4. La professionnalisation comme condition de la survie : nouvelles allégeances, nouvelles compétences ?
p. 127-168
Texte intégral
1Une véritable fragilité caractérise les organisations environnementales jusque dans les années 1990. Leur existence est parfois même compromise à plusieurs reprises. Évolution la plus notable au cours de cette dernière période, la professionnalisation progresse au sein de chaque structure. Elle se manifeste par le recrutement de spécialistes de problèmes d’environnement, qui abordent ensemble les dimensions sociales, politiques et scientifiques des enjeux traités. Cause de, ou solution à la précarité de l’action associative, la professionnalisation est souvent survenue à l’occasion ou au prix de crises et de tensions. Ce chapitre explicite les conditions d’une transition entre bénévoles et salariés en examinant l’évolution des compétences spécifiques de chaque organisation. Il s’agit d’analyser les manifestations de la professionnalisation et ses effets sur le plan des savoir-faire et dans les relations établies avec les publics externes.
2La démonstration d’un savoir sur les enjeux d’environnement engage en effet leur crédibilité, car ces derniers occupent une place plus importante dans les agendas des instances gouvernementales, internationales et communautaires. Le Sommet de la Terre organisé par les Nations unies à Rio en 1992 a marqué un moment crucial à cet égard. L’idée que la participation de tous soit l’une des clefs de résolution de problèmes d’environnement conforte l’un des éléments de discours de la gouvernance de l’environnement (Salles, 2009). De nouvelles mesures participatives sont adoptées en France. À la loi Bourchardeau de 1983 sur les études d’impact succède la loi Barnier en 1995 qui met en place une Commission nationale de débat public. Les autorités locales sollicitent également davantage les associations dans des projets communs de coopération. Les possibilités plus nombreuses d’action qui s’offrent aux organisations environnementales questionnent leur capacité à les arbitrer et en tirer parti.
3La comparaison revient tout d’abord sur les origines de la professionnalisation et ses promoteurs. Les effets des réformes adoptées dans la seconde moitié des années 1980 sont ensuite appréciés vis-à-vis des publics extérieurs - donateurs/adhérents, entreprises ou pouvoirs publics - dont le soutien est recherché pour financer cette option, voire assurer la survie. Cette analyse est prolongée par celle des modalités dans lesquelles elles s’inscrivent au sein des réseaux internationaux d’ONG et mobilisent les ressources de leurs composantes locales, reprenant les catégories de l’hypothèse 2 (cf. tableau 2). Les trois dimensions problématiques identifiées dans le chapitre 3 - la mobilisation du nombre, le relais assuré aux causes locales et internationales - seront ainsi mises en discussion.
Circulation des membres et professionnalisation
4Au cours de la seconde moitié des années 1980, le recours à des salariés devient plus courant au sein des associations, y compris dans le fonctionnement de la FFSPN et des AT qui leur accordait une place marginale. Les finalités et les modalités de la professionnalisation varient selon les organisations. Elle doit prolonger la compétence de l’organisation ou, au contraire, changer radicalement ses modes opératoires. La circulation des membres de l’organisation, i. e. le mouvement en interne à des postes de responsabilité, explique ces deux cas de figure correspondant d’une part à la LPO, la FFSPN et le WWF, et, d’autre part, aux AT et à Greenpeace France. L’analyse est centrée sur trois aspects, le renouvellement des équipes dirigeantes et des permanents, les orientations en termes de recrutement au regard de ce que fait l’association, et enfin la stratégie qui lui est associée. Ces trois éléments identifiés, par l’hypothèse 2, sont essentiels dans la construction d’une compétence spécifique.
La relative continuité des réformateurs
5Des cinq associations, la LPO est la plus avancée sur le plan de la professionnalisation avec onze salariés en 1983. Le conseil d’administration initie la réforme dans un contexte de stabilisation des revenus. Au contraire, des difficultés financières conduisent à un effort renouvelé afin de réaliser les missions respectivement de la FFSPN, devenue FNE en 1989, et du WWF : fédérer les associations de protection de l’environnement pour agir sur la loi, pour la première, et financer la conservation de la nature, pour la seconde.
La LPO, une organisation prestataire d’expertise à la conquête du grand public
6Le conseil d’administration décide, en 1983, de consacrer des ressources à la communication et au renouvellement des adhérents. Il renoue ainsi avec un objectif affiché par les administrateurs au tournant des années 1970. La faiblesse matérielle de l’association a eu raison de cette ambition, quand la LPO s’est investie dans la préparation des premiers textes législatifs et réglementaires consacrés à l’environnement, sous l’impulsion de M. Brosselin.
7La nouvelle orientation est soutenue par les deux présidents successifs de la LPO. Après une période de coprésidence de deux ans avec le colonel Milon, A. Reille en prend seul la responsabilité en 1978. Il est secondé par M. Brosselin, alors secrétaire-général. A. Reille est en parallèle essayiste et producteur d’émissions de télévision animalières. Il introduit un autre personnage médiatique dans les cercles de la LPO : A. Bougrain-Dubourg. Ce dernier prend la présidence en 1986 et ce jusqu’à aujourd’hui. Il a participé aux manifestations que la LPO organise depuis 1985 dans le Médoc chaque année le 1er mai contre l’ouverture de la chasse à la Tourterelle, contraire au droit européen. Animateur de l’émission télévisée 30 millions d’amis, A. Bougrain-Dubourg apporte à l’association parisienne partie en province un capital inédit de notoriété.
8Il contribue à l’élargissement du public de la LPO au-delà de spécialistes et d’ornithologues. Alors que celle-ci rencontrait encore des difficultés pour se détacher de son image de « ligue des petits oiseaux », c’est pourtant avec lui une tendance délaissée au sein de la LPO qui rejoint ses rangs, celle de la défense de la cause animale. Ce volontarisme s’explique aussi par l’attachement du nouveau président à défendre la réglementation européenne (directive Oiseaux 79/409/ CEE) en matière de conservation des habitats et de chasse de l’avifaune sauvage, cause dans laquelle il s’investira personnellement. En visant l’augmentation du nombre d’adhérents, il s’agit symboliquement de rivaliser avec celui des fédérations de chasse. Enfin, avec A. Bougrain-Dubourg, l’aspect communication gagne non seulement en importance, mais elle passe désormais par son président. Cette prédominance médiatique est acceptée par le conseil d’administration où siègent encore des administrateurs de la première heure, ainsi les frères Terrasse.
9Président ou membres du conseil, les équipes dirigeantes de la LPO sont marquées par la stabilité, malgré le principe de renouvellement du conseil d’administration par tiers tous les ans en assemblée générale. La continuité est également de mise dans l’équipe de salariés et l’action de la LPO. Le premier permanent à Rochefort, M. Métais, en est toujours le directeur. De même les salariés, recrutés au cours des années 1980, sont majoritaires au cours de la décennie suivante. Ils ont une formation de naturaliste ou d’ornithologue, quand ils ne sont pas défenseurs des animaux. Cohabitent ainsi des sensibilités différentes au sein de LPO, à l’image des publics qu’elle va conquérir. L’association se vit à travers ces différentes motivations.
10Sur le second aspect, celui des actions, sa compétence spécifique est déjà stabilisée au cours de la seconde moitié des années 1980. « L’association de projets », terme déjà évoqué pour signaler la construction de savoir-faire en interne à l’occasion d’opportunités, est à l’origine d’un développement en arborescence.
« La LPO, c’est ça. Quand on est dans le développement et qu’on en a les moyens, on crée une cellule. La cellule peut se développer. On fait en sorte d’avoir une activité minimale et là-dessus on a des projets. Si ça va mal, on arrête. »
LPO, directeur, 28 avril 2014.
11Cette ligne d’action explique la coexistence d’objectifs différents. Ainsi, la création en 1992 d’une revue spécialisée, Ornithos, qui offre ses colonnes aux passionnés d’ornithologie, intervient alors que l’association cherche à diversifier ses publics à travers L’Oiseau magazine. La publication, acceptée à titre d’expérimentation pour deux ans par le conseil d’administration, rencontre un succès immédiat. Elle perdure encore aujourd’hui.
12La répartition de l’équipe salariée reflète les objectifs de ce développement. L’association compte 25 salariés en 1987, cinq fois plus qu’en 1980. La moitié s’emploie au volet conservation de l’association, études et gestion d’espaces naturels, l’autre à la gestion administrative et aux adhérents. Le directeur est responsable du volet conservation et de son activité réserves, tout en assurant le suivi des activités quotidiennes de la LPO. Le directeur adjoint gère un service vie associative.
13Au milieu des années 1980, la LPO dispose de réserves de trésorerie, publie sa propre revue pour les adhérents, L’Oiseau magazine, et obtient l’agrément d’intérêt public (1986). Ses actions, des projets de protection aussi bien que des interventions auprès des pouvoirs publics, restent le support d’une communication qui se veut plus ouverte au grand public.
La FFSPN, la nécessité d’une réforme jusqu’ici éludée
14Le mode opératoire de la FFSPN combine l’option légaliste et la mobilisation de bénévoles experts. Le choix tacite d’un surcroît d’activités, plutôt que de trancher l’alternative « plus de moyens ou moins d’activités » posée en 1975, conduit à une réforme désormais inévitable. Le secrétaire général démissionne momentanément en 1985, après avoir essayé de susciter une réflexion sur la réforme du secrétariat et les relations avec les associations fédérées. Un groupe de travail est constitué en 1985 après une assemblée générale vécue par certains administrateurs comme révélatrice d’une « fédération en crise », selon sa correspondance. Un bureau partiellement renouvelé porte la réforme de 1986. Si le nouveau mode opératoire doit renforcer l’équipe de salariés dans des postes de direction, les bénévoles experts et responsables associatifs restent aux commandes.
15La composition du nouveau bureau reflète le poids pris par les régions. Ainsi Pierre Delacroix, le nouveau président, est l’un des responsables de la SEPANSO en Aquitaine. Cette évolution, à l’œuvre depuis le début des années 1980, était appelée des vœux du précédent président, J.-P. Raffin, pour pallier des problèmes chroniques de communication entre la FFSPN et les associations fédérées. L’augmentation continue des dossiers à traiter reste la règle1. Quelques administrateurs assument de fait l’arbitrage du quotidien, ainsi que les tâches de gestion financière et de personnel. L’agenda de la fédération est souvent saturé, offrant peu de visibilité et donc de prise sur les perspectives financières et stratégiques.
16Le nouveau bureau souhaite dissocier les dimensions administrative et politique dans la conduite de l’association. La gestion des finances et du secrétariat, i. e. de l’équipe de salariés, est tout d’abord confiée à un directeur général. Il s’agit de plus de généraliser une expérimentation à l’ensemble des problèmes traités par la fédération : les réseaux « Tourisme et loisirs » créés en 1983, puis « Forêt » et « Agriculture2 ». Ces réseaux mobilisent, sur une thématique précise, les bonnes volontés existantes au sein des associations membres afin de préparer une réflexion et des positions fédérales. Ils s’appuient sur des échanges avec les professions concernées.
17Les « contrats d’objectifs », adoptés pour prolonger l’initiative, cristallisent les finalités de la réforme : une prise de responsabilité individuelle sous supervision collective et une meilleure répartition des rôles entre fonctions administrative et politique. Une douzaine de thématiques sont arrêtées (Littoral/Mer, Préservation et conservation des milieux, Tourisme, forêts, Eau/pêche, Agriculture, Montagne, Énergie, Déchets/pollutions, Chasse, Faune/Flore, Études d’impact, Dossier Loire). Elles sont confiées à des administrateurs qui font transiter, par le secrétariat de la fédération, leurs échanges vers les associations fédérées et les publics externes3. La définition de stratégies, objectifs à terme et moyens budgétaires, doit être discutée collectivement avec le président, le secrétaire général, l’administrateur responsable du contrat et le nouveau directeur général.
18Le fonctionnement de ces contrats d’objectifs signale une concession accordée à la professionnalisation. En 1984, l’association ne compte que sept salariés dont trois à mi-temps. Le principe de renforcer l’équipe de salariés est finalement acquis. Le véritable enjeu est ailleurs, dans le choix de financer cette option. La fédération reste dépendante des financements publics, faute de pouvoir compter sur la solidarité de ses composantes. Or, la définition des stratégies est aux mains des élus associatifs fédéraux, car la réforme n’a pas affecté les relations entre fédération et associations membres. Cet aspect est encore éludé lors de la modification des statuts en 1989, analysée dans la section suivante.
19Comme au sein de la LPO, les élus du conseil d’administration sont encore et souvent les militants de la première heure. Les scientifiques y sont moins prépondérants, à l’image du président Delacroix, officier de marine marchande et ornithologue passionné. Les élus associatifs des fédérations régionales ont des profils plus variés que les militants de première heure de la FFSPN.
Le WWF, internaliser les savoir-faire essentiels à la conservation et à son financement
20En 1986, le WWF est une association « inconnue du grand public, voire discréditée auprès du monde associatif » (WWF, ancien salarié, 22 août 2014). La ligne d’action du WWF France, déclinée par une nouvelle équipe en 1986, consiste à se faire connaître en soutenant des associations dans leurs actions de conservation. Les résultats de cette stratégie étant mitigés vis-à-vis du grand public, elle est révisée à l’occasion de nouvelles difficultés financières traversées par le WWF.
21L’autre pan de la stratégie, consistant à collecter des fonds à destination de projets de conservation, se traduit rapidement par une augmentation de l’équipe de salariés. Le nouveau directeur, Jean-Baptiste Dumont, met en place un service de relance par courrier des donateurs et développe les actions de mécénat. Les recettes sont multipliées par 5, de 1985 à 1995 (Panda magazine, 74, septembre 1998 : 20). Entre 1992 et 1995, le WWF dépend en majorité de dons de particuliers, de l’ordre de 60 à 70 % (Panda magazine, 64, mars 1996 : 32). Au début des années 1990, l’équipe de salariés compte une vingtaine de personnes. Un chargé de communication avec une assistante a rejoint l’équipe et le « service développement » s’est étoffé de trois personnes. Le « service conservation », créé avec la nomination d’un directeur salarié en 1985 et au départ sans moyens, contribue beaucoup à l’augmentation de l’effectif salarié.
22Le service travaille sur des projets de nature différente, mais toujours en coopération avec d’autres associations. Il s’agit d’opérations classiques de protection, par exemple les tortues marines en Guyane avec la LPO et Greenpeace. Le WWF France s’est déjà préoccupé de cet enjeu dans les années 1970. Il finance également le poste de salarié du bureau français Traffic, établi avec l’aide du secrétaire général de la FFSPN en 1985, Jean-Patrick Le Duc. Ce bureau doit renseigner avec les services de l’État sur la commercialisation d’espèces protégées au titre de la convention de Washington4. Le WWF apporte enfin son soutien moral et financier aux collectifs des grandes causes qui mobilisent le milieu associatif de l’environnement en France de la seconde moitié des années 1980. L’aménagement du bassin de la Loire, du Doubs et de la Saône, le canal Rhin-Rhône et le projet du tunnel du Somport dans les Pyrénées (Hayes, 2002) sont les dernières grandes batailles à mobiliser par le nombre. Plusieurs salariés du WWF y sont employés dont la permanente du collectif Loire Vivante, animé par des associations de FNE. Après plusieurs années, le front est victorieux contre les projets d’aménagement de la Loire et du Doubs, plus mitigé au Somport. Il faut noter que c’est le WWF International qui a poussé les administrateurs français à prendre position contre les projets de barrage sur la Loire.
23À la différence de la période précédente, l’action de conservation du WWF favorise donc une professionnalisation réelle et variée : du transport en bus de bénévoles pour s’opposer au projet de tunnel du Somport à la mise en place d’un label Gîte Panda pour des établissements d’hébergement. L’organisation devient aussi gestionnaire et propriétaire d’espaces fonciers. Elle mène des actions financées par la Communauté européenne : une Action communautaire pour l’environnement (ACE) sur la plaine de Crau, puis le programme « Loire Nature » dans un LIFE Nature. La réalisation d’études ou la contestation sur le terrain trouve un prolongement dans des opportunités de financement nationales et européennes.
24Des difficultés financières croissantes remettent toutefois en cause l’externalisation du volet conservation. Le mode opératoire du WWF le prive de la définition de sa propre ligne d’action. Il est, de plus, régulièrement confronté à la méfiance des associations locales qui craignent qu’il ne retire seul les fruits de leurs actions conjointes. Cette situation est surtout critique pour les actions concrètes de conservation du WWF France. Elles sont constituées par des projets portés par des associations locales, sélectionnés par le comité scientifique, puis validés par les administrateurs. De nombreuses associations ne respectent pas leurs engagements vis-à-vis du WWF, par exemple afficher son logo. Cette perception l’emporte au sein du WWF France jusqu’au conseil d’administration (lettre en date du 30 mars 1992, directeur de la conservation à J.-P. Raffin). Entre 1985 et 1991, le WWF aura reversé 28 millions de F à des associations en majorité affiliées à la FFSPN (ibidem). Le gain pour la notoriété du WWF est trop faible pour une organisation qui vit de la générosité du public. Cet argument prend davantage de force alors que ses comptes se dégradent vers 1992, dans un contexte de récession économique.
25Le conseil d’administration se clive de nouveau sur ce qui est perçu comme une alternative : le développement de l’organisation ou celui des actions de conservation. L. Hoffmann, actif au conseil d’administration puis au comité scientifique, prend la présidence du WWF France et nomme un nouveau directeur général : Jean-François Pérard. Le remplacement des responsables d’équipe entre 1995 et 1996 conclut encore une fois un tel épisode. Comme pour leurs prédécesseurs, la nécessité d’augmenter la capacité d’intervention et de levée de fonds revient à l’ordre du jour.
26Grand public pour la LPO, pouvoirs publics pour la FFSPN, et collectifs associatifs pour le WWF, ce sont les cibles ultimes et respectives des activités entreprises au sein de chaque organisation. Elles induisent des modes de fonctionnement inédits qui peuvent contrarier d’autres objectifs stratégiques, la notoriété auprès du grand public pour le WWF, l’autonomie financière pour la FFSPN. Le changement d’orientation est porté par des équipes marquées par un renouvellement limité, à l’inverse des AT et de Greenpeace.
Ruptures et nouveaux départs
27Les AT et Greenpeace sont confrontés, pour des raisons différentes, à la désaffection des anciens animateurs et membres de la structure. En 1983, les AT se retirent du terrain électoral, consommant la rupture avec les militants qui souhaitaient participer à l’émergence de structures partisanes en France. Affectée par l’affaire du Rainbow Warrior, Greenpeace Paix Verte est fermée en 1987, dans une situation de contentieux entre une partie de l’équipe et Greenpeace International.
Des militants des débuts en faveur de la professionnalisation des AT
28Au milieu des années 1980, les AT réunissent un nombre plus limité de militants autour d’un « recentrement associatif ». Plusieurs d’entre eux se rallient à l’option d’une professionnalisation avec le soutien financier du ministère de l’Environnement quand B. Lalonde, ancien leader aux AT, en devient le titulaire en 1988. Afin de comprendre ce changement radical d’orientation, il faut revenir sur une période de relative stabilité durant laquelle se multiplient les actions sur l’environnement immédiat et urbain aussi bien que sur les questions internationales.
29Les statuts de 1983 inscrivent l’action dans un cadre désormais formalisé. Ils entérinent le principe de délégation du pouvoir de l’assemblée générale à quelques élus associatifs, le secrétariat, de même que leur capacité à représenter l’association auprès de tiers. Les groupes locaux sont privés de délégués régionaux pour assurer leur représentation. Le principe « une voix, un vote » prévaut désormais en assemblée générale. L’association est en effet composée à la fois de membres individuels adhérant directement et de groupes locaux. Les adhérents à ces derniers reversent une quote-part de leur cotisation à l’association nationale. La disparition du RAT est entérinée et, avec elle, les interminables débats sur le compte des voix et les règles de décision de la période précédente. La discussion sur le statut des groupes locaux est rouverte avec des modifications marginales du texte en 1985.
« Il n’est pas question de revenir aux avantages de la situation actuelle (équipe nationale dûment mandatée qui travaille, utilisation par les groupes de leur appartenance à une association agréée pour obtenir subventions et objecteurs). Entre “le principe de désir” et “le principe de réalité”, entre le “centralisme démocratique” et le bordel, il faut trouver un équilibre […]. »
Compte rendu du conseil national des AT, 23-24 mars 1985.
30Une période de stabilité commence avec P. Samuel à la présidence (1983-1989) et D. Martin-Ferrari au poste de secrétaire général (1983-1987). Le premier a été très actif dans l’agence de service, la seconde dans l’association après la campagne Dumont. Respectivement scientifique et journaliste, ils représentent les profils historiques de militants encore présents aux AT. Des journalistes appartenant à des rédactions de presse généraliste (Ça m’intéresse, Libération, L’Express) ou spécialisée (AgriEconomics) côtoient des scientifiques ou autodidactes éclairés, également actifs dans des groupes locaux. Leurs savoir-faire respectifs sont valorisés auprès du grand public et des adhérents ainsi que des décideurs sur lesquels l’association entend désormais peser.
31Ce développement est en lien direct avec le réinvestissement des AT dans les réseaux internationaux dont ils sont membres fondateurs, FOEI et le BEE. Dès 1983, les AT s’intéressent au problème de l’essence sans plomb ou aux CFC (chlorofluorocarbure), en lien avec l’agenda du BEE. D. Martin-Ferrari y représente les Français sur un principe d’alternance avec FNE. Alors que la Commission européenne prépare divers textes, les AT réalisent qu’il est possible d’influencer les processus européens de décision en partageant l’information sur les positions nationales en cours d’élaboration. Plusieurs représentants FOE au BEE parviennent à ce constat. La Coordination européenne des AT voit ainsi le jour en 1985, après deux réunions entre homologues européens en Italie et en France. L’objectif est d’alimenter la réflexion et de mener des actions dans un cadre européen. La trajectoire des AT, similaire à celle de ses homologues, a facilité cette création.
« Cela a été une période très heureuse dans la mesure où il y avait des gens qui essayaient de faire de la politique, notamment toutes les formations européennes des partis verts, et tous ceux qui avaient décidé de faire du recentrage associatif. Et du coup, on n’avait plus de conflits internes puisqu’ils sont apportés par les politiques. […] On était très efficace, on ne perdait pas de temps en débats idéologiques. »
AT, secrétaire général [années 1980], Paris, 12 juillet 2002.
32Les AT poursuivent les objectifs « d’information » et de « sensibilisation » à l’égard du public, avec des publications, des colloques et en intervenant dans les médias (compte rendu 1985). Le terme de lobbying fait, à cette période, son apparition dans les rapports d’activité avec des campagnes d’ampleur internationale : forêts tropicales, pluies acides, ozone et CFC. Des accords internationaux et/ou européens sont en discussion sur ces thèmes. Les AT mènent des actions auprès des ministères et des députés français (rapport d’activités, 1987), trouvant un écho grâce aux journalistes actifs dans l’association.
33Les commissions thématiques - pluies acides, biotechnologies et ozone (rapport d’activité, 1987) - restent l’une des modalités privilégiée pour rassembler les énergies des militants, issus du siège et des groupes locaux. Les bénévoles font vivre l’association, avec un budget modeste : 66000 F en 1985. Le loyer d’un local est le premier poste de dépenses. Les cotisations, les abonnements à son journal, la vente de produits y contribuent pour l’essentiel, l’aide publique restant très limitée. Deux permanents, un objecteur et un poste FONJEP, assurent le secrétariat. Depuis 1987, ses effectifs avoisinent 2000 membres et 30 groupes locaux. Ils sont en progression de 700 adhérents et 7 nouveaux groupes en 1989.
34L’agenda de « la relance » intervient après la nomination de B. Lalonde à l’Environnement. Plusieurs militants des débuts (Y. Lenoir, Jean-Claude Ray et Patrice Miran, alors trésorier) présentent une motion d’opposition au soutien financier du ministère à l’assemblée générale de décembre 1988. L’association vient de recruter un permanent sur ses fonds propres. B. Lalonde ne fait pas l’unanimité parmi les AT, malgré une participation épisodique au conseil national. La secrétaire générale et plusieurs militants l’ont suivi au cabinet, créant une vacance dans l’association. L’année suivante, plusieurs motions convergent sur la nécessité de recruter des permanents salariés, faute de parvenir à recruter davantage de bénévoles. Celle de P. Samuel et de plusieurs membres du secrétariat, « Transformer nos modes d’action », insiste sur la variété des compétences requises pour intervenir sur l’environnement dans différentes sphères, politique, administrative, médiatique et locale (« Assemblée générale 1989 », Lettre aux adhérents, novembre 1989). Le recours aux financements publics, destiné à être provisoire, deviendra l’option contrainte des années 1990.
35Au sein des AT, le choix de la professionnalisation est associé à de nouveaux objectifs et publics. Le soutien financier du ministère, que la nomination de B. Lalonde rend possible, est contesté en interne. Il contribue à affaiblir une association qui trouve difficilement par la suite les moyens de son autonomie.
Greenpeace n’aime pas les Français, et inversement
36À la différence des AT, le nouveau mode opératoire de Greenpeace est impulsé de l’extérieur. Greenpeace International décide, en effet, de l’ouverture d’un bureau français en 1989. Greenpeace France se substitue ainsi à Greenpeace Paix Verte. Malgré un renouvellement de l’ensemble de l’équipe, un rapport de défiance mutuelle renaît entre la structure française et internationale. L’affaire du Rainbow Warrior est encore dans les esprits. L’image de Greenpeace reste très négative en France. Les bénévoles et les adhérents de la période précédente ont déserté et ne reviennent pas. Les animateurs de Greenpeace International sont conscients de cette hostilité, et y répondent par davantage de défiance. La nouvelle structure peine à redémarrer dans ces conditions.
37À la création du nouveau bureau français, les consignes de Greenpeace International sont claires : « Pas d’anciens dans la nouvelle structure. » Seul R. Parmentier, membre fondateur de l’association de 1977, deviendra administrateur. À la tête de l’unité politique de Greenpeace International, il assure de manière intermittente le relais entre l’équipe basée à Amsterdam et celle, renaissante, de Paris. Une équipe de permanents est reconstituée par voie de recrutement. La procédure illustre le discrédit qui touche encore Greenpeace en France.
« J’ai répondu à une petite annonce : une organisation de l’environnement recherchait un chargé de mission. L’annonce ne mentionnait pas Greenpeace. On m’a dit, on fait cela parce que cela suscite beaucoup de rejet. C’était ça à l’époque. Greenpeace avait très mauvaise presse, on était encore sur les conséquences de l’attentat du Rainbow Warrior. »
Greenpeace, ancien salarié, Paris, 17 janvier 2014.
38Dès 1991, le bureau français compte une demi-douzaine de salariés, avec deux « chargés de campagne », respectivement responsables des questions du nucléaire et des pesticides. Les rôles attribués au sein de l’équipe correspondent au modèle désormais en vigueur dans les bureaux Greenpeace. Le directeur, Christian Lequenne, vient lui des rangs des AT.
39Malgré la nouveauté de la structure française, des dissensions apparaissent avec le niveau international. La marge d’appréciation laissée aux membres de l’équipe française dans l’application des consignes venues d’Amsterdam est très limitée. À Greenpeace France, qui dépend des financements de la fondation internationale, cette ingérence est mal perçue. C. Lequenne doit démissionner. Des salariés de Greenpeace International, Belgique, ou R. Parmentier assurent en intérim la fonction de directeur, à plusieurs reprises. Le bureau français, pourtant refait à neuf, renoue avec une atmosphère délétère, en témoigne le turn-over des salariés important au cours de ces premières années d’existence. L’image dont dispose Greenpeace à l’extérieur attire et déçoit tout autant.
« Beaucoup de gens rentrent à Greenpeace et ils ne savent pas du tout à quoi ils s’attendent. Donc quand on fait la moyenne, il y en a qui ne restent que quelques semaines seulement. »
Greenpeace, ancien salarié, Paris, 17 janvier 2014.
40L’équipe se stabilise vers 1993 à l’occasion du recrutement d’une nouvelle directrice. À cette période, le nombre d’adhérents oscille entre 1 500 et 5 000 personnes. Des bénévoles viennent régulièrement suppléer le travail réalisé au siège. La structure compte dix salariés et peut désormais couvrir trois campagnes : biodiversité, nucléaire et toxiques, avec un important volet incinération. Outre le personnel administratif assistant le directeur, les postes d’attaché de presse, de responsable aux relations internationales ainsi que de la collecte de fonds sont désormais pourvus. Greenpeace France ne dispose pas encore de son propre journal, utilisant les publications des bureaux suisse et belge. Les groupes locaux, habituellement garants d’une audience accrue pour les bureaux Greenpeace, existent en nombre limité en France. Créés là où Greenpeace déployait concrètement ses actions, ils perdurent seulement à Paris et à Cherbourg.
41Dans la première moitié des années 1990, Greenpeace France peine à exister en France et vis-à-vis de la structure internationale qui prend à sa charge les postes de chargés de mission. L’autonomie financière paraît plus que jamais l’enjeu de son évolution.
Continuité et rupture de trajectoires
42Au tournant des années 1990, les cinq organisations se sont toutes ralliées à la nécessité de la professionnalisation. La comparaison montre des objectifs contraints par des logiques différentes de fonctionnement. Ainsi, aux AT et à FNE où les bénévoles ont un rôle important dans les activités, le recrutement des salariés intervient sur des fonctions de coordination et de secrétariat. L’échange d’informations en interne et la communication avec un réseau d’associations au niveau local sont prioritaires. La multiplication de profils spécialisés sur les thématiques environnementales est déjà à l’œuvre dans les trois autres structures. Il s’agit pour la LPO d’un moyen de faire de la prestation de services à l’intention des autorités publiques, et pour les deux organisations suivantes, de communiquer sur leurs actions afin de rallier davantage d’adhérents à la structure.
43Confrontées au défi d’exister auprès du plus grand nombre, ces organisations peinent à être audibles, car sortant d’une période de mobilisations intenses. Après la fin des grandes manifestations antinucléaires et l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, les conflits locaux liés à l’environnement gagnent en importance (Charlier, 1999). Dans les années 1990, le nombre de manifestations augmente, mais avec une participation moindre en comparaison des années 1970 (Fillieule, 2003). L’environnement devient une « grande cause locale » (Maresca, 1996), tandis que le discours environnemental gagne en prévalence (Libaert, 2010). La possibilité d’obtenir des contrats auprès de l’État et des collectivités locales, l’intérêt des entreprises concernées par leur image verte, sont l’occasion de nouvelles opportunités de financement. Les années 1990 donnent une nouvelle acuité à l’enjeu de poursuite de l’action collective, dans ses modalités et ses finalités.
Stabiliser la structure, l’alternative entre financements privés ou publics
44Dans chaque structure, les objectifs attribués à la professionnalisation dépendent étroitement de ses ressorts de financement. Il s’agit en général de mieux mobiliser en interne les ressources apportées par les membres, salariés, adhérents et bénévoles, ou des associations fédérées pour FNE. Le recours à des financements extérieurs s’est révélé précieux pour impulser les changements nécessaires. Greenpeace France et le WWF disposent de l’appui de leur réseau international pour recruter davantage d’adhérents individuels, tandis que FNE, la LPO et les AT intègrent les opportunités de financements publics dans leurs stratégies. Cette section aborde les changements amorcés par les promoteurs de la réforme présentés précédemment.
Internaliser les savoir-faire en collecte de fonds
45Le recrutement de donateurs et la gestion d’une base rassemblant leurs données sont des enjeux stratégiques essentiels pour Greenpeace France et le WWF France. Il s’agit de la clef du financement de la structure et de ses actions, mais également de sa capacité de contribution à un réseau international. La mise de fonds exigée, dans les deux cas, a été possible grâce à une aide financière extérieure dans un contexte de précarité matérielle.
Greenpeace France, une contribution financière et thématique au réseau international
46Les dons privés sont le garant de l’indépendance de Greenpeace. Le nouveau bureau français de Greenpeace ne parvient pas à stabiliser une base d’adhérents pour atteindre cet objectif vis-à-vis de la structure internationale. Jusqu’en 1998, la structure est à nouveau dans un contexte de grande précarité. Le nouvel outil de collecte de fonds dont Greenpeace France se dote alors lui permet d’augmenter considérablement les dons privés. Le recrutement en parallèle de chargés de campagne a contribué à faire exister Greenpeace en France, et ainsi à solliciter davantage d’adhérents.
47Jusqu’en 1997, Greenpeace International a largement financé le bureau français, d’abord l’équipe de salariés, puis exclusivement le volet campagnes. Mais la fondation cherche à se désinvestir davantage. La reprise des essais nucléaires français, décidés en 1995 par le président Chirac, vaut à l’organisation française un surcroît d’adhérents. Leur effectif plafonne à 27000 en 1995, pour se creuser à 19000 deux ans plus tard. Le nombre de salariés est par conséquent réduit à huit personnes. Le nouveau directeur, Bruno Rebelle, est recruté avec pour objectif l’autofinancement.
48Le bureau français fait face à une érosion de l’effectif des adhérents qu’il ne peut corriger faute de capacité d’autofinancement.
« Nous n’avions pas d’argent pour investir, ne serait-ce que pour rester au même niveau d’adhérents. Tous les ans, on perdait entre 8 ou 9 % de nos adhérents. C’est le ratio classique, mais on n’avait rien pour rester à l’équilibre. »
Greenpeace, salarié, Paris, 16 janvier 2014.
49Greenpeace International lui concède un nouveau prêt pour utiliser l’outil Direct Dialogue. Ce programme, a été testé avec succès au sein du réseau Greenpeace en Belgique. Il consiste à rencontrer les donateurs potentiels dans la rue. Il s’agit d’éviter les inconvénients des échanges d’adresses, i. e. le mailing, utilisé par les ONG en France se disputant au final le soutien des mêmes personnes, quel que soit leur domaine d’action. Introduit par Greenpeace France, le street marketing est une première dans le pays. Après avoir testé l’externalisation dans un premier temps, le responsable de la collecte s’entoure d’une équipe de cadres pour former et superviser des contractuels chargés de parcourir les grandes villes de France (Lefèvre, 2007). L’interaction vise à expliquer la démarche de l’organisation et convaincre de la nécessité d’une adhésion par un prélèvement automatique, nécessaire à la stabilité de la structure.
50Le succès rencontré est immédiat, puisque les adhésions franchissent la barre des 30000 personnes en 1999. Au sein de l’équipe de salariés, le service de collecte de fonds passe de deux à seize personnes entre 1998 et 1999. Greenpeace investit ses ressources propres dès 1999, hors prêt Greenpeace International, sur le développement des campagnes. La construction d’une compétence en interne associe l’outil de collecte au volet campagne, les actions concrètes devenant un élément central de communication. Leur méconnaissance ou leur faible visibilité pour le public ont été perçues comme l’un des handicaps pénalisant l’expansion du bureau français.
« [En 1995] les gens donnaient contre les essais nucléaires, mais pas forcément à Greenpeace. Donc on n’a pas réussi à garder les adhérents. Les personnes qui sont venues nous montraient leur désaccord par rapport aux essais nucléaires français, on n’a pas réussi non plus à les accrocher sur le nucléaire civil »
Greenpeace, salarié, Paris, 16 janvier 2014.
51Le bureau français s’était limité depuis 1996 aux thématiques des organismes génétiquement modifiés (OGM) et à l’énergie nucléaire. En 1999, il couvre six campagnes de Greenpeace International avec cinq salariés : océans, forêts, OGM, toxiques, climat, nucléaire.
52Alors que cette combinaison entre la collecte de fonds et la déclinaison de nouvelles campagnes favorise son développement, la structure s’ouvre à ses adhérents potentiels. Pour le directeur recruté en 1997, cela implique « un transfert de la méthode Greenpeace aux réalités sociales et associatives françaises » (Greenpeace, directeur [1997-2003], 28 novembre 2002). Les statuts de Greenpeace France, association loi 1901, sont révisés afin de mettre en place une assemblée générale élue au suffrage universel indirect. Des pistes d’engagement plus traditionnelles sont lancées à cette période : bénévolat au siège à Paris, participation à des actions spectaculaires de Greenpeace à l’issue d’une formation. Le bureau français dispose enfin de son propre magazine pour relater les actions entreprises, y compris sur le territoire français. Les groupes locaux, relancés en 1997, font partie de cette stratégie d’ouverture vis-à-vis du public.
53Les adhésions ont plus que doublé en cinq ans, avec 60000 personnes en 2002. Elles sont le gage de l’autonomie du bureau français sur le plan du financement et de son développement ultérieur. La marque Greenpeace, défendue comme telle, a permis de conquérir de nouveaux membres. Le WWF est l’équivalent de Greenpeace de ce point de vue, mais du côté de la conservation de la nature.
Le nouveau départ du WWF France grâce aux partenariats avec les entreprises
54À l’instar de Greenpeace France, le WWF France connaît des difficultés financières dans la première moitié des années 1990. L’orientation donnée en 1995-1996 consiste à mieux utiliser la marque du WWF. À la différence de la période précédente, il s’agit de s’imposer en France en valorisant les actions menées sur le territoire national et par le réseau. Les responsables d’équipe sont renouvelés avec J.-F. Pérard et Arnaud Greth, respectivement aux postes de directeur général et directeur de la conservation, tandis qu’un directeur au développement est recruté en interne. Les priorités alors affichées consistent à augmenter la collecte de fonds et multiplier les actions sur les thématiques du WWF International. Le fait que l’un de ses fondateurs, L. Hoffmann, prenne la présidence permet de valider ces orientations dans un conseil d’administration qui s’est divisé sur la destination de ressources limitées, développement ou conservation. L’instance reste composée de scientifiques, de personnalités des médias et de représentants de grandes entreprises françaises à l’image du nouveau directeur de la structure, ancien de Rhône-Poulenc.
55En 1995, le WWF compte vingt-cinq salariés et quatre services : développement (collecte de fonds), conservation, administration, communication. Un important legs de 12 millions de F, par un marchand d’art, a permis d’amorcer une activité de marketing direct afin de développer la collecte de dons. L’autre moitié de la somme a été allouée au département de la conservation qui a mené à bien avec le conservatoire du littoral le projet de réserve naturelle du marais d’Orx. La dynamique développement/conservation s’est épuisée, car le marketing direct n’a pas eu les résultats escomptés. L’agence qui l’assure en externe doit faire face aux divergences entre les services de conservation et du développement sur le contenu des messages à destination de potentiels donateurs. Au contraire, la vente de produits estampillés WWF fonctionne bien. Elle est gérée par une EURL5 créée en 1992, ce qui écarte toute discussion possible sur le bien-fondé de la démarche.
« Ce qui a sauvé le WWF à ce moment-là, c’était son catalogue de produits. C’était une société qui redonnait une partie de son chiffre d’affaires au WWF. C’était ce magazine qui alimentait la caisse des salaires. »
WWF, salarié [années 2000] 23 novembre 2013.
56Diversification des ressources et acquisition des compétences correspondantes en interne deviennent les priorités de la nouvelle équipe de direction. Le responsable du service développement, Cédric du Monceau, s’attache à relancer le marketing. Dans le même temps, il obtient du conseil d’administration de valider trois règles destinées à réconcilier conservation et collecte de fonds. Les legs sont désormais thésaurisés pour éviter tout conflit sur leur utilisation ; le WWF doit se doter d’une réserve destinée au paiement de 3 mois d’avance des salaires ; les recettes sont constituées à 60 % par des dons privés et à 40 % par des financements issus des entreprises ou des pouvoirs publics. Enfin, un nouvel objectif est explicité à l’intention des équipes et des administrateurs : le WWF doit consacrer ses ressources à parts égales entre conservation et développement. Le relèvement financier du WWF France mettra un terme provisoire au débat suscité par ces règles de calcul.
57Les retours sur investissements en télémarketing étant longs, les principaux efforts sont consacrés aux entreprises, deuxième source de financement historique du WWF. Il ne s’agit plus de se limiter au mécénat mais de conclure des accords portant sur leurs pratiques. Aux partenariats licence, s’ajoutent les partenariats stratégique et programmatique, le premier portant sur l’impact écologique d’une filière, d’un produit, le second sur la gestion des enjeux environnementaux en entreprise. Le WWF International a déjà initié la recherche de « partenaires pour la conservation » (conservation partners) (Panda magazine, mars 2000 : 5). La section française parvient à un accord d’envergure avec le groupe Carrefour sur la commercialisation de la pâte à papier. Le distributeur adhère ainsi au label Forest Stewardship Council (FSC) soutenu par le WWF International. Dans le domaine de la vente par correspondance, Les 3 Suisses, soutien ancien du WWF France, compte également parmi ses partenaires.
58Les recettes du WWF repartent à la hausse à partir de 1998, avec une augmentation de 44 % en 1999 (rapport annuel du WWF France, 1999). Un effort de recrutement est amorcé au sein d’une structure de trente-cinq salariés. Le service de conservation est étoffé, mais également celui du développement, animé désormais par deux directeurs, respectivement du marketing et des partenariats. Une cellule financement communautaire est mise en place pour profiter des opportunités offertes par l’UE et que peuvent désormais appuyer les salariés plus nombreux du service de conservation, une quinzaine en 1999, contre sept en 1995.
59De nouveaux partenariats amorcent la dynamique d’augmentation du revenu au sein du WWF. La part des donateurs y diminue : elle représente 50 % en 1999-2000, contre 70 % en 1994-1995. L’évolution de WWF est tout à fait comparable à celle de Greenpeace France, où l’augmentation des salariés permet de couvrir davantage de thèmes. Toutes deux disposent du soutien d’un réseau international, ce n’est pas le cas des trois organisations suivantes.
L’argent public, pour quel usage ?
60FNE, les AT et la LPO sont confrontés à un même enjeu : sortir de la confidentialité induite par leurs activités respectives, i. e. un lobbying développé au cours des années 1980, parfois accompagné de la mise en œuvre d’actions favorables à l’environnement. L’augmentation de l’audience est perçue comme un moyen de définir plus librement les orientations politiques à défendre auprès des pouvoirs publics. Pour servir cet objectif, ces associations ont finalement recours à des financements publics, l’appui des entreprises, exploré à cette période, restant marginal. Cette orientation se fait au prix d’une réflexion sur la contribution des différents membres à la dynamique d’action, voire de conflits et de réformes statutaires.
La dépendance accrue de FNE aux financements publics
61La fédération connaît plusieurs tentatives de réorganisation dans les années 1990. Faute d’établir une solidarité financière entre la fédération et ses organisations membres, le recours aux financements publics s’impose comme une solution indiscutable au terme de plusieurs conflits.
62Le chantier de réforme, ouvert en 1985, se traduit par une augmentation des moyens salariés et des thèmes couverts. Les recrutements renforcent le niveau fédéral sur les aspects gestion financière, information et secrétariat. En 1987, l’équipe compte désormais onze personnes (cf. tableau 5). Trois personnes supplémentaires sont recrutées en 1991, dont un comptable et un directeur à temps plein. Deux chargés de mission, déchets et affaires juridiques, complètent cette équipe. Il s’agit de « faire face à la demande croissante d’environnement » (rapport d’activité, assemblée générale, 1989). Néanmoins, les bénévoles continuent de jouer un rôle essentiel avec les contrats d’objectifs formalisés à la période précédente. Destinés à développer des positions fédérales sur différents enjeux (rapport moral, 1990 : 10), ils sont un gage de réactivité pour couvrir des thématiques à l’agenda des pouvoirs publics français et de la Communauté européenne, telles que les projets de loi sur l’eau et les biotechnologies. Ils reflètent de plus l’avancée d’un front clivant naturalistes et écologistes au sein de la fédération. Les activités humaines ne sont plus seulement envisagées du point de vue des impacts sur les milieux naturels, mais dans un système complexe d’interactions. L’intérêt pour l’environnement urbain apparaît à cette période. De même la thématique Déchets, désormais constituée en réseau, donne lieu à une opération d’éducation à l’environnement avec les collectivités locales, comme l’opération Pélican menée par plusieurs salariés à Chambéry.
63La réforme des statuts en 1989 entérine cette évolution. La FFSPN devient France Nature Environnement, tout en gardant la signification du libellé FFSPN en sous-titre. Cette réforme, finalement modeste, met un terme aux tentatives de hiérarchisation et de centralisation des années 1990. Elle n’affecte pas les instances politiques de la fédération, leur rôle et leurs compétences respectives. Seules les nouvelles associations départementales sont incitées à adhérer via leurs régions. L’organisation pyramidale régionale qui devait être mise en place échoue (règlement intérieur adopté en 1987), au profit de la reconnaissance des particularismes des contextes locaux : ainsi plusieurs fédérations régionales coexistent en Bretagne. Sur le plan financier, l’absence d’arbitrage est significative. Les responsables fédéraux ont des difficultés pour obtenir les chiffres exacts relatifs aux adhérents des associations membres afin d’en établir les cotisations. Faute d’autorité sur ces dernières, le statu quo l’emporte.
64La nécessité d’une réforme s’impose de nouveau après l’assemblée générale de 1992 à Nantes qui révèle une « crise de carence, de gestion et de confiance », pour citer un administrateur (FNE, membre fondateur et administrateur, 19 février 2014). L’examen des comptes en assemblée générale fait apparaître un déficit de 3 millions de francs sur un budget de 7 millions. Cette situation entraîne défiance et désaveu de la part des associations locales et, en particulier, des fédérations régionales. La crise de confiance voulue par certains (compte rendu d’activité, de mai 1993 à janvier 1994, Georges Cingal, secrétaire national) est l’occasion de rediscuter de la structure fédérale et de ses options de financement. Outre un problème de compétence en gestion financière, le recours aux études financées par le ministère de l’Environnement aurait fait basculer les finances de la fédération, car elle s’est révélée incapable de réaliser complètement plusieurs d’entre elles (correspondances du bureau).
65Un nouveau bureau, élu en 1992 avec Patrick Legrand, prend le relais d’un président démissionnaire. Au 1er janvier 1994, il reste un salarié, un objecteur, et trois contrats aidés (contrats emploi solidarité). Un terme est mis au bail du local de la Brèche aux Loups à Paris. L’association regagne des locaux prêtés gracieusement par le Muséum, outre ceux du Jardin des plantes, rue Cuvier. Sur le plan des résolutions, la diversification des ressources est à l’agenda, mais la solidarité financière des associations membres n’est plus de mise.
« Disposer des moyens de ses ambitions est un souci permanent pour une fédération en expansion. Moyens financiers, car ce ne sont pas les cotisations qui peuvent la soutenir. Notre intervention est très sollicitée, mais gratuitement. Or, établir des dossiers, se déplacer à travers la France ou à Bruxelles coûte cher. »
Rapport moral 1993, J.-P. Legrand.
66Le mécénat, les contrats avec des entreprises sont envisagés comme avec Elf, la SNCF ou les autoroutes du Sud. Les premiers partenariats avec des entreprises ou organismes publics, au moyen d’une convention, datent de 1991 avec Lapeyre (assemblée générale 1992, rapport d’activité : 5-6). J.-P. Legrand est réélu en 1993, pour mener à bien une réforme discutée en assemblée, « FNE demain », après une révolution de palais qui l’a conduit à démissionner dans un premier temps. Ce sont les fédérations régionales qui ont fait bouger les lignes au conseil d’administration. L’orientation de la nouvelle équipe vers les producteurs et entreprises suscite toutefois une fronde lors de l’assemblée générale de 1995. L’aile naturaliste de la fédération reprend l’ascendant au bureau, autour du nouveau président Lionel Brard, juriste de formation, soutenu par l’ancien président J.-P. Raffin et par R. Leost actif au sein du réseau juridique.
67Cette succession de crises montre en creux la dépendance de la fédération aux financements et aux décisions publiques. Les relations ambivalentes, faites d’incompréhension mutuelle et de coopération, perdurent avec les associations membres et les fédérations régionales. Les coalitions qui portent des visions différentes de la raison d’être de la fédération continuent de coexister au sein de FNE, car chaque conflit se solde par un renouvellement limité de la composition du conseil d’administration. Le financement par l’État fait néanmoins pour beaucoup consensus. « Sans nous, vous n’existeriez pas », est un argument que certains fonctionnaires du ministère de l’Environnement entendent de militants qui se considèrent comme les inventeurs de l’enjeu.
Nouvelles batailles pour déterminer qui sont les AT
68À l’inverse de FNE, le mode opératoire des AT dans les années 1980 change radicalement dès 1990. Le travail de permanents doit contribuer à étendre l’audience de l’association dans plusieurs directions : entreprises, pouvoirs publics et grand public. Cette stratégie est mise en œuvre grâce à une aide financière très significative du ministère de l’Environnement, mais qui fragilise durablement l’association. Elle ravive de plus les tensions entre Paris et les groupes en province, les pro- et les anti-Lalonde, débouchant sur un nouveau cycle de réformes et de débats sur les directions et l’identité des AT.
69Pierre Aznar, sociologue et proche de B. Lalonde, qui prend la présidence des AT en décembre 1989, définit les nouvelles inflexions : recruter de nouveaux adhérents et démultiplier les groupes locaux. L’organisation britannique de FOEI et ses 200 groupes est citée en exemple. Les AT se recentrent sur des campagnes nationales pour être visibles dans les médias et faciliter la recherche d’adhérents directs : ainsi, la thématique de l’arbre (droits de l’arbre, code de l’arbre). La commercialisation de services à destination des entreprises et des collectivités locales est également envisagée via la création d’une EURL6, Conseil AT. Les AT acceptent désormais le financement des entreprises. Enfin, l’initiative SVP environnement doit canaliser un potentiel de mobilisation au niveau local en accompagnant dans la voie du contentieux les oppositions à des projets d’aménagement. Le statut « d’associations associées » voit également le jour pour couvrir davantage d’enjeux et de territoires.
70La réforme des statuts en 1991 qui entérine ces innovations concrétise une démarche consistant à défendre les AT comme une marque. Le conseil national, c’est-à-dire le conseil d’administration, est par défaut l’instance de représentation des groupes locaux. Il doit intégrer au moins trois de leurs représentants. Dans le même temps, il est demandé aux groupes locaux d’adopter des statuts classiques loi 1901 et d’entrer comme « associations territoriales » par une procédure d’agrément par le niveau national. Un conseil scientifique est créé pour satisfaire les énergies bénévoles sur des thématiques identifiées. P. Samuel et D. Martin-Ferrari siègent notamment dans ces deux instances jusqu’au milieu des années 1990.
71Cette stratégie ne crée pas l’élan souhaité. L’association est devenue largement dépendante des aides financières du ministère de l’Environnement. Le nombre d’adhérents progresse peu, avoisinant toujours les 3000 en 1991, chiffre atteint dès 1989. Sans réel impact médiatique, les campagnes nationales ont créé de la distance avec les groupes locaux. Nombre d’entre eux ont mal perçu le rapprochement avec les entreprises ainsi que la démarche du branding consistant à gérer l’image des AT comme une marque commerciale. En 1992, C. Lequenne, militant des AT et ancien directeur du premier bureau de Greenpeace France, prend la présidence dans un contexte difficile de réduction des aides du ministère. La nouvelle ministre, Ségolène Royal, renouvelle le soutien de son administration. Il est cependant tardif et moindre, 500000 F au lieu de 800 000 F7, dans un contexte de réduction des subventions (200000 F en 1995, 300000 F en 1996). Outre ses problèmes financiers, l’association est affaiblie par la création de Génération écologie par B. Lalonde en 1991. Ce parti vient concurrencer les Verts à l’occasion des élections régionales de 1992 : il est rejoint par de nombreux AT, désapprouvé par d’autres.
72Après 1992, la nouvelle équipe recentre l’activité sur quelques actions clefs comme la certification environnementale. Les AT participent à la création du label environnement NF et à un projet européen du réseau FOEI sur la zone Méditerranée. Plusieurs témoignages évoquent une dizaine de salariés actifs aux AT en 1990-1991. Quatre ans plus tard, l’équipe est fortement réduite, avoisinant trois personnes pour réaliser les travaux nécessaires à la publication et au service de documentation. Le conseil du 9 mai 1995 a pour objet la refondation des AT : les finalités et modes d’action sont discutés par une dizaine de personnes. Une intervention rapportée dans le compte rendu illustre la tonalité des débats du moment et de ceux qui suivront : « La situation d’incertitude dans laquelle se trouvent les AT est une opportunité pour réfléchir à notre identité. »
73Une nouvelle équipe reprend les rênes en 1996 avec Annie Amir. Elle entreprend une réforme des statuts afin de remettre à plat les relations avec les groupes locaux. Les adhérents directs sont désormais intégrés dans un groupe ad hoc, qui s’ajoute de fait aux groupes locaux existants. Les AT deviennent ainsi une fédération. Ces dernières impulsions ne sont pas suffisantes pour pallier le manque de moyens financiers. L’assemblée générale de 1997 laisse envisager le pire. Selon l’un des participants, « on a discuté de la fin de l’association » (AT, ancien président [1998-2001], Paris, 18 octobre 2002). Aucune motion ou liste n’est présentée à l’élection. Un conseil national est néanmoins formé avec J.-C. Ray et Y. Lenoir qui avaient critiqué, aux débuts des années 1990, la proximité de l’association avec B. Lalonde et le ministère de l’Environnement. Une autre partie du conseil est composée d’anciens salariés et objecteurs, également actifs au sein d’un groupe AT de Paris qu’ils ont récemment recréé.
74Cette seconde tendance s’impose en 1998, aux élections suivantes. Ben Lefety, responsable du groupe de Paris et trésorier élu en 1997, devient président avec le soutien de plusieurs responsables de groupes locaux. Pour ces derniers, le constat est double : les AT sont devenus un bureau d’étude au service du ministère de l’Environnement, et sont déconnectés des groupes locaux. Leur objectif est de « revenir sur des actions plus militantes, plus grand public » (AT, ancien président [1998-2001], Paris, 18 octobre 2002). Ils rejettent l’option d’une plus grande coopération avec les entreprises, défendue par le président sortant.
75Pour les AT, dix ans après le virage amorcé vers la professionnalisation, la relance est encore à l’ordre du jour en 1998, de même que l’investissement des bénévoles. L’association ne dispose plus de salariés après le licenciement des trois membres du personnel. L’élection de 1998 a mené au conseil une nouvelle équipe, cette fois élue sur un programme et qui a les coudées franches pour mener à bien ses orientations.
Le pari réussi du « développement associatif » de la LPO
76Depuis 1984, la LPO a diversifié ses activités afin d’augmenter le nombre d’adhérents. Cette politique s’appuie sur ce qui lui a permis de survivre à la province : la prestation de services à l’intention des pouvoirs publics. Il s’agit du socle à partir duquel l’association communique et structure ses relations avec le grand public, les pouvoirs publics, et enfin, le milieu plus restreint des ornithologues. L’objectif du « développement associatif », via des actions destinées aux adhérents, est donc à replacer dans une dynamique plus large de mobilisation des ressources de connaissance des milieux naturels, d’une part, et de gestion et de création d’espaces protégés, d’autre part.
77À l’attention des pouvoirs publics, la LPO collecte des données via des enquêtes financées par le ministère de l’Environnement ou les autorités locales. Elle est un interlocuteur clef des services de l’État en région Poitou-Charentes, notamment en Charente maritime, que ce soit auprès des directions départementales de l’Agriculture ou de l’Environnement. La réalisation de suivis d’espèces ou d’études sur des sites remarquables alimente sa connaissance du terrain local et ses positions vis-à-vis des autorités. Il peut s’agir de demandes de classement de sites ou éventuellement de contentieux (destruction ou commerce illégal d’espèces protégées). La LPO fixe également son propre agenda de recherche, par exemple en étudiant les impacts des vagues de froid ou de la chasse sur certaines espèces. La coordination d’enquêtes nationales lui vaut enfin de dépasser le seul cadre local pour établir des relations avec d’autres associations ornithologiques.
78Dans le volet sensibilisation, la LPO mène des actions d’éducation à l’environnement sur les sites qu’elle gère. Elle valorise ses actions et alerte sur l’état de certaines espèces dans ses publications, ainsi avec une campagne d’opinion sur l’ortolan. Malgré son statut d’espèce protégée, cet oiseau figure encore sur la carte de restaurants du Sud-Ouest. La chasse et la démonstration de ses méfaits, le non-respect des dates de la directive Oiseaux (79/409/CEE), ont une importance grandissante dans le discours de la LPO. Les refuges LPO y restent d’actualité : les adhérents ne peuvent refuser l’accès du terrain concerné à des chasseurs, en raison de la loi Verdeille de 1964. La politique des refuges LPO est un moyen « de faire connaître et aimer les oiseaux », conformément aux statuts, et qui sert aussi les actions de protection à entreprendre.
79Sur le volet de la gestion d’espaces naturels, la LPO a ainsi lancé en 1989 une vaste opération d’acquisition foncière grâce à la générosité des adhérents et sympathisants. Sauvons les marais de l’Ouest est emblématique de l’évolution de la LPO, car elle concerne son terrain de prédilection, les marais charentais et poitevin, et sur un enjeu, le drainage des zones humides, pour lequel elle avait développé du contentieux, mais également conclu des accords avec des collectivités locales (action conjointe avec le WWF sur les communaux du marais poitevin) ou des agriculteurs (Action communautaire pour l’environnement sur la gestion agropastorale dans les marais littoraux charentais 1988-1991). Par cette campagne, poursuivie pendant plusieurs années, la LPO n’est plus seulement gestionnaire d’espaces naturels, mais également propriétaire foncier. Elle introduit de plus les premières mesures agro-environnementales en France, déjà évoquées dans le chapitre 3.
80Le développement associatif s’est concrétisé par la mise en place d’une stratégie de communication vis-à-vis des membres et du grand public. Le nombre d’adhérents a doublé en cinq ans, avec plus de 8000 personnes en 1989. Plus que les cotisations, la vente de services au public fait progresser les recettes de l’association. Ils vont du tourisme ornithologique à la commercialisation de T-shirts ou d’optiques pour ornithologues. Sur la même période, le budget est multiplié par deux (cf. tableau 10). Les cotisations ne représentent qu’un demi-million de francs qui ajoutés à la vente de produits (L’Oiseau magazine, publications, marchandises, animation, et voyages) atteignent près de 60 % des recettes en 1989, soit 6 MF. En comparaison, les subventions pour dépenses de fonctionnement et gestion des réserves sont moindres et en baisse, respectivement de l’ordre de 1,60 MF et 2,10 MF, alors que service études génère à lui seul 800000 F. Les fonds publics ou extérieurs représentent 30 % des recettes en 1989. La LPO a certes recours à des financements publics, mais dans un cadre défini et parallèlement à une progression décisive des ressources qu’elle génère.
81Outre la diversification de ses publics, l’affiliation de la LPO au CIPO favorise ultérieurement cette expansion. Dans les années 1980, la RSPB prépare la réforme du CIPO en proposant son aide aux associations ornithologiques nationales pour tout ce qui a trait à leur développement interne (Berny, 2009 : 384). La RSPB cherche alors à les impliquer via le CIPO dans la collecte des données essentielles à la mise en œuvre de la directive Oiseaux (79/409/CEE). Le processus a en effet pris du retard faute de sites désignés par les États membres à protéger au titre de cette directive. La LPO participe au premier inventaire ZICO/ IBAs (Zones importantes pour la conservation des oiseaux/Important Bird Aeras), par l’entremise de l’un de ses administrateurs. Elle a recours à la RSPB pour lancer sa revue ou discuter de sa stratégie vis-à-vis de ses membres. Cette interaction est davantage analysée dans la section 3, car ce volet européen sera un axe de développement de l’association.
82La double compétence acquise par la LPO, connaissance scientifique et valorisation auprès de différents audiences - par la sensibilisation, l’animation, le lobbying et le contentieux - lui acquiert de nouveaux publics au cours des années 1990. Le soutien de membres individuels est vécu comme un gage de crédibilité et d’autonomie en termes d’agenda. Les AT et FNE ont au contraire des difficultés à exister en dehors de la sphère d’influence des pouvoirs publics. Les deux associations ont rejeté le financement par les entreprises. La proximité avec les pouvoirs publics les rend sensibles aux conjectures politiques et se noue aux dépens d’une solidarité avec leurs composantes locales.
Que deviennent les bénévoles ?
83La précarité des organisations environnementales est flagrante au cours des années 1990. Celle-ci est tout d’abord financière. Même la LPO, qui dispose d’une base financière solide, présente à deux reprises des exercices déficitaires. Les marges d’expansion et d’alternatives de financement sont conditionnées par les contextes économique et politique. La récession qui touche la France au début des années 1990 se double d’une diminution du soutien financier du ministère de l’Environnement aux associations. C’est pourtant une période où la coopération avec l’administration de l’environnement se resserre, à travers la multiplication d’instances nationales et locales où elles peuvent siéger. Le manque de stabilité des structures menace aussi les compétences développées. La professionnalisation est perçue comme un moyen de mieux souscrire aux missions de l’organisation. Malgré les aléas que connaissent ces structures, les mesures adoptées auprès des adhérents montrent un potentiel de mobilisation réel. La LPO et Greenpeace doublent ainsi leur base d’adhérents en moins de dix ans (cf. figures 1 et 2 infra). La comparaison avec le WWF est difficile en raison du système de comptabilisation des donateurs.
84Les modalités de la professionnalisation dépendent de logiques endogènes aux organisations. Le fonctionnement de FNE, à l’issue d’une réforme longtemps différée sur les relations avec les associations membres, prolonge un mode opératoire passé, tandis que les AT renouent avec d’anciens conflits pour déterminer des objectifs partagés par tous. Les trois autres organisations renforcent davantage par la professionnalisation les choix passés : la diversification des publics basée sur une expertise salariée pour la LPO, le financement de la conservation pour le WWF et la démonstration par l’action pour Greenpeace.
85Les bénévoles restent présents dans leurs instances politiques, conseil d’administration, voire comité scientifique pour le WWF comme les AT. Sans réelle incidence sur les orientations politiques, cette instance permet de seconder une équipe de salariés, voire de bénéficier de la notoriété de personnalités scientifiques. Le conseil d’administration de Greenpeace a en partie cette fonction, avec des personnalités de gauche telles que Jean Chesnaux, universitaire et ancien militant communiste. Enfin, les organisations les plus professionnalisées commencent à mettre en œuvre de nouvelles modalités de participation pour les adhérents les plus motivés. La LPO et Greenpeace France invitent leurs adhérents à participer à des enquêtes de suivi pour la première ou à des investigations sur la mise en culture d’OGM dans leur voisinage pour la seconde.
86Les adhérents représentent une source de soutien moral et financier. Ils sont aussi susceptibles d’apporter leurs propres savoir-faire et compétences à la structure. La mobilisation des membres, comme cibles et soutiens à l’action, est en jeu pour tenir compte des dimensions internationale et locale des problèmes d’environnement.
Implantation locale et inscription à l’international : la mobilisation des ressources des membres et des publics
87Les dimensions internationale et locale des problèmes d’environnement sont devenues plus évidentes avec la multiplication d’initiatives publiques à ce niveau. La Communauté européenne développe depuis les années 1970, de manière continue, une législation dans ce domaine (Delreux et Hapaerts, 2016). La conférence de Rio, organisée sous l’égide de l’ONU, doit relancer un cycle de négociations internationales au sujet de plusieurs enjeux globaux, la biodiversité ou le changement climatique. En France, la décentralisation amorcée en 1982 se prolonge par une extension des compétences accordées aux collectivités locales dans le domaine de l’aménagement du territoire. Le ministère de l’Environnement est doté de services déconcentrés, 30 ans après sa création, en 1991 (Lascoumes, 1994). Les Directions régionales de l’environnement deviennent les interlocuteurs des associations environnementales, déjà habituées à échanger avec les services centraux du ministère.
88Il en résulte des possibilités renouvelées d’action pour des organisations environnementales qui ont souvent participé à la prise de conscience des enjeux d’environnement à ces différents niveaux. Le chapitre 3 a décrit des organisations environnementales affaiblies à plusieurs reprises par des difficultés financières, politiques ou par l’hémorragie de cadres associatifs ayant rejoint les rangs de l’écologie politique. Comment parviennent-elles à coopérer avec des entités locales et internationales ? En sortent-elles renforcées ?
89Deux modèles distinguent les relations des organisations environnementales avec leurs entités locales et leur réseau international. Greenpeace France et le WWF France, sont en principe, tenus d’être solidaires de leurs réseaux internationaux, tandis que le principe d’autonomie prévaut au sein de FNE et des AT. La LPO offre une troisième configuration originale à cet égard.
Principe de hiérarchie
90Greenpeace et le WWF sont souvent présentés comme des organisations hiérarchiques. Les composantes nationales doivent suivre leur ligne d’action et leur reverser une partie de leurs revenus (Dalton, 1994 ; Chartier, 2002). Dans les deux cas, l’usage du logo et du nom peut leur être retiré. L’enjeu est de protéger la cohérence d’une stratégie qui doit être globale. Dans la réalité, les organisations nationales contribuent en fonction de leurs moyens et des méthodes de mobilisation des ressources éprouvées en interne.
L’implantation de Greenpeace en France et au sein de Greenpeace International
91À la fin des années 1990, Greenpeace France a renversé une situation de dépendance vis-à-vis de Greenpeace International pour y devenir plus influente, sur le plan financier et politique. Elle reverse dès 1999 une quote-part à la structure internationale. L’essor du bureau français relève d’un effort combiné : l’augmentation des adhésions participe à la multiplication des campagnes qui alimentent à leur tour de nouveaux ralliements à la structure. Un des éléments clefs de cette stratégie consiste à mieux inscrire les actions de Greenpeace en France, par le redéploiement d’une implantation locale et la coopération avec d’autres organisations environnementales nationales.
92La petite équipe de salariés se remobilise en 1997 autour de la réactivation d’un réseau de groupes locaux.
« Dans le constat faiblesse, c’est l’idée que Greenpeace était vu comme le bureau d’une organisation étrangère, mais surtout que le bureau parisien était complètement déconnecté avec le terrain, dans les provinces de France. »
Greenpeace, directeur [1997-2003], 28 novembre 2002.
93Parmi le réseau des quelques groupes locaux créé dans les années 1990, très peu subsistent encore en 1995. Ils représentent moins d’une dizaine de membres. Une série de conférences publiques du directeur de Greenpeace, organisées dans plusieurs grandes villes de France, invite les adhérents souhaitant s’investir davantage à devenir responsables d’un groupe. Cette initiative est concluante, et en 2002, le nombre de groupes locaux est limité à 18 pour faciliter l’articulation avec le bureau à Paris. Ces groupes locaux sont conçus comme un moyen de renouer avec les adhérents, tout en servant de relais aux campagnes et actions de Greenpeace. Ils restent statutairement dépendants de Greenpeace France. Les salariés sont incités à faire appel à ce réseau local, pour étoffer leur répertoire d’action. Dans le cadre de certaines campagnes, Greenpeace France s’est aussi dotée de « réseaux d’activistes ». Les internautes sont ainsi appelés à fournir des données sur les mises en culture d’OGM dont ils auraient connaissance en France.
94Cette nouvelle implantation locale se double d’une politique d’ouverture vis-à-vis d’autres associations environnementales. Depuis les années 1990, la fondation Greenpeace, à la recherche d’un second souffle, a laissé davantage de latitude à ses composantes nationales, y compris dans la coopération avec d’autres ONG.
« Greenpeace a l’habitude de travailler tout seul, notamment dans les autres pays anglo-saxons, parce qu’ils en ont les moyens. En France, si on voulait être à la fois pertinents et reconnus, on se devait de sortir de l’isolement dans lequel on était. On a établi beaucoup de connexions, mais jamais de coalitions permanentes. »
Greenpeace, directeur [1997-2003], 28 novembre 2002.
95Cette politique d’ouverture tient autant à la situation de Greenpeace en France qu’aux enseignements tirés de l’action inédite du bureau français sur les OGM (Berny, 2013a). Un des chargés de campagne de l’équipe, Arnaud Apoteker, est convaincu de l’importance de cette question avec des collègues Greenpeace dès les années 1990. Ils parviennent ensemble à imposer cet enjeu à l’agenda de l’organisation. La campagne lancée en 1996 intervient en pleine réforme de la législation européenne sur le sujet, et alors que des importations américaines de maïs OGM sont programmées en Europe. Greenpeace coopère avec FNE, les AT et la Confédération paysanne afin d’obtenir du gouvernement français le maintien d’un moratoire sur les OGM par l’UE. Cette campagne qui s’inscrit dans une mobilisation plus vaste en Europe (Kettnaker, 2001), remporte un vrai succès dans l’opinion publique, confortant le choix français de décliner davantage de campagnes pour stimuler la croissance du bureau.
96Grâce à ce type de coopération, Greenpeace France renforce sa capacité à articuler les enjeux politiques nationaux aux orientations politiques de Greenpeace. À partir de 1997, elle lance des actions communes sur les OGM, le changement climatique ou la biodiversité avec respectivement les AT et FNE. Elle finance avec le WWF France une étude mandatée auprès d’un cabinet d’experts bénévoles pour nourrir le débat public sur les exportations françaises d’électricité. Deux chargés de campagne s’investissent respectivement dans les collectifs interassociatifs InfO’gm et Sortir du nucléaire. Les échanges avec des associations collaborant avec les pouvoirs publics, de même que la diversité des modes d’action, des mises en scène spectaculaires au suivi de contentieux, servent une connaissance mise à profit par l’unité européenne de Greenpeace. Le bureau français y défend, par exemple, la nécessité d’adopter des positions sur la sécurité maritime après le naufrage du pétrolier Erika au large des côtes bretonnes en 2000.
97Greenpeace France compte parmi les bureaux européens qui ont impulsé une réorganisation partielle du bureau de lobbying établi en 1993 à Bruxelles. Un comité composé des directeurs nationaux lui est désormais associé afin d’assurer une meilleure communication entre bureaux Greenpeace sur les enjeux européens (Berny, 2009). À l’issue de la période, l’organisation est dans une voie ascendante, couvrant toujours davantage de thèmes avec le soutien d’adhérents plus nombreux.
Le WWF à la reconquête de l’international par les campagnes
98La nécessité d’un rattrapage par le WWF France de ses homologues européens a été évoquée à chaque changement d’équipe, en 1976 comme en 1992. L’enjeu est toujours d’actualité en 1995-1996, lors du recrutement de nouveaux directeurs du bureau, du développement et de la conservation. Le recrutement de chargés de mission sur les thématiques que couvre le WWF International est considéré comme la solution pour sortir le bureau français de son isolement, alors perçu comme un facteur de différenciation.
99Que ce soit le nombre de donateurs ou de salariés, le bureau français reste en deçà des niveaux atteints par les structures les plus anciennes du réseau dont il fait pourtant partie. En 1995-1996, il se classe derrière l’Inde pour les contributions versées au WWF International, et malgré un revenu national bien supérieur.
« On était traité comme le vilain petit canard de la classe. Un, on ne payait pas notre impôt à l’international. Deux, on ne relayait pas les campagnes de l’international. Trois, on finançait de tout avec notre système de petites subventions et l’international nous disait : “vous êtes la honte de la famille”. »
WWF, conservation [années 1990], Paris, 11 novembre 2013.
100La faiblesse des revenus de la structure française est souvent évoquée pour expliquer sa distance vis-à-vis du réseau. L’attitude de frilosité, voire d’indifférence de l’équipe, et en particulier du conseil d’administration sur les questions internationales est un trait du WWF France. Leur participation aux réunions internationales est pénalisée par un manque de maîtrise de l’anglais. L’international est vécu comme le niveau des injonctions pour des administrateurs soucieux de garder leurs prérogatives. Ils ont ainsi hésité à faire basculer le WWF France dans le registre de la contestation, discutant d’une participation à la bataille pour la Loire qui était vivement souhaitée par le WWF International.
101Avec l’arrivée de L. Hoffmann à la présidence du bureau français, les activités se calquent désormais sur les thématiques du WWF International. Le changement d’orientation stratégique amorcé par le réseau international facilite la réorganisation de l’équipe conservation en quatre « missions » : forêts, océans et côtes, eaux douces, outre-mer. Avec le concept de « biomes », il s’agit en effet d’identifier des écosystèmes distincts, terrestres, d’eaux douces ou maritimes afin d’orienter les priorités en termes de conservation, au-delà des espèces en danger ou des espaces naturels sensibles8. La mission outre-mer est une particularité française, le territoire ultramarin étant particulièrement riche sur le plan des espaces et des espèces remarquables. Une mission développement durable gère les sites Panda et la thématique Transport (le canal Rhin-Rhône). La mission internationale est encore en gestation.
102Les nouveaux salariés du service de conservation, souvent biologistes ou naturalistes de formation, travaillent plus étroitement avec le niveau international. La déclinaison des stratégies du réseau reste cependant nationale : il n’y a pas de campagnes internationales, mais des campagnes nationales en lien avec l’international. Ainsi, le bureau français collabore avec l’agence française de développement pour évaluer l’empreinte de la France à l’étranger dans le bassin du Congo. Il mobilise également des bénévoles pour veiller à la conformité à la démarche FSC par la chaîne de magasins Lapeyre. Enfin, le bureau conserve également une perspective française dans les enjeux européens qu’il est incité à relayer. Le WWF European Policy Office (EPO), basé à Bruxelles depuis 1993, fait en effet appel aux structures nationales pour prolonger ses actions. Dans la perspective de la réforme de politique commune de la pêche en 2003, les salariés français s’enquièrent des positions du gouvernement français et diffusent les objectifs visés par leurs homologues européens. Le WWF France participe à l’enquête de suivi de la mise en œuvre de la directive Habitats (92/43/CEE), enquête à l’initiative du WWF EPO avec l’appui de la Commission européenne. Cet ancrage européen se double d’un objectif de recherche de financement. Financement et conservation se jouent désormais au sein d’un même service.
103Cette évolution du service de conservation vers plus de polyvalence ne se fait pas au détriment des actions de terrain, encore perçues par l’équipe de direction comme nécessaires à la crédibilité du WWF auprès de ses donateurs. Pour donner à voir les actions du WWF et leur donner un volet opérationnel, des bureaux sont établis à Marseille, en Nouvelle-Calédonie et en Guyane. À la différence de ses homologues européens, le Royaume-Uni, la Suisse, ou l’Italie, le WWF France est dépourvu de groupes locaux. L’encadrement des bénévoles progresse ainsi de fait sur les sites gérés par l’organisation.
104L’expansion territoriale du WWF est plus limitée qu’au sein de Greenpeace France, qui dispose de groupes locaux dans plusieurs grandes agglomérations françaises. Le WWF administre dorénavant ses propres programmes, plutôt que d’appuyer des actions locales. Le renouveau des thématiques au sein des deux structures n’est pas nécessairement impulsé par le réseau international. FNE et les AT ont des possibilités plus réduites, mais réelles, de mobiliser leurs réseaux internationaux.
Principe d’autonomie
105À la différence notable des deux organisations précédentes, FNE et les AT se sont construites avec un réseau local, resté autonome dans son fonctionnement. Un même creuset façonne leur discours, les luttes locales contre l’installation de centrales nucléaires, ou la défense d’un droit à l’information et à la participation. Les composantes locales, jalouses de leur indépendance, considèrent souvent la structure nationale avec défiance. Cette situation devient plus critique alors que les AT comme FNE sont fragilisés par un manque de moyens financiers. La professionnalisation à travers des financements publics est également le fait des associations du réseau FNE plus que jamais sollicitées par les autorités locales (Le Démézet et Maresca, 2003), dans des logiques similaires à ce qui est observable au niveau national.
FNE, la réforme dans la continuité
106La réforme menée en 1995 pour clore une crise de confiance renforce l’échelon régional dans le fonctionnement de la fédération, en lui associant la conduite des « réseaux » thématiques établis depuis la fin des années 1980. Pourtant, cette réorganisation ne suffit pas à résoudre les problèmes structurels de coopération au sein du réseau et de dépendance aux pouvoirs publics.
107L’expérience des réseaux a été suffisamment concluante pour qu’ils deviennent la solution de l’intégration territoriale et thématique du réseau. Ils ont permis à FNE de continuer ses activités malgré les aléas de conjoncture interne. Au début des années 1990, plusieurs d’entre eux sont réactivés, sur l’énergie par exemple, tandis que d’autres apparaissent. Le « réseau juridique », créé en 1994, accompagne FNE sur l’élaboration de la loi Barnier ou la révision du Code minier. La fédération régionale Alsace Nature et son président, Maurice Wintz, sont à l’initiative du « réseau nature ».
108En confiant la conduite de réseaux aux régions, il s’agit de favoriser la participation des associations locales aux activités fédérales. Les organisations doivent se substituer aux bonnes volontés individuelles qui ont assuré jusque-là la conduite de la politique fédérale : « 24 administrateurs et de quelques représentants… détachés à Paris » (rapport d’activité 1996). Le président L. Brard souligne l’importance de mettre en commun les ressources du tissu associatif de FNE, ainsi la connaissance des contextes locaux d’application des lois ou de l’émergence de nouveaux enjeux comme les projets d’aménagements :
« Nous avons besoin de liens fonctionnels quotidiens avec nos fédérations et associations. Des liens à double sens. Nous devons partager en direct et de manière transparente aussi souvent que possible nos moyens humains, notre savoir, nos outils, nos informations. La fédé est une mine à ciel ouvert d’informations, un gisement comme vous pouvez difficilement l’imaginer. Il faut le mettre à la disposition de tous et réciproquement. Vos associations regorgent de données, de savoir-faire, d’expériences utiles bien au-delà de votre région. »
Rapport d’activité 1996 : 6.
109La nouvelle architecture des réseaux conforte l’importance de l’échelon régional comme le vecteur de l’intégration territoriale (Chibret, 1991), les associations locales étant incitées à adhérer via la fédération régionale en 1989. Elle ne correspond pourtant pas à une décentralisation. Un « directoire », composé le plus souvent d’administrateurs, assiste désormais le responsable de réseau afin d’arrêter des orientations cohérentes avec les positions fédérales. Les principales décisions, y compris celles qui relèvent de la communication, sont toujours du ressort du conseil d’administration. Les réseaux s’appuient par la suite sur des « réseaux de correspondants », composés de bénévoles issus des associations locales. Des « missions » complètent l’ensemble, par exemple au sujet de l’exploitation des carrières ou de la montagne. Moins mobilisatrices, elles ne sont pas forcément dotées de directoires.
110L’essor des réseaux semble confirmer le succès de cette réorganisation avec douze créations entre 1996 et 1998 (cf. tableau 11). Cohabitent naturalistes et environnementalistes, prêts à s’investir sur des thèmes différents, par exemple, de la protection du loup ou la question des transports. Le soutien du ministère de l’Environnement et le dispositif FONJEP mis en place par la gauche favorisent également cette évolution. Les postes de salariés sont confiés à des fédérations régionales. Le mouvement de délocalisation des services de FNE culmine lors du transfert des services administratifs et financiers à Orléans. Bernard Rousseau, le nouveau président de la fédération, les fait héberger à moindre coût dans une maison de la nature mise à disposition par la mairie. Cette nouvelle disponibilité de salariés limite l’impact de la réforme, car les fédérations régionales ne consentent pas davantage de moyens pour mieux faire fonctionner la fédération, elles en disposent. Autre conséquence, toute nouvelle thématique prend véritablement de l’importance à l’occasion du recrutement d’un salarié. Les arbitrages sur les thématiques portent désormais sur les moyens humains.
111L’organisation en réseaux, en outre, ne modifie pas les modalités de la prise de décision. La coordination donne lieu à des aménagements à la marge, avec le conseil national, l’instance de représentation locale censée être revalorisée, et l’organisation d’une conférence annuelle des présidents d’associations adhérentes par téléphone. La réforme de FNE ne renforce pas l’homogénéité ou la cohérence d’un réseau territorial. L’intégration territoriale, aspiration des élites fédérales dans les années 1970, est définitivement écartée. La communication entre les entités FNE et l’adoption de stratégies communes restent un défi dans un contexte où la demande publique apparaît plus que jamais comme le moteur du changement interne.
112En 1998, les élus fédéraux décident ainsi de regrouper les réseaux au sein de pôles calqués sur les grandes directions du ministère : Nature et paysages, eau, espace rural et forêt, prévention des pollutions et des risques (cf. tableau 11). Ce mimétisme révèle une situation inversée par rapport aux années 1970 et à l’ère Brosselin, où la fédération devait inspirer les dispositifs publics. Les instances créées au sein de FNE, de même que les enjeux traités, sont désormais inspirés par les pouvoirs publics et le ministère de l’Environnement, plus que jamais principal interlocuteur de la fédération.
113À l’image de son fonctionnement, les relations de FNE à l’international reposent sur quelques individus volontaires plutôt que sur les structures auxquelles ils appartiennent. Il s’agit d’une activité bénévole dont les frais afférents (déplacements et communications) sont défrayés par la fédération. Dès le départ, un administrateur représente FNE au Bureau européen de l’environnement, notamment à l’occasion de ses assemblées générales. Ils ne sont que trois à se succéder, entre 1974 et 1996, à cette responsabilité (J.-P. Le Duc, C. Garnier, C. Maillet). Il s’agit de relayer l’information européenne et, le cas échéant, de garantir que FNE participe à des actions communes : par exemple, la réalisation et diffusion d’une plaquette commune à l’intention des députés français pour les élections européennes en 1979. Parallèlement, le BEE a mis en place des groupes de travail thématiques afin de solliciter l’expertise de ses organisations membres. Sur l’agriculture, les processus de certification ou les questions de transports et d’urbanisme, au moins une demi-dizaine d’élus associatifs de FNE participe à ses travaux.
Tableau 11. L’organisation de FNE en transversalité en 2001
Pôles et leur localisation | Réseaux | Missions |
Nature - Biodiversité et équilibres fondamentaux | • Milieux naturels | - Loup |
Eau | • Eau | - Biodiversité marine et côtière, estuaires |
Exploitation des ressources renouvelables | • Agriculture | - Mesures agri-environnementales |
Industries - Produits et services | • Déchets | - Normalisation - Certification - |
Aménagement durable du territoire | • Transport et mobilité durables | - Montagne |
Santé | ||
Boîtes à outils (thématiques transversales) | • Juridique (Paris) | - Formation (Toulouse) |
Sources : Actu FNE, 64, mars 2001.
114FNE peine à affirmer son rôle en termes de coordination. Depuis les années 1980, le BEE a de plus encouragé la participation de l’ensemble des fédérations régionales dans le cadre d’une politique plus large d’expansion de son propre réseau en Europe. L’opération 1 000 communes pour l’environnement lancée par la fédération est symptomatique du faible intérêt des membres aux actions collectives nationales, à l’image des campagnes nationales que l’équipe fédérale tente d’impulser à la fin des années 1980, telle que Soyons nature. Peu suivie en France, cette initiative française relayée par le BEE et dotée d’un financement de la Commission est cependant un succès en Allemagne (FNE, membre fondateur et administrateur, 19 février 2014).
115Conformément à l’architecture en réseau (cf. tableau 11), un pilote de réseau s’occupe depuis 1997 du mandat de FNE aux BEE. Il est assisté d’un directoire composé des membres de FNE déjà présents dans les instances du BEE. Le choix de spécialisation l’emporte sur celui d’une intégration de la dimension européenne dans les activités de FNE. La circulation de l’information européenne est assurée par un bénévole qui réclame longtemps, en vain, le recrutement d’un salarié pour le seconder. Il s’agit en effet désormais d’une condition pour le développement des politiques de FNE.
Les AT, l’option internationale comme planche de salut
116Le bureau du conseil national (conseil d’administration), élu en 1998, affiche comme priorité la reconquête des groupes locaux et le soutien d’adhérents. Le lancement de campagnes nationales, rattachées aux activités du réseau international FOEI, est entrepris afin de donner un nouvel élan à une association qui doit repartir de zéro. Privée à la fois de salariés et d’argent, elle ne dispose alors plus que de 600 adhérents individuels. Cette relance par l’action aboutit au final à une énième réflexion sur leurs statuts et leur identité, menée auprès des groupes locaux encore présents.
117Les AT ont délaissé leur participation aux activités de FOEI et de la CEAT qu’ils avaient pourtant contribué à créer. Les campagnes ciblées dès 1990 sur le niveau national expliquent un décrochage des thématiques internationales. Les AT sont, par la suite, absents des assemblées générales des deux réseaux, faute de moyens financiers. Le lien est repris en 1995, lorsqu’un membre du conseil national participe à l’assemblée de FOEI. En 1994, les AT avaient déjà relayé un programme piloté par la CEAT, MEDNET (programme méditerranéen des AT), pour répondre aux attentes de plusieurs groupes locaux. Les AT espagnols se chargeaient de répartir aux ONG participantes du pourtour méditerranéen, les aides financières en provenance de l’UE.
118La faiblesse des AT est déplorée par leurs homologues européens, car elle pénalise leurs stratégies collectives. La France est un pays clef dans les négociations européennes dont il est important de connaître les positions sur les derniers projets de législation communautaire. Le réseau FOEI lance, à cette période, une campagne d’institutions financières internationales. Un Américain est hébergé dans les locaux des AT en 1993-1994 pour en être le relais en France. Puis une salariée est en charge de cette action grâce au financement de la fondation américaine de Charles Stewart Mott. Cette même fondation compte parmi les pourvoyeurs de fonds grâce auxquels les AT redémarrent leur activité. Ils obtiennent en 1998 plusieurs financements de fondations et de la Commission européenne via des programmes alloués à la CEAT sur des thèmes prioritaires pour leurs homologues européens, principalement les Britanniques et les Néerlandais. En quelques mois, les AT amorcent deux, puis quatre campagnes du réseau (Transport, OGM, Forêts tropicales, Institutions financières internationales). En parallèle, l’effectif progresse à onze salariés.
119Cette croissance rapide en moyens financiers et humains creuse encore davantage l’écart avec les groupes locaux. En déclin depuis les années 1980, l’effectif n’est plus que d’une douzaine en 1999. Les orientations données aux campagnes en 1990, puis les démarches d’agrément des groupes locaux ont démobilisé, voire créé de l’incompréhension chez de nombreux militants. La relance de 1998 pose un autre problème. Elle induit une dispersion des activités, empêchant la définition d’une stratégie dans laquelle se reconnaîtraient les groupes locaux. Les financements obtenus, la plupart du temps sur du court terme, obligent les salariés à se consacrer à la recherche de nouveaux programmes. Ce fonctionnement même empêche toute solidarité entre niveaux national et local. Le surcroît d’activité n’apporte pas de moyens matériels supplémentaires aux groupes locaux, tandis que leurs hausses en adhérents n’ont pas d’effet sur les finances de l’association nationale, et ce en raison des statuts existants.
120L’embellie de 1998 et les complications qu’elle entraîne convainquent l’équipe du conseil national de relancer la réforme des statuts autour de la problématique de l’identité des AT. Il est important de souligner l’effort de synthèse, mais aussi de renouvellement, qui anime alors la démarche entreprise par les nouveaux membres du conseil d’administration. La plupart ont une trentaine d’années, certains sont d’anciens salariés ou objecteurs des AT. D’autres représentants sont issus des groupes locaux et peu connus des instances nationales. Ils ont en commun un ancrage à gauche, voire au « gauchisme » (AT, ancien administrateur [années 2000], Paris, 14 janvier 2014). Les AT comptent ainsi parmi les membres fondateurs de l’association altermondialiste ATTAC9. Si la diversité a fait partie de l’identité des AT, elle les a aussi divisés et affaiblis. Parmi les mesures adoptées pour refonder les AT dans un contexte pacifié, P. Samuel, président pendant les années 1980, est sollicité pour rédiger leur histoire à l’intention des nouveaux élus associatifs. Un des membres du conseil, également membre des Verts, parvient à sceller la paix avec le parti. Leur candidate aux présidentielles, Dominique Voynet, est devenue la nouvelle ministre de l’Environnement. Enfin, le volet de certification environnementale et le dialogue avec les entreprises sont maintenus et davantage expliqués, permettant de réintégrer des bénévoles dans un domaine où les AT comptent parmi les quelques associations françaises actives. Elle est ainsi en mesure d’obtenir un financement européen pour comparer les systèmes de certification environnementale Communautaire et internationale (EMAS et ISO10) en France et en Italie.
121En 1999 de nouveaux statuts sont adoptés. Ils amorcent un cycle inédit de réflexions en interne. En 2000, les AT connaissent en effet une nouvelle fois des problèmes financiers, dus à la difficulté à prolonger les financements ad hoc jusqu’ici obtenus. L’effectif est de nouveau réduit à quatre personnes.
La LPO, indépendance de moyens et unité d’action
122La LPO représente un cas original vis-à-vis des associations précédentes, car elle est parvenue à concilier indépendance de statut et solidarité d’action aussi bien avec le réseau local qu’elle lance en 1989 qu’avec Birdlife International auquel elle adhère en 1995. L’extension d’un réseau de « délégations locales » et la déclinaison des thèmes internationaux constituent deux processus qui se confortent, contribuant au développement de la structure LPO, désormais entièrement impliquée dans la politique communautaire qui touche ses thèmes de prédilection.
123Le président, A. Bougrain-Dubourg, est convaincu que l’expansion territoriale de la LPO est la solution pour augmenter le nombre d’adhérents. Celui-ci plafonne à 9000 à la fin des années 1980. Il sera de 30000 en 1998. La LPO Lorraine est la première « délégation » à faire partie du réseau LPO en 1989. Quatre ans plus tard, la LPO est présente dans 22 départements avec trois délégations régionales, 5 délégations départementales et trois sections locales (rapport d’activité du 28 mai 1994, Feurs). Une demi-dizaine de projets d’affiliation est également en cours de négociation. Cette rapide croissance tient pourtant d’une expérimentation prudente. La LPO Lorraine est le regroupement de quatre associations départementales dont le président siège également au conseil d’administration de la LPO, ce qui a facilité le ralliement de la nouvelle entité à cette dernière. Celui-ci a négocié une convention entre la LPO et la nouvelle entité régionale. La diversité de structures qui rejoint le réseau est prise en compte dans une convention qui évalue les besoins de la structure locale. Chaque composante garde son indépendance d’action, c’est-à-dire un exécutif élu et la gestion de ses salariés. La LPO propose, en échange d’un reversement des cotisations, des conseils en développement associatif. La « section locale », de dimensions réduites et souvent le fait de membres LPO actifs sur le terrain, ne dispose pas de statuts.
124Le choix a été fait d’intégrer des structures associatives existantes, ornithologiques ou naturalistes, à un réseau dont les avantages sont à démontrer par la LPO. Cette manière de procéder s’explique par une image négative auprès de nombreux ornithologistes.
« On a choisi la stratégie des petits pas. On n’a pas suivi la RSPB qui prônait une politique volontariste. « Même s’il y a des oppositions, vous devez y aller ». On s’est dit, on est tellement mal vu par le monde ornitho, on va se faire tuer. On préfère les mariages avec des associations adhérentes. Elles continuent leurs activités. C’est plus lent, mais c’est mieux accepté. Les Anglais nous ont donné la méthode. Il faut des groupes locaux, tout ça… mais la manière de le concevoir, c’était nous les Français. »
LPO directeur, 28 octobre 2014.
125C’est un système original de franchise qui rend lisibles les gains de la coopération entre entité locale et entité nationale. La première s’engage à consacrer la moitié de ses ressources à des activités de sensibilisation et au recrutement d’adhérents. La LPO, quant à elle, gère les fichiers adhérents, ces derniers votant de fait à deux assemblées générales. Les associations désormais franchisées LPO ont des interlocuteurs au service « Vie associative », sous la responsabilité du directeur adjoint, pour lancer des activités avec lesquelles elles sont peu familières. Cette démarche vise à assurer le rayonnement, dans les médias, auprès du grand public et des jeunes, d’une association au champ d’action principalement cantonné à l’Ouest de la France. Il s’agit de démultiplier les actions via un réseau local, tout en partageant les savoir-faire acquis dans le domaine des achats fonciers, de la création d’espaces protégés ou des enquêtes de suivi.
126Le pari de l’augmentation des adhérents est rapidement tenu par les nouvelles entités du réseau. En 1994, la moitié des adhérents de l’association vient des délégations. La LPO franchit la barre des 20000 adhérents en 1995. Dans le même temps, elle augmente considérablement le nombre de bénévoles, en proposant un volant d’activités toujours plus variées (cf. encadré 8).
127L’efficacité de la méthode, ainsi démontrée, convainc d’autres associations de rejoindre la LPO. D’abord testée auprès d’associations avec lesquelles elle entretenait de bonnes relations, par l’entremise de son conseil d’administration ou d’opérations conjointes, comme le comptage d’oiseaux, ce sont les structures locales qui font ensuite le premier pas en exprimant leur souhait de rejoindre le réseau des délégations.
Encadré 8. Quand la diversification sert l’engagement des bénévoles
Réalisation de l’Oiseau magazine : 2 salariés et 20 rédacteurs et photographes bénévoles
Opération des poteaux EDF destinée à sécuriser ces installations pour les oiseaux Naufrage de l’Erika : 8000 bénévoles mobilisés ; rédaction d’un guide à l’usage des pouvoirs publics
128En retour, la LPO doit s’adapter. La nouvelle instance mise en place, le conseil national, n’a pas vocation à définir une ligne politique, mais à partager problèmes et expériences. Les échanges sont constants au sein du réseau, avec des réunions entre salariés des différentes structures. Le réseau est finalement formalisé en 1994-1995. L’assemblée générale adopte une convention type et révise les statuts afin de mentionner les délégations. La protection des écosystèmes des oiseaux et l’action foncière comptent désormais parmi respectivement ses objectifs et moyens. La réforme valide ainsi les orientations qui ont marqué les activités de la LPO au cours de la décennie passée.
129La modification des statuts en 1995 correspond également à l’adhésion à Birdlife International à cette même date. La RSPB a œuvré pour refonder le CIPO sur la base du principe d’une organisation ornithologique par pays, leur dispensant des conseils en développement. Birdlife International se substitue au CIPO et naît officiellement en 1993. L’organisation est aussitôt dotée d’un bureau de représentation à Bruxelles. À la même période, la LPO recrute une chargée de mission affaires internationales afin de faciliter des échanges qui s’effectuent alors essentiellement en anglais. L’association française n’adhère que deux ans plus tard au réseau. Cette politique des petits pas s’explique par le coût de l’adhésion à Birdlife. Une partie du conseil d’administration reste également à convaincre de son utilité.
130Au sein cette fois de Birdlife International, la LPO systématise ses premières expériences d’échanges avec la RSPB sur les thématiques européennes. Elle s’investit pleinement dans l’inventaire ZICO. Elle assure désormais directement la réalisation de cet inventaire, influençant l’application de la directive Oiseaux (79/409/CEE) en France. La Commission a en effet choisi de juger de la conformité des listes nationales sur la base des inventaires ZICO, en faisant ainsi une catégorie de droit. Elle devient l’interlocuteur clef du ministère de l’Environnement qui finance ses enquêtes sur le sujet. La LPO s’engage également dans la préparation des financements européens LIFE, destinés à favoriser des actions exemplaires dans le domaine de la protection de l’environnement.
131Ses actions habituelles, contentieux, actions foncières, gestion d’espaces naturels, s’inscrivent désormais explicitement dans les politiques communautaires. Le logo de Birdlife est repris dans ses publications. Alors que la LPO a jusqu’ici bénéficié des conseils de développement de la RSPB, l’affiliation à Birdlife devient un levier essentiel de son expansion dans la seconde moitié des années 1990. Elle dispose de provisions financières suffisantes pour s’engager dans des programmes européens qui imposent des réserves importantes de trésorerie. Les programmes européens LIFE prennent une part toujours plus importante de ses recettes (RA de 1998) notamment en raison d’un tassement des ventes et du mouvement des adhésions à partir de 1995. La LPO défend également ses propres priorités européennes auprès de ses partenaires Birdlife avec des thématiques telles que la protection de la biodiversité en zones cultivées ou la reconnaissance par l’UE des départements et territoires d’Outre-Mer (DOM-TOM), parmi les zones où la diversité d’espèces rares est parmi les plus menacées, pour qu’ils soient éligibles au titre de programmes LIFE.
132Les processus d’expansion territoriale de la LPO et son ouverture aux thèmes internationaux ne sont pas seulement parallèles, mais cumulatifs. La LPO s’est inspirée du projet d’affiliation de la RPSB, qui respecte l’autonomie des entités tout en les incitant à partager une même ligne d’action en coopérant sur des projets concrets. Le mode opératoire de la LPO qui consiste à produire de l’expertise à destination des décideurs, par la suite assortie d’un volet de sensibilisation auprès du public, a trouvé un prolongement dans le réseau de Birdlife. La LPO réplique avec son engagement européen une méthode éprouvée au cours des années 1980 qui consiste à mettre en œuvre des législations qu’elle soutient par les financements publics qu’elle obtient pour ce faire. Elle y développe un véritable savoir-faire, devenant alors la première association lauréate de financement LIFE Nature en France. Il s’agit d’un argument supplémentaire pour les associations qui souhaitent rejoindre le réseau.
133Le cas de la LPO montre comment des activités concrètes, sur des thématiques internationales ou locales, servent à la fois à des prises de positions publiques et à mobiliser les adhérents. Son modèle d’échange de ressources, matérielles et de connaissance, pratiqué au sein d’un réseau local est original vis-à-vis de FNE et des AT. Faute d’exister grâce aux contributions des organisations membres, les deux structures subsistent dans leur indifférence. L’importance d’une dynamique de mobilisation des ressources au niveau local est moins problématique pour le WWF France et Greenpeace France, puisque dépourvues d’entités indépendantes à ce niveau. Pourtant, les groupes locaux de Greenpeace constituent une autre configuration de la mobilisation d’adhérents, alimentée directement par les politiques qu’elle défend.
134Le modèle de développement organisationnel varie d’une structure à l’autre. La comparaison montre des défis communs, la recherche de soutiens individuels ou l’inscription dans des thématiques internationales ou européennes. Leur capacité inégale à les relever n’est pas simplement redevable d’une culture politique et organisationnelle, française ou anglo-saxonne, évoquée pour expliquer les difficultés du WWF ou de Greenpeace en France (Chartier et Déléage, 1998). L’expérimentation, qui est aussi une clef d’explication de leurs différentes trajectoires, a également marqué ces organisations.
De la formalisation à la professionnalisation : un processus d’institutionnalisation partielle
135Ce chapitre a analysé les causes et manifestations d’un processus délibéré de professionnalisation qui a touché l’ensemble des organisations étudiées. Ce processus répond à des défis spécifiques à chacune d’entre d’elles, ainsi la capacité à produire de l’expertise, à assurer la coordination entre organisations membres ou la collecte de fonds. Contrairement à la formalisation, abordée dans le précédent chapitre, cette nouvelle séquence questionne les missions poursuivies. En l’espace d’une dizaine d’années, depuis 1985-1989 selon les organisations (cf. tableau 3), des changements radicaux interviennent sur le type d’activités menées, les effectifs de membres ou le montant des budgets, y compris pour les plus modestes. La professionnalisation a, par conséquent, affecté directement les compétences spécifiques et les valeurs que celles-ci concrétisent.
136La comparaison de leurs compétences spécifiques, qui a été le fil directeur de l’analyse de l’institutionnalisation de ces différentes organisations, révèle que celles-ci sont peu cohérentes en raison de l’intégration insuffisante des différentes valeurs coexistant en interne (Ansell et al., 2015). L’institutionnalisation partielle qui en résulte se manifeste également dans les allégeances établies auprès de leurs publics, envisagées dans un second temps. Enfin, parce qu’elles renforcent leurs compétences respectives, la coopération entre organisations perdure au cours de cette période, mais cette fois par l’intermédiaire des salariés.
Les effets de la professionnalisation révélateurs d’une institutionnalisation partielle
137Désormais davantage stabilisées, ces organisations restent néanmoins faiblement institutionnalisées. Il est possible d’isoler les compétences spécifiques qui y coexistent, en même temps que les conceptions différentes que celles-ci engagent sur leurs finalités.
138La professionnalisation a conforté les activités passées. La mise en place d’un service partenariats entreprises a complété le second volet de la mission du WWF : des actions de conservation. À Greenpeace France, l’effort mis sur l’emploi salarié porte sur deux volets également considérés comme complémentaires : la conduite de campagnes et la recherche d’adhérents ou de donateurs. En démultipliant les campagnes sur des thèmes variés, l’organisation cherche à se démarquer de l’image antinucléaire qui lui est encore associée au tournant des années 1990. Les salariés doivent seconder les bénévoles qui s’impliquent dans l’action de FNE. L’intervention de bénévoles dans la gestion de l’association est davantage contrainte aux AT. Les orientations de l’association, révisées de manière radicale au début des années 1990, ouvrent une période d’instabilité où s’affrontent les options pour la survie. La professionnalisation intervient en 1998 sous la forme de recrutement de spécialistes. La LPO a, quant à elle, continué à diversifier ses publics et ses activités afin de gagner en popularité et diminuer la part relative des financements publics dans ses revenus.
139Des mondes différents se croisent dans ces organisations, portant des visions antagonistes des problèmes d’environnement et des actions à mener. Composé de naturalistes et de représentants d’entreprises, le conseil d’administration du WWF s’est plusieurs fois divisé sur l’articulation entre conservation et recherche de financements. La même tension marque les deux services historiques du WWF, le marketing et la conservation. Les « réseaux thématiques » de FNE, formalisés dans la seconde moitié des années 1990 regroupent ses différentes tendances : naturalistes, spécialistes des milieux, spécialistes d’écologie urbaine, juristes de l’environnement. En partie représentée au conseil d’administration, cette diversité a été contrebalancée par la relative stabilité des administrateurs dans le temps et que la professionnalisation n’est pas venue contrarier. L’histoire des AT est davantage marquée par des prises de pouvoir successives au conseil d’administration qui se sont pourtant accommodées de l’existence de préoccupations et de convictions différentes au sein du réseau.
140La LPO et Greenpeace France paraissent davantage institutionnalisées que ces trois structures où des conceptions différentes de l’organisation coexistent ainsi sans être explicitées. Le modèle d’expansion de la LPO, « l’association de projet » décrite dans le chapitre 3, est conforté par l’expérience et encore renforcé par la professionnalisation. À Greenpeace, les stratégies font l’objet de communications entre les bureaux et la fondation basée à Amsterdam. Ce modèle, imposé au cours des années 1990, est contesté à la marge au sein de conseil d’administration ou dans les groupes locaux créés à la fin des années 1990, sans que leurs arguments soient reconnus comme légitimes.
141Les divergences dans l’institutionnalisation de ces organisations, valident l’importance, mentionnée dans l’hypothèse 1, des membres et de son histoire dans leur trajectoire. Les mêmes conflits se reproduisent au sein des AT, de FNE et du WWF France. L’analyse comparée montre de plus qu’une institutionnalisation faible correspond à un leadership fragmenté. Ceux qui sont censés occuper des postes de décision sur le plan formel ne sont pas en mesure d’intégrer les valeurs plurielles associées à l’action de l’association, si ce n’est en concédant une autonomie relative à certains membres ou composantes de l’organisation. Ce n’est pas inattendu pour FNE et les AT, marqués par la réticence des membres à toute centralisation du pouvoir. Ça l’est en revanche davantage pour le WWF. Dans les trois organisations, les divergences de vue sont prégnantes au niveau du conseil d’administration, ce qui, outre l’histoire de l’organisation, explique leurs divisions.
142La LPO et Greenpeace illustrent une situation opposée de ce point de vue. La stabilité des membres, au conseil d’administration et dans l’équipe des salariés, marque la première. Ils ont vécu ensemble les principaux changements de l’association. La diversification de ses activités correspond à différentes sensibilités et motivations pour la défense des oiseaux qui cohabitent effectivement dans l’association. L’équipe entièrement renouvelée de salariés qui animent Greenpeace France à la fin des années 1990 ne remet pas en cause le modèle de fonctionnement Greenpeace. Si le directeur concentre le pouvoir de décision, les objectifs des campagnes font l’objet de débats intenses et de compromis qui permettent finalement l’action.
Des allégeances partiellement recomposées
143Ce processus d’institutionnalisation partielle se manifeste dans les relations que ces organisations établissent avec leurs publics, nouveaux et habituels. Elles relèvent inégalement le défi de la participation à des réseaux internationaux et celui de la mobilisation au niveau local. La stabilisation de compétences spécifiques est de plus évidente à l’examen des allégeances construites auprès des publics qui soutiennent leur action, illustrant les contraintes de l’alternative entre financements privés ou publics.
144Le rattrapage sur les thèmes internationaux, observable sur la période, ne contribue pas nécessairement à conforter la ligne d’action de l’organisation. La LPO et Greenpeace France sont les plus stratégiques vis-à-vis de leur réseau international. Elles s’y impliquent en fonction de leurs contraintes de moyens et en isolant leur propre ligne d’action. Elles parviennent à influencer leurs homologues européens sur plusieurs enjeux de politiques publiques. L’international fait l’objet d’investissements différenciés, potentiellement sources de tensions en interne, dans les trois autres organisations. Malgré des moyens accrus, le WWF France est exposé à une ligne internationale qu’il ne maîtrise pas tout à fait. Les salariés travaillent davantage avec leurs homologues européens, sans que leurs objectifs soient rediscutés à l’échelle du bureau français. Les AT parviennent à éviter la disparition grâce à leur réseau international, mais au détriment de la mobilisation du réseau des groupes locaux. Enfin, l’organisation en réseaux thématiques doit permettre d’intégrer la dimension communautaire dans les enjeux traités par FNE. En réalité, ce sont quelques individus qui s’investissent au BEE, dans la seconde moitié des années 1990, répliquant le modèle fédéral de l’activisme de quelques-uns.
145Sur le second plan, celui des relations avec les entités locales, la fin des années 1990 contraste avec la décennie précédente. Il n’existe plus de mobilisations locales d’envergure relayées par des organisations environnementales, à l’instar du tunnel du Somport ou du projet Loire Vivante. FNE seconde des luttes locales et offre un appui important aux contentieux développés par les associations locales d’environnement. Il existe une véritable difficulté à capter le potentiel des nombreuses luttes locales qui se développent alors, principalement dans la contestation ad hoc de projets d’infrastructure (Charlier, 1999). Le terme de « nébuleuse » pour désigner le secteur des associations de l’environnement (Micoud, 1999) signale le caractère évanescent de nombreuses structures. Greenpeace France et la LPO se distinguent pourtant encore sur ce plan. Dépourvues d’un réseau local, la première a encore une image très négative en France, la seconde n’est pas encore bien perçue dans les milieux ornithologistes, intrigués par ses activités de commercialisation ou en compétition dans la réalisation d’inventaires. Elles parviennent néanmoins toutes à constituer un réseau local à la fin de la décennie (Berny, 2009).
146À l’instar d’autres pays européens (Rootes, 2007), la relation de méfiance vis-à-vis d’organisations nationales qui pourraient accaparer tout le crédit d’une action locale est bien présente. Cette réticence vis-à-vis de structures nationales et a fortiori centralisées n’est pas sans lien avec les idées autogestionnaires ou participatives qui ont été le ferment du mouvement environnemental. Elle se manifeste à l’échelle du milieu associatif, car elle est favorisée par le régime juridique des associations. Le président est d’autant plus inamovible au bureau, que le renouvellement des adhérents est limité (Archambault et Tchernonog, 2012 : 5 ; Tabariès et al., 2008).
147Les stratégies plus élaborées de collecte de fonds se sont développées dans des contextes où les organisations environnementales sont politiquement marginalisées, aux États-Unis comme en Grande-Bretagne (Bosso, 2005 ; Jordan et Malloney, 1997). Elles sont en effet perçues comme la condition d’une action efficace et indépendante. Ce diagnostic fait également son chemin en France. Les organisations ne sont pas également dotées sur le plan des moyens et des valeurs pour mettre en place des outils de collecte de fonds.
148Le WWF et Greenpeace parviennent à souscrire à cet objectif avec succès. La LPO augmente le nombre de ses adhérents à travers la construction d’un réseau local. Le WWF comme la LPO cherchent à diversifier leurs sources de revenu, la première ayant recours aux financements des entreprises, mais également des pouvoirs publics, la seconde aux financements de donateurs/adhérents. Les AT et FNE restent, au contraire, dépendants vis-à-vis respectivement des opportunités de financements et de contacts pourvus par leur réseau international et le ministère de l’Environnement. Les organisations françaises illustrent à la fois différentes alternatives de financements et leurs contreparties. La professionnalisation a concrétisé des orientations déjà prises au cours des années 1980 : Greenpeace, le WWF et la LPO ont des équipes dédiées à la recherche de financements privés. Prolongeant leur trajectoire de ce point de vue, la professionnalisation n’a pas pour autant nui à leur coopération.
Compétences distinctes et nouvelles alliances : une nouvelle communauté de spécialistes de l’environnement
149Dans les années 1970-1980, l’entraide l’emportait sur des enjeux ad hoc et souvent du fait de bénévoles. Ce sont désormais des organisations en voie de professionnalisation qui disposent de personnels travaillant sur des thématiques proches, telles que la certification forestière ou la protection des océans. Les salariés en viennent à former une communauté de spécialistes de l’environnement travaillant sur des sujets différents.
150La pérennité des coalitions créées dans les années 1990 démontre que ces échanges d’informations sont essentiels pour comprendre les processus politiques et disposer d’une expertise plus large que celle détenue en interne. Une grande diversité d’organisations environnementales, nationales comme locales, rejoignent les collectifs InfO’gm, le Réseau Sortir du nucléaire ou le Réseau Action Climat France. Les deux premiers collectifs sont animés grâce au soutien d’organisations membres, d’autres, comme le RAC (Réseau action climat) France, dépendent de l’appui financier du ministère de l’Environnement. Le RAC est membre d’un réseau plus large, européen et global (Climat Action Network), rejoint par les réseaux internationaux du WWF et Greenpeace (Berny, 2013b).
151Ces organisations, parce que nationales, se retrouvent côte à côte, sur des actions communes ou au sein des mêmes collectifs (cf. tableau 12). La coalition est en effet un moyen d’action privilégié pour des acteurs politiquement faibles (Mahoney, 2007). Il est possible d’y voir une contrepartie de la difficulté à mobiliser au niveau local, déjà mentionnée dans le chapitre 3. Les relations de rivalité sont encore peu marquées sur le plan de la notoriété et des publics qui soutiennent leur action, les pouvoirs publics et des adhérents potentiels.
152Ainsi, la compétition entre les AT et FNE vis-à-vis de leur relation au ministère s’est apaisée, depuis la période où B. Lalonde a occupé le portefeuille de l’Environnement. Les AT comptent sur le soutien renouvelé du ministère de l’Environnement avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1997. FNE voit à son tour plusieurs de ses anciens responsables rejoindre le cabinet d’un ministre de l’Environnement, qui n’est autre que la secrétaire générale des Verts, D. Voynet. Greenpeace et le WWF, quant à eux, ne visent pas le même public de donateurs, la première valorisant la contestation comme moyen de pression, le second communique encore sur la protection des animaux. La LPO, en se spécialisant sur les oiseaux, n’empiète pas sur leurs adhérents potentiels.
153Facilitée par l’absence de compétition directe, la création de coalitions coïncide également avec les attentes des pouvoirs publics et des réseaux internationaux d’ONG. Plusieurs échéances internationales expliquent le nouvel intérêt porté aux questions d’environnement, de la part de gouvernements de gauche comme de droite : le sommet de la Terre à Rio en 1992 et celui de Johannesburg en 2002. Les organisations environnementales sont à chaque occasion invitées à se regrouper et à échanger avec le ministère de l’Environnement. À chaque conférence, une délégation d’organisations françaises, financée par l’État, a rejoint le terrain des négociations. La présidence française de l’UE en 2001 est l’occasion pour le ministère de l’Environnement de se doter de moyens supplémentaires en termes d’action internationale. Il organise des réunions à destination des associations pour les inciter à davantage de présence sur la scène communautaire.
154La plus grande lisibilité des enjeux environnementaux dans l’opinion, ainsi que le contexte économique, sont favorables à une relative croissance des organisations environnementales dans le dernier tiers des années 1990. En contrepartie, celles-ci voient néanmoins leurs moyens et leur agenda fortement dépendre de leurs alliés publics ou associatifs. L’analyse conduite dans ce chapitre a conclu à la stabilité des compétences spécifiques de ces organisations. Elle a aussi signalé leur relative faiblesse sur le plan de l’institutionnalisation. Les orientations stratégiques adoptées à cette période, c’est-à-dire les priorités accordées à la professionnalisation, favoriseront-elles une dynamique renouvelée d’action collective ? Celle-ci sera-t-elle suffisante pour surmonter les changements de conjoncture, qu’ils soient de nature politique ou économique ?
Notes de bas de page
1 « La part prise par les membres du Conseil a très largement augmenté. Des provinciaux lointains ont investi plus que jamais, mais plus on fait, plus il en vient », Jean-Patrick Le Duc, « Rapport moral 1983 », Lettre du hérisson, juin 1984.
2 Ibidem.
3 Courrier de Pierre Delacroix adressé aux membres du conseil d’administration, mars 1986.
4 Traffic est une organisation internationale lancée par le WWF et l’UICN afin de veiller au respect dans différents pays de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), signée à Washington en 1973.
5 Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée.
6 Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée
7 Compte de résultat du 1er janvier au 31 décembre 1992, Archives nationales.
8 [http://wwf.panda.org/about-our-earth/ecoregions/about/] consulté le 23 septembre 2014.
9 Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens.
10 Eco-Management and Audit Scheme et International Standarts Organization.
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