3. L’espace des possibles professionnels des écoles
p. 75-92
Texte intégral
1L’accord entre les espérances subjectives et les chances objectives de faire du journalisme se retrouve aussi en aval des écoles si l’on observe les débouchés professionnels des promotions sorties de ces établissements comme nous allons le faire à présent dans ce chapitre. Conformément à la vision qu’en ont les étudiants, les journalistes et les producteurs de palmarès1, les « grandes écoles » offrent plus de chances d’accéder aux « grands médias ». Cette justesse pratique des jugements ordinaires tient à l’homologie qui existe entre l’espace des étudiants, l’espace des écoles qui en découlent et l’espace de leurs débouchés professionnels.
Conjonctures et « champs des potentialités professionnelles »
2Si « tout se passe comme si ce champ [ici journalistique] trouvait sa reproduction par la médiation d’un champ d’institutions scolaires qui lui est homologue2 », il importe dans un premier temps de rappeler la conjoncture « économique » à laquelle s’est trouvée confrontée la population estudiantine étudiée lorsqu’elle est entrée dans la vie active au milieu des années 2000 afin de définir à gros traits « le champ des potentialités objectives3 » qui s’offrent aux étudiants sortis d’école. Toutes les études et données attestent de la dégradation du marché de l’emploi pour les journalistes dans les années 20004. La profession connaît un ralentissement de plus en plus marqué de la progression de ses effectifs, mesurés par le nombre des titulaires de la carte professionnelle depuis les années 1990, qui aboutit à leur stagnation et même leur diminution à la fin des années 2000. La précarité s’amplifie. En 1990, les contrats à durée indéterminée (CDI) concernaient 72,3 % des « nouveaux entrants », encore 68,8 % en 1998 et seulement 41,4 % en 2008. La dégradation de la santé économique du secteur se lit dans l’accentuation de l’érosion de la diffusion de l’ensemble de la presse payante entamée en 2000. Ainsi entre 2000 et 2007, la diffusion annuelle totale de la presse d’information générale et politique nationale chute de 710 à 670 millions d’exemplaires. Les plans de restructuration commencent dès le début des années 2000 : plan social à Canal+ en 2003 ; plan de départs volontaires au Monde en novembre 2005 ; rachat de France-Soir en avril 2006 et plan social ; plan social à Libération en juillet 2006 ; plan de départs volontaires à I-Télé en novembre 2007.
3Il faut néanmoins affiner ce constat. Premièrement, comme indiqué précédemment, les situations sont distinctes selon les supports et les secteurs médiatiques. Au sein de la presse écrite, jusqu’à la fin des années 2000, la presse de proximité limite la baisse de son chiffre d’affaires et de sa diffusion, la presse gratuite, elle, est en croissance tant en termes de chiffre d’affaires que de diffusion. Si, avec 61 % des employeurs en 2008, la presse écrite reste le principal secteur d’activité d’emploi des journalistes professionnels, le secteur audiovisuel représente 21 % de l’ensemble des employeurs en 2008 et a connu une croissance de 7 % sur les quatre dernières années. Le secteur du web, s’il représente une part infime des employeurs dans l’ensemble (1 %) en 2008, a vu sa part dans l’ensemble s’accroître de 50 % entre 2004 et 2008. Deuxièmement, à l’instar de la conjoncture économique globale, la dégradation s’accentue et se généralise à l’ensemble des médias d’information à partir de 2008 avant de se détériorer encore plus par la suite. Ainsi c’est à compter de 2009 que l’ensemble du secteur de la presse, presse régionale et presse spécialisée comprises, voit sa diffusion et ses chiffres d’affaires diminuer. Les étudiants sont donc entrés dans la vie active avant le pic de la crise5 dans un contexte où la presse quotidienne mais aussi hebdomadaire régionale, la télévision, en particulier, avec le développement des chaînes thématiques et d’information en continue, la presse gratuite, la presse spécialisée grand public, la presse en ligne avec les sites de titres de presse gratuite comme 20 minutes par exemple ou de presse quotidienne nationale comme celui du Figaro6, deviennent ou restent des secteurs porteurs d’embauches croissantes ou du moins constantes. Comme le dit une étudiante à propos des possibilités d’embauche en PQR à l’époque : « L’emploi, à la sortie de l’école, on le touchait du doigt. » Quand la conjoncture se dégrade plus nettement à partir de la fin des années 2000, les étudiants sortis au milieu des années 2000 de leurs écoles sont depuis plusieurs années dans la vie active et ont pu, pour un certain nombre déjà, stabiliser leur situation professionnelle.
4L’aggravation de la crise de l’emploi journalistique dans la presse écrite payante même régionale et dans l’audiovisuel public, et tout particulièrement à France Télévisions qui a progressivement limité puis gelé ses embauches dans ses rédactions d’information, a pu limiter l’accès à des postes en CDI et la stabilisation professionnelle de ces étudiants et ce, même après de longues années de CDD pour ceux notamment qui étaient inscrits sur « le planning » des collaborateurs réguliers des antennes de l’audiovisuel public7. Le constat fait par Olivier Standaert à propos de la conjoncture dans le secteur du journalisme en Belgique, aujourd’hui, peut être repris pour la France : « Les créations de postes salariés relèvent donc d’une logique ponctuelle et focalisée, tandis que le long terme laisse voir une diminution progressive des effectifs de cette catégorie statutaire. Dans ce paysage, l’obtention d’un CDI est conditionnée bien plus souvent qu’à son tour à la vacance d’un poste préexistant8. »
Une fraction spécifique de nouveaux entrants
5Un premier fait notable du devenir professionnel de notre population en est la très forte part, 84 %, qui est ou se dit encore journaliste (13 % travaillent dans un autre secteur, et les 2 % restant sont des situations non identifiées que l’on peut assimiler également à des sorties du domaine). Cette proportion est au-dessus de celle estimée par Christine Leteinturier et Michel Matthien pour qui les trois quarts des étudiants d’école se présenteraient sur le marché du travail9. L’importance de ce chiffre, s’il recouvre des situations de chômage, de sous ou multi-activités et même de sortie partielle voire complète du secteur sous estimés, liée à notre méthode de recueil de données, tend cependant à confirmer le fait que la population des étudiants d’écoles reconnues constitue une fraction limitée mais dominante sous de nombreux rapports des apprentis journalistes dont l’un est l’accès et le maintien sur les marchés du travail journalistique. Les données sur les nouveaux titulaires de la carte de presse le confirment10. Les taux de sorties plus forts qu’elles enregistrent tiennent, outre à la différence du mode de recueil de données, aussi la définition plus extensive de « la sortie » du secteur qu’implique un indicateur comme la carte professionnelle11. Si l’on se réfère à une population et un mode de mesure proche des nôtres, les résultats enregistrés sont très proches12.
6Un indice, a contrario, du maintien dans le champ journalistique ou du moins de la revendication à y appartenir est la faible part parmi notre population de ceux travaillant dans les médias dits « alternatifs13 » en considérant que « l’espace des “médias libres” fonctionne ainsi sociologiquement comme un espace de compensation vis-à-vis du champ journalistique officiel (ou reconnu) : il apporte diverses rétributions, principalement symboliques (mais pas seulement), à des aspirants journalistes qui y trouvent une place que ne leur offre pas le marché du travail14 ». C’est le cas pour seulement deux individus15. Mais, sur la base du même raisonnement qui peut conduire à voir le travail journalistique à l’étranger comme une exclusion d’un marché national qui n’offre pas de poste, force est de constater que la part de ceux travaillant à l’étranger n’est pas négligeable (9 %). Certes cette proportion recouvre cependant beaucoup d’anciens étudiants travaillant de façon stable pour des médias français ou ayant quitté volontairement la France. Ainsi Estelle qui est partie pour exercer son métier dans des « zones de conflits » comme elle en rêvait, ou David qui gagne la Chine le pays où il avait voulu partir vivre depuis le début de ses études supérieures. Mais ces départs renvoient également à des exils plus ou moins « forcés » même s’ils ont toujours des motivations positives, tel celui de Yohann aux États-Unis, qui préfère tenter la vie de pigiste à Los Angeles plutôt qu’à Paris, vie qu’il abandonnera cependant quand l’occasion s’offrira à lui, trois ans plus tard, de revenir en France pour occuper un poste de CDI dans une grande chaîne télévisuelle sportive.
7Si le maintien dans les marchés du travail journalistique peut être synonyme d’une précarité accrue, surtout d’ailleurs pour les étudiants de ces écoles sélectives entrant dans la vie active16, notre population semble ne pas être plus particulièrement touchée par ce phénomène, ce peut-être donc en raison de son entrée sur les marchés du travail journalistiques, légèrement antérieure à la dégradation de la conjoncture du secteur. Ainsi si l’on se réfère – avec prudence du fait de l’insuffisance de données - au type de contrat de travail comme indice de cette précarisation, on peut signaler à titre indicatif sur la base des informations uniquement relatives à 4 écoles (l’IFP, le CFJ, le Celsa et l’EJCM ; n = 107) que, sous ce rapport, la situation des étudiants de ces établissements ne se démarque pas vraiment du reste de la population des journalistes. 62 % de cette sous-population travaillant dans le journalisme sont employés en CDI, 2 % en CDD et 30 % sont pigistes ou indépendants, répartition quasi identique aux 66,2 % de CDI, 7,7 % de CDD et 23,9 % de pigistes (soit 30 % de non CDI) évaluée parmi les titulaires de la carte de presse en 2011 âgés de 26 à 34 ans. Sans surprise, les journalistes le plus souvent enregistrés sous le statut de pigiste et encore plus d’indépendants sont ceux spécialisés en télévision qui vendent leurs sujets à des sociétés de production ou des chaînes.
8Si l’on s’en tient à présent aux situations professionnelles des anciens étudiants identifiés comme « journalistes », un premier examen global des données recueillies montre qu’elles se distribuent à peu près conformément à la structure globale des marchés du travail journalistique, avec cependant quelques spécificités partiellement propres à cette sous-population que sont les diplômés d’écoles reconnues qu’avaient soulignées des études antérieures17. Tout d’abord, l’attraction de la région parisienne qui concentre la majorité des employeurs et des journalistes18 s’impose à notre échantillon comme à l’ensemble de la profession : ils sont 53 % à y travailler. Relativement et prises isolément, les autres régions, encore une fois comme pour l’ensemble de la profession, sont des lieux de travail marginaux : Rhône-Alpes, les DOM-TOM, Midi-Pyrénées et l’Alsace, par ordre décroissant d’importance, ne rassemblent que de 4,5 % à 3 % des anciens étudiants. Plus nombreux (9 %) sont ceux, qui, au moment de l’enquête, se trouvent à l’étranger, principalement en Amérique du Nord, en Europe et en Asie, la plupart pigeant pour différents médias français. Certains travaillent dans des médias nationaux à rédaction francophone comme au Canada, au Luxembourg ou en Italie, d’autres ayant même créé des agences de presse audiovisuelles à l’étranger pour développer leur activité.
9La répartition selon le média d’exercice diffère, elle, de celle de l’ensemble du groupe des journalistes titulaires de la carte (tableau 9). Si la presse écrite reste le support modal (43,5 %), sa part est bien plus faible que pour l’ensemble des titulaires de la carte de presse (58 %). À l’inverse, la télévision (29,5 % contre 15,5 %) et, dans une mesure moindre, la radio (14,5 % contre 9,5 %) et le web (6 % contre 3 %) sont surreprésentés. La part des journalistes exerçant en agence est quasi identique (un peu plus de 6 %). Cet écart à la moyenne dans la répartition par support avait déjà été observé pour les nouveaux entrants issus d’écoles reconnues en 2008 avec un poids cependant moindre de la télévision et supérieur du web (voir la dernière ligne du tableau 9). Les données les plus récentes sur les nouveaux titulaires de la carte de presse confirment pour les diplômés en journalisme l’augmentation significative du travail en télévision et en web19. L’évolution plus générale du secteur et des marchés du travail journalistique combiné à un effet générationnel peut contribuer à expliquer cette attraction de l’audiovisuel. Ainsi la répartition par support des nouveaux entrants en 2011 montre qu’ils sont employés de moins en moins en presse écrite (48 %) et de plus en plus en télévision (20 %) mais aussi en web, secteurs relativement plus en expansion que l’écrit au début des années 2000. De même, parmi les titulaires de la carte de presse en 2011, âgés de 26 à 34 ans, tranche d’âge à laquelle appartient à peu près notre population quand nous l’observons en 2012, la part de ceux travaillant dans le secteur de la télévision s’élève à 24 %. Pourtant, ces évolutions générales n’expliquent sûrement pas, à elles seules, cette surreprésentation des étudiants des diplômées en journalisme dans l’audiovisuel, et tout particulièrement la télévision, et en web. Le passage par une école reconnue est décisif, sinon exclusif pour accéder au matériel, aux stages, aux rédactions et, au final, au métier du journalisme de télévision du moins dans les médias généralistes nationaux et même régionaux20.
10La répartition par spécialité21 souligne la part importante des anciens étudiants qui travaillent dans ou pour des médias d’information nationale générale et politique (43 %), agences de presse comprises. Ils sont un peu moins (32 %) à exercer pour des médias d’information régionale générale et politique, et moins encore dans des médias d’information spécialisée ou professionnelle (20 %)22. Ils se différencient ainsi du reste de la population des journalistes, si l’on se base, par exemple, sur des données partiellement comparables qui portent sur l’ensemble de nouveaux entrants en 2008, qui sont plus embauchés par les médias spécialisés (42 %), autant par les médias régionaux (33 %) et moins par les médias nationaux (28 %)23. Ces données globales confirment encore que notre population est subjectivement attirée24 mais aussi objectivement employée (voir également le chapitre suivant) par les médias les plus légitimes du champ journalistique. Certes, par rapport aux goûts initiaux qui l’excluaient25, les médias régionaux, qui restent un secteur fortement employeur, par un principe de réalité prennent une place plus importante dans les débouchés. Mais en tant que « presse d’information générale et politique » qui permet le plus souvent le travail de terrain, elle revêt d’une certaine légitimité par rapport à la presse spécialisée et professionnelle, pourtant aussi fortement pourvoyeur d’emplois, qui semble servir plus de repoussoir26.
« Grande porte » et « petite porte » d’entrée dans le journalisme
11Cet espace des positions professionnelles auxquelles accèdent les étudiants d’école de journalisme n’est pas le simple produit d’une rencontre d’une offre et d’une demande de travail. En fait cette offre et cette demande sont structurées socialement l’une et l’autre, les dispositions sociales à l’origine de la première étant médiées et transformées par les divisions structurales de la seconde, les écoles participant en amont et en aval à l’ajustement de ces forces comme le montre l’analyse en composantes principales (ACP) réalisée (voir encadré 3)27.
Encadré 3. L’analyse en composantes principales
Nous avons choisi de produire, par recodage, pour réaliser une ACP, un certain nombre de variables quantitatives agrégées par école que nous prenons donc comme individus statistiques (n = 12), conformément à la perspective qui est la nôtre dans ce chapitre. Prendre les étudiants comme individus statistiques n’aurait pas permis de construire suffisamment de variables non redondantes au regard des données dont nous disposions. Les variables agrégées prennent la forme de ratio rapportant le nombre d’individus portant une caractéristique donnée au nombre d’individus de la promotion identifiés comme travaillant en journalisme, à l’exception d’une variable cherchant justement à estimer la part de la promotion travaillant dans le secteur journalistique, le dénominateur étant alors l’effectif complet de la promotion. Rapporter pour chaque caractéristique le nombre d’individus à l’effectif complet de la promotion risquait de donner mécaniquement, par cumul, un poids trop fort à cette variable relative aux débouchés proprement journalistiques, que nous conservons cependant sous forme d’une variable spécifique. Les variables agrégées, finalement construites à partir des informations sur le ou les employeurs ainsi que le métier déclaré, portent essentiellement sur le type de support du média principal d’exercice (radio/ télévision/ presse écrite/ web/ agence), sur la zone de diffusion du média (régional ou national), sur sa localisation (Paris et départements), sur le statut du média (privé/public). Pour la télévision, des catégories plus fines ont pu être élaborées distinguant entre chaîne généraliste, chaîne thématique et chaîne d’information en continue. Ces variables peuvent être aussi croisées, permettant, par exemple, d’identifier des radios ou télévisions régionales ou nationales, privées ou publiques. Le souci de limiter le nombre de variables mobilisées du fait du petit nombre d’individus, d’éviter au maximum les redondances et, bien sûr, d’avoir un nuage étiré et des valeurs propres fortes bien échelonnées, mais aussi au-delà de ces considérations statistiques de faire apparaître des axes non triviaux synthétiques ayant un sens sociologique, nous a conduit à retenir 9 variables actives (les autres pouvant être projetées comme variables supplémentaires, complétant et confirmant l’interprétation des axes).
Une première série de variables (6) distingue les grands types de support du média principal d’exercice : Radio/Télévision/Agence/Presse écrite/Presse quotidienne nationale d’information générale et politique. Les individus repérés comme pigistes multisupports ont été comptés comme exerçant en presse écrite sauf pour ceux dont d’autres indices (leurs productions, leurs employeurs) permettaient d’estimer avec de bonnes chances qu’ils avaient spécialisé leur activité dans un support audiovisuel. Le support web n’a pas été intégré (il sera mis en variable supplémentaire) en raison du faible effectif qu’il représente, de sa forte corrélation avec d’autres variables en particulier le travail en média national et surtout de sa mauvaise qualité de représentation (évaluée par le cos2).
Un second groupe de variable (n = 2) cherche à entrer dans le détail des spécialités journalistiques pour prendre en compte des différences de légitimités professionnelles. Il distingue ainsi, d’une part, la proportion d’étudiants par école travaillant dans des médias spécialisés écrit, en ligne ou audiovisuel (presse professionnelle comprise) et, d’autre part, celle exerçant dans la presse quotidienne ou hebdomadaire ou en ligne nationale d’information générale et politique. Cette dernière variable regroupe donc les titres de presse quotidienne nationale non spécialisée y compris leurs sites, les « new’s magazines » y compris leur site, ainsi que de pure player (comme Mediapart).
Un troisième groupe de variable (n = 2) objective un principe structurant fort du champ journalistique en opposant média national (y compris international ou national étranger) et média régional.
Enfin, comme indiqué ci-dessus, nous avons aussi construit une dernière variable sur le secteur d’activité indiquant l’appartenance ou non au secteur journalistique.
12La distribution des écoles selon les positions professionnelles de leurs anciens étudiants fait apparaître un premier principe de division très structurant (46 % de l’inertie), correspondant à l’axe horizontal, qui oppose les établissements selon le caractère national ou régional du media d’exercice auxquelles ils offrent des chances d’accès28. Au-delà d’un simple principe géographique de division, il faut y lire un principe puissant connu de division sociale et journalistique29, qui se donnait déjà à voir dans les préférences journalistiques des étudiants30, qui oppose ici, sous le rapport cette fois de leurs débouchés, des écoles de la « grande porte » et d’écoles de la « petite porte ». D’autres corrélations entre paires de variables nous poussent à cette interprétation du premier axe. Celle entre presse quotidienne nationale et agence témoigne de l’existence, pour certaines « grandes » écoles, d’un débouché vers le pôle classique de légitimité interne qu’occupent les titres de PNQ, les news magazines et les grandes agences de presse nationale (AFP mais aussi Reuters ici). Une seconde, entre médias nationaux et média spécialisés, plus que le simple fait du caractère national de ces derniers, souligne l’existence d’un second pôle dominant du champ journalistique auquel peuvent accéder certains étudiants de ces mêmes écoles que constituent justement ces magazines, journaux mais aussi, dans une moindre mesure, chaînes télévisées spécialisées dont l’attraction renvoie plus à leur légitimité externe, leur visibilité, leur audience, leurs relative réussite et logique économique. Les données détaillées montrent que l’accès à de tels médias est clivant puisque les étudiants d’un grand nombre d’écoles en sont quasi exclus (comme à l’IUT de Tours, de Lannion, de Bordeaux, au Celsa, et au CUEJ) quand ceux des écoles les plus prestigieuses ont plus de chance d’y rentrer (tels le CFJ, l’ESJ Lille, l’IFP mais aussi l’EJCM). De plus, ce ne sont pas les mêmes médias spécialisés qui sont en jeu selon les écoles. À la « grande porte », se concentrent les médias spécialisés essentiellement nationaux avec des cas de travail dans ou pour des titres de magazines ou quotidiens « réputés » comme Paris Match, Elle, Télérama, GQ, Auto plus, Néon, L’Équipe, voire plus rarement de grandes chaînes de sport (BeIN sport, Canal+ sport) alors que pour les autres écoles, les rares étudiants en média spécialisé travaillent dans des titres régionaux gratuits ou payants ou dans des magazines nationaux s’adressant à des publics plus restreints ou moins élevés socialement (Alternatives économiques, 100 % vrai ! Faits divers). Il est important d’ajouter que les étudiants des écoles les plus réputées, comme l’ESJ Lille et le CFJ mais aussi l’IFP, à la différence des autres, se retrouvent aussi à travailler dans des agences de presse spécialisée (comme AEF en éducation ou IDE en infographie) ou dans la presse professionnelle31. Ces orientations montrent l’ouverture des possibles professionnels qui caractérisent ces apprentis journalistes de la « grande porte ».
13Un autre indice qui pousse à interpréter le premier axe comme opposant une « grande » et une « petite porte » d’accès au métier est surtout la combinaison de ces corrélations et, en fait, « l’effet taille » qu’il tend à dessiner. Les variables relatives à la part de travail pour le PQN, les agences, les médias spécialisés et les médias nationaux sont corrélées entre elles et au premier axe, montrant ainsi que certaines écoles facilitent l’accès à l’ensemble des positions journalistiquement dominantes et s’opposent à celles qui tendent à n’ouvrir principalement qu’aux positions relativement dominées qui sont l’exercice du métier dans la presse écrite régionale, ou plutôt qui sont relativement dominées car elles mènent avant tout à ces positions. C’est ainsi qu’il faut interpréter la dernière paire de variables très corrélées entre elles (presse écrite/média régionaux) contribuant fortement à la définition de l’axe. Le propre des écoles situées à la droite du graphique et les mieux représentées sur le premier axe, le CFJ, l’ESJ Lille et, dans une moindre mesure, l’IFP et l’IPJ, n’est pas tant de conduire aux médias dominants que de proposer l’espace des possibles professionnels le plus ouvert, conformément aux propriétés des institutions dominantes et aux attentes de leur public (comme, par exemple, la filière S du secondaire dans l’univers scolaire ou même les familles les mieux dotées dans l’univers social). Par opposition, les écoles qui se situent à la gauche du graphique et qui sont les mieux représentées sur cet axe comme les IUT de Tours et de Bordeaux et, dans une moindre mesure, de Lannion, offrent un spectre de positions professionnelles beaucoup plus réduit puisqu’elles ont une plus grande probabilité de mener leurs étudiants aux médias régionaux, et plus encore de presse écrite régionale. La particularité des IUT et de l’ICM de Grenoble, école de région tout juste reconnue donc à la légitimité réduite, est, par exemple, de ce point de vue, d’avoir une part forte d’anciens étudiants travaillant non seulement en presse écrite (de 50 % à 65 % contre 40 % pour la moyenne des écoles) mais surtout en presse écrite régionale (de 31 % à 48 % contre 18 % en moyenne). Si l’on observe le nuage des individus, l’espace des débouchés professionnels des écoles oppose donc bien, en premier lieu par homologie avec l’espace de leur public (voir graphiques 3 chapitre 1 et graphique 4,), une « petite porte » et une « grande porte » dessinant un continuum de position de la droite à la gauche de l’axe horizontal reproduisant les mêmes pôles d’établissements avec d’un côté, à l’extrême droite les IUT, à l’extrême gauche l’ESJ Lille et le CFJ puis, à un moindre niveau l’IPJ et l’IFP, et enfin un groupe intermédiaire avec l’EJT, le Celsa, l’EJCM, l’ICM Grenoble et le CUEJ32.
Homologie relative et effets de champ
14La position de ce dernier établissement entre autres, qui paraissait appartenir plus nettement à la « grande porte » au regard des propriétés de ses étudiants et dont il se démarque au regard de ses débouchés, pointe que cette homologie est relative et que des différences de distribution des écoles dans ces deux espaces, le long de ce premier axe notamment mais pas uniquement, sont observables. De même l’IUT de Lannion, initialement placé à l’extrémité de la « petite porte », occupe ici une position moins éloignée que l’IUT de Bordeaux. Il y a des raisons statistiques à ces écarts33. Mais il y a aussi des raisons sociologiques et c’est aussi l’intérêt de cette comparaison et de cette homologie imparfaite que de les révéler. L’espace construit ici ne se situe pas à la frontière de l’espace scolaire global et de l’espace académique du journalisme mais à la frontière des espaces académique et professionnel du journalisme. Pour le dire autrement, les écoles de journalisme ne sont plus saisies dans leur articulation avec l’espace scolaire français mais avec l’espace professionnel journalistique : les effets et les divisions du champ journalistique s’y font par conséquent plus sentir. Cela explique, par exemple, le poids pris par l’opposition national/régional que synthétise le premier axe ou, pour le dire encore plus explicitement, le fait que les écoles qui se démarquent le plus sur cet axe sont les écoles « parisiennes », au sens double de situées à Paris et qui recrutent des parisiens comme l’ESJ Lille. Cette variable décisive pour expliquer la hiérarchie des écoles selon leurs étudiants34 a encore plus de poids pour l’expliquer selon leurs débouchés. Elle témoigne de la proximité entre ces écoles et les grands médias nationaux, qu’ils s’agissent des agences, des titres de PQN, des médias spécialisés mais aussi des chaînes de télévisions dont les rédactions sont situées à Paris et renvoie, au-delà de leur proximité statistique, dans une certaine mesure, à leur proximité géographique, mais aussi de fait et conséquemment, sociale et physique. Elle tient aux liens, échanges, interconnaissances, plus ou moins volontaires voire stratégiques, mais le plus souvent implicites, qui passent par les écoles sur le mode de l’évidence et par les étudiants parce qu’ils évoluent au sein de ces écoles qui leur offrent la possibilité de tels échanges. Les rencontres institutionnelles avec les écoles de journalisme, comme celles qu’organisent à Paris, par exemple, les grands médias publics audiovisuels, les « accords » plus ou moins explicites pour des stages ou des projets éditoriaux étudiants, mais surtout les stages effectués par les étudiants dans ces médias et la présence plus ou moins permanente d’intervenants professionnels appartenant à ces titres et chaînes nationales dans ces établissements qui y viennent « faire leur marché », participent de cette familiarité (voir partie suivante). Tout se passe comme si cette proximité, qui s’apparente à du capital social d’école, se cumulait avec les capitaux et les dispositions de leurs étudiants qui les poussaient à viser initialement ces formations, puis pendant et après leur cursus à viser et avoir l’ambition de viser les médias nationaux (voir également Partie suivante). Nous enregistrons ici l’effet en amont de cette affinité élective qui peut se traduire effectivement par des chances objectives statistiques plus grandes de travailler pour ces médias. La position de l’IFP, école à la reconnaissance récente et dont on avait vu qu’elle se singularisait par son recrutement déjà sélectif scolairement et socialement, et dans une moindre mesure celle du Celsa, peut s’expliquer en partie par ce facteur « géographique ». D’ailleurs, il est significatif qu’en 2005, cette école ait cherché et ait pu obtenir un accord avec le journal Le Monde donnant la possibilité à presque une dizaine d’étudiants de faire un stage dans la rédaction de ce grand quotidien national. Par opposition, le CUEJ, qui pourtant se caractérisait également par un public relativement socialement et scolairement dominant, apparaît dans sa vérité objective d’école de région.
15Cependant l’interprétation de la position de cette école du fait de la faible qualité de sa représentation sur le premier axe, à l’instar du Celsa et de l’EJCM, pousse à tenir compte du second axe. Le nuage des variables montre que ce dernier oppose, avant tout, les écoles selon les parts d’étudiants amenées à travailler en radio ou en télévison qui présentent les contributions les plus fortes à sa définition respectivement positive (vers le haut) et négative (vers le bas). Les deux autres variables qui y contribuent également positivement, la part d’étudiants effectivement dans le journalisme et, dans une moindre mesure, la proportion de ceux travaillant pour la presse quotidienne nationale permettent de préciser ce que recouvre cette opposition entre les deux grands supports du journalisme audiovisuel, à savoir un principe de division relatif, en grande partie, au degré de légitimité interne des débouchés. En effet, dans ce système de relations, l’orientation privilégiée vers la radio traduit une forme de « sérieux » ou de « qualité » journalistique qui la rapproche, sous ce rapport du prestige classique, du travail en PQN par opposition à la télévision, média dont les entreprises et journalistes sont plus pris dans des logiques externes. Elle révèle aussi le « sérieux journalistique » de formations qui destinent et d’étudiants qui se destinent aux métiers de journaliste. Sous ce rapport, le CUEJ et l’IUT de Bordeaux (qui contribuent le plus positivement à ce second axe) se distinguent de l’IUT de Lannion, de l’IFP et de l’EJT (qui contribuent le plus négativement) même si leur positionnement au nord de cet axe renvoie, comme le montrent les tris croisés, à une combinaison de facteurs légèrement distincts. Car ce second principe de division s’exerce aux différents pôles de l’espace et demande de plus une lecture du nuage des individus plus affinée et combinant les deux axes. Le second axe distingue des écoles qui destinent leur public à des emplois non seulement dans le secteur, et relativement plus en radio et presse écrite qu’en télévision, mais aussi plus en information générale et politique qu’en média spécialisé35 conformément à une conception traditionnelle du travail journalistique.
16Ainsi si le CUEJ et l’IUT de Bordeaux se caractérisent par des taux équilibrés d’étudiants exerçant en radio et en télévision (environ 20 %) à la différence de l’IUT de Lannion et de l’EJT et de l’IFP, dont la structure des débouchés est beaucoup plus déséquilibrée en faveur de la télévision, le centre strasbourgeois se singularise moins par son taux d’étudiants exerçant toujours dans le journalisme (qui est égal au taux moyen 85 %) que par la possibilité d’accès aux médias de PQN qu’elle offre (15 %, un des taux les plus élevés) au contraire de l’IUT bordelais qui, on l’a vu, conduit avant tout à des postes en média régional mais se démarque par le taux le plus élevé d’anciens étudiants encore journalistes (96 %). Si le CUEJ, au regard de ses débouchés, semble rejeté à la marge de la « grande porte », il s’en rapproche donc sous certains rapports. À l’extrême gauche du graphique, l’IUT de Bordeaux se différencie nettement par sa position au nord des autres IUT (Tours mais surtout Lannion) mais également d’un établissement comme l’EJT. En plus des écarts tenant à la structure relative de leurs débouchés audiovisuels en faveur de la télévision, ces deux IUT s’opposent à celui de Bordeaux par leurs taux élevés d’anciens ayant quitté le journalisme (respectivement 43 % et 23 % des promotions contre 15 % en moyenne)36. Au regard de ce second axe, les positions de l’IUT de Bordeaux et du CUEJ dans l’espace des débouchés confirment leur caractère d’école établie et reconnue dont les indices, nous l’avions vu, sont, entre autres, leur ancienneté et leur réputation auprès des candidats. De ce point de vue, elles peuvent être opposées à l’IUT de Lannion, à l’EJT, mais aussi à l’ICM, école très récente, qui a un taux de sortie du journalisme un peu plus élevé (19 %).
17La répulsion selon ce second principe d’opposition entre la radio et la télévision dans l’espace des débouchés des écoles permet de revenir sur la position de ces médias dans l’espace « antérieur » des préférences professionnelles des étudiants en cours de scolarité et même plus généralement dans le champ journalistique37. Il confirme, en partie, le constat fait du plébiscite pour la radio nationale publique comme media journalistique « par excellence » voire « d’excellence » de la part des élèves dont les parents sont du secteur public et de milieu social plutôt élevés, s’opposant à la télévision rejetée comme commerciale. L’avantage de ce support, dans le cas de Radio France, est qu’il offre, comme le montre la projection des variables supplémentaires « radio régionale » et « radio nationale », deux possibles de réalisation de cette excellence journalistique, l’un à la « petite porte » avec le travail dans le réseau France Bleu, l’autre à la « grande porte » dans les antennes nationales du groupe. D’ailleurs la corrélation forte de cette dernière variable avec celle du taux d’emploi en PQN ou en agence, confirme aussi l’excellence journalistique qu’elle incarne. Plus encore, comme nous le verrons par la suite avec des trajectoires professionnelles, le système d’emplois et de recrutement de Radio France par les piges, le planning et les titularisations limitées mais existantes, laisse toujours entrevoir, pendant un temps du moins, la possibilité d’un passage de l’un à l’autre, pouvant satisfaire les ambitions de promotion sociale de certains étudiants choisissant la radio. La position relative de la télévision dans l’espace des débouchés autorise aussi une analyse similaire. En effet, comme la radio, la télévision semble aussi offrir un avenir professionnel aux étudiants tant de la « petite porte » que de la « grande porte ». Pour les premiers, c’est une alternative à la presse écrite régionale qu’ils veulent éviter ; pour les seconds, à la presse nationale d’information générale et politique où les places sont rares. Car la télévision reste un horizon professionnel envisageable pour les étudiants les plus dotés en ce qu’elle mène à des positions journalistiques dominantes, à l’image des grandes chaînes nationales. Et ils jouissent de ce point de vue, nous l’avons dit précédemment, d’un avantage comparatif par rapport aux non diplômés en journalisme mais aussi aux diplômés de la « petite porte » de par leur formation et les relations qu’elles entretiennent avec les grandes rédactions d’information audiovisuelles. De plus, il est toujours possible d’occuper, ou du moins chercher à occuper les franges les plus autonomes journalistiquement du journalisme télévisuel avec les tentatives de réalisation de format long, de reportage à l’étranger ou de documentaire.
Notes de bas de page
1 Les palmarès d’écoles de journalisme voient le jour au début des années 2010.
2 P. Bourdieu, Sociologie générale-volume 2, op. cit., p. 1094 ; « Genèse et structure du champ religieux », Revue française de sociologie, vol. 12, no 3, juillet-septembre 1971, p. 295-334.
3 P. Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris, Genève, Droz, 1972, p. 176. Comme l’écrit Rémy Ponton lorsqu’il étudie dans une perspective similaire les écrivains à la fin du xixe siècle, « il ne suffit pas de comparer leurs origines sociales et leurs cursus scolaires (ce que les historiens de la littérature ne font pourtant habituellement pas) : il reste à mettre les caractéristiques différentielles ainsi obtenues en relation avec le “champ des potentialités objectives” dans lequel ces caractéristiques sont mises en œuvre sous forme de pratiques littéraires », pratiques journalistiques dans notre cas (« Naissance du roman psychologique. Capital culturel, capital social et stratégie littéraire à la fin du xixe siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, no 4, juillet 1975, p. 68).
4 Nous nous appuyons ici, et renvoyons pour plus de détails, aux études et données suivantes : C. Leteinturier et M. Mathien, art. cité ; Photographie de la profession de journalistes, mai 2009, site de l’observatoire des métiers de la presse, [www.metiers-presse.org] ; Étude sur l’emploi des journalistes 2004-2008 (titulaire de la carte professionnelle), Observatoire des métiers de l’audiovisuel, AFDAS ; Tableaux statistiques de la presse. Données détaillées 2007. Rétrospective 1985-2005, La Documentation française, direction du développement des médias ; Chiffres de l’année 2012 pour la presse – définitifs, direction générale des médias et des industries culturelles ; Chiffres de l’année 2011 pour la presse – définitifs, direction générale des médias et des industries culturelles.
5 Comme le souligne le premier bilan du CEREQ de l’enquête Génération 2004 qui porte sur les sortants du système scolaire à cette date et donc sur la génération scolaire à laquelle correspond notre population, « malgré la crise financière de fin 2008, le chômage des jeunes entrés sur le marché du travail en 2004 arrive, sept ans plus tard, fin 2011, à un niveau voisin de celui de leurs aînés entrés en 98 ». Ce n’est qu’après que la situation s’aggrave pour les sortants de l’enseignement supérieur (Z. Mazari et I. Recotillet, « Génération 2004 : des débuts de trajectoire durablement marqués par la crise ? », Bref du CEREQ, no 311, juin 2013 ; B. Ménard, « Sortants du supérieur : la hausse du niveau de formation n’empêche pas celle du chômage », Bref du CEREQ, no 332, septembre 2014).
6 Le Figaro lance en 2006 une politique assez ambitieuse de développement de son site et embauche à cet effet en trois vagues successives rapprochées douze journalistes, notamment des jeunes diplômés d’école.
7 Voir dans la partie 3 le cas de Sébastien.
8 O. Standaert, Le journalisme flexible : Trajectoires d’insertion, identités professionnelles et marché du travail des jeunes journalistes de Belgique francophone, doctorat en information et communication de l’université Catholique de Louvain – mars 2015. Pour l’ensemble des références sur la précarité des marchés du travail journalistique voir la section « Sociologie du journalisme » de la bibliographie générale.
9 C. Leteinturier et M. Mathien, art. cité.
10 Les diplômés en journalisme s’ils connaissent des parcours instables marqués par des périodes de chômage n’en arrivent pas moins, plus que les non-diplômés, à se maintenir dans les fichiers de la commission de la carte professionnelle en attestant chaque année de revenus majoritairement issus de leur activité de journaliste. Si les taux de sorties du journalisme après huit ans de vie active se sont accru entre les cohortes 1998 et 2008 (passant de 30 % à 40 %), un écart de 5 points s’observe toujours en faveur des diplômés (et ce encore pour la cohorte plus récente de 2013). Ce caractère protecteur du diplôme semble encore plus vrai pour les diplômés d’écoles reconnues (S. Bouron et V. Devillard et al., op. cit., partie 1).
11 Rappelons que l’exercice du métier ne demande pas l’obtention de la carte professionnelle et que ceux qui ne la demandent plus continuent pour beaucoup de travailler dans le secteur journalistique : « Face à une situation que ne lui convient pas, le postulant journaliste s’oriente vers d’autres activités ou d’autres formes de l’activité journalistique hors du dispositif de la carte de presse […] Le journalisme reste le premier secteur d’activités des sortants : en fait plus d’un quart des sortants, diplômé comme non diplômés, poursuivent leurs activités professionnelles en journalisme, sans la carte de presse. » (Ibid., p. 34 et 61.)
12 Parmi des diplômés de trois promotions de plusieurs écoles reconnues réputées, « 81,7 % se déclarent exercer la profession de journaliste » (ibid., p. 69).
13 Nous employons avec prudence et à ce titre entre guillemet ce terme connoté et ambigu sans lui attribuer une quelconque valeur substantialiste (voir à ce sujet B. Ferron, « Des médias de mouvements aux mouvements de médias. Retour sur la genèse du “Réseau Intercontinental de Communication Alternative” (1996-1999) », Mouvements, no 61, 2010, p. 107-120).
14 B. Ferron, « Professionnaliser les “médias alternatifs” ? Enjeux sociaux et politiques d’une mobilisation (1999-2016) », Savoir/Agir, no 38, 2016, p. 25.
15 Et dans les deux cas, ils occupent les positions les plus établies de ce sous-champ à son pôle le plus « professionnel » (ibid.).
16 Parmi les nouveaux titulaires de la carte en 2008, les diplômés d’écoles reconnues sont pour 48,7 % d’entre eux salariés en CDD et 28,7 % pigistes contre respectivement 28,7 % et 23 % pour l’ensemble (C. Leteinturier, « La formation des journalistes français : Quelles évolutions ? Quels atouts à l’embauche ? Le cas des nouveaux titulaires de la carte de presse 2008 », Les Cahiers du journalisme, no 21, automne, 2010, p. 110-134 ; I. Chupin, « Précariser les diplômés ? Les jeunes journalistes entre contraintes de l’emploi et ajustements tactiques », Recherches sociologiques et anthropologiques, no 2, vol. 45 2014, p. 103-145).
17 C. Leteinturier, « La formation des journalistes français », art. cité.
18 Respectivement 55 % et 65 % selon les données de l’AFDAS sur les titulaires de la carte en 2008 (op. cit.).
19 Dans les trois années qui suivent leur première obtention de la carte de presse, les nouveaux entrants dans la profession de la cohorte 2013 diplômés en journalisme travaillent pour 24 % d’entre eux en télévision et 18,3 % dans le web contre, pour les non diplômés, respectivement 11 % et 12 % (S. Bouron et V. Devillard et al., op. cit., p. 35).
20 Comme l’écrit Christine Leteinturier : « On peut lire dans le succès de l’audiovisuel et du web auprès des diplômés la valeur de cette formation. Toutefois, elle tient aussi, et tout particulièrement pour l’audiovisuel, aux stratégies développées conjointement par les établissements de formation et les entreprises médiatiques qui coproduisent un certain malthusianisme de recrutement au profit de quelques écoles » (S. Bouron et V. Devillard et al., op. cit., p. 41).
21 Comme pour d’autres variables exposées ici, pour un petit nombre d’individus, ceux sur lesquels nos informations sont lacunaires ou imprécises mais aussi en particulier les pigistes ou indépendants travaillant pour un ensemble varié d’entreprises de presse, il n’a pas toujours été possible d’identifier de façon exclusive une spécialité informationnelle, un type de support, une zone géographique etc. ce qui explique que la somme des parts indiquées ne fasse pas toujours 100 %.
22 Ces chiffres correspondent à peu près à ceux mesurés par Christine Leteinturier en 2008 pour les nouveaux entrants (respectivement 49,5 %, 41 %, 18 %) avec cependant une part moins importante de l’information régionale et plus forte de l’information nationale (« La formation des journalistes français », art. cité).
23 Ibid.
24 Voir G. Lafarge et D. Marchetti, « Les hiérarchies de l’information », art. cité.
25 Ibid.
26 Les données récentes sur les nouveaux titulaires de la carte de presse confirment à nouveau ces tendances qui s’accroissent encore ces dernières années. Pour les diplômés en journalisme, la part du travail en média national augmente encore pour la cohorte 2013 par rapport à la cohorte 2008 quand celle en média spécialisé décroît et celle en média régional reste stable (S. Bouron, V. Devillard et al., op. cit., p. 35).
27 L’ACP porte sur les 12 formations reconnues caractérisées par 9 variables actives. L’interprétation (voir tableaux 10 et 11) porte principalement sur le plan factoriel dessiné par les deux premiers axes qui représentent respectivement 46,66 % et 29,68 % de la variance auquel correspond le graphique 4 (nuage des individus) et le graphique 5 (nuage des modalités actives) et le graphique 6 (nuage des modalités supplémentaires). Le troisième axe dont la variance est certes proche de la variance moyenne ne sera cependant pas exploité car la cassure est non seulement nette avec les valeurs propres précédentes mais aussi du fait qu’aucune variable n’est significativement corrélée avec cet axe, et aucun individu correctement représenté.
28 Ces deux variables sont effet celles qui contribuent le plus, respectivement positivement et négativement à la définition de cette première composante et y sont particulièrement bien représentées (nous retenons ici les variables dont la contribution à l’axe dépasse la contribution moyenne).
29 « L’opposition quotidien national et quotidien régional selon la qualité sociale de leur lectorat est peut-être encore plus vraie aujourd’hui que la presse quotidienne populaire a disparu et que la presse quotidienne nationale se résume aux “quotidiens de qualité” » (J. Duval, « Das journalistische Angebot und der soziale Raum im heutigen Frankreich », dans T. Wiedemann et M. Meyen [Hrsg.], Pierre Bourdieu und die Kommunikationswissenschaft. Internationale Perspektiven, Köln, Herbert von Halem Verlag, 2013, p. 146-165).
30 G. Lafarge et D. Marchetti, « Les hiérarchies de l’information », art. cité.
31 LSA notamment, groupe qui s’adresse aux professionnels de la distribution.
32 Comme pour le recrutement social des étudiants des écoles, nos résultats sur l’espace de leurs débouchés professionnels sont confirmés par des enquêtes plus récentes. Ainsi celle de Samuel Bouron retrouve à gros traits la même structure principale et le même continuum des distributions des écoles selon la zone de diffusion de média employeur. Les autres indicateurs des débouchés mobilisés dans cette étude comme le pourcentage de titulaires de la carte de presse et le salaire attestent également de l’opposition entre la position dominante du CFJ et de l’ESJ Lille et, à l’autre pôle de l’espace, la position dominée de l’IUT de Lannion et enfin celle plus intermédiaire du CUEJ et de l’IJBA (S. Bouron, Apprendre à penser comme un journaliste. Construction sociale des catégories de connaissances professionnelles et division du travail journalistique, thèse de sociologie, Amiens, université de Picardie Jules-Verne, 2014). Cette étude montre aussi que Bordeaux a conservé comme débouché principal les médias locaux. 46 % de ses anciens étudiants y travaillent soit la proportion la plus élevée à l’exception de l’IUT de Lannion (49 %), quand ces taux sont les plus faibles pour le CFJ, l’ESJ Lille et l’IPJ (environ 20 %). Le positionnement « régional » de l’IJBA n’a donc pas été modifié en dépit du changement de grade de son diplôme, prouvant là encore l’inertie de l’espace des écoles indépendamment de la conjoncture ou des transformations internes aux formations.
33 Rappelons aussi que les populations étudiantes qui ont contribué à définir les deux espaces, l’un directement l’autre indirectement, ne se recouvrent pas intégralement : pour l’ACM ne sont pris en compte que les répondants aux questionnaires alors que pour l’ACP les taux par école sont calculés sur la base des promotions complètes ; pour l’ACP les années spéciales et les filières spécialisées de l’ESJ Lille n’ont pas été incluses.
34 Le lieu de résidence était une variable active de l’ACM, la résidence en Île-de-France une modalité contribuant à la définition du premier axe, et plus largement à la hiérarchie sociale des écoles.
35 La matrice des corrélations montre que la variable « part des étudiants journalistes » est certes corrélée non seulement bien sûr, comme le montre le graphique 5, positivement avec les variables « parts des étudiants en radio » et « part des étudiants en PQN » et négativement avec la part des étudiants en télévision, mais aussi négativement avec la variable « part des étudiants en média spécialisé ».
36 Les enquêtes sur le devenir professionnel des diplômés de l’IUT de Lannion des promotions 2009 et 2010, qui interrogent les étudiants deux ans et demie après la fin de leurs études, confirment la position de cette école. Certes le développement au sein de cette formation d’un cursus plus établi de radio explique que l’univers des possibles professionnels se soit a priori élargi, avec 30 % des individus travaillant dans ce support, conjointement à un déclin de la télévision, et rapproche a priori cet IUT des autres écoles. Mais l’avenir professionnel pour ses diplômés se résume cependant toujours essentiellement à la presse écrite (60 %) et à l’exercice du métier dans des médias de diffusion régionale pour leur totalité. Surtout, le taux de sortie de journalisme enregistré est encore et toujours très élevé et atteint les 37 % pointant le fait que le taux enregistré pour la promotion 2006 n’était pas un accident ou le simple effet d’une reconnaissance récente.
37 C’est là une force, et non une faiblesse comme cela est trop souvent dit, des analyses « circulaires » en termes de champ que d’interpréter les variables par l’espace qu’elles ont contribuées à construire : la qualité des ressources fait la qualité des positions qui en retour fait la qualité des individus qui les occupent et des ressources qui y donnent accès. Un champ est un champ de lutte pour définir conjointement les capitaux et les positions dominantes.
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