiment pas autre chose, c’est comme ça. »
43L’éclectisme en matière de lecture caractérise davantage les pratiques des femmes que celles des hommes dans cette enquête, qui lisent en moyenne moins de genres littéraires différents alors même qu’ils sont de grands lecteurs. Si l’on analyse ce constat au prisme du genre comme vecteur de capital symbolique, on peut considérer que la diversification des lectures pour les hommes signifie l’ouverture à des genres littéraires apparentés au genre féminin et donc symboliquement dépréciés. Néanmoins, cette analyse mérite d’être nuancée car plusieurs lecteurs font état de lectures de romans sentimentaux. Thomas, bookcrosseur de 27 ans en recherche d’emploi, apprécie de lire « des romans à l’eau de rose ». Arthur, membre de l’association qui organise des trocs-lectures âgé de 30 ans, affirme qu’en tant que professeur de lettres il se doit de connaître ce genre littéraire :
« Des fois je vais lire un roman à l’eau de rose parce que j’ai envie de voir comment c’est fait. Je trouve que c’est important d’en avoir lu, de comprendre comment ça marche, même si pendant deux heures, j’ai pas un plaisir énorme à lire ça, ou alors un plaisir au deuxième degré. »
44Les justifications avancées par Arthur et Thomas empruntent au registre discursif d’une nécessaire ouverture culturelle et, pour Thomas, de revendication d’un éclectisme lectoral. C’est donc toujours comme signe d’ouverture à des genres littéraires dépréciés, et par contraste avec d’autres lectures masculines ou légitimes, que sont évoquées les lectures de romans sentimentaux par les lecteurs.
45Comme on l’a montré au sujet de l’éclectisme relatif des lecteurs et lectrices de l’enquête, il est possible d’accumuler davantage de capital littéraire en s’adonnant à des lectures constituées comme masculines, ou en s’appropriant les compétences, plutôt acquises par les femmes, qui donnent lieu à une appropriation spécifiquement littéraire des œuvres. Le système de genre demeure quasiment intact, mais les propriétés masculines et féminines des lecteurs et des lectrices peuvent être échangées en vue de l’accumulation de capital symbolique.
46Ces constructions variables d’un capital symbolique prenant appui sur le genre comme rapport de pouvoir à différents niveaux – le genre des auteur.e.s, des lecteurs et lectrices, ainsi que des genres littéraires – posent néanmoins la question du capital symbolique lié aux auteures qui transgressent les normes de genre dans leurs écrits et/ou leur vie et se disent féministes.
Quel capital symbolique pour les auteures féministes ?
47Le mouvement féministe des années 1970 a donné lieu à des innovations littéraires qui ont notamment abouti à la revendication du féminin comme emblème via l’écriture femme (Naudier, 2001). Depuis lors, un certain nombre d’écrivaines européennes et nord-américaines reconnues tant par la critique que par le public (Annie Ernaux, Nancy Huston, Lucia Etxebarria, Elfriede Jelinek, etc.) ont intégré des thématiques et des idées féministes dans leurs œuvres littéraires (Saint-Martin, 1992), participant de ce fait à la diffusion de ces idées (Albenga et Bachmann, 2015). Ces auteures s’avèrent être lues par la majorité des lectrices et des lecteurs des cercles de lecture auprès desquels on a enquêté. Concernant Nancy Huston, Lucia Extebarria ou Catherine Millet, les lectrices aussi bien que les lecteurs soulignent qu’elles rendent possible cette réflexivité sur les normes de genre et de sexualité. Ce sont néanmoins trois autres auteures dont le positionnement féministe aussi bien que littéraire va être jugé subversif et va donner lieu à des appropriations publiques des idées féministes par les lectrices : il s’agit de Virginia Woolf, Annie Ernaux et Virginie Despentes. Virginia Woolf détient sans aucun doute la légitimité littéraire la plus incontestable15. Les jeux autour de la légitimité de ces trois auteures mis en œuvre par lectrices et lecteurs donnent à voir comment l’identité « féministe » peut être convertie en signe distinctif positif.
48En effet, les lectrices vont mettre en scène leurs propres convictions et positions par rapport à la transgression des normes de genre par l’entremise de ces auteures érigées en porte-parole. Ainsi de Nathalie, une grande lectrice de romans policiers très violents déjà citée, revendiquant d’aimer les parcours initiatiques de personnages « déjantés », qui déclare en entretien à propos des héroïnes de V. Despentes : « C’est des histoires de nanas. C’est pas des histoires super heureuses, mais c’est des histoires de vraies filles. » Or le terme de « vraies filles » peut surprendre au regard des personnages mis en scène par Virginie Despentes, qui sont en décalage voire en rupture avec les normes de la féminité hétérosexuelle, et ce propos peut être lu comme une illustration de l’approche butlérienne du genre comme performance. J. Butler souligne que les entreprises de subversion du genre, par les cultures homosexuelles par exemple, font ressortir « le statut fondamentalement construit de ce prétendu original hétérosexuel » (Butler, 2005, p. 107). Nathalie, célibataire de 30 ans qui cherche un partenaire sur Meetic, peut concilier ces lectures de Virginie Despentes avec des lectures de « chick lit » mettant en scène des célibataires trentenaires auxquelles elle s’identifie. Le caractère subversif des textes de V. Despentes lui apparaît comme un atout pour choisir de les lire aux autres bookcrosseurs. Elle projette de lire des extraits de King Kong Théorie (Despentes, 2006) essai fortement caractérisé par la vulgarisation des idées féministes, aux autres bookcrosseurs, pour diffuser des idées qu’elle juge peu connues dans ce cercle. Dans ce cas, elle parie sur l’originalité du texte et des idées pour pouvoir exprimer tant des idées politiques que des goûts littéraires qui n’ont pas cours dans ce cercle.
49À l’inverse, dans le cercle de la bibliothèque municipale, Claire, 44 ans, parie sur la légitimité littéraire de Virginia Woolf pour défendre les idées d’autonomie féminine, en lui consacrant une séance qu’elle va animer dans son cercle. La mise en parallèle de la manière dont Claire se présente et dont elle présente V. Woolf éclaire une identification à l’auteure et à son parcours, notamment le caractère « autodidacte » et non institutionnel de leurs formations intellectuelles respectives. Fille d’une employée de grande surface et d’un représentant de commerce devenu peintre et sculpteur, Claire détient une licence d’histoire de l’art et une formation d’écrivain public, compétences qu’elle ne mobilise pas dans son emploi de cadre dans un hôpital public et qu’elle souhaiterait actualiser en obtenant le concours de chargée d’études documentaires.
50Claire est très attachée à la possibilité d’une formation intellectuelle en dehors de l’université. Elle souligne comme une qualité ce trait de la trajectoire intellectuelle et littéraire de V. Woolf (« elle s’est formée toute seule »), après avoir insisté sur le caractère non universitaire de sa propre présentation de l’auteure : « Je n’ai pas de titre universitaire, je suis une lectrice qui entend faire partager son intérêt. » Néanmoins, la légitimité littéraire de V. Woolf l’emporte sur son caractère « autodidacte », et la rend davantage mobilisable pour défendre des idées féministes. Comme beaucoup d’autres lectrices de son cercle qui se situent dans une tranche d’âge de 40 à 65 ans, Claire apprécie également A. Ernaux, dont elle loue le travail d’écriture lors de son entretien : « Je trouve que c’est quelqu’un qui n’est pas indécent, bien qu’elle écrive sur sa vie. Et je trouve que ce rapport entre l’intimité, qui peut aller à l’universel en évitant l’indécence, je suis admirative. »
51Et pourtant, comme on l’a vu, Claire regrette qu’une séance du cercle de lecture ait donné lieu à une longue discussion sur les livres d’A. Ernaux relatifs à l’avortement clandestin, car cette discussion très « féminine » a pu faire fuir les hommes du cercle de lecture, alors que cette crainte n’existe pas lorsqu’elle va défendre le féminisme de V. Woolf. Car tout en ne se définissant pas comme « féministe », Claire propose aux autres lectrices et aux rares lecteurs de son cercle une lecture de Vers le phare (Woolf, 1927) qui emprunte aux catégories de pensée féministes :
« Mrs Ramsay incarne le modèle patriarcal de la société anglaise. C’est marrant parce que dans tous ses romans on retrouvera le féminisme de Virginia Woolf […]. Mrs Ramsay est morte d’épuisement. Elle donne tout aux autres. Ça rappelle Une Chambre à soi (Woolf, 1929). Avoir un espace autonome autre que le cadre familial […]. On a peut-être oublié ce qu’était la société française avant, mais on n’avait pas trente-six solutions : on se mariait. Virginia Woolf a dû se marier […]. Lily Briscoe arrive à vivre ses choix : vivre de ne pas être mariée et d’être peintre. »
52Ici les propos de Claire au sujet de V. Woolf lui permettent de défendre les valeurs d’autonomie qu’elle met en pratique pour elle-même. Vivant en union libre, très attachée à son indépendance économique, ayant une pratique régulière de l’écriture, Claire pose dans l’entretien qu’elle nous a accordé la question de l’équilibre entre un travail considéré comme alimentaire et le temps de loisirs, considéré comme un temps enfin consacré à soi. Avec sa présentation de Virginia Woolf, elle met en évidence les liens entre autonomie matérielle à l’égard des hommes et autonomie intellectuelle et créatrice, entre la transgression à l’égard de la conjugalité institutionnalisée et la revendication d’une posture et d’une carrière de créatrice longtemps déniées aux femmes. S’il n’est pas aisé de se déclarer féministe ni de se reconnaître dans cette étiquette (Albenga et Bachmann, 2015 ; Aronson, 2015), la présentation de la vie et des idées transgressives d’une auteure aussi reconnue que Virginia Woolf permet de diffuser des idées féministes sans le dire, ce qui représente une forme d’appropriation sélective du féminisme (Jacquemart et Albenga, 2015).
53Finalement, la posture féministe peut s’avérer être un capital symbolique mobilisable par les lectrices pour affirmer publiquement des idées, tout en composant avec ce qu’elles perçoivent être les règles de la légitimité littéraire dans leur cercle. Si l’on compare Virginia Woolf, Annie Ernaux et Virginie Despentes, il apparaît qu’Annie Ernaux est l’auteure qui apparaît comme étant la plus marquée par son genre « féminin », ce qui escamote la portée féministe de ses œuvres qui pourrait être appropriée publiquement.
54Le genre féminin est doté d’un capital symbolique souvent négatif, mais il semble, en étudiant de près les interactions entre lecteurs et lectrices dans leur cercle de lecture et au-dehors – par exemple en ayant un aperçu des échanges de lecture dans un couple de bookcrosseur –, que ce soit également la constitution d’un capital masculin positif qui déprécie certaines pratiques de lecture, variables selon les contextes – lectures de romans policiers écrits par des femmes dans le cercle de la bibliothèque, lecture de « chick lit » par les bookcrosseuses. Et ce, alors même que les lectrices font preuve d’un éclectisme plus grand et lisent également les genres littéraires « masculins ». Quant aux auteures qui subvertissent les normes de genre dans leurs écrits, elles peuvent être utilisées par les lectrices pour diffuser des idées politiques et des goûts littéraires minoritaires, à condition de ne pas apparaître avant tout comme « une femme qui parle de sujets féminins ». L’action du genre comme capital symbolique, se comprend donc à la lumière du double mouvement réciproque qui stigmatise symboliquement le genre féminin et constitue en retour le genre masculin comme capital symbolique positif. Ce capital symbolique agit au sein de contextes de réception qui font varier les définitions du masculin et du féminin en termes de pratiques de lecture. Ce sont ces mêmes contextes dans lesquels apparaissent des brèches pour valoriser les auteures et les idées féministes, que les lectrices utilisent en respectant les règles de leur groupe de lecture, ce qui laisse penser que les auteures féministes peuvent bénéficier d’une réception parfois plus valorisante que les auteures qualifiées comme Annie Ernaux – à tort comme on l’a vu – de « féminines ». Le retournement du stigmate féministe en transgression distinctive s’avère d’autant plus efficace que les lectrices respectent le plus souvent la hiérarchie genrée qui dévalorise les auteures femmes en général, exception faite de quelques auteures très légitimes et/ou féministes.
55Mais en tant que pratique, la lecture n’est pas nécessairement orientée vers l’acquisition de capitaux socialement validés. Certains modes a priori illégitimes d’appropriations des textes peuvent participer à la construction des dispositions de genre, les réaffirmant ou les reconfigurant. L’identification aux personnages et/ou aux auteurs et l’évasion par la lecture sont deux usages sociaux de la lecture opposés à l’idéal de la lecture esthète (lire pour lire). Toutefois, ces lectures illégitimes peuvent servir de support à la transgression du genre.
Notes de bas de page
1 Les analyses développées dans cette section ont fait l’objet d’un article, voir Albenga (2007).
2 Pour un approfondissement des appropriations de l’œuvre d’A. Ernaux, nous renvoyons aux travaux de Charpentier (1994).
3 Claire, rencontre de lecteurs du 12 décembre 2006, journal de terrain.
4 Rencontre de lecteurs du 12 décembre 2006, journal de terrain.
5 Ibid.
6 Troc-polar du 21 mars 2006.
7 « L’identification cathartique » se définit par le fait qu’« elle dégage le spectateur des complications affectives de sa vie réelle et le met à la place du héros qui souffre ou se trouve en situation difficile, pour provoquer par l’émotion tragique ou par la détente du rire sa libération intérieure » (Jauss, 1978, p. 166).
8 « L’androgynie lectorale » des lecteurs de romans policiers désigne leur capacité à transgresser leurs identités sociales par ces lectures : « Le brouillage lectoral des identités hors les livres réactive, renforce, voire crée chez les lecteurs une forme d’“androgynie lectorale” dans laquelle se trouvent associées des ressources et des manières de lire, jugées habituellement peu compatibles entre elles et qui rencontre leurs propres dispositions à transgresser la division sociale et sexuelle des rôles. » (Collovald et Neveu, 2004, p. 275.)
9 C’est-à-dire une « Journal Entry », une fiche de lecture rendant compte de manière succincte ou approfondie d’un ouvrage. L’absence de « Journal Entry » sur le site Internet du bookcrossing signifie dans ce cas que les livres déposés par Christelle n’ont pas été lus.
10 Il est l’auteur de Fight Club, qui a été transposé au cinéma par David Fincher en 1999.
11 En ce sens, ils vérifient les conclusions établies par Détrez (2007, p. 276) sur les évolutions du capital culturel.
12 Le théorème du perroquet de Denis Guedj présente de manière romancée une histoire de la science mathématique.
13 L’auteure développe dans cet ouvrage un point de vue féministe sur des thèmes suscitant débats et divisions entre féministes tels que le viol, la pornographie et la prostitution. Elle évoque également la transgression de genre que constitue le seul fait d’être auteure, et plus particulièrement d’être l’auteure Virginie Despentes.
14 Jean-Marc a refusé de nous accorder un entretien ; il n’a donc pas été possible de croiser les points de vue des deux conjoints sur leurs pratiques de lectures.
15 Si l’on objective les signes de reconnaissance littéraire, on peut noter qu’Annie Ernaux et Virginie Despentes ont toutes deux gagné le prix Renaudot : Annie Ernaux en 1984 pour son roman La place et Virginie Despentes en 2010 pour Apocalypse Bébé.
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