5. Les « Lip » à Palente-Orchamps
Le quartier, acteur d’une lutte ouvrière (Besançon, 1973-1974)
p. 129-148
Texte intégral
1Le 14 août 1973, la manufacture horlogère Lip, située Chemin de Palente à Besançon, est occupée depuis trois mois par ses travailleurs. Ces derniers ont repris l’assemblage et la commercialisation des montres pour financer leur lutte contre de démantèlement de leur entreprise et les licenciements annoncés par l’actionnaire majoritaire1. Dans la nuit du 14 au 15 août, les CRS pénètrent dans l’usine et expulsent les occupants, en application d’un arrêt de la Cour de Besançon2. Les ouvriers et leurs soutiens, regroupés autour de l’usine dès 8 heures, décident immédiatement d’organiser une grande manifestation de protestation. Cette dernière part de l’usine pour le centre-ville de Besançon et réunit près de 10000 personnes. Rassemblés au terme de la manifestation, les manifestants écoutent alors les discours syndicaux. Charles Piaget, leader de la section CFDT de Lip, y prononce cette sentence devenue célèbre : « L’usine est là où sont les travailleurs ! C’est pas des murs, l’usine, c’est d’abord des travailleurs ! On va la reconstruire, l’usine3. » Mais où vont alors ces travailleurs pour reconstruire leur usine ?
2Pas très loin en réalité : au 97 rue des Cras, à 800 mètres à peine, où ils occupent le gymnase Jean Zay dès le 16 août, sur l’invitation de la municipalité alors dirigée par le socialiste Jean Minjoz. Les travailleurs font du gymnase le nouveau centre névralgique d’une mobilisation dont les activités (y compris la production et la vente) s’implantent sur différents sites, à quelques pas du gymnase et de l’usine : le cinéma Lux, où se tiennent désormais les assemblées générales, ainsi que dans le sous-sol de l’église saint Pie X, où est acheminé le courrier. Les ouvriers ayant subtilisé les pièces de base des machines, l’usine est provisoirement hors-service. Comme le déclare Charles Piaget, la police « n’occupe actuellement que des murs et des machines inertes4 ».
3Cette description sommaire d’un moment fort d’une lutte ouvrière ayant durablement marqué l’imaginaire militant français et international5 permet d’interroger sa territorialité, en posant une question simple : en quoi la localisation de la lutte a pu jouer sur sa forme ? La ville de Besançon peut se présenter, en cela, comme un premier territoire du conflit : n’est-elle pas la ville d’origine de Pierre-Joseph Proudhon et de Charles Fourier, dont l’occupation productive de Lip incarnerait une sorte d’héritage local ? Cette hypothèse peut séduire, et fait d’ailleurs l’objet d’une patrimonialisation municipale6, cataloguant les figures marquantes du Besançon « révolté ». Mais ce grand récit territorial ne repose, en réalité, que sur des coïncidences biographiques. Les ouvriers de Lip ne font en définitive que quelques emprunts, sous forme de clin d’œil, à leur origine franc-comtoise, notamment lorsqu’ils détournent la devise « Comtois rend toi, nenni ma foi7 ! » (voir infra, figure 1).
4Au-delà de l’anecdote et des généalogies politiques hâtives, il existe pourtant un lien bien plus crucial entre la lutte des ouvriers de Lip et un autre territoire : celui du quartier de « Palente-Orchamps » – que nous nommerons ici plus brièvement Palente – où se situe l’usine. Le territoire du quartier, contrairement à celui de la ville, intervient de façon beaucoup plus concrète et visible dans l’action des ouvriers. En effet, comme le note Philip Nord, « les grévistes de Lip vivaient dans un quartier de Besançon, Palente, bénéficiant d’une vie locale intense centrée sur la pratique d’une foi catholique partagée8 ». Avant d’aborder l’influence du territoire sous l’angle de l’héritage politique local, il convient donc de s’intéresser à la structure sociale du quartier, en s’interrogeant sur le rôle qu’a pu jouer ce territoire proche, incarné, dans la genèse et la conduite du conflit.
5Notre hypothèse est que le quartier d’implantation de l’usine Lip peut être considéré comme un « acteur » du conflit. Elle implique de ne pas limiter l’ancrage territorial du conflit au lieu fondamental des luttes ouvrières de « l’après-68 », à savoir l’usine, qu’on occupe et où se débride l’imagination9. L’occupation de l’usine Lip a été, à ce titre, largement décrite : on y pratique une forme improvisée d’autogestion (production et vente de montres), une occupation festive et égalitaire où les hiérarchies syndicales s’affaiblissent10. Mais au-delà de l’usine, le quartier, espace plus discret qui l’entoure, joue également un rôle : les travailleurs le mobilisent, s’y réfugient, l’habitent. Nous proposons donc d’interroger l’influence de la structuration sociale du quartier sur la construction du conflit, essentiellement en 1973 et 197411.
6Le cas qui nous intéresse ne relève pas d’une « dispute » autour de l’usage d’un territoire, du maintien d’un cadre de vie immédiat ou lointain. Si le conflit Lip porte sur le maintien géographique d’une activité économique – l’usine ne doit pas être démantelée, ni juridiquement, ni physiquement (déplacement des machines, délocalisation de la production) – le quartier n’est pas qu’un « territoire à défendre ». Il est d’abord et avant tout un espace, disposant d’une épaisseur historique et sociologique, fournissant des ressources d’action fondamentales pour la conduite d’un mouvement social. Du « quartier » dans le printemps des peuples parisiens de 184812 au « foyer » dans les mobilisations de travailleurs immigrés13, l’espace des classes populaires est tramé d’interactions sociales, de sociabilités, d’interrelations, d’interconnaissances, que ceux qui l’occupent peuvent enrôler dans leurs luttes. Pour être comprise en tant que phénomène spatial, l’occupation d’usine nécessite ainsi d’être rapportée au réseau social territorialisé qui la sous-tend14. Reprenant une partie de l’agenda de recherche esquissé par Javier Auyero, on peut alors se demander « comment la densité et le type de relations sociales propres à un espace influencent la lutte ? » ; et « comment et selon quelles logiques ces luttes s’inscrivent dans l’espace physique15 ? » En nous appuyant sur un travail de collecte et de dépouillement d’archives relatives à l’histoire de l’entreprise Lip16, nous proposons d’explorer ces pistes en trois temps.
7Nous revenons tout d’abord sur l’ancrage territorial des ouvriers de l’usine dans le quartier, où nombre d’entre eux résident. Nous insistons ici sur les effets de localisation du tissu salarial sur la dynamique conflictuelle : la concentration géographique des lieux de vie des ouvriers, si elle n’est pas en elle-même une variable explicative, est un élément tout à fait crucial dans la compréhension des logiques de mobilisation.
8En retraçant succinctement l’histoire sociale du quartier (peuplement, activités associative et paroissiale), nous revenons ensuite sur la manière dont ce dernier a pu constituer une ressource de la lutte. Nous soulignons ainsi les trajectoires et dispositions spécifiques des acteurs les plus proches, au sens géographique, du conflit. Avant même que les ouvriers en lutte n’aient besoin de sensibiliser le public à leur cause, la nébuleuse de ceux qui partagent, et parfois encadrent, leur quotidien est acquise à leur cause, et ce malgré leur profonde hétérogénéité. Dans le cas de Lip, le conflit ouvrier ne « s’étend » pas au quartier : celui-ci en constitue un élément moteur et préalable.
9Enfin, en nous intéressant à quelques épisodes du conflit, nous abordons une relation à double sens entre l’usine et son quartier : les ouvriers puisent dans le quartier des ressources de mobilisation, avant de s’en servir pour maintenir le siège de leur usine qu’ils veulent réintégrer. Pour le dire autrement, après s’être appuyé sur leur quartier pour occuper l’usine, ils occupent le quartier pour la reconquérir. La défense de l’outil de travail ne peut aucunement se résumer à une bataille dans les murs de l’usine : le quartier et ceux qui le peuplent sont enrôlés en permanence dans une lutte dont ils sont des protagonistes de premier plan.
Ouvriers de Lip, habitants de Palente : vivre au seuil de son usine
10La localisation résidentielle des ouvriers de Lip est emblématique d’une époque qui semble révolue. Alors que les sites industriels sont désormais entourés d’une population peu liée à leurs activités, le quartier de Palente entourant l’usine horlogère est très largement habité par les ouvriers de Lip. Palente constitue bien en cela un « quartier ouvrier », reposant sur « des liens territoriaux spécifiques, fondés sur un rapport étroit entre habitat et travail17 ». Nombre d’ouvriers peuvent se rendre à pied à l’usine ce qui les conduit à vivre quotidiennement, la plupart du temps, dans le périmètre du quartier. Toutefois, cet ancrage territorial de l’usine doit être compris au-delà de cette seule donnée résidentielle. L’implantation de l’usine Lip occupe une place prépondérante dans la construction du quartier puisqu’elle en constitue la vitrine et la fierté industrielle. C’est donc sur ce double ancrage territorial, concernant à la fois les ouvriers et leur usine, que nous souhaitons revenir, afin de comprendre le plus finement possible les liens qui unissent Lip à son environnement proche.
Le quartier e(s) t son usine
11Le quartier de Palente est un ancien village rural18 structuré autour du « château » (désignant une grande ferme) appartenant à la famille Chifflet, riches propriétaires fonciers dont dépendaient les fermes avoisinantes. La propriété est nichée entre un terrain militaire existant depuis 1903 (le « Polygone ») et la forêt de Chailluz.
12À partir des années 1950, l’espace séparant Besançon et Palente commence à s’urbaniser. Face au manque de logements disponibles, la municipalité décide de construire un premier ensemble d’habitations en 1950, principalement à destination des classes populaires, en rachetant les terrains du Polygone. En 1954, le premier immeuble sort de terre et accueille 159 habitants. Construits dans l’urgence de la crise du logement, les immeubles d’habitation se multiplient sous l’action de divers acteurs (les « Castors19 », la municipalité de Besançon, différents promoteurs liés au LOPOFA20). À la fin des années 1950, les premiers habitants témoignent de la vétusté de ces immeubles et de leurs abords21. Cette extension immobilière entraîne l’intégration de Palente dans l’espace urbain bisontin, jalonnée par l’arrivée de la première ligne de bus (1952), de l’électricité (1953), du téléphone (1954) ou de l’eau courante (1955). En 1956, de nouveaux projets de logement populaires familiaux sont initiés par la municipalité, accompagnant l’implantation des premiers commerces et la dénomination des rues, qui s’étend de 1960 à 1970. Le quartier efface totalement l’ancien village dont il ne subsiste que l’emplacement du château Chifflet, dans lequel se succèdent les notables locaux, pour devenir en 1950 un foyer d’accueil pour les jeunes, ainsi qu’une chapelle.
13Des années 1950 aux années 1970, Palente passe peu à peu du statut de friche, parsemée de terrains vagues, de chantiers et de grands ensembles, à celui de quartier, où s’installent les familles ouvrières à la recherche de logements décents manquant en centre-ville ou qui, ayant fui les campagnes avoisinantes, cherchent du travail en ville. Le caractère ouvrier du quartier n’est pourtant pas lié à l’industrie. En 1958, seule l’usine Mischler y est implantée, les autres usines bisontines (telles que l’usine Rhodiaceta, qui produit du fil polyester) étant situées dans d’autres quartiers, même si de nombreux habitants de Palente y travaillent. Le maraîchage, l’extraction (carrières de pierre, tuileries) et la menuiserie (la scierie Loriod, menuiserie-charpente Verdet) constituent l’essentiel des activités d’un quartier également marqué par la présence d’un préventorium et d’un sanatorium, situés non loin, à Bregille, où travaillent quasi exclusivement des femmes. Si les ouvriers vivent à Palente, ils y travaillent rarement.
14L’implantation de l’usine Lip en 1960, suite au rachat d’un domaine situé sur l’emplacement du « château des Chifflet » en 1958, constitue donc un bouleversement dans l’organisation du quartier. Fondée en 1908 par Emmanuel Lippman, la firme connaît une forte expansion sous la houlette du petit-fils du fondateur, Fred Lippman, devenu Fred Lip en 1945. Le site flambant neuf de Palente (nommé Lip III22 – figure 2) témoigne de la volonté d’expansion et de rationalisation de la production de son patron23, et symbolise une organisation moderne de la production de mécanique de haute précision. Les locaux, inaugurés le 7 septembre 1962, dotés d’une passerelle aérienne de 128 mètres, ainsi que le siège de la direction, décoré en 1967 par le peintre Goor, incarnent l’ascension d’une entreprise horlogère historique de Besançon et des ambitions de son emblématique patron.
Figure 1. une vue aérienne de l’usine Lip de Palente

Source : carte postale réalisée par les ouvriers de Lip, septembre 1973.
15Lorsque l’entreprise Lip ouvre son usine dans le quartier de Palente, ce dernier a tout juste dix ans d’existence. L’image de l’usine, dont le portail donne sur le Chemin de Palente, est progressivement assimilée à celle du quartier. Affichant des chiffres de production exponentiels24 et une image de marque nationalement reconnue, et ce malgré un système de production fragile25, le site devient un fleuron industriel de Besançon, faisant connaître le nom de Palente dans le monde entier. Entreprise moderne et performante, Lip devient l’emblème du quartier. Mais au-delà de l’image, cette imbrication est également une réalité sociale. Les salariés de Lip ne font pas que travailler dans le quartier : nombreux y résident également.
Palente, territoire du quotidien de nombreux « Lip »
16Une cartographie des lieux de résidence déclarée de 1007 salariés en 1973, sur la base d’un document juridique établi dans le cadre de la liquidation de l’usine26, permet de comprendre que l’implantation de l’usine Lip dans le quartier dépasse la seule activité de production. Parmi ces salariés, 755 résidents à Besançon, les autres à Ornans (où se trouve le site de production de machines-outils Lip) ou dans les communes avoisinantes. Sur la base des 755 adresses inventoriées, nous pouvons alors établir une localisation des lieux de résidence des salariés (figure 2).
17La première observation que nous pouvons faire à partir de données disponibles et de leur cartographie concerne le voisinage : 55 % des personnes recensées partagent leur rue ou leur immeuble avec au moins un.e autre salarié.e de Lip. Ensuite, le quartier de Palente présente la plus forte densité de travailleurs. Bien sûr, nombre d’entre eux résident dans d’autres quartiers populaires ou mixtes de la ville, souvent proches de Palente (Cras, Vaîtes, Bregille, Chaprais) – exception faite de Planoise, le quartier le plus éloigné de l’usine, mais où sont construites de très nombreuses HLM. Palente polarise toutefois l’essentiel de la population ouvrière, comme le montre l’analyse menée à l’échelle des zones résidentielles. La zone des « musiciens », composée de rues portant le nom de compositeurs français, et celle des « fleurs », regroupant un ensemble de rues à cheval sur Palente et le quartier des Cras, concentrent ainsi 20 % des effectifs figurant sur la liste. Les rues de ces deux zones se situent toutes à une centaine de mètres de l’usine et dessinent un espace d’interconnaissance, de voisinage et de partage, même involontaire, d’un quotidien dans le quartier.
18Ce quotidien s’articule notamment autour des boutiques qui s’installent dans la zone des fleurs essentiellement à partir de 1954 : s’installent, allée des Glaïeuls, un bureau de tabac papeterie, une droguerie, un salon de coiffure, une mercerie, un maraîcher, un cordonnier, et un bazar. À 300 mètres de là, au 154 rue de Belfort, un petit commerce café-épicerie « reste dans les souvenirs de bien des Palentais, [car] c’est là qu’on va prendre un petit verre avec un copain de rencontre27 ». Le quartier n’est pourtant pas épargné par la modernisation du commerce : l’ouverture, le 1er octobre 1957, de la grande surface en libre-service les « Docks francs-comtois » fait concurrence aux deux épiceries du quartier. Plus grand magasin de la région, avec 250 m2 étendus à 400 m2 en 1961, il marque un changement des modes de consommation des habitants de Palente, sans remettre pour autant en cause l’implantation du petit commerce. Ainsi, le marché de la place des Tilleuls, installé en 1957 par la municipalité de Besançon, constitue un lieu central de sociabilité dans le quartier.
Figure 2 : la répartition géographique des ouvriers de Lip dans Besançon (1973)

Cette carte, constituée par Jean-Philippe Antoni, de l’UMR ThéMA a été établie selon le protocole suivant :
1. collecte des adresses des ouvriers à partir des fichiers ;
2. géoréférencement de ces adresses (en coordonnées XY Lambert 93) à l’aide de l’API Google Batch
Géocodeur [http://www.batchgeocodeur.mapjmz.com] ;
3. Intégration de ces données dans un SIG (Système d’information géographique) -> Carte par points
4. comptage du nombre d’ouvriers par IRIS (IRIS de 2005) ;
5. calcul de la densité d’ouvriers par IRIS (nbr. d’ouvrier / superficie des IRIS) ;
6. discrétisation de cette densité selon la méthode de Jenks [http://sigfrance.free.fr/ressources/filebrowser/downloads/Cours%20cartographie/pdf/lc10.pdf] ;
7. export des résultats sous Illustrator et habillage des cartes.
19Notre analyse présente bien sûr des limites, d’abord liées à des problèmes méthodologiques : il aurait été intéressant d’observer historiquement les changements de localisation des ouvriers, ce qui s’est avéré impossible faute de matériau empirique comparable pour les années précédant le conflit. Cette représentation graphique et quelque peu figée doit donc se garder de tout « sociologisme28 ». La résidence n’est pas, en elle-même, un facteur explicatif des comportements et des représentations. L’« habiter » s’encastre dans une pluralité d’espaces sociaux qui composent la vie d’un individu : des espaces de travail, de loisir, de localisation familiale, qui, tous, influencent plus ou moins les représentations sociales et politiques29. Toutefois, la résidence s’inscrit dans un « portefeuille spatial » qui privilégie certains lieux, surtout dans le cas d’ouvriers français des années 1970 dont la mobilité hors du quartier reste limitée30. Sans sur-interpréter ces données, on peut donc considérer que le quartier de Palente polarise la vie quotidienne d’un grand nombre de travailleurs, en plus de leur présence dans les murs de l’usine. C’est à partir de cette donnée de base que nous pouvons à présent tenter de comprendre la spécificité des structures sociales du quartier, qui cadrent la vie quotidienne de nombreuses et nombreux « Lip ».
Un quartier ouvrier pieux et contestataire
20Comme la plupart des quartiers ouvriers de cette époque, Palente est marqué par un très fort encadrement militant et social. Mais à la différence des « banlieues rouges », largement organisées par le Parti communiste31, la vie ordinaire de Palente est investie par des acteurs aux profils différents, principalement catholiques et/ou de gauche. En nous intéressant à ces acteurs, nous souhaitons dépasser une analyse quelque peu descriptive de la vie du quartier – son histoire, ses habitants – pour engager une lecture plus dynamique des structures de sa vie sociale, et saisir son influence sur la sociabilité des ouvriers de Lip et leur comportement dans l’usine.
21En effet, si l’usine Lip est une fierté industrielle pour le quartier, elle est également le théâtre d’importantes mobilisations. Les travailleurs de Lip développent, dès le début des années 1960, une intense activité syndicale dans toutes les catégories de personnel, reposant sur un taux particulièrement élevé de syndicalisation (surtout dans les rangs de la CFDT et de la CGT). L’influence du catholicisme social, notamment parmi les leaders syndicaux de l’usine32 et le fort impact des événements de Mai 68 expliquent en partie cette posture revendicative.
22C’est ce double ancrage – catholique et « post-68 » – que nous retrouvons dans les structures sociales du quartier de Palente, autour de deux institutions qui marquent profondément la vie du quartier : la paroisse et le Centre Culturel Populaire Palente Orchamps (CCPPO). Ces deux institutions, dont nous proposons de restituer l’ancrage dans le quartier, partagent les mêmes lieux : le cinéma le Lux, la salle des fêtes (ouverte en 1959), la maison des jeunes du quartier (1961), qui devient la Maison pour tous en 1970, suite à la reprise de la gestion par la municipalité en lieu et place de la Fédération des Maisons des Jeunes et de la Culture. La présidence de la Maison pour tous symbolise à elle seule la structuration du quartier, puisqu’elle est d’ailleurs confiée par la municipalité à Micheline Berchoud, institutrice proche du PCF et co-fondatrice du CCPPO, l’abbé Marcel Manche en étant vice-président.
23L’attachement au quartier est donc une sorte de patrimoine commun dont use cette nébuleuse sociale et politique. Ce maillage culturel particulièrement dense, s’il ne provoque pas à lui seul la grève productive de 1973 chez Lip, en marque très nettement la forme et la conduite.
Une paroisse du « catholicisme intégral »
24La paroisse de Palente peut, à bien des égards, être considérée comme une entité structurante du quartier. Longtemps, ce dernier n’a pas de vie paroissiale. Les prêtres qui y célèbrent la messe en visitent occasionnellement les foyers de travailleurs et les maisons éparses, mais le lieu de culte le plus proche, tout comme la dernière station de tramway, se situent à Saint-Martin-les-Chaprais, à deux kilomètres de Palente. Le quartier est alors une terre de mission pour l’Église catholique. Il faut attendre la fin de l’année 1947 pour que le diocèse loue une partie du château Chifflet afin d’y ériger la chapelle Saint-Michel et un presbytère. La communauté catholique paraît alors se limiter au foyer comtois « Chez nous » (centre d’éducation) qui partage les locaux du Château, même si la messe, qui y est célébrée plusieurs fois par semaine, est ouverte à tous. Lors du rachat du site par Lip, une clause de l’acte de vente concède l’occupation à titre gratuit tant de la chapelle que du presbytère où vivent deux prêtres.
25L’urbanisation transforme progressivement Palente en paroisse à part entière33, avec son curé, Marcel Manche, officiellement installé à l’automne 1956. L’abbé Manche est ainsi missionné pour tout bâtir dans un quartier qui ne possède rien, c’est-à-dire tant des édifices cultuels que des installations socio-culturelles. Palente emprunte l’ensemble des attributs de la paroisse rurale et de la paroisse-refuge d’environnement urbain : elle est le « foyer religieux d’un territoire dont tous les habitants sont sujets de droit34 » ; elle développe une activité cultuelle et d’assistance aux pauvres ; elle fonctionne telle une communauté primaire proposant des activités culturelles, festives et sportives. On pourrait grossir le trait en affirmant que Palente devient un terrain d’expérimentation d’un catholicisme intégral35, conquérant, visant à convertir et à édifier moralement et culturellement les individus36.
26La devise Instaurare omnia in Christo (« tout restaurer dans le Christ »), choisie par Pie X (1903-1914) au moment de l’accession au pontificat, résumerait à elle seule le propos de l’abbé Manche, tout comme les vues de l’archevêque de Besançon, s’agissant de Palente. Il n’est pas anodin que cette paroisse soit justement placée sous la protection de Saint Pie X, le pape du renouveau clérical, des catéchismes et de l’apostolat des laïcs, mais également l’opposant au modernisme et à la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. Ce pape incarne les valeurs d’un catholicisme intransigeant, farouchement opposé au libéralisme et au socialisme, intégrant toutefois la « question sociale ». Ce catholicisme intégral est « la conviction que le christianisme présente, au sein d’une intangible intégrité doctrinale, un système de vie et de pensée qui répond à tous les besoins de la société moderne »37. Si le diocèse n’ambitionne probablement pas de restaurer la Chrétienté à partir du quartier de Palente, il n’en demeure pas moins un désir de faire entrer le Christ dans les foyers, à l’usine, dans le quotidien des habitants.
27La première tâche de Marcel Manche est la construction de la nouvelle église paroissiale, imposée par l’installation de la manufacture horlogère qui, de facto, privatise le domaine sur lequel elle se trouvait jusqu’alors. La construction dure deux ans et demi, d’avril 1957 à septembre 1959. Les fonds proviennent des quêtes dans les paroisses de la ville, des dons et des cotisations. On va jusqu’à organiser des kermesses et des spectacles de plongeon par l’abbé Robert Simon, alias « le curé volant38 ». La paroisse, dans ses limites géographiques, doit permettre l’édification spirituelle des 12000 habitants qui sont autant de paroissiens potentiels. Les actions visent les adultes mais plus encore les enfants qui représentent alors la moitié de la population palentaise : ainsi le chiffre de 1500 enfants inscrits au catéchisme est avancé pour l’année 196139.
28Le versant caritatif, deuxième tâche, est incarné par l’implantation de deux dispensaires. Les sœurs de la Charité, religieuses infirmières, font des tournées dans le quartier, récupérant les adresses en pharmacie. L’abbé Manche, voulant pallier le manque de soignants, est à l’origine de l’installation d’un premier centre de soins à Palente, à l’automne 1959. Il convainc une de ses paroissiennes, Michelle Rollet, alors jeune diplômée, d’en devenir l’infirmière et négocie directement avec les autorités (la municipalité et la Sécurité Sociale) l’attribution de subventions pour la location d’un appartement situé allée des Campenottes (où vivent par ailleurs 13 salariés de Lip). À ce dispensaire vient s’en adjoindre un second, en 1970, émanation des sœurs de la Charité qui décident de quitter le foyer Saint-Vincent pour vivre au milieu des Palentais (rue Berlioz, zone des musiciens).
29Le versant culturel, troisième tâche, se décline autour des arts et du sport. Au moment de sa construction en 1959, le cinéma Lux est la plus grande salle de cinéma de la ville, avec près de 1000 places. L’abbé Manche en est nommé gérant en remplacement du directeur du cinéma Central de Besançon, décédé dans un accident. La programmation, contrôlée par le curé, se veut avant tout familiale40. Outre des œuvres du cinéma, le Lux accueille des représentations théâtrales, folkloriques41, musicales (Georges Moustaki et Léo Ferré s’y produisent), ainsi qu’une partie des activités du CCPPO (voir plus bas).
30Le sport tient, enfin, une place importante dans la vie des Palentais et de leur curé. Celui-ci administre la section de gymnastique « Jeunesse de Palente », qui s’entraîne rue de la Corvée, à côté du presbytère et également dans les champs de la future usine Lip. L’abbé Manche est une éminente personnalité du monde du sport bisontin. En effet, entraîneur de foot (y compris des enfants à Palente), il est aumônier de la « Cita » (diminutif de Citadelle), groupement des associations sportives confessionnelles avant-guerre. Il est l’un des fondateurs du Patronage sportif bisontin (PSB), dont il assure l’encadrement en 1966. Le PSB, devenu Promo Sports Besançon, compte, encore à ce jour, un important club de football et un dojo.
31La paroisse de Palente suit, de cette manière, la transformation du quartier. La présence de l’Abbé en marque l’organisation sociale, qui gravite, d’une manière ou d’une autre, autour des activités paroissiales. Mais cette implantation ne peut, à elle seule, caractériser le tissu social du quartier, qui est animé à partir de la fin des années 1950 par un mouvement plus hétérogène tant religieusement que politiquement : le CCPPO.
Le CCPPO : culture et émancipation
32Le Centre culturel populaire Palente Orchamps (CCPPO) ouvre ses portes en 1959, en plein cœur de Palente, dans la zone des fleurs. Formulée dans les réunions de l’Association Familiale Ouvrière au milieu des années 1950, la nécessité d’une vie culturelle dans le quartier est le motif premier de sa constitution. Pour reprendre les mots de Micheline Berchoud : « c’est de la conjonction de ce quartier sans “âme” mais avec une vraie richesse de ses habitants et de ces personnalités diverses et complémentaires qu’est né le CCPPO42 ». Les habitants qui prennent l’initiative de la création de l’association présentent des trajectoires politiques, professionnelles, syndicales et religieuses très diverses. Le CCPPO regroupe ainsi des individus, résidant dans le quartier, autour desquels gravitent des mouvements aussi divers que l’Action catholique ouvrière (ACO), l’Association populaire familiale, l’Association familiale ouvrière, elle-même issue du Mouvement de libération du peuple (MLP) et proche de la Confédération syndicale des familles, la CFDT, la CGT ou encore Peuple et Culture. On trouve au CCPPO une diversité de profils, reflets du quartier : « castors », étudiants, ouvriers (syndicalistes ou pas), enseignants, journalistes, militants communistes et catholiques (« Tala » ou pas43). Leur point commun est une certaine prise de distance avec leur « appareil » d’origine.
33Le CCPPO mène essentiellement des actions liées aux loisirs les plus divers. Toutefois, en 1956, la rencontre avec Peuple et Culture, par l’intermédiaire du MLP et de Maxime Roland, fait du CCPPO bien plus qu’une association culturelle. Souhaitant prendre ses distances avec la municipalité radical-socialiste de Besançon44 et l’Association franc-comtoise de la culture (AFCC), le CCPPO s’engage alors dans un projet d’éducation populaire inspiré du projet de Peuple et Culture et ciblé sur Palente. En marge des statuts, déposés le 18 septembre 1959 suite à l’ouverture de la salle des fêtes du quartier, les membres fondateurs du CCPPO publient un manifeste, qui laisse entrevoir une tonalité politique explicite :
« Morts aux uniformes, aux couvre-chefs, et à ceux qui souhaitent prendre le képi du voisin… C’est la fleur qui sort de terre qui a raison ! Mort aux jardiniers, aux orienteurs, aux adjudants du culturel… À la trappe, les sculpteurs de Staline géants. De l’air ! Tout art vrai est révolutionnaire. Toute vie est révolutionnaire. On n’oriente pas la culture, on la pervertit, on la défigure. Vivent tous ceux qui viennent sans bréviaire45 ! »
34En 1964, après s’être retrouvés en assemblée générale, les membres fondateurs du CCPPO décident d’engager un mode d’organisation qui va durablement marquer l’activité sociale du quartier. Le CCPPO, qui dispose d’un fort auditoire du fait de son intense action culturelle depuis cinq ans, se politise : « nous sommes tous d’accord, nous sommes des socialistes révolutionnaires retranchés dans un camp prêts à diffuser une culture révolutionnaire46 ». Il se met alors au service des organisations qu’il juge révolutionnaires ; « CGT, CFDT, FO, FEN, AGEB, PCF, PSU, UFF, FNDIRP47 ». Les rapports avec la municipalité s’améliorent et le CCPPO, qui est associé à la conduite de la politique culturelle municipale, connaît ses années de gloire jusqu’en 1968.
35Deux événements marquent l’activité (essentiellement théâtrale et poétique) du CCPPO durant ces années : la grande grève de l’usine Rhodiaceta en 1967 et Mai 68. Dans les deux cas, le CCPPO est un carrefour où se croisent des militants appartenant à des courants d’idée parfois antagonistes, des chrétiens aux trotskystes, des étudiants gauchistes aux militants syndicaux48. La grève de la « Rhodia », située dans le quartier voisin des Prés-de-Vaux, forme une première expérience d’occupation originale d’une usine : elle est investie par les activités culturelles du CCPPO et immortalisée par le cinéaste Chris Marker, compagnon de route de Peuple et Culture, dans le film « À bientôt j’espère ». Ce premier voyage du cinéaste correspond à la rencontre entre le CCPPO et le mouvement du « cinéma fait par les ouvriers » défendu par les groupes Medvedkine49, très actif à Palente et à Besançon entre 1968 et 1973, drainant des cinéastes tels qu’Alain Resnais ou Jean-Luc Godard. Pol Cèbe, syndicaliste CGT de la Rhodiaceta et co-fondateur du CCPPO, participe activement aux actions des groupes Medvedkine dans Besançon et au-delà.
36Le CCPPO décline dans la période 1968-1973. L’engagement dans la gestion de la politique culturelle de la municipalité de Besançon, les départs successifs des membres fondateurs, l’adhésion de certains d’entre eux au PCF, l’agitation d’extrême gauche qui met en porte-à-faux les responsables de la structure ou encore les divisons politiques internes fragilisent l’association50. L’intervention syndicale continue pourtant lors des cinq mois de grève du personnel du préventorium de Bregille (1972), durant laquelle le CCPPO est un animateur de premier ordre. Ainsi, même s’il a perdu de son aura à la veille du conflit Lip, le Centre a indéniablement marqué le paysage culturel et militant palentais. Les animateurs-militants du CCPPO établissent avec acharnement un lien à « leur » quartier afin de lui donner accès à une définition émancipatrice de la culture et aux idées critiques de l’époque.
L’usine est Palente, Palente est l’usine
37La grève des travailleurs de Lip, qui démarre en avril 1973, puis l’occupation de l’usine, portent la marque du quartier et de ses institutions, et ce sur deux aspects. D’une part, on retrouve dans l’occupation des modes d’action et une conception de l’action ouvrière largement portée par le CCPPO, déjà engagée dans des pratiques similaires au cours de son histoire. Les ouvriers de Lip n’ont, en quelque sorte, qu’à puiser dans ce stock de références, de pratiques que tiennent à leurs dispositions ces acteurs centraux de la vie du quartier. D’autre part, les figures du quartier, et notamment, l’abbé Manche, n’hésitent pas à intervenir directement dans le conflit. La paroisse est utilisée comme un appui logistique du mouvement, et l’ecclésiastique prend directement part au conflit, sans pour autant soutenir inconditionnellement ceux qu’ils considèrent comme ses paroissiens.
38Le quartier de Palente intervient donc dans le conflit à différents titres : base arrière du mouvement, espace de formation militante, animateur de la lutte, il permet aux ouvriers de construire et d’entretenir le rapport de force avec les pouvoirs publics et les actionnaires de l’entreprise. Les travailleurs en lutte s’approprient cet espace et continuent de le mobiliser même après la fin du premier conflit en 1974 : les « Lips » en attente d’une réembauche font de Palente une zone à partir de laquelle l’usine est assiégée. C’est en ce sens que le quartier devient un acteur à part entière de la lutte des Lip : son rôle dans la lutte dépasse peu à peu celles et ceux qui l’animent et devient une sorte d’extension territorialisée de l’usine.
L’usine occupée et la « petite musique » palentaise
39Les modalités d’occupation de l’usine de Palente constituent indéniablement l’aspect le plus célèbre du conflit Lip : usine ouverte, festive, démocratique, où s’organisent la production, les ventes et les paies via les commissions. Intégrée dans une séquence historique où les occupations d’usine changent de forme – plus ouverte sur l’extérieur et imaginative51 –, l’occupation de Lip mobilise des ressources et des modes d’action auprès des institutions structurantes du quartier, où coexistent les ouvriers de la Rhodia, du préventorium et de Lip, donnant à l’occupation des airs de famille avec les conflits passés dans lesquels le CCPPO occupait déjà une place cardinale. À ce titre, le témoignage de Charles Piaget, syndicaliste depuis 1953, militant de l’Action catholique ouvrière puis du PSU, comptant parmi les leaders de la mobilisation, est éloquent :
« Nous savions que si notre lutte restait isolée, nous allions à la défaite. C’est en luttant dans d’autres entreprises, notamment au Préventorium de Brégilles [sic], que nous l’avions découvert. Il fallait que notre lutte soit ouverte, que tous puissent y entrer. Ça a été difficile. “Lip maison de verre”, c’était notre mot d’ordre52. »
40Les modes d’occupation et d’action reçoivent ainsi le soutien direct des acteurs du quartier. Le CCPPO, pourtant en déclin, alimente la dimension « festive » et culturelle de l’occupation53, s’inspirant largement de ce qui avaient été faits dix ans plus tôt pour la Rhodia. Dans la première édition du bulletin d’information des travailleurs, Lip-Unité, paru le 11 juillet 1973, la commission « Accueil » informe déjà de la tenue de différents événements festifs. Les artistes, bien connus pour la plupart du public du CCPPO (Colette Magny est, à ce titre, une artiste incontournable de l’histoire ouvrière et syndicale du quartier), participent à l’imbrication entre art et mobilisation largement expérimentée à Palente. Le retour à Besançon des cinéastes du groupe Medvekine et de Chris Marker est aussi accompagné par le CCPPO qui investit l’affaire Lip comme il l’a fait pour le conflit de la Rhodia. De ce point de vue, l’occupation de Lip cristallise et amplifie une conception de la grève et de l’occupation déjà en germe dans les institutions du quartier entourant l’usine depuis une quinzaine d’années.
41Après l’expulsion de l’usine occupée en août 1973, le quartier et ses acteurs changent de rôle. La paroisse de Palente et le CCPPO se mettent alors au service de la lutte en participant à sa gestion logistique, plus qu’à sa conception ou son animation. La Maison pour tous accueille des activités de production et de popularisation qui ont fait connaître le conflit dans le monde entier. Le cinéma Lux, à la demande de deux syndicalistes de la CFDT, fait désormais office de salle de réunion de grande capacité (près de 1000 places) où se tiennent les AG. Le sous-sol de l’église paroissiale abrite des réunions, sert d’hôpital de fortune lors des échauffourées avec la police et de boîte aux lettres. La paroisse applique logiquement sa doctrine aux travailleurs en grève, qui comptent parmi eux de nombreux habitants du quartier, indépendamment d’un quelconque confessionnalisme.
42Mais au-delà du soutien logistique, la trajectoire de l’abbé Manche le pousse à entrer dans les débats de fond sur la conduite de la lutte. Séminariste de l’Action Catholique de l’entre-deux-guerres, il est aumônier de la fédération Jeunesse ouvrière catholique féminine (JOCF) de Besançon et du Haut-Doubs dans l’immédiat après-Guerre, puis de l’ACO, et devient un temps permanent CFTC. Non seulement l’abbé Manche comprend le langage des syndicalistes chrétiens de Lip et en partage l’ensemble des codes, mais il a aussi supervisé la formation militante de la majeure partie des travailleurs de l’usine engagés tant à l’ACO qu’à la CFDT. L’Abbé participe ainsi aux controverses qui animent le conflit. S’il accepte les choix des travailleurs, qu’il désapprouve pourtant dans un premier mouvement (notamment la reprise de la production), il soutient le processus de négociation, finissant même par défendre le plan proposé en août 1973 par Henry Giraud, négociateur mandaté par le Gouvernement, et finalement rejeté par les ouvriers54.
43Les institutions qui trament le quartier de Palente prennent ainsi une part active à la forme de la grève, à son évolution, à son animation. Les relations interpersonnelles et l’entremêlement des projets, catholique et socialiste, d’émancipation humaine accompagnent les choix de lutte des travailleurs, sans pour autant les cautionner sans réserve. Même après la séquence la plus intense et médiatisée du conflit (mai 1973-mars 1974), le quartier continue d’être utilisé par les travailleurs comme un levier d’action.
L’usine assiégée par son quartier
44Après l’échec des négociations avec H. Giraud, en octobre 1973, l’occupation des sites de Palente, autour de l’usine, se poursuit jusqu’au début de l’année 1974. C’est au mois de janvier de cette même année que les travailleurs acceptent la solution préparée par un collectif d’entrepreneurs issus de la frange « progressiste » du patronat français. Grâce à l’intercession d’Antoine Riboud, P.-D.G. du groupe Boussois-Souchon-Neuvesel (BSN) et figure de proue du « patronat social », entraînant dans son sillage des industriels tels que Renaud Gillet, P.-D.G.de Rhône-Poulenc, le gouvernement accepte de confier une mission à Claude Neuschwander, un jeune entrepreneur venant du milieu de la publicité, membre du PSU. Le « plan Neuschwander » propose alors de ne supprimer aucun emploi. Plébiscitée par la CFDT, et acceptée à la quasi-unanimité par les ouvriers de LIP lors de l’AG du 28 janvier 1974, cette solution de pérennisation de l’entreprise en régime capitaliste est définitivement validée dès le lendemain par la signature d’un accord, le 31 janvier, à Dole, entre les syndicats et les nouveaux actionnaires.
45Malgré l’accord de Dole, la lutte continue. Ce dernier prévoit en effet de réintégrer progressivement les salariés avant la fin de la première année d’activité55 ; celles et ceux qui ne seront pas réembauchés immédiatement se voient proposer des formations, en attendant de réintégrer l’entreprise. Le 11 mars 1974, les 135 premiers ouvriers entrent dans l’usine à 6 h 30 du matin, en présence de l’ensemble des salariés aspirant à la réembauche, d’autres salariés en lutte, et du nouveau P.-D.G. Claude Neuschwander. L’application de l’accord de Dole provoque donc une séparation autant géographique que statutaire parmi les ouvriers, qui constitue dès lors un nouvel enjeu de lutte. Le quartier devient alors le socle d’une mobilisation des ouvriers en attente de réembauche.
46Les travailleurs non réembauchés sont éparpillés dans Besançon, bon gré mal gré, pour les besoins des programmes de formation professionnelle. Les lieux de stage sont constamment inventoriés dans les publications militantes et syndicales, dessinant une carte de la répartition des « Lip », permettant de maintenir le collectif en vie au-delà de sa dispersion géographique : le lycée technique d’horlogerie (Jules Haag), les Collèges d’Enseignement Technique, les locaux de l’ANPE, de l’AFPA, de la Chambre de Commerce, tous situés à l’extérieur de Palente56. Identifier les lieux de formation est une manière de faire face à un éclatement spatial immédiatement assimilé à une stratégie de fragilisation du mouvement. En choisissant de répartir les ouvriers dans les centres de formation par tranche d’âge et non pas par lieux d’habitation, il s’agirait, selon les syndicats, de briser un élan né du brassage qu’autorise l’espace de vie, devenu espace de lutte. Le retour à une répartition géographique des ouvriers en formation est une des premières revendications des ouvriers, qui obtiennent d’ailleurs gain de cause :
« La ventilation étant faite sur l’ensemble de la ville, aucune étude géographique n’avait été pratiquée : certains d’entre nous devaient traverser la ville alors qu’un centre d’enseignement se trouvait dans leur quartier. Un accord nous a permis de choisir nous-mêmes le lieu d’enseignement qui se trouvait le plus près du lieu d’habitation. Le résultat de notre lutte, sur la répartition géographique, nous a permis de faire briser rapidement le verrou des tranches d’âge, pour obtenir des groupes légèrement plus homogènes mais aussi tenant compte de la réalité du conflit57. »
47Le maintien de cette base territoriale permet aux ouvriers en attente de réembauche de transformer le quartier de Palente en base arrière du siège de l’usine, rejoint ponctuellement par les ouvriers ne vivant pas sur place. Cette fois-ci, si les institutions du quartier, paroisse et CCPPO, interviennent moins directement dans la lutte, elles maintiennent l’accès des lieux ouverts dans tout le quartier à l’occasion du conflit de 1973. Les principaux lieux d’animation continuent ainsi d’accueillir les ouvriers, qu’ils soient réembauchés ou non : une permanence quotidienne est organisée à la Maison pour Tous de Palente ; une AG se tient tous les jeudis à 17 h 30 au Lux58. L’animation de ces espaces continue de faire du quartier un lieu aussi festif que l’était l’usine occupée, et de maintenir le lien avec les collègues « de l’intérieur » :
« Un jour, nous avons décidé d’organiser un apéritif devant l’entreprise pour que tout le monde se rencontre. Il pleuvait, comme au jour de la marche. Nous avons fait un stand et pendant les deux heures et demie de temps de repos de l’usine, ça a été défilé permanent des travailleurs de l’intérieur qui sont venus trinquer avec ceux qui n’étaient pas encore repris59. »
48Ce siège n’est pourtant pas exclusivement amical. Les ouvriers « du quartier » viennent se rappeler ponctuellement aux bons souvenirs de leur usine en y pénétrant illégalement. Ces incursions entraînent « des réactions hostiles dans la boîte de la part de ceux qui étaient au boulot60 », mais également de la direction. Dans une note qu’il adresse aux délégués syndicaux, le 17 octobre 1974, C. Neuschwander indique ainsi que face à « l’intrusion dans l’usine, sans autorisation, de personnes non encore embauchées », il n’hésiterait pas à « faire fermer l’usine et […] renvoyer le personnel chez lui61 ». Chez lui, c’est-à-dire bien souvent à quelques centaines de mètres de l’usine, dans ce quartier qui permet encore et toujours aux ouvriers de maintenir le rapport de force.
Conclusion : le territoire, acteur perdu des luttes sociales ?
49Comprendre du conflit Lip doit à « son » quartier permet de saisir l’importance de penser la territorialité des mouvements sociaux. Si le territoire n’est aucunement un déterminant exclusif de la lutte, sa structuration sociale fournit un ensemble de ressources permettant à ceux qui l’habitent d’élargir leur répertoire d’action. Dans le cas de Lip, le quartier de Palente est à la fois un espace de formation militante, d’éducation populaire, d’entraide et de coexistence quotidienne, qui rend possible la construction, puis le maintien d’un rapport de force. Ce que les ouvriers de Lip empruntent aux grèves passées et aux idées de l’après-68 transite invariablement par les espaces sociaux qui trament le quartier à mesure que celui-ci s’industrialise. La relation entre l’usine et le quartier est donc circulaire : sans usine Lip, pas de Palente, sans Palente, pas de conflit Lip.
50Lip n’est pas pour autant le fruit d’une territorialité exceptionnelle. D’autres quartiers français ont été marqués par l’activisme d’une paroisse dans le maintien d’une « tradition utopique62 » ou par l’implantation d’une Maison du peuple jouant un rôle clé dans la politisation d’une société ouvrière63. Toutefois, une telle configuration territoriale serait éminemment improbable dans le Palente d’aujourd’hui, pour des raisons qui tiennent autant à l’évolution du tissu industriel qu’au bouleversement des modes de vie. Non seulement l’usine Lip a définitivement fermé ses portes en 1977, mais comme nombre de quartiers ouvriers, « Palente-Orchamps » est devenu une zone urbaine sensible de Besançon, cible de la politique de la ville. Le quartier est effectivement marqué par un niveau de vie plus faible que dans le reste de la ville (taux de chômage plus élevé, qualification plus faible, bénéficiaires des minimas sociaux plus nombreux64) et si la part d’ouvriers y reste plus importante, l’employeur principal de ses habitants est désormais le secteur public. Le CCPPO existe toujours, mais ne s’adresse plus à la société ouvrière qui l’avait vu naître et dont il perpétue aujourd’hui la mémoire.
51Le quartier est malgré tout ponctuellement rattrapé par son passé. En mai 2016, la visite de la ministre du Travail pour l’inauguration d’un centre de formation dans les anciens locaux de Lip, toujours situés Chemin de Palente, suscite ainsi une vive émotion parmi les opposants au projet de loi alors en débat au Parlement. Les manifestations que suscite la visite s’organise autour d’un slogan pour le moins évocateur : « La ministre, “fossoyeur du code du travail” provoque la classe ouvrière ! Ils nous ont pris Lip, ils ne nous prendront pas le Code du Travail65. » Pourtant, malgré les retours épisodiques de la mémoire du conflit, le quartier de Palente n’est plus l’acteur d’aucune lutte.
52Mais pourrait-il en être autrement ? Ce quartier populaire pourrait-il jouer de nouveau un rôle dans les conflits et les revendications du monde du travail ? Pour envisager une réponse positive, il faut regarder bien au-delà de Besançon. Dans d’autres villes, d’autres pays, le quartier est bel et bien réinvesti comme un espace de formation et d’entraide66 et redevient une ressource d’action des luttes sociales et syndicales. La multiplication récente d’actions revendicatives mêlant organisations syndicales et mouvements sociaux, droit à la ville et droit du travail, notamment dans les grandes villes nord-américaines67, illustre à elle seule la possible redécouverte des porosités entre les espaces de vie, de travail et de luttes. Ces porosités ne doivent pas être vues comme les vestiges d’une territorialité révolue, où l’espace productif se confondait avec l’espace social, mais gagnent à être pensées comme un défi de premier ordre pour la défense à venir des intérêts du travail et des travailleurs, à Palente comme ailleurs.
Notes de bas de page
1 Georgi Frank, « Le « moment Lip » dans l’histoire de l’autogestion en France », Semaine Sociale Lamy, no 1631, 2014, p. 65-71.
2 Expulsion demandée par l’avocat Maître Jaquot, syndic. Arrêt du 8 août et commentaire d’arrêt (par Jean Savatier) dans la revue Droit social, no 3, 1974, p. 108-110.
3 Le Figaro, « Manifestations à Besançon après l’évacuation par la police », 15 août 1973.
4 Interview de Charles Piaget : Journal télévisé de 20 heures (ORTF) du 15 août 1973, [http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/CAF91053139/situation-lip.fr.html].
5 Beurier Joëlle, « La mémoire Lip ou la fin du mythe autogestionnaire », in Frank Georgi (dir.), Autogestion. La dernière Utopie ?, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, p. 451-466.
6 Pernin Pauline, Lip quarante ans après, des commémorations en tensions, mémoire de master, université de Lille 2, 2014.
7 Cette devise, devenue officiellement celle de la Franche-Comté en 1986, est une référence à la résistance de la ville de Dole, assiégée par le prince de Condé en 1636.
8 Nord Philip, « Vichy et ses survivances : les Compagnons de France », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 59, 2012, p. 150.
9 Vigna Xavier, L’insubordination ouvrière dans les années 1968. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, Presses universitaire de Rennes, 2007.
10 Gourgues Guillaume, « Occuper son usine et produire : stratégie de lutte ou de survie ? La fragile politisation des occupations de l’usine Lip (1973-1977) », Politix, no 117, 2017, p. 117-143.
11 Le conflit Lip se divise en deux grandes périodes : la lute de 1973 qui débouche sur la reprise de l’activité dans l’usine en 1974, et la seconde fermeture en 1976 qui donne lieu à la constitution d’une coopérative de production en 1977, après presque deux ans d’occupation. Cet article se focalise donc sur la première séquence.
12 Clavier Laurent, « “Quartier” et expériences politiques dans les faubourgs du nord-est parisien en 1848 », Revue d’histoire du xixe siècle, no 33, 2006, p. 121-142.
13 Hmed Choukri, « Des mouvements sociaux “sur une tête d’épingle” ? », Politix, no 84, 2008, p. 145-165.
14 Renahy Nicolas, « Une occupation d’usine, chant du cygne d’un syndicalisme villageois », Ethnologie française, no 35, 2005, p. 691-702.
15 Auyero Javier, « L’espace des luttes », Actes de la recherche en sciences sociales, no 160, 2005, p. 122-132.
16 Le projet Plateforme Archivistique Lip. Édition Numérique TEléchargeable (PALENTE) dirigé par G. Gourgues et L. Kondratuk vise à localiser, inventorier, numériser et mettre à disposition des chercheurs les archives du conflit social LIP (papiers, sonores et cinématographiques), sur la période 1973-1981.
17 Fol Sylvie, « Mobilité et ancrage dans les quartiers pauvres : les ressources de la proximité », Regards Sociologiques, no 40, 2010, p. 29.
18 Les éléments historiques sont essentiellement tirés de : Association de Palente, Palente au fil du temps. Du village à la cité, Besançon, 2013.
19 La construction urgente de logements collectifs favorise l’apparition de programmes de construction dits des « maisons Castors » : les ouvriers, regroupés en association, participent à la construction ou l’achèvement des travaux. À Palente, le premier programme Castor date de 1952.
20 Les LOPOFA (1955) : mis en place par l’arrêté du 23 novembre 1955, ces logements populaires et familiaux, encore appelés HLM de catégorie A (les HLM de catégorie B étant les HLM ordinaires), se substituent aux LPN par rapport auxquels ils présentent, outre une surface plus grande, quelques éléments de confort supplémentaires notamment la possibilité de bénéficier du chauffage central en contrepartie d’un prix de revient supérieur d’environ 20 %.
21 Marquiset Cécile, Orchamps-Palente, « notre quartier », Besançon, Union local du cadre de vie CSCV de Besançon, 1995.
22 Hormis les locaux de Palente, Lip dispose également d’une usine d’armement à Issoudun (Indre) et de machines-outils à Ornans (Doubs).
23 La production de Lip se répartissait jusqu’alors dans différents locaux de la rue des Chalets et la rue de la Mouillère, à proximité du centre-ville de Besançon.
24 255 machines produisant 200 modèles de montres, pour un total de 40000 montres par mois et 1500 employés en 1962 (Palente au fil du temps, op. cit., p. 256-258).
25 Evelyne Ternant revient sur cette fragilité, en soulignant notamment que Lip est une manufacture dans un système productif local dominé par la sous-traitance : Ternant Evelyne, La dynamique longue d’un système productif localisé : l’industrie de la montre en Franche-Comté, thèse pour le doctorat en Économie, université Pierre Mendès France, 2004.
26 Tribunal de commerce de Besançon, État de la vérification du passif fait par le syndic, 1973 [fonds d’archives PALENTE]
27 Palente au fil du temps, op. cit., p. 85.
28 Bourricaud François, « Contre le sociologisme : une critique et des propositions », Revue française de sociologie, t. 16, 1975, p. 583-603.
29 Sainty Jessica, « Contextualiser les comportements politiques par le territoire », L’Espace Politique, no 23 2014, en ligne.
30 Segalen Martine, Nanterriens, les familles dans la ville. Une ethnologie de l’identité, Paris, Presses universitaires de France, 1990.
31 Fourcault Annie, Bobigny banlieue rouge, Paris, Les Éditions ouvrières/Presses de la FNSP, 1986.
32 Divo Jean, L’affaire Lip et les catholiques de Franche-Comté, Yens-sur-Morges, Cabédita, 2003.
33 La paroisse de Palente est créée par ordonnance de Marcel-Marie Dubois, archevêque de Besançon, le 2 février 1955. La délimitation géographique et le patronage sont fixés par ordonnance le 22 août 1956.
34 Poulat Émile, « Une illusion morte : la paroisse panacée », Une Église ébranlée. Changement, conflit et continuité de Pie XII à Jean-Paul II, Tournai, Casterman, 1980, p. 229.
35 On reprend là une expression forgée par Émile Poulat, qui a fait l’objet d’une réception débattue dans l’historiographie du catholicisme. On se reportera utilement à Poulat Émile, Église contre bourgeoisie. Introduction au devenir du catholicisme actuel, Tournai, Casterman, 1977.
36 « Toute paroisse a comme but essentiel le but de l’Église, qui est d’abord de construire le Corps mystique du Christ et d’apporter le message évangélique de justice, de paix, de charité fraternelle à tous les hommes de bonne volonté. Toute l’organisation de l’Église, et donc de la paroisse, a pour but d’amener les hommes au Christ et de donner le Christ aux hommes tout en respectant à fond la liberté individuelle. Le salut ne s’impose pas par la force : il est proposé, puis accueilli ou refusé librement. Si les réalisations de la paroisse devaient être un écran, plutôt qu’un support, elles n’auraient pas lieu d’être ; si elles se refermaient sur elles-mêmes, si elles empêchaient les chrétiens d’agir dans leurs divers milieux de vie, de prendre des responsabilités ailleurs, de témoigner dans toute leur vie qu’ils sont les disciples du Christ qui veut le salut des hommes, elles manqueraient tout à fait leur but… Une paroisse doit être missionnaire… Si elle se replie sur elle-même, sur ses organisations, elle dépérit nécessairement, elle périclite et tend à mourir… C’est un souffle missionnaire qui doit s’emparer de chacun de nous, c’est ce souci d’apporter à tous nos frères de quartier ou de milieu de travail, la foi dans le Christ qui doit nous saisir au plus profond de nous-mêmes. C’est là l’essentiel si notre paroisse peut vivre […] » – Bulletin paroissial, dimanche 15 novembre 1959. Citation dans Association pour le souvenir de l’Abbé Marcel Manche, À Dieu l’abbé, Besançon, 1988, p. 205-206.
37 Guasco Maurilio, « Intransigeantisme, libéralisme et modernisme », in Zuber Valentine (dir.), Un objet de science, le catholicisme. Réflexions autour de l’œuvre d’Émile Poulat (en Sorbonne, 22-23 octobre 1999), Paris, Bayard, 2001, p. 242.
38 Simon Robert et Kunstlé Marc, Acrobate du bon Dieu. Mémoires du Curé volant, Paris, Albin Michel, 1991.
39 Palente au fil du temps, op. cit., p. 166.
40 Le premier film à l’affiche est Les Bateliers de la Volga du cinéaste ukrainien tsariste Victor Tourjansky.
41 En particulier le groupe La Gentiane qui interprétait des danses et des textes traditionnels.
42 Berchoud Micheline, « La véridique et fabuleuse histoire d’un étrange groupuscule : le CCPPO », Les Cahiers des Amis de la Maison du Peuple, no 5, 2003, p. 17.
43 « Tala » est une expression d’argot qui désigne les catholiques « qui vont à la messe », les différenciant de ceux ayant pris leur distance vis-à-vis des institutions religieuses : Berchoud Micheline, op. cit., p. 15.
44 Borraz Olivier, Gouverner une ville. Besançon (1959-1989), Rennes, Presses universitaire de Rennes, 1998.
45 Cité in Berchoud Micheline, op. cit., p. 25.
46 Ibid., p. 34.
47 Ibid., p. 35.
48 Hatzfeld Nicolas et Lomba Cédric, « Unité ouvriers-étudiants : quelles pratiques derrière le mot d’ordre ? Retour sur Besançon en 1968 », Savoir/Agir, no 6, 2008, p. 41-48.
49 Lecler Romain, « Gauchir le cinéma : un cinéma militant pour les dominés du champ social (1967- 1980) », Participations, no 7, 2013, p. 97-125.
50 Le rapport aux actions de grève, au rôle du « bureau » de l’association ou encore au Programme commun sont autant de sujet de discordes : Berchoud Micheline, op. cit., p. 77.
51 Penissat Étienne, « Les occupations de locaux dans les années 1960-1970 : processus sociohistoriques de « réinvention » d’un mode d’action. », Genèses, no 59, 2005, p. 71-93.
52 Piaget Charles (dir.), Lip. Charles Piaget et les Lip racontent, Paris, Stock, 1973, p. 73.
53 Champeau Thomas, Lip : le conflit et l’affaire (1973), mémoire de master, EHESS, 2007.
54 Sur ces négociations et leur échec voir Gourgues Guillaume, « Le débat dans la lutte. Changement et “vérité” économique dans le conflit Lip (1973) », in Lavelle Sylvain, Lefebvre Rémi et Legris Martine (dir.), Critiques du dialogue. Discussion, traduction, participation, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2016, p. 245-274.
55 Ce qui sera effectivement respecté : le 15 décembre 1974, les 21 derniers ouvriers recevront leur lettre de réembauche.
56 Vinzier Léon, « L’expérience Lip », Esprit, no 10, 1974, p. 470-480.
57 Lip-Unité, Journal publié par le « collectif des travailleurs de Lip », no 15, juin 1974.
58 Extrait de la dépêche Lip-Unité, semaine du vendredi 15 mars au jeudi 21 mars 1974 [fonds d’archives PALENTE].
59 Collectif, Lip : affaire non classée, 1976, p. 41.
60 Ibid., p. 39.
61 Compagnie européenne d’horlogerie, Note interne, 17 octobre 1974.
62 Raulin Anne, « Utopies locales et laboratoire social : l’exemple du 13e arrondissement de Paris. », L’année sociologique, no 58, 2008, p. 47-70.
63 Cossart Paula et Talpin Julien, « Les Maisons du Peuple comme espaces de politisation. Étude de la coopérative ouvrière la paix à Roubaix (1885-1914) », Revue française de science politique, vol. 62, 2012, p. 583-610.
64 Cf. Données urbaines infra-communales par quartier produites par l’Insee pour les quartiers ZUS (2012-2013).
65 Tract intersyndical (CGT, FO, FSU, Solidaires, comité de mobilisation UFC), 27 mai 2016.
66 Clerval Anne, « L’occupation populaire de la rue : un frein à la gentrification ? L’exemple de Paris intramuros », Espaces et sociétés, no 144-145, 2011, p. 55-71.
67 Doussard Marc, « Organizing The Ordinary City : How Labor Reform Strategies Travel to the US Heartland », International journal of urban and regional research, 2016, vol. 40, no 5, p. 918-935 ; Macdonald Ian Thomas (ed.), Unions and the City. Negotiating Urban Change, Ithaca, Cornell University Press, 2017.
Auteurs
Maître de conférences en science politique à l’université Lyon 2 (laboratoire TRIANGLE). Ses recherches portent sur les formes de démocratie politique et sociale, de la démocratie participative aux conflits du travail. Il a récemment publié, avec Claude Neuschwander, Pourquoi ont-ils tué Lip ? De la victoire ouvrière au tournant néolibéral, Raisons d’Agir, 2018.
Docteur en droit canonique (université de Strasbourg 2, 2007) est actuellement ingénieur de recherche en analyse de sources (sciences humaines et sociales) à l’université de Franche-Comté. Il a travaillé à la numérisation des archives de la lutte des ouvriers de la manufacture horlogère LIP. Ses travaux portent principalement sur le droit des personnes en droit canonique et l’histoire de l’Église moderne et contemporaine.
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