4. « Somos barrio, somos patrimonio »
Le quartier comme objet et ressource de la mobilisation d’habitants contre des projets immobiliers à Santiago du Chili
p. 105-126
Note de l’auteur
Note portant sur l’auteur1
Texte intégral
1Depuis les années 2000, des groupes d’habitants se mobilisent pour protéger leur quartier face à la multiplication de projets immobiliers à Santiago du Chili. Partis du centre de la capitale, ils sont aujourd’hui présents dans de nombreuses communes et villes dans tout le pays. Ils défendent leur espace de vie face à sa possible destruction. Pour cela, ils revendiquent sa valeur patrimoniale et réclament sa protection auprès du Conseil des Monuments Nationaux, institution compétente dans ce domaine. Par ces processus, les habitants promeuvent une autre manière de produire la ville qui ne se fonderait pas sur la rentabilisation du sol et la rénovation urbaine mais bien davantage sur la conservation patrimoniale. Les personnes mobilisées entendent participer aux prises de décisions en matière d’urbanisme à travers différents types d’actions qui vont de l’élaboration de dossiers de demande de protection de leur quartier à l’organisation d’événements culturels pour sensibiliser les autres habitants à leur cause. Plus ou moins coordonnés selon les groupes, plus de cent cinquante d’entre eux sont aujourd’hui réunis au sein de l’« Asociación chilena de los barrios y de las zonas patrimoniales » fondée en 2009 par des habitants du centre de Santiago, et dont l’un des principaux objectifs est d’inciter le gouvernement à élaborer une politique patrimoniale nationale avec un budget propre.
2Au Chili, ces mobilisations sont aujourd’hui principalement étudiées dans leurs dimensions politiques2. Elles n’ont pas pour autant comme seuls objectifs la contestation ou l’influence des politiques publiques ; les habitants aspirent aussi à la défense d’un mode d’habiter qui se fonderait sur des valeurs et des significations liées au fait de vivre dans ces lieux. Partant de cette observation, nous interrogeons le rôle de l’espace vécu des participants dans le choix de leur engagement pour la défense du quartier. Pour Patrice Melé3, la mobilisation collective est une forme de territorialisation qui révèle une (re)négociation de la relation à l’espace des habitants face à d’autres groupes ou des institutions. À partir de leurs histoires vécues dans le quartier, ils réinterprètent leur relation à l’espace et en font un point d’ancrage identitaire commun à défendre. Dans cet article, nous voulons montrer en quoi la situation de conflit révélerait cette réinterprétation. Dans cette perspective, la volonté de protéger le quartier se fonderait sur un désir commun de maintien d’un ancrage identitaire local (ré)activé et (re)mobilisé par le conflit, et qui reposerait sur des formes d’appropriation symbolique ou matérielle, un travail de contrôle et de (re)valorisation de l’espace4. Il s’agirait d’une mobilisation qui vise non seulement la défense d’un espace physique, mais aussi la revalorisation des sociabilités5 de proximité, à l’échelle du quartier.
3Afin d’aborder cette problématique, le chapitre se focalise sur le cas du quartier « Matta Sur », au centre de Santiago du Chili. Deux groupes d’habitants sont engagés dans des actions de défense et de revalorisation patrimoniale : le « Comité de defensa del barrio Matta Sur6 », fondé en 2007, et le « Centro cultural Patrimonio Matta Sur7 », créé en 2009. Tandis que le premier se préoccupe de la sauvegarde du quartier, le second se mobilise pour sa revalorisation patrimoniale. Les liens entre patrimonialisation et requalification des quartiers centraux anciens sont observables dans d’autres pays tels que la France8 ou les États-Unis9. Dans ces pays et d’autres voisins, la revalorisation patrimoniale est souvent critiquée parce qu’elle s’accompagne de gentrification10, phénomène qui se caractérise par l’arrivée de nouvelles catégories de population au capital économique et culturel élevé dans des quartiers populaires, exerçant de ce fait une forte pression foncière et immobilière. En France, les entreprises patrimoniales sont le plus souvent menées par des individus des classes moyennes11. Leur venue dans les quartiers populaires et leurs actions patrimoniales s’accompagnent d’une transformation à la fois matérielle, sociale et symbolique de ces espaces12. Mais, contrairement aux processus analysés dans ces cas, pour Matta Sur, la patrimonialisation n’est pas liée à une gentrification puisque ses acteurs sont des habitants originaires du quartier13. Les personnes mobilisées ne cherchent pas à imposer de nouvelles significations socio-culturelles à cet espace, mais à revaloriser celles existantes. En décembre 2015, après de longues années de négociations, le Conseil des Monuments Nationaux accepte la délimitation d’une zone de protection patrimoniale concernant Matta Sur. L’analyse portera sur la période qui précède cette institutionnalisation. Un travail de terrain de type ethnographique a été conduit principalement auprès du « Centro cultural Patrimonio Matta Sur » en 2014 et au premier semestre 2015. Au cours de notre travail, nous avons toutefois rencontré aussi, et à plusieurs reprises, les dirigeants et les membres de l’autre collectif puisqu’ils coordonnent leurs actions dans le quartier. Nous avons d’ailleurs participé à une activité proposée par le « Comité de defensa del barrio Matta Sur » (voir l’encadré ci-dessous).
Encadré 1. L’observation ethnographique comme base méthodologique
L’approche ethnographique se fonde sur nos participations aux réunions et aux activités proposées dans le cadre de deux projets menés par le « Centro cultural Patrimonio Matta Sur », et financés par des fonds étatiques obtenus sur concours et d’un projet avec le « Comité Matta Sur ».
Le premier est la création d’un musée du quartier durant l’année 2014. Nous assistons dans ce cadre à six réunions. Le projet vise à la fois à inciter les participants à s’interroger sur l’histoire et les évolutions de leur lieu de vie et à le faire connaître aux autres habitants de Santiago. Le musée s’appuie essentiellement sur la compilation d’objets du quotidien et des photographies anciennes appartenant aux participants. Des pancartes avec textes et images élaborées par le groupe abordent aussi différentes thématiques associées à Matta Sur : l’histoire, l’architecture, les lieux emblématiques, les portraits d’habitants, les commerces, les personnalités nées dans le quartier, et les événements de ces dernières années. Le musée n’a pas de lieu fixe ; il est itinérant. La première exposition officielle a lieu en février 2015 dans un centre culturel du quartier et se termine en décembre 2015 dans le hall de la municipalité de Santiago. Le « Centro cultural Patrimonio Matta Sur » continue néanmoins à exposer certaines des pancartes du musée pendant les marchés le week-end.
Le second projet est un atelier de photographies patrimoniales qui s’est déroulé d’avril à juin 2015. Il s’agit de l’élaboration d’un recueil de photographies du quartier prises par les habitants, souvent non professionnels. Il traite de différentes thématiques telles que l’architecture, les habitants, les activités commerçantes et les pratiques culturelles. Le professeur qui anime/encadre l’atelier, est un photographe professionnel du Musée de l’Histoire nationale qui a été recruté pour mener à bien ce projet. Durant ces trois mois, les ateliers ont une fréquence de deux cours de deux heures par semaine. Des sorties sur place sont également organisées. Nous assistons à l’ensemble de ces activités durant avril et mai 2015. Nous avons enfin participé à une activité avec le « Comité Matta Sur » en avril 2014 : le projet nommé « Recuperación de las platabandas del barrio Matta Sur ». Cette activité de plantation d’arbustes dans les platebandes du quartier était conduite par le Comité Matta Sur avec une ONG et s’appuyait sur la participation des habitants qui le souhaitaient. Lors de notre sortie en avril 2014, nous étions six : l’organisateur, le représentant de l’ONG, une habitante d’une cinquantaine d’années et son fils, une habitante d’une soixantaine d’année et nous-mêmea. Durant cette activité de deux heures, nous avons planté des arbustes dans différentes platebandes, mais aussi (et surtout) nous nous sommes entretenu avec les organisateurs et les habitants concernés par ces plantations (participants ou personnes vivant dans les maisons concernées par les platebandes). Cette activité a été répétée en 2015 et 2016. Nous avons néanmoins participé essentiellement à celle de 2014.
Au début de notre travail de terrain, nous avons dû faire face à trois difficultés. La première était la construction du lien de confiance avec le groupe étudié sur lequel reposait l’ensemble de notre démarche. Cette relation s’est construite au fur et à mesure de nos rencontres et de nos prises de contact, notamment avec le président du « Centro cultural ». La confiance a été permise grâce à notre volonté d’apporter de l’aide aux projets du groupe. Durant les réunions pour la création du musée, nous avons donné notre avis sur les objets à sélectionner et pour l’atelier, nous avons proposé nos photographies pour exposition. Mais, le lien de confiance a surtout été facilité par le fait que nous connaissions une des personnes les plus âgées du quartier. Ce lien personnel nous a permis d’être considéré comme « faisant partie du quartier » par les responsables du « Centro cultural ». La seconde difficulté était la barrière de la langue. Notre espagnol, suffisant dans le milieu universitaire, n’était pas adapté au parler courant des habitants du quartier. Les expressions et les tournures de phrase ne nous étaient pas toutes familières au départ. La troisième difficulté était la barrière culturelle. Les modes de relations sociales changent d’un pays à un autre. De plus, la courtoisie, la réserve ou encore le franc-parler peuvent être bien ou mal vus selon les personnes et les catégories sociales. Nous avons donc dû apprendre les pratiques langagières et les modes de relations sociales à partir de nos premiers échanges et de nos premières observations. Dans ce cadre, les non-dits et les allusions étaient courants et, afin de bien comprendre les propos de nos interlocuteurs, nous avons dû vite nous résoudre à leur demander toujours plus de détails lors de nos conversations. Notre statut d’étranger, au départ source de méfiance, s’est révélé être un atout : nous pouvions nous permettre de poser des questions qui pouvaient être perçues comme déplacées ou dérangeantes venant d’un Chilien mais qui ne l’étaient nullement venant d’un étranger. Enfin, il convient de signaler que notre statut de chercheur universitaire n’a été dévoilé qu’à un nombre limité de participants. Lors de notre présentation, nous avons particulièrement insisté sur notre souhait d’appuyer les démarches du groupe. Les trois premiers mois de terrain ont ainsi été consacrés à l’apprentissage des habitudes langagières, des modes de relations et l’établissement d’un lien de confiance. Une fois les premières difficultés dépassées, nous pouvions commencer nos observations et nos entretiens. Dans le cadre de ces deux terrains ethnographiques, nous avons échangé de manière régulière avec les participants et les organisateurs. Nous avons ainsi eu des conversations informelles avec quinze participants de l’atelier photographique avant ou après les activités ou pendant les pauses proposées par le professeur et avec dix participants réguliers à la création du musée. Pour ne pas perturber le fil de la discussion et pour ne pas influencer le comportement et le discours des interlocuteurs, les entretiens informels n’ont pas été enregistrés. Nous notions a posteriori les informations importantes issues de ces échanges. Durant les réunions ou les activités, nous avons observé les comportements et attitudes des personnes présentes et nous avons noté sur un carnet les éléments importants que nous avons pu voir ou entendre. Les conversations informelles et nos observations nous servent de base méthodologique. Ce travail de terrain n’a cependant pas pu être renforcé par l’utilisation de statistiques sur l’évolution de la composition sociale des habitants puisque le dernier recensement en date est celui de 2002 et que le quartier a beaucoup changé depuis. Pour compléter les données, nous avons mené des entretiens semi-directifs avec le président du Centro cultural et avec la chargée de communication du « Comité Matta Sur », ainsi qu’avec la directrice d’un autre centre culturel du quartier qui appuie leurs actions en leur offrant un espace pour se réunir. Enfin, les textes des documents diffusés par les associations d’habitants (bulletins, page Facebook, sites Internet) constituent des matériaux pour notre travail d’analyse.
a. Lors de notre venue, l’organisateur du « Comité Matta Sur » nous a assuré qu’il y a normalement plus de participants mais qu’en même temps a lieu la « mesa barrial », réunion de quartier où les habitants font des réclamations aux représentants de la municipalité (sur la sécurité, le problème de gestion des ordures ou encore les espaces publics).
4Depuis la fin du xxe siècle, avec la montée des mobilités, de la multi-appartenance sociale et spatiale, l’ancrage local d’habitants est souvent associé par les auteurs à l’enfermement, l’immobilisme ou la marginalisation14. Dans cet article, nous voulons montrer que ce même ancrage peut être aussi un mobile ou un choix pour résister à l’hypermobilité, caractéristique dominante des sociétés actuelles15. À partir de l’étude des groupes de défense de Matta Sur, nous voulons montrer en quoi les pratiques de revalorisation et de conservation patrimoniale des lieux traduisent la volonté collective de défendre un mode d’habiter ancré dans l’espace du quartier. Au-delà de la volonté de faire face aux projets immobiliers, les personnes mobilisées cherchent à réactualiser et réinventer un vivre ensemble à partir de leurs souvenirs et imaginaires individuels et collectifs du quartier qu’ils ont connu « avant ». Ces habitants défendent leur vision de ce que devrait être le quartier aux dépens des résidents aux pratiques socio-spatiales différentes. Nous faisons ainsi l’hypothèse qu’il s’agirait d’un ancrage local mobilisé afin de se différencier des habitants des nouvelles constructions et de maintenir un entre-soi entre individus partageant les mêmes valeurs et les mêmes idées quant au fait de vivre dans le quartier. Par ce travail, nous voulons offrir une autre image de la revalorisation patrimoniale des quartiers centraux souvent associée à la gentrification. Il s’agirait dans le cas de Matta Sur d’une requalification patrimoniale conduite par des habitants originaires de ces lieux qui chercheraient à résister aux changements socio-spatiaux déclenchés par les projets immobiliers et l’arrivée de nouvelles populations aux pratiques quotidiennes tournées vers l’extérieur du quartier.
5Le chapitre s’organise en trois parties. La première contextualise notre objet d’étude. Nous y abordons les différentes politiques qui ont conduit à la densification du centre de Santiago et provoqué la mobilisation de certains habitants. À partir du cas de Matta Sur, la seconde partie s’intéresse aux modalités de coordination des groupes de défense des quartiers. La troisième partie questionne leur mobilisation comme forme de revalorisation d’un ancrage identitaire local face à l’arrivée de nouvelles populations.
Du problème d’accès au logement à la densification du centre de Santiago du Chili
6Les processus de patrimonialisation en cours dans le quartier Matta Sur sont indissociables de l’histoire de Santiago et de ses politiques urbaines. La densification de Santiago Centre est une orientation politique prise dans un contexte socio-économique particulier. Elle est aujourd’hui l’objet des contestations des habitants mobilisés pour la défense des quartiers.
De la construction de logements ouvriers aux « prises de terrain » illégales
7Au Chili, le problème d’accès au logement n’a cessé de s’amplifier tout au long des xixe et xxe siècles avec l’exode rural16. Dans la première moitié du xxe siècle, les initiatives privées et les interventions de l’État ont permis la construction de nombreux logements sociaux. Mais, dans les années 1940, avec le développement industriel principalement concentré sur la région de la capitale et l’arrivée massive de migrants de tout le pays, elles ne sont plus suffisantes. C’est dans ce contexte que sont apparus les premiers sites illégaux d’auto-constructions, nommés d’abord « callampas17 », puis « campamentos18 ». Le mode d’occupation, nommé « toma de terreno » (prise de terrain), était spontané. Les premières personnes s’installaient sur un terrain abandonné et étaient ensuite suivies par des membres ou des proches de la même famille. À Santiago, le nombre de personnes vivant dans ces « campementos » est passé de 75000 en 1952 à 201217 en 196619.
8Ces sites n’avaient pas pour seule vocation la construction provisoire de logements ; il s’agissait aussi d’espaces politiques, supports et ressources de revendications sociales et identitaires20. Chaque « toma de terreno » était associée à un parti politique. La plupart des dirigeants étaient par exemple liés au Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (« Movimiento de la Izquierda Revolucionaria » – MIR). Par ailleurs, pour une grande partie des occupants, les « campamentos » étaient utilisés comme un mode d’intégration dans la ville par l’accès à la propriété21. À la logique revendicatrice, venait aussi s’ajouter une dimension communautaire : les habitants étaient unis par les liens familiaux ou d’amitié, mais aussi par le fait d’habiter ce site et de devoir le consolider à travers des actions communes (pour l’assainissement ou l’aide à la construction de nouvelles maisons par exemple). Vivre le « campamento » était une expérience collective partagée par ses habitants22.
De la planification centralisée à la libéralisation du marché du sol
9Au plan institutionnel, la lutte contre le déficit en logements s’est faite dans un contexte de changement profond de modèle politique et économique. Le plan régulateur23 intercommunal de Santiago de 1960 incitait à la reconstruction des aires centrales dégradées et à la rénovation urbaine au travers la construction de logements sociaux et l’aide à l’auto-construction en périphérie. Mais le problème d’accès au logement n’a pas été résolu pour autant. Sous le gouvernement de l’Unité Populaire (1970-1973), les « tomas de terreno » ont même augmenté. En 1971, la moyenne était d’une « toma » par jour et en 1972, le nombre de « campamentos » s’élevait à 275 dans la capitale24.
10Après le coup d’État militaire de 1973, avec la forte répression exercée par le pouvoir, les « tomas » ont été beaucoup moins nombreuses. Parallèlement, les politiques urbaines ont changé radicalement. L’État est passé d’une planification normative, rationnelle et centralisée, à un modèle fondé sur une dérégulation du marché immobilier dominé par les promoteurs25. La politique nationale de développement urbain de 1979 a modifié par décret le Plan intercommunal de Santiago de 1960. Elle reposait sur l’idée selon laquelle la solution pour répondre au besoin en logement serait l’augmentation de l’offre en terrains constructibles. Le périmètre métropolitain et les zones constructibles ont alors été étendus aux surfaces agricoles proches de Santiago. L’autre fondement idéologique de cette politique était la confiance dans la capacité du marché à autoréguler de manière optimale l’offre et la demande en terrains et logements. La libéralisation du marché du sol a non seulement eu pour conséquence une forte expansion urbaine vers la périphérie, mais aussi la consécration des promoteurs immobiliers comme principaux acteurs de la production de la ville26.
Le choix d’un urbanisme pro-entrepreneurial
11À la fin de la dictature et au retour de la démocratie en 1990, les « tomas » sont peu nombreuses et les « campamentos » ne sont plus considérés comme un problème politique majeur. Les nombreux programmes de construction ont pu résoudre en partie le manque de logements. Mais l’extension urbaine provoquée par la politique de 1979 préoccupe l’État qui décide d’agir pour limiter ou inverser le processus. Un nouveau type d’urbanisme a été progressivement mis en place : un « urbanisme pro-entrepreneurial »27 impulsé et encadré par l’État et les municipalités pour attirer une partie du secteur privé national et international cherchant à investir son capital dans le marché immobilier et du sol28.
12La rénovation de Santiago Centre (voir figure 1) s’est fondée sur l’investissement spéculatif de capitaux privés dans lequel les municipalités et l’État ont eu un rôle de « facilitateurs » du marché. Dans ce cadre, la Corporation du développement de Santiago (Cordesan) – institution mixte publique-privée dépendante de la municipalité de Santiago Centre – a été créée après le tremblement de terre destructeur de 1985 pour élaborer des plans de repeuplement pour la commune. Commencés en 1992, ces derniers s’appuient sur la délimitation de zones de rénovation avec la constitution de réserves de terrains, la création d’une subvention spécifique pour aider les ménages à accéder à un logement et la dérégulation des normes de constructions établies par le plan régulateur de 1939. La municipalité a aussi cherché à améliorer la qualité des espaces publics et des passages piétons (par un meilleur éclairage nocturne par exemple). Il convient enfin d’ajouter que l’arrivée d’universités dans les années 1990 a accompagné la rénovation du centre en attirant de nouvelles populations (étudiants, professeurs ou personnels administratifs).
Figure 1. L’aire métropolitaine de Santiago du Chili

Les conséquences socio-spatiales de la densification des quartiers centraux
13Les plans avaient pour finalités le ralentissement, et si possible l’inversion de la tendance à la périurbanisation. Depuis 1992, ils ont permis la construction de plus de cent mille logements neufs dans plus de 570 opérations immobilières dans Santiago Centre. Le nombre de projets immobiliers est ainsi passé de 4 en 1990 à 65 en 2008, soit plus de 17000 unités de logements29. Les effets des investissements immobiliers sont aussi sociaux. Les plans de repeuplement ont pour conséquence une fragmentation de la population existante30. D’un côté, une partie des habitants ont vendu leur maison aux promoteurs immobiliers et déménagé en périphérie. De l’autre, les nouvelles constructions ont eu pour conséquence d’attirer de nouvelles populations : des familles monoparentales, des célibataires ou des couples sans enfant qui choisissent de vivre dans les tours situées dans le centre pour la proximité du lieu de travail, des transports et des réseaux sociaux, familiaux ou professionnels. Une dernière partie des habitants des tours est composée d’immigrés venus d’autres pays d’Amérique Latine. Tous ces nouveaux habitants ne disposent pas de revenus supérieurs aux anciens31. Cependant, leur mode d’habiter est différent car ils ont leurs espaces de socialisation hors du quartier32, et ils ne cherchent pas obligatoirement à construire de liens avec des personnes vivant à proximité de leur logement.
14Depuis les années 2000, face aux demandes de protection des quartiers de plus en plus nombreuses provenant d’associations d’habitants et de l’« Asociación chilena de los barrios y de las zonas patrimoniales », différentes initiatives ont vu le jour. À l’échelle nationale, nous pouvons citer le programme « Quiero mi barrio » (J’aime mon quartier) lancé en 2006 lors du premier mandat présidentiel de Michelle Bachelet. Il est conduit par le ministère de l’Urbanisme et du Logement qui sélectionne des quartiers dans l’ensemble des villes du pays afin d’en améliorer l’accessibilité et la qualité de vie. Parallèlement à ce programme institutionnel, et non choisi directement par les habitants, les groupes mobilisés peuvent postuler aux concours sur projet du Conseil National de la Culture et des Arts où la revalorisation patrimoniale constitue une thématique de plus en plus présente. À l’échelle de la capitale, la mobilisation de groupes d’habitants a pour conséquence les modifications progressives des plans régulateurs de 2003 à 201333, afin de limiter la hauteur des constructions (voir figure 2). Depuis 2012, ils sont soutenus politiquement par la mairesse de Santiago34 centre récemment élue.
Figure 2. Les modifications des plans régulateurs de Santiago Centre35

15Avant le xixe siècle, le quartier de Matta Sur se compose de fermes et de petits hameaux autour de chemins et de rues boueuses. Il s’est ensuite formé progressivement au cours du xixe siècle par l’arrivée de populations rurales à la recherche de travail. Cet espace était connu pour ses conditions de vie très difficiles et sa grande pauvreté36. À la fin du xixe siècle, le manque de terres disponibles incite les propriétaires à construire des logements partagés pour le plus grand nombre. Tout au long du xxe siècle, cette zone située au sud de Santiago (aujourd’hui au cœur de l’agglomération) fait l’objet de nombreux projets de construction, transformant cet espace autrefois rural en un secteur urbain. Au recensement de 2002 (dernier en date), ce quartier compte 51217 habitants, soit 25,5 % de la population de Santiago Centre37. Quartier ouvrier jusque dans la seconde partie du xxe siècle, il est aujourd’hui dominé par des ménages de classe moyenne et moyenne-inférieure, héritiers de cette période d’exode rural. Matta Sur est un quartier à dominante résidentielle (53,7 % des propriétés sont destinées à cet usage). Sur un plan urbanistique, une grande partie des édifices sont en rez-de-chaussée (70,9 %) ou composés d’un seul étage (24 %). La majorité des constructions (70,9 %) datent d’avant 1950 et seuls 2,8 % des édifices ont été construits entre 2001 et 2007. Matta Sur n’est devenu la cible des promoteurs immobiliers qu’à partir de la fin des années 2000. Pour leur faire face, les groupes d’habitants fondent leurs arguments sur la valeur patrimoniale du quartier, dans ses dimensions historiques, architecturales et sociales.
Le quartier : support, ressource et objet des mobilisations d’habitants
16De la formation à l’organisation d’activités culturelles, la mobilisation d’habitants a évolué et s’est dotée de nouveaux modes de coordination. À partir de leurs discours et de leurs actions collectives, le quartier se transforme progressivement en cause commune à défendre pour faire obstacle aux changements urbains dus à la densification du centre et à la spéculation immobilière.
Du conflit de proximité à l’extension de la cause défendue au quartier
17Les groupes de défense de Matta Sur ne sont pas les seules associations dans le quartier mais elles sont les plus organisées et les plus actives dans ce domaine. Le « Comité de defensa del barrio Matta Sur » est fondé en 200738 par une trentaine d’habitants39 du quartier pour s’opposer au projet du ministère des Transports de mettre en place une ligne de bus en site propre au milieu de l’Avenue Matta. Leur mobilisation est un succès puisque cet aménagement ne verra jamais le jour. Leur contestation s’appuie sur un double argument. Premièrement, la mise en place d’un bus en site propre créerait une rupture dans la ville de part et d’autre de l’Avenue, alors même qu’ils considèrent qu’elle est au cœur du quartier. En effet, les barrières et les mobiliers urbains qui accompagnent ce type de ligne de bus rendent difficile la traversée de l’Avenue. Le second argument est que ce projet détruirait l’espace vert au milieu de l’artère urbaine qui est utilisé comme lieu de rassemblement et de promenade pour les habitants. Le Comité défend l’attachement affectif porté à cet espace devenu support de souvenirs partagés par ses usagers. Dans les journaux, le président du Comité Matta Sur explique ainsi que « nous nous sentions envahis par le Transantiago [ministère des Transports, gestionnaire du transport public à Santiago], parce qu’ils allaient détruire la bande centrale pour faire un corridor [de bus], éliminant les arbres et détruisant l’image caractéristique du quartier qu’est l’avenue Matta40 ». Dans le bulletin du groupe nommé « El Adoquin41 », la responsable de la communication du Comité évoque aussi les moments que les habitants passent ensemble dans cet « espace public » qu’elle considère comme un lieu de rencontre qui fait lien dans le quartier.
18De l’Avenue Matta, la mobilisation locale étend progressivement son inscription spatiale à un ensemble urbain de plusieurs milliers d’habitants. Lors d’une visite dans d’autres parties de Santiago Centre telles que Santa Isabel, à un kilomètre plus au nord (voir figure 2), les individus mobilisés pour la défense de Matta Sur peuvent se rendre compte des conséquences à la fois matérielles et sociales des projets immobiliers : un quartier de faible densité remplacé par des tours de plus de quarante étages où les relations sociales de proximité n’existent quasiment plus. Ces constats les confortent dans l’idée d’empêcher le même type de processus à Matta Sur, phénomène qui commence à s’observer dans le quartier. Dans son bulletin « El Adoquin », le « Comité de defensa del barrio Matta Sur » parle ainsi de « violente et irrationnelle avancée des promoteurs qui tout en détruisant les quartiers, les villages et les villes, se rapproche un peu plus chaque jour du secteur dans lequel nous vivons42 ». Dans leur lutte, les habitants du Comité se rendent compte que d’autres groupes d’habitants existent et partagent les mêmes ambitions. D’abord tous réunis au sein du même groupe nommé « Comité de Defensa y de Recuperación del barrio Matta Sur », ils se sont ensuite séparés en deux. C’est dans ce cadre que naît le « Centro Cultural Patrimonio Matta Sur » en 2009. Composé d’une trentaine de participants, il s’intéresse aux dimensions patrimoniales matérielles et immatérielles. Il soutient les revendications du « Comité de defensa del barrio Matta Sur » à travers la mise en place de projets partagés. Son président actuel n’est pas originaire du quartier comme celui du Comité. Il tient sa légitimité de par sa profession et ses expériences dans le champ de la conservation patrimoniale.
Des groupes politisés
19Les habitants mobilisés dans Matta Sur sont issus des « vieilles familles » : ils sont des insiders au sens d’Elias et Scotson43. Ils ont vécu toute leur vie dans le même secteur et parfois dans la même maison, un héritage de leurs parents, grands-parents ou arrière-grands-parents. Ce sont des femmes au foyer d’une cinquantaine d’années en moyenne, souvent mariées à des hommes de professions intermédiaires (agents d’exécution, ouvriers ou employés) qui sont peu intéressés par ces activités. À la fin de l’atelier de photographies, ces femmes évoquaient d’ailleurs souvent le fait de devoir rentrer rapidement pour retrouver leur mari. Une autre partie importante des participants est composée de retraités (hommes et femmes). Bien que moins nombreux, il est aussi possible de rencontrer des personnes de moins de 40 ans sensibles aux projets proposés pour le quartier. Il s’agit d’enfants de familles originaires du quartier et vivent le plus souvent encore chez leurs parents44 (qui parfois participent aussi aux activités). Plus rare, il peut aussi s’agir d’enfants de résidents mais vivant dans leur propre maison, proche de leur famille.
20Les collectifs sont conduits par des personnes appartenant à la classe moyenne sachant mobiliser des ressources et capables d’adapter leurs discours aussi bien à l’égard des habitants que des autorités publiques. Le président du « Comité Matta Sur » est proche de la mairesse de Santiago Centre45 et celui du « Centro Cultural » se sert des connaissances de son milieu professionnel afin de mener ses projets de revalorisation patrimoniale. Leurs expériences dans les milieux associatifs leur permettent aussi de formuler des demandes de subventions et de transmettre les documents requis pour solliciter la protection du quartier.
21Au « Comité Matta Sur », le président est architecte et son épouse, professeure des écoles, est chargée de la communication. Ils sont tous les deux âgés d’une cinquantaine d’années et exercent encore une activité professionnelle. Avec d’autres membres du groupe, ils ont déjà participé à plusieurs contestations sociales dans Santiago. Ils se sont par exemple mobilisés à partir de 1996 contre le projet d’autoroute « Costanera Norte » qui devait passer dans le quartier Bellavista46, situé entre la commune de Providencia (majoritairement peuplée de classes moyennes-supérieures et supérieures) et de Recoleta (majoritairement peuplée de classes moyennes-inférieures et inférieures) (voir figure 1). La mobilisation avait alors conduit à une modification du projet : l’autoroute est aujourd’hui souterraine sur cette portion du territoire. Ils mettent désormais les expériences acquises durant cette lutte passée au service de Matta Sur.
22Le président du « Centro cultural Patrimonio Matta Sur » travaille comme organisateur d’expositions pour un musée à Santiago. Il n’est pas originaire du quartier mais a vécu dans des secteurs aux caractéristiques similaires, ce qui lui donne une certaine légitimité auprès des autres habitants. Il a fait partie de plusieurs associations de quartier dans les autres communes où il a vécu. Lors d’une de nos rencontres, il nous a par exemple présenté deux des livres qu’il a écrit sur l’histoire et le patrimoine d’un quartier de San Bernardo, commune au sud de Santiago dont il est originaire. D’une cinquantaine d’années, il est passionné par l’histoire sociale de Matta Sur. Son co-président est professeur de physique-chimie dans un lycée. Il a été le principal organisateur de l’atelier de photographie patrimoniale. Ils sont tous les deux connus de la municipalité de Santiago Centre et du Conseil des Monuments Nationaux. Tout comme les dirigeants du « Comité Matta Sur », ils sont aussi très souvent sollicités par les médias pour traiter de sujets liés au patrimoine.
23Les groupes de défense du quartier sont donc composés en majorité par des habitants « originaires » de ces lieux. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une requalification de l’espace urbain provoqué par l’arrivée de nouvelles populations. De plus, elle n’est pas une stratégie pour changer les significations socio-culturelles liées au quartier. Au contraire, les personnes investies dans ces actions collectives veulent conserver leur mode d’habiter et les valeurs qu’elles lui associent.
La revalorisation patrimoniale comme mode d’appropriation symbolique du quartier
24Les groupes de défense de Matta Sur procèdent à une revalorisation des lieux à travers les démarches pour la protection juridique du quartier, les discours prononcés lors des activités et des réunions, l’exposition d’objets du quotidien et de photographies au musée du quartier. Cette requalification patrimoniale conduit à une appropriation symbolique de l’espace qui, selon Veschambre, « suppose la production, l’usage de symboles, dotés d’une efficacité sociale et politique pour signifier que tel espace, tel objet est associé à un groupe, à une institution, à un pouvoir47 ». Dans Matta Sur, cette appropriation est à la fois matérielle et idéelle. Le projet de plantation d’arbustes et de fleurs dans les platebandes du quartier, conduit par le Comité Matta Sur avec l’appui d’une ONG, est une forme d’appropriation matérielle de l’espace par le groupe. Il s’agit non seulement d’embellir les rues et les devants des maisons mais aussi d’affirmer que ce quartier est capable d’être autogéré par ses propres habitants.
25L’appropriation est aussi idéelle. Elle se situe dans les discours, les formulations et les mots choisis pour qualifier le quartier. Lors des ateliers de photographies patrimoniales, il est souvent question de « notre » quartier, de « nos » maisons, de « nos » rues. Les adjectifs possessifs sont omniprésents. Dans le cadre de notre entretien avec la responsable de communication du « Comité Matta Sur » ou avec le président du « Centro cultural », nos deux interlocuteurs expliquent que leur objectif est la « récupération » du quartier par ses habitants. Ce mot est d’ailleurs présent dans la plupart des noms de projet. Il était aussi le second nom du groupe « Comité de defensa y de recuperación del barrio Matta Sur », utilisé en 2007. L’appropriation se fait aussi par des pratiques quotidiennes de surveillance de l’espace public. Aux alentours de 18 heures, les habitants sortent dans la rue, devant la porte de leur maison ou devant celle d’amis voisins afin de converser. Ils se promènent aussi dans les rues à la recherche de personnes avec qui échanger quelques mots. Les habitants réoccupent l’espace public des rues et des places, allant chercher leur pain, faisant les courses, flânant ou tout simplement observant cette activité sociale. C’est aussi une manière de s’approprier l’espace public en le faisant sien. Une autre manière de surveiller l’espace du quartier passe par les réseaux sociaux. Sur la page Facebook des groupes, il est fréquent que des personnes dénoncent la construction de nouveaux édifices demandant si des recours seraient envisageables pour l’arrêter. Toute nouvelle activité économique est aussi signalée par ce moyen de communication. Sur ces pages, de nombreux articles publiés vantent aussi la vie dans le quartier « ouvrier » de Matta Sur et valorisent « nos voisins ».
26L’appropriation du quartier se fonde sur des dispositifs experts. Ils sont destinés à renforcer la crédibilité des acteurs mobilisés face aux pouvoirs publics ; ils visent à légitimer la cause patrimoniale. Ils s’appuient sur une connaissance produite par des individus aux compétences reconnues qui donne « droit à prescrire des normes les mieux à même de servir l’intérêt général48 ». Le dispositif est appliqué par exemple pour la demande de protection juridique du quartier. Pour élaborer le dossier, ils sont aidés par des professeurs et étudiants de la faculté d’architecture et d’urbanisme de l’université du Chili. Après de multiples négociations et réélaborations du dossier, leur demande est acceptée en décembre 2015. Le dispositif expert mène ainsi à un « zonage institutionnel de l’espace49 », qui est accompagnée de prescriptions et de règles strictes qui empêchent la construction de tours. Il est donc vécu par les habitants mobilisés comme l’aboutissement d’un objectif majeur : les valeurs qu’ils associent au quartier sont désormais reconnues et délimitées spatialement.
27À ces dispositifs experts s’ajoutent des dispositifs de sensibilisation, définis par Christophe Traïni comme « l’ensemble des supports, des agencements d’objets, des mises en scène, que les acteurs déploient à fin de susciter des réactions affectives qui prédisposent ceux qui les éprouvent à soutenir la cause défendue50 ». Ils ont pour vocation de rallier des soutiens parmi les habitants et de consolider le groupe. Outre les deux projets qui nous intéressent dans ce travail, nous pouvons aussi citer l’organisation de « circuits patrimoniaux » (« rutas patrimoniales ») d’une ou deux heures, organisées les week-ends par le « Centro cultural ». Durant ces sorties, les participants (du quartier ou d’autres communes de Santiago) parcourent le quartier accompagnés par l’un des membres du groupe qui explique et raconte l’histoire des lieux. Cette marche permet à l’animateur (souvent le président du « Centro cultural » ou son vice-président) de les sensibiliser à l’intérêt historique, mémoriel et social de ces lieux. Il tente ainsi de les persuader que leur destruction serait aussi une perte pour tout Santiago : il étend ainsi la cause du groupe à un territoire beaucoup plus vaste que le quartier. Enfin, la sensibilisation passe aussi par la distribution d’un bulletin du Comité rédigé par l’ensemble des principaux acteurs de ces mobilisations. Ils traitent des avancées des projets en cours et proposent des réflexions plus théoriques sur la notion de patrimoine ou de culture. La présence d’un stand du Comité ou du Centro cultural pendant les marchés ou les événements culturels du quartier leur permet aussi de se faire connaître auprès des autres résidents. Dans ces exemples, l’appropriation symbolique du quartier passe par le discours. En associant le quartier, son histoire et ses mémoires sociales à ses habitants, les groupes veulent insister sur leur appartenance à ce territoire.
Défendre un ancrage identitaire local face aux projets immobilier
28Dans le cadre de la défense de leur quartier, les groupes mobilisés élaborent des pratiques, des idées et des valeurs communes auxquelles peuvent s’identifier les participants. Une identité collective se construit à partir des relations que les habitants entretiennent avec leur espace de vie, et au sens qu’ils donnent au fait de le défendre et le revaloriser.
Des groupes formés à partir d’une identité commune en lien avec le quartier
29Les groupes de défense de Matta Sur se forment sur la base de relations affectives préalables entre habitants. Ce sont des relations de familles présentes parfois depuis plusieurs générations. La plupart des habitants ont grandi ensemble et même si les conflits existent, ils se connaissent les uns et les autres. De plus, ils s’identifient au groupe parce qu’il est constitué de personnes expérimentant le même type de territorialité51. Le quartier fait partie des références, des « espaces fondateurs52 » de leur identité individuelle et collective. À plusieurs reprises, lors des activités, les participants affirment leur fierté d’être du quartier et de vivre à Matta Sur. Nous pouvons donner l’exemple de la responsable de la communication du Comité Matta Sur qui nous explique que :
« Il m’est arrivé quelque chose d’extraordinaire, quelque chose qui m’a fait sens. J’ai vécu pendant 20 ans en dehors du quartier. Après, désespérée, je suis revenue parce que je voulais revenir ici et aussi parce que la relation avec les autres habitants dans l’autre quartier était difficile. Quand je suis revenue, je suis allée à mon travail le jour suivant et je passais par l’Avenue Matta, dans ce secteur et tout le monde a commencé à me saluer. Ils se souvenaient de moi, de mon nom. C’est bien typique de nous. Le salut aimable53 […] »
30Cette approche du quartier convivial est aussi présente dans les discours des autres personnes que nous avons rencontrées. L’amour pour cet espace social et la joie d’en faire partie conduisent ces individus à vouloir le défendre.
31Progressivement au cours des réunions et de nos entretiens informels avec les participants avant ou après les activités du groupe, nous notons qu’ils sont principalement intéressés par le partage et la préservation de leurs souvenirs. Pour eux, protéger les dimensions matérielles du quartier revient à protéger leurs mémoires : l’espace leur sert à se rappeler et à se remémorer54. La construction de l’identité collective se fonde ainsi sur un répertoire culturel commun entre les participants, fondé sur des histoires et les souvenirs partagés des lieux d’« avant » : l’ancien cinéma transformé en local de réparation de voitures, le restaurant San Remo réputé dans tout Santiago mais détruit pour la construction d’une bouche d’aération du futur métro ou encore la maison de la « tia » (« tata »), maison close aujourd’hui fermée, et à usage résidentiel. Ils échangent aussi leurs souvenirs de la dictature. Les plus âgés se souviennent des trolleys qui passaient dans les rues principales du quartier, animant les lieux par ses allers-retours ou encore les rues en terre battue où presque aucune voiture ne circulait. Chacun des souvenirs est associé à un lieu matériellement existant.
32Ce sentiment d’appartenance au quartier, formé à partir des souvenirs, se vérifie aussi avec les participants qui n’y sont pas nés, mais qui se servent de ses dimensions physiques et sociales pour se rappeler des lieux de leur enfance ou pour retrouver le genre de relations sociales qu’ils ont connu auparavant dans d’autres villes ou quartiers. Prenons le cas du président du « Centro cultural Patrimonio Matta Sur ». Le leader explique qu’il y a neuf ans : « [lui et sa femme sont] arrivés dans ce quartier spécifiquement parce que nous cherchions un quartier avec les mêmes caractéristiques que celui où j’ai grandi, le quartier San Bernardo, c’est-à-dire un quartier simple, ouvrier55 ». L’autre cas est celui de la directrice d’un centre culturel proche du lieu d’habitation du président du « Centro Cultural ». Elle accueille souvent le groupe pour ses réunions. Le choix de venir habiter au quartier Matta Sur s’est fait à partir de sa volonté de trouver des relations de voisinage comme elle en avait connues auparavant dans son village d’origine parce que, selon elle : « Ici à Santiago, la vie est très dure, dans le sens où les gens ne se connaissent pas, ils vivent des années dans le même lieu mais personne ne se connaît. Pour moi, cela est très désagréable. Je viens de province où c’est tout le contraire : tout le monde se connaît et ici non56. » En s’installant dans ce quartier, elle cherche à aider à l’animation des relations sociales à travers les cours de danse et autres activités culturelles. Dans ces deux exemples, la relation affective se construit à la vue d’objets, de personnes ou de lieux qui en rappellent d’autres qu’ils ont connus par le passé. Leur engagement se fonde ainsi sur une réinterprétation de leurs mémoires et de leurs souvenirs. Il s’agit de préserver et revaloriser des relations sociales de proximité et des modes d’habiter identiques à ceux qu’ils ont connus avant.
33L’enjeu de la revalorisation patrimoniale n’est pas ici une réinterprétation de mémoires historiques : il est bien plus dans la réactualisation des moments passés vécus et ancrés dans le quartier. En ce sens, la mobilisation patrimoniale se forme et se consolide à partir des émotions57 provoquées par le fait de se rappeler.
Figure 3 : Musée du quartier dans le hall de la municipalité de Santiago Centre

Photo de l’auteur, décembre 2015.
34Lors des célébrations d’ouverture du musée, les photographies d’enfance dans le quartier ou des parents prenant le trolley aujourd’hui disparu, ou encore la vaisselle que les grands-parents utilisaient au début du siècle sont montrées aux autres habitants. Ces expositions (figure 3) sont des moments propices au partage. Pleurs et rires, tristesse et joie se mêlent et participent à la formation d’une cause commune : la défense du quartier. Les cérémonies et les manifestations collectives organisées par les groupes permettent la transformation des émotions individuelles en valeurs sociales communes et partagées58. Ces émotions servent de socle commun à la mobilisation. Elles peuvent être ainsi vues comme le moteur et le fil conducteur du mouvement. Cependant, elles ont aussi une fonction d’identificateur et de délimiteur du groupe. En ce sens, elles servent à se différencier des « autres ».
L’ancrage pour se différencier des résidents des nouvelles constructions
35L’homogénéité sociale des groupes d’habitants de Matta Sur conduit à une forme d’exclusion des personnes ne partageant pas leur approche du quartier et n’ayant pas les mêmes origines sociales. En ce sens, les nouveaux habitants choisissant des modes d’habiter similaires aux anciens, malgré leur absence aux activités, ne sont pas critiqués ou méprisés par nos interlocuteurs. Ces derniers cherchent à se différencier principalement des personnes vivant dans les nouvelles constructions. La distinction entre le « nous » et « les autres » est très présente dans le discours des participants. Elle peut se lire à travers la relation des membres des groupes aux immigrés, aux pratiques différentes et qui ne participent pas aux activités du groupe. Enfin, cette séparation est aussi visible dans la manière dont les groupes évoquent les commerçants. Il y a ceux qui sont présents depuis plusieurs années comme le cordonnier, le vendeur de fruits et légumes ou le coiffeur et qui correspondent donc à l’idée de « quartier » des anciens habitants, et il y a les nouveaux propriétaires des maisons qu’ils ont transformées en ateliers ou en lieu de production quasi-industrielle. Ces derniers sont considérés comme extérieurs aux groupes mobilisés.
36La revalorisation patrimoniale se fonde donc sur une relation complexe entre les groupes établis et ceux que nous pourrions nommer « mobiles » (les nouveaux habitants des tours), puisqu’ils n’ont que très peu de liens sociaux, culturels ou économiques avec le quartier. Ce sont des individus qui ont souvent leurs espaces de socialisation dans d’autres parties de la ville ou même du pays. Ils se caractérisent par leur dépendance à la voiture ; ils font leurs achats dans les « malls » et ils ne s’intéressent que très peu à la vie de quartier. Ils y résident avant tout pour sa localisation et pour les prix relativement bas des appartements en vente ou à la location59. Ces habitants sont du coup stigmatisés par le fait de ne pas partager les mêmes valeurs que le groupe dominant dans le quartier. Les habitants mobilisés expriment fréquemment un certain mépris pour les personnes qui veulent vivre dans les immeubles récemment construits « avec vue sur la Cordillère », sans chercher à créer des liens sociaux avec les autres résidents. Pour eux, il est incompréhensible de ne pas vouloir interagir avec son entourage. Nous retrouvons ainsi les différents modes d’habiter et de cohabiter dans le quartier présentés par Authier60. À partir de trois enquêtes menées auprès d’habitants de quartiers anciens centraux situés à Lyon, Montpellier, Montreuil, Paris et Versailles, il montre que des différenciations très marquées existent dans les manières d’habiter le quartier entre d’un côté son usage comme espace de proximité et d’un autre côté son usage comme espace ouvert où la relation de voisinage n’est pas recherchée. Dans le cas de Matta Sur, les anciens habitants mobilisés dans les groupes de défense sont des personnes valorisant les relations sociales de proximité. Ils stigmatisent les résidents des nouvelles tours tout en ne cherchant pas à comprendre leurs modes d’habiter le quartier. Les habitants mobilisés veulent avant tout défendre leur approche du quartier : un espace social où se côtoient et se rencontrent des habitants partageant les mêmes modes d’habiter et les mêmes formes de sociabilités.
37Par ailleurs, ces habitants doivent faire face à une société « hypermobile61 », où l’ancrage est souvent assimilé à de l’immobilité ou de l’enfermement62. Dans ce contexte, le travail des groupes de défense du quartier consiste à montrer aux habitants « immobiles » leur intérêt à valoriser leur enracinement. En effet, les personnes mobilisées retraitées n’ont souvent pas de voitures pour se déplacer. La multi-appartenance territoriale permise par la mobilité ne leur est pas accessible. Pour les autres membres du groupe, l’enracinement est un choix fait en fonction des valeurs socio-culturelles qu’ils associent au groupe et, plus généralement, au quartier63. La revalorisation de l’« autochtonie » passe par des pratiques spatiales quotidiennes telles qu’aller chercher le pain ou sortir les poubelles à la même heure que les voisins, parler dans la rue avec les passants tous les soirs à partir de 18 heures, se réunir les samedis et les dimanches après-midi sur la place Bogota, au centre du quartier, ou encore faire ses courses dans les commerces de proximité ou pendant le marché du samedi matin. Le maintien des sociabilités de voisinage apparaît aussi comme l’enjeu central sans lequel la vie de quartier serait impossible. Les groupes d’habitants cherchent ainsi à créer un certain « ordre social » dans le quartier par l’imposition de pratiques socio-spatiales. Ils veulent donner un sens au fait de vivre dans ces lieux, un sens incompris ou non partagé par les résidents des tours et qui les font sentir partie prenante du groupe et du quartier.
Conclusion
38La revalorisation patrimoniale des quartiers centraux est souvent montrée comme une « conquête bourgeoise64 » conduisant à des formes de ségrégation sociale65. Notre étude de cas présente une configuration différente puisqu’il s’agit d’une mobilisation menée par des personnes appartenant aux vieilles familles du quartier. Même si certains participants ont eu l’occasion de vivre dans d’autres communes, tous entretiennent une histoire affective et personnelle en lien avec le quartier. Les groupes ne sont donc pas composés de « nouveaux habitants » aux capitaux économiques et culturels supérieurs aux « anciens ».
39La mobilisation d’habitants s’appuie davantage sur la réinterprétation de leurs propres mémoires et souvenirs d’enfance ou de ceux de leurs parents ou grands-parents que de l’utilisation de données historiques collectées sur un passé inconnu. Il s’agit d’une mobilisation fondée sur un espace vécu, une relation particulière à leur territoire. Ce rapport à l’espace, d’abord individuel est ensuite collectif grâce au partage d’expériences, d’idées, de valeurs, de ressentis et de pratiques au sein du groupe. Dans le cadre des échanges, le quartier n’est alors plus seulement un lieu d’habitation mais aussi une idée et une valeur à défendre.
40Par leurs actions dans le quartier, les habitants mobilisés cherchent à protéger et à revaloriser leur ancrage local. Leurs activités conduisent à la formation d’un entre-soi, c’est-à-dire au regroupement de personnes aux caractéristiques communes, sous-entendant l’exclusion, plus ou moins active et consciente, des autres au nom de leur sentiment de supériorité66. Face à l’arrivée d’habitants vivant dans les nouvelles constructions, les anciens habitants cherchent à défendre l’idée que Matta Sur serait un quartier résidentiel de classe moyenne héritière des mémoires ouvrières de leurs parents et grands-parents. Un quartier privilégiant les relations sociales de proximité, la convivialité et l’humilité. Ce type de discours leur permet à la fois de s’identifier au groupe et au quartier et de se différencier des nouveaux résidents jugés « sans attache » et « mobiles ». C’est une manière pour eux de se protéger des « autres » et de transformer leur contrainte – l’immobilisme – en ressource pour faire face aux évolutions de leur société.
Notes de bas de page
2 Poduje Iván, « Participación Ciudadana en Proyectos de Infraestructura y Planes Reguladores », Serie de Temas de la Agenda Pública de la Vicerrectoría de Comunicaciones y Asuntos Públicos, no 22, vol. 3, 2008, PUCCH ; Canteros Eduardo, « Las agrupaciones vecinales en defensa de los barrios. La construcción política desde lo local », Polis, no 28, vol. 10, 2011, p. 85-99.
3 Melé Patrice (dir.), Conflits de proximité et dynamiques urbaines, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.
4 Veschambre Vincent, Traces et mémoires urbaines, enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.
5 L’analyse rejoint celle proposée par Isabelle Berry-Chikhaoui et Lucile Medina dans « Le lieu comme ressort et ressource dans un conflit d’aménagement. L’exemple d’un quartier populaire en rénovation urbaine : “le petit Bard à Montpellier” eu et plus de justice. L’exemple du petit Bard à Montpellier », dans ce même ouvrage.
6 Dans l’article, nous nommerons ce collectif « Comité Matta Sur ».
7 Dans l’article, nous le nommerons « Centro cultural ».
8 Authier Jean-Yves, La vie des lieux, un quartier du Vieux-Lyon au fil du temps, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1993.
9 Tissot Sylvie, « Naissance d’un quartier “historique” : patrimonialisation architecturale et luttes politiques dans le South End de Boston (1965-1995) », Sociétés contemporaines, no 80, vol. 4, 2010, p. 5-27.
10 Semmoud Nora, « Valorisation patrimoniale et changement social : un pléonasme ? », in Gravari-Barbas Maria (dir.), Habiter le patrimoine : enjeux-approches-vécus, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
11 Glevarec Henri et Saez Guy, Le patrimoine saisi par les associations, Paris, La Documentation française, 2002.
12 Bidou-Zachariasen Catherine (dir.), Retours en ville, Paris, Descartes et compagnie, 2003 ; Atkinson Rowland et Bridge Gary (dir.), Gentrification in a global context. The new urban colonialism, London-NY, Routledge, 2005.
13 Parmi l’ensemble des participants rencontrés lors des activités du groupe « Centro cultural Patrimonio Matta Sur », seul son président n’était pas originaire du quartier.
14 Guérin-Pace France, Authier Jean-Yves et Bacqué Marie-Hélène, Le quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, La Découverte, 2008 ; Fol Sylvie, « Mobilité et ancrage dans les quartiers pauvres : les ressources de la proximité », Regards sociologiques, no 40, 2010, p. 27-43.
15 Le « nomade » a été présenté comme une figure montante du nouvel esprit du capitalisme dans Boltanski Luc et Chiapello Ève, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
16 Sepulveda Swatson Daniela, « De tomas de terreno a campamentos : movimiento social y político de los pobladores sin casa, durante las décadas 60 y 70, en la periferia urbana de Santiago de Chile », Revista INVI, no 35, vol. 13, 1998, p. 103-115.
17 Ramón Armando (de), « La población informal. Poblamiento de la periferia de Santiago de Chile, 1920- 1970 », Revista EURE, vol. 16, no 50, 1990, p. 5-17
18 Une « callampa » n’était pas fait pour durer alors que les habitants d’un « campamento » recherchaient sa légalisation.
19 Ramón Armando (de), op. cit., 1990.
20 Gaudichaud Franck, « Écologies d’un espace en révolution. Santiago du Chili, 1970-1973 », in Combes Hélène, Goirand Camille et Garibay David (dir.), Les lieux de la colère. Occuper l’espace pour contester, de Madrid à Sanaa, Paris, Karthala, 2015, p. 121-142.
21 Sabatini Francisco et Wormald Guillermo, « La guerra de la basura de Santiago : desde el derecho a la vivienda al derecho a la ciudad », Revista EURE, vol. 30, no 91, 2004, p. 67-86.
22 Espinoza Vincente, « Historia social de la acción colectiva urbana : los pobladores de Santiago, 1957- 1987 », Revista EURE, no 72, vol. 24, 1998, p. 71-84
23 Les plans régulateurs chiliens sont les équivalents des plans locaux d’urbanisme français.
24 Ramón Armando (de), op. cit., 1990.
25 Vicuña del Rio Magdalena, « El marco regulatorio en el contexto de la gestión empresarialista y la mercantilización del desarrollo urbano del Gran Santiago, Chile », Revista INVI, vol. 28, no 78, 2013, p. 181-220.
26 Vicuña del Rio Magdalena, op. cit.
27 Harvey David, « From Managerialism to Entrepreneurialism : The Transformation in Urban Governance in Late Capitalism », Geografiska Annaler no 20 (3), 1989, p. 233-249.
28 De Mattos Carlos, « Santiago de Chile de cara a la globalización : ¿otra ciudad ? », Revista de Sociología Política, no 19, 2002, p. 31-54 ; Hidalgo Rodrigo, « Los centros históricos y el desarrollo inmobiliario : las contradicciones de un negocio exitoso en Santiago de Chile », Scripta Nova. Revista Electrónica de Geografía y Ciencias Sociales, vol. 14, no 331, vol. 85, 2010, [http://www.ub.es/geocrit/sn/sn-331/sn-331-85.htm].
29 Contreras Yasna, « La recuperación urbana y residencial del centro de Santiago : Nuevos habitantes, cambios socioespaciales significativos », EURE, no 112, vol. 37, 2011, p. 89-113
30 Nous retrouvons ici une des conséquences des politiques de rénovation urbaine analysée par Pierre Gilbert dans « Fragmenter la population et défaire les collectifs militants. La rénovation urbaine comme dispositif de désarmement des mobilisations collectives », dans ce même ouvrage.
31 Hidalgo Rodrigo, op. cit.
32 Contreras Yasna, op. cit.
33 Lopez-Morales Ernesto, Gasic Ivo et Meza Daniel, « Renovación urbana y rol municipal pro-empresarial en la planificación territorial : Santiago de Chile, 1990-2012 », Revista INVI, no 76, vol. 27, 2012, p. 75-114.
34 Membre du « Partido por la Democracia » (PPD) de centre-gauche, élue mairesse de Santiago en 2012. Présidente du PPD de 2010 à 2012, elle a été députée de 2002 à 2009 et ministre secrétaire générale du gouvernement du premier mandat de Michèle Bachelet (2006-2010).
35 La figure est réalisée à partir de celle existante dans l’article : Lopez-Morales Ernesto, Gasic Ivo et Meza Daniel, op. cit.
36 Ramón Armando (de), Santiago de Chile (1541-1991) : Historia de una sociedad urbana. Santiago de Chile, Editorial Sudamericana Chilena, 2000.
37 Ilustre Municipalidad de Santiago, Memoria explicativa : proyecto de modificación al plan regulador de Santiago, sector no 5 Matta-Franklin y actualización del texto de la ordenanza local, Santiago, Chili, 2013. L’ensemble des chiffres utilisés dans cette partie proviennent de cette même source.
38 Il est dans un premier temps appelé « Centro cultural Matta Sur Barrio Valioso » puis, dans un second temps, « Comité de Defensa y de Recuperacion del barrio Matta Sur », et enfin, « Comité de defensa Matta Sur ».
39 Pour les deux groupes étudiés, il n’existe pas de registre d’inscription.
40 Traduction de l’auteur d’une citation dans un article paru dans La Tercera du 24 septembre 2014, [http://masdecoracion.latercera.com/2014/09/20/01/contenido/10_4399_9.shtml].
41 Comité de defensa del barrio Matta Sur, El Adoquin, no 8, 2008.
42 Comité de defensa del barrio Matta Sur, El Adoquin, no 9, 2009. Traduction de l’auteur.
43 Elias Norbert et Scotson John, Logiques de l’exclusion : Enquête sociologique au cœur des problèmes d’une communauté, Paris, Fayard, 1997.
44 Au Chili, il est très courant de vivre chez ses parents après 30 ans.
45 Membre du « Partido por la Democracia » (PDD) de centre-gauche.
46 Le quartier est connu pour ses activités culturelles nocturnes (théâtres, restaurants, bars populaires et branchés, discothèques) et pour sa dimension « bohème ». Dans les années 2000, les groupes de défense du quartier ont tenté d’en faire une zone patrimoniale protégée. Cela a conduit à la délimitation de différentes zones de protection.
47 Veschambre Vincent, op. cit., p. 7.
48 Traïni Christophe, « Des dispositifs visant à la coordination des actions collectives », in Traïni Christophe (dir.), Émotions et expertises : les modes de coordination des actions collectives, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 20.
49 Melé Patrice, « Introduction : Territoires d’action et qualifications de l’espace », in Mele Patrice et Larrue Corinne (dir.), Territoires d’action : aménagement, urbanisme, espace, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 15-46.
50 Traïni Christophe, op. cit., p. 19.
51 Dardel Éric, L’homme et la terre. Nature de la réalité géographique, Paris, CTHS, 1990 (1952) ; Tuan Yu-Fi, Space and Place : The perspective of experience, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2001 (1977) ; Berque Augustin, Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000 ; Hoyaux André-Frédéric, « Entre construction territoriale et constitution ontologique de l’habitant : introduction épistémologique aux apports de la phénoménologie au concept d’habiter », Cybergéo, no 102, 2002, [https://cybergeo.revues.org/1824].
52 Ramos Elsa, L’invention des origines, Sociologie de l’ancrage identitaire, Paris, Armand Colin, 2006.
53 Entretien effectué au domicile de l’interviewé, en avril 2014. Traduction de l’auteur.
54 Halbwachs Maurice, La mémoire collective, Paris, Presses universitaires de France, 1950 ; Bastide Roger, « Mémoire collective et sociologie du bricolage », L’Année sociologique, no 21, 1970, p. 65-108 ; Nora Pierre (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, « La République », 1984 ; « La Nation », 1986 ; « Les France », 1993.
55 Entretien effectué au domicile de l’interviewé, en juin 2014. Traduction de l’auteur.
56 Entretien effectué au centre culturel où travaille l’interviewé, en juin 2014. Traduction de l’auteur.
57 D’autres auteurs étudient la patrimonialisation sous cet angle : Heinich Nathalie, « Les émotions patrimoniales : de l’affect à l’axiologie », Social Anthropology/Anthropologie sociale, no 1, vol. 20, 2012, p. 19-33 ; Fabre Daniel (dir.), Émotions patrimoniales, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2013.
58 Livet Pierre, Émotions et rationalité morale. Paris, Presses universitaires de France, 2002.
59 Contreras Yasna, op. cit.
60 Authier Jean-Yves, « “Les citadins et leur quartier.” Enquête auprès d’habitants de quartiers anciens centraux en France », L’Année sociologique, no 1, vol. 58, 2008, p. 21-46.
61 Allemand Sylvain, Ascher François et Lévy Jacques (dir.). Les sens du mouvement, Paris, Berlin, 2004.
62 Fol Sylvie, op. cit.
63 Bourdin Alain, « L’ancrage comme choix », in Monique Hirschorn, Jean-Marie Berthelot (dir.), Mobilité et ancrages. Vers un nouveau mode de spatialisation ?, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 37-49.
64 Bourdin Alain, Le patrimoine réinventé, Paris, Presses universitaires de France, 1984.
65 Authier Jean-Yves, « Formes et processus de ségrégation dans les quartiers anciens centraux réhabilités : l’exemple du quartier Saint-Georges à Lyon », Sociétés contemporaines, no 22/23, 1995, p. 107-126.
66 Tissot Sylvie, « Entre soi et les autres », Actes de la recherche en Sciences sociales, vol. 4, no 204, 2014, p. 4-9.
1 L’auteur remercie le soutien financier du projet CEDEUS – CONICYT/FONDAP 15110020 qui a permis de réaliser cette recherche en 2014-2015.
Auteur
Docteur en géographie (université Paris Est) et professeur associé à l’École de travail social de la Pontificia Universidad Católica de Valparaíso (Chili). Il travaille sur les reconfigurations de communautés de quartier et les nostalgies urbaines dans la ville néolibérale contemporaine, à partir du cas chilien. Ses dernières publications sont : « Nostalgie comme catégorie géographique : une proposition théorique », The Canadian Geographer/Le Géographe Canadien, 2018, vol. 62, no 4, et « Temporalidades de la construcción disciplinaria : las narraciones nostálgicas del Trabajo social en Chile », Revista de Estudios Sociales, 2018, no 65, (avec Sandra Iturrieta Olivares et Paola Marchant).
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Virginie Anquetin et Audrey Freyermuth (dir.)
2009
La fabrique interdisciplinaire
Histoire et science politique
Michel Offerlé et Henry Rousso (dir.)
2008
Le choix rationnel en science politique
Débats critiques
Mathias Delori, Delphine Deschaux-Beaume et Sabine Saurugger (dir.)
2009